1Notre contribution s’intéressera à une commune de moins de mille habitants du département d’Ille-et-Vilaine en Bretagne, particulièrement à son choix de recourir à la culture comme levier de développement local.

2Cette démarche ne spécifie en rien cette Commune. De nombreux observateurs soulignent depuis plusieurs années cette tendance générale de ces Collectivités, mais aussi d’autres échelons de responsabilités territoriales, à se saisir du champ de la culture pour dynamiser leur territoire1.

3Selon les contextes, ces petites Communes doivent endiguer des phénomènes de désertification ou, du fait de l’arrivée de nouveaux habitants, lutter contre l’installation de cités-dortoirs en construisant de nouvelles offres de services. Aussi, la dynamique attendue du levier culturel peut présenter des natures différentes, lesquelles, bien souvent s’entremêlent. Sans être exhaustif, citons les plus communes :

• la dynamique économique reste généralement la plus explicite. Il s’agit d’inciter l’installation d’entreprises et donc la création d’emplois locaux, mais aussi de faire affluer des populations sur son territoire créant une demande en termes d’accueil permettant à un marché de se créer et de se développer ;

• la dynamique sociale en tant qu’il s’agit aussi d’intéresser les habitants, par exemple en créant des raisons de rompre avec un rapport pendulaire entre espace de résidence et espace de travail, c’est-à-dire par exemple des occasions d’exercer des activités culturelles, de loisirs, également source d’économie pour le territoire communal par exemple.

4Un travail récent de l’Assemblée Nationale sur le rapport des collectivités locales à la culture (Launay et Martinez, 2006) rappelle qu’elles consacrent plus de 6,5 milliards d’euros par an à l’action culturelle – dont 5 milliards viennent des Communes –, soit deux fois et demi le budget du Ministère de la culture et de la Communication. On retiendra surtout l’absence, au niveau national, d’outils de mesure permettant de produire des données précises sur l’effort consacré à l’action culturelle par les Communes de moins de 10 000 habitants alors qu’une part importante de la population y réside. Ce constat permet de mieux comprendre la qualification attribuée à ces communes qui usent du levier culturel dans une perspective de développement local : des actions cultuelles diffuses.

5Pourtant, à La question, « la culture est-elle un levier de développement local et donc territorial ? », Les spécialistes et les observateurs restent prudents et soulignent que la culture comme levier de développement local, notamment en termes d’emplois, n’est pas scientifiquement prouvée (Greffe, 2006). Pour dire les choses autrement, on n’a jamais prouvé de façon incontestable que les actions culturelles étaient une condition du développement local en général. Cependant, force est de constater et de reconnaître que les territoires, qui n’assument pas cette dimension culturelle, subissent plus que d’autres une perte de leur qualité et une accentuation du phénomène d’exode des populations. C’est dire que si l’influence des actions culturelles sur le développement territorial n’est pas scientifiquement établie, les atouts culturels d’un territoire font partie de ses éléments de développement.

6Dans tous les cas, en France, on l’a dit, nombre de Collectivités locales, Communes, Communautés de communes, Départements, Régions, aujourd’hui, font de la culture un des axes de leur action, pouvant atteindre jusqu’à 15 % de leur budget total (Launay et Martinez, 2006).

7Ces actions se concrétisent généralement autour :

• de services aux populations locales (écoles de musiques, écoles de danses, équipements culturels, etc.) ;

• de réalisations culturelles, artistiques, dont la portée dépasse les frontières du territoire (monuments, musées, festivals, etc.).

8L’engagement dans le domaine de l’action culturelle est donc, pour de nombreuses Collectivités locales, fondé, légitime. Une question néanmoins demeure : quels sont les effets de ces investissements, quels sont les développements et les activités générés par ces orientations d’actions pour les territoires ? L’hypothèse serait que ces investissements sont générateurs d’emplois, d’identité, de lien social, d’attractivité, de retombées économiques sur des secteurs d’activités non culturels comme le tourisme, particulièrement le tourisme culturel. L’activité touristique est sans doute la meilleure preuve tangible qui conforte cette intuition des Collectivités territoriales : le tourisme représente le premier canal de réalisation de l’action culturelle ; des retombées en termes d’emplois sont indéniables. Néanmoins, une nuance s’impose : ces retombées ne sont pas que favorables. Par exemple, L’organisation des conditions de visites de sites est nécessaire pour répondre à la fois à l’afflux des visiteurs sans décourager les habitants de les visiter ; de même, la logique des tours opérators ne va pas toujours dans le sens du développement local. On notera aussi, des effets non prévus susceptibles d’être générés par ces actions venant à l’encontre des effets initialement recherchés. Dans tous les cas, faut-il encore détenir des attributs à faire valoir ou transformer des spécificités locales en atouts touristiques. De façon massive, les Collectivités territoriales ont investi la dimension patrimoniale la déclinant sous de nombreux registres : le bâti (Augustin, 1992), l’histoire légendaire (on pense par exemple à la forêt de Brocéliande en Ille-et-Vilaine), les espaces naturels (la dune du Pila en Gironde par exemple), la gastronomie, etc. Ces investissements donnent lieu aujourd’hui à de nos nombreux labels qu’obtiennent les Collectivités en contractualisant avec L’État (le label « Ville et Pays d’art et d’histoire » par exemple).

9La commune présentée dans le cadre de cette contribution affiche deux labels, dont l’un la spécifie : le label « Petite cité de caractère » (obtenu en 1979 après un programme de restauration du centre ancien du bourg) et celui de « Cité du livre » (label déposé en 1989 à l’INPI – Institut National de la Propriété Industrielle).

10Située au nord du département entre un pôle urbain (Rennes) et une ville moyenne (Saint-Malo), cette commune dénombre 750 habitants en 2007 et est chef-lieu de Canton. Elle recense un nombre important d’activités liées au culturel en rapport à sa densité de population, au premier chef le livre (14 librairies sont répertoriées, 3 maisons d’édition, 1 atelier d’auteur de bandes dessinées, 4 artisans des métiers du livre). Des artistes, associations et équipements culturels sont aussi dénombrés (10 artistes et 7 associations culturelles essentiellement consacrées au livre mais aussi au théâtre ; 5 établissements culturels). Par ailleurs, cette commune recense d’autres activités économiques, notamment liées au tourisme (5 commerces de proximité, 7 lieux de restauration, 6 lieux d’hébergements).

11Cette commune s’inscrit dans un Pays qui recense 9 autres communes voisines, lesquelles se sont organisées depuis 1993 au sein d’une structure intercommunale de Communauté de Communes.

12L’association de ces labels au développement de l’activité touristique est explicite puisqu’ils sont relayés par un outil : l’office de tourisme. Initialement porté par ta Commune, cet office est placé depuis 2004 sous la responsabilité de la Communauté de Communes du Pays. Ce déplacement de responsabilité expose cette Commune et ses labels à une nouvelle échelle de négociation et d’action territoriales et à des vigilances quant au maintien de la participation des associations locales à cette dynamique de développement local par le livre.

13En effet, au sein de cette nouvelle entité de responsabilités territoriales la dimension culturelle n’est pas toujours conçue comme une priorité et reste souvent associée à un supplément d’âme en rapport à d’autres secteurs d’interventions jugés prioritaires, tel le logement. Par ailleurs, la valorisation du label patrimonial et culturel de cette commune peut être perçue par les autres Communes comme une mise en lumière de cette seule Commune au détriment des autres. Pourtant, depuis cette année, à l’occasion de la campagne de communication de la fête annuelle du livre qu’organise cette Commune, on remarque aussi la diffusion d’informations relatives à de nouvelles manifestations culturelles (Land-art) complémentaires situées sur une autre commune de ce Pays.

14Le placement de l’office du tourisme sous la responsabilité Intercommunale modifie l’organisation des activités liées au livre sur cette Commune puisque la Communauté de Communes mandate, depuis quelques mois sur ce dossier du livre, une chargée de mission dont le poste est destiné à se transformer en agent de développement territorial, indiquant donc une professionnalisation de cette organisation jusqu’alors assumée par une association de la Commune. En effet, le label « Cité du livre » est à l’initiative d’une association qui, en 1986, s’installe dans cette Commune avec le projet de créer une entreprise culturelle et touristique pour « vivre et travailler au pays ». C’est au sein de cette association que mûri l’idée d’une cité du livre qui se concrétise d’abord durant l’été 1989 par une manifestation festive autour du livre puis par le dépôt à l’INPI de cette marque. Dès 1993 un Comité de concertation pour le développement de la Cité du livre sera créé réunissant, sous le statut associatif, les élus de cette Commune et ses principaux acteurs du livre. Une réflexion sur la restructuration de cette instance est aujourd’hui en cours. Si ces changements se comprennent au regard de nouveaux enjeux liés au développement local (nouvelle échelle de raisonnement), au développement d’une politique du livre, l’enjeu de telles orientations réside aussi dans le maintien d’une participation étroite des représentants du livre sur cette Commune afin d’éviter la mutation de ce label en label économique et commercial, détaché des populations résidantes alors qu’il peut être un facteur si ce n’est de cohésion sociale à tout le moins d’échange et de partage de connaissances.

15Dans cette nouvelle configuration des responsabilités politiques, ces différents acteurs (Pays, Commune et quelques représentants associatifs du livre de cette Commune) ont initié un partenariat avec une Commune écossaise pariant également sur l’activité du livre pour son développement local. Ce partenariat se comprend au regard d’une même démarche autour du livre mais aussi du fait d’autres proximités (des filiations historiques celtiques ; une présence anglophone, touristique mais aussi résidente, sur le territoire breton). Il se concrétise par des échanges, notamment des déplacements de délégations dans chacune de ces Communes afin de mieux se connaître, de mutualiser des expériences, d’envisager des projets communs.

16Si ces proximités favorisent les échanges, elles permettent aussi, grâce au regard de l’étranger, de l’autre sur soi, de se découvrir autrement et ainsi de renforcer son identité et d’ouvrir sur de nouvelles perspectives. Pour exemple, citons l’étonnement ravi exprimé par tes Écossais à l’égard du label « Petite cité de caractère » qui rappelle aux résidants de la Commune bretonne que cet intitulé, désormais largement assimilé, renvoie à une réelle spécificité de leur patrimoine bâti, et sensibilise les Écossais aux atouts architecturaux de leur Commune susceptibles d’être aussi valorisés. De même, si la perspective de développement local par le levier du livre rompt d’emblée avec une représentation de la culture comme champ autonome, les actions menées sur et autour du livre par les Écossais de cette commune, n’hésitant pas à l’associer à une activité comme une autre et à saisir toutes les occasions de la diversifier, met en relief, chez représentants de la Commune bretonne, une certaine retenue sur cet aspect.

17Pourtant, c’est à cette question nodale de la diversification des activités liées au livre que se confrontent les représentants de cette Commune bretonne. Cette thématique s’impose à la suite d’un double constat, relativement partagé entre les représentants de ces deux Communes :

• une baisse du nombre de librairies sur les communes ou une instabilité de leur nombre ;

• si l’outil internet permet une large visibilité des activités des libraires et donc un rayonnement certain de la commune au-delà de ses frontières territoriales, il génère aussi une dé-territorialisation de l’activité.

18Face à ces constats, l’importance d’impulser de nouvelles activités autour du livre semblent faire consensus. Les uns et les autres comprennent l’intérêt et l’importance pour la promotion de l’activité économique et touristique de leur ville, de développer par exemple les métiers d’art autour du livre. L’intérêt du développement de ces activités liées à l’artisanat d’art autour du livre dans une perspective de développement local peut se comprendre de la manière suivante : leurs produits associent une valeur esthétique et une fonction utilitaire – en ce sens, ils créent une nouvelle frontière entre les biens culturels. Surtout, la dimension culturelle de ces produits est doublement présente :

• en tant que source de consommation intermédiaire, car pour produire ces biens il faut mobiliser des ressources culturelles ;

• en tant qu’objet de consommation finale, car ils sont demandés pour leur dimension culturelle.

19Autrement dit, ces types de produits culturels sont comme les produits des industries culturelles, c’est-à-dire consommés partout. En revanche, ils présentent un avantage en rapport aux produits des industries culturelles, notamment en termes de développement local, puisqu’ils sont produits sur le territoire local.

20Cette réflexion sur la diversification des activités liées au livre ouvre sur une autre question : celle de l’attractivité par la créativité culturelle. Comme d’autres, cette commune bretonne ne peut sans doute plus se suffire d’une qualification rurale dans un rapport avec des pôles urbains. Comme espace de vie et de pratiques sociales, d’autres traits deviennent de plus en plus pertinents pour en rendre compte. En d’autres termes, l’indicateur de densité de populations nécessite d’être complété par de nouveaux critères, de nouvelles problématiques, pour qualifier les espaces de vie. On pense entre autres à celles des transports, des mobilités, des aménagements physiques d’accès aux zones d’activités, des distances à rallier les différents espaces de vie, et aussi à celle des temporalités. Ces nouveaux questionnements participent pleinement d’une réflexion sur l’attractivité d’un territoire. Dans le cas de cette Commune bretonne misant sur le livre comme levier de développement local, outre l’organisation d’un événement annuel autour du livre (la fête du livre organisée chaque week-end de Pâques) qui lui donne une visibilité et fait connaître ses spécificités, et le soutien au maintien de librairies dans le centre de la commune, d’autres activités culturelles, présentes sur la commune, a priori éloignées du livre, cherchent des modalités nouvelles pour s’inscrire aussi dans cette dynamique. Il s’agit notamment d’une compagnie de théâtre résidant sur la Commune qui, par le biais du texte, tente de se rallier à ce partenariat avec l’Écosse.

21Concluons en soulignant deux autres enjeux pour ces Communes : celui de la mise en réseau et celui de la pérennité des financements. La mise en réseau entre les différentes communes de moins de 10 000 habitants de France et d’Europe ayant choisi de se distinguer par le développement d’activités liées au livre emporte l’accord des représentants de ces deux Communes, bretonne et écossais. Pourtant, si cette dimension est sans doute nécessaire, ne serait-ce que dans la perspective d’échanges d’expériences, de savoirs et de savoir-faire, soulignons aussi l’importance pour ces Communes de créer de l’intéressement auprès des communes alentours, pour mutualiser les compétences et les moyens, pour harmoniser l’offre culturelle sur le territoire plus large de la Communauté de Communes, voire du Pays et du Département. Cet aspect paraît d’autant plus important à mettre en œuvre qu’il peut être une occasion de complément, voire de relais dans le soutien financier de ces actions, lesquelles, à ce jour, sont essentiellement supportées par des financements européens, certes reconductibles mais toujours ponctuels.