Avant-Propos
p. 11-14
Texte intégral
1La manière d’envisager les questions de santé change radicalement au cours de la période moderne. En forçant à peine le trait on peut affirmer que l’on passe d’une politique d’assistance aux pauvres, d’une attitude fataliste face aux épidémies comprises comme un châtiment de Dieu, à une meilleure attention portée à l’hygiène, à des mesures de prévention et de défense contre les contagions, à des pratiques médicales davantage éclairées, enfin à un engagement beaucoup plus assumé du pouvoir royal dans l’organisation hospitalière, d’abord avec la mise sur pied de l’Hôpital général, puis, à la fin du XVIIIe siècle, avec la création de la Société royale de médecine et la constitution d’un réseau de médecins correspondants à l’échelle du royaume.
2À partir du XVIIe siècle les signes d’une mutation en profondeur se multiplient, ténus souvent, disparates, dépourvus de liens entre eux, au moins au premier abord. Les identifier, les décrire, les localiser et les dater soigneusement est un préalable. Cela a été fait avec pertinence parfois, ainsi à propos de l’apparition dans l’espace domestique d’objets liés à l’hygiène corporelle et à la toilette1. Mais –il ne s’agit en aucun cas d’une réserve ou d’une restriction quelconque– les exemples documentés n’ont pas toujours été suffisamment mis en relation avec d’autres phénomènes contemporains. Ainsi, quelle corrélation peut-on établir entre la fondation d’ordres féminins dédiés au soin des malades dans les hôpitaux, les règles d’hygiène instaurées à l’hôpital royal des forçats de Marseille comme la carte attachée au lit des forçats où l’on notait le nom, la pathologie, les soins à donner aux malades, annonciatrice des futurs dossiers médicaux, et la gestion en « circuits séparés » du linge –le « circuit » propre » ne devant jamais entrer en contact avec le « circuit sale »–, l’intention royale de faire distiller les eaux minérales afin de connaître leurs propriétés, et la grande réorganisation hospitalière de l’Hôpital général ?
3Ces différents faits des second et troisième tiers du XVIIe siècle ouvrent un horizon nouveau en matière de santé, annoncent, voire constituent des conditions préalables et nécessaires à la révolution médicale qui prendra une substance plus scientifique ultérieurement. Peut-on parler d’étape préscientifique où, autant que la science et ses représentants, comptent les initiatives publiques et privées des ordres religieux, de la puissance publique, voire des édiles municipaux ?
4La thématique est trop ample pour pouvoir être traitée en une seule brassée d’études. Ce dossier constitué de contributions d’historiens, d’historiens du Droit et d’historiens de l’Art s’est efforcé d’aller de l’hygiène publique, dans son aspect le plus concret, c’est-à-dire de la propreté des rues..., jusqu’au ciel, non pour la mort mais pour célébrer la santé et la vie –ce que sont les ex-voto–, en passant par les établissements de soin, les soignants, médecins et chirurgiens, ainsi que par le retour en vogue des bains et des eaux minérales –qui n’avaient jamais été entièrement délaissées cependant comme le montrent les bains de Plombières dans les Vosges, très fréquentés au XVIe siècle.
5Le rôle joué par le pouvoir royal s’exerce de différentes façons. Il agit d’abord sur les structures hospitalières. C’est ce que l’on a surtout retenu parce que les directives concernaient l’ensemble des établissements du royaume, quelle que soit leur taille, leur fonction et les services qu’ils rendaient. Mais pas seulement. Les instructions pratiques données lors de la création de l’hôpital royal des forçats de Marseille sont éclairantes. On en mesurera la pertinence et l’efficacité lors de la peste de Marseille en 1720 : la contamination toucha peu les forçats en effet, sauf ceux qui furent employés comme « corbeaux » chargés d’évacuer le corps des décédés. Pourtant, à bien examiner les cas concrets étudiés, il apparait clairement que l’action du pouvoir royal rencontra les demandes de la société. Cela emprunta des voies multiples, parfois détournées. À Perpignan par exemple, l’attention portée par l’Intendance à tout ce qui touchait à l’hygiène suscita la crainte de la municipalité, inquiète de se voir dépouillée de ses prérogatives ; mais cela eut pour résultat de provoquer une émulation bénéfique entre les deux pouvoirs.
6Concernant la réorganisation hospitalière initiée par Louis XIV, les effets à long terme sont incontestables. La thèse de « l’enfermement » a fait florès naguère. L’image du pauvre change en effet. Les hôpitaux mettent en place des manufactures dans leurs murs, font travailler les pauvres, se procurent ainsi des sources de revenus qui ne furent pas négligeables. Mais cela a quelque peu occulté d’autres évolutions dont on a insuffisamment perçu jusqu’ici la portée comme les progrès accomplis dans la gestion des établissements, devenue beaucoup plus rigoureuse, ce dont témoigne la tenue des livres de comptes des hôpitaux.
7D’une manière générale –au moins pour les cas étudiés sérieusement durant des séquences suffisamment longues des XVIIe et XVIIIe siècles–, les revenus des établissements hospitaliers augmentent sensiblement au XVIIIe siècle. Derrière les revenus sont les malades. Le nombre de ces derniers accueillis et soignés est-il resté stable, a-t-il augmenté et dans quelle proportion ? La question n’est pas de pure forme car la santé n’est pas seulement affaire d’édits ou d’ordonnances royales. Entre le milieu du XVIIe siècle et la fin du XVIIIe siècle, par exemple, le nombre des malades accueillis à l’hôpital de Narbonne est multiplié par cinq alors la population de la ville reste stable : y sont accueillis des gens de la ville, mais aussi du diocèse de Narbonne, de beaucoup plus loin... et même d’Amérique ! L’hôpital devient un lieu où se croisent les populations les plus diverses. Aucune source comme les listes des malades accueillis dans les hôpitaux ne permet d’appréhender avec autant de sûreté la mobilité des individus et les courants migratoires. Mais cet exemple est-il représentatif d’une situation plus générale ? L’attraction des hôpitaux, expliquée par la gratuité des soins qui y étaient dispensés, est indéniable. Elle renforce le contraste entre la ville et la campagne, encore que nombre de ruraux lors de leurs migrations saisonnières viennent frapper à la porte des hôpitaux.
8Moins facile à aborder, car les sources ne sont pas toujours disponibles, est l’évaluation de la densité et de la répartition des personnels de santé, médecins et chirurgiens. L’exemple du Roussillon est particulièrement intéressant car Perpignan possédait une des rares universités du royaume où l’on formait des médecins. Moins d’une quarantaine de médecins exerçaient au milieu du XVIIIe siècle, pour une population que l’on peut estimer à 80 000 habitants, la moitié dans la ville capitale de la province – 10 000 habitants environ–, les autres dans les petites villes, ce qui laissait de vastes zones dépourvues de personnel de santé, même de chirurgiens, deux fois plus nombreux que les médecins, établis principalement dans la plaine et dans les petits bourgs des vallées. Il n’est cependant pas inintéressant d’apercevoir combien à la fin du XVIIIe siècle la population devient de plus en plus sensible à l’absence de professionnels de santé et les efforts tentés par des municipalités afin d’attirer des médecins.
9La création de la Société royale de médecine à la fin du XVIIIe siècle permet, à travers les exemples du Roussillon et du haut-Languedoc, de se rendre compte à la fois de l’intérêt porté par le corps médical sollicité aux enquêtes qu’elle lance, de la lutte des praticiens contre les charlatans en qui ils voyaient de pernicieux concurrents dont l’audience n’était cependant pas sans relation avec le vide médical dans les campagnes, mais aussi de la qualité de quelques médecins qui étaient d’authentiques savants. Les exemples très documentés des médecins languedociens Jean Bouillet, Jean Razoux et Paul-Joseph Barthez, tous trois membres de diverses sociétés académiques, permettent de s’en convaincre.
10Le succès des bains, au-delà de l’effet de mode qui l’accompagne, est à replacer dans la redécouverte de la nature qui caractérise le XVIIIe siècle. Les eaux jaillissant du sol étant censées en capter les propriétés et les vertus. Les bains de Balaruc sur les bords de l’étang de Thau dont la notoriété grandit grâce à la fréquentation par des personnalités influentes et des mentions gratifiantes dans des encyclopédies ou des ouvrages de large diffusion sont très représentatifs à cet égard.
11Tout ceci, même si l’on recourait au médecin, si l’on sollicitait leur intervention à l’hôpital, et si l’on expérimentait les eaux, n’empêchait pas d’implorer l’intercession de la Vierge et des saints et parfois d’être exaucé. Les églises du Roussillon, les minutes de notaires aussi où l’on consignait les manifestations de l’intervention divine et ne manquait pas de souligner l’impuissance de la médecine des hommes en apportent des témoignages infinis.
12Les contributions réunies dans ce volume, nourries de sources inédites, offrent ainsi, du Roussillon au Languedoc et à la Provence, un panorama vaste et concret des questions de santé, déclinées selon des approches diverses mais convergentes, qui, additionnées, permettent, sans qu’on puisse déterminer exactement la part de chacune, de mieux appréhender le grand phénomène constaté au XVIIIe siècle : le début du recul de la mort.
Notes de bas de page
1 D. ROCHE, Le peuple de Paris. Essai sur la culture populaire du XVIIIe siècle, Paris, 1981.
Auteur
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Gilbert Larguier
Professeur émérite, université de Perpignan Via Domitia
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