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Tourismes, patrimoines, identités, territoires

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Christian Bataillou

Deuxième session. L’analyse du rôle des acteurs et des dynamiques de proximité dans la définition des politiques touristiques soutenables

Texte introductif

« Territoires, patrimoines, identités et tourisme », introduction à une démarche multidisciplinaire pour une activité durable

J.P Doumenge et P. Chevalier

Texte intégral

Introduction

1La mobilité accrue des populations et l’allongement des temps de loisir expliquent la vulgarisation du tourisme dans les pays développés et chez les gens pourvus d’un fort pouvoir d’achat dans les pays en développement. Comme le tourisme n’est pas une activité qui s’improvise, les professionnels qui l’animent et les institutionnels qui l’encadrent doivent observer et, si possible, comprendre tout autant les comportements des candidats au voyage que ceux des populations d’accueil, avant de pouvoir la développer de manière durable. De la part des professionnels, elle requière un bon niveau de performance dans leurs réalisations donc un savoir faire confirmé. Pour qu’elle soit acceptable sur un territoire, il faut qu’elle s’incère dans des politiques publiques stables, validées au moment des élections par les collectivités d’accueil.

I. Les termes de référence à rappeler, le questionnement à mener

2Lorsqu’on évoque le tourisme, on parle généralement de « destination », donc on désigne un « lieu » précis sur un « territoire » particulier. L’attachement à la personnalité d’un lieu est toujours porteur d’une affectivité chargée d’amitié parce qu’on prend plaisir à en partager la vie de ses habitants, le temps d’une « escapade », d’une « randonnée » ou d’un « séjour » prolongé. La ville autant que la campagne, le bord de mer autant que la montagne comportent des éléments d’attraction à faire valoir pour peu que s’y révèlent un intérêt en matière d’esthétique, de pratique ludique ou sportive, de curiosité historique et de convivialité.

3Le territoire est donc non seulement un espace bio physique servant de réceptacle matériel à une destination, mais plus encore un espace de représentation intellectualisée, provocant la curiosité, voire le fantasme des « gens du dehors ». Il est en même temps le support d’un patrimoine plus ou moins riche et d’une identité collective plus ou moins prestigieuse pour les « gens du dedans ». Sa personnalité se forge tout autant par la présence de paysages émouvants (spécifiques ou atypiques) que de pratiques culturelles locales attrayantes. Sans accueil convivial pas de développement touristique, d’où la nécessité d’acteurs prévenants. D’où aussi l’utilité périodique d’un renouvellement plein d’agréments des lieux à visiter et des évènements à partager pour maintenir un intérêt sur un territoire.

4Certains territoires présentent plus d’atouts que d’autres. Les savoir-faire des populations sont donc une donnée décisive dans la différenciation des destinations touristiques. Ceux-ci ne correspondent pas toujours aux cadres administratifs de classification des collectivités publiques, d’où une certaine confusion en terme de références toponymiques, donc de mémorisation pour les clientèles. La transgression des limites territoriales officielles est ainsi un vecteur de remise en cause de formalismes institutionnels, de dynamisme transfrontalier et de développement inter-régional. L’activité touristique peut ainsi participer à la l’élargissement d’identités collectives et à leur reconstruction périodique.

5Les territoires du tourisme renvoient généralement à des personnalités socio spatiales suscitant la curiosité, voire fascinant L’imagination. Leur réalisation nécessite généralement un temps long de macération, de compréhension des hommes et de leur cadre de vie. Il faut de la « magie » en un lieu pour pouvoir développer durablement une activité en tourisme. Celle-ci peut dériver d’un paysage ou d’un savoir faire des gens du lieu visité, être inscrite dans l’action ou la méditation. Lorsqu’on projette une activité touristique, on attend en effet que le paysage bio physique et le savoir faire des habitants livrent une part des relations intimes qui se nouent par les travail des hommes entre un espace naturel et sa collectivité résidentielle, ce qui constitue la cohésion des groupes humains, ce qui est à la base de leur prestige.

6Dans tous les cas, l’identité inscrite sur un territoire découle de la prise de conscience d’un capital matériel et intellectuel qui s’hérite, se bonifie au sein d’une collectivité et se transmet à autrui, en particulier aux jeunes générations, s’il y a savoir faire pédagogique approprié. La mise en patrimoine de richesses locales ou micro régionales est devenue essentielle pour la prise en considération positive des populations contemporaines car les territoires de la sensibilité, de l’intimité, de la convivialité se situent à ces échelles sous régionales. Mais en s’y référant on ne doit pas tomber dans le localisme, l’exhibitionnisme nombriliste ou au contraire l’intégrisme xénophobe.

7L’investissement patrimonial peut donc être sujet à débat et à interprétation, voire à rivalité entre particuliers. Il faut qu’il puisse être assumé collectivement pour éviter tout accaparement abusif par certains : dans leurs formes matérielles, les biens patrimoniaux peuvent se réaliser dans un cadre d’appropriation individuelle ou familiale, mais à un moment donné il faut qu’une population puisse s’y identifier, en être fière, pour qu’idéologiquement les biens culturels aient réellement un effet structurant, à l’échelle d’un groupe ou d’une collectivité.

8Conjuguer « tourisme » avec « patrimoines », « identités » et « territoires » constitue donc un exercice délicat, mais fondamental pour qui veut établir durablement une solidarité économique et sociale, sur un territoire, sur la base de pratiques laborieuses autant que festives, incluant obligatoirement une transmission pédagogique de qualité. Le principe de « qualité » est essentiel dans la valorisation touristique d’un territoire, du patrimoine culturel de ses populations résidentes et d’une identité collective. C’est un effort de tous les instants d’autant plus difficile à mener que les activités les plus chargées de valeur patrimoniale donc sentimentale sont souvent prises en considération lorsqu’elles entrent en crise. C’est le paradoxe de la mise en patrimoine de se révéler dans l’extrême difficulté.

9Le plus souvent la patrimonialisation ludique prend donc le relais de l’usage laborieux, lorsqu’une activité économique décline, pour en maintenir le bien fondé, la légitimité intergénérationnelle, au regard de la collectivité d’accueil. Mais souvent c’est le regard d’une personne de passage qui révèle le mieux la valeur patrimoniale d’une activité, aux yeux d’une collectivité locale : alors qu’elle est regardée comme un fardeau par les acteurs locaux, par suite de l’importance du travail qu’elle induit, l’activité emblématique d’un lieu, donc d’une population, se trouve facilement magnifiée par observateur extérieur qui investit seulement sa curiosité. Pour tirer parti d’activités agricoles et culinaires ou de productions artisanales ou industrielles, il faut donc chaque fois expliciter les savoir faire qui sont à la base de leur réalisation, sublimer le travail souvent ingrat inscrit dans leur processus d’élaboration et ainsi dépasser le sentiment de fatigue (sentiment catégoriquement refusé par nos contemporains englués dans la consommation de masse) que tout travail sérieux génère.

10Le concept générique de « tourisme », même s’il est sous tendu par une activité professionnelle, tire parti de l’attrait tout à la fois de la tradition et de l’innovation, obligeant le chercheur à se positionner tout à la fois sur :

  • le contenu sémantique des quatre concepts affichés et sur leurs interactions fonctionnelles,

  • les contextes bio physiques et historiques d’émergence des sociétés contemporaines les plus attractives au plan touristique et sur les effets périodiques de mode qu’elles enregistrent,

  • les pratiques collectives héritées, leurs réinterprétations périodiques, leur contenu idéologique et leurs représentations actuelles,

  • les rapports évolutifs « offre/demande » et « qualité/prix » selon les clientèles identifiées,

  • les conditions de mise en place en tout territoire d’un « label de qualité » (incluant formulation de « chartes de qualité » et réalisation de « contrôles de qualité »),

  • les mises en réseau faites ou à faire pour rendre pérenne l’activité touristique, ce qui sous-entend la programmation périodique d’ajustements organisationnels, pour son bon renouvellement.

II. Le tourisme est-il réellement facteur d’intégration des territoires et de collaboration transfrontalière fructueuse, donc de rénovation / transformation des identités ?

11Compte tenu de l’évolution rapide des pratiques du tourisme, au cours de l’époque contemporaine, les professionnels et plus encore les institutionnels de ce secteur ont la nécessité de repenser périodiquement les destinations des touristes et les structures d’accueil à développer. Le principe de « qualité » est de plus en plus mobilisé à travers la formulation de « codes » et chartes » de « bonne conduite professionnelle » pour promouvoir un réflexe d’intérêts dans les pratiques ludiques, de plein air ou de rencontre, sur un territoire. Mais la recherche de qualité ne doit servir d’habillage à des valeurs culturelles « intégristes » ne profitant qu’à de petits groupes d’initiés.

12Ce doit être un élément de sécurisation et de fidélisation des clientèles qui en tout premier lieu doit se matérialiser par une prestation conforme à l’annonce faite dans les médias, toujours au meilleur rapport « qualité/prix ». Le bon rapport « qualité / prix » est une valeur relative et relationnelle qui ne se décrète donc pas, mais doit sans cesse pouvoir être justifiée par une comparaison, à service égal, avec ce que propose la clientèle. L’analyse psychologique des comportements est en l’occurrence essentielle pour infléchir ou recaler périodiquement des choix de qualité.

13Le « territoire » en tant que « support stratégique » de l’activité touristique (concept de « pays d’accueil »), soumis en général à une forte concurrence extérieure, doit pour cela bien s’afficher. Il doit se démarquer utilement des espaces politico – administratifs, même si la nécessité de persuader les « gens de l’extérieur » de « venir voir », de « participer sans détériorer », se doit d’être convaincante, donc tenir compte du découpage territorial officiel voulu par l’Etat.

14Pour tout territoire, l’analyse du patrimoine, de sa richesse factuelle, de sa complexité organisationnelle, du soin mis dans sa mise en scène par les populations locales ou leurs mandataires est nécessaire à l’évaluation de son potentiel touristique. L’intégration des territoires par le tourisme n’est donc jamais chose facile puisque les populations d’accueil doivent être majoritairement consentantes et pour ce faire être bien informées, à défaut de participation active. Le consensus à atteindre est donc un phénomène hiérarchisé comportant un pôle d’action basé sur la complicité de groupes d’intérêt professionnels (en particulier pour l’accueil), d’amateurs avertis à défaut d’animateurs professionnels (pour la mise en scène) et de représentants de collectivités (pour la publicité et la facilitation des accès au lieu de découverte ou de rencontre).

15Le colloque proposé doit être l’occasion de saisir les processus de reconstruction identitaire, via la patrimonialisation des ressources, dans la diversité des destinations méditerranéennes ou exotiques. L’ambition est grande, mais par une observation comparée des expériences menées sur différents territoires, autour de différentes destinations touristiques, il devrait être possible de procéder à une synthèse, voire à un essai de « modélisation » ou tout du moins à la codification valable pour le plus grand nombre de principes à respecter et de bonnes pratiques à promouvoir : convention de politesse à maintenir entre accueillants et accueillis, prix équitablement établi pour une rémunération des prestations acceptables, tout à la fois par les clients et les vendeurs, respect des engagements contractualisés, en particulier des délais d’acheminement...

16Dès lors, la mobilité touristique peut-elle permettre à des groupes minoritaires d’échapper à la normalité des territoires politico administratifs et aux obligations des codes nationaux ? L’attrait pour les « grands espaces » désertiques ou steppiques, océaniques ou montagnards qui est le résultat compensatoire de la saturation provoquée, dans la vie quotidienne d’un grand nombre de nos contemporains, par l’afflux des contraintes induite par l’urbanisation massive des centres de décision des territoires régionaux et nationaux (en particulier en matière de transport, d’accès à certains services, de cherté de la vie...) est-il « viable » à long terme comme « destination sans contrainte » ?

17En fait les contraintes sont intimement liées à la sociabilité, donc elles doivent être négociées, puis respectées. La demande en visite d’« espaces sauvages » (pour sortir des contraintes excessives de la vie quotidienne hyper normée) va de pair avec celle de retour aux racines (dans un contexte exacerbé d’expatriation et de grande mobilité des populations). Le tourisme de terroir comme celui de pleine nature se veulent vecteurs d’un développement « durable » des territoires, à savoir respectueux des équilibres des ressources naturelles et culturelles, de la qualité des liens sociaux, tout en déterminant un gain économique pour divers éléments de la population résidente, sans lequel aucune promotion ne peut être institutionnalisée.

18Cela oblige de glisser sur un nouveau questionnement : entre ancrage et détachement, enracinement et nomadisme, quelle place tient l’imaginaire dans nos réactions individuelles et collectives ? L’instabilité constatée dans la pratique du tourisme est-elle compatible avec la stabilité recherchée et l’épanouissement pour les collectivités d’accueil ? Parfois, le territoire se magnifie sous une forme identitaire agressive, celle de la revendication ethno culturelle, de la lutte d’une minorité contre un pouvoir central étatique ou dans la compétition chauvine entre communautés régionales ou nationales en rivalité atavique. L’identité collective forte, souvent recherchée pour construire une destination touristique, peut donc faire courir un risque considérable d’intolérance, voire de discrimination, sur certaines destinations. Dès lors quelle pondération entreprendre entre sentiment d’appartenance et nécessité de partage, lorsqu’on veut tirer durablement le meilleur parti de l’activité touristique ?

19Au final, le colloque portant sur les interrelations entretenues sur un territoire entre la mise en œuvre du tourisme et la promotion de l’identité et du patrimoine d’une collectivité humaine doit permettre de renouveler les approches conceptuelles autant que de réviser les pratiques d’une activité composite qui ne cesse de prendre de l’importance dans la vie de nos contemporains et dans les comptes économiques des territoires. Par ailleurs, l’affichage d’une destination explorée tient de plus en plus lieu d’élément majeur de prestige social pour nos concitoyens. La référence à des éléments matériels ou intellectuels de grande valeur affective ou commerciale est tout à la fois source de fierté pour les populations qui les ont élaborés que pour les gens de passage attirés par le réputation. Le soin pour construire, puis pour préserver la réputation d’un territoire et des personnes qui le fréquente est donc essentiel à tout développement touristique qui se veut durable.

Conclusion

20Au-delà d’être une production « économico culturelle », le tourisme se doit de s’intégrer dans un projet politique global pour une société et son territoire pour assurer son succès. Cet objectif implique la mise place d’une démarche pluridisciplinaire construite autour de la multifonctionnalité des territoires. Dès lors il y a nécessité à analyser et à comprendre :

  1. Les fondements de la construction des territoires :

    1. L’adhésion de la population à une philosophie de la vie et à un système de contrôle social.

    2. Les indispensables synergies entre catégories sociales permettant d’accumuler des nécessaires ressources économiques.

  1. Les processus guidant la valorisation d’un patrimoine, puis la construction d’une identité au sein d’un territoire :

    1. La fierté collective, levier d’une prise de conscience identitaire et la déclinaison diversifiée de produits originaux.

    2. La convivialité intergénérationnelle, base de la construction et de la transmission patrimoniale et des pratiques commémoratives.

  1. La progression du temps libre et la vulgarisation des pratiques de loisir et de tourisme :

    1. La réussite de festivités, la découverte de lieux emblématiques demande la participation de « locaux » autant que d’« étrangers ».

    2. Les réinterprétations nécessaires des valeurs patrimoniales et de leur dimension identitaire, pour éviter la sclérose des mises en scène ou l’intégrisme de certains comportements collectifs.

21C’est souvent dans les milieux écologiquement fragiles (littoral, haute montagne] ou en reconversion économique (espace ruraux en déprise agricole devenant zones de loisir et de tourisme, espaces urbains passant de l’industrialisation à une économie tertiaire] que le tourisme est le plus utile comme support de dynamique sociale pour peu que s’instaure un sentiment de partage entre « gens enracinés » et « gens de passage », curieux et conviviaux. Pour assurer la permanence d’un projet en tourisme, encore faut-il qu’un travail d’explicitation soit mené au préalable pour faire prendre conscience aux mandataires d’un territoire de son intérêt, tant en terme de revenu économique que de notoriété culturelle, l’un ne pouvant aller sans l’autre.

Auteurs

Professeur à l’Université Paul-Valéry (Montpellier 3)

Maître de Conférences à l’Université Paul-Valéry (Montpellier 3)

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