Le site d’Argentomagus (FIG 1)

1Situé dans la partie méridionale du territoire biturige, à une centaine de kilomètres au sud-ouest de la capitale Avaricum (Bourges), le site d’Argentomagus, fréquenté depuis le Néolithique, occupe un plateau d’environ 27 hectares, naturellement défendu au sud à l’est et à l’ouest. Au nord, il est protégé par un puissant rempart de type murus gallicus que des sondages récents ont daté du premier siècle av. J.-C.1

2Les recherches menées ces dernières années ont permis de mieux apprécier l’extension de la ville, soit environ 70 hectares et de définir les phases successives de son développement depuis la première moitié du I^er siècle av. J.-C. jusqu’à la fin du IV^e siècle2.

La parure monumentale

3Argentomagus est l’une des rares agglomérations secondaires de la Gaule à être dotée de deux édifices de spectacle : un théâtre et un amphithéâtre.

4Construit sur le site du « Virou », le théâtre, dans sa forme actuelle, date du milieu du second siècle. Il a succédé à un édifice plus ancien édifié partiellement en bois, dans les années 30-50 apr. J.-C. et transformé par l’emploi exclusif de la pierre à la fin du premier siècle. À l’ouest du théâtre, au lieu-dit “les Douces”, un temple de type fanum a été repéré lors de prospections aériennes.

5L’amphithéâtre situé au lieu-dit « les Palais » a probablement été construit dans la première moitié du second siècle. Il est aisément repérable dans la topographie mais aucune fouille n’y a encore jamais été pratiquée.

6Sur le plateau des Mersans, la zone cultuelle du centre urbain est enclose dans une enceinte trapézoïdale bordée de deux rues parallèles. Elle est composée de deux temples de type fanum et d’un édifice rectangulaire, probablement une chapelle à ex-voto.

Figure 1 – Le site d’Argentomagus

7À l’est du plateau, deux volées de marches permettent d’accéder au bassin de la fontaine monumentale. Construite dans le troisième tiers du premier siècle, elle était alimentée en eau par une conduite sous pression provenant probablement de la source de La Martine à 4,5km à l’est d’Argentomagus.

8Au nord du plateau, les fouilles préalables à la construction du musée ont mis au jour de puissants murs à contreforts et des massifs de soutènement destinés notamment au passage d’une voie nord-sud perpendiculaire à l’axe du fossé de l’oppidum.

9Au sud du plateau, dans la vallée, les travaux de construction de la voie ferrée avaient mis au jour en 1847, les fondations d’un édifice thermal dont le décor sculpté date de la seconde moitié du second siècle.

10Les vestiges de deux piles d’un pont subsistent sur la Creuse. Long de 110 mètres, il comportait probablement cinq piles en moellons recouvertes de grand appareil et munies en amont, d’un éperon brise-lames.

Les nécropoles

11Quatre cimetières ont été localisés :

• La nécropole des Ripottes, au nord de l’oppidum, en bordure du fossé qui double le talus ; les sépultures fouillées sont les plus précoces : 30-40 de notre ère.

• La nécropole des Pommeurs : à quelques 500 m, au nord-ouest de l’oppidum. Dix sépultures ont été fouillées ; elles sont datées de la seconde moitié du II^e siècle et du début du III^e.

• La nécropole du Champ de l’image à environ 300 m au nord de l’oppidum est actuellement la mieux connue. Cent quarante sépultures ont été découvertes. Elles s’étendent du milieu du I^er siècle jusqu’au début du III^e.

• La nécropole de Saint-Étienne, au bord de la Creuse et à proximité du pont romain est la moins documentée. Les découvertes anciennes de coffres, sarcophages et monnaies laissent penser qu’il s’agit de la nécropole la plus tardive de l’agglomération (III-IV^e siècles).

L’approvisionnement en pierre

Méthodologie

12Le dialogue entre géologues et archéologues s’est instauré très tôt sur le site d’Argentomagus puisque les premiers prélèvements ont été effectués en 1984 sur les dalles de la fontaine monumentale et les maçonneries du théâtre du Virou3. L’examen de ces premiers échantillons par Cl. et J. Lorenz a mis en évidence l’utilisation de deux types de calcaire : un calcaire à entroques et bryozoaires probablement d’origine locale et un calcaire oolithique fin dont les gisements les plus proches affleurent à Ambrault, important centre carrier exploité depuis l’Antiquité et situé à une quarantaine de kilomètres à l’est d’Argentomagus.

13Ces premiers résultats et les questions qu’ils soulevaient nous ont donc conduits à structurer la recherche dans le cadre d’un projet collectif de recherche qui s’est déroulé de 1994 à 1997 avec un double objectif : d’une part identifier l’ensemble des pierres utilisées dans tout mode de mise en œuvre (architecture, sculpture etc.) et, d’autre part, localiser les sources d’approvisionnement à l’époque antique.

14Les prélèvements archéologiques ont donc été systématisés et choisis par chaque équipe de fouille en fonction de sa propre problématique. Ils ont fait l’objet d’une banque de données gérée sur le logiciel file-maker-pro4. Parallèlement, une prospection systématique des affleurements calcaires a été menée dans les vallées de la Creuse, de la Bouzanne et à Ambrault. Le relevé et l’échantillonnage systématique des coupes ont donné lieu à la constitution d’une banque de données pouvant être croisée avec celle des prélèvements archéologiques et ont permis la constitution d’une lithothèque de référence sous forme d’échantillons macroscopiques et de lames minces5. Cette prospection a abouti à l’établissement de la cartographie des centres carriers qui ont assuré l’approvisionnement en pierre d’Argentomagus.

Les sources d’approvisionnement de la ville antique

15Si, aujourd’hui, on est en mesure de dresser la carte des sources d’approvisionnement de la ville antique et d’en suivre l’évolution chronologique, c’est grâce aux travaux menés systématiquement sur les divers aspects de la mise en œuvre de la pierre à Argentomagus : petit appareil de la zone cultuelle des Mersans et du théâtre du Virou (A. Chartrain, P. Flotté, E. Henry), sculpture (S. Deyts), grand appareil (D. Tardy) et enfin modes de transport (G. Coulon)6.

Le centre carrier du « Coteau de la Garenne »

16Parmi les centres carriers repérés le long des vallées de la Bouzanne et de la Creuse, celui du coteau de la Garenne, sur le versant nord de la vallée de la Creuse, occupe une place de tout premier ordre (fig. 2). Sa proximité géographique, sur les flancs sud et sud-ouest du plateau des Mersans, et la variété des formations géologiques qu’il recèle : calcaires oolithiques grossiers du Bathonien dans les niveaux supérieurs et calcaires à entroques du Bajocien dans les niveaux profonds, ont contribué au développement précoce et intensif de son exploitation. Ainsi, les prélèvements effectués sur les pierres qui devaient constituer le parement externe du murus gallicus laténien, ont confirmé l’utilisation des calcaires oolithiques grossiers et plus précisément de leur découverte qui a fourni un matériau dont le délitage naturel a largement facilité la production des nombreux blocs aux dimensions moyennes (entre 15 et 40 cm de côté) constituant le parement de la fortification7 mais aussi, à la période augustéenne, les blocages de voirie et les solins en pierre sèches8.

Figure 2 – Les centres carriers des vallées de la Creuse et de la Bouzanne.

17Le centre carrier de « La Garenne » semble conserver l’exclusivité de la production locale pendant les premières décennies du premier siècle avec l’exploitation de la formation sédimentaire la plus profonde du coteau : celle des calcaires bajociens utilisés quasi exclusivement pour le petit appareil, sur les murs de la cella du temple 3 datée de l’époque tibérienne.

18Les affleurements de ces calcaires qui devaient, à l’époque antique, s’avancer dans la plaine sur le flanc sud du plateau des Mersans, ne subsistent aujourd’hui qu’à l’état résiduel au sud du coteau de la Garenne. S’il s’avère impossible de retrouver des traces d’exploitation ancienne dans ce secteur dont la topographie a été profondément modifiée par les travaux du chemin de fer au XIX^e siècle, on peut penser que la position profonde de ces affleurements a considérablement limité les possibilités d’exploitation et a entraîné, dès le milieu du premier siècle, un épuisement de cette source d’approvisionnement. Cependant, les qualités mécaniques de ce matériau très homogène et très dur, particulièrement résistant à la compression, mais dont les bancs sont peu épais, avaient dû entraîner les lapidarii à en privilégier l’emploi pour la mise en œuvre du petit appareil au détriment des calcaires oolithiques grossiers des niveaux supérieurs, hétérogènes et fracturés.

19Le transport des blocs depuis ce centre carrier distant seulement de 1km du centre de l’agglomération antique, devait s’effectuer en rejoignant la voie Poitiers-Argentomagus qui passait à 750 mètres au nord et qui, malgré un allongement de la distance, maintenait les charrois à une altitude de 150-157 m, sans aucun obstacle topographique9.

Le centre carrier d’Ambrault-Boisramiers

20Parallèlement à l’exploitation de ces ressources locales, les études menées sur les maçonneries de l’aire cultuelle des Mersans ont mis en lumière la présence d’un calcaire oolithique fin utilisé pour la confection de colonnes tournées, trouvées cassées et remployées dans des remblais ou dans des reprises de maçonnerie10. Le contexte chronologique de ces remplois – remblais claudiens – pose non seulement le problème de la présence, au début du premier siècle, de constructions monumentales à Argentomagus, mais aussi celui de l’origine de ce matériau. En effet, sa structure oolithique, fine et homogène, le désigne d’une provenance différente de celle des calcaires oolithiques grossiers attribuables au coteau de la Garenne.

21Dans un premier temps, l’absence supposée de calcaires oolithiques fins d’origine locale avait conduit à reconnaître, pour ces fragments, la mise en œuvre d’un calcaire importé d’Ambrault, important centre carrier ayant massivement exploité et exporté ce type de matériau dès l’époque romaine, et situé à une quarantaine de kilomètres à l’est d’Argentomagus11, jusqu’à ce que la découverte d’oolithes fines dans les niveaux profonds des affleurements de la vallée de la Bouzanne vienne mettre en doute l’hypothèse de la présence d’un matériau importé. Or plusieurs arguments permettent de confirmer la première hypothèse. Ils tiennent : à la structure du matériau, plus fine et plus homogène que celle des oolithes locales ; aux conditions de sa mise en œuvre : la réalisation de colonnes impose en effet aux carriers de disposer de bancs d’épaisseur importante, ce qui est le cas dans les carrières d’Ambrault dont les fronts sont très peu fracturés alors que ceux de la vallée de la Bouzanne présentent une importante karstification et de faibles épaisseurs de bancs qui éliminent toute taille de blocs de grand module ; et enfin aux données chronologiques : seuls ces éléments architectoniques précoces sont taillés dans une oolithe fine, l’ensemble du lapidaire, à partir du milieu du premier siècle, renvoie soit aux calcaires à bryozoaires de la rive droite de la Bouzanne, soit aux calcaires cristallins blancs fins de la rive gauche12.

22Ces observations et l’état actuel des recherches conduisent donc à proposer l’hypothèse de l’exploitation exclusive du centre carrier du « coteau de la Garenne » au début de l’empire : utilisation des matériaux de découverte des calcaires oolithiques grossiers bathoniens à la Tène finale et à la période augustéenne ; exploitation des calcaires à entroques bajociens pour le petit appareil à la période tibérienne, privilégiés pour leurs qualités mécaniques et leur homogénéité ; importation de calcaires oolithiques fins pour les éléments architectoniques nécessitant de grands modules que ne peuvent fournir ni les bancs supérieurs des calcaires oolithiques bathoniens très fracturés, ni les bancs de calcaires à entroques bajociens dont les épaisseurs n’excèdent pas quarante à cinquante centimètres.

23L’acheminement des blocs depuis le centre carrier d’Ambrault pouvait également se faire par la route. En effet, la voie Bourges-Argentomagus (« Chaussée de César ») dont le tracé est encore bien visible ne passe qu’à 3 km de la zone d’extraction qu’une voie secondaire devait desservir, et ne comporte aucun obstacle topographique. Cependant, la découverte dans le lit de la Théols, d’une embarcation chargée d’une stèle inachevée et de deux coffres funéraires laisse supposer qu’il pouvait exister, à partir de ces carrières, un transport mixte : par la rivière, de la carrière à la « Chaussée de César » et par la route, jusqu’à Argentomagus13.

24La présence d’un matériau importé, spécifiquement réservé aux éléments architectoniques pose la question de l’existence, à Argentomagus dès la période augustéenne, d’un atelier de sculpture architectonique. Or la découverte de l’embarcation chavirée dans le lit de la Théols laisse plutôt penser à une importation de produits semi-finis, travaillés dans un atelier situé à proximité des lieux d’extraction.

Les centres carriers de la vallée de la Bouzanne

25C’est probablement dans le deuxième quart du premier siècle que les sources d’approvisionnement se diversifient avec l’ouverture des centres carriers de la vallée de la Bouzanne et l’intensification de l’exploitation des calcaires oolithiques bathoniens grossiers du coteau de la Garenne. L’épuisement des calcaires bajociens, propres au petit appareil, la contrainte d’une importation lointaine, donc coûteuse, d’un matériau spécifique aux éléments architectoniques et la multiplication des programmes monumentaux dans la seconde moitié du premier siècle, ont conduit les maîtres d’œuvre à rechercher des matériaux abondants, de bonne qualité et susceptibles de répondre à toutes les conditions de mise en œuvre.

26Les fouilles de la carrière antique du Pont de Tendu (photo 1) sur la rive droite de la Bouzanne14 et les prospections menées dans cette même vallée ont bien montré que, dès la première moitié du premier siècle, les affleurements des deux versants de la vallée ont pu répondre à ces besoins, en dépit du surcoût que leur éloignement d’une part, et l’aménagement des infrastructures nécessaires au transport par voie d’eau d’autre part, ont dû entraîner par rapport aux carrières de proximité du coteau de la Garenne.

27Pour ces dernières, l’exploitation de niveaux plus profonds et moins karstifiés a permis d’extraire un volume considérable de calcaire oolithique grossier qui devient alors, comme l’ont montré les études menées sur le centre monumental15, le matériau privilégié pour la confection du petit appareil. Parallèlement, s’intensifie l’exploitation des centres carriers de la vallée de la Bouzanne qui fournissent des matériaux destinés au grand appareil et à la sculpture.

28Ainsi, la fontaine monumentale fait apparaître, dans le dernier quart du premier siècle, une large utilisation des calcaires de la vallée de la Bouzanne pour la réalisation des dalles du bassin. Sur les 52 dalles, seulement 6 sont taillées dans un calcaire oolithique grossier provenant du coteau de la Garenne alors que les 46 autres sont taillées dans un calcaire biodétritique à bryozaires et un calcaire oolithique fin issus de niveaux différents des mêmes affleurements du centre carrier de Pont-Chrétien16.

29L’ouverture des carrières de la vallée de la Bouzanne a eu pour conséquence capitale de permettre aux maîtres d’œuvre de gérer la totalité de l’approvisionnement à partir des ressources locales. En effet, contrairement à ce que nous avions pensé dans un premier temps17, aucun élément en calcaire d’Ambrault n’a été repéré dans l’important matériel lapidaire de la fin du premier siècle et du second siècle. Les affleurements situés immédiatement en amont du village actuel de Pont-Chrétien ont fourni la totalité des blocs architectoniques provenant des grands programmes monumentaux de la ville. Ces blocs ont été taillés dans un calcaire biodétritique comportant de nombreux bryozaires, et qui se développe sur une épaisseur d’une dizaine de mètres sans stratification, permettant ainsi d’extraire des blocs de grandes dimensions (photo 2). C’est le cas de la totalité des élévations d’ordre toscan (fig. 3) qui constituaient les portiques urbains, de l’important programme ornemental provenant des thermes dont subsistent deux blocs de pilastres ornés de rinceaux peuplés et le registre supérieur d’un chapiteau corinthisant (fig. 4). Les calcaires utilisés pour la construction du second théâtre illustrent bien la sélection opérée en fonction de la technique de mise en œuvre puisque les moellons de petit appareil sont taillés dans un calcaire oolithique grossier des carrières toutes proches du coteau la Garenne – il en est de même pour le premier théâtre – alors que les blocs de gradins proviennent des niveaux à bryozoaires des affleurements de Pont-Chrétien et les chapiteaux de pilastres de la scaenae frons sont sculptés dans un calcaire oolithique fin des niveaux profonds de ces mêmes affleurements. Les bancs de calcaire oolithiques fins, très peu épais, ont tout de même permis d’extraire des blocs de petites dimensions. Leur structure très homogène et très fine et leur couleur très blanche en ont fait un matériau recherché pour s’harmoniser avec les élévations stuquées de blanc des pilastres qui rythmaient l’élévation du mur de scène18.

Figure 3 – Chapiteau toscan des portiques urbains.

Figure 4 – Pilastre orné d’un rinceau peuplé provenant des thermes.

30S’il est difficile de cerner les sources d’approvisionnement pour les maçonneries, au Bas-Empire et au Haut-Moyen Âge, en revanche, les analyses effectuées sur les éléments mobiliers découverts dans les fouilles de la place de l’église de Saint-Marcel ont montré que la vallée de la Bouzanne a fourni jusqu’à la fin de l’époque carolingienne, l’essentiel des sarcophages. Qu’il s’agisse du centre carrier de la rive gauche, où subsistent encore des traces d’extractions19, ou de celui de la rive droite, à proximité de Pont-Chrétien. Les gisements homogènes et épais de ces deux centres carriers ont permis la réalisation de cuves de sarcophages monolithes (photos 3 et 4) extraites en grand nombre dans le sens de la hauteur, contrairement à celles provenant du coteau de la Garenne, présentes en très petit nombre et qui ne concernent que des sarcophages d’enfants de petites dimensions ou des demi-cuves.

31Parallèlement aux travaux menés sur l’architecture, les recherches entreprises sur la sculpture ont largement confirmé l’importance de la vallée de la Bouzanne comme source d’approvisionnement des sculptores d’Argentomagus20. En effet, pour les calcaires, hormis un nombre restreint d’ex-voto exécutés dans des tufs étrangers à la région et qui reflètent l’origine des dédicants venus les offrir aux divinités d’Argentomagus, l’ensemble de la production sculptée fait appel aux ressources locales, quelle que soit la nature de la commande. Si les calcaires oolithiques grossiers du coteau de la Garenne n’ont été qu’exceptionnellement utilisés pour la sculpture, en revanche les calcaires à bryozoaires de la rive droite de la Bouzanne, très peu fracturés et de ce fait massivement exploités pour la sculpture architecturale, ont également permis la réalisation de pièces de grandes dimensions comme les divinités accroupies ou les inscriptions monumentales alors que le centre carrier de la rive gauche entre le « le Pont de bois » et Tendu avec ses calcaires blancs fins cristallins et ses calcaires à polypiers, a fourni les matériaux de la majeure partie la production qu’elle soit à caractère privé (statues de l’oratoire) officiel ou funéraire, irriguant également l’aval de la vallée de la Creuse au moins sur une vingtaine de kilomètres comme l’attestent les découvertes de fragments d’une statue de Mercure à Rivarennes, et d’un cippe funéraire à Le Blanc21, tous deux sculptés dans un calcaire blanc fin provenant des abords du “Pont de bois”.

32La découverte au « Pont de Tendu » d’un canal reliant le front de carrière au lit de la Bouzanne22 à montré que l’acheminement des blocs devait se faire par la rivière depuis les centres carriers de la rive gauche, situés en bas de pente, au bas du plateau, non seulement pour l’approvisionnement d’Argentomagus mais également pour celui de la vallée de la Creuse. Tandis que depuis le centre de la rive droite, devait intervenir un transport par la voie Poitiers-Argentomagus qui franchissait la rivière par un gué empierré à quelques 500 m des carrières.

Conclusion

33Chercher à déterminer la nature et l’origine des matériaux mis en œuvre dans les sociétés préhistoriques et historiques est une question dans l’air du temps qui ne s’applique plus, depuis quelques années déjà, aux seuls matériaux prestigieux.

34Pour être menée à bien, l’étude des calcaires, liée au contexte géologique local, impose une contrainte spécifique à laquelle Argentomagus répond parfaitement : la présence de faciès géologiques variés, bien individualisés, susceptibles de donner des réponses pertinentes ; l’existence d’un faciès homogène étendu à une grande région excluant les possibilités d’étude à l’échelle d’un site.

35À Argentomagus, l’exploitation des deux formations bajocienne et bathonienne et à l’intérieur de cette dernière, la présence de faciès variés et bien localisés a créé des conditions d’étude particulièrement favorables qui ont permis d’aboutir aujourd’hui à la cartographie des sources d’approvisionnement et à la mise en perspective chronologique de leur utilisation.

36Mais l’enjeu historique n’est pas le seul. L’enjeu muséographique, mis en lumière jusque-là pour l’analyse des marbres23, intervient également pour les calcaires comme le montre l’apport décisif que constituent les analyses pour le rapprochement d’éléments fragmentaires et le regroupement d’ensembles statuaires.

37Si l’absence de textes occulte à jamais nos connaissances sur l’organisation et la gestion des sources d’exploitation, en revanche ces études permettent d’évoquer la présence sur place, d’équipes de tailleurs de pierres et de sculpteurs, se déplaçant en fonction des commandes. Elles permettent également de dessiner autour d’Argentomagus, un paysage antique des vallées de la Creuse et de la Bouzanne, jalonné de carrières importantes en activité pendant au moins neuf siècles et accompagnées d’un intense trafic sur les rivières, très loin en aval de la ville. Si aujourd’hui les traces d’exploitations antiques sont inexistantes dans la vallée de la Creuse, elles restent nombreuses dans celle de la Bouzanne et constituent un important patrimoine archéologique à sauvegarder.