« La salubrité de l’air qui nous environne, et que nous respirons, la pureté de l’eau et la bonté des autres alimens qui nous servent de nourriture, sont les trois principaux soutiens de la santé ; ainsi pour conserver au public un si grand bien, et prévenir les maladies qui le pourroient troubler, il est du soin des officiers de police, de remédier autant qu’il est possible, que l’air ne soit infecté, que l’eau et les autres vivres ne soient corrompus »1.

1Depuis le Moyen Âge, maintenir l’hygiène dans les rues de la capitale roussillonnaise n’est pas chose facile2. Au XVIII^e siècle encore, cela implique pour les citadins de rompre au quotidien avec de mauvaises habitudes pluriséculaires. Pour les orienter dans ce sens, les autorités municipales œuvrent au quotidien : depuis les consuls jusqu’aux agents spécialement en charge de la police de la ville que sont les clavaires mostassafs et les virguiers, tous agissent dans le cadre de leurs compétences pour tenter de corriger les mœurs des citadins et d’assainir les rues de la ville. Cette action municipale se traduit par des ordonnances consulaires que les crieurs jurés font connaître : pour que personne ne puisse prétendre ignorer les décisions consulaires, la ville de Perpignan compte dans son personnel permanent un corps de crieurs jurés dont la fonction consiste essentiellement à publier les dispositions des ordonnances municipales dès leur adoption au son des trompettes dans tous les lieux accoutumés, places et carrefours de la ville et de son faubourg.

2À ces criées spécialement destinées à porter à la connaissance du public toutes nouvelles décisions émanant de la municipalité ou d’une autre autorité telle que l’intendant ou le baille royal de la ville s’ajoutent des criées générales, qui synthétisent l’ensemble des règles de police de la ville en vigueur pour l’année consulaire à venir3. Ces dernières, réalisées chaque année au mois de juillet, juste après l’avènement des nouveaux consuls, revêtent une autorité toute particulière car elles sont effectuées sur ordre du baille royal de la ville, des consuls et des clavaires. Elles se présentent sous forme d’articles et constituent une sorte de « code de police municipale » servant de base légale aux dénonciations réalisées par les virguiers au retour de leurs tournées d’inspection journalières ou tournées spéciales réalisées avec les clavaires et aux dénonciations ou plaintes des particuliers victimes des infractions à ces règlements de police. Ces dénonciations et plaintes sont formulées devant le greffe de la juridiction du clavariat qui les consigne pour que les clavaires puissent poursuivre en demandant la production de témoins à ces victimes, de preuves matérielles, et en convoquant la personne désignée comme coupable afin de l’auditionner. Les clavaires disposent d’une juridiction compétente pour toutes les infractions aux règlements de police en vigueur dans la ville de Perpignan. Par ailleurs, les autorités municipales sont soutenues, voire encouragées par l’intendance qui joue parfois un rôle moteur en matière de santé4. Certaines ordonnances municipales, il est vrai, suivent de près celles rendues par le représentant royal dans la province, la municipalité ne voulant pas laisser l’intendant occuper seul ce terrain ce qui aurait empiété sur ses prérogatives. La concurrence entre les deux pouvoirs permit d’améliorer le sort des Perpignanais mais qui ne parvint pas à maintenir une hygiène satisfaisante et durable dans la ville car la réglementation ne fut jamais respectée. Les mesures adoptées par la municipalité en matière d’hygiène et de propreté furent peut-être trop contraignantes. Elles impliquaient des investissements personnels et financiers trop importants pour des habitants peu sensibles à de tels progrès. Le code de bonne conduite citadine établi par la municipalité peut se réduire à deux volets essentiels : des obligations mises à la charge de tous (I), des interdictions à respecter (II).

I. Les actions attendues d’un bon citadin

3Les Perpignanais devaient participer activement au nettoyage des rues de la ville (A) et procéder aux aménagements nécessaires sur leurs terrains et demeures afin de préserver la propreté des lieux et des rues (B).

A. L’implication dans le nettoyage de la ville

4Si régulièrement la ville a dû faire appel à des entrepreneurs privés pour assurer le ramassage des ordures, les habitants de la ville ont toujours été impliqués dans le nettoyage des rues afin de préparer leur tâche et de la rendre moins onéreuse pour la communauté.

5Pour faciliter le ramassage des ordures, les règlements municipaux imposaient aux habitants de faire balayer le devant de leur maison. Ainsi, pendant près d’un siècle, chaque année, voire plusieurs fois l’an, les criées des clavaires, les ordonnances des consuls et de l’intendant relatives au nettoyage des rues, les rappelaient à ce premier devoir. Ils ne furent pourtant jamais exemplaires. Dès 1674, l’intendant Carlier jeta les bases de la règlementation municipale en la matière. Il prescrivit aux consuls de faire procéder à des criées au début de chaque mois par les clavaires dont il fixait le contenu. Il fallait notamment alerter la population de ce « que chacun desdits habitants sans exception quelconque, mesme gens de guerre et ecclésiastiques, feront tous les jours avant les sept heures du matin balaier la rue ou place ou sa maison est scituée suivant l’étendue de ladite maison en faisant faire un monceau ou amas de toutes les ordures »5. Une vingtaine d’années plus tard, l’intendant Trobat déplorant que « de jour en jour les immondices augmentent dans les rues et les habitans devenant moins soigneux à les oster, l’oubliant mesme de se précautionner par un moyen si facile contre les maleurs que ces immondices restant dans la ville et cy près de leurs maisons peuvent causer à leur propre santé et à celle de leurs compatriottes », ordonna à tous les habitants de la ville de faire nettoyer les rues « un chacun en ce qui le concerne » dans les huit jours et « de continuer sans relâche à nettoyer et faire balaier les rues au-devant de leurs maisons tous les jours et les faire arrozer depuis le premier juin jusqu’au dernier aoust »6. L’intendant Legras renouvela cette obligation en 17257, puis en 1729 les consuls précisèrent les horaires à respecter par les habitants et les propriétaires des maisons inhabitées, qui à l’avenir seraient « tenus tous les jours depuis le lever du soleil jusques à neuf heures précises du matin, de faire balayer nettoyer et arroser les rues chacun devant l’étendue de leurs maisons et de faire jetter hors la ville les balayeures ou les boues & ordures qui s’y trouveront »8. Ils réitérèrent cette obligation en 1732 spécialement pour la rue des Augustins qui venait d’être aménagée, obligeant au surplus les riverains à « faire arroser pendant l’été le devant de leurs maisons »9. Une ordonnance dont l’intendant Jallais reprit le contenu en 173510. Les mesures de 1729 furent ensuite reproduites par l’intendant Ponte d’Albaret en 174911 et les consuls en 1751 qui fixèrent les heures butoir à huit et neuf heures12. Dès lors, l’obligation pour tout citadin de balayer devant sa maison était clairement établie et rappelée dans les criées annuelles13.

6Pour parvenir à leurs fins, les autorités municipales et provinciales menaçaient les Perpignanais soit de confiscations de meubles, soit d’amendes. Les registres du clavariat révèlent qu’au tout début du XVIII^e siècle quelques saisies frappèrent des habitants inexacts dans le balayage de leur rue14 mais qu’ensuite les contrevenants reçurent des commandements de faire balayer devant leur maison, dans leur rue15, voire qu’ils la tiennent propre à l’avenir16, ou tout autre endroit où ils avaient, en toute illégalité, déposé des immondices. Tout lieu vierge de construction à l’intérieur de l’enceinte de la ville pouvait servir de décharge. Les lieux de prédilection pour de tels dépôts étaient les impasses17, les patus non clos et les terrains vagues dont les riverains se servaient de décharge à ciel ouvert. Ainsi, en 1696, Trobat constatant que dans plusieurs ruelles et cus de saq se trouvait « une quantité considérable d’immondices les quelles y restant pourroient infecter la ville », ordonna aux « propriétaires ou locataires des maisons confrontans et aboutissans ou voisins desdites ruelles ou cus de saq jusqu’à deux cens pas d’en tirer ou faire tirer lesdites immondices dans huit jours »18. L’une des impasses les plus sujettes à ce type de dépôt était l’impasse de lo mas d’en lluna. À plusieurs reprises, des particuliers furent dénoncés pour y avoir déposé des ordures19 ou reçurent l’ordre de la nettoyer20. De même, les patus et terrains vagues non clôturés servaient parfois de décharge publique21, comme les places publiques qui pâtissaient parfois des incivilités des habitants. Ainsi, le 12 octobre 1717, Joseph Gonsalvo, noble immatriculé de Perpignan, se plaignit que la place où se trouvait le puits de Santa Clara était un dépotoir d’ordures pour les voisins22.

7Les places où se tenaient les marchés étaient particulièrement surveillées et quelques poissonnières23 ou revendeuses d’huile24 furent sanctionnées pour ne pas avoir laissé leur emplacement propre. Outre les lieux publics, les établissements comme les monastères ou l’université ont également été victimes de dépôts d’immondices. Ainsi, en août 1703, le bedeau25 de l’université de Perpignan, Michel Gelamo, dénonça la servante de Belasserra qui aurait jeté une conque d’immondices près de l’estudi major26. Quelques décennies plus tard, Barthélémy Bardou comparut pour avoir négligé de nettoyer un terrain devant la nouvelle université et reçut l’ordre « de plus fort de faire nettoyer et mettre en règle ledit terrein » faute de quoi il y serait pourvu à ses frais et dépens, « sauf à lui à dénoncer conformément aux règlemens les voisins qui porteroient des ordures dans cet endroit »27.

8Enfin, très fréquemment, des particuliers jetaient ou déposaient leurs immondices devant les maisons de leurs voisins28. Il s’agissait alors de conflits de voisinage, ce dont attestent deux exemples. En 1770 Sauveur Sicart, maître tailleur, dénonça la veuve Thérèse Purchet qui avait déposé devant la porte de sa maison un « monceau de fiante » à cinq heures et demie du matin29. Le lendemain, il avoue ne pas l’avoir vue lui-même mais offrit de produire deux témoins ayant assisté à la scène, Pierre Camo maître menuisier et son épouse Grâce. Pour sa part, Thérèse Purchet prétendit que ce jour-là, étant sortie à sa fenêtre, sa voisine Grâce Camo lui dit qu’on lui avait « fait un présent à la porte » et qu’elle n’avait ainsi fait que le restituer à son propriétaire30. En janvier 1782, comparut Étienne Moratau aubergiste dont l’épouse, nommée Lafont, aurait déposé pendant la nuit ses ordures devant la porte de la maison d’Antoine Verges. Il la représenta car elle était incommodée mais assurait qu’elle avait nié les faits et reprochait aux témoins de lui vouloir « du mal et étant d’accord avec le dénonciateur ». Ce dernier ayant produit comme témoins deux femmes ne sachant rien des faits, l’épouse de Moratau fut déchargée de l’accusation31.

9Par ailleurs, les instances municipales ont tâtonné tout au long du XVIII^e siècle pour tenter de trouver une formule de ramassage des ordures satisfaisante. Elles ont organisé celui-ci tantôt par des entrepreneurs à titre onéreux, tantôt par des jardiniers ramassant des engrais utiles à leurs cultures. Aucune de ces formules ne fut vraiment efficace32. Les édiles municipaux pâtirent du peu d’entrain des entrepreneurs chargés de l’enlèvement des immondices qui manquèrent assez fréquemment d’exactitude dans l’accomplissement de leur tâche. Ces carences étaient généralement de peu de gravité mais deux entrepreneurs les multiplièrent. Durant l’été 1726, période délicate du fait de la chaleur ambiante à Perpignan, l’« entrepreneur des charriots » Tarradas fit à trois reprises l’objet de dénonciations ou commandements parce que les immondices n’avaient pas été retirées des rues33. Au cours de l’été l’été 1769, Christophe Conort fut visé par plusieurs plaintes et procédures34. Le 5 juillet, un virguier dénonça un tas de cendres de lessive laissé contre la maison habitée par Antoine Gros marchand tanneur. Ce dernier affirma qu’il en était ainsi depuis quelques jours car le jardinier chargé de l’enlèvement n’avait pas voulu exécuter sa tâche35. Quatre jours plus tard, un virguier signala que lors de sa tournée matinale avec un clavaire, il avait découvert plusieurs tas de cendres de lessive et de balayures devant les maisons de particuliers dont certains étaient là depuis trois jours36. Christophe Conort comparut le 10 juillet et convint des faits. Il déclara au surplus qu’il demanderait le remboursement de cette amende à Dominique Noguer citoyen noble et à Jean Fraspeig son jardinier chargé de nettoyer les balayures des rues en question aux mêmes charges et conditions qu’il l’avait fait précédemment37. D’ailleurs, Jean Fraspeig, pour éviter le recours de Conort, se présenta au greffe du clavariat le 16 juillet et s’engagea « au payement desdites deux amendes montant vingt livres et aux dépens montant cinq livres »38. Un mois plus tard, le 4 août, le dénommé Lapalme, aide-major de la place, se plaignit qu’un tas de cendres de lessive avait été laissé devant sa maison depuis une semaine39. Deux mois plus tard, le 4 septembre, un virguier dénonça la présence depuis plusieurs jours d’un tas de cendres laissé devant la maison de Cayrol marchand située place de la Barre40. Le 5 septembre, Christophe Conort reconnut les faits et se soumit à l’amende tout en se réservant un recours contre François Marills jardinier, en charge de l’enlèvement des cendres et balayures dans cette rue41. Le 22 septembre 1769, une dénonciation bien plus grave par l’ampleur des faits signalés fut réalisée par deux virguiers qui avaient constaté la présence depuis plusieurs jours de nombreux tas de cendres dans les rues de la ville. Détaillant au moins huit infractions, ils ne requièrent qu’une amende de 20 livres42. Encore une fois, Conort comparut, reconnut les faits, se soumit aux amendes, déclara in fine qu’il se réservait de présenter un recours contre ses associés et autres qu’il a intéressés dans cette entreprise43. Enfin, le 4 novembre 1769, des tas de cendres laissés dans les rues de la ville pendant plusieurs jours valurent à Conort une nouvelle dénonciation. Le 6 novembre, il comparut en compagnie de Ferriol Xixell, un autre entrepreneur, et promit de payer l’amende exigée44.

B. Aménager ses propriétés

10Outre leur participation au nettoyage des rues, les Perpignanais devaient aménager leurs maisons, et entretenir leurs équipements sanitaires afin de ne pas contribuer passivement à la dégradation des conditions de vie en ville en offrant des terrains propices aux dépotoirs sauvages. Ils étaient tenus de faire enclore leurs patus ; une obligation prise en charge par la ville pour les impasses.

11Les règlements municipaux interdisaient de déverser des eaux usées provenant d’éviers dans la rue au moyen de tuyaux d’évacuation non raccordés aux égouts. Les propriétaires indélicats étaient condamnés pour « jet », à réparer les dommages subis par les passants45 et à mettre leurs installations en conformité avec la règlementation en vigueur, notamment en raccordant les aiguières46 au correch ou à une autre canalisation47. Ainsi, le 5 août 1782, Bonaventure Comellas, bourgeois, fut condamné à mettre les deux éviers du second étage de sa maison qui déversaient l’eau dans la rue en conformité avec la règlementation ou à les fermer pour ne pas nuire à personne ni incommoder les passants et voisins. Il lui fut interdit de les utiliser tant qu’ils n’étaient pas mis en état48. Quelques années plus tard, le 24 janvier 1788, Jérôme de Terrene prêtre chanoine de Saint-Jean domicilié à Perpignan fut jugé pour avoir installé un évier dans sa maison qui rejetait l’eau dans la rue de Saint-Jean. Les consuls lui ordonnèrent de faire fermer l’évier dans les vingt-quatre heures avec interdiction de le rouvrir ou d’en construire un autre sans respecter l’article 1^er de l’ordonnance consulaire du 12 décembre 177849. Il fallait également fermer les trappes faites dans les planchers surplombant la rue servant à se débarrasser d’ordures en tous genres50, faire réparer les latrines et signaler les lieux communs ouverts la nuit. En ce sens, les consuls de la ville adoptèrent une ordonnance le 26 juin 1749 dont l’article 5 ordonna « à toutes personnes de cette ville, qui feront ouvrir des conduits, égouts ou autres souterrains qui donnent dans les rues publiques, de faire incessamment procéder & de jour à jour, s’il est possible, à la réparation des ouvertures qui seront faites, & au cas il ne soit pas possible de conduire à leur fin lesdites réparation de jour, de mettre & placer pendant la nuit, des lanternes vis-à-vis les ouvertures »51. Il ne s’agissait pas d’une nouveauté car le 13 décembre 1732, Honoré Garau, prêtre, s’était plaint d’être tombé dans un trou ouvert au milieu de la rue devant une maison louée par un marchand nommé Monyer alors que selon « les règlemens de police personne ne peut faire ouvrir aucun conduit ny égout... sens que dans le même jour soient couverts et accomodés ou bien qu’il n’y ayent de lumière pendant la nuit »52.

12Mais à la suite de cet incident, les procédures furent plus nombreuses, sans doute parce que les lieux d’aisance étaient plus répandus qu’auparavant dans la ville53. On dénombre quatre affaires consécutives à l’ouverture nocturne de latrines non signalée54 dont l’une d’elles mérite d’être relatée. Le 2 mars 1764, Antoine Amat fils avocat et Jean Lignères fils mercader dénoncent un lieu commun non couvert ni signalé dans lequel ils sont tombés dans la nuit. Selon Lignères, il chuta « la tette en bas, à peine pouvoit-il se relever et se fit des contusions à la jambe ». D’une mauvaise foi évidente, la veuve Coste rétorqua qu’elle était en train de remettre de l’huile dans le lampion qu’elle avait placé à la fenêtre lorsque ces deux hommes tombèrent dans l’ouverture. Elle ne put donc échapper à l’amende réglementaire de 20 livres55. En outre, une fois installées, ces latrines devaient être entretenues. Les autorités consulaires y veillaient scrupuleusement. Ainsi, le 17 août 1753, Louis Jourdan maître maçon reçut l’ordre de faire réparer le jour même sa latrine, rue d’en palanca, qui était enfoncée56. De même, le 2 août 1772, un virguier dénonça Joseph Riu, citoyen noble, pour ne pas avoir « mis en état l’écouloir ou dégorgement de sa latrine afin que la matière fécale ne se répande dans la rue cul-de-sac » où Comellas apothicaire avait sa porte d’entrée car cela incommodait les voisins57. Le lendemain un autre virguier assigna Joseph Riu à comparaître parce qu’il ne s’était pas conformé à cet ordre. Comparaissant le jour même, Joseph Riu prétendit qu’il ne lui avait pas été demandé de mettre sa latrine en règle mais de la mettre à terre. Aussi, le 4 août, le deuxième virguier se transporta sur les lieux et réitéra l’ordre donné la veille à Riu « sous la peine de vingt livres d’amende qui luy (serait) dénoncée toutes les vingt-quatre heures qu’il (tarderait) à s’exécuter après ledit premier délay »58.

13À titre exceptionnel, afin de préserver autant que possible la qualité de l’air, le couvent de Sainte-Catherine-de-Sienne reçut le commandement de pratiquer la fermeture dans les cinq jours des « trous ou aspiradors »59 des lieux d’aisance donnant sur la rue pour éviter que « la mal senteur de la vilenie ne puisse porter préjudice au public »60.

14Pour lutter contre les dépôts d’immondices « sauvages », au cours de la dernière décennie de l’Ancien Régime, les autorités municipales se sont engagées dans une démarche préventive, en prescrivant à des particuliers de ne pas laisser de terrain vague librement accessible au public propice aux dépôts d’ordures. Ces terrains, désignés comme des patus, c’est-à-dire des basses-cours, devaient être enclos par leurs propriétaires. Deux cas sont avérés. Le premier, en janvier 1782, lorsque la demoiselle Marton comparut devant les consuls parce qu’elle possédait sur la place du Puig une maison avec un patu attenant ; un patu « plein d’ordures (qui) outre les mauvaises exhalaisons qu’elles donn(ai)ent, port(ai) ent un préjudice considérable aux murs de la maison qui y confront(ait) ». La demoiselle Marton souhaitant se conformer à ce que préconisait le commissaire de police en vendant ce patu dans le délai d’un mois, les consuls lui ordonnèrent de s’exécuter, sans quoi il y serait pourvu à la diligence du commissaire de police61. Le second cas intervint en mars 1788, quand les consuls virent comparaître les propriétaires d’un patu non clôturé dans la paroisse Saint-Jacques servant de dépotoir... Plusieurs témoins attestèrent que ce patu était « le dépôt de toutes les ordures et immondices qu’on y port(ait) de tous les environs, les chiens, les chats morts, ce qui donn(ait) lieu à des exalésons fétides qui (pouvaient) altérer la santé des voisins, que le tas de cailloux et briques qui s’y trouv(ai) t donn(ai) t occasion à des jets de pierres dont les voisins (étaient) incommodés, notamment pendant la nuit parce que le patu (pouvait) servir de retraite à des malsfaiteurs ». Une partie de ce terrain appartenait à François Romeu qui prétendait ne pas disposer des fonds nécessaires pour y bâtir un local et le clôturer. L’autre partie du patu appartenait aux membres de la famille Pesol dont aucun ne semblait savoir s’il disposait d’un titre de propriété sur ce terrain... Aussi, s’appuyant sur les réquisitions de l’avocat biennal, les consuls ordonnèrent l’élévation de la muraille à 9 pans pour la partie appartenant à Romeu « à la charge par lui avant de commencer ladite réparation d’appeler le commissaire de police et l’architecte de la ville pour prendre les alignements qui seront convenables faute de quoy il y sera pourvu à ses frais et à la diligence du syndic de la ville ». Pour le reste du patu, les consuls, au vu de « la nécessité de pourvoir tant à la santé qu’à la sureté des habitans », ordonnèrent la construction d’une muraille de 9 pans de haut aux frais de la ville, sauf à les répéter ensuite contre les véritables propriétaires62. Pareillement, la ville se chargea de placer des palissades dans les impasses connues pour ce genre de désordre63.

II. Les comportements souhaités d’un bon citadin

15L’essentiel des criées consiste en des interdictions multiples répétées par les autorités municipales dont la principale est la prohibition des jets en tous genres dans les rues (A), l’interdiction de souiller l’eau des fontaines et des canaux (B) et de laisser ses animaux courir par les rues (C).

A. Les jets interdits

16Les registres du clavariat recèlent une foule de procédures, généralement très courtes, liées aux fonctions de police qu’exercent les clavaires et les virguiers de la ville. Y figurent notamment les affaires de « jets » prohibés soit en raison de leur dangerosité64, soit parce qu’ils ruinent les efforts entrepris pour maintenir les rues propres ou qu’ils risquent de causer des « dégâts collatéraux » pour des voisins ou de simples passants65.

17Les criées réitèrent chaque année cette interdiction en des termes généraux66 mais les Perpignanais ne semblent n’en faire que très peu de cas. De nombreuses procédures pour « jet » portent sur des ordures et immondices provenant des pots de chambre. La dénomination « jet de pot de chambre » a beaucoup varié, à la faveur sans doute des changements de commis au greffe du clavariat, et du vocabulaire employé par les plaignants. De manière neutre sont employées les formules : jet de pot de chambre, jet de pot de chambre d’ordures, jet d’ordures, jet d’immondices, jet de villenie... voire jet d’un pot de chambre « garni » et, à deux reprises, jet « d’un pot de chambre dans lequel il contenoit tout ce qu’on peut ordinairement faire dans un pot de chambre »67. De manière plus explicite, sont employées les expressions jet (de pot de chambre) de pissat, de fiante, d’urine, et plus rarement jet de merde.

18Les dénonciations les plus fréquentes concernent les jets d’eau par les fenêtres. Exceptionnellement cette eau est propre et jetée volontairement sur une personne afin de mettre fin à un trouble dans la rue, qu’il s’agisse d’un homme soulageant une envie pressante contre la façade d’une maison68, d’un soldat sortant d’un cabaret69 ou d’enfants jouant dans la rue70... Ces représailles n’ont que peu de conséquences. Il en va autrement des jets d’eau sale71. L’eau jetée par la fenêtre a parfois servi à cuisiner et peut clairement être identifiée par la victime. Il peut s’agir de bouillon de haricots72, d’eau de lessive d’olives73, de sardines74, de viande75, voire de sauce d’escargots76. Ce sont aussi des fruits, ou ce qu’il en reste une fois consommés, qui sont lancés depuis les fenêtres –melons77, citrons78 figues79, etc. Enfin, les fonds de bouteille de vin et l’eau qui sert à les rincer sont quelquefois sujets à litige80.

19Certains jets font l’objet d’une attention toute particulière de la part des autorités municipales car ils sont très incommodants et concernent parfois des activités professionnelles polluantes. Les charcutières ou conqueras sont régulièrement visées par des plaintes de leur voisinage81 et des commandements leur interdisent de jeter l’eau des tripes dans la rue82. Ponctuellement, des servantes ou de simples ménagères sont visées pour de tels actes83. Autre déchet incommodant, l’eau de merlu occupe une place toute particulière car elle est tantôt déversée par des poissonniers, des aubergistes84 ou cuisiniers dans le cadre de leur activité professionnelle, tantôt par de simples particuliers85. En 1720, tous les poissonniers reçurent le commandement de ne pas déverser l’eau de merlu ou morue86 dans les ruisseaux de la ville87. Tous les poissonniers de la ville ne se permettaient pas de tels comportements88. Mais il y eut un couple de récidivistes89.

20Généralement, les activités polluantes sont tenues à l’écart du centre-ville. Le 14 octobre 1784 cependant comparaît devant les consuls Michel David, teinturier, accusé d’avoir jeté « quantité de teinture dans la rue »90. Pour sa défense, il prétendit qu’il vidait sa grande chaudière dans le grand ruisseau, et qu’il faisait attention en vidant sa petite chaudière au milieu de la rue « de ne nuire à personne ». Il précisa que si l’écoulement n’avait pas été immédiat c’était à cause « de la partie de la rue qui correspond au jardin du s^r Gagnon et qui n’est pas en règle par le défaut de celui-ci de la faire balayer et que lui et ses devanciers dans ladite maison en ont toujours fait ainsi ». En conséquence, les consuls interdirent provisoirement à David de « verser dans la petite rue aucune espèce de teinture mais dans le grand ruisseau », et ordonnèrent aux virguiers de se transporter sur les lieux pour vérifier leur état de propreté91.

21Enfin, il était strictement interdit de jeter des animaux morts dans la rue ou dans les puits92. Les procédures furent rares mais les cas ne l’étaient sans doute pas. En 1696 Trobat prévoyait que ceux qui seraient chargés de ramasser les ordures percevraient « pour chaque chien ou chat mort » la somme de deux sols à payer par « les maîtres ou locataires des maisons devant lesquelles » ces animaux se trouveraient « sauf à eux de se faire rembourcer par celuy qui aura tué ou jetté lesdits chat ou chien s’il se trouve »93. Pourtant, le 20 juillet 1704, le marchand Pierre Antoine Hostalrich dénonça le jet par la fenêtre de chez lui du cadavre d’un chat sans tête qui traînait dans la rue depuis plusieurs jours94. Dans leurs ordonnances sur la propreté des rues, les consuls de Perpignan précisaient les règles à suivre sur la question. En 1731, organisant le nettoyage de la rue des orangers, ils demandent aux riverains « de jeter ni faire jeter aucun chien ni chat mort dans ladite rue », et qu’ils en trouvent devant leur maison « de les faire jetter incessamment hors la ville, aux endroits accoutumez, pour par ce moyen éviter l’infection & mauvaise odeur qu’on sentiroit en passant par ladite rue »95. En 1765, ils précisaient que l’entrepreneur avec lequel ils comptaient passer un traité pour ramasser les ordures serait tenu de prendre « les chiens, chats, rats, poules & autres animaux de pareille espèce qu’il trouvera morts dans les rues, & dont il ne connoitra pas les maîtres, & de transporter le tout au moyen des tombereaux ou montures aux endroits usités hors la ville »96.

22Un cas particulier de déchet issu d’un élevage est à signaler. Le 7 mai 1781, le dénommé Génis marchand droguiste de Perpignan, comparaissant pour avoir mis des couches de vers à soie dans la rue, avoua ignorer que c’était interdit. Il croyait que les jardiniers étaient chargés de les enlever97, ce qu’il fit dès qu’il sut que les virguiers avaient fait une visite. Il fut condamné à trois livres d’amende dont la moitié applicable au virguier de police qui avait fait la dénonciation avec défense de récidiver sous les peines du règlement98.

B. L’eau à préserver

23En 1731, l’intendant Jallais fit détruire « le ruisseau qui couloit depuis la Porte de Saint-Martin jusqu’à la place neuve de cette ville [...] à cause de l’infection et du mauvais air que les immondices qu’on y jettoit donnoient à tout le quartier »99. Pour autant, les riverains ne perdirent pas leurs mauvaises habitudes100 et en 1732 les consuls durent organiser le nettoyage de cette rue. Ils imposèrent à tous les riverains « tous les jours, sçavoir l’été depuis le lever du soleil jusques à neuf heures précises du matin, et l’hiver depuis le lever du soleil jusques à dix heures du matin, de faire balayer et nettoyer ladite rue, chacun durant l’étendue de leurs maisons, de faire jeter hors la ville ou autres endroits indiquez, les balayeures ou les boues & ordures qui s’y trouveront, & de faire arroser pendant l’été à l’heure ci-dessus marquée le devant de leurs maisons ». Ils établirent aussi la marche à suivre pour éviter que la rigole ne se bouche, notamment en période de pluie. En 1751, les consuls étendirent ces dispositions à l’ensemble des ruisseaux et canaux de la ville101. Apparaît ici l’une des premières préoccupations relatives à l’eau coulant dans des rigoles ou s’écoulant de fontaines.

24Les procédures menées contre des particuliers ayant volontairement déversé des ordures dans les ruisseaux ou correchs passant au milieu des rues de la ville ne sont pas très nombreuses102. Plus généralement, les particuliers sont poursuivis pour avoir sali l’eau des ruisseaux en y lavant du linge103 ou en faisant tremper des objets comme du cuir104, une échelle105, des cercles de comportes106. Les animaux sont bien évidemment bannis des rigoles, qu’il s’agisse de poules ou de canards107. Trois procédures seulement sont à relever sur cet objet, les deux premières à propos de poules dont les propriétaires sont identifiés108, la troisième pour un canard dont le propriétaire est inconnu109. Enfin, l’interdiction de laver aux fontaines est réitérée chaque année lors des criées de police. Ainsi l’article 51 des criées de 1715 porte qu’il « est expressément deffendu à toutes personnes de laver du linge ny autres choses ez fontaines qui sont dans ou dehors de cette ville à peine d’une livre dix sols de ladite monnoye de Perpignan pour chacun et chacune fois qu’il sera trouvé ou prouvé y avoir contrevenu »110. Là encore les infractions sont assez rares111.

25De plus, la libre circulation de l’eau, liquide vital et assainissant112, ne doit pas être entravée par des objets qui pourraient former un barrage et créer une retenue113. Les procédures sont ici assez peu nombreuses et semblent émaner d’agents plus zélés que les autres, à savoir Jean Salvi « pourvu du nettoiement du ruisseau de la porte Saint-Martin jusqu’à la dernière grille du pont d’en vestit »114 et Joseph Bellasserra « entrepreneur du curement des grilles des égouts de la ville de Perpignan »115. L’intervention de Pierre Amat, directeur des domaines, est quant à elle exceptionnelle. Le 14 décembre 1772 il informe les clavaires qu’un tas de fumier a été déposé devant l’écouloir du grand conduit de Saint-Dominique, ce qui risque de le boucher, et leur demande de le faire enlever incessamment116. Il ne faut pas non plus que l’eau soit détournée du ruisseau, ce qui arrive lorsqu’un égout conduisant vers un puits ou à l’extérieur de la ville est laissé ouvert. Ainsi, le 14 octobre 1737, la veuve Llucia reçoit le commandement de ne pas déboucher l’égout qui conduit à la place du marché neuf afin de laisser passer l’eau dans la rue. Pourtant, quelques jours plus tard, visée par une nouvelle plainte, elle prétendit que son beau-fils était le fautif recherché117.

C. Les animaux à enfermer

26Parmi les mauvaises habitudes des Perpignanais, celle de laisser des animaux en liberté dans les rues de la ville118, de jour comme de nuit, notamment des cochons, chevaux et autres volailles, fut fréquemment dénoncée. Les règlements urbains étaient pourtant très clairs. Les consuls, dans l’article 1^er de l’ordonnance adoptée le 26 juin 1749, faisaient « très-expresses inhibitions & défenses à toutes personnes de quelque état & conditions qu’elles puissent être, de laisser courir leurs poules, poulets, poulets d’inde, oyes, oysons, canards & cochons, dans les places publiques, rues ou carrefours de la ville ». Ils leur ordonnaient « de les tenir renfermés dans leurs maisons, cours ou patus contigus, sous la peine & amende de dix livres »119. Cette disposition était présente depuis longtemps dans les criées municipales120. La raison première de ces interdictions était l’hygiène, comme cela est noté dans quelques procédures. Ainsi, les 30 septembre et 12 décembre 1743, un virguier de la ville rapporta avoir donné l’ordre à plusieurs particuliers de la ville de tenir leurs cochons attachés dans leurs maisons « parce que lesdits cochons occasionnent des infections et pourroient rendre l’air mal sain »121. En 1747, un cochon errant fut saisi puis conduit à la Miséricorde car il faisait partie des « espèces de bêtes qui peuvent occasionner de la vilainie aux rues »122. Un second désagrément tenait aux dégâts matériels que pouvaient occasionner les cochons dans les propriétés privées. Le 16 décembre 1737, François Setzeras et Segaleras, avocat, se plaignit de deux « nodrisses »123, venant quotidiennement dans son patu pour manger ses volailles et faire fuir les autres124. En décembre 1743 une femme habitant près de la place du Puig prétendit que des cochons étaient entrés chez elle et avaient renversé le bouillon qui était sur le feu pour son mari à l’agonie125. Enfin, en 1749, un virguier dénonça une truie trouvée dans le cimetière de Saint-Jean126 appartenant à Grâce et Marie Sampso qui prétendirent toutes deux que la bête avait rompu sa corde pendant qu’elles assistaient à la messe127. De nombreux propriétaires manquaient de vigilance, laissant truies et cochons s’échapper et « rouler » par les rues128. Les procédures sont récurrentes à cet égard129. Même les cochons attachés à l’extérieur des maisons pouvaient provoquer des incidents : ils étaient donc dénoncés130, notamment la nuit131, et l’ordre était intimé aux propriétaires de les tenir attachés chez eux132. Là encore, des litiges surgissaient entre voisins car, même enfermé, un animal pouvait gêner le voisinage133. Ainsi, le 11 août 1758, Joseph Fourouge procureur, dénonça son voisin Joseph Cabaner brassier, parce qu’il nourrissait un cochon en le tenant souvent « attaché contre la muraille mitoyenne avec ledit M^e Fontrouge et qui luy (donnait) de temps en temps une puanteur intollerable outre qu’il (minait) les fondements de cette muraille »134. Joseph Cabaner affirma tenir son cochon attaché au milieu de sa cave à l’endroit déjà indiqué à un clavaire venu autrefois visiter sa maison sur une précédente plainte de Fontrouge135.

27En outre, les criées rappelaient aux Perpignanais qu’ils ne devaient pas laisser leurs montures dans les rues la nuit sans les signaler. C’était une mesure de sécurité. Mais plusieurs procédures révèlent que l’hygiène entrait aussi en ligne de compte. L’interdiction valait aussi pour les étrangers qui faisaient étape pour la nuit à Perpignan. À ce propos, les aubergistes et hôtes étaient surveillés. Ainsi, le 5 septembre 1747, un virguier dénonce un maître-hôte nommé Brilles qui a laissé des étrangers attacher leurs montures devant sa porte, ce qui est interdit à cause « des grandes vilainies » qu’elles causent dans la rue136. Tous les habitants de la ville devaient se mobiliser pour empêcher qu’on attache des montures près de chez eux la nuit. Ainsi, le 24 juillet 1761, plusieurs particuliers reçurent l’ordre de nettoyer « le derrière de leur maison » et de ne plus laisser personne à l’avenir y attacher des montures...137.

Conclusion

28Tout au long du XVIII^e siècle, les intendants ont voulu accroître la qualité de vie à Perpignan. Il ne s’agissait que d’initiatives personnelles et de travaux ponctuels, destinés à mettre fin à des abus ou des situations devenues insupportables. Aussi, faute de politique réelle et durable, la situation ne s’améliora guère138. Voilà pourquoi à son arrivée dans la province, le dernier intendant du Roussillon fut alerté par son subdélégué général Pierre Poeydavant139 sur « la malpropreté des rues, en particulier celle des coins, où l’entassement des ordures (devenait) un foyer de puanteur et d’infection ». Et si Saint-Sauveur semblait plutôt satisfait de son action en matière d’hygiène à son départ de la province140, rien dans les archives de la ville ne corrobore une opinion aussi optimiste.