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Tourisme et développement

 | 
Christian Bataillou
, 
Bernard Schéou

Conclusion 

Tourisme et développement ?

Christian Bataillou

Texte intégral

1Le tourisme est un phénomène social aux caractéristiques diverses et d’une telle amplitude que son étude ne peut que relever de différentes sciences.

2Historiquement, c’est la science économique qui s’est intéressé au tourisme en raison du rôle de ce dernier dans la circulation internationale des capitaux, et peut-être est-ce pour cette raison, ses connotations économiques, sa relation avec les loisirs, que les sciences sociales ont, dans un premier temps, été réticentes à son égard.

3Le tourisme est à l’origine des déplacements d’un nombre toujours plus important de personnes, d’un pays à l’autre, d’une ville à l’autre. Réalisant ainsi les rêves d’une partie des habitants des pays émetteurs, on peut considérer qu’il fait partie intégrante de la culture occidentale contemporaine et que ses effets se font sentir à l’échelle de la planète toute entière

4Aidé en cela par les moyens de communication modernes, on peut lui attribuer également une large part de responsabilité dans la globalisation de la culture. Ce rôle n’est semble t-il pas prêt d’être remis en question, les prévisions d’activité sont toutes exponentielles et de nombreux pays les reprennent avec satisfaction, dans leurs montages budgétaires.

5Associé à la croissance et au développement durable, il est ainsi présenté comme une solution aux problèmes économiques et sociaux des régions voire des pays défavorisés.

  • 1 Brundtland, Gro Harlem, « Notre avenir à tous », Rapport de la Commission mondiale pour l’environne (...)

6Cependant, le « développement durable » ou « soutenable », supposé répondre « aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs1 » repose sur un postulat ambigu : poursuite d’une croissance économique infinie garante du maintien des équilibres naturels et de la résolution des problèmes sociaux. Cette ambiguïté est confirmée par de nombreux hommes politiques même si souvent leurs propos n’ont pas, à l’image de ceux du sénateur Marcel Deneux, le mérite de la clarté :

7De prime abord, le concept de “développement durable” peut rallier à peu près tous les suffrages, à condition souvent de ne pas recevoir de contenu trop explicite ; certains retenant surtout de cette expression le premier mot “développement”, entendant par là que le développement tel que mené jusqu’alors doit se poursuivre et s’amplifier ; et, de plus, durablement ; d’autres percevant dans l’adjectif “durable” la remise en cause des excès du développement actuel, à savoir, l’épuisement des ressources naturelles, la pollution, les émissions incontrôlées de gaz à effet de serre... L’équivoque de l’expression “développement durable” garantit son succès, y compris, voire surtout, dans les négociations internationales d’autant que, puisque le développement est proclamé durable, donc implicitement sans effets négatifs, il est consacré comme le modèle absolu à généraliser sur l’ensemble de la planète.

  • 2 Ibid., p XXIII.
  • 3 Collomb Bertrand, président du groupe Lafarge et président du club des entreprises pour le développ (...)
  • 4 Bush W., déclaration devant les responsables américains de la météorologie, 14 février 2002, Silver (...)

8Le rapport Brundtland le confirme : « Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nouvelle ère de croissance, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et “environnementalement” soutenable2 ». Cet argument a été repris à maintes reprises depuis, et notamment par des responsables d’entreprises multinationales comme Bertrand Collomb « Nous pouvons fabriquer du béton en étant respectueux de la nature3. » mais aussi par des responsables politiques : « parce qu’elle est la clef du progrès environnemental, parce qu’elle fournit les ressources permettant d’investir dans les technologies propres, la croissance est la solution, non le problème4 ». Cette position est aujourd’hui largement partagée par la plupart des acteurs économiques, y compris par de nombreux altermondialistes qui considèrent que la croissance est aussi la solution du problème social parce que créant des emplois et favorisant une répartition plus équitable.

  • 5 Proposition formulée par de nombreux chercheurs et reprise par le Conseil canadien des ministres de (...)

9Ces prises de position ne lèvent pas pour autant les réserves et la contradiction que nous avons relevée ci-dessus, dans la juxtaposition d’une volonté de croissance et d’une recherche d’équilibres naturels. Tout d’abord, la croissance, sur le plan écologique, dans le cadre du développement durable, suppose qu’un certain nombre de conditions soient respectées, et notamment que le rythme d’utilisation des ressources naturelles renouvelables n’excède pas celui de leur régénération, que le rythme d’épuisement des ressources non renouvelables ne dépasse pas le rythme de développement de substituts renouvelables et que la quantité de pollution et de déchets ne dépasse pas celle que peut absorber l’environnement5.

  • 6 Rapport mondial sur le développement humain, De Boeck, 2002, Bruxelles, 2002, p. 28.

10Or, nos sociétés modernes éprouvent de grandes difficultés à respecter l’une ou l’autre de ces conditions, et leur respect simultané est encore plus problématique. La baisse de l’intensité en ressources naturelles est malheureusement plus que compensée par l’augmentation générale de la production ce qui entraîne un prélèvement excessif sur les ressources et s’accompagne d’une augmentation de la pollution : « Partout dam le monde, les processus de production sont devenus plus économes en énergie (...). Cependant, vu l’augmentation des volumes produits, ces progrès sont nettement insuffisants pour réduire les émissions de dioxyde de carbone à l’échelle mondial6 »

  • 7 Cnuced, The Least Developed Countries, Report 2004, Nations unies, Genève, mai 2004, 362 p.

11La seconde hypothèse est à replacer sur le plan social, le maintien des équilibres naturels et la résolution des problèmes sociaux, supposent une croissance non pas égale ou à tout le moins équitable, mais au contraire inégale, au profit des pays en voie de développement… Or, force est de constater à ce jour que malgré ou à cause d’une croissance considérable au niveau mondial, génératrice de frustrations et de besoins, les inégalités ont explosé : l’écart entre les 20 % les plus pauvres et les 20 % les plus riches était de 1 à 30 en 1960, il est aujourd’hui de 1 à 80. Par ailleurs, ce sont les pays pauvres, les moins ouverts à la mondialisation qui ont le plus progressé en termes de revenu par habitant, au contraire des pays les plus ouverts7. 8

12Cependant, il serait injuste d’ordonner uniformément l’arrêt de croissance voire la décroissance aux pays riches et aux pays pauvres. Les populations des pays en voie de développement non seulement ont droit à la croissance économique, mais méritent également un rattrapage, notamment en terme de construction d’écoles pour supprimer l’analphabétisme, de centres médicaux pour permettre à toutes les populations d’accéder aux soins et de réseaux pour amener l’eau potable partout et pour tous.

13Il faut donc considérer qu’une différence existe entre croissance (quantitative) et développement (qualitatif) et que la croissance n’est pas une condition nécessaire et suffisante du développement, et que de surcroît elle n’est infinie. Au vu des dégâts sociaux et écologiques d’un mode de développement lié à la croissance, il est difficile mais pourtant indispensable de distinguer les deux notions. En effet, si le capitalisme a intérêt à faire croire que croissance et développement vont toujours de pair et que l’amélioration du bien-être ne peut passer que par l’accroissement perpétuel de la quantité de marchandises, il n’en reste pas moins qu’objectivement les conséquences négatives d’une croissance sans limites appellent une réaction.

  • 8 Schweitzer Louis, PDG de Renault, mensuel “Enjeux Les Echos”, décembre 2004.
  • 9 Latouche, Serge, « Et la décroissance sauvera le Sud... », in Le Monde Diplomatique, novembre 2004, (...)
  • 10 Latouche, Serge, « Brouillons pour l’avenir : contributions au débat sur les alternatives », in Les (...)

14Cette réaction peut relever de l’opportunisme, voire du cynisme si l’on se réfère aux propos de Louis Schweitzer : « Le développement durable riest ni une utopie ni même une contestation, mais la condition de survie de l’économie de marché8 » ou d’une éthique permettant de définir un développement synonyme de l’évolution d’une société vers un partage plus équitable des revenus de l’activité et de ses gains de productivité en lieu et place de la recherche « traditionnelle » d’un accroissement indéfini des productions génératrices de dégradations de l’environnement, d’insatisfactions, de désirs refoulés, d’inégalités et d’injustices, application au fond du principe de responsabilité du philosophe Hans Jonas : « Agis de telle sorte que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur la terre ». Cette attitude ne doit pas être conçue comme un compromis NINI (ni croissance ni décroissance), et une résignation à une décélération de la croissance qui condamnerait « à s’interdire de jouir des bienfaits d’une société conviviale, autonome et économe, hors croissance, sans pour autant préserver le seul avantage d’une croissance vigoureuse injuste et destructrice de l’environnement, à savoir l’emploi9 ». Elle doit être au contraire compatible avec les théories d’une décroissance conçue comme « matrice autorisant un foisonnement d’alternatives10 » et notamment à partir d’une réflexion fondée sur le cercle vertueux des « 8 R » préconisée par les objecteurs de croissance : réévaluer, reconceptualiser, restructurer, relocaliser, redistribuer, réduire, réutiliser, recycler.

15Croissance, développement, et le tourisme dans tout cela ? Constitue t-il vraiment une solution ou au contraire un problème sur le plan économique et social des régions voire des pays défavorisés. Sa capacité à améliorer la qualité de la vie en société ou au contraire à la dégrader, à résoudre ou à créer des problèmes sociaux, à préserver le patrimoine ou à le détruire est incontestable. A ce jour, l’influence économiciste des études sur le tourisme, que l’on retrouve dans ce colloque, est patente, elle n’a pourtant pas empêché une réflexion critique, préalable indispensable à l’évolution qui l’a amené à évoluer lui aussi et à se doter d’une version durable ou soutenable, dont il a été également d’ailleurs, longuement fait état dans ce colloque.

16Mais au-delà de l’opinion des économistes, qu’en est-il pour les sociologues et les anthropologues ? Quels sont les impacts sur les sociétés réceptrices ? Que se passe t-il au sein des sociétés émettrices qui fait du touriste un prédateur dès lors qu’il s’extrait de son milieu ? Y a-t-il un échange réel entre visiteurs et visités ? Quelles conséquences peut entraîner l’augmentation des résidences secondaires, des rachats de ryads par exemple, sur le quotidien des populations locales ? Quels sont les apports du tourisme quant à l’enrichissement culturel des touristes et des populations d’accueil ? Peut-on établir un parallèle entre tourisme et migration par rapport au phénomène de l’évasion, du nomadisme ? Les réactions des populations locales sont elles différentes selon le type de touriste ? Quels sont les mythes engendrés par ou pour le tourisme ? Les identités locales sont-elles solubles dans le tourisme ?

17Ces rencontres qui ont associé des chercheurs, des politiques, des professionnels, des étudiants nous ont donné sans aucun doute, l’occasion d’aborder et de confronter des points de vue différents, d’analyser les opportunités et les menaces que représente le tourisme sous toutes ses acceptions pour le développement et peut-être de nous essayer à une « décolonisation préconisée par Serge Latouche de notre imaginaire » marqué par les théories traditionnelles de la croissance.

Notes

1 Brundtland, Gro Harlem, « Notre avenir à tous », Rapport de la Commission mondiale pour l’environnement et le développement, Fleuve, Montréal, 1987.

2 Ibid., p XXIII.

3 Collomb Bertrand, président du groupe Lafarge et président du club des entreprises pour le développement durable, Terre Sauvage, Hors-Série 2005.

4 Bush W., déclaration devant les responsables américains de la météorologie, 14 février 2002, Silver Spring.

5 Proposition formulée par de nombreux chercheurs et reprise par le Conseil canadien des ministres de l’environnement.

6 Rapport mondial sur le développement humain, De Boeck, 2002, Bruxelles, 2002, p. 28.

7 Cnuced, The Least Developed Countries, Report 2004, Nations unies, Genève, mai 2004, 362 p.

8 Schweitzer Louis, PDG de Renault, mensuel “Enjeux Les Echos”, décembre 2004.

9 Latouche, Serge, « Et la décroissance sauvera le Sud... », in Le Monde Diplomatique, novembre 2004, pp. 18-19.

10 Latouche, Serge, « Brouillons pour l’avenir : contributions au débat sur les alternatives », in Les Nouveaux Cahiers de l’IUED, n° 14, PUF, Paris/Genève, 2003.

Auteur

Directeur de l’institut Jacques Maillol
Maître de Conférences H.D.R.
ICRESS – EA 3681
Université de Perpignan Via Domitia
Bataillou@univ-perp.fr

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