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IV. Le marché sidérurgique

p. 297-388


Texte intégral

1La crise économique de la mi-XVIIe siècle sonna le glas de l’activité sidérurgique dans les vallées. Ce n’est d’ailleurs probablement pas un phénomène qui affecta uniquement la principauté d’Andorre. Pour s’en rendre compte il suffit d’observer l’évolution des exportations de fer enregistrées au port de Narbonne, 2 200 quintaux en 1644, 1779 en 1648, 526 en 1650 et 26 en 16531. Le secteur proto-industriel pyrénéen fut fortement touché. Cependant, cela eut une répercussion à plus long terme en Andorre. Alors que, en Ariège, le nombre de forges resta sensiblement le même2, dans les vallées, les quatre forges existantes stoppèrent complètement leur production entre 1650 et 1660. Il ne faut pourtant pas en déduire un arrêt complet de l’activité sidérurgique. Le fer étant un produit courant, indispensable, ce sont les flux commerciaux qui furent atteints. L’Andorre, ne produisant plus, devint importatrice.

IV.a. Mise en place et développement de la structure de production

2Les comptes de la maison Areny sont fort utiles pour suivre cette évolution. Approximativement, à partir de 1660, Guillem Areny Torres réinvestit dans la sidérurgie, mais cette fois il s’intéressait à la filière de post-réduction. Une première association s’établit avec Antoine, forgeron de Sullach (comté de Foix), qui, à partir de 1668, vendit du fer à destination de la principauté. Les forges productrices étaient celles de Siguer et de Tarascon. Un courant commercial nord-sud s’était instauré pour faire face à la fermeture des forges andorranes. Un parallèle peut être établi avec le secteur nord-catalan fortement frappé par les méfaits de la guerre. De plus, dans cette région, la signature du traité des Pyrénées divisa une région productrice. Les forges du Roussillon étaient coupées d’un marché consommateur important et des forêts méridionales, celles du versant sud-pyrénéen ne pouvaient plus se ravitailler aux mines roussillonnaises ou conflentoises3.

IV.a.1. Importation et commercialisation

3Connue depuis le Moyen Âge, la ferronnerie est l’un des métiers pour lesquels certaines communes se chargeaient de trouver des artisans qui s’installaient dans le village. La première mention assez complète pour fournir des renseignements complémentaires est celle de Johan de Riutort qui loua la forge d’Encamp en 1412 et qui devait réparer les socs et les bêches à 10 deniers par livre de fer4. Des contrats similaires sont identifiables dans la documentation communale d’Ordino et de Canillo pour les siècles suivants. Il est probable que l’activé reprise par Johan à Encamp se poursuivit jusqu’à la période moderne et certains documents laissent à penser qu’à la Massana il y avait également un faure communal en activité. En Andorre, comme c’était également le cas en Pays de Foix, ces artisans n’étaient pas regroupés en corporation et chacun gérait à titre individuel sa relation avec la commune5.

4Les contrats qui liaient les faures à la commune permettent de se faire une idée plus précise du travail qu’on attendait d’eux. Les trois actions principales étaient celles de calçar, llusir i puntar6. La première correspond essentiellement à un écrouissage grâce auquel le tranchant de l’outil était refait à neuf. La seconde opération (calçar) était une soudure à chaud, le forgeron apportait du métal afin de rénover la pièce. La dernière (puntar) n’est mentionnée quasi exclusivement que pour les socs (relia) ; il s’agit de remodeler la pièce. Les outils qui sont systématiquement mentionnés dans les contrats sont les haches (destral, picassa), les houes, les serfouettes (aixadó) et les socs (relia). S’ajoutaient les fers à chevaux puisqu’ils étaient également les maréchaux-ferrants de la collectivité. Nous savons bien peu de chose des ateliers de ces forgerons communaux. Ils possédaient obligatoirement un foyer alimenté grâce au droit de charbonnage octroyé par la commune. Contrairement aux scieries et aux moulins communaux, aucune mention d’utilisation de l’hydraulique n’est portée dans les documents. Les références traitant de martinets sont toujours liées à des établissements privés. Au début du XVIIIe siècle, la réfection du tranchant d’un objet valait 18 deniers, la pose des fers à un animal en valait de 2 à 3 de plus et la réparation d’une bêche par ajout de fer et soudure à chaud (calçar) était estimée à 120 ou 132 deniers, soit l’équivalent de 24 ou 26 kg de fer. Même si l’on tient compte de la perte de métal au feu qu’implique le travail à de hautes températures, il est clair que l’essentiel de la somme allait au paiement de la main-d’œuvre. Les établissements privés complétaient l’offre sur ce marché.

5C’est dans ce créneau que s’installa Guillem Areny Torres en juillet 1669, lorsqu’il acheta le martinet d’Ordino pour 210 livres7. A partir de cette date, il collabora avec divers forgerons, tous les contrats étant semblables. L’artisan amenait son savoir-faire, Guillem fournissait l’outil de travail, les frais (achats de fer) et les bénéfices se répartissaient entre les deux associés. Il est à noter que le charbon de bois, indispensable au travail du forgeron, n’est jamais comptabilisé. Il s’agissait d’un droit acquis qu’avaient les habitants sur la forêt communale, il n’y avait par conséquent pas de transaction financière sur ce produit. C’est également à ce titre que, plus tard, les forgerons communaux revendraient du charbon aux forges. Ce droit de charbonnage limité, puisqu’il ne s’agissait dans tous les cas que de quantités réduites, est celui qui est identifiable dans les documents médiévaux et qui souvent a été utilisé, à tort, afin d’affirmer que des forges produisant du fer étaient installées dès cette époque dans les vallées.

6Les implantations de forgerons ariégeois ou catalans dans les vallées n’étaient pas rares. Le premier exemple évident date du XIVe siècle8, vient ensuite Johan de Riutort à Encamp. En 1620, ce fut le tour de Michel Babi de Lercoul qui s’établit à Ordino. En 1671, ce fut Antoni Baro d’Ordino qui est probablement celui que l’on nommait « le forgeron Antoine de Seuillac » dans les comptes du martinet. En 1706-1707, est mentionné un forgeron dit Jaume Font qui s’était fixé à Ordino après son mariage avec la fille de Quimera d’Ordino et, à la même époque, celui qui oeuvrait à Sant Julià était originaire de la Seu. Un autre vint ensuite de Carol9.

7Les forgerons qui travaillaient pour la famille Areny ne se limitaient pas à la réparation de l’outillage. Même si les données restent fragmentaires, est également mentionnée la fabrication d’outils et d’objets de ferronnerie. Le fer importé en plates ou barres était transformé au martinet (haches, tenailles, grilles pour des maisons, cercles pour des tonneaux). Dans l’ensemble, le traitement strictement financier des transactions ne permet pas de suivre le type de travail exécuté. Le seul point qui est évident est la spécialisation de ces ouvriers. En moyenne, dans le dernier quart du XVIIe siècle, ils obtenaient en un an plus du double du salaire d’un majorai en fin de carrière, le triple du salaire d’un traginer et de six à huit fois ce que gagnait un berger lors de son premier engagement.

8La reprise de l’activité de la forge de réduction n’affecta pas la collaboration avec les forgerons. En 1720, près de 30 ans après sa réouverture, les comptes des forgerons sont encore inscrits dans les livres. Cette fois, les forgerons œuvraient sur du fer andorran. Cette reprise est difficile à dater avec précision. Pour le cadre général, un document postérieur à 1688 est le premier à faire référence aux forges andorranes. Le Syndic des Vallées présenta une supplique devant l’évêque afin que les habitants soient dispensés du droit de général et de guerre pour le fer produit en Andorre10. L’argumentation utilisée était classique. Dans un premier temps, on en appelait à « l’ancestralité » de cette activité que « l’infortune et la guerre » avaient détruit. La production des forges, nouvellement installées par les anciens propriétaires, entrait dans le cadre des exemptions générales, maintes fois confirmées par les coprinces. En gros, étant donné que le métal, le minerai et le charbon étaient produits dans les vallées, il était injuste que les percepteurs du droit encaissent une taxe d’un sou par quintar sur le fer qui, de la « Catalane » Andorre, entrait en Catalogne via la Seu. La réponse dut être favorable puisque, a posteriori, on ne relève aucun paiement de droit dans les comptes.

IV.a.2. Implantation et type d’exploitation des nouvelles forges

9Concrètement, la première inscription qui semble signaler la vente de lingots produits en Andorre est de 168711. Au cours d’une dizaine d’années (1690-1700), les choses restent confuses. Ce n’est qu’après 1700 que, sans équivoque, la forge du Serrat est en fonctionnement, puisque l’on paye des ouvriers qui avaient travaillé sur les canalisations12. La reprise de l’activité s’était probablement faite en suivant la même dynamique que celle qui avait caractérisé la dernière époque de travail des forges de Puntal et du Serrat entre 1640 et 1650. Le propriétaire ne participait pas directement à la production. Il était associé à d’autres personnes qui administraient ou louaient des périodes de travail. Cette forge pourrait parfaitement correspondre à l’établissement qui fut à l’origine de la supplique présentée par le Syndic puisque, comme le laisse entendre ce document, les anciens propriétaires de Puntal et du Serrat furent les initiateurs du projet de réouverture.

10Rien dans la documentation ne permet de savoir s’il s’agissait d’un aménagement de l’ancienne mouline ou d’un nouvel établissement. Au niveau technique, ce n’est que dans le premier quart du XVIIIe siècle que les sources deviennent plus claires. Au niveau général, l’ouverture de cette forge s’inscrit dans un mouvement plus large. En 1700, Antoni Guillemo Morer reçut une concession de la commune de Sant Julià pour implanter une forge dans la vallée d’Os (forge de Bixessari)13. Comme pour la forge du Serrat, mis à part le confront avec la rivière14, la caractérisation de l’établissement n’est pas possible à partir de la documentation dont nous disposons. Par la suite, en 1716, la commune de Canillo autorisa l’édification de la forge d’Envalira pour le compte de Joan Antoni Torres d’Encamp. En 1724 et 1732, vinrent ensuite les forges de Ransol et du Madriu. La première fut érigée par la commune de Canillo, la seconde fut autorisée par celle d’Andorre. Entre les forges de Puntal ou du Serrat, construites au début du XVIIe siècle, et ces nouveaux édifices, un « palier » technologique avait été franchi : celui de l’adoption des trompes à eau.

IV.a.2.1. L’évolution de la structure de production

11Dans le cadre de cette étude, les techniques ne seront abordées que de façon partielle. L’étude de la sidérurgie se centrera sur les aspects qui permettent d’établir les liens entre la communauté et le marché du fer. Il s’agit, par conséquent, essentiellement d’étudier les forges comme agent économique, néanmoins certaines précisions techniques doivent être mentionnées pour mieux définir le cadre dans lequel se développa cette activité15.

IV.2.1.a. L’introduction des trompes en Andorre

12L’un des ancêtres des trompes semble être la machine soufflante mentionnée dans la région romaine par Giovanni-Battista Delia Porta en 1589. En 1627, elle est présente en Ligurie dans une ferreria implantée sur le cours de l’Orba ; peu après 1630, elle équipe les forges dites alla genovese qui se construisaient en Corse et elle était connue dans les Alpes. Dans les Pyrénées, un premier essai d’introduction, qui n’eut pas de suite, eut lieu en Biscaye en 163316. En Andorre, la première citation traitant des trompes est incluse dans l’acte d’engagement des maîtres qui allaient construire la forge de Canillo en 164317. Il s’agit de la mention la plus ancienne des trompes dans ce secteur de la chaîne. A cette date, les constructeurs de forges ariégeois connaissaient suffisamment cette technique, vraisemblablement arrivée dans les Pyrénées grâce aux Génois, pour pouvoir l’exporter18. Cependant, au niveau général, l’adoption des trompes ne fut pas immédiate, cette nouveauté tarda à se généraliser19. Dans l’est pyrénéen, pendant près d’un demi-siècle, les soufflets semblent avoir cohabité avec les trompes. Ce n’est qu’à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe que la trompe s’imposa définitivement.

13Comme le font remarquer Jacques-Marie. Muthuon et Jules François, l’intérêt premier de cette machine, par rapport aux soufflets, était le coût réduit de son entretien20. Tom Richard écrivait au sujet de cette machinerie « ... elle est la plus simple et la plus facile à construire parmi toutes ces machines, elle exige le moins de frais d’entretien, elle est celle dont l’action se modère et se régularise le plus aisément...21 ». Son fonctionnement passif, dans lequel n’intervenait aucune pièce mobile, était la base de sa fiabilité. On évitait les diverses périodes de chômage qu’impliquaient l’huilage et la réparation des soufflets, mais aussi l’engagement d’un spécialiste, le barquinero basque ou le mantxer que mentionnaient les livres de comptes de la forge de Puntal. Pour les trompes, le charpentier du village travaillant sous la conduite d’un forgeur suffisait à l’entretien. La fiabilité de cette machine est vérifiable dans divers documents. Le maître forgeur qui visita la forge de Ransol en 1742 précisait qu’il fallait remplacer les vieilles trompes ; malgré cela, il stipulait qu’elles continueraient à fonctionner22 tant qu’on conservait la caisse étanche et que l’arrivée d’eau serait suffisante. Dans les actes de location de la forge d’Andorre établis à partir de 1794, on détaillait les parties de la forge que le locataire devait restituer en bon état de marche afin de rendre la arga fargant ; c’est-à-dire qu’elle pouvait produire sans qu’il soit nécessaire de faire des réparations. Cette énumération ne comprenait jamais de mentions traitant des trompes. Si on omettait cet élément indispensable au fonctionnement de la fabrique, c’est qu’elles faisaient rarement l’objet d’un litige23.

IV.2.1.b. 1690-1760, deux vagues successives d’implantations

14L’une des caractéristiques des fabriques andorranes établies au début du XVIIIe siècle est la fragilité des structures hydrauliques. Ainsi, à la forge de Canillo, le canal d’amenée de 163 m de long et le botàs étaient totalement construits en bois. Il en était de même à Envalira et pour la forge d’Andorre, les structures archéologiques semblent indiquer que seuls les soubassements du bassin d’alimentation étaient en dur. Au Serrat, des journées de charpentiers qui travaillaient au botàs au cours de la première décennie du XVIIIe siècle semblent indiquer que l’infrastructure était du même type. L’une des constantes dans ces établissements est également le type d’emplacement choisi. De fait, ils ressemblent fort à ceux que l’on utilisait au XVIIe siècle. La satisfaction des besoins de charbon ne posait pas de réels problèmes, l’implantation des forges se faisait avant tout par rapport au potentiel minier présumé. Le Serrat et Canillo qui visaient les mines de la Collada de Ransol, la forge de Bixessari exploitait les filons situés dans la haute vallée d’Os24, la forge d’Andorre débuta avec une autorisation d’exploitation du minerai du secteur de la Maina et de Claror. C’est également cette zone qui intéressait les habitants de la vallée de la Llosa (Alt Urgell) en 1731, lorsqu’ils envisageaient la construction d’une forge dans la haute vallée25. A Bixessari, comme à la Maina, cette décision se révéla peu adéquate. La première forge disparut au bout de trois ou quatre ans, ce n’est que bien plus tard que les filons exploitables dans la haute vallée d’Os seront découverts. A Andorre, le secteur minier ne se révéla pas suffisant. Afin d’éviter la fermeture, les fondateurs de la forge durent se rabattre sur les mines du Puymorens26. Il en allât probablement de même pour la forge de la Llosa. L’absence totale de mention concernant cette mine, tant dans les textes communaux que dans les actes de location de la forge27, laisse penser que cet établissement connut la même mésaventure que celui du Madriu. Les secteurs de la Maina et Claror ne servaient plus qu’au charbonnage.

15La forge d’Envalira constitue a priori un cas particulier, puisqu’elle fut construite relativement loin des mines qu’elle exploitait (Collada de Ransol). L’emplacement choisi était juste à la limite entre la commune de Canillo et celle d’Encamp. L’éloignement relatif du minerai28 se trouvait compensé par l’exploitation de la masse forestière du secteur d’Envalira et des Pessons qui appartenait à la commune d’Encamp d’où était originaire le propriétaire, Joan Antoni Torres. En second lieu, la forge n’était pas pensée pour posséder une infrastructure hydraulique importante, cela permettait – voire même requérait – de projeter une implantation sur des cours d’eau facilement contrôlables et ne possédant pas de débit trop fort. En implantant la fabrique sur la limite intercommunale à près de 2 000 m d’altitude, Joan Antoni avait cumulé les deux avantages. L’altitude élevée à laquelle étaient construites les forges andorranes au début du XVIIIe siècle constitue également une constante. Plus de 1 400 m à Bixessari, 1 540 au Serrat, 1 700 à Canillo, 1 950 à Envalira et 1 980 à Andorre. Les faibles débits enregistrés par les rivières mettent en évidence une consommation d’eau relativement faible qui semble caractéristique de ces édifices. Lorsque, en 1721, on établissait un canal en dur à la forge du Serrat, on améliorait le système d’admission. Le but recherché était de pérenniser les systèmes d’alimentation et d’éviter les multiples réparations que nécessitaient les infrastructures en bois. Cette évolution est sensible dans le plan des forges construites à partir de la moitié du XVIIIe siècle.

16La volonté d’établir de nouveaux établissements sidérurgiques peut être datée approximativement de la décennie 1740-1750. En 1745, Guillem Areny Gallart acheta un droit de charbonnage à la commune de la Massana, par lequel on l’autorisait à faire édifier une nouvelle fabrique où il le voulait sur le territoire communal29. Cette forge resta un projet sans lendemain, car en 1742 il s’associa à la famille Picart d’Encamp pour fonder une forge au-dessous du hameau de Les Bons30. Puis, en 1753, Guillem décida d’en faire construire une autre à Ordino pour laquelle il prit à sa charge la totalité de l’investissement. À cet effet, le 25 juin, il échangea une parcelle, limitrophe à la forge qu’il était en train de faire construire, avec un terrain dit de Santa Barbara, appartenant à son cousin qui était également son associé à la forge du Serrat31. À cette date, la famille Areny participait directement à la gestion de trois forges. Vint ensuite la forge de Moles qui fut bâtie à la frontière hispano-andorrane par l’héritier de la maison Babot d’Andorre. Il existe peu de documentation au sujet de cette forge. Cependant, en 1759, elle devait être en activité puisque, dans les comptes de la commune de Sant Julià, furent annotés les frais de mise en service d’une mine dont le bénéficiaire était Antoni Moles32. Quatre ans plus tard, les commissaires mandatés par le tribunal des Corts furent envoyés sur le territoire de la commune d’Arcavell, afin d’inventorier une forge pour laquelle le locataire ne s’était pas acquitté du montant du loyer dû pour l’année 176233. Un an plus tard, il est précisé qu’elle est située sur la partida dite du château de Ponts. Cette localisation laisse peu de place au doute, il s’agit de la fabrique que l’on connaît par la suite sous la dénomination de Moles34. À l’inverse de la construction de la forge Areny, que la plupart des écrits sur la sidérurgie andorrane considèrent à tort comme contemporaine de celle du Serrat (1690), la forge de Moles était antérieure d’au moins une quinzaine d’années par rapport aux estimations faites par les historiens. Par conséquent, ces trois établissements, auxquels il faut ajouter un projet avorté d’implantation d’une forge au bord du Valira aux Escaldes35, font partie d’une même étape de la sidérurgie de la principauté.

17Malgré le nombre réduit d’établissements, ce regroupement ne correspond pas seulement à une vue de l’esprit qui chercherait à associer divers édifices uniquement du point de vue chronologique. Au niveau technique, ces forges requéraient une quantité plus importante d’eau que celle dont avaient besoin les ateliers implantés entre 1690 et 1732. La forge d’Encamp fut construite à 1 350 m, la forge Areny à 1 263 m, celle de Moles à seulement 850 m d’altitude. Toutes les trois puisaient l’eau dans le cours du Valira, alors que les forges établies au début du siècle ne le faisaient que sur des affluents ou sur des portions élevées de ce cours d’eau. Le débit plus fort obligeait à consolider les infrastructures de captage. Les trois nouveaux édifices disposaient de canaux creusés dans le sol et de botàs construits en dur.

18L’importance du volume d’eau dérivé est perceptible dans l’acte que signèrent Guillem Areny Gallart et Pere Fiter Rossell lors de l’installation de la forge Areny. L’autorisation que concédait Rossell était accompagnée d’une mesure compensatoire. En effet, la peixera de la forge36 détournait l’eau en amont du moulin de Santa Barbara appartenant à Rossell. Afin d’éviter la « stérilité » d’eau que pouvait occasionner le fonctionnement de la forge, Guillem assurait Pere Fiter de la possibilité d’utiliser le moulin qu’il possédait à Sornàs tant que la forge existerait. L’adaptation des infrastructures à des cours d’eau plus puissants et la prévention des risques de destruction lors des crues n’étaient pas la seule explication à cette « descente des fabriques »37. En abaissant l’altitude d’implantation, on facilitait le travail des forges en limitant les risques de chômage occasionné par la réduction du débit hivernal. De plus, la construction des réservoirs (botàs) en pierre permettait de stocker un volume d’eau plus important que celle de ceux construits uniquement en bois. Cela permettait de faire face plus facilement aux besoins qu’impliquait le fonctionnement simultané du marteau et des trompes. Cela était d’autant plus important qu’il semble que les mécanismes internes de ces établissements aient également été modifiés au cours des XVIIIe et XIXe siècles.

19L’allongement et l’élargissement du diamètre de sortie de la tuyère que permettent d’identifier les sources38 peuvent être interprétés comme un moyen d’agrandir la zone du bas foyer qui était directement soumise au vent, c’est-à-dire l’espace dans lequel se formait l’essentiel des gaz réducteurs. Comme, parallèlement, on avait optimisé le système d’admission d’air des trompes et réduit l’espace de compression de l’air dans la caisse des vents, on avait probablement accru la zone de réduction tout en augmentant la quantité d’air insufflée par seconde. Picot de Lapeyrouse, en 1786, écrivait que toutes les dimensions du creuset avaient été graduellement augmentées entre 1740 et 178639. C’est précisément au cours de cette période que l’on observe une augmentation de près de 50 % du poids des tuyères à la forge du Serrat. Le creusement d’un canal d’alimentation en 1721, l’installation d’un botàs en pierre, dont la date de construction est inconnue, mais qui est décrit dans la location de la forge en 1769, et l’agrandissement de l’aire de stockage de charbon vers 1770 indiquent que l’on avait augmenté la capacité de production de l’établissement.

20Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, cette forge utilisait davantage d’eau que lors de sa construction. Or, la modification des trompes ne fut pas le seul facteur qui influa sur les volumes d’eau. Progressivement, le poids du marteau hydraulique fut également augmenté. Au Serrat, en 1769, il fallut par deux fois refaire la tête du mall. Dans le premier cas, on utilisa 156 kg de fer. Dans le second il en fallut 125. Un autre document contemporain des deux autres comptabilisait 166,5 kg40. En 1771, 1773, 1804 et 1834, toujours au Serrat, quatre opérations de remplacement du mall avaient requis respectivement 400, 367, 364 et 305 kg de métal41. En 1805, le mall de la forge Areny était estimé à 749 kg42, et, en 1853, il est indiqué que pour la réparation de la tête du mall on avait utilisé un peu plus de 521 kg de fer43. Il semble, par conséquent, que le poids de la tête du marteau avait augmenté d’une manière significative44. Ces chiffres correspondent globalement à ceux avancés par les ingénieurs des mines. En 1808, J.M. Muthuon précisait que les marteaux pesaient de 300 à 350 kg45. En 1842, Jules François annonçait une masse de 600 à 670 kg et E. Flachat, avançait un poids de 650 kg46. Si l’on tient compte que le mouvement vertical du marteau était fondé sur un mécanisme actionnant un levier de second ordre, la pression nécessaire pour mouvoir la queue du manche croissait proportionnellement à celle de la tête.

21A l’augmentation des dimensions du manche et de la tête du mall, certainement accompagnée de celle du calaibre qui transmettait la force motrice de la roue, s’ajouta également l’implantation d’un marteau finisseur, plus petit que le précédent (martinet). Dans la première moitié du XVIIIe siècle, au Serrat, à Canillo, à Envalira, à Andorre, mais aussi pour les forges récentes Areny et Picart, le travail ne se faisait qu’avec un seul marteau. Il servait aussi bien pour l’épuration de la loupe que pour les travaux de post-réduction. A la fin du siècle, un martinet avait été monté au Serrat, à Ordino et à Andorre47. Notons que ce furent les seules forges qui passèrent le cap de l’an 1800. Pour la forge d’Andorre, le débit du cours d’eau n’était pas suffisant pour permettre d’alimenter simultanément la forge et le martinet ; celui-ci fut installé dans un édifice annexe situé en contrebas de la sortie du canal d’évacuation. Au Serrat et à Ordino, le martinet fut installé dans un édifice annexe mitoyen de la grande salle de la forge (ombriu) dans laquelle se trouvaient le gros marteau (mall) et le bas foyer. L’introduction de ces martinets ne modifia pas le plan interne des fabriques. Le plan de la salle de travail correspondait toujours à une disposition classique pour des forges à un seul marteau48. L’axe de la tuyère était perpendiculaire au bas foyer et il marquait celui du manche du marteau. La tête du mall était placée sur le segment le plus proche du creuset. Cela correspond à peu de chose près au plan que publia Jules François pour ce qu’il appelait les forges anciennes à un marteau49. Pour la forge de Moles, l’existence d’un martinet est attestée dès 1762, mais la disposition exacte des machines est inconnue50. Peut-être s’agit-il de la première forge andorrane qui fut prévue à deux marteaux avant son édification. Actuellement, puisque nous ne savons rien du plan interne de la forge d’Os qui fut construite au début du XIXe siècle (1815)51, la seule forge pour laquelle cela peut être affirmé est beaucoup plus tardive : il s’agit de la forge Rossell (1845) pour laquelle l’infrastructure est encore visible52.

22En résumé, de 1700 au premier tiers du XIXe siècle, les forges avaient fortement augmenté leur consommation d’eau. Les modifications progressives de l’infrastructure de base avaient conduit à l’adoption de machineries plus importantes (trompes et mall). Une première évolution fut effectuée au milieu du XVIIIe siècle, lorsqu’on construisit les forges en fond de vallée. Sur ce point, une seconde observation peut être faite : la recherche d’un débit supérieur, visant à augmenter les volumes d’eau utilisables permettant de limiter les périodes de chômage, se conjuguait avec un second facteur, l’approvisionnement en charbon. À Ordino, l’acte préliminaire à la construction fut le contrat de charbonnage établi en 1745 qui plaçait la forge dans un secteur vierge de toute exploitation forestière massive, puisque la forge du Serrat utilisait essentiellement les forêts de la haute vallée. L’importance de la proximité des secteurs de charbonnage est mise en lumière en 1827 par une vente de charbon faite par la commune d’Andorre. Les forêts exploitées par la forge sont décrites comme « finies », le Conseil vend alors le droit de charbonner au bas de la vallée du Madriu, le long de celle de Perafita et dans celle du Gran Valira53. Simultanément, il concédait le droit d’implanter une nouvelle forge sur n’importe lequel des secteurs de la commune, sauf le long du Madriu, non pas pour protéger le couvert forestier mais pour prémunir du manque d’eau les moulins de la partie basse. Il s’agissait, par conséquent, de recentrer la forge dans l’aire d’approvisionnement en charbon ; la description de la forêt épuisée par la forge ne correspondait qu’aux secteurs anciens qui étaient exploités depuis 1732. L’importance de la relation entre la forge et son espace de charbonnage est clairement identifiable.

23L’ajout d’un second marteau plus léger, plus rapide et plus maniable, fut le deuxième point de modernisation des fabriques. Ce n’est qu’au XIXe siècle que ce nouvel élément fut totalement rattaché à l’infrastructure de la forge. La forge Rossell est un exemple clair, même s’il est tardif, de l’intégration du travail exécuté au martinet dans le cycle de production (réduction, épuration, compactage). Une question se pose, l’insertion du martinet répondait-elle à de nouvelles manières de présenter le métal ou à une modification du système de travail dans la forge ? Puisqu’au martinet on ne travaillait que du fer déjà élaboré, il est clair que c’était la dernière phase de production qui était affectée. L’utilisation du petit marteau permettait de répondre plus précisément aux commandes des forgerons qui achetaient le fer en gros, voire même parfois de réaliser certaines pièces finies ou semi-manufacturées. Cependant, l’essentiel du fer exporté restait constitué de lots de fer brut, comparables à ceux que l’on vendait dans la première moitié du XVIIIe siècle. L’adoption du second marteau répondit avant tout à une rationalisation de la chaîne de production, pas à une véritable diversification des produits, puisque les forges andorranes ne passèrent jamais le cap de la production d’objets54. Cela résultait de deux facteurs, une amélioration des produits bruts livrés par la forge et l’évolution de la production au bas foyer.

IV.2.1.c. Le recuit et la nouvelle organisation du travail

24Aux XVIIIe et XIXe siècles, en Andorre, tout le travail au bas fourneau dépendait d’une opération préliminaire consistant en un grillage préalable du minerai avant son utilisation par la forge, c’est ce que l’on nommait le recuit. Cette calcination du minerai avait comme résultat de rendre le minerai plus poreux et plus friable, mais c’était avant tout un moyen de libérer la mine d’une partie non négligeable de sa gangue55.

25Dans les vallées, l’utilisation systématique du grillage du minerai n’eut lieu qu’à partir du deuxième quart du XVIIIe siècle56. Auparavant, son utilisation n’est attestée que ponctuellement et l’emploi du minerai grillé au bas fourneau ne semble correspondre qu’à des cas spécifiques de recherche d’une production de meilleure qualité. Il y a notamment concomitance dans la documentation entre les indications attestant la production de fer fort (acier naturel) et l’introduction de ce type de minerai dans l’opération de réduction. Cette conclusion peut être étayée à partir d’une observation faite par Jules François, puisqu’en 1836 l’une des seules forges qui continuait à calciner du minerai ne l’utilisait alors que pour travailler en fer fort57. Cette évolution affecta toutes les forges andorranes qui réduisaient du minerai provenant de la Collada de Ransol. Cela fut probablement aussi le cas pour la forge d’Andorre, tout au moins à partir du moment où elle commença son approvisionnement en minerai du Puymorens. La forge de Moles, comme celles de Fornols en Alt Urgell ou de Bor en Cerdagne, devait également utiliser cette technique puisqu’elle était alimentée par les mêmes mines58.

26Le produit que l’on obtenait au bas foyer, la loupe, était constitué de scories et de divers types de fer. Actuellement, la différenciation des qualités du fer se fait selon la teneur de carbone59. À la forge, on classait le fer en moll, commun, fort et cedat. Le premier est un fer doux, les deux derniers entrent dans la qualité des aciers naturels. Le premier casse à blanc alors que le second casse à noir ou à violet, le grain du cedat est également plus resserré que celui du fer fort60. La distinction entre le fer fort et le cedat n’est jamais apparue dans les comptes des forges andorranes. L’explication est fournie par l’un des clients de la forge du Serrat, Bonnin Cadet de Saint-Girons : le 24 janvier 1778, il priait le propriétaire de la forge de ne lui expédier que « du vrai fer fort qui veut dire cedat » alors que dans les comptes le métal qui lui était destiné n’était différencié ni par la qualité, ni par le prix61. On peut par conséquent en déduire que les deux catégories d’acier naturel ne se distinguaient pas au niveau comptable. La production de fer fort devait cependant être relativement importante, puisque les commandes de fer expédiées à Saint-Girons portaient sur plusieurs centaines de quintars l’an. En comté de Foix, entre 1760 et 1790, la production de fer fort d’une bonne forge s’élevait à 40 % de la production totale62. Il semble donc que l’adoption du recuit systématique puisse correspondre à une volonté d’accroître la qualité du produit, même si l’on sait que les forgeurs ne maîtrisaient qu’imparfaitement cette opération et que l’obtention d’acier naturel dans la loupe était désirée, mais pas commandée63. Cependant, dans le cas andorran, on ne peut omettre un second facteur qui peut avoir joué un rôle dans l’adoption du recuit : la variation de la qualité du minerai utilisé. Pour ce que l’on peut en savoir, la systématisation du grillage correspond également à l’implantation des premières galeries à la Collada dels Meners de Ransol, le changement de nature du minerai peut également avoir eu un rôle, mais il est impossible à saisir.

27L’abandon complet du minerai cru ne permettait plus d’alimenter la forge selon le déroulement de la campagne d’extraction. Il était nécessaire de prévoir le stock pour une campagne de production dans sa totalité puisque, généralement, le recuit se faisait en une seule fois en début de campagne. Par conséquent, la mine que l’on utilisait au bas foyer avait été acheminée à la forge depuis au moins un an et l’abattage s’était fait l’année antérieure alors que, avant l’introduction du grillage, extraction et réduction se faisaient au cours de la même année. Les seules données documentaires utilisables à propos de la capacité de ces fours concernent la forge du Serrat et celle de Rossell. En 1858, ceux de la première contenaient 911 tonnes de minerai et ceux de la seconde 54664. Pour ce qui est du charbon employé, les deux seules références sont concordantes65, pour traiter les 911 tonnes contenues dans les fours en 1858, il fallut utiliser près de 54 tonnes de charbon. Une opération d’une telle envergure ne pouvait s’envisager que si on considérait qu’elle avait un effet réel sur la production.

IV.a.3. De la production des forges

28La situation géographique des implantations influait sur les possibilités de production, et la maîtrise de la dépense se faisait avant tout en modifiant la durée des campagnes : contrôler les volumes produits, c’était modérer la création des stocks et réduire le capital inactif. En Andorre, il n’y a aucun exemple de forge travaillant à plus d’un bas foyer. Par conséquent, potentiellement, chacun de ces établissements pouvait produire 24 loupes hebdomadaires, puisque le travail débutait le lundi à l’aube et finissait le samedi soir. Entre 1700 et 1750, l’infrastructure sidérurgique se mit en place. Lors de l’inauguration de la forge Areny, le seuil maxima fut atteint et ne fut jamais dépassé : six forges fonctionnaient en même temps. Après la fermeture des fabriques de Canillo (Ransol et Envalira) et l’ouverture de la forge de Moles, ce chiffre se stabilisa à cinq jusqu’à l’ouverture de la forge d’Os au XIXe siècle (1815). Sur un territoire bien plus petit, cela représente à peu de chose près un vingtième des 28 feux recensés en comté de Foix par l’enquête de 1772 et 15 % des 40 comptabilisés pour l’ensemble des Pyrénées ariégeoises au début du XIXe siècle. En comparaison, en Pallars, à la fin du XVIIIe siècle, il n’y avait que quatre forges en fonctionnement66.

IV.a.3.1. Production et valeur du fer andorran de 1700 à 1815

29Au début du XVIIIe siècle, la seule forge du Serrat donnait 60 à 70 tonnes de fer par saison complète. Après l’ouverture des forges de Canillo et d’Andorre, le nombre de semaines ouvrées en principauté passa d’une trentaine à près de soixante-dix, ce qui représentait une production de 170 à 200 tonnes annuelles. L’ouverture des forges d’Ordino et d’Encamp, aux campagnes plus longues, eut une incidence plus forte. Toujours à partir des moyennes hebdomadaires, les six forges produisaient alors de 350 à 400 tonnes par an. Pour la fin du siècle, l’implantation de la forge de Moles, dont la production était comparable à celle du Serrat, d’Ordino ou d’Encamp, se combina avec la fermeture des deux établissements de Canillo. Il n’y avait plus que cinq feux en fonctionnement dans la principauté. Cependant, comme la forge de Moles travaillait plus longtemps que les anciens ateliers de Canillo et que la quantité de fer obtenue par loupe s’était accrue, la production andorrane avait légèrement augmenté (400-450 t). Bien évidemment, il ne s’agit que d’un ordre de grandeur établi à partir du potentiel moyen estimé pour ces établissements. Ces résultats peuvent être affinés à partir des renseignements réels fournis par les livres de forges67. Alors que le maximum du nombre de feux fut atteint au cours de la décade 1750-1760, c’est en 1780 que fut obtenu le niveau de production le plus élevé après une croissance ininterrompue d’un demi-siècle. La production annuelle dépassait 575 tonnes et le prix de vente du fer atteignait près de 800 000 livres catalanes, c’est-à-dire 2 132 800 livres tournois68. Cela équivalait à la valeur de 177 000 têtes de moutons ou de 13 740 mules. La valeur du cheptel imposé pour l’ensemble des vallées représentait grosso modo 49 % de la valeur du fer produit par les forges. La baisse du prix du fer enclenchée à la fin de la Guerre de Succession d’Espagne prit fin au milieu du XVIIIe siècle. En 1780-1781, les cours appliqués étaient comparables à ceux du début du siècle69. Sur 80 ans, le volume produit avait été multiplié par 12, la valeur de la production par 13.

30Par la suite, les troubles révolutionnaires affectèrent fortement le travail des forges70. Ainsi, en 1795, la forge du Serrat ne travailla que trois semaines pour le compte de Rossell. Simultanément, la commercialisation fut également considérablement touchée. Alors que de 1784 à 1793, les comptes établis portaient en moyenne sur 52,9 tonnes de fer par saison71, de 1794 à 1797, seules 6,2 tonnes furent inscrites en quatre ans. C’est à cette époque que les forges rencontraient des difficultés pour engager des forgeurs. Le 3 thermidor de l’an 2, le commandant de l’armée de l’Hospitalet, Bellerose, faisait savoir au Syndic Calvo que le général de l’armée de Cerdagne n’autorisait le passage des forgeurs que si le Conseil Général lui assurait par écrit que les lingots étaient pour la seule consommation des vallées72. Cette décision équivalait à fermer les forges, puisque le marché national n’avait pas le pouvoir d’absorber la production. À l’aspect strictement militaire, s’ajoutait un problème politique et économique plus large. En 1793, les conventionnels de Foix refusèrent le versement de la questia, alléguant qu’il s’agissait d’un paiement féodal (l’albergue) aboli par la Révolution73. Cette réponse négative rompait l’équilibre régissant la politique extérieure des vallées. Elle allait à l’encontre du respect des droits andorrans prôné par M. de Baulieu, ministre des contributions publiques, en 1792, et contredisait la décision de l’assemblée administrative de l’Ariège du 24 septembre 1792 qui déclarait qu’il fallait respecter les droits commerciaux inscrits dans le texte du Conseil d’Etat du 8 décembre 176774. Bien qu’elle ait tenté de rester en marge des événements, la principauté avait été rattrapée par les troubles qui secouaient l’Europe.

31Pour ce qui est de l’évolution des prix du fer au cours du XVIIIe siècle, dans un premier temps, les cours étaient restés relativement stables. De 1720 à 1765, le fer avait perdu globalement 17,5 % de sa valeur75. Au cours de la décade suivante, il avait augmenté de 35,6 %76, à la suite de quoi, jusqu’en 1782, il avait stagné. La hausse fut alors constante jusqu’en 1792 (+ 31 %), moment où débuta l’inflation galopante de la fin du siècle. Entre 1794 et 1797, les cours les plus élevés furent atteints, le fer se vendait à plus de 16 livres le quintar77. Cependant, avant de conclure que cette augmentation du prix du fer sur le marché avait décuplé les bénéfices sidérurgiques, comme certains ont pu l’écrire78, il est nécessaire de comparer cette évolution avec celle d’autres produits du marché. Pour cette approche, le choix s’est porté sur trois produits : le blé, la viande de mouton et le sel. Le premier est un produit de base pour toute la population, le second est une production locale puisque seules ont été retenues les références employées sur le marché intérieur, le troisième est un produit d’importation et le prix stipulé comprend le transport jusqu’aux vallées.

32En premier lieu, sur le long terme, il ressort que la tendance inflationniste du début du XVIIIe siècle ne fut pas uniquement une conséquence de la crise de la Guerre de Succession d’Espagne79. En effet, l’arrêt des combats et la proclamation de la Nova Planta se traduisit par un retour des cours normaux pour les produits de consommation courante. Les cours des lingots de fer, à l’inverse, restèrent encore ascendants pendant près d’un quinquennat. Les effets de la guerre de la Quadruple-Alliance conclue en 1718 se firent fortement ressentir sur les exportations de fer après 1717. Cependant, alors que, pour la viande ou les bleds, la tendance était à la baisse, le sel conserva des prix élevés jusqu’en 1743. Sur l’ensemble de la période observée, le prix du fer était généralement sujet à des variations moins brusques que les autres produits, et l’augmentation qui débuta au tournant du siècle n’affecta pas seulement le fer. Tous les produits sans exception furent touchés et l’accélération notée à la fin du siècle fut d’une ampleur comparable pour tous les produits.

33Entre 1700-1709 et 1710-1719, le fer avait perdu près de 9 % de sa valeur par rapport aux autres produits. Par la suite, la tendance varia selon les produits, mais globalement la valeur du fer se réduisit. Au cours de la décade 1750-1759, il valait un quart de moins par rapport aux prix de la viande et du blé établis pour la première décade du siècle. Sur un siècle, le fer avait perdu en moyenne 2,4 % par rapport aux céréales, 26,8 % par rapport à la viande, 31 % par rapport au fromage de brebis et la perte fut encore plus sensible par rapport au marché des estives puisque la hausse séculaire du loyer moyen était de 284 %80. Seul le sel se différencie, le fer avait augmenté de 13 % par rapport au prix du sel livré à Ordino. Ce n’est qu’au moment de la crise de la fin du XVIIIe siècle que la différence fut comblée.

34La crise qui avait débuté avec la Révolution se poursuivit pendant les guerres napoléoniennes et ne prit fin qu’après la Guerra del Francès (1808- 1814). Le retour de Fernand VII clôtura une succession ininterrompue d’épisodes de crises qui avaient maintenu les prix au plus haut pendant un quart de siècle. Plusieurs phases peuvent être différenciées selon les produits observés. Pour le blé, les moments les plus difficiles furent enregistrés en 1794- 1797, 1802, 1807-1808 et 1812, les cours progressèrent respectivement de 144, 165, 125 et 378 % au-dessus des tarifs appliqués au cours de la décennie 1750-176981. Pour la viande, quatre chocs principaux furent enregistrés, seul le premier et le dernier coïncident avec les maxima que connurent les céréales. En 1794, le prix de la livre de mouton valait 194 % de plus que sa valeur au milieu du XVIIIe siècle. Après une baisse d’un tiers entre 1794 et 1801, la livre de viande augmenta de nouveau et reprit 37 % entre 1801 et 1804. Ces deux périodes de cherté sont également enregistrées à Barcelone82. Cet épisode est intéressant car il montre bien que les cours andorrans étaient essentiellement établis par rapport au bénéfice escompté lors de la vente aux boucheries des villes étrangères, et non par rapport à la réalité des vallées, puisque pour la cité comtale la hausse tenait à l’impossibilité d’importer la viande française, alors que l’Andorre était productrice. Deux autres pics, aussi importants que les précédents, furent enregistrés en 1810 et 1812. Le premier représentait une hausse de 165 % par rapport au prix en vigueur au milieu du XVIIIe siècle, le second la porta 190 % au-dessus83. Pour le fer, le contrecoup n’intervint qu’après 1792-1793, en 1794 et 1797. Le quintar augmenta de 72 % entre 1793 et 1794. La croissance fut de 220 % par rapport à la moyenne 1750-1759. Après une période de baisse qui se termina en 1802, la tendance s’inversa et en 1806 le prix avait progressé de 24,4 % par rapport à 1802. Malgré une légère inflexion (moins 10 %), les prix restèrent élevés jusqu’en 1809, puis furent tirés vers le haut jusqu’en 1812-1813 (+ 195 et + 200 %).

35Au cours de cette période, les courbes céréalières andorranes enregistrèrent, à peu de chose près, les mêmes cycles que les courbes languedociennes. Cependant, les années de prix maxima ne correspondent pas forcément. Ceux de 1778, 1789, 1812 s’accordent pour les deux zones, alors que ceux de 1782 et de l’an IX se déroulèrent un an plus tard en Andorre. A l’opposé, en 1772 et en 1792, les cours de la principauté devancèrent d’un an les maxima languedociens. De même, par rapport aux prix catalans, les tendances ne sont pas exactement semblables. Elles sont identiques en 1766, 1773, 1785 et 1789 ; en 1782, 1793-1795 et 1806, il y a un décalage d’un an ou deux puisque les maxima andorrans datent de 1783, 1795-1797, 1807- 1808. Le pic andorran de 1802 est inconnu dans le Principat84. Une différence significative est à noter au cours de cette période de cherté. Contrairement aux pics antérieurs, ceux de 1794 et 1795 sont en partie imputables à la dépréciation monétaire, même si elle ne constitua pas le facteur décisif85. Par la suite, entre 1802 et 1808, elle fut plus importante86. Pour la forge, deux périodes bien marquées sont à différencier. Nous l’avons vu, le début de la crise avait entraîné simultanément une hausse des prix et une forte baisse de la production et des ventes. La reprise eut lieu dès 1798. La forge Areny écoula 24,1 tonnes de fer, puis, en 1801, 72,7 tonnes furent commercialisées, autant qu’en 1784. Une partie de ces ventes s’effectuaient sur les invendus de la période antérieure, mais, dès 1805, la production reprit également. De 1805 à 1812, les forgeurs livrèrent 698,75 tonnes de fer87, soit, en moyenne, 87,3 tonnes par an, à peu de chose près ce que l’on produisait avant le début des crises.

36De 1800 à 1809, la production annuelle moyenne des cinq forges andorranes peut être estimée à 347,7 tonnes qui valaient 111 581 livres88. Les rendements obtenus dans ces établissements avaient continué à augmenter. A la forge d’Ordino, les loupes donnaient entre 130 et 187 kg de fer. Au Serrat, la production était plus réduite (98 à 145,6 kg)89. L’infrastructure était usée et fortement endommagée, cette forge fut quasiment refaite à neuf, au cours du quinquennat 1813-1817. Sa production rejoignit alors les niveaux qu’obtenait la forge Areny90. La production par loupe avait globalement augmenté de 8,5 % par rapport à la période antérieure (1775-1800). Depuis la moitié du XVIIIe siècle, la production avait progressé en moyenne de 44 %. L’augmentation constante du poids des loupes se poursuivit, en 1839, au Serrat, on obtenait en moyenne 178,4 kg de fer par massiau épuré91. Cela est confirmé par la tendance à la hausse enregistrée à la forge Areny. En 1841, les forgeurs produisirent en moyenne 198,4 kg de fer par loupe ; en 1843, ce furent 191,7 kg A cette date, la production du Serrat déclina sensiblement. En 1845, au cours des quatre seules semaines de production, on ne faisait plus, en moyenne, que 158,1 kg de fer par masser. Cette forge était vétuste. Il fallait la rénover. C’est précisément parce qu’il considérait que l’investissement nécessaire à cette réfection était trop important que Josep Plandolit, le mari de Maria Areny, refusa d’y participer92. La forge fut fermée et Rossell décida alors de faire construire la forge de la Massana.

37Sur un plan plus général, au cours de la période 1800-1815, cette évolution se compléta par l’ouverture d’une nouvelle forge qui fut implantée à la frontière entre les communes d’Os et de Sant Julià, dans la vallée de Bixessari93 et par un accroissement de la durée des campagnes de production à la forge d’Andorre qui passèrent de 4 à 6 mois à partir de 180294. Cela eut probablement lieu après la modification de l’infrastructure qui aboutit à la construction du martinet. L’ensemble de ces modifications qui affectèrent l’infrastructure sidérurgique andorrane permet d’estimer que la production andorrane devait tourner alors autour de 600 tonnes par an. En un siècle, la production avait été multipliée par 10.

IV.a.3.2. Le commerce du fer de 1700 jusqu’à la Guerra del Francès

38Au cours du premier quart du XVIIIe siècle, le fer était en partie écoulé au travers du réseau qui avait été établi pour les compagnies commerciales et pastorales. Ainsi, en 1720, Joan Duran, forgeron à Borges Blanques, achetait pour 23,5 quintars de fer à 120 sous le quintar, le témoin de l’acte était le révérend Josep Peig de Bell-lloc, et le fer était stocké chez Blasi Tarros, bailli de Mollerussa95. Il s’agit des mêmes lieux de diffusion que l’on utilisait lors des transactions concernant les équidés (cf. infra). Les dates repères auxquelles on fixait les paiements sont également comparables, puisque la dette contractée par Josep Peig devait être acquittée au cours des prochaines foires de la Saint-Antoine et de la Saint-Marc, c’est-à-dire deux des foires les plus courues pour les ventes de mules. Entre 1702 et 1715, pour le fer, les deux tiers du chiffre d’affaires inscrit dans le livre de comptes 50 de la maison Areny furent écoulés ou payés au cours des trois foires utilisées bétaillères principales96. Sur 25 ans, le volume de vente enregistré fut de 95 tonnes auxquelles s’ajoute une dizaine de tonnes pour lesquelles seuls sont connus les canaux de paiement. Au total, cela représente au plus quatre ans de production pour la moitié de la forge du Serrat que contrôlait la famille Areny97.

39Le type de documents employé pour relever les transactions est à l’image du commerce du fer qu’avait développé la maison Areny en ce début siècle. La moitié des transactions fut inscrite dans les livres de comptes qui servaient au contrôle des compagnies spécialisées dans la vente des équidés98. 16,25 % du volume furent notés dans le dernier livre de salaires employé pour la compagnie pastorale ovine99, 8 % passèrent sur des aide-mémoires et des actes de débit, le reste entrait dans le livre des muletiers100. Ces différences dans l’enregistrement mettent en lumière les trois voies de commercialisation utilisées : la vente à des habitants des vallées qui employaient le fer comme monnaie d’échange, la vente directe via les foires en utilisant les lieux de stockage en plaine et la vente par le biais des traginers. L’essentiel du fer se payait en liquide. Pour s’en rendre compte, il suffit d’observer les comptes des muletiers qui se servaient à la forge. Sur un total de 2 520 livres correspondant à l’achat de 12,5 tonnes de fer, le quart fut payé en liquide, alors que le but premier de l’opération était de ramener des produits sur le marché andorran. Dans les comptes établis directement avec des clients, la proportion de numéraire atteignait les trois quarts de la valeur des lingots. Les produits qui remontaient étaient principalement des denrées alimentaires. On y retrouve du sel, du malvoisie, de l’eau-de-vie, du vin, de l’huile, des fruits secs, du poisson et de toutes petites quantités de sucre et de chocolat. Il est à noter que l’origine des importations de certains produits avait changé, notamment le poisson que l’on importait de Catalogne alors que, au XVIIe siècle, il arrivait du Languedoc101. La destination du fer s’était également modifiée. Le Sabarthès, qui acquérait une partie importante du fer produit à Puntal et au Serrat, ne représentait plus que 0,4 % des ventes.

40Le fer se vendait en Catalogne. Le long de l’axe du Segre, les ventes les plus importantes se faisaient à Doncell, Castellserà, Ivars et Borges Blanques. L’ensemble formé par le sud de la Noguera, le Pla d’Urgell et l’Urgell absorbait la moitié du fer exporté102. Ces villes servaient à la diffusion des lingots vers l’Alt Camp, le Tarragonès et le Segrià, régions où Guillem Areny Torres exporta également 11 % du fer vendu directement depuis Ordino. Une deuxième voie passait par Cardona et ouvrait les régions du Baix Llobregat et du Barcelonès qui représentèrent 12,3 % du fer exporté. Nous retrouvons les deux axes de commerce utilisés pour les compagnies commerciales au XVIIe siècle. De la même manière que pour les paiements des bêtes, certains versements attestent de l’existence d’un flux est/ouest le long de l’axe routier qui unissait Lleida à Barcelone via Igualada. Le fer stocké en Urgell ne partait pas systématiquement vers le sud. Malheureusement, en dehors de quelques paiements qui montrent sans équivoque que certains produits qui parvenaient en Andorre provenaient du Garraf103 ou du Vallès, ce passage n’apparaît pas dans les comptes, puisqu’il s’agissait principalement de revente.

41Au niveau pyrénéen, trois secteurs sont à différencier : l’Andorre, le Pallars et l’Alt Urgell. En Andorre, le fer était quasiment intégralement destiné à l’exportation, et le gros de la distribution se faisait à partir d’un magasin situé à Sant Julià. L’une des transactions les plus répandues était l’échange fer contre sel. Contrairement à la période antérieure, il n’y avait pas de transaction établissant au préalable le rapport entre le prix du fer et celui du sel qu’on allait chercher. Comme pour les autres produits, la maison Areny concédait un crédit gratuit à court terme, puisque le même prix était appliqué aux lingots payés lors de la livraison du fer et à ceux qui l’étaient au retour du transporteur. Le sel provenait de deux endroits : Cardona et Gerri. Pour aller en Pallars, les muletiers passaient par le col du Cantó. En chemin, ils profitaient de ce passage pour laisser des barres de fer au magasin de Noves, afin de disposer d’un approvisionnement au carrefour de la vallée du Segre et de la route du Cantó, et ils en entreposaient également à Rialp ou à Gerri (4,4 % du volume de vente)104. Le dernier secteur de vente pyrénéen, celui de l’Ait Urgell, correspondait précisément à ce secteur de carrefour. L’hôtel de Tost, le magasin du forgeron Arfa, une maison particulière à Anserall et une autre à Vilamitjana servaient de zone de stockage temporaire. Deux types de transactions y étaient effectués : une partie du fer allait à des muletiers qui agissaient à l’identique de ceux d’Andorre – ils prenaient des lingots destinés à l’expédition – le reste allait à des forgerons locaux. Plus au sud, l’hôtel de Ponts servait également à cet effet, mais il avait perdu le rôle prééminent qu’il jouait auparavant. Le déplacement du pôle diffuseur du fer vers le sud, qui avait débuté au cours du second quart du XVIIe siècle, s’était conclu par un recentrage de l’activité sur la plaine d’Urgell.

42Le transport du fer continuait à représenter un investissement relativement important. En 1718, pour un quintar de fer vendu 110 sous à la forge, le tarif augmentait de 5 sous lors de la livraison à Sant Julià (4,5 %). Au même moment, le transport du fer jusqu’au Pla de Sant Tirs ou à Noves valait 13,3 sous et la descente jusqu’à Verdu coûtait 20 sous. Cela représentait 12,2 et 18,2 % du prix de vente initial du fer. Globalement, par rapport aux tarifs appliqués un siècle plus tôt, le coût du transport s’était maintenu105. Un exemple précis de l’impact du transport sur les tarifs est fourni dans les comptes de Thomas Caries, traginer de Sant Julià, en 1718106. Il prit 5 quintars de fer à 550 sous qu’il vendit 700 sous une fois parvenus à Valls. En échange, il prit du vin blanc à 104 sous la charge qu’il livra à 240 sous à Ordino. Les deux produits cumulaient une augmentation de 43,7 % pour un trajet aller-retour de plus de 500 km. À partir de cet exemple, on comprend mieux la multiplication des lieux de stockage tout au long des routes qu’empruntaient les muletiers ; il fallait à tout prix éviter les transports superflus.

43L’importance des liens tissés directement avec des forgerons est l’une des caractéristiques du commerce du fer au cours du premier quart du XVIIIe siècle : 52 % des barres furent acquises directement par ces artisans spécialisés dans la post-production. Au total, 87 forgerons sont mentionnés dans la comptabilité de la maison Areny. La majorité du trafic se faisait dans le cadre d’un lien direct entre le producteur et le consommateur du fer brut. Cependant, certains d’entre eux combinaient une double opération, ils stockaient le fer de manière à en travailler une partie et à distribuer le reste en brut à d’autres forgerons ou à des muletiers. C’était le cas à Doncell, Ivars, Castellserà et Mollerussa. Ce dernier degré de la distribution apparaît rarement dans la documentation, seuls certains paiements en nature permettent de glaner quelques informations. L’importance des paiements en liquide, pour lesquels il n’est pas possible de déterminer d’origine géographique, masque l’essentiel de ce négoce. La réception d’espadrilles, de vin de qualité107 et de malvoisie importés de Valls, d’eau-de-vie et de vin provenant du Baix Camp (Reus)108 ou de certains produits manufacturés provenant de Terrassa, constituent les seuls indices de cet espace plus large dans lequel était diffusé le fer andorran. Les achats de fer directement acquis par des personnes non spécialisées dans le travail du fer qui habitaient Cardona, Verdu, Barcelone ou Tarragona confirment l’impression que donnent les quelques bribes de renseignements fournis par les comptes des paiements. Le territoire de propagation du fer estampillé de la marque Areny s’étendait au sud et à l’est jusqu’à la frange littorale.

44Pour la période suivante (1725-1775), la vente du fer est beaucoup plus difficile à suivre. Les comptes patrimoniaux continus manquent, alors que l’implantation de la structure de production sidérurgique se développe. Cette absence de documentation, très marquée dans le second quart du siècle, laisse place à certaines informations par la suite ; mais ce n’est qu’à partir de 1775 que les volumes commercialisés connus permettent de suivre les axes de commercialisation. Nous ne savons rien de la commercialisation du fer des forges d’Envalira et de Canillo qui, entre 1724 et 1762, étaient louées par des Ariégeois. Joan Fiter Rossell afferma également la moitié de la forge du Serrat à des forgeurs ariégeois (1723-1731). Ces locataires ne disposaient pas d’un réseau de diffusion comparable à celui de la maison Areny ou de la maison Rossell pour vendre le fer dans le Principat. Cependant, pour ces Ariégeois, la location des forges en Andorre pouvait correspondre à un moyen de se rapprocher du marché catalan en évitant un obstacle de poids : la frontière et le poste de douane. L’implantation sur le versant sud de la chaîne correspondrait alors à une volonté d’ouverture vers le marché catalan.

45À ce sujet, l’itinéraire des membres de la famille Astrié d’Ax est intéressant. Fermiers de la forge de Mérens en 1727-1728109 ; ils louaient la forge de Canillo de 1737 à 1742 ; de 1742 à 1751, ils affermaient celle d’Envalira et, en 1755, Joseph et François Astrié d’Ax construisaient, puis louaient, la forge neuve d’Alins dans la Vall Ferrera en même temps qu’ils prenaient la moitié de la location de la forge d’Ainet110. Notons que, en 1737 et 1753, des paiements perçus par le Conseil de Canillo au titre de la location de la forge de Ransol furent acquittés par François Astrié d’Ax. Même si le lien familial n’est pas inscrit dans le document, il est tentant de voir dans cette évolution le développement d’une famille de marchands de fer ariégeois qui, de la vallée d’Ax, passèrent dans les vallées andorranes pour finir par s’implanter en Pallars. L’implantation sur la longue durée de cette lignée de marchands sur le versant sud permet d’imaginer que ce que l’on visait essentiellement, c’était le marché catalan. Par contre, au cours de la décennie 1775-1785, du fer qui partait vers le nord apparaît dans la documentation. Baptiste Bertrand d’Auzat, dit Coupette, et François Teulière de Siguer servaient d’intermédiaire afin d’acheminer le fer acheté par M. Bonnin de Saint-Girons. Les documents consultés attestent de ce passage à partir de 1775, mais il n’est pas possible de savoir s’il avait débuté auparavant. À cette date, le mouvement était assez important pour que de Luppé, qui voyait les muletiers passer devant sa forge de Niaux, entre en contact avec Rossell pour lui proposer une collaboration111. Il lui offrait un stock de 60 quintaux de plates (bandes de fer) disponibles immédiatement, mais aussi toute la production à venir. Fer qui serait, affirmait-il, de meilleure qualité que celui que Rossell prenait en Sabarthès. Il est à noter que ce mouvement commercial vers le Couserans ne correspondait pas à celui qui avait existé jusqu’alors vers l’Ariège. Ces lingots passaient par Saint-Girons pour finir probablement dans les réseaux de diffusion aquitains puisqu’ils étaient stockés à Tarbes. Grâce aux forges andorranes, ce marchand avait trouvé un biais pour s’approvisionner hors de comté de Foix où les marchands toulousains avaient la mainmise112.

46Les lingots et les plates passaient le col de Siguer avec des cohortes de muletiers ariégeois113. L’entretien et le salaire de ces ouvriers étaient à la charge du client, puisque le fer était comptabilisé au même prix que lors de sa vente au détail à la forge. Comme nous l’avons vu, il s’agissait d’une qualité particulière de fer, puisque seul était acheté du fer fort dit cedat (acier naturel)114. Les différentes commandes passées par Bonnin variaient de 625 à 2 500 kg115. La documentation traitant de la commercialisation n’est pas complète. Malgré cela, il est possible de se rendre compte de l’importance du volume d’exportation vers le Couserans, puisque, entre Areny et Rossell, il s’agissait de plus de 67 tonnes de fer, soit près de 25 000 livres tournois116. Une question reste sans réponse : les marchands de fer ariégeois qui louèrent des forges andorranes participaient-ils aux ventes vers le nord ? En travaillant en Andorre, ils produisaient du métal exportable, sans payer de droits, sur un marché qu’ils connaissaient bien, et bénéficiaient de droits de charbonnage relativement moins élevés qu’en Ariège. Les archives consultées ne permettent pas de répondre.

47Cependant, la plaque tournante du fer andorran ne se situait pas au nord de la chaîne pyrénéenne, l’essentiel de la production était écoulé vers le Principat. Deux modifications majeures avaient eu lieu au cours du XVIIIe siècle. La première concernait les clients. La vente au détail, majoritaire au cours du premier quart de siècle, avait laissé la place à la vente à des grossistes. En second lieu, le centre de diffusion du fer s’était déplacé vers l’est. Le fer andorran partait principalement le long de la route du Llobregat. Entre 1775 et 1800, 56 % des lingots finirent dans des magasins situés à Cardona et Igualada. La première ville ouvrait vers le Vallès et le Barcelonès. Le fer était écoulé à Manresa – où existait également un dépôt – Terrassa, Sabadell et Barcelone. La seconde ouvrait la porte à la Conca de Barberà et au Penedès, où l’un des gros clients de la forge était installé à Vilafranca. Cette ville se trouvait également sur l’axe Barcelone / Lleida. Plus à l’est, un autre entrepôt était ouvert à Guissona qui servait à approvisionner le versant oriental du Pla d’Urgell et la Conca de Barberà. L’axe du Segre s’était concentré sur l’Ait Urgell et le nord de la Noguera où se trouvaient deux types de clients : des petits forgerons qui consommaient le fer acheté et des négociants. Dans cette zone, comme c’était déjà le cas au début du XVIIIe siècle, la base de départ du fer vers le sud se situait à Sant Julià et à la Seu.

48Sur l’ensemble des secteurs, le nombre de clients s’était réduit ; le fer se vendait principalement à des négociants qui servaient de pont pour la diffusion du métal. Un exemple un peu particulier, mais qui résume bien la situation, est celui d’un marchand de fer de la Seu, Salvador Sucarrana Pallarola. En 1777, il concéda un prêt de 4 500 livres à Guillem Areny Montargull contre l’exclusivité de la vente du fer pendant quatre ans117. Ce document est particulier car l’acheteur était en position de force, mais globalement l’évolution avait été la même sur tous les secteurs de vente. Les forges traitaient avec des marchands qui avaient remplacé la plupart des petits intermédiaires du début du XVIIIe siècle. Certains de ces acheteurs étaient propriétaires de martinets (Seu, Cardona). Ils revendaient le fer en produits finis ou après dégrossissage des pièces, voire même en brut puisque certains paiements émanant de forgerons implantés sur la frange littorale parvenaient à la forge. La modification du marché du fer avait dû avoir lieu vers le milieu du siècle, puisque, avant 1730, elle n’apparaît pas, et que, après 1750, certains de ces négociants sont déjà présents dans les documents. Par exemple, en 1754 et 1755, Saldoni Grau de Cardona reçut 64,4 tonnes de fer expédiées par Pere Fiter Rossell. La famille Grau joua un rôle important dans la vente du fer andorran et elle ne se limitait pas à l’achat de la production de la seule maison Rossell. À la veille de la Révolution, elle reçut 8,3 tonnes livrées par Rossell. S’y ajoutaient 13,8 tonnes expédiées pour le compte d’Areny, et certaines transactions font référence à Picart d’Encamp, ce qui laisse entendre qu’elle recevait également du fer produit dans cette troisième forge. Le transport du fer était réalisé par des Andorrans et des Catalans. Entre 1781 et 1801, 163 personnes sont mentionnées dans les comptes ; 99 étaient originaires des vallées, toutes les autres venaient de Catalogne. Il n’existe pas de différence marquée entre ces deux groupes. En moyenne, ils transportaient des quantités de fer comparables, et il s’agissait dans quasiment tous les cas de muletiers professionnels.

49La disparition quasi complète de la zone ouest de la Plana d’Urgell, du Segrià et de l’Alt Camp dans les comptes des forges du Serrat et d’Ordino trouve probablement l’une de ses explications dans le développement des forges du Pallars au cours du XVIIIe siècle118. Les barres parvenaient à Lleida par flottage sur le bois d’œuvre. De là, elles descendaient à l’embouchure de l’Ebre, à Tortosa119. Puis, elles remontaient par cabotage jusqu’à Tarragona d’où elles étaient diffusées dans l’arrière-pays. Le long du cours d’eau, les forges du Pallars disposaient de magasins à Gerri, La Pobla, Tremp, Balaguer, Térmens, Barbens, Lleida, Tortosa, Reus et Tarragona. En 1791, un dépôt était ouvert à Cervera. La concurrence de ce fer, qui arrivait à des prix plus bas, peut expliquer ce déplacement vers l’est du marché andorran120. Cependant, il ne faut pas oublier que le pôle diffuseur de l’Ait Urgell (Escaldes121, Sant Julià, Seu), pouvait fort bien alimenter le marché de l’Urgell sans que cela apparaisse dans la documentation. Cependant, les paiements qui arrivaient à la forge semblent confirmer ce recentrage géographique. En effet, la majorité des mentions de paiements effectués par l’un des clients des négociants qui centralisaient le fer exporté d’Andorre concerne les régions définies par la vente du fer. Seuls deux paiements d’une dizaine de livres provenant d’Arbeca et un troisième de Tàrrega sortent de ce cadre.

50Cette géographie recoupe celle obtenue par le regroupement des ventes de fer au cours du premier quart du XIXe siècle. Cardona et la Seu restaient les pôles principaux, mais le rapport entre ces deux villes avait changé. Cardona était passé de 30 % du volume de vente à 16 %, alors que la Seu avait augmenté de 16 à 32 %122. La ville d’Igualada avait perdu de son importance123, alors que, en contrepartie, une large bande aux pieds des Pyrénées avait été revitalisée. Un secteur allant du sud-ouest de la Noguera (Balaguer, Camarasa, Alòs) à la basse vallée du Segre (Ponts, Peremola, Oliana) connut une phase de reprise à partir de 1801124. Au cours de cette période de crise, les forges d’Ordino regagnèrent une partie de leurs anciens clients. Cependant ce phénomène dura moins de dix ans et il disparut au plus fort de la Guerra del Francès (1808-1813). En 1810, coup sur coup, les troupes de Suchet puis celles de Macdonald remontèrent le Segre de Lleida à Balaguer avant de se diriger sur Cervera. Cet épisode eut des conséquences importantes sur les ventes de fer. En 1814, au lendemain des événements, Geroni Cantorell, l’un des meilleurs clients d’Areny et de Rossell à Solsona, faisait savoir qu’il ne viendrait pas passer les comptes à la Seu car les troupes françaises l’avaient ruiné125. Au niveau général, par rapport au dernier quart du XVIIIe siècle, deux autres variations qui affectèrent le réseau de diffusion sont à remarquer : au sud, deux nouveaux dépôts apparurent126, et, au nord, vers le Couserans, l’activité commerciale avait totalement disparu. Néanmoins, il ne faut pas y voir un effet direct des événements révolutionnaires, car les liens avec M. Bonnin avaient disparu dès 1785. Le fer andorran, une fois acheminé jusqu’à Saint-Girons, ne soutenait plus la concurrence avec les fers ariégeois127.

IV.a.3.3. 1825-1863, de nouvelles techniques commerciales

51Par rapport au premier quart du XIXe siècle, le fer trouva de nouveaux débouchés. De 1825 à 1850, il y eut un déplacement vers l’est de la zone d’influence des forges d’Ordino. Les secteurs du Segrià et de l’Ait Camp qui répartissaient le fer vers le Tarragonès disparurent complètement. L’axe du Segre, qui utilisait les centres distributeurs de Peremola, Ponts, Agramunt et Tàrrega, restait actif, mais il ne représentait plus que 7 % du volume des ventes alors qu’il en voyait passer plus de 20 % entre 1800 et 1825. La route du Bages, passant par Tarrasola pour se rendre à Solsona et Cardona, perdit également de sa vitalité. Les dépôts de Manresa et Igualada avaient cessé d’acheter du fer directement aux forges. En contrepartie, plus au nord-est, le fer était expédié à Barcelone, à Granollers et à Mataró. La forge Areny exportait également des lingots vers Vic, et certains achats partirent jusqu’à Besalú, au sud de l’Empordà128. Une tentative d’ouverture d’un magasin de fer à Ripoll eut également lieu, mais elle se solda par un échec, car, une fois acquitté le transport, le revendeur considéra que la marge bénéficiaire était trop réduite. Ces nouveaux marchés totalisaient 12 % du fer exporté, ils ne compensaient pas la perte subie sur les deux axes classiques. Le secteur qui augmenta le plus sa participation fut celui de l’Ait Urgell. La moitié du fer expédié par les forges devait être redistribuée à partir de Sant Julià (12,6 %), de la Seu (33,7 %) ou de Castellciutat (5,5 %).

52Le marché du fer au XIXe siècle est aussi difficile à saisir dans le détail que celui du siècle antérieur. Il est quasiment impossible de savoir ce que devenait le fer exporté. Le dictionnaire géographique de Pascual Madoz livre cependant quelques renseignements utiles. Notamment pour Solsona, il est décrit un bourg qui possédait huit coutelleries qui exportaient dans tout le royaume d’Espagne129. Madoz ajoutait que les forges andorranes avaient fourni 1 200 quintaux de fer à ces fabriques. Ce renseignement a un double intérêt : c’est l’une des rares mentions précisant l’usage du fer andorran, et il permet d’en savoir plus long sur la qualité du métal. En effet, le fer employé pour les lames de couteaux devait obligatoirement être aciéré, un fer doux étant peu approprié pour cette opération. On employait l’équivalent du fer fort qu’achetait le marchand de Saint-Girons au XVIIIe siècle. Cependant, alors que la production ne s’était pas interrompue, la notion de fer fort n’apparaît quasiment jamais dans la documentation du XIXe siècle. Un parallèle peut être établi avec l’évolution du marché ariégeois. En pays de Foix, le développement des fours à cémenter à partir de 1818 se répercuta sur le type de fer que cherchaient à produire les forgeurs. Le fer fort était délaissé pour le fer doux, plus homogène, qui constituait la matière première des fours de cémentation130. Grâce à ce nouveau marché, une partie du marché ariégeois se libéra du joug des marchands de Toulouse : l’acier cémenté se diffusa au niveau national. En Andorre, rien de comparable. Aucune mention, directe ou indirecte, de cémentation. Les forgeurs restèrent fidèles à la manière de travailler du XVIIIe siècle. Le fer fort n’est quasiment pas mentionné dans les comptes, alors que la poursuite du recuit et la surconsommation de charbon constituaient a priori des facteurs favorables à la formation de l’acier naturel.

53Pour la Seu d’Urgell, Madoz décrivait une ville où étaient également installés plusieurs couteliers, mais aussi des serruriers, des cloutiers et, surtout, des fabricants de faucilles et d’outils agricoles131. L’importance de l’outillage agricole dans les débouchées du fer produit par la filière directe est une constante dans les réponses au questionnaire de 1867. Ainsi, pour la forge de Massanet de Cabrenys, « ... casi todo el hierro de estas ferrerías se destina para útiles de agricultura en la provincias de Gerona y de Barcelona... », pour celle de Grau « ... casi todo el hierro se destina a la agricultura... ». Joan Bassols, le propriétaire de la forge de Darnius, est encore plus explicite : « ... todo el hierro que se fabrica en esta ferreria, asi como en las demas de esta provincia, se destina casi exclusivamente á la agricultura, proporcionándola con prontitud toda clase de útiles de mucha duracion por la especialidad del hierro de naturaleza acerosa... »132. La croissance que connut l’agriculture catalane au XIXe siècle ne pouvait que stimuler le marché du fer de forge. La disparition simultanée de toute distinction de qualité de métal, alors que la demande potentielle exige l’emploi d’acier naturel, laisse à penser que l’évolution de la production du bas foyer n’avait pas modifié seulement la quantité de fer obtenue par réduction. Les forgeurs avaient peut-être réussi à mieux régulariser la qualité du fer obtenu. Au XVIIIe siècle, en Ariège, une bonne forge pouvait produire 40 % de fer fort. Au XIXe siècle, pour les forges du Couserans les chiffres vont de 24 à 50 %, certaines produisant même plus de fer fort que de fer doux. C’était le cas de celles de Tourné, de Castelnau-Durban, d’Oust qui précisément avaient conservé le grillage du minerai alors que les premières l’avaient abandonné133. À priori, le cas andorran semble plus proche de ces derniers exemples.

54Dans les transactions du XIXe siècle, la différence de prix ne semble plus directement tributaire de la qualité du métal. En 1841, à la forge Areny, le prix employé pour les ventes en gros134 était équivalent à celui utilisé pour estimer le stock et les invendus. La différence entre ce tarif et celui employé pour les ventes au détail ne fut que de 5 %. Le premier s’était monnayé à 172,5 sous, alors que le second valait de 174 à 183 sous. En fait, l’écart était moindre, puisque le prix moyen du fer au détail fut de 176,5 sous. Ces détaillants, qui ne bénéficiaient pas des tarifs avantageux dont profitaient les gros négociants, ne payèrent en moyenne que 2,3 % de plus. À l’opposé, le fer dit du martinet, qui avait subi une opération de post-réduction, valait 187,5 et 191,25 sous. La différence ne provenait pas de la qualité du fer, mais du travail effectué par le martinéteur. Cette homogénéité du prix du fer en barre, très largement majoritaire dans les ventes, est identifiable tout au long du XIXe siècle. Nous sommes très loin des écarts qui peuvent être calculés pour la période antérieure. En 1807, le fer fort se vendait 260 sous contre 200 sous pour le fer commun (+ 30 %). En 1790, le fer commun partait à 140 sous, le fer au détail à 153 sous et le fer fort à 208 sous (+ 48,5 et + 35,9 %). Pour finir, en décembre 1796, l’écart variait de 51,6 % à 36,3 % selon le client135. Dans tous les cas, la différence atteignait au moins le tiers du prix de base. Les prix appliqués au milieu du XIXe siècle sont attribuables à la mise en place d’une technique commerciale particulière : en comptant le fer d’une manière homogène, le propriétaire octroyait une marge bénéficiaire plus grande à l’acheteur qui le triait. Ainsi, le chaland pouvait adapter le prix de vente selon la qualité. C’était un moyen facile de tirer les prix à la baisse sans véritablement rogner sur la marge bénéficiaire, puisque l’investissement nécessaire pour produire une loupe était identique, quelle que fut la qualité de fer obtenue.

55Les liens établis avec les grossistes se nouaient généralement pour plusieurs saisons, et le propriétaire de la forge privilégiait certains d’entre eux par rapport aux autres. Lorsque, en 1863, la forge Rossell eut des problèmes de liquidité, Francesc Maestre Casadet d’Andorre proposa à Dolors Camerlot, la femme de Joaquim de Riba Rossell, d’avancer l’argent pour payer les salaires des forgeurs136. La réponse de Joaquim fut claire : étant donné que le fer que commercialisait Casadet après le travail au martinet n’était pas aussi bon que celui de Telivet ou Roig, il fallait refuser cette avance, car elle impliquait un monopole de Casadet sur le fer de la forge137. Le mécanisme est décrit avec plus de précision dans une lettre datée du 1er décembre. Il conseillait à sa femme de faire venir Telivet, afin qu’il juge sur pièce de la qualité du fer et qu’il puisse choisir celui qu’il préférait. A la suite de quoi, elle devait convier Roig à faire de même, puis, en dernier recours, elle devait faire venir les frères Codina de la Seu138. Dans un contexte de difficultés économiques, bien qu’il n’intervint pas dans le travail de post-réduction, Joaquim privilégiait les meilleurs ouvriers afin de faciliter la vente à venir du fer de la forge. Garantir la qualité du fer était le meilleur moyen de fidéliser la clientèle.

56Les délais de paiement constituaient également un moyen de favoriser certains acheteurs. Normalement, selon la date du paiement, le prix pouvait varier. Des délais allant jusqu’au semestre étaient courants et, comme c’était le cas au XVIIIe siècle, cette pratique n’était pas considérée comme une vente à crédit. Au-delà de ce délai, le fer entrait dans la catégorie du fer vendu à crédit (ferro fiat). La durée du délai n’était pas la même pour tous les acheteurs. Un grossiste qui s’acquittait de sa dette quatre à six mois après la livraison payait le même tarif tout au long de la saison, alors qu’un petit acheteur était aussitôt considéré comme débiteur et on lui appliquait un prix supérieur, même si les délais consentis étaient comparables à ceux du premier. De fait, le tarif de base fixé à la forge correspondait rarement au prix demandé aux grossistes qui avaient traité directement avec le propriétaire de l’usine. En 1852, par exemple, le prix de base à la forge Rossell fut de 142,5 sous le quintar, les martineurs de la Seu, de Castellciutat ou de Cardona, le recevaient de 135 à 141,5 sous, alors que le fer livré à crédit en début d’année, payable à l’automne, valait de 148 à 168,75 sous. Pour la forge Areny, ces trois catégories furent respectées. On demanda respectivement 153,75 , 157,5 et 168,75 sous.

57La baisse constante du prix moyen du fer, qui débuta au lendemain de la crise de la Guerra del Francès et dura jusqu’en 1850-1854, vint de deux phénomènes successifs. Une normalisation du prix jusqu’en 1825-1830139. Pendant une vingtaine d’années, les courbes des différents produits vendus sur le marché furent concordantes (cf. infra). Après cette date, seul le fer continua à baisser, les propriétaires des forges étant contraints à ajuster leur prix afin de s’adapter aux demandes des grossistes qui tiraient systématiquement le fer à la baisse140. Ainsi, le 27 septembre 1843, Llorenç Allier de Vic faisait savoir à Guillem Areny Plandolit qu’il n’achèterait pas de fer cette année-là car le prix était plus élevé que celui d’autres forges du pays et que, de plus, on prévoyait l’arrivée de fer suédois sur le marché, ce qui rendrait le fer Areny invendable141. En 1845, Anton Alamany se plaignait de la quantité d’invendus. Les forges de la vallée de Ribes de Freser vendaient le quintar moins cher et le fer produit à Malaga inondait le marché. Selon lui, malgré leur qualité supérieure, les clients boudaient les fers andorrans.

58Il faut différencier les deux concurrents du fer andorran sur le marché de l’Osona. Le fer dit de Ribes142 était du fer de forge obtenu par la méthode à la catalane. Dans ce cas, la proximité de la zone de production du métal et celle du marché (Vic) était l’un des principaux éléments entrant en jeu : le fer andorran arrivant de plus loin payait un prix de transport plus élevé. En plus, la forge Areny fixait normalement des prix relativement plus hauts que d’autres forges à la catalane. En 1845, par exemple, sur une base de 153,75 sous applicable aux lingots livrés à la forge, Guillem Areny Plandolit proposait le quintar de fer à 195 sous, livré à Vic. Ce qui équivalait à fixer un coût pour le transport de 26,8 % de la valeur de vente du métal. Ce prix de vente fut aussi celui employé pour le fer livré à Pau Font à Barcelone143. Dans ces opérations, il rognait sur la marge bénéficiaire puisque, deux ans plus tôt, il donnait le fer à 180 sous à Vic et il appliquait le même tarif à celui qu’il donnait à Feliu Comes à Castellciutat ou à Jaume Soler d’Agramunt. Ce prix était même inférieur à celui des ventes au détail (187,5 sous) et invendus inscrits dans le livre de la forge. C’est-à-dire qu’il comptait le port au même tarif pour le transport en Alt Urgell, en Urgell et en Osona. Le transport du fer est l’un des coûts qui évolua le moins sur le long terme. Au moment où les cours du fer furent au plus bas (1845), le trajet à Barcelone équivalait à 26,8 % du prix du quintar. En comparaison, au début du XVIIe siècle, c’était le taux acquitté pour un quintar de fer porté à Organya (8 sous). Ce trajet ne se payait que 13,12 sous en 1876 (7,2 %).

59Les volumes échangés, le transport, la qualité des artisans qui achetaient le fer et les délais de paiements étaient les quatre principaux facteurs qui affectaient le prix de vente du fer. La politique tarifaire appliquée était peu tributaire des coûts de revient. La marge bénéficiaire variait énormément selon ces critères. En 1843, le prix de revient du fer, calculé sur l’ensemble de la dépense, fut de 154,6 sous. Une fois soustraite la valeur du stock de charbon et de minerai, le prix fut de 117,1 sous. En 1845, sur la dépense de la saison, le tarif était de 144,9 sous. Une fois retenue la valeur du stock, le fer avait coûté 112,9 sous. Sur la base du fer qu’il proposait à Alamany, le bénéfice se montait à 36,6 %. Le fer porté à la Castellciutat étant payé 180 sous, le transport 7,5 sous par quintar, le bénéfice était, par conséquent, de 53,3 %. Même si l’on compte l’équivalent d’un an d’intérêt, le bénéfice restait élevé (38,7 %). De fait, généralement, le prix de base fixé pour la vente au détail correspondait à peu de chose près à la valeur du quintar établi sur le total des frais de la campagne, alors que le prix de vente aux négociants s’établissait entre celui-ci et la valeur réelle de la production établie en tenant compte du stock144.

60Dans son étude sur les forges du Pallars, Carlos Mas calcule un prix de vente moyen de 148,34 sous entre 1841 et 1850. À la forge Areny, le prix fluctuait de 172,5 à 180 sous (178 sous de moyenne) ; à la forge Rossell, cela allait de 135 à 172,5 (154 sous de moyenne). De 1851 à 1865, cet auteur calcule un prix de vente moyen de 127 sous. À la forge Areny, il était à 176 sous (de 154 à 202 sous) et, à la forge Rossell, à 154,7 sous (de 135 à 195 sous). Il est clair que le prix de vente était déterminé par de nombreux facteurs indépendants les uns des autres et que la fixation des tarifs tenait plus de la technique commerciale que du strict établissement de la balance financière de la forge. Ce mode de calcul explique, pour une part, la précocité des plaintes de certains clients qui cherchaient à obtenir des tarifs plus avantageux. Pau Font de Barcelone écrivait que, à la forge d’Arbúcies (Selva), le fer se vendait 150 sous et que Pablo Peras de Guissona y avait obtenu une commande de 1 000 quintars de fer à 142,5 sous le quintar145, alors qu’on utilisait du minerai provenant de Málaga ou de Vizcaya. Il met en évidence la compétitivité de la méthode catalane, en même temps que celle de la forge Areny, puisque les prix qu’il mentionne étaient supérieurs de 25 à 33 % aux coûts de production de la forge. On comprend mieux la survivance de cette sidérurgie, que certains dépeignent déjà comme moribonde dès la fin du second quart du XIXe siècle, en s’en tenant uniquement à ces réclamations. De fait, même si l’enchérissement des frais de production était réel, le marché restait suffisamment porteur pour que le fer soit vendu146. Probablement faut-il y voir la conséquence du décalage entre la production et la demande. Une vingtaine de forges était en fonctionnement pour la Catalogne, même si les inventaires publiés jusqu’ici sont probablement incomplets. Cela laissait une certaine marge de manœuvre qui explique les mouvements de contrebande qui, via le Vicdessos ou le Vallespir, fournissaient du fer sur le marché.

IV.b. Minerai et charbon, exploiter le territoire

61Les deux éléments essentiels étaient le minerai et le charbon. Si, pour le premier, les propriétaires des forges dépendaient d’un potentiel minier inextensible sur lequel ils ne pouvaient pas agir, pour le charbon à l’inverse, tant qu’il n’y avait pas de surexploitation (nombre trop élevé de forges), ils pouvaient gérer la forêt et tenter de rationaliser l’exploitation. Les mines requéraient un personnel spécialisé : il fallait savoir lire la montagne, car tous les minerais n’étaient pas utilisables et tous les filons ne méritaient pas le même investissement pour être rentables.

IV.b.1. Les mines aux XVIIIe et XIXe siècles

62Comme au XVIIe siècle, le principal gisement exploité fut celui de la Coma de Ransol. Pour reprendre leur activité sidérurgique, les familles Areny et Rossell durent sûrement remettre en vigueur le droit d’extraction qu’elles possédaient pour l’ancienne forge. Il n’existe aucune trace de contrat ou de paiement qui permettrait de faire le lien entre l’exploitation de cette forge et la commune de Canillo propriétaire du sol.

63Chronologiquement, le premier document connu qui reliait implicitement l’exploitation du minerai de la Coma de Ransol à cette commune date de 1716 : le Conseil communal de Canillo concédait le droit d’extraction à Joan Antoni Torres d’Encamp afin d’alimenter la forge qu’il construisait à Envalira147. Cet acte ne considérait pas la valeur marchande du minerai. La durée et la valeur du contrat ne prenaient en compte que le droit de charbonner la forêt proche de la forge qu’il allait faire construire. En 1724, lorsque la commune de Canillo décida de faire édifier la forge de Ransol, elle se vit contester le droit d’exploiter le minerai de Ransol. Joan Antoni considérait qu’il était l’unique usufruitier légal du sous-sol et ambitionnait de sous-louer ce droit aux futurs concessionnaires de la forge communale. Les juges des vallées statuèrent en faveur de ce dernier et reconnurent son monopole. L’offensive du Conseil ne se fit pas attendre. Au cours d’un Conseil Général, qui réunissait anfochs et casalers, alors que normalement les réunions de la commune ne groupaient que les anfochs, il fut résolu de ne faire aucun cas de l’avis des juges et de louer la forge aux conditions établies par la commune, puisque c’était une affaire qui ne concernait qu’elle. Joan Antoni fit alors appel au juge suprême : l’évêque. Le décret épiscopal de 1725 confirme le droit communal, tant pour ce qui est de la mine que de la forge, mais, en contrepartie, Joan Antoni Torres et ses descendants recevaient le droit de fadiga sur toutes les locations de la forge. C’est-à-dire que, lors de l’établissement de chaque nouveau contrat, ils avaient trente jours pour prendre la location au dernier enchérisseur en offrant un prix équivalent.

64Cette première prise de conscience de la valeur du sous-sol de la principauté par les communes fut assez tardive, puisque, jusqu’à ce moment-là, les concessions n’avaient laissé aucune trace comptable. Ce n’était jamais le prix du minerai qui était envisagé, mais la valeur productive de la forge. Un procédé identique fut utilisé lors de la construction de la forge d’Andorre en 1732. Les frères Raguer de Campdevànol, en même temps que l’autorisation de construction de la fabrique, reçurent le droit d’exploitation des mines qu’ils pourraient ouvrir dans la zone de la Maiana, au sud de la vallée du Madriu. La plus-value recherchée se fondait uniquement sur les ventes de bois et sur le loyer qui entrerait dans l’escarcelle communale lorsque, à l’expiration du bail, le Conseil deviendrait propriétaire de l’établissement148. Cette manière d’estimer la valeur du minerai est encore plus apparente dans certaines ventes de bois à charbonner. En 1759, lors de la vente de diverses zones de forêt, la commune d’Os de Civís octroya, en même temps, le droit d’édifier une forge n’importe où sur le territoire communal et celui d’utiliser les gisements nécessaires. Le concessionnaire, n’avait rien à payer, ni pour la forge, ni pour le minerai, tant que durerait la vente du bois149. Il est manifeste que, pour les communes, l’unique richesse considérée comme vénale et dont on pouvait estimer le prix était le bois.

65La situation différait sensiblement au niveau privé. Les ventes entre forges n’étaient pas rares. Cependant, dans ce cas, ce n’était pas tant la valeur du minerai qui était considérée que le prix de la main-d’œuvre nécessaire pour l’extraction et le coût du transport. Il existe pourtant un nombre limité d’actes qui envisageaient seulement le droit d’extraction du minerai. Ainsi, en 1728, Joan Antoni Torres vendit à la forge du Serrat le droit d’extraire 48 tonnes de minerai. C’est la première fois que le minerai en lui-même acquérait une valeur marchande. En 1741, ce système de revente par une personne privée d’un droit concédé par la commune prit un caractère plus durable. Joan Antoni Torres et Anton Fiter Rossell établirent un contrat selon lequel ce dernier pouvait extraire le minerai nécessaire au travail de sa moitié de forge du Serrat contre 208 kg de fer annuels. La valeur relativement faible de la location et, surtout, l’absence complète de référence à la quantité exploitable montrent que le minerai n’était toujours pas considéré comme une marchandise commercialisable comme les autres. La mine et le minerai ne se concevaient que liés à l’exploitation d’une forge, jamais comme une activité indépendante.

66C’est cette forme de mise en valeur qui fut choisie, en 1776, par la commune de Canillo, lors de l’établissement des concessions minières qui succédaient au contrat d’exploitation de Joan Antoni Torres150. Les contrats établissaient le paiement d’un loyer annuel. Les propriétaires des forges d’Encamp et du Serrat devaient 56 livres chacun151 et celui de la forge d’Ordino en devait 60152. Dans ces actes, comme dans les précédents, la commune ne participait pas à la production du minerai, et l’on n’avait pas cherché à créer une équivalence entre la quantité extraite et le montant du loyer. La commune s’assurait uniquement une rente annuelle fixe.

67La seule exception concernait la forge de Ransol. Tous les contrats de location précisent que la quantité de minerai autorisée quotidiennement ne devait pas excéder celle qui pouvait être transportée en un jour par des muletiers ne faisant qu’un voyage avec, au plus, trois bêtes de bât. Il était également interdit au preneur de créer un lieu de stockage hors de la forge. En fait, le conseil ne cherchait pas à protéger la richesse minière de la Coma de Ransol, la commune limitait les possibilités de spéculation. Les actes concédés aux autres forges qui travaillaient à la Coma suivaient la même tendance, puisque les propriétaires ne pouvaient extraire du minerai qu’exclusivement pour leur forge, et le droit concédé expirait lors de la fermeture de l’établissement concerné. L’établissement des concessions minières de 1776 permit de définir les droits exacts qu’elles possédaient. La nécessité de cet éclaircissement résultait de plusieurs conflits successifs qui avaient opposé les propriétaires des forges depuis près d’un quart de siècle.

68L’expansion de l’activité métallurgique entraîna une hausse de la consommation de minerai. Progressivement, il fallut que s’établissent des relations durables entre les propriétaires et les locataires des forges afin de contrôler l’exploitation des gisements. Nous venons de le voir, le premier lien commercial privé fut tissé en 1741 entre les concessionnaires des forges d’Envalira et du Serrat. Cet acte est intéressant, car il démontre que le gisement qu’exploitait Anton Fiter Rossell s’était appauvri et que les rendements ne suffisaient plus. La forge de Ransol se trouva dans la même situation à partir de 1749, année pour laquelle apparaît l’autorisation de prospecter sur toute la montagne, à condition de ne point gêner les compagnies minières déjà implantées153. Ce besoin de prospecter n’était pas seulement une forme rhétorique, puisque, en 1758, au droit d’extraction de la Collada s’ajoutait celui d’utiliser le secteur de la Llosa. Ces travaux ne durent pas avoir les résultats escomptés154, car, en 1761, le titulaire de la forge de Ransol cherchait à acquérir du minerai. C’était la deuxième concession minière qui se trouvait contrainte de recourir au marché privé. La situation de pénurie devait être préoccupante, puisque, deux ans plus tard, la commune décida de démanteler l’établissement155

69Au milieu du XVIIIe siècle, il y avait trois mines en activité156 et deux mines épuisées, ou en voie d’épuisement, qui avaient été ouvertes dans la Coma de Ransol. C’est à ce moment-là que, contre toute attente, s’ajoutèrent deux nouvelles exploitations, celle de la forge d’Encamp et celle d’Ordino, qui portèrent à cinq le nombre de mines ouvertes à la Coma. Deux phénomènes sont à différencier. Pour les locataires de Ransol, l’arrivée à la Collada s’était faite après l’attribution des trois premières concessions. De fait, cette forge n’avait pas accès au filon principal. Cette situation marginale fut à l’origine des difficultés d’approvisionnement qu’ils rencontrèrent. Pour les autres forges, à l’inverse, c’est la promiscuité autour du filon principal qui posa problème. Le droit d’exploitation permettait d’ouvrir de nouveaux fronts de taille sur le même gisement. Les mineurs ne s’en privaient d’ailleurs pas. La situation décrite, au Conseil des Vallées, le 28 mai 1759, ne laisse place à aucun doute : « ... le manque de respect des règles antiques lors de l’ouverture des mines de fer a induit un préjudice gravissime car il est très difficile d’en trouver dans la Coma de Ransol ; ceux qui voulaient ouvrir une mine se plaçaient là où bon leur semblait sans prêter attention à celles [qui s’y trouvaient déjà], de cela il découle que la dite montagne est toute remuée, quasiment effondrée et mise de si mauvaise manière qu’il est extrêmement difficile, d’en trouver sans avoir recours à une grande dépense... »157.

70Ce document éclaire sur l’état d’esprit qui animait les divers propriétaires. En effet, la rédaction du texte avait été faite depuis le Conseil des Vallées, ce qui montre que la tension était assez vive pour que l’on soit passé au niveau juridique supérieur. Le Conseil établit que nul ne pouvait ouvrir de nouvelles galeries à moins de 15 cannes barcelonaises (42,3 m) d’une bouche de mine déjà existante158. Les mineurs d’une compagnie, qui au cours de leurs travaux suivaient un filon de minerai, devaient immédiatement cesser leur ouvrage dès qu’ils atteignaient la distance limite par rapport à un autre emplacement minier. En 1770, le travail de sape effectué par les mineurs conduisit à l’écroulement d’une partie importante de la mine. Les filons d’Areny et Rossell furent « ... engloutis sous une quantité prodigieuse de terre et de pierres... », s’en suivirent divers procès entre 1771 et 1776159. La commune de Canillo, qui risquait de voir ses prérogatives mises à mal par l’immixtion du pouvoir judiciaire, se trouvait en position de force, puisque c’est précisément cette année-là que prenaient effet les concessions minières attribuées deux ans plus tôt. Elle contraignit les deux propriétaires à instaurer un compromis dont elle avait fixé les règles. Les deux mines concernées étaient unies, le minerai produit et les frais d’exploitation se répartissait en trois parts pour Areny contre une pour Rossell tant que fonctionnait la forge du Serrat. Chacune des parties conservait individuellement le droit d’exploitation accordé par la commune, et tous les actes produits au cours des divers conflits étaient considérés nuls et non avenus. Une procédure fondée sur l’élection d’un seul juge conciliateur par les deux parties fut établie pour la résolution de nouveaux conflits. En aucun cas les concessionnaires ne pouvaient porter le conflit devant les tribunaux ou une autre administration. Ce dernier point garantissait définitivement à la commune de rester seule maîtresse de l’exploitation de la Coma de Ransol. La compagnie ainsi créée perdura jusqu’à la fin du XIXe siècle, et il n’y eut plus de conflit entre les deux familles au sujet des mines160.

IV.b.1.1. Une pénurie de minerai au XIXe siècle ?

71Les campagnes de recherche de filons, tant à l’intérieur des minières exploitées que sur de nouveaux secteurs, entraînèrent la signature des contrats qui connurent le plus grand développement au cours du XIXe siècle. Ils devinrent la règle à la fin de chaque campagne et représentaient, en moyenne, 110 journées ouvrables par an entre 1842 et 1866. Il est possible d’établir une chronologie approximative de l’évolution des prospections réalisées depuis 1800161. Dans un premier temps, le travail se concentra dans la Coma de Ransol. Bien que la documentation ne permette pas de déterminer un lien de cause à effet direct entre les deux, la mise en œuvre de travaux miniers, qui coupaient d’anciennes galeries dans la partie la plus haute de la Collada dels Meners162, montre que le maximum des possibilités d’élargissement de la zone exploitable était atteint. En effet, si les mineurs revenaient sur des zones précédemment abandonnées, c’est que les nouveaux affleurements exploitables dans ce secteur étaient inexistants ou d’un accès trop difficile.

72Le recours à ce procédé de réouverture était facilité par l’adaptation de la réglementation en vigueur. En effet, la nécessité de trouver de nouvelles sources d’approvisionnement avait conduit à autoriser les concessionnaires à posséder deux réseaux ouverts en même temps pour la même forge. Dans la comptabilité des forges, la découverte d’un nouveau filon par une compagnie possédant déjà deux minières impliquait l’abandon d’un des deux filons en activité. Une prospection fructueuse induisait, par conséquent, la fermeture de la mine la moins productive ou la plus difficile à travailler. Ces anciens réseaux revenaient alors dans le domaine public et pouvaient devenir la propriété de celui qui les rouvrait. C’est dans cette optique que des galeries furent ouvertes sur la partie haute de la marge nord du filon principal. Par ces travaux à travers-banc, les mineurs prétendaient atteindre le minerai par un nouveau flanc.

73Parallèlement à la recherche de filons dans la Coma, les mineurs entreprirent des prospections à l’extérieur de cette zone. C’est à ce moment-là (1841-1846) que furent ouvertes les petites galeries de Llorts et de la Cortinada. Elles ne furent pas très productives, puisque, au total, les années où elles travaillaient, elles représentèrent au plus 2 % du minerai reçu aux forges d’Ordino et de la Massana. C’est aussi à cette période (1846) que les maîtres mineurs travaillant pour la compagnie mixte Areny-Rossell commencèrent le creusement du réseau de Sorteny. Les ouvriers tentaient de parvenir au filon principal en passant par le versant opposé de la montagne. Probablement, lors du chantier, les mineurs croisèrent des poches de minerai exploitables, puisque, en plusieurs fois, ils fournirent un peu moins de dix tonnes de minerai aux forges163. Après 1858, l’absence dans les comptabilités de traces de transport d’outillage entre la forge et le site, combinée à la réduction de la production des forges à partir de 1860, laisse à penser que les réseaux du versant de Canillo, plus faciles d’accès, étaient privilégiés. Ce n’est qu’en 1868 que l’on revint ponctuellement sur ce réseau. Puis, jusqu’en 1876, date de fermeture des dernières forges, il n’y eut plus de travaux d’envergure entrepris par les mineurs, les réseaux utilisés restèrent les mêmes.

74La multiplication des ouvertures de mines que connut la Coma de Ransol au long du XIXe siècle ne correspondait pas directement à une augmentation de la demande de minerai, car, après avoir rattrapé, entre 1805- 1815, les niveaux antérieurs à la crise métallurgique de la fin du XVIIIe siècle, celle-ci resta globalement constante. La production de la compagnie mixte Areny – Rossell, qui est la mieux connue, atteignait 1 540 tonnes les meilleures années et ne dépassait pas 280 tonnes pour les plus mauvaises. La moyenne de production fut de 840 tonnes annuelles entre 1802 et 1868. Malgré la hausse de la productivité des forges, la demande globale de minerai resta stable, car la forge de Ransol avait fermé au milieu du XVIIe siècle et celle d’Envalira la suivit en 1776. A partir de cette date, il n’y eut que trois forges qui exploitaient la Coma de Ransol164.

75La recherche de nouvelles galeries n’était pas dictée par une hausse de la demande. Cependant, la notion d’épuisement du gisement, souvent utilisée à ce sujet, est à manier avec prudence, car, si les efforts consentis afin d’élargir les moyens d’approvisionnement en minerai sont patents, il n’a été recensé aucune baisse de production de fer ou de fermeture de forge, même temporaire, en raison d’un manque de minerai. Il est probable que la conjoncture générale eut son importance. En effet, à partir de 1845, lors de la mise en fonctionnement de la forge Rossell à La Massana, la demande globale se réduisit (cf. infra). En conséquence, cela allégea d’autant la demande de minerai. Le point de rupture semble ne jamais avoir été atteint. Lors de la fermeture des deux dernières forges des vallées, le filon n’était toujours pas épuisé, puisque, en 1884, l’ingénieur Thós i Codina considérait que 5 ou 6 000 tonnes annuelles pouvaient encore être extraites à Ransol165.

76Sur l’ensemble de la principauté, seules les forges d’Andorre et de Sant Julià (Moles et Os) connurent des problèmes sérieux d’approvisionnement. La première y remédia très tôt, en traitant avec le propriétaire des mines du Puymorens166. Pour les secondes, on recourut à un approvisionnement mixte. Chronologiquement, le premier minerai utilisé à la farga de Moles provenait probablement d’une mine située dans la vallée de Bixessari167. Par la suite, elle recevait du minerai du Puymorens168. Lorsque la mise en place de la nouvelle législation minière espagnole le permit, ces deux forges se fournirent au filon de Confient au-dessus d’Os, puis aux mines d’Ainet et d’Araós en Pallars169. Dans ce cas, ce n’est pas la peur de manquer qui jouait, mais la recherche d’un abaissement du coût du transport. On cherchait à rapprocher la mine de la forge. Il y eut également un gisement mis à our au-dessus d’Aixovall. Il s’agit de celui de la Cort d’en Rossell que Seferino Thos date de la fin du XIXe siècle. Selon lui, cette découverte tardive laissa cette mine inexploitée170. En résumé, le minerai ne manqua jamais aux forges andorranes. Néanmoins, au XIXe siècle, trois des six forges recevaient tout ou partie de leur minerai de l’extérieur des vallées. Si la pénurie ne s’était jamais faite réellement sentir, la supposée richesse minérale des vallées, qui a servi de fondement à nombre d’approches de la sidérurgie de la principauté, ne semble vraiment pas refléter la réalité.

IV.b.1.2. Mineurs et salaires

77Au niveau andorran, l’évolution des divers réseaux de la Coma de Ransol fit varier les types de contrats utilisés lors de l’embauche du personnel destiné aux mines. L’administrateur de la forge, dit aussi facteur, était responsable de l’embauche des chefs de brigade. Les nouveaux contacts s’établissaient au cours des foires de Siguer, Vicdessos et Tarascon, sinon il s’agissait du prolongement d’un contrat en usage l’année antérieure. Lors de l’établissement de la balance comptable de la campagne d’extraction, les maîtres mineurs donnaient leur parole de revenir l’année suivante. Cette manière de faire était étroitement liée au procédé dit de « l’estime conditionnelle » qui consistait en une évaluation annuelle des nouveaux filons découverts, afin de fixer, entre autres, le nombre d’ouvriers nécessaires à l’exploitation jusqu’à épuisement, et la valeur de la charge de minerai. L’obtention du point d’équilibre entre la somme des estimes et le total du minerai reçu marquait la fin du contrat. Le minerai supplémentaire se payait au tarif en vigueur pour l’estime. Ce procédé était un moyen d’assurer une certaine continuité dans l’exploitation des mines.

78À Ransol, la saison débutait par le dégagement de la neige qui couvrait la plaça dels meners et l’entrée des mines (brocals), puis par l’assainissement des galeries. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’arrivait le gros des mineurs, généralement entre la fin mai et le début du mois de juin. Contrairement à ce qui se passait jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, mis à part les lampes à huile, tous les gros outils qui devaient servir au cours de la campagne étaient fournis par la forge. Comme c’était le cas à Rancié, l’usage de l’explosif, généralement importé via le Sabarthès, n’était pas systématique. Le gros des travaux, qui correspondait à l’extraction de la quantité de minerai estimée, se faisait durant les mois de juin et de juillet. Pendant cette phase, les mineurs étaient payés au poids de minerai livré. Celui-ci devait être d’une qualité directement utilisable à la forge.

79Suivant les années, une vingtaine à une quarantaine de mineurs, répartis en brigades de cinq ou six hommes, étaient engagés par l’ensemble des compagnies minières qui exploitaient la Coma de Ransol. Une grande partie des mineurs quittait la Collada le jour de la Saint-Jacques (25 juillet). Cette fête marquait symboliquement le moment où les mineurs avaient respecté leur engagement vis-à-vis de l’estime. Près de la moitié d’entre eux envisageait alors un retour au pays en vue des travaux agricoles (moisson). Ceux qui restaient passaient sous le régime du travail à la journée jusqu’à fin août, début septembre. C’est à ce moment que débutait la dernière phase de travail. Quelques maîtres mineurs, deux ou trois au plus, étaient payés pour rechercher de nouveaux gisements exploitables qui servaient à fixer l’estime suivante.

80Les brigades qui travaillèrent à la Coma de Ransol provenaient pratiquement toutes du comté de Foix. Les Andorrans ne représentent que 3 % du nombre total de mineurs recensés. Ils disparurent complètement des mines dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, le travail était systématiquement réalisé dans les galeries et nécessitait des connaissances d’ouvriers qualifiés. Par la suite, ils refirent une timide apparition et représentèrent moins de 1 % des contrats enregistrés entre 1817 et 1876. Dans quasiment tous les cas, il s’agissait de mineurs ariégeois ou de descendants de ceux-ci qui s’étaient installés dans les vallées171. Les liens de parenté dans la composition des brigades ariégeoises étaient très importants, et l’on observe la formation de lignées de mineurs qui, de père en fils, travaillaient à la Coma de Ransol, entourés de leurs cousins et neveux. Le procédé utilisé pour les engagements laissait le choix des ouvriers aux maîtres mineurs. À cela s’ajoutait l’exiguïté de la zone d’origine des ouvriers, ce qui facilitait ce phénomène d’endogamie technique. Les chefs de brigade privilégiaient leur famille et leurs connaissances proches. Dans les listes de mineurs qu’il a été possible de compléter, il a été relevé un lien parental avec un autre ouvrier ayant travaillé à Ransol dans 40 % des cas. Une proportion aussi importante, sur des sources documentaires qui n’informent qu’indirectement sur les liens de parenté, cache un rapport probablement encore plus élevé. Géographiquement, les deux zones d’origine les plus marquées furent celles délimitées par les communes de Lercoul / La Ramade et celles d’Olbier, Sem / Goulier qui correspondaient aux communautés qui possédaient les droits d’extraction sur les mines de Rancié. La première fut majoritaire au XVIIe siècle. Elle laissa sa place à la seconde à partir du XVIIIe siècle, six mineurs sur dix provenaient de ce secteur à la fin du siècle. La situation prééminente de cette zone du comté de Foix dans l’origine des ouvriers des mines ne semble pas être une particularité andorrane. C’est également aux mineurs du Rancié que l’on fit appel pour ouvrir les mines qui faisaient travailler les forges du Vall Ferrera172. La zone d’influence professionnelle de ces mineurs s’étendait sur le versant sud de la chaîne et comprenait, au moins, l’ensemble de la région pyrénéenne située entre les cols de la Bonaigua et d’Envalira.

81Pour ce qui est des salaires payés aux mineurs tout au long de la période, le dénominateur le plus important fut la valeur attribuée à la charge de minerai produite. Celle-ci resta relativement stable. Payée 16 deniers en 1737, elle en valait 17 en 1772. Par rapport aux tarifs appliqués entre 1619 et 1629, l’augmentation fut d’un tiers. Proportion qui se réduit à 27,5 %, une fois appliqué le change entre la monnaie française servant au paiement effectif et la monnaie barcelonaise utilisée dans les comptes. L’augmentation de leur salaire avait été inférieure à celle enregistrée par les prix à la consommation. Malgré diverses hausses de salaires, ce ne fut qu’en 1820 que le pouvoir d’achat des mineurs rejoignit la courbe des prix sur le marché. Cette stagnation du pouvoir d’achat au XVIIIe siècle se trouvait corrigée globalement par un second facteur : la croissance de la production. Tant les chiffres d’extraction que ceux de la production des forges, montrent une hausse significative entre 1700 et 1800. Cela se traduisait par une augmentation des gains, puisque le travail se payait essentiellement par rapport à la production. La comptabilité des forges met en évidence un doublement de la somme annuellement déboursée par la forge pour chaque mineur dans la première moitié du XVIIIe siècle. Par la suite, malgré une hausse de la production, le gain par mineur se stabilisa, car l’augmentation de la production n’impliquait plus un allongement de la durée des campagnes d’extraction, une main-d’œuvre plus nombreuse était engagée.

82La hausse du salaire par charge fut plus marquée au début du XIXe siècle. Il était parvenu à 67,5 deniers, en 1810 et était de 80 deniers de 1851 à 1868173, ce qui représentait un doublement du pouvoir d’achat effectif par charge de minerai174. Par rapport au prix du fer, la charge de minerai passa de l’équivalent de 2,4 livres de fer au début du XIXe siècle à 3,98 à la fin du siècle. Les salaires journaliers que percevaient les mineurs suivirent une évolution similaire. En 1786, une journée de mineur se payait 9 sous et, en 1810, elle en valait 22,5. Au plus fort de l’inflation de la Guerra del Francès, les gages journaliers atteignirent 31,8 sous. Après la crise, ils se stabilisèrent à 24,3 sous jusqu’en 1868. En comparaison des autres séries de prix, le minerai et les journées de mineur sont, avec le charbon, les seuls produits dont le tarif était supérieur après 1830 à celui appliqué en 1800-1810. Cette hausse des salaires, qui contribua à l’abaissement de la rentabilité des forges, provenait principalement de la difficulté à se procurer la main-d’œuvre qualifiée. L’augmentation de la demande des forges ariégeoises175, combinée à la baisse de la production des mines de la principauté, rendait le voyage de moins en moins attrayant pour les mineurs. La difficulté de trouver des ouvriers contribua à l’élargissement de la zone de provenance des mineurs. C’est à partir de cette date que la foire de Tarascon prit une importance qu’elle n’avait pas auparavant dans l’engagement des mineurs. Elle permettait d’entrer en contact avec les ouvriers de la zone de Château-Verdun. Les administrateurs des forges pouvaient ainsi compléter les équipes qui avaient déjà été formées. La situation prit un tour préoccupant dans les dernières années de travail des mines. À cette époque, le facteur de la forge devait se déplacer plusieurs fois l’an pour trouver des mineurs, mais, même de cette manière, pour certaines campagnes, les brigades n’étaient toujours pas formées au mois de mai.

IV.b.1.2. Le transport du minerai

83Pendant le déroulement de la campagne d’extraction, mineurs et maîtres mineurs n’étaient pas les seuls à occuper la Coma de Ransol. La ronde des muletiers chargés d’acheminer le minerai jusqu’à la forge débutait normalement en juin et se poursuivait au besoin jusqu’au moment où le chemin d’accès à la Collada dels Meners devenait impraticable. Le nombre de muletiers affectés à cette tâche variait parallèlement à l’extraction de minerai. Ils pouvaient être plus de 130 pour une compagnie lors des années de grande activité, et n’atteignaient pas la quarantaine pour les campagnes les plus réduites. Leur nombre n’était pas proportionnel au nombre de concessions ouvertes, car ils travaillaient indifféremment pour l’une ou l’autre des compagnies au long de la même campagne. Une distinction très marquée se faisait entre deux groupes de muletiers. Il y avait ceux qui étaient originaires de la vallée d’Ordino, qui ne travaillaient presque exclusivement qu’avec les forges de cette vallée (Serrat, Areny et Rossell), et ceux qui provenaient du bassin du Valira d’Orient qui ne portaient du minerai qu’à celles de Canillo176 et d’Encamp. Il est à noter que, au XVIIIe siècle, parmi ces muletiers, le second groupe par importance était composé de muletiers ariégeois. Ils représentent 7,3 % du total des ouvriers qui avaient travaillé avec les forges d’Ordino et de La Massana. Certains passaient la saison complète dans les vallées, d’autres profitaient du fait qu’ils venaient chercher du fer pour éviter de faire un voyage à vide. Cette différenciation entre les muletiers professionnels et ceux dont ce n’était qu’un travail d’appoint est évidente dans les comptes. Elle affectait tous les groupes géographiques représentés. Ainsi, en 1784, pour transporter 516,3 tonnes, on employa une cinquantaine de muletiers. Si l’on convertit le salaire perçu par ces ouvriers au tarif payé pour un journalier, cela représentait selon les cas de 1,6 à 493 journées de travail177. Les quinze principaux muletiers, parmi lesquels il n’y avait aucun andorran, chargèrent les deux tiers du minerai.

84La production totale de minerai à la Coma de Ransol au cours du XVIIIe siècle reste difficile à chiffrer. Avant 1763, si l’on considère que les forges de Ransol et d’Envalira utilisaient des quantités de minerai équivalentes à celles qu’extrayait la forge du Serrat, il pouvait s’agir, annuellement, au plus de 800 tonnes. L’accroissement de l’extraction enregistrée à la fin du siècle permet d’estimer que la production globale de la Coma de Ransol fut approximativement de 23 000 tonnes dans le dernier quart du XVIIIe siècle et qu’elle variait de 800 à 1 100 tonnes par an178. La consommation pour les quatre forges qui exploitaient la Collada au XIXe siècle peut être estimée à un peu moins de 58 900 tonnes de minerai179, alors que, pour les mines de Llorts et de la Cortinada, la production avoisina 150 tonnes. Ces chiffres fournissent un aperçu du marché salarial que pouvait représenter le transport de la mine. Au tarif employé pour la livraison aux diverses usines, les forges du XIXe siècle injectèrent approximativement 399 000 livres catalanes sur le marché en 76 ans180. Si on y ajoute les 36 années de travail de la forge du Madriu et la consommation des forges de Moles et d’Os qui fermèrent en 1861, une simple estimation, fondée sur le nombre d’années et la dépense moyenne annuelle pour les quatre premières forges, permet d’estimer que le transport de la mine en principauté représenta au moins 667 600 livres en 76 ans.

85Nous l’avons vu, au XVIIIe siècle, une partie importante du minerai produit à Ransol était transportée par une minorité de muletiers ariégeois. Le mécanisme ne changea pas au XIXe siècle. Ainsi, en 1852 et 1853, 144 muletiers livrèrent 732 tonnes de minerai à la forge Areny. Les trois quarts de ceux-ci portèrent moins du quart du minerai (183 t), tandis que 35 d’entre eux chargèrent le reste (556 t)181. Cependant, une différence importante entre ces deux périodes est à noter. Après 1814, l’essentiel du transport passa aux mains des Andorrans. Aux forges Areny et Rossell, entre 1845 et 1876, quasiment tout le minerai fut porté par des transporteurs originaires de la haute vallée d’Ordino182. La moyenne des chargements par muletier et par campagne au XIXe siècle fut de 5 tonnes, alors que dans la seconde moitié du XVIIIe elle était supérieure à 8 tonnes183. La différence ne provient pas du changement d’origine des muletiers. Les transporteurs ariégeois, qui venaient en Andorre avant 1815, chargeaient jusqu’à 8 mulets par voyage et pouvaient transporter jusqu’à 25 tonnes de minerai par campagne. Des chiffres comparables existent pour des muletiers andorrans au XIXe siècle. Mais, en contrepartie, on observe une forte progression du nombre de traginers non spécialisés. Au XIXe siècle, pour la plupart des muletiers, le temps consacré à la forge n’excédait pas une semaine de travail et représentait une valeur équivalente à une dizaine de journées de travail agricole. Pour ces transporteurs, ce travail n’apportait qu’un salaire d’appoint. Le rapport entre muletiers professionnels et occasionnels s’était inversé. Pour ce contingent non spécialisé, il n’est pas rare de trouver la mention « ... il paiera en portant du minerai... » accolée à l’enregistrement d’une vente de produits alimentaires. Cette sorte de prêt constituait un moyen de s’assurer une main-d’œuvre stable et peu onéreuse184, alors que, pour les familles les plus démunies, c’était la possibilité d’accéder au marché sans être obligé de passer par le numéraire. L’ensemble des plus petits comptes de transporteurs, qui parfois correspondait au chargement de minerai à dos d’homme185, entrait dans tous les cas dans ce type de liens tissés entre le maître de la forge et certains travailleurs pour lesquels la possibilité de transporter du minerai n’était qu’un expédient. Nous le verrons, cette modification tient en grande partie au changement économique que connut la principauté.

IV.b.2. Forêt et charbonnage

86Lors de la création d’une forge, la possibilité de posséder une concession de charbonnage était fondamentale. L’autorisation de fonder la forge d’Envalira du 15 mai 1716 s’accompagna un mois plus tard de l’engagement pour 60 ans de la forêt de l’artich de l’Hoster, de celle de la vallée du Forn et du gisement de Ransol pour 165 doublons186. Le minerai n’ayant pas vraiment de valeur marchande à cette époque, Joan Antoni Torres recevait par conséquent un droit de charbonnage de 60 ans pour 15,4 livres par an. La forge d’Andorre constitue un cas identique. Pour 287,5 doublons, les frères Raguer de Campdevànol obtenaient le droit d’exploiter les forêts de la Vall dels Orris et de L’Estall, jusqu’à épuisement des arbres existant lors de la signature de l’acte. Comme, en 1787, les descendants obtinrent une prolongation de sept ans que couvrait le paiement initial187, sur 61 ans, cela avait correspondu à un versement annuel de 26 livres. A titre de comparaison, les frères Raguer louaient parallèlement l’estive de l’Estall à 15 livres par an : sur cette période cela représentait 56,8 % du montant de l’acte initial188.

IV.b.2.1. La vente des secteurs de forêt

87En 1745, lorsque la commune de la Massana vendit divers secteurs de forêt à Guillem Areny Gallart, l’acte suivit un schéma identique189. Le preneur pouvait construire une forge gratuitement, et la vente prenait fin à épuisement du couvert forestier existant lors de la signature. La superficie octroyée était considérable, des secteurs de coupe furent délimités dans la vallée d’Arinsal, de Pal et de Setúria. La commune de la Massana ne revendit du charbon à la maison Areny que 55 ans plus tard190. Au cours de cette période, elle exploita ces secteurs sans discontinuer pour un prix total de 1 250 livres, soit moins de 23 livres par an191. Seul, l’acte de Canillo précisait la durée d’exploitation. Pour les deux autres, celle-ci dépendait directement du fonctionnement de la forge : moins elle produisait par saison, plus la concession durait. Ces ventes ne considéraient pas de bénéfices directs pour la commune à moyen terme et, dans les trois cas, le droit de charbonnage fut délivré pour alléger le passif communal. A Canillo et à Andorre, l’intégralité de la somme servit à la rémission d’un censal que les communes payaient à la Maison des Vallées192. Pour le cas de la Massana, 61 % du montant de l’acte servit à se libérer d’un censal de 100 doublons de capital que la commune payait à la famille Areny depuis 1711. Dans cet acte, le Conseil avait hypothéqué la forêt et le droit de minerai sans aucune limitation tant qu’elle ne solderait pas sa dette193. Lorsque, en 1745, Guillem acheta le droit de charbonnage, les ¾ de la somme acquittée correspondaient aux rentes perçues et à celles que la commune devait. Pour le reste, il disposait d’un délai de 12 ans pour liquider son compte194.

88Cette position de force fut également celle qui prévalut en 1759, lorsqu’il acheta le droit d’établir une forge dans la commune d’Os. Guillem Areny Montargull prit à sa charge les dettes municipales contre le droit de charbonner sur le versant occidental du Pic du Covil (Alt Urgell). La superficie concédée devait être estimée par trois charbonniers et correspondre au montant de l’acte. Il y avait par conséquent un rapport direct entre la quantité de charbon que l’on allait produire et le prix acquitté195. L’un des points qui se révéla important pour la suite des événements fut l’octroi du droit de préemption (fadiga) sur les futures ventes qui se feraient dans cette commune. Au cours des mauvaises récoltes successives de 1764 à 1766, Guillem fit livrer du blé et avança de l’argent au regidor d’Os196. Au total, en 1766, le montant total de la dette se montait à 2 200 livres. Les habitants d’Os ne possédant pas la propriété directe des communaux qui dépendaient de la royauté, ils n’avaient que le droit d’exploitation197. Dès lors, le seul interlocuteur était la famille Areny, puisqu’il fallait qu’elle renonce à son droit de préemption pour qu’un autre acheteur puisse se présenter198. Grâce à sa position de force, elle obtint l’élargissement du secteur octroyé en 1759 aux forêts du Turoner et de la Collada de Montaner.

89Ce droit s’ajoutant à la fadiga reçue en 1745 sur les forêts de la Massana, elle se trouvait dans une situation privilégiée par rapport à ses concurrents. Ceux-ci se plaignaient de concurrence déloyale. Pere Fiter Sellera, copropriétaire de la forge du Serrat, accusait le Conseil communal et les quarts de la Massana de s’adresser directement à lui lorsqu’ils voulaient vendre du bois, alors que, normalement, la vente devait se faire aux enchères publiques, et le détenteur du droit ne prenait le dessus qu’en proposant le même prix que l’offre la plus haute. Pere Fiter estimait que la commune recouvrait au plus 6 deniers par charge, alors qu’aux enchères elle eut pu obtenir quinze fois plus199. Sa requête fut acceptée et le Conseil lui garantit qu’il serait prévenu quatre jours avant, lorsqu’il y aurait des projets de vente. Pere Fiter cherchait avant tout à faire respecter cette règle par les quarts200. En s’adressant au Conseil communal, il plaidait devant un organisme supérieur qui avait les moyens de faire respecter les règles. Cette volonté s’explique facilement, les ventes ponctuelles faites par ces localités constituent l’essentiel des actes qu’il utilisait pour faire fonctionner sa moitié de la forge du Serrat. Dans un premier temps, comme pour les actes communaux, les ventes des quarts ne portaient que sur des portions de forêts sans mention de durée ou de quantité. Par exemple, en octobre 1742, à Ordino, Joanna Adellach Rossell reçut une judicació estimée à 12 livres201. Le terme utilisé montre que, pour ces ventes, on appliquait un modèle similaire à celui des terres qui était peu adapté aux ventes de droits de charbonnage.

90Cette manière de faire est sensiblement la même que celle utilisée pour les locations de la forge de Ransol. La commune se réservait le droit de délimiter les secteurs de coupe, le charbon ne pouvait être revendu, mais il n’était fait aucune référence aux quantités exploitables. Une fois les enchères closes, le nombre de charges réellement produites dépendait uniquement des besoins de la fabrique. C’est exactement le même type de contrat que l’on appliqua pour la forge d’Andorre à partir de 1794, date à laquelle eut lieu la première véritable location202. Cependant, au fur et à mesure, les actes devinrent plus précis. Ainsi, en 1751, lorsque Pere Rossell et Guillem Areny Gallart se répartirent quatre quartiers à d’Ordino, il était précisé que les coupes devaient être exploitées en 18 ans203. En 1813, le quart d’Arinsal spécifiait qu’elles devaient se faire en 6 ans, à 56 deniers par charge produite204. Dans ce type d’exemple, il n’y avait pas d’estimation préalable du volume de production effectué par des charbonniers. A l’inverse, en 1829, la commune de la Massana octroyait à la maison Areny le droit de charbonner, en dix ans, 1 280 tonnes à 4 000 livres sur six grandes zones de charbonnage205. Cette évolution affecta l’évolution des prix des droits d’abattage. Au cours de la première moitié du XVIIIe siècle, compte tenu qu’une forge consommait plus de dix tonnes de charbon par semaine et que la durée des actes était fort longue, le tarif par charge peut être estimé à quelques deniers206. Une situation similaire prévalait en Pallars : en 1758, la collectivité d’Arraós vendait à la famille Castellarnau le droit de charbonnage exclusif 6 deniers la charge207. En Andorre, de 1750 à 1800, sur un total de 7 724 charges reçues à la forge du Serrat pour lesquelles le prix du droit de charbonnage est précisé, il fut payé 16,5 deniers par charge208, alors que, pour la période 1800-1850, 5 019 charges furent acquittées à 61,9 deniers. Comme pour le minerai, les communes étaient en position de force, elles revalorisaient leurs ressources.

91Au XIXe siècle, une différence, tenant essentiellement à la nature des paiements employés par les acquéreurs apparut dans les actes. Désormais, la vente de forêt servait à augmenter le pécule communal. Par exemple, en 1829, Maria Areny paya 3 524 livres en liquide et céda trois censals qu’elle recouvrait à la commune de la Massana209. Grâce à l’augmentation de leurs revenus, notamment par les locations d’estives, les communes ne dépendaient plus directement des propriétaires des forges. Cette nouvelle indépendance est illustrée par l’utilisation que des communes firent du produit de certaines ventes. Le 22 juin 1847, la commune de Sant Julià répartissait sur la population les bénéfices obtenus grâce aux ventes de forêts approvisionnant les forges d’Os et de Moles210. Une première fois en 1837, puis une autre en 1847, la commune d’Andorre agit de même211. À Sant Julià, 3 900 livres furent réparties à un onze (30 livres) par maison, ce qui équivalait au droit de 80 charges de charbon. En Andorre, on répartit 20, puis 37 pesettes par feu fiscal. Respectivement, il fut distribué l’équivalent de 30 et 52,5 charges de charbon212.

92L’autonomie financière croissante des communes, qui se traduisait par une augmentation sensible du prix du charbonnage et un durcissement des clauses stipulées dans les actes, modifia la façon d’agir des maîtres de forges. Ce fut le cas en 1829 pour une vente qui se fit en deux étapes. Le 28 juin, le droit était octroyé à Maria Areny Jordana, en vertu du droit de préemption qu’avait obtenu sa famille en 1745. Le 20 novembre, lors de la rédaction de l’acte définitif, deux acheteurs étaient mentionnés : le mari de Maria, Joseph Plandolit, et Bonaventura Riba Guillaumes, le mari de Francesca Magdalena Fiter, qui s’engageaient à prendre un quart du charbon. Alors que cinquante ans auparavant, Pere Fiter demandait à être mis en concurrence avec Guillem Areny Gallart, en 1829, leurs descendants s’étaient mis d’accord pour se répartir le droit de charbonnage. En établissant un accord privé, ils évitaient de devoir surenchérir l’un sur l’autre et limitaient ainsi la hausse des prix213. Ils appliquèrent le même mécanisme en 1842, lors d’un nouvel achat de 18 000 charges, puis en 1844, lors de celle de 30 000 charges à la commune d’Andorre214. Ne se trouvant plus en position de force par rapport aux communes, les propriétaires de forges optèrent pour l’association. Ce mécanisme porta ses fruits, puisque, de 1829 à 1856, date à laquelle finissait l’acte d’Andorre, le tarif du droit de charbonnage applicable à ces trois secteurs de coupe fut identique : 5 sous par charge.

IV.b.2.2. Forêt, charbonnage et charbonniers

93La documentation andorrane traitant du charbonnage est relativement pauvre. Les secteurs à charbonner étaient divisés en cabanades, c’est-à-dire le secteur de coupe et celui d’implantation des meules. Un représentant de la commune ou du quart et un charbonnier pour l’acheteur allaient délimiter la zone d’installation des meules. Les objectifs des deux parties divergeaient. Le charbonnier privilégiait les secteurs proches de la forge, afin de réduire le coût du transport, alors que le représentant du Conseil cherchait avant tout à exploiter la totalité du secteur octroyé et à éviter les risques d’incendie. Cette sectorisation de la forêt impliquait le droit de construire des chemins d’accès et, parfois, c’était la commune qui en choisissait le tracé.

94La création de ce réseau de chemins était l’un des points sur lesquels les intérêts des pâtres et des charbonniers se retrouvaient, mais ce n’était pas le seul. En effet, les ventes de droit de charbonnage ne concernaient pas uniquement la coupe des arbres : elles pouvaient également viser l’exploitation du seul bois mort. C’est ce que l’on appelait la rastolla. C’était ce droit que délivrait systématiquement la commune de Canillo215. Alors que généralement, on oppose les bergers et les charbonniers, dans ce cas, le travail de ces derniers préparait le terrain aux troupeaux. Ce rôle est mis en avant dans l’acte qui fut conclu avec la collectivité de Romadriu. Le texte précise que « ... le couvert est si épais, que les montagnes ne servent qu’à élever des fauves [...] si ce n’était pas le cas, elles pourraient produire de grands pâturages qui seraient fort utiles à la collectivité... »216. Cette complémentarité est également évidente sur le terrain. Les prairies d’altitude exploitées au XIXe siècle par les bergers à l’Estall Serrer (2 070 m) et au Pla de l’Ingla (2 190 m) sont parsemées de charbonnières. En effectuant des coupes blanches, les hommes du bois avaient préparé le terrain pour l’implantation de ces prés d’altitude. Les travaux de Jérôme Bonhôte ont parfaitement démontré l’interaction entre les deux types d’exploitation et l’abaissement du timberline. Cependant, cette étude qui s’étend sur diverses vallées (Ascou, Aston, Orgeix) met également en lumière des différences marquées selon le secteur géographique étudié217. Pour l’Andorre, cette étude détaillée reste à faire.

95En 1741, la commune de Canillo précisait que les meules de rastolla devaient faire de 15 à 20 charges de charbon (1,2 à 1,6 tonnes)218. Pour les coupes blanches de la forge d’Andorre, en 1796, les meules devaient produire plus ou moins cent charges (8 t)219. Il est évident que, sans sortir du domaine montagnard, la taille des meules variait grandement selon les secteurs d’exploitation. Celle des cabanades variait également énormément d’un secteur à l’autre. Ainsi, en 1829, à la Massana, les cabanades étaient comptées à 250, 500 et 750 charges220, ce qui correspondait à ce que l’on désignait par une cabanada d’un, de deux et de trois charbonniers : comprenons une, deux et trois brigades de charbonniers, puisque l’engagement de ceux-ci se faisait de la même manière que pour les mineurs. L’essentiel de la main-d’œuvre provenait de l’Ariège, l’administrateur de la forge se déplaçait aux foires de Tarascon et de Foix pour rencontrer les chefs de brigade et ainsi engager le nombre de charbonniers prévu selon les secteurs que l’on avait décidé d’exploiter.

96Le salaire des charbonniers était basé sur trois phases de travail : le charbonnage, le transport et la carbonisation. En 1737, le contrat de Joan Marfany de Siguer stipulait que les 10 sous tournois par charge se répartissaient de la manière suivante : un tiers pour le bois taillé laissé au pied de la souche, 17,5 % pour le transport jusqu’au replat de la charbonnière et la moitié pour le montage des meules et la carbonisation221. Le salaire des charbonniers n’était pas uniforme, chaque responsable de cabanada discutait le tarif selon la difficulté que présentait le secteur à travailler. Ainsi, en 1785, Pierre Picamal de Burgal de Seros en Barguillère avait obtenu 62 deniers catalans par charge produite à Pal, mais on lui ajoutait 4 deniers pour celles obtenues au Desenroc, zone plus éloignée et d’un relief plus tourmenté222. Il est probable que la possibilité de monter de grandes ou de petites meules devait entrer en ligne de compte, mais cela n’a pas pu être déterminé clairement. Le salaire des charbonniers, comme les droits de charbonnage, furent tirés à la hausse au cours du XVIIIe siècle. Si l’on fait la moyenne des salaires par charge pour les périodes 1725-1750, 1750-1775, 1775-1800, les émoluments des charbonniers furent respectivement de 52 – 48 – 85 deniers223. Notons que ce mouvement ne se démentit pas par la suite. Pour le XIXe siècle, en 1800-1825, 1825-1850 et 1850-1875, les moyennes furent de 135, 105 et 140 deniers.

97Le transport du charbon jusqu’à la forge constituait l’une des parties importantes de la dépense. En 1745, les 36 deniers payés pour le transport du charbon équivalaient à 40,5 % de la valeur de la charge224. En 1756, toujours sur des secteurs relativement proches de la forge, le charbon produit à Resalí valait 86 deniers, et celui que l’on fit à la Rabassa arrivait à 120 deniers. Le salaire des charbonniers étant de 60 deniers, le transport représentait 53,3 et 50 % de la valeur de la charge225. Pour ce même établissement, en 1782, le charbon fut livré depuis la haute vallée de Rialb, de la Cortinada, de Sornàs et du col d’Ordino, le prix du transport fut respectivement de 45 – 52 – 60 – 90 deniers. La façon payée à 96 deniers et le droit de charbonnage à 8 deniers, le transport équivalait à 30,2 %, 33,8 %, 36,6 % et 46,4 %226 du prix. Il est à noter qu’en un demi-siècle la part de salaire correspondant aux traginers s’était relativement réduite. Le transport des charges produites dans la haute vallée représentait moins du tiers du prix total de la charge livrée au Serrat, alors qu’un quart de siècle plus tôt il en valait la moitié. Pour le charbon arrivant du col d’Ordino, le montant réglé pour le transport était le double, mais en contrepartie la distance entre les meules et la forge avait triplé. La répercussion sur les coûts de production était moindre malgré l’éloignement des cabanades. Contrairement aux charbonniers qui avaient obtenu une augmentation réelle de leurs émoluments, les traginers, dans l’ensemble, gagnaient plus parce qu’ils travaillaient davantage. Cette tendance s’amplifia au XIXe siècle. De 1736 à 1876, l’augmentation du prix du transport, établi à partir du volume total de charbon transporté, fut de 650 %. Alors que, avant 1775, l’essentiel du charbon provenait des secteurs mitoyens de la forge qui le consommait, à la fin du XIXe siècle, la proportion s’était inversée. Pour la forge du Serrat, les zones de coupe se déplacèrent dans le secteur sud de la commune d’Ordino ou à la Massana. Pour la forge Areny, aux zones de la Massana et d’Os, exploitées depuis la seconde moitié du XVIIIe siècle, s’ajoutèrent celles d’Andorre qui étaient également utilisées pour les forges de la Massana et d’Encamp.

98Pour les forges du Serrat, d’Ordino et de La Massana, en 140 ans (1736-1876), le salaire moyen des charbonniers avait progressé de 175 %, celui des transporteurs de 633 %, et le tarif des droits avait augmenté de 1 100 % par charge. Le bilan établi en tenant compte des volumes de production par cabanada permet de réduire sensiblement cette augmentation. Elle fut de 100 % pour les charbonniers, de 430 % pour les transporteurs et de 660 % pour les droits. Dans une tendance généralisée à la hausse, les propriétaires des forges avaient privilégié les secteurs les moins affectés. La part des honoraires réglés aux charbonniers s’était réduite de moitié. Celle des droits avait doublé, l’essentiel de la hausse du prix de la charge tenait à la variation du prix du transport qui était passé de 27 % à 43 % du montant acquitté par les forges. Ces constatations doivent être mises en rapport avec l’évolution du prix du fer. Après une période de forte inflation entre 1808 et 1814, pendant laquelle l’augmentation de la matière première fut partiellement compensée par celle du métal227, le prix des lingots décrut régulièrement jusqu’en 1850-1855. À ce moment-là, le prix de la matière première enchérissait fortement les coûts de production. L’évolution des cours moyens du charbon sur un siècle permet d’établir, que, au milieu du XIXe siècle, le prix de la charge en équivalent fer était de 50 % supérieur à celui des années 1750228. Il ne faut pas s’y tromper, cet enchérissement n’est pas attribuable à une pénurie de matière première. La réévaluation des tarifs s’était combinée à une gestion plus poussée du couvert forestier. On ne faisait plus de ventes massives et l’on préservait les quartiers pour les saisons suivantes.

99Pour ce qui est de la répartition des gains entre les titulaires des quartiers et les autres charbonniers, le traitement comptable par chef de brigade rend les choses moins précises. Le conseil de la commune de Saurat décrivait la situation en 1765 : « ... il y a dans comté la moitié plus de charbonniers qu’il ne faut pour exploiter le peu de bois qui sont dans la province, ... que cette moitié surnuméraire s’en allait tous les ans travailler quatre mois en Espagne, qu’ils y gagnaient dans ce temps de quoi payer les charges de l’état, de quoi nourrir leurs familles et vivotaient le reste de l’année en travaillant en France...229 ». Le tableau pessimiste que dresse ce conseil ne semble pas cadrer avec les chiffres obtenus à partir des règlements faits par les forges andorranes. Selon le change appliqué à la livre tournois et le prix fixé par charge, pour les périodes 1723-1730, 1747-1780, 1800-1810 et 1840- 1850, la fourchette des salaires fut respectivement de 94 / 110, 125 / 175, 225 / 475, 218 / 500 livres tournois pour une campagne. Même en tenant compte de l’inflation230, ces chiffres montrent qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un salaire permettant de vivoter comme l’affirment les membres de la collectivité de Saurat231. L’importance que revêtait, pour ces collectivités ariégeoises, la possibilité d’effectuer cette migration saisonnière est mise en évidence par le refus d’obtempérer aux ordres lorsque le passage de la frontière était interdit232.

100Une différence est à noter, sur l’ensemble de la période 1736-1876, les charbonniers andorrans fournissaient toujours de petites quantités, alors que, pour les Ariégeois, ces petites coupes se rajoutaient au gros œuvre réalisé sur un autre quartier. Ces derniers venaient pour une saison complète, alors que les habitants des vallées n’utilisaient cette possibilité que comme complément. Cependant, si l’on s’en tient au niveau des salaires obtenus par les charbonniers, il semble probable qu’il s’agissait également d’une différence dans la spécialisation des ouvriers. De 1800 à 1815, un berger, selon son ancienneté, gagnait de 32,5 à 50 livres annuelles, et la moyenne pour les charbonniers était systématiquement supérieure à 160 livres par saison. Si la technicité du travail avait facilement permis de changer les ouvriers, il est vraisemblable que les habitants de vallées n’eussent pas permis que ce secteur d’activité leur échappât. Les charbonniers qui arrivaient du comté de Foix provenaient essentiellement de trois secteurs géographiques : le proche Vicdessos, la vallée de Saurat et la Barguillère. S’ajoutait un nombre réduit d’ouvriers venant du Massatois et de la région de Foix (Montgailhard, Celles). Cela est confirmé par E.F. Dralet en 1813, tous les ans, 500 charbonniers des cantons de Foix, Tarascon et des Cabannes quittaient l’Ariège pour aller travailler en Andorre ou en Catalogne233. Dans les forêts du Pallars, leur présence est également une constante234. Pour l’Andorre, les autres charbonniers, ceux qui ne provenaient pas d’Ariège, étaient engagés en Andorre, essentiellement dans les communes d’Andorre, la Massana et de Sant Julià, en Alt Urgell et dans la Vall Ferrera.

101Sur 682 charbonniers mentionnés entre 1736 et 1876, seuls 67 n’étaient pas originaires d’Ariège235. Ce chiffre ne correspond pas à la totalité de la masse salariale, seuls les responsables des cabanades apparaissent dans les comptes. Ainsi, en 1853, pour produire 590 tonnes, les comptes ne mentionnent que onze ouvriers, alors que si l’on se fonde sur la répartition communale utilisée pour délimiter les secteurs de coupe, on employa au moins trente charbonniers236. Cependant, comme la formation des équipes regroupait généralement des personnes originaires du même lieu, voire même des membres de la même famille237, il est probable que l’absence dans les textes des charbonniers non titulaires ne modifie pas significativement l’évolution générale que l’on peut observer.

102Progressivement, au cours des XVIIIe et XIXe siècles, l’origine des charbonniers se modifia. Alors qu’un peu plus de 60 % des travailleurs venaient de la vallée de Vicdessos238 dans la première moitié du XVIIIe siècle, ils n’étaient plus que 13 % au XIXe siècle. Ils avaient été supplantés par ceux originaires de la vallée de Saurat (16 %)239 et, surtout, par ceux provenant de l’ancien Consulat de Foix. La Barguillère240 totalisait quasiment les deux tiers des contrats établis entre 1816 et 1876. Le nombre de charbonniers andorrans augmenta également et atteignit près de 10 % des mentions. Cependant, ces chiffres, obtenus à partir du nombre de personnes citées, faussent probablement les choses. Les Andorrans travaillaient toujours dans des secteurs réduits ne demandant que peu de main-d’œuvre, alors que, pour les travailleurs extérieurs, les cabanades étant plus grandes, une seule mention recouvrait plusieurs engagements. Ce mouvement ne semble pas affecter seulement les forges d’Ordino et de la Massana. En 1858, à la forge d’Os, il y eut quatre cabanades de charbonniers originaires de Barguillère pour une originaire d’Os241. Les charbonniers, cités comme témoins dans les actes de vente des quartiers dans la commune de Sant Julià destinés aux forges de Moles et d’Os, étaient quasiment toujours originaires de Saurat ou de la Barguillère. De même, ceux qui travaillaient pour la forge d’Encamp et qui apparaissent dans les comptabilités provenaient des mêmes lieux242. Les charbonniers natifs du sud de la principauté, essentiellement de l’Ait Urgell, méritent une mention spéciale. Alors qu’ils représentaient 17 % des charbonniers cités au XVIIe siècle, ils disparurent quasiment totalement des comptes au XVIIIe siècle. Un retour, même réduit, de la main-d’œuvre urgéllitaine au XIXe siècle fut un moyen de pallier les difficultés ponctuelles rencontrées pour trouver des travailleurs ariégeois. Il est probable que leur rôle devait être plus important aux forges de Moles ou d’Os où ils devaient jouer un rôle comparable à celui que tenaient les Andorrans pour les fabriques des vallées d’Ordino et d’Encamp.

103Contrairement à ce qui est observable pour le charbonnage, en ce qui concerne le transport du combustible, la systématisation du droit de fadiga sur les places de travail fut un moyen efficace d’augmenter le nombre d’Andorrans qui étaient engagés. La réglementation communale à ce sujet se précisa. Dans un premier temps, seule était octroyée la priorité aux habitants du cru, par la suite, dans la seconde moitié du XIXe siècle, on couchait sur l’acte de vente le montant du salaire, par charge transportée, que devait payer le propriétaire de la forge. En 1829, la commune de la Massana incluait une clause qui lui permettait de faire transporter le charbon aux frais de l’acheteur243. En 1842, le Conseil de Sispony précisait que les habitants du quart avaient la liberté de porter le charbon. La même année, la commune de la Massana précisait qu’ils devaient être préférés aux étrangers, et, en 1844, celle d’Andorre réservait le transport aux habitants qui voudraient y participer244. En 1858, à Sispony, le quart fixait directement le prix du transport dans l’acte de vente245, ce procédé fut repris par celui de la Massana en 1868246. Ces mesures communales visaient à bloquer toute tentative de baisser les salaires, car, en cette fin du XIXe siècle, les propriétaires de forges cherchaient systématiquement à abaisser les coûts de production. Elles furent accompagnées d’une nouvelle règle : les gages devaient obligatoirement se payer en argent liquide. Les propriétaires ne pouvaient plus obliger les ouvriers à accepter du fer en paiement de leur travail247. Les difficultés rencontrées dans la vente du fer avaient profondément modifié le marché. De plus, dans une situation économique moins profitable, le besoin premier des salariés était l’argent qu’ils pouvaient facilement convertir en denrées.

104Comme ce fut le cas pour le transport du minerai, après la Guerra del Francès, les muletiers ariégeois qui venaient porter du charbon pour les forges andorranes disparurent et furent supplantés par des transporteurs locaux. L’impact du droit de fadiga sur la répartition géographique des places de travail est évident. Ainsi, pour la forge Areny, au cours des campagnes 1852 et 1853, les habitants d’Ordino, la Massana, Andorre et Os transportèrent la plus grande partie du charbon produit dans leur commune248. Cependant, pour les quartiers éloignés de la forge, seuls des muletiers professionnels étaient engagés. Une conclusion s’impose : le droit de fadiga était largement utilisé, mais il n’avait pas les mêmes conséquences selon les secteurs. Pour les cabanades proches, cette prérogative favorisait un groupe relativement important d’habitants, alors qu’elle laissait place à un mouvement salarial bien plus spécialisé lorsqu’il s’agissait de forêts lointaines. Le rôle de complément dans l’économie familiale, que pouvait jouer l’acheminement du charbon pour les forges dans les secteurs limitrophes, était remplacé par un marché contrôlé par des muletiers professionnels sur les autres secteurs. Cette distinction apparaît dans les salaires. Sur les cabanades d’Ordino, le salaire moyen perçu par les muletiers locaux était de 10,5 livres, alors qu’il était de 52 et 56,25 livres pour les muletiers professionnels qui allaient chercher le charbon à Os et à Andorre. Cela les place tout de même largement derrière les charbonniers, puisque les 12 cabanades avaient requis 38 charbonniers qui avaient reçu en moyenne 106 livres (265 livres tournois). Néanmoins, en un été, les transporteurs gagnaient autant qu’un berger vétéran toute l’année.

105De plus, aux gages obtenus grâce au charbon, ces muletiers spécialisés pouvaient rajouter des gains obtenus par le transport du minerai. Sur ces deux années, 32 % des muletiers ayant travaillé à Ransol furent également engagés aux charbonnières. La majorité des salariés qui avaient bénéficié d’un contrat mixte (mine / charbon) constituent le noyau de ceux qui chargèrent des sacs exclusivement aux charbonnières les plus éloignées de la forge, à Os et à Andorre. L’un dans l’autre, la moyenne de leur salaire atteignait 110 livres par campagne, le double de ce qu’encaissaient les individus ayant travaillé au transport du minerai. Les observations réalisées pour ces deux années de comptes sont similaires pour les autres années de comptes249, et la répartition des salaires est comparable pour d’autres forges. Pour la forge d’Os, en 1858, sur les coupes effectuées dans la forêt de la Rabassa et de la Peguera à Sant Julià250, les muletiers d’Os mentionnés au transport du minerai touchèrent en moyenne 51,2 livres pour le transport du charbon, alors que ceux de Sant Julià qui portèrent uniquement du charbon perçurent 16,7 livres. À la forge Areny, le type de paiement confirme la différence entre ces salariés. Pour tous, une partie du salaire correspondait à des achats effectués, au cours de la période d’engagement, à l’échoppe de la forge ou auprès des hôteliers. Pour les plus petits contrats, il était fréquent que l’achat ne correspondit pas à des frais effectués au cours de la campagne de production, mais à une dépense souscrite avant celle-ci. Par exemple, une vente de céréales faite en plein hiver se soldait fréquemment par une mention du type : « il paiera en portant du charbon » ou, plus simplement, « il paiera en travaillant ». Même si les chiffres sont beaucoup plus réduits que ceux obtenus pour la forge de Puntal au début du XVIIe siècle, la commercialisation de produits de première nécessité au travers de la forge n’était pas insignifiante251.

106Au niveau local, la forge était devenue un élément important dans l’économie de certaines familles. En 1852-1853, 109 habitants de la commune d’Ordino travaillèrent au transport pour la forge d’Ordino252, alors qu’il y avait 133 maisons dans la commune. Les salaires versés par Guillem Areny Plandolit représentèrent 31 fois le montant de la questia payée par cette collectivité au cours de ces deux années253. Si l’on se réfère à l’estimation démographique réalisée par Lidia Armengol, 11,7 % de la population furent employés par la forge254. Cet auteur considère que trois générations cohabitaient sous le même toit255. Si l’on fixe de manière arbitraire qu’il y avait, en moyenne, un enfant en bas âge et une personne trop âgée pour travailler, le taux par rapport à la population « active » peut être estimé à 16,4 %256. Bien évidemment, ce taux se réduit dès que l’on considère les autres communes. À la Massana, il y eut 30 traginers pour 138 maisons257, et ils ne furent que 4 pour 228 à Andorre. Cependant, il n’y avait pas que cette forge en activité, les salaires des traginers n’étaient pas les seuls à se répercuter sur le marché local.

IV.c. Le poids spécifique de la sidérurgie en Andorre

107En 1815, six feux étaient en activité dans la principauté ; pour une région neuf fois plus petite que le département de l’Ariège, cela représentait a priori un potentiel de production équivalant à 14 % du nombre de feux existant en Pays de Foix258. Au même moment, il y avait seize forges en activité dans les Pyrénées-Orientales259. La proportion était encore plus importante sur le versant sud de la chaîne, puisque, à la fin du XVIIIe siècle, il y avait vingt forges en fonctionnement sur la totalité des Pyrénées catalanes260, dont quatre se trouvaient en Pallars261. À l’autre bout de la chaîne, en Guipúzcoa et Vizcaya, en 1791, il y avait plus de deux cents forges en activité qui employaient la méthode de réduction directe. En 1802, ces deux régions produisaient 118 285 quintales machos (8 433,7 tonnes)262. En Cantabria, vingt-huit ferrerías étaient en activité et elles donnèrent 26 000 quintales machos (1 853,8 tonnes)263. Par conséquent, bien que réduite, la production andorrane n’était pas insignifiante, notamm5ent sur le marché catalan. Mais quel était l’impact de la sidérurgie sur la société andorrane ?

IV.c.1. La forge et le patrimoine communal

108Les propriétaires des établissements privés faisaient partie du groupe des anfochs, ils appartenaient à des lignées de grands propriétaires terriens qui possédaient également des cheptels importants264. Pour les deux forges communales, celle du Madriu fut dirigée par une famille de forgeurs catalans quasiment tout au long du XVIIIe siècle, les frères Raguer. Pour la forge de Canillo, entre 1724 et 1761, il y eut dix locations successives : cinq de ces locations furent contractées par des maîtres de forges provenant d’Ax265, les autres le furent par des habitants des vallées. Comme pour les propriétaires de forge, il ne s’agissait que de maisons d’anfoch. Les campagnes de 1746 à 1749 furent arrentées par Guillem Areny Gallart d’Ordino. Les quatre autres locataires furent tous originaires de Canillo266, ils faisaient partie des principaux preneurs d’estives et étaient systématiquement parmi les dix principales maisons imposables de la commune267. Si l’on en croit le mécanisme employé pour louer aux Axéens, les locataires locaux n’étaient probablement pas les véritables preneurs de la forge. En 1737, elle était officiellement louée par Bartumeu Babot, mais celui-ci la confiait aussitôt à Jérôme Astrié d’Ax. En 1749, Bonaventura Pelliser sous-louait à Jean Baptiste Bonneri, et, en 1752, Esteve Call Regi faisait de même pour Honorat Bonnel. Cette pratique de sous-location expliquerait pourquoi on ne retrouve ces locataires andorrans dans aucun autre document traitant de près ou de loin de l’activité sidérurgique. Une explication probable est fournie par l’inventaire de la forge d’Envalira de 1751. Le concessionnaire du gisement de la Coma de Ransol, Joan Antoni Torres, possédait le droit de préemption sur la forge communale, uniquement si le preneur était étranger à la commune268. Par conséquent, en louant à des membres de la collectivité, on contournait le droit de préemption sans aller contre la décision imposée par l’évêque d’Urgell. Il est à noter que l’intérêt que portaient les ariégeois aux forges andorranes ne se limitait pas uniquement aux forges communales. En 1723, Francesc de Llar, alias Rossell d’Ordino, clôturait les comptes de la location de la forge du Serrat qui avait été prise par François Pujol dit Miquelot des Cabannes. En 1727, pour la même forge, le preneur, Jérôme Buc, s’engageait à livrer quatre quintars de fer par semaine de travail. Puis, en 1762, Pierre Verdier de Villeneuve d’Olmes prenait la moitié de la forge de Moles pour 475 livres et, en 1769, Jean Baptiste Bonneri, père et fils, négociants de Tarascon, louaient la saison d’Ordino et les demi-saisons du Serrat et d’Encamp pour 3 000 livres269. À Canillo, de 1724 à 1761, les loyers se montèrent à 10 856 livres pour 35 années de location270, soit 310,2 livres annuelles, ce qui équivalait à peu de chose près au montant de la questia bisannuelle payée par cette commune et à 59,5 % du montant recueilli par le biais de la location des cortons271. Entre 1724 et 1733, le loyer s’éleva à 111 livres par an ; en 1734-1737, il passa à 250 livres. La tendance à la hausse se poursuivit jusqu’en 1753-1754, moment où le bail fut fixé à 811 livres l’an. Le loyer avait augmenté de 630 % par rapport au premier contrat, de 224 % par rapport au second272. En valeur fer, cela équivalait à 1-2,3 et 7,7 tonnes.

109Le contrat de location débutait le jour de la Mare de Deu d’août (15 août). Mais cette date semble surtout correspondre à un repère coutumier, on la retrouve à la forge d’Andorre273 ainsi que dans des contrats agraires et des embauches salariales. En 1749, le document précise que la forge commençait à travailler le 21 ou le 22 septembre. C’est également la date fixée pour les campagnes de 1753, 1754 et 1761. Il semble par conséquent que la forge travaillait essentiellement en automne, on produisait pendant trois mois et demi à Ransol. Cette durée est cohérente avec les chiffres de la forge du Serrat et c’est à peu de chose près celle des campagnes faites à la forge du Madriu274. En 38 ans, le volume de production de cette forge peut ainsi être évalué à 1 144 tonnes. La valeur marchande de ce métal est globalement onze fois supérieure au montant cumulé des loyers.

110Mis à part une explication fondée uniquement sur l’accumulation des dettes contractées par les locataires qui ne semble pas être un facteur essentiel275, la décision de démanteler la forge de Ransol résulte du cumul de deux autres facteurs. En premier lieu, la politique minière déficiente menée par le Conseil communal de Canillo s’était traduite par un manque chronique de minerai. En second lieu, s’ajoutait une volonté farouche de ne concéder aucune coupe blanche. Les actes rédigés en 1754 et 1758 établissaient que la location durait jusqu’à épuisement des quartiers sur lesquels on octroyait le droit de bois mort. Ce procédé de charbonnage explique la différence importante de superficie entre les quartiers concédés pour une saison à Ransol et ceux que l’on peut observer pour les forges privées qui achetaient un droit de coupe blanche. En 1761, les dégâts occasionnés par une coupe illégale furent estimés à 20 doublons, ce qui représentait 55 % de la valeur annuelle de la location. Si le locataire avait enfreint la règle au risque de déclencher les foudres du Conseil, c’est que les limites de l’exploitation avaient été atteintes. Cette commune était celle qui déclarait le plus de gros bétail non transhumant et celle qui encaissait le montant le plus élevé pour les estives. Dans ce contexte, elle privilégia la protection de ses ressources pastorales et évita de réinvestir dans une forge qui rencontrait de gros problèmes d’approvisionnement en matières premières.

111Pour la forge d’Andorre, les actes de location établis au XVIIIe siècle précisent que la forge produisait pendant quatre mois. C’est-à-dire 17 semaines par saison, 408 réductions. Ce n’est qu’au XIXe siècle que les campagnes furent rallongées à six mois. Le premier acte de location de la forge du Madriu fut pris par Joseph Raguer de Bellver (Cerdagne) pour quatre ans à 2 520 livres, 630 livres annuelles, ce qui représentait la valeur de 2,7 tonnes de fer par an276. En équivalent fer, ce tarif est comparable au loyer que l’on payait pour la forge de Ransol en 1738 (2,84 tonnes) et sensiblement inférieur à celui que l’on paya pour le bail de 1741 (3,2 tonnes). Le locataire suivant fut Valentí Planes Tor, de Bellver, qui la loua jusqu’en 1802 à 725 livres annuelles, l’équivalent de 2,6 tonnes de fer277. La hausse du loyer avait été couverte par celle du fer. Le prix de vente moyen sur ces 6 ans fut de 233 sous, alors qu’il était à 193 sous durant la location antérieure. Au cours de ce bail, il semble que Valentí ait été associé avec les frères Raguer, puisque les anciens concessionnaires travaillaient à la forge, mais nous ne savons rien du lien qui les unissait à Valentí Planes. Cependant, l’association entre ces deux familles n’était pas nouvelle, puisqu’en 1769 ce sont Miquel Raguer et Pablo Planes qui avaient loué en commun la forge de la Llosa278.

112Les locations de la forge du Madriu comprenaient la forge forgeant, le mall, une maison d’habitation aux Escaldes, un couvert auprès de la forge et le cortó de L’Estall Serrer279. Le locataire obtenait la possibilité de faire travailler la forge, celui d’exploiter les coupes de bois délimitées par la commune, d’utiliser le droit d’extraction aux mines du Puymorens, de prendre de l’argile pour le bas foyer et de couper du bois d’œuvre pour les réparations de la forge et des marteaux où il le voulait sur le territoire de la commune. Cette forge se trouvant aux limites des estives, la réglementation concernant les bêtes de bât y était importante280. Contrairement à la forge de Ransol au XVIIIe siècle, le locataire de celle d’Andorre obtenait le droit d’effectuer des coupes blanches. Mais le règlement visait la conservation du pouvoir de régénération du couvert forestier. Les charbonniers ne pouvaient pas couper les jeunes pins, et certains arbres adultes étaient épargnés afin de servir de semence281. À l’intérieur même des quartiers, certains secteurs étaient vedats : c’est-à-dire que les arbres ne pouvaient y être coupés. Cette mise en defens n’avait pas comme seul but de permettre la reprise de la forêt, elle servait principalement à conserver des secteurs dans lesquels le bétail qui estivait en haute montagne pouvait s’abriter en cas de mauvais temps. L’usage pastoral de ces zones de defens correspondait aux droits de retour sur les communaux qu’avaient les bêtes qui paissaient sur les emprius ou sur les cortons au cours de l’été. Une dernière clause traitant de la coupe des arbres revenait systématiquement dans tous les actes : il fallait tailler les arbres à trois pams (60 cm) du sol et le locataire ne pouvait exploiter les souches. La commune se réservait la production des torches (teia).

113L’une des caractéristiques des actes traitant de la forge d’Andorre était la règle qui voulait que le travail y soit fait « ... à la catalane, de la même manière que les autres forges à la catalane... »282. Cette règle, qui apparaît pour la première fois dans un texte en 1796, fut reprise dans les baux de 1806, 1812 et 1818. Ce type de référence n’a pas été recensé une seule fois dans la documentation consultée à propos des autres établissements sidérurgiques. Cette seule mention de forge à la catalane inscrite dans un texte notarié semble correspondre à la connaissance livresque que possédait le notaire, Thomas Palmitjavila Picart d’Encamp. Cette expression était née hors du monde sidérurgique catalan, mais celui-ci l’adopta relativement rapidement283. Même si, au milieu du XIXe siècle, l’emploie de cette terminologie dans le milieu sidérurgique de la péninsule ne correspond pas encore a la définition du procédé. En 1866, les réponses au questionnaire des douanes espagnoles sont sur ce point révélatrices : la forge de Massanet de Cabrenys et celle de Grau, équipées de marteaux hydrauliques et de trompes étaient dites « ferreria a la catalana », comme celles de Vega et du Cerezo (Burgos) qui fonctionnait avec des soufflets. Il en était de même avec les 24 forges de Navarre alors que le mécanisme d’insufflation était tantôt une machine à piston, tantôt des soufflets, et qu’il semble que la chaîne opératoire différait, puisque les équipes de travail étaient composées de cinq membres à Burgos et en Navarre, alors qu’ils étaient huit en Catalogne284. Le terme à la catalane était employé comme synonyme de réduction directe ; les réponses des propriétaires de ces fabriques sont regroupées sous la rubrique des forges « ... que obtienen directamente el hierro dulce o maleable... » en opposition aux hauts fourneaux qui forment un chapitre à part. L’utilisation de ce terme dans les écrits du notaire andorran dès 1796 peut correspondre à un reflet de l’érudition de l’écrivain plus qu’à une information technique : elle illustre son adoption dans le vocabulaire pyrénéen. Cette hypothèse expliquerait l’absence complète de cette expression dans les autres documents traitant de la sidérurgie andorrane. Les seules personnes qui n’avaient aucun besoin de caractériser leur système de travail étaient les forgeurs.

114L’exploitation de la forge d’Andorre rapporta 19 665 livres catalanes en 31 ans de location de 1792 à 1836. Rapporté au prix moyen du fer des différentes années que couvraient ces baux, cela représentait l’équivalent de 76,8 tonnes de fer. Tous les locataires qui louèrent la forge après l’expiration du bail de Valentí Planes furent des Andorrans. Le premier, Jaume Cerqueda, paysan de Santa Coloma, prit la forge de 1802 à 1805285. Par la suite, de 1806 à 1836, ce furent Romà Duran, puis son fils Romà Duran Carloset, négociants de la maison Guillemo d’Andorre286. Le premier contrat en 1802 se fit au lendemain de la forte crise qui affecta la vente du fer au cours du dernier quinquennat du XVIIIe siècle. Cet acte est le premier qui porte la mention du pré de la forge où avait été édifié le martinet. Par rapport au loyer que payait Valentí Planes, le tarif en argent baissa de 55 % et passa de 725 à 322,5 livres l’an. La tendance s’inversa entre 1806 et 1809, ce bail fut le plus élevé de la période. Romà Duran s’engagea à payer 1 100 livres par an, l’équivalent de 4 tonnes de fer. Par rapport à la location prise par Jaume Cerqueda, la hausse fut de 241 % en argent et de 200 % par rapport au prix du fer. Dès le contrat suivant (1810-1814), le loyer se régla à 700 livres l’an. Le loyer en argent s’était réduit de 36 %, ce qui représente une baisse de 42 % par rapport au prix du fer287. En valeur fer, avec 2,5 tonnes de fer par an en moyenne, ce loyer était comparable à ceux qui avaient été en vigueur pour cette forge entre 1794 et 1801. A partir de ce moment-là, malgré une diminution constante du loyer qui dura jusqu’à la fermeture de la forge, la valeur de la location resta stable. En 1836, Romà Duran Carloset payait 570 livres annuelles (2,6 tonnes de fer). Les affirmations de déclin de la forge fondées sur la seule valeur nominale de la location ne tiennent pas l’épreuve des faits. Cependant, sur 45 ans, les contrats conservés dans le fonds communal ne couvrent que 29 ans. Si l’on se réfère aux comptes communaux, la balance comptable correspond à peu de chose près à la somme des loyers, puisque les entrées financières enregistrées au titre de la forge se montèrent à 19 814 livres ; 302 livres de plus que ce que totalisent les contrats de location. Faut-il en conclure que la forge ne fut pas exploitée au cours des périodes non couvertes par ces locations (1814-1818 et 1822-1832) ou s’agissait-il de contrats différents ? L’argent des loyers était-il entré dans la caisse communale sans être enregistré dans les comptes courants ? Aucun renseignement fourni par les archives ne permet d’être catégorique.

115De 1792 à 1836, la commune d’Andorre loua ses estives pour 18 066 livres. Le loyer des deux hôtels-boutiques d’Andorre et des Escaldes donnèrent 5 471 livres. A cette époque, la forge représentait, par conséquent, 45 % des revenus communaux288. La somme obtenue grâce aux loyers de la forge fut en partie répercutée sur la population. En 1839, la commune préleva 1 074 livres sur les deniers de l’arxiu qu’elle distribua aux chefs de maisons de la paroisse289. Le même mécanisme fut utilisé en 1847 pour répartir 1 721 livres. Cette fois, une partie de l’argent provint de la vente de bois de charbonnage, notamment celle signée en 1844 avec les propriétaires des forges Areny, Picart et Rossell290. Cette même année, la commune de Sant Julià fit la même chose. Les 130 maisons recensées reçurent un total de 7 800 livres. Si, pour la paroisse d’Andorre, la première distribution équivalait à 5,4 % des loyers de la forge, puis, en 1847, à 22,9 % de la vente de charbon de 1844, à Sant Julià, la somme déboursée égalait 58 % de l’argent récupéré par la commune grâce aux diverses ventes de charbon établies entre 1837 et 1847291. Dans cette paroisse, les gains obtenus grâce au charbonnage atteignaient 70,8 % de l’avoir du conseil, qui avait recouvré 13 279 livres de droits de charbonnage, 3 654 livres de loyers pour l’hôtel-boutique, 1 714 livres pour celui du moulin292 et 102 livres pour celui de l’estive des Fenerals – la seule que louait la commune à cette période. Proportionnellement, la redistribution fut supérieure à Sant Julià et la sidérurgie y joua un rôle plus important qu’à Andorre. Ce mécanisme de redistribution fut appliqué pour répondre à la pression du baix poble293 qui devait faire face à une situation économique délicate. Le 7 mai 1837, le peuple avait demandé de l’argent pour aider les pauvres. Le 13 mai 1838, il sollicitait de pouvoir gérer directement la forêt de la Rabassa, principale pourvoyeuse de coupes. La proposition du baix poble était simple : la commune devait donner son consentement afin que chaque famille puisse exploiter le couvert forestier, à tour de rôle, pendant huit jours consécutifs294. Ces demandes se firent dans un contexte particulier : la guerre avait éclaté dans l’état voisin295 et une cherté céréalière affectait la principauté. Les prix avaient atteint leur cours le plus bas en 1827-1828, pendant l’épisode du soulèvement des malcontents296, par la suite les tarifs doublèrent. Fixés à 120 sous en 1829 par la commune d’Andorre, ils étaient à 150 sous en 1831, puis 260 sous en 1833. Après un léger répit en 1835 (152,5 sous), les prix repartirent à la hausse dès la récolte suivante. En 1836, le blé était de nouveau à 217,5 sous la charge et, sur le marché privé, il dépassa 250 sous l’année en 1837297. Les tarifs restèrent au plus haut jusqu’en 1840, moment où les troupes carlistes, qui rendaient difficile l’approvisionnement, repassèrent la frontière française. En 1841, la charge était redescendue à 135 sous en Andorre. Elle était à 126 sous en 1842 et se vendait à 127,5 sous sur le marché privé298. La population avait pris acte de la nouvelle richesse que représentait l’approvisionnement des forges en matières premières. Tandis que, au XVIIIe siècle, les demandes populaires visaient essentiellement l’exploitation ou les dividendes obtenus des estives, au XIXe siècle, elles s’étaient retournées vers la forêt. La politique financière des autorités communales avait profondément changé le rapport entre les diverses entrées financières. Alors qu’au XVIIIe siècle, pour une paroisse comme Canillo qui possédait une forge, la sidérurgie ne fut qu’un complément de l’économie communale, au XIXe, la forge avait pris un poids prépondérant. La hausse des profits communaux ne tenait pas uniquement à la diversification des sources de revenus. Au cours des décennies 1830-1860, le patrimoine de la commune d’Andorre donnait en moyenne 830 livres annuelles299 alors que les revenus n’étaient que de 133 livres en 1732-1739, de 245 livres en 1750-1759 et de 425 en 1790-1799300. Le maximum fut obtenu entre 1800 et 1819. La commune d’Andorre reçut, en moyenne, 1 192 et 1 113 livres par an pour chacune de ces deux décennies. Cependant, ces chiffres sont faussés par la hausse des prix et l’inflation qui sévissait pendant cette période. La location de la forge et les ventes de charbon ne furent pas les seules responsables de cette croissance. Le tarif des estives ayant également fortement augmenté, cette évolution annula les effets qu’avait eu la réduction du territoire locatif consécutif au retour au statut collectif de certains cortons301. L’hôtel et la boutique se louaient en moyenne à 159 livres entre 1820 et 1840, ils ne valaient que 103 livres de 1770 à 1790. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les revenus de la commune d’Andorre étaient quatre fois plus élevés que dans le second quart du XVIIIe siècle et, au moins, deux fois et demie supérieurs à ce qui entrait dans les caisses à la veille de la Révolution. Cette hausse doit être corrigée en fonction de l’évolution des prix. Si l’on pondère ces chiffres par les prix du blé, du fer ou de la viande, globalement, les rentes obtenues du patrimoine communal avaient doublé d’un siècle à l’autre.

116Nous ne possédons pas d’informations comparables pour les communes de la Massana et d’Ordino, mais celles-ci avaient également pris conscience du parti qu’elles pouvaient tirer de la vente des quartiers de forêts. De fait, elles avaient été les premières à bénéficier de ce mouvement, puisqu’elles furent les partenaires privilégiés des forges du Serrat et Areny302. Nous n’avons rien non plus pour Encamp ou Canillo au XIXe siècle. Cependant, dans la vallée du Valira d’Orient, la forge Picart dut probablement jouer un rôle comparable à celui de la forge Areny pour celle du Valira du Nord. La commune de Canillo semble constituer un cas à part. Ce fut la première commune qui investit dans la propriété d’une forge. Cependant, dans un premier temps, la gestion de l’établissement et, surtout, celle de l’approvisionnement en matières premières ne procuraient pas les dividendes qu’obtenaient les conseils à partir du dernier quart du XVIIIe siècle. Jusqu’en 1811, date de clôture du dernier livre comptable communal consultable, aucune vente de charbon n’apparaît dans les comptes. Il semble que les membres du conseil soldèrent leurs comptes avec la sidérurgie lors de la fermeture de la forge d’Envalira. Cette commune ne conserva alors qu’une activité minière sans jamais tenter d’entrer dans la chaîne de production. Elle se contentait du cens de 112 livres qu’elle percevait tous les ans des concessionnaires des mines303. L’explication est probablement fournie par l’évolution des locations d’estives. Entre 1800 et 1811, à Canillo, on obtenait en moyenne 1 315 livres annuelles grâce aux loyers d’une quinzaine de cortons304, alors qu’à Andorre, au même moment, on n’en recevait que 335. Tous types d’entrées confondus, cette commune ne percevait que 855 livres annuelles, 35 % de moins que Canillo avec ses seules estives. En second lieu, la présence des mines sur son territoire pouvait également servir de substitut à la vente du charbon. En effet, les ventes de quartiers de forêts ne valaient pas seulement pour ce qu’elles donnaient directement, c’était également un débouché salarial pour la population. Les comptes de la forge Picart permettent, en effet, de mettre en évidence, pour le transport du minerai, un mécanisme d’embauche de main-d’œuvre locale comparable à celui qui caractérisait les villages de la haute vallée d’Ordino. Échaudé par les affrontements qu’il avait eu avec les concessionnaires des forges, profitant de toute manière des bénéfices indirects que donnait la sidérurgie, le conseil n’intervenait plus dans la production du fer. L’incidence de la forge sur l’économie locale ne passait pas uniquement par le faire-valoir direct, les effets de la forge sur le marché andorran tenaient également grandement aux possibilités d’embauche. Cela fut d’autant plus vrai au XIXe siècle que, progressivement, les Andorrans obtinrent le monopole dans le transport des produits nécessaires au fonctionnement de ces établissements qui produisaient de plus en plus.

IV.c.2, Les hommes de la forge

117Les effectifs salariés qui travaillaient aux forges étaient tributaires de trois facteurs principaux : le nombre d’établissements en activité, la durée des campagnes de production, le taux d’ouvriers immigrés employés.

IV.c.2.1. La place des Andorrans à la forge au XIXe siècle

118Par rapport au XVIIIe siècle, les choses se simplifièrent. L’extension du droit de fadiga et la création d’un corps de muletiers andorrans qui travaillaient pour la forge permirent à la population locale de se charger de ce secteur d’activité. Pour le transport du métal, ce monopole n’existait pas, et, mis à part le fer qui était directement descendu sur les marchés par les propriétaires des fabriques, les muletiers étaient engagés par les clients de la forge. Les gros acheteurs qui avaient pris une place prédominante dans la balance commerciale de la forge, se chargeaient directement du transport. Selon les données fournies pour la consommation des forges du Serrat et d’Ordino, une semaine de plein rendement pour les six forges en activité au cours de la période 1815-1837 requerrait 1 008 charges de minerai et 1 440 charges de charbon. S’en suivait une production de fer de 23,8 tonnes305. Pour une semaine de production complète, le transport de minerai coûtait près de 798 livres, celui du charbon revenait à 360 livres et le transport du fer jusqu’à la Seu, qui était un des principaux pôles distributeurs de fer andorran au cours de cette période, représentait au plus 144 livres306. En six mois de travail en plein rendement, ces six forges injectaient potentiellement 33 852 livres sur le marché local pour les salaires, 9 360 pour les droits de charbon, 112 pour le droit de mine. En contrepartie, les forgeurs percevaient 15 847 livres, les charbonniers 9 360 livres et les mineurs 7 371 livres. La vente du fer représentait 144 500 livres, 23 % de cette somme restaient dans la principauté307 et 22,5 % partaient directement en Ariège dans les besaces des ouvriers spécialisés.

119Pour les mineurs et les charbonniers, les deux secteurs principaux d’origine étaient ceux de Rancié et de la Barguillère. Pour les forgeurs, le département de l’Ariège resta le seul pourvoyeur de main-d’œuvre. Dans le détail, seules sont utilisables les données des deux forges d’Ordino, de celles de la Massana et d’Encamp. Cependant, les rares renseignements livrés par les fonds pour les autres forges ne semblent pas contredire les conclusions obtenues grâce à la documentation les concernant. De 1760 à 1816, les forgeurs provenaient essentiellement de trois endroits : Saurat, Vicdessos et les Cabannes308. De 1817 à 1876, le principal pôle d’immigration temporaire devint le secteur de la vallée de l’Ariège au niveau de la confluence de l’Aston. Plus de la moitié des forgeurs provinrent des villages de Pech, Albiès, Les Cabannes, Verdun, Château-Verdun et Aulos309. La population andorrane n’entra pas dans la chaîne opératoire du fer, aucun engagement de forgeurs andorrans n’avait figuré dans les comptes au cours du XVIIe siècle, ni non plus aux XVIIIe et XIXe siècles.

120Les renseignements que livre la documentation sont tributaires des aléas du mécanisme d’engagement, les brigades se modifiant d’une année sur l’autre et les forgeurs n’étant pas obligatoirement fidèles à leur employeur. Il n’est possible de se rendre compte de la composition des brigades et des liens existants entre les forgeurs qu’au coup par coup. En 1866, un échange épistolaire, entre Antoine Fournier, facteur de la forge Rossell, et le foguer Jean Régnier, livre quelques indices qui informent à ce sujet310. Jean Régnier était originaire des Cabannes, il exerça à la forge de la Massana de 1856 à 1872. Lorsqu’il rédigea cette lettre, le 9 septembre 1866, il travaillait à la forge d’Orgeix. Parallèlement, il avait également constitué la brigade qui devait œuvrer cette saison-là pour la forge Rossell. Jean déconseillait à Antoine de prendre le maller Félicien311, car, deux ans auparavant, ce dernier les avait abandonnés, sans prévenir, pour aller travailler à la forge de Bielsa. Jean Régnier dut alors soudoyer Jean Rocques des Cabannes qui travaillait alors à la forge de Llavorsí afin de constituer sa brigade. À partir de cet exemple, il est clair que l’aire d’influence des forgeurs du pays de Foix ne se limitait pas à leur lieu d’origine, l’espace de la forge à la catalane était un espace pyrénéen qui transcendait les frontières. Ces ouvriers se connaissaient entre eux, et ils rayonnaient sur une région qui allait du haut Aragon à l’Aude et à la Montagne Noire, mais aussi du Béarn au Roussillon, en passant par l’Andorre, le Pallars et l’Ait Urgell312. La spécialisation et la réputation qui caractérisaient leur activité leur permettaient de se louer au plus offrant et de refuser les places qui ne leur semblaient pas rentables313. Preuve en est la difficulté pour trouver des forgeurs qu’eurent les propriétaires des forges Areny et Rossell à la fin du XIXe siècle. Les campagnes étaient considérées par les forgeurs comme étant trop courtes pour obtenir un salaire convenable. Jaloux de leur savoir, ces ouvriers travaillaient et transmettaient leur savoir en vase clos. La spécialisation du travail requérait un long apprentissage, et il semble probable que le taux d’endogamie devait être élevé314. Le rôle que jouait la famille, mais aussi le système de paiement à la production, restreignaient énormément la possibilité d’être admis dans la profession pour ceux qui n’étaient pas liés à la « corporation ». Il n’était pas question de laisser entrer un ouvrier non qualifié qui pouvait mettre en péril le gain de toute la brigade. C’est probablement pour cela que, en près de deux siècles, pas un seul Andorran n’eut l’occasion de travailler pour une forge. L’accès était contrôlé et réservé aux seuls forgeurs ariégeois.

121Néanmoins, les Andorrans ne se limitèrent pas au transport qui n’était pas la seule activité à avoir une incidence sur le marché local. L’examen dans le détail des comptes des forges Areny et Rossell pour les périodes 1841-1858 et 1845-1877 permet d’affiner la répercussion des dépenses nécessaires au fonctionnement de la forge. L’une des constantes était l’approvisionnement en produits alimentaires : fondamentalement du vin, de l’huile, du sel, du pain et de la viande. Les trois premiers produits arrivaient systématiquement de Catalogne, les deux autres étaient généralement produits dans les vallées315. Les explosifs (poudres et mèches), le cuivre pour les tuyères, la toile de serpillière pour les peilles316, les mouchoirs de soie servant à couvrir le visage des forgeurs, les paniers utilisés aux mines et à la forge317, le papier et l’encre, venaient d’ordinaire d’Ariège. La chaux, le chanvre, la mousse et la résine servant à imperméabiliser les peixeres, le botàs et la trompe, le bois d’œuvre, la paille pour le couchage des forgeurs, l’argile pour le foyer et la lauze de la toiture étaient les principaux produits que fournissait la principauté à la forge. En liaison avec l’utilisation de ces produits, la fabrique embauchait des journaliers, des manœuvres, des maîtres d’œuvre, des charpentiers et des forgerons locaux. La balance comptable de la forge Rossell pour la période 1845-1876 a permis d’établir que 57,4 % de la dépense totale nécessaire au bon fonctionnement de la forge étaient restés dans les vallées. Sur 128 842 livres, cette forge injecta 73 904 livres en Andorre318. Pour la forge Areny, au cours de la période 1841-1868319, sur 439 539 livres, 55,3 % furent payés à des habitants des vallées, 42,1 % à des Ariégeois et 2,6 % à des Catalans. Dans ces comptes, le seul transport de fer considéré était celui qui conduisait les lingots de la forge au magasin de stockage d’Ordino. Malgré l’écart entre la production des deux forges320, la répartition est à peu de chose près la même. Au niveau andorran, 77 % de cette somme furent payés au titre du transport, 17,4 % furent directement payés aux communes pour les droits d’extraction et de charbonnage, le reste (12 247 livres) partit dans les salaires dérivés.

IV.c.2.2. La sidérurgie, moteur économique des vallées ?

122À partir du total des polices revenant aux ouvriers ayant travaillé pour la forge, il est possible de se rendre compte de la répartition globale des salaires. Ainsi, en 1860, la forge Areny employa 156 Andorrans qui perçurent 3 572 livres, 45,2 % des gages totaux payés par la fabrique cette année-là321. La forge avait produit 82,1 tonnes de fer qui furent vendues 17 204 livres322, la forge avait reversé sur le marché local 20,8 % du montant de la vente en salaires et 5,1 % en droits de charbonnage et mine. 22,9 % du produit du fer partit à l’étranger323. Le bénéfice global de la forge, une fois comptabilisée la valeur du stock de matières premières, fut de 22,9 %. Si l’on compte les gages payés aux ouvriers andorrans au tarif d’un journalier non spécialisé324, 57 % d’entre eux travaillèrent moins d’un mois, 73,2 % gagnèrent l’équivalent de moins de deux mois de salaire et ils ne furent que 7,1 % à travailler autant ou plus que la durée de la campagne de production. Pour les trois quarts des ouvriers andorrans, la forge constituait un complément de l’économie familiale. Si l’on utilise comme base de répartition le salaire annuel payé pour un pâtre, en 1860325, 139 employés sur 167 gagnèrent moins. Si l’on tient compte que la nourriture reçue par les bergers au cours de l’année doublait la valeur des gages qu’ils encaissaient, il ne reste plus que neuf employés de la forge qui perçurent l’équivalent d’un an de salaire pastoral, et un seul en gagna plus du triple. L’essentiel de la main-d’œuvre locale restait par conséquent dans un cadre mixte, la forge complétant l’activité agropastorale de la maison.

123Cependant, il est à remarquer que 23 de ces ouvriers travaillèrent également pour la forge Rossell. Au service de ces deux forges, il y eut aussi bien des « petits ouvriers » ayant servi moins d’une semaine, que certains de ceux qui avaient amassé de gros salaires. Cette frange qui cumulait un double employeur représentait 13 % de la main-d’œuvre locale ayant travaillé à la forge Areny et 27 % de celle de la forge Rossell326. Ce cumul oblige à revoir les chiffres. Globalement, à Ordino, les forges constituaient l’essentiel des revenus annuels pour un quart des employés. Pour les autres, elles constituaient un moyen de se fournir en numéraire. Ce double emploi pouvait probablement aussi être utilisé à Sant Julià où deux forges fonctionnaient en même temps. Cependant, les renseignements fournis par les dépouillements ne permettent pas de faire le parallèle.

124Au niveau général, le marché salarial couvert par l’activité des six forges andorranes entre 1815 à 1836 peut être estimé à 500/600 personnes au cours des années de production importante. C’est-à-dire près d’un dixième de la population totale de la principauté327. En 76 ans (1800-1876), les forges injectèrent, par le biais du transport du minerai, approximativement 670 600 livres catalanes sur le marché andorran. Pour le charbon, au cours de la même période, une extrapolation fondée sur la production des quatre forges pour lesquelles la documentation est connue permet d’estimer que le transport avait produit 386 100 livres. Le rôle que jouait le marché sidérurgique dans l’économie des familles n’échappa pas aux voyageurs qui passèrent dans les vallées. Dalmau de Baquer écrivait en 1849, « ... Esta parca existencia se la procuran muchos de ellos con el acarreo a las fraguas, por medio de caballería de a lomo, de los minerales de hierro y de los carbones [...] respecto a la extracción de los hierros elaborados que se venden a España, y que llevan a ella otra clase de traficantes llamados arrieros... »328. Globalement, uniquement pour les traginers, la sidérurgie introduisit en moyenne 14 475 livres catalanes par an sur le marché. Si l’on y ajoute la valeur des faux frais et des salaires annexes, qui dans la plupart des comptes consultés avoisinaient le dixième de la valeur du transport, le total était de 15 922 livres329. Cela représentait près de 71 % de plus que le budget annuel moyen de la commune d’Andorre entre 1830 et 1860, ou 21 fois plus que le montant de la questia bisannuelle moyenne payée entre 1800 et 1876330. Les gages réglés par les forges totalisaient 16,5 % de la valeur du troupeau ovin déclaré lors de la fixation de la questia payée à Paris331. Bien évidemment, le volume des échanges ne resta pas stable. Entre 1815 et 1836, lorsque les six forges étaient en fonctionnement, les gages annuels moyens peuvent être estimés à 17 991 livres. De 1837 à 1845, la fermeture de la forge du Madriu, la hausse de la production et des prix se combinèrent ; la moyenne fut de 18 827 livres. La tendance se poursuivit entre 1846 et 1860, après la fermeture de la forge du Serrat et l’ouverture de celle de Rossell (19 825 livres). La fermeture successive des forges d’Os, de Moles332 et Picart réduisirent ces chiffres à moins de 8 000 livres après 1861. De 1872 à 1876, les deux seules forges en activité ne fournirent que 4 500 livres de salaires, en moyenne, au cours des cinq ans de production333. Il est clair que les diverses évolutions qui avaient affecté la production, la modification des contrats et l’évolution des prix avaient donné à la sidérurgie un poids dans l’économie de la principauté qu’elle ne possédait pas au XVIIIe siècle. Cependant, l’augmentation du nombre de contrats distribués dans les vallées n’alla pas forcément de pair avec une augmentation des revenus familiaux. Dans la majorité des cas, les gages reçus par les employés n’atteignaient pas le salaire annuel d’un employé agricole ou d’un pâtre. De plus, l’augmentation du volume monétaire injecté sur le marché s’était faite parallèlement à la croissance de la population. Celle-ci avait doublé entre la fin du XVIIIe et le milieu du XIXe siècle. Cette augmentation de la demande s’était traduite par une baisse notable des revenus obtenus par ouvrier malgré une hausse sensible des salaires. En simplifiant, un ouvrier non qualifié dans la sidérurgie gagnait relativement moins qu’un employé travaillant sur le premier marché. La forge était un plus pour ceux qui possédaient déjà un patrimoine ou un emploi ; pour les autres, elle permettait juste de vivre. Le mécanisme de promotion sociale ou de formation de petits patrimoines, observé à la fin du XVIIe et dans la première moitié du XVIIIe siècle dans les comptes des compagnies pastorales, est quasi inexistant dans les comptes des forges. Donnons pour exemple Torner del Pujol. En 1785, il devait 25,7 livres d’un censal fondé en 1731. En 1805, il devait 65,7 livres de plus et honorait sa dette en travaillant pour la forge. À terme, en décembre 1828, malgré diverses années de gages comptabilisés dans les billets de forge, il était débiteur de 131,3 livres334. Il devait 36 ans de pension à Josep Plandolit lorsque celui-ci céda cet acte pour payer un achat de charbon fait à la Massana335. En 1834, le montant inscrit sur un billet de forge servait encore à éponger la dette. Les ouvriers andorrans n’entrèrent jamais dans la chaîne opératoire du fer dont les salaires étaient plus élevés. Cependant, en obtenant le contrôle de l’approvisionnement en matières premières, ils s’étaient emparés d’un segment important du marché sidérurgique.

IV.c.2.3. Propriété des forges et conjoncture avant 1860

125En Andorre, le bénéfice obtenu sur la vente du fer se répartissait entre une minorité de propriétaires. Au cours de la première moitié du siècle, la propriété des forges Areny, du Serrat et d’Encamp ne fut pas modifiée. Alors que la famille Picart et la famille Rossell exploitaient directement la moitié de la forge qui leur revenait, le patrimoine Areny passa par une période de locations qui débuta à la mort du révérend Joan Puy (1805) qui administrait les biens depuis 1783. Le premier bail fut octroyé à Bonaventura Riba Guillaumes de la Massana336 par Maria Areny Jordana qui était à la tête du patrimoine depuis la mort de son mari Guillem Areny Solà (1804). Guillaumes prit en location la forge, le magasin de fer, le martinet, la maison du facteur, deux mines à Ransol, la propriété de l’Any de la Part et le moulin de Sornàs337. L’acte d’affermage est inconnu. Seules nous sont parvenues deux balances des comptes passés entre le locataire et le propriétaire, et les livres d’exploitation de la période 1805-1811. Le premier bilan, rédigé le 28 septembre 1805, correspond à une reconnaissance de dette signée par Guillaumes par laquelle il prenait à sa charge le stock de matières premières qui se trouvait à la forge au début de la location338. Le second, daté du 13 novembre 1812, servit à établir le solde de la location, lorsque les biens furent rendus au propriétaire339. Un contrat à mi-gain avait été établi pour les terres arables de l’Any de la Part. Pour la forge, les matières premières et les frais de fonctionnement couraient sur le compte du locataire qui s’acquittait de 10 sous par quintar de fer produit. Comme la forge produisit 601,75 tonnes de fer de 1805 à 1811340, le loyer en numéraire fut de 7 232,75 livres en six ans, ce qui équivaut à un loyer annuel moyen de 1 033 livres341. Ce tarif peut surprendre, car il est égal au loyer payé par Romà Duran pour la forge du Madriu342, ou à celui que Jacques Augé, parfois dit Jaume Auger343, avait accepté pour la moitié de la forge du Serrat344. Il était largement inférieur à celui que Jacques s’était engagé à verser pour la forge Areny en 1813345, puisqu’il avait pris la forge pour 3 400 livres l’an346. L’acte passé avec Bonaventura Riba Guillaumes fut établi lorsque les prix du fer étaient les plus élevés347, ce paiement de 10 sous ne devait probablement constituer qu’une partie du loyer, comme c’est le cas pour d’autres contrats de ce type, la maison Areny devait probablement récupérer une partie du loyer en nature (fer).

126Au terme de la location de Guillaumes, Maria Areny reconnut être satisfaite de la totalité des règlements. Pour le second bail, celui de Jacques Augé, les choses n’allèrent pas de même. En 1817, lors de la clôture du compte, il devait 13 314 livres sur un total de 20 400348. En 1824, Josep Plandolit, le mari de l’héritière de la maison Areny, solda les derniers comptes avec Jacques. Celui-ci fut contraint de signer une reconnaissance de dette de 10 269 livres, la moitié du montant du loyer. Même si les chiffres de la commercialisation ne nous sont pas parvenus, à première vue, il semble logique que cette accumulation d’impayés soit imputable à la mévente du fer, notamment au cours des dernières années de la Guerra del Francés, moment où les prix furent tirés à la hausse. Cependant, la comparaison avec l’évolution de la production de la forge du Serrat ne semble pas coincider. Au Serrat, après un pic de production en 1807, celle-ci déclina jusqu’en 1811349. Une tendance comparable et de la même amplitude affecta également le travail de la forge Areny. La première perdit les deux tiers de sa production, la seconde 41 % entre 1810 et 1811. Au Serrat, le mouvement s’inversa alors jusqu’en 1814, la fabrique produisit cette année-là, pour la famille Rossell, la quantité de fer la plus importante atteinte au cours de la période 1800-184 5350. C’est au même moment, le 6 avril 1815, que Valenti Planes demanda à l’Intendant de Catalogne l’autorisation de construire la forge d’Os351. Si le marché sidérurgique avait été en crise, cette décision d’investissement ne paraîtrait pas logique. Deux hypothèses sont envisageables pour expliquer l’accumulation des dettes dans le compte de Jacques Augé : la mauvaise foi ou des difficultés dans la distribution. Ce nouveau venu sur le marché ne bénéficiait pas d’un réseau de distribution équivalent à celui des familles Rossell ou Planes qui étaient implantées depuis des décennies sur le marché sidérurgique. Il est probable que Jacques avait rencontré des difficultés pour écouler sa production au cours de cette période troublée.

127Après 1814, la production se réduisit fortement. Au Serrat, elle chuta de 49 % en deux ans. Mis à part une reprise ponctuelle en 1817, elle resta stable jusqu’en 1823, se situant à peu de chose près aux mêmes niveaux qu’au début du siècle352. À cette période de production relativement faible succéda une phase de croissance au cours de laquelle le niveau maximum de 1814 fut de nouveau atteint. Cependant, cet épisode ascendant prit fin deux ans avant la Première Guerre Carliste (1833-1840), la production s’abaissa brutalement de 53 % en 1831-1832. La guerre en elle-même ne fut pas le moment le plus néfaste pour la forge353. Les deux premières années des combats se traduisirent par une hausse (+ 64 %), même si l’on resta près de 25 % en deçà des pics enregistrés en 1814, 1828 ou 1830. Cette phase fut plus ou moins stable, et les deux dernières années du conflit furent les seules à entraîner une baisse. Au lendemain de la guerre, les volumes produits repartirent à la hausse, mais celle-ci fut de courte durée : les premiers soulèvements qui conduisirent à la guerre des matiners ou Seconde Guerre Carliste coïncident avec une nouvelle baisse (– 45 % entre 1840 et 1843). Pour la forge du Serrat, ce mouvement fut amplifié par la décrépitude de la fabrique. Elle fut fermée en 1845, après une perte significative de productivité354. Pour la forge Areny, la baisse fut de 36 % entre 1841 et 1845355. Cependant, comme ce fut le cas au cours de la Guerra del Francés et, dans une moindre mesure, au cours de la Première Guerre Carliste, l’épisode belliqueux (1846- 1849) se traduisit par une hausse sensible de la production. De 1845 à 1848, la production Areny progressa de 83 %.

128Au cours de cette phase, le marché du fer ne progressa pas de la même manière que ceux des autres produits. Sur le marché céréalier, les deux guerres carlistes se traduisirent par deux épisodes de cherté. De 1830 à 1835, le prix moyen de la charge de blé augmenta de 63 %. Vers 1840, elle avait perdu 21 % de sa valeur. En 1844, après une hausse de 24 %, elle revint aux prix pratiqués au cours de la Première Guerre Carliste. En 1833, la commune d’Andorre fixait le prix à 260 sous ; en 1836, il était à 217, alors qu’il ne valait que 120 sous en 1827. Ce n’est qu’en 1849-1850 que les prix revinrent aux tarifs appliqués entre 1827 et 1830. Pour la viande, la tendance diffère. La hausse fut constante de 1826 à 1836-1840. Elle atteint 35 % en 1836, la livre de viande de mouton passa de 6,75 sous à 9,13 sous. Les deux épisodes militaires correspondent à de légères baisses356, alors que le maximum fut atteint entre les deux guerres357 moment où le blé, au contraire, récupérait des cours plus orthodoxes. Comme pour l’ensemble des autres marchandises, de 1811 à 1813, le quintar de fer connut son prix maximal : 12,25 livres358. Mais, à la différence des autres articles, la baisse fut continue pour le métal. En 1853, le quintar ne valait plus que 7,4 livres. La diminution était de 39 % en 40 ans, alors que les gages des forgeurs ne s’étaient réduits que de 17,9 %. Ils étaient passés de 22,83 sous par quintar en 1812 à 18,75 sous. Le salaire sur la production que percevaient les mineurs, qui avait été revu à la hausse en 1809-1810359, resta constant jusqu’en 1846. L’évolution salariale des mineurs fut particulièrement contrastée. Leur solde ayant progressé moins rapidement que les cours des prix au cours de la période révolutionnaire, les mineurs avaient perdu une partie de leur pouvoir d’achat par rapport au prix du fer. À partir de 1797, la tendance s’inversa. En 1845, en équivalent fer, ils gagnaient près de 200 % de plus qu’à la fin du XVIIIe siècle. En 1847, ils obtinrent une nouvelle augmentation, la charge de minerai leur était payée 6 sous. L’augmentation de salaire atteignait alors 273 %. A ces éléments qui influaient directement sur la production s’ajouta la hausse du prix de l’approvisionnement en charbon. L’ensemble de ces facteurs affecta fortement la marge bénéficiaire des propriétaires des forges.

129Cet enchérissement qui rendait les forges moins rentables se répercuta directement sur la propriété de certaines forges. Guillem Areny Plandolit choisit la voie de l’association pour répartir la dépense. De 1845 à 1864, la forge d’Ordino fut administrée par Seferino Riba d’Ordino360 qui prenait à sa charge le quart de l’investissement en contrepartie d’un quart de la production. Pour les deux autres forges dans lesquelles Guillem était actionnaire, il prit des décisions différentes. En 1845, il solda ses comptes avec Bonaventura Riba pour la forge du Serrat, et pour celle d’Encamp, il choisit la voie de la location. En 1846, il la loua à Thomas Palmitjavila pour trois ans, au prix de 300 livres par an361. L’associé de Guillem pour la forge d’Encamp suivit l’exemple de la forge Areny. Il forma une société avec Polycarpe Benansi des Cabannes, Antoni Rossell d’Encamp et Thomas Palmitjavila qui louait les semaines de travail de la forge qui revenaient à Areny362. À la forge d’Os, la situation n’était pas meilleure. En 1845, Pau Planes, le fils de Valentí Planes, devait 2 385 livres à la commune de Sant Julià363 pour divers quartiers de bois. Il céda, alors, la forge à une société formée d’Antoni Maestre Molines, Francesc Duran Guillemo d’Andorre et Seferino Riba d’Ordino. Ces deux derniers n’étaient pas des nouveaux venus dans le monde de la sidérurgie, puisque Francesc était le frère du dernier locataire de la forge d’Andorre et Seferino était associé à la forge Areny364. La sidérurgie était moins rentable, mais on ne considérait pas que la crise était irrémédiable, puisque certains entraient sur le marché et d’autres, même, s’engagèrent dans de gros investissements. Ce fut notamment le cas de la famille Rossell qui, de 1842 à 1845, investit 13 028 livres pour fonder une nouvelle forge sur la terre qu’ils possédaient à l’entrée de la Massana365.

130À partir du milieu du XIXe siècle, tous les propriétaires ou associés qui jouèrent un rôle dans la sidérurgie andorrane sont connus et il est possible d’établir un bilan général. L’activité sidérurgique communale avait disparu, de même que celle des familles catalanes qui avaient fait travailler les forges d’Andorre et d’Os. Des quatre familles qui tenaient la sidérurgie privée de la principauté au XVIIIe siècle, une avait disparu avant 1800 (Torres), deux avaient réduit leur rôle, soit en diminuant leur activité (Areny), soit en s’associant (Picart), une seule l’augmenta (Rossell). Les renseignements manquent pour la dernière (Moles). Six autres familles firent leur apparition dans la sidérurgie au XIXe siècle. Selon les cas, elles possédaient 1/3, 1/4 et l/8ème d’une forge. Ces nouveaux venus n’étaient qu’actionnaires dans la forge. Seul Polycarpe Benansi des Cabannes, l’unique étranger, était probablement forgeur. Mis à part ce dernier, comme les autres propriétaires de forges, ils faisaient tous partie du groupe des anfochs et des principaux feux fiscaux des vallées. Ainsi, en 1834, Seferino Riba était le septième principal payeur de dîme à Ordino, derrière Rossell qui était le second et Areny qui était le premier366. En 1863, Seferino était le second de la liste des taillables, devant Rossell. À Andorre, en 1848, Antoni Maestre Molines fut le principal taillable pour les metadors et les descendants de Moles étaient sixièmes367. En 1874, Molines, Guillemo et Moles occupaient respectivement la troisième, la quatrième et la sixième place des metadors sur une liste de 214 questables368. Ces familles ne payant pas de taxes sur la production sidérurgique, la conclusion qui s’impose est simple, elles étaient maîtresses des forges, mais elles étaient également les plus grosses propriétaires foncières et les principales détentrices du gros bétail de leur commune. Dans ce groupe, il faut différencier les anciens et les nouveaux propriétaires. Les familles Areny, Moles, Picart et Rossell tirèrent de substantiels revenus de l’élevage qu’ils investirent dans la forge au cours du XVIIIe siècle. Par la suite, elles utilisèrent la sidérurgie pour créer une plus-value, mais elles ne réinvestirent jamais les bénéfices effectués dans l’appareil productif au-delà du maintien de l’infrastructure de base. Mis à part l’adoption du martinet, les fonds injectés dans cette activité se limitaient au règlement des frais de la campagne et à la remise en état des parties vétustes des fabriques. L’argent de la forge servit intégralement à une seule chose : acheter de la terre. La progression des patrimoines Areny et Rossell est exemplaire à cet égard. En 1845, après l’inauguration de la forge Rossell, le patrimoine sidérurgique de la maison Rossell équivalait à moins de 16 % du total. Le passif de la fabrique totalisait 35 308 livres sur un total de 230 675 livres que valait le patrimoine familial369. Bonaventura Riba Guillaumes n’eut pas besoin de recourir au crédit ou à l’endettement pour fonder cet édifice, ni même pour le faire fonctionner. Après 150 ans d’actionnariat dans la sidérurgie, l’essentiel de la richesse de la famille était fondé sur les biens immeubles. Il en fut de même pour la famille Areny. Il y eut accroissement de l’investissement sidérurgique dans la première moitié du XVIIIe siècle. On ajouta à la moitié de la forge du Serrat à la participation à la forge d’Encamp, puis la forge d’Ordino. Les autres projets sidérurgiques (Massana, Os, Romadriu) n’eurent pas de suite. A partir de la fin du XVIIIe siècle, la famille ne fit que gérer le patrimoine sidérurgique existant. Pour cette famille aussi, l’argent de la sidérurgie, mais aussi celui de l’élevage aux XVIIe et XVIIIe siècles, fut converti en terres ou en droits. À Andorre au XVIIe siècle, à la Seu et à Noves, au XVIIIe et au XIXe siècle370, et, finalement, en Cerdagne, au XIXe siècle, lorsque la famille acquit la totalité du Mas Blanc, près de Bourg Madame371, le foncier fut le principal débouché pour l’argent de la forge. Au XIXe siècle, l’exploitation de la plupart des propriétés se faisait par location.

131Un aide-mémoire de 1812 reprend les loyers que percevait annuellement la famille pour des propriétés qu’elle possédait dans les vallées : 1 385 livres et 42 chapons pour les propriétés d’Ordino372, 129 livres et 9 chapons pour celle de Mereig, 150 livres pour celle d’Encamp, 800 pour celle d’Andorre, 100 et 9 chapons pour celle de Sant Julià, et 27 charges de blé et 18 chapons. Au total, elle percevait l’équivalent de 2 900 livres373. En 1855, la location de la propriété de Noves rapportait 40 charges de céréales, 1 porc, 12 poules, 6 chapons, 30 douzaines d’œufs374. Le tout devait être livré à la Seu chez Guillem Areny Plandolit375. Le locataire s’engageait à planter 100 arbres sur le bord du Segre afin de consolider les rives, et il faisait les vendanges à ses frais, alors que la récolte allait intégralement à la maison Areny. En 1867, les terres, qu’il possédait autour de la Seu, furent louées pour 45 charges de grains376, 5 de haricots, 30 quintars d’herbe, 30 de paille, 1 porc, 12 poules, 6 chapons, 30 douzaines d’œufs et 3 000 fagots de sarments. La production de vin et d’huile obtenue à la Torre et aux Costes, près de Calbinyà, était partagée. En contrepartie, le locataire payait les frais de l’exploitation. Pour une partie du Mas Blanc377, le seul acte connu mentionne 100 charges de seigle, 54 quintars de paille, 20 quintars d’herbe, 18 chapons, 6 poules, 30 douzaines d’œufs et 800 francs par an378. Le patrimoine foncier que possédait cette famille à la fin du XIXe est impossible à chiffrer. Cependant, au travers de ces quelques locations, il est possible de se rendre compte de son évolution. Les membres de la famille Areny, comme ceux de la famille Rossell, étaient avant tout des propriétaires fonciers. Pour les derniers venus dans la sidérurgie, la relative modestie de l’investissement qu’ils se partageaient, la durée limitée de cette activité379 et surtout la date à laquelle ils commencèrent à se consacrer à la sidérurgie laissent à penser qu’ils n’eurent pas le temps d’obtenir une plus-value suffisante pour augmenter leur patrimoine d’une manière considérable. D’autant que le XIXe siècle fut l’un des moments les plus problématiques pour l’économie des vallées.

132Mais avant d’aller plus avant, il est nécessaire de faire un retour en arrière. La croissance du marché sidérurgique et de ses activités périphériques ne doit pas masquer l’évolution du marché pastoral. Au cours des XVIIIe et XIXe siècles, les marchés mulassier et ovin connurent une évolution qui leur était propre. Mais surtout, nous venons de le voir, la forge participa à l’enrichissement d’une minorité. Le XVIIIe siècle fut une période de développement des déséquilibres, cette évolution affecta tous les pans de la société et elle se révéla décisive au siècle suivant.

Notes de bas de page

1 LARGUIER, 1996a, annexe 15, table 3, tome III, 1326.

2 Le nombre d’établissements comptabilisés dans l’état des recettes du comté de Foix établi en 1603 (32 moulines dont 12 ruinées par la guerre) et la description de 1669, fournie par la réformation des forêts de Louis de Froidour, correspondent à une ou deux unités près, bien que l’état des lieux diverge d’un secteur métallurgique à un autre (BONHÔTE, CANTELAUBE et allii (1991), 21-22).

3 Cette situation et la politique de taxation du royaume se traduisirent par un accroissement notable de la contrebande sur le minerai et le fer (IZARD, 1995, 105-127 et 1999, 316-320).

4 ANA/TC-N, 9 26-26v (VELA, 2002. doc. 17, 108-109).

5 VERNA, 2002, 290.

6 Le parallélisme entre le travail de ces forgerons modernes et celui des ferrers médiévaux qu’illustre la documentation étudiée pour le Vallès est fort intéressant (FARÍAS (1998), 27-42 et (2002), 35-62).

7 Vente perpétuelle enregistrée le 21 juillet 1669 – ANA/APCA, livre 4.

8 Installation d’un faure à Andorre – ANA/APCM n° 101.

9 ANA/APCA, livre 29 et ANA/ACSJ, livre 3.

10 Document non daté dans lequel est mentionné un acte daté du 6 juillet 1688 – ANA/ASC. doc. n° 295.

11 ANA/APCA, livre 6.

12 ANA/APCA, livre 29.

13 ANA/ACSJ, livre 3.

14 Mis à part quelques mentions de ventes de bois par la commune entre 1700 et 1703, il n’existe aucune documentation traitant de cette forge.

15 Pour les aspects techniques de ces forges, CODINA, 2003, 473-513.

16 BARALDI, CALEGARI, 1995, 483-489 ; MATTIOLI, 1989, 255 ; BELHOSTE, 2002, 63- 79 ; MOLERA, BARRUECO, 1983.

17 Borrell, père et fils, et Ramon Grau de Miglos (RIERA, 1988, 90).

18 La chronologie de la diffusion de cet appareil reste assez obscure. Sur ce sujet la révision bibliographique réalisée par Jean Cantelaube est l’une des références les plus abouties (CANTELAUBE, 2002b, 96-98).

19 Au Pays Basque, l’utilisation des trompes se généralisa dans les ferrerias menores (martinets) au cours du premier quart du XVIIIe siècle, alors que les forges continuaient à utiliser les soufflets (CARRION, 1991, 179-80).

20 MUTHUON, 1808, 2000, 39-50 ; FRANÇOIS, 1843, 17-39. Ce dernier passe au filtre les travaux de Tardy et Thibaut (1823), ceux d’Aubuisson (1824) et de Richard (1838).

21 RICHARD, 1838, 408.

22 ANA/ANMV, livre 98, f° 310.

23 ANA/ACA, doc. 97, 101, 115, 118.

24 Le 29 octobre 1703, la commune de Sant Julià percevait 37 livres 8 sous pour le bois qui avait été utilisé à la mine au cours de l’année 1702 – ANA/ACSJ, livre 3.

25 Un loyer de 100 livres et 2 quintars de fer sont mentionnés pour l’ouverture d’une mine à Claror – ANA/ACSJ, livre 2, 16 octobre 1731.

26 Le droit d’importation du minerai de France en Andorre fut inscrit dans l’arrêt du Conseil du roi de 1767- ANA/ASC, doc. perg. 187.

27 Avait-on trouvé un nouveau filon en territoire catalan ou les locataires avaient-ils recours à la mine du Puymorens comme ils le faisaient pour la forge d’Andorre ? – ANA/APCA, doc. 1616.

28 Une dizaine de kilomètres. Ceci n’a aucun rapport avec les cas relevés en Couserans ou dans la Montagne Noire pour lesquels le minerai arrivait de Rancié (MARTY FERRIOL, 1999, 228-290).

29 ANA/APCR, doc. 199. 14 décembre 1745.

30 L’accord date de 1742, mais la première mention du fonctionnement de cet édifice est de 1747 – ANA/ANMV, 15 juin 1742, doc. s.n.

31 ANA/APCR, permutation de terrain. 25 juin 1753, s. n.

32 ANA/ACSJ, livre de comptes 2.

33 ANA/APCA, Liasse XI, doc. 781 (19 janvier 1763), copie du 13 juin 1782.

34 Moles d’Andorre était associé à Jaume Ribo Camat de la Seu d’Urgell – ANA/APCR, lettre s. n., 25 janvier 1765.

35 ANA/ACA, livre 2.

36 Dans ce cas, il s’agit de la prise d’eau (peixera), ce terme, combiné avec celui de capagual, était également employé pour les canaux d’irrigation, les moulins, les scieries...). À la forge, ce terme désignait également la citerne placée au-dessus des roues.

37 La clause prévoyant l’interruption de l’activité pour cause d’inondation était systématiquement portée dans tous les actes de location, ainsi que celles de feu du ciel (foudre) et de neige (avalanches).

38 CODINA, 2003, 480-484.

39 PICOT DE LAPEYROUSE, 1786, 228.

40 ANA/APCA, liasse XX, doc. 1658, et APCR, livres 130 et 141.

41 ANA/APCA, doc. 1782 et 1732 ; APCR, livre 95.

42 ANA/APCR, doc. 220.

43 ANA/APCA, livre 42.

44 Dans le fonds du musée de la forge Rossell, les têtes de mall des trois dernières forges en activité ont été conservées. Elles pèsent de 500 à 600 kg et proviennent des forges Rossell, Areny et Picart.

45 MUTHUON, (1808), 2000, 24.

46 FRANÇOIS, 1843, 30 et FLACHAT, 1842, 449.

47 La première mention du martinet du Madriu date de 1810 – ANA/ACA, doc. 97. 101, 115 et 118.

48 ANA/APCA, livre 1, doc. annexe s. n., observations in situ pour les forges Areny et d’Andorre.

49 FRANÇOIS. 1843, pl. I, fig 1.

50 ANA/APCA, liasse XI, doc. 781.

51 L’autorisation d’implantation de cette forge fut donnée à Valentí Planes d’Aravell le 6 avril 1815 par l’intendant général de Catalogne. Il pourrait s’agir de la même personne qui louait la forge d’Andorre en 1796. Cependant, dans ce document, il était dit négociant de Bellver de Cerdagne – ANA/ACA, doc. 101 (MOLERA, 1983, 55).

52 C’est exactement le plan décrit par J. François pour les forges modernes (CODINA, BOSCH, VILA. 2000 et FRANÇOIS, 1843, Pl I, fig 2).

53 ANA/ACA, liasse I, doc. 1. 25 août 1827.

54 Une exception, la forge Areny où une partie, parfois relativement importante, du fer était confiée au martinet. Ainsi, en 1841, 14,8 % de la production furent donnés au martinet pour obtenir des finitions particulières. L’année suivante, il reçut 13,1 % du produit du bas foyer. Certaines années, cette quantité était beaucoup plus réduite ; en 1843, ce furent 2,5 % de la production et 4,2 % en 1844 – ANA/APCA, livre 42.

55 En 1867, le propriétaire de la forge de Cerezo (Burgos), définissait ainsi le grillage : « ... Los minerales se preparan en grandes cantidades para una operación que se llama raguar, con la que se desprenden del mineral las impurezas que contiene, y haciéndose mas poroso se funde mas fácilmente... » (COMISION DE ADUANAS, 1867, 159).

56 BOSCH, CANTELAUBE, CODINA, 2005, 223-234.

57 Forge de Tourné à Castelnau-Durban (FRANÇOIS, 1843. 258). Deux points favorisant l’obtention de l’acier reviennent dans quasiment toutes les descriptions : le grillage préalable du minerai et l’augmentation de la charge de charbon au creuset par rapport à celle du minerai (CANTELAUBE, 2002b, 300-341).

58 Cela est confirmé par le mémoire de l’intendant du 18 décembre 1764 sur l’état des mines et miniers qui se trouvent dans la subdélégation de Foix ; on ne porte le minerai de cette mine qu’en Andorre, plus aux forges de France depuis la fermeture de celles de l’Hospitalet et de Mérens – Arch. dép. Ariège 1C160.

59 MANGIN, FLUZIN et Alii, 2000, 480.

60 CANTELAUBE, 2002a, et 2002b, 302-303.

61 ANA/APCR, doc. 318.

62 CANTELAUBE, 2002a. 28.

63 Qualité du minerai, ratio minerai / charbon, puissance de la soufflerie et température sont des éléments qui se combinent et interagissent dans la réduction. Le recuit ne constitue que l’un des éléments entrant en jeu, il est difficile de saisir concrètement l’impact de cette méthode.

64 Cela permettait de travailler 72 et 44 semaines – ANA/APCR, document de comptes de la forge s. n., année 1858.

65 ANA/APCA, liasse XXI, doc. s. n. ; ANA/APCR, doc. 378.

66 CANTELAUBE, 2002b, 512-514 et MAS C, 2000, 66.

67 ANA/APCA et APCR, croisement des documents relatifs aux forges.

68 La moyenne, pour la période 1775-1785, est de 14,4 % (492 tonnes), approximativement 56 % de la base imposable de la questia – ANA/ASC, livre 11, comptages de 1770 à 1780 et ANA/APCR, livres de comptes de la maison Rossell s. n.

69 112,5 sous Bna en moyenne.

70 ANA/APCR, doc. s. n.

71 ANA/APCA, liasse XXI, doc. 1732.

72 ANA/AXAP, du commandant de l’Hospitalet, Bellerose, à Calvo, 3 thermidor de l’an 2.

73 Arch. Nat, F1E 205.

74 ANA/ASC, doc. 1600 et perg. 187.

75 Le minimum fut atteint entre 1740 et 1745 : moins 25 % par rapport au prix moyen du fer appliqué au cours du premier quart du siècle.

76 De 88 sous, le prix moyen du quintar le fer passa à 120 sous. Par rapport au prix moyen établi au début du siècle, le fer valait 14,7 % de plus, ce qui équivalait aux cours appliqués au lendemain de la Guerre de Succession d’Espagne.

77 158 et 167 % de plus que les cours du début du siècle.

78 MAS D., 1995, 77-85. Cette affirmation ne tient aucun compte de l’évolution de la structure du prix du fer.

79 Les conséquences de cette crise au niveau local sont illustrées par l’évolution de l’endettement consenti par la maison Areny. En 1796, le montant des pensions de censal perçues par Guillem Areny Solá était de 531,2 livres pour 36 actes. En 1715, son grand-père recevait 1 072,4 livres pour 55 actes. Le capital investi avait doublé, les prêts étaient passés de 10 624 à 21 448 livres – ANA/APCA, livre 22.

80 Le tarif moyen d’une estive était passé de 330 à 1 267 sous (moyenne décennale des locations concédées à Canillo et à Andorre).

81 La charge de blé atteignit le maximum au cours de la soudure printanière de 1812 (40 livres le 5 mai et 43 livres le 23 mai). À la fin du mois de juillet, les prix baissèrent jusqu’à 21 livres, et ils se stabilisèrent à 15 livres en 1813. Ce n’est qu’après 1820 qu’ils reprirent des niveaux comparables aux niveaux antérieurs : 5,75 livres en 1820, un seuil aussi bas n’avait pas été enregistré depuis 1787.

82 VILAR, 1962. 411, note 3.

83 De 8 et 9 sous la livre, près du double de ce qu’elle valait avant la crise.

84 FR CHE, 2001, 82-84 et VILAR, 1962, 384-387.

85 Pierre Vilar estimait que l’inflation en 1794 était de 15-20 %, bien au-dessous de l’évolution des prix (1962, 410-411).

86 La perte sur les vales reaies fut de 50 % à partir de 1802. Cependant, ce chiffre n’est pas à prendre au premier degré, puisque le rapport entre le volume de vales et la masse monétaire n’est pas connu (ibid., 418).

87 ANA/APCR, livres 304 à 308. En 1806, Napoléon Ier avait rétabli le statut de la principauté. La nomination du viguier français qui n’était plus faite depuis 1793 était rétablie et les droits d’importation étaient remis en vigueur en suivant les clauses établies en 1767 – Arch. Nat., F1A 635/20a, 27 mars 1806.

88 À ce moment-là, les 41 feux ariégeois produisaient 3 950 tonnes (CANTELAUBE, 2002b, 517). La production andorrane équivalait à 8,8 % de la production ariégeoise.

89 ANA/APCR, livres 96 à 102 et 304 à 308.

90 De 124,8 à 180 kg de fer par loupe – ANA/APCR, livres 103 à 108.

91 De 162,9 à 189,3 kg – ANA/APCR, livre 130 et APCA, livre 42.

92 La forge ferma ses portes le 30 octobre 1845 – ANA/APCR, livre 136.

93 Comme pour la forge de Moles, une partie du capital appartenait à des Andorrans (cf. infra).

94 ANA/ACA, liasse V, doc. 97 et 23.

95 ANA/APCA, liasse XXI, doc. 1716.

96 Saint-Antoine et Saint-Marc à Verdu et Saint-Mathieu à Santa Coloma de Queralt. Avec 1 881 livres (14 tonnes), le fer représente 5,1 % du volume de vente total inscrit dans ce livre – ibid.

97 Il semble que Guillem Areny Torres ne s’occupait pas directement de l’administration de la forge. La quantité de fer sur laquelle nous sommes renseignés représente près de la moitié du fer qu’il recevait, puisque ces associations se faisaient généralement à mi-production. Moins encore, s’il s’agissait d’une location payée en nature.

98 ANA/APCA, livres 47 et 50.

99 ANA/APCA, livre 29.

100 ANA/APCA, livre 22 (uniquement à partir de 1717).

101 Morue, congre, thon et sardes – ANA/APCA, livres 47 et 22.

102 ANA/APCA, livres 22, 29, 47 et 50.

103 ANA/APCA, livre 47.

104 En 1706-1710, les importations de sel se répartissaient équitablement entre les deux secteurs. En 1717-1722, les deux tiers provinrent de Cardona, alors qu’une fois livré à Ordino il était bien plus cher (92 sous en moyenne contre 66 sous pour celui de Gerri entre 1717 et 1722). Une partie était réexpédiée en comté de Foix (Tarascon), mais ce trafic ne semble pas avoir la même ampleur qu’au cours de la période 1636-1650 – ANA/APCA, livres 22 et 47.

105 Entre 1619 et 1625, le transfert du fer à Sant Julià, en Urgellet et à Ponts équivalait à 2,5 %, 12,4 % et 20 % du prix du quintar (cf. supra).

106 ANA/APCA, livre 22.

107 Le vin de basse qualité provenait de la Seu, de Noves et d’Organyà.

108 ANA/APCA, livres 22 et 47.

109 CANTELAUBE, 2002b., 392, note 31.

110 MAS C, 2000, 106 et 310.

111 ANA/APCR, doc. 316, de Niaux à Rossell d’Ordino, 21 novembre 1775.

112 CANTELAUBE, 2002b, 540.

113 Aucune mention de muletiers andorrans n’a été mise à jour dans ce passage vers le nord – ANA/APCR, livres 222, 223 et 224.

114 Le fer andorran était plus cher que le métal ariégeois. Il était vendu 36 livres tournois en 1778, alors que, pour les forges du Comté, le quintal de fer fort se payait 24 et 28 livres. Cependant l’écart était probablement moindre, car le fer andorran était dit cedat, alors que les références ariégeoises traitent de fer fort (CANTELAUBE, 2002b, 339).

115 ANA/AXAP, doc. 22.

116 6 % du fer produit par les forges du Serrat et d’Ordino (1775-1781).

117 L’équivalent à la vente de 27,7 tonnes de fer – ANA/APXAP, doc. 27.

118 Forges d’Alins, Llavorsí et de Santa Maria (MAS C, 2000, 66).

119 On utilisait les radeaux (rai) servant à transporter le bois d’œuvre.

120 En 1786, le transport d’un quintar de fer du Pallars valait 7,3 % du prix de vente du fer à Lleida et 11,4 % à Tortosa (MAS C, 2000, 287). Nous sommes loin des coûts du transport par terre qu’utilisaient les forges andorranes. Cependant, les prix appliqués à la sortie de la forge étaient favorables aux établissements andorrans : 149 sous le quintar à Llavorsí contre 125,3 sous en moyenne au Serrat et à Ordino.

121 La forge du Madriu disposait d’un magasin implanté dans ce village. Pour la forge de Moles, comme la moitié de la fabrique appartenait à un habitant de la Seu, le fer devait probablement suivre l’axe de diffusion qui apparaît dans les comptes de l’Ait Urgell pour les forges d’Ordino.

122 640 tonnes de fer, produites au Serrat et à Ordino, vendues pour la période 1775-1800 et 572 tonnes en 1800-1825 – ANA/APCA et APCR, croisement des livres de forge.

123 De 27 à 9 % du volume de vente.

124 La Noguera représentait 4,8 % des ventes (1800-1825), l’Ait Urgell 13 %.

125 ANA/APCA, doc. 1732. Après avoir vainement fait le siège de Cardona, les troupes de Macdonald avaient mis à sac cette ville (24/10/1810).

126 Un dépôt dirigé par Eloi Sandros à Tàrrega et un autre appartenant à Falguera de Terrassa.

127 Certains indices semblent montrer que du métal passait en contrebande du Sabarthès sur le marché catalan (CANTELAUBE, 2002b, 340 et MAS C, 2000, 254-256).

128 Ce secteur n’intéresse que la forge Areny.

129 Madoz cite également 4 fabriques de serrures et 2 cloutiers (MADOZ, (1840), 1985, vol. 2, 333).

130 CANTELAUBE, 2002b, 351- 361 et 518.

131 MADOZ, 1840, vol. 2, 313.

132 COMISION DE ADUANAS, 1867, 148, 150 et 158

133 CANTELAUBE, 2002a, 28 et 336.

134 Les trois principaux clients furent Pere Moles de Sant Julià, qui négociait la vente du métal, Anton Escuder Gallart et Feliu Comes de Castellciutat qui possédaient un martinet – ANA/APCA, livre 42.

135 ANA/APCR, livre 370 ; livre 145 et doc. 137.

136 ANA/APCR, de Joaquim de Riba à sa femme, Madrid, 20 novembre 1863.

137 Feliu Comes Cerqueda Telivet de Castellciutat et Armenter Font Roig de Cardona.

138 Joan Armengol Codina et son frère qui possédaient un martinet à la Seu.

139 Un phénomène similaire eut lieu en Pallars. Le prix moyen à la sortie de la forge passa de 187,16 (1812-1818) à 135,08 sous (1819-1830) ; (MAS C, 2000, 266).

140 Sur le marché ariégeois, le prix du fer se réduisit de moitié entre 1807 et 1867 (CANTELAUBE, 2002b, 554).

141 ANA/APCA. de Llorenç Allier Romeu à Guillem Areny Plandolit, 23 septembre 1843.

142 Il y avait 2 forges en activité à Campdevànol, une à Camprodon, une autre à Sant Joan de les Abadesses. la farga de Grau et celle de Bagà. Seules ont été citées les forges dont la bibliographie mentionne le fonctionnement à la fin du XVIIIe siècle et au XIXe siècle. Les réponses au questionnaire des douanes de 1867 ne mentionnent que la forge de Grau à Campdevànol. Sont également mentionnées celles de Massanet de Cabrenys et celle de Darnius qui avait travaillé à deux feux avant de revenir à un seul foyer. Dans ce questionnaire, aucune forge n’est mentionnée pour le Pallars ou la Cerdagne, 5 établissements sont cités pour la région de Burgos et 24 pour la Navarre. Au total, d’après ce texte, il y aurait 32 forges qui employaient la filière directe (GALLARDO, RUBIO, 1930, 67-68 ; MOLERA, BARRUECO, 1987, 42-51 et COMISION DE ADUANAS, 1867, 147-149 et 156-158).

143 ANA/APCA, de Pau Font à Guillem Areny Plandolit. 5 mai 1845, doc. 13313.

144 ANA/APCA, livre 42.

145 ANA/APCA, de Pau Font à Guillem Areny Plandolit, 5 mai 1845, doc. 13 313.

146 D’autant que les forges andorranes ne payaient rien pour exporter le fer en Catalogne.

147 ANA/ACC – livre 4, 17 mai 1716 et 16 juin 1716.

148 ANA/ACA, livre 3.

149 ANA/APCA, 8 septembre 1759, liasse XXI, doc. 1720.

150 Les contrats de concession prirent effet en 1776, lorsque la forge d’Envalira ferma – ANA/ACC, livre 3, AXAP, doc. n° 20 et APCR, 27 septembre 1774, concession de minerai s. n.

151 Pour la forge d’Encamp, les familles Picart d’Encamp et Areny d’Ordino se partageaient le paiement. Au Serrat, c’étaient les familles Areny et Rossell d’Ordino.

152 À cette date, le loyer acquitté pour les mines (162 livres) équivalait à peu de chose près au loyer d’une des estives les plus chères.

153 ANA/ACC, livre d’actes 3, 20 novembre 1749.

154 ANA/ACC, livre d’actes 3, 14 avril 1758.

155 ANA/ACC, livre 5.

156 Une pour la forge d’Envalira et deux pour celle du Serrat, chaque propriétaire possédant personnellement une mine.

157 ANA/APCR, original 28 mai 1759, copie faite par Thomas Palmitjavila, notaire d’Encamp le 14 juin 1775.

158 En 1761, la commune de Canillo dût réduire à cinq cannes (14,1 m) le périmètre de protection.

159 Pour le détail de cette affaire, CODINA, 2003, 227-238.

160 Pour le développement du réseau et l’organisation du travail à la Collada de Ransol, voir CODINA, 2003, 513-538.

161 Il ne s’agit ici que des prospections fructueuses ayant laissé des traces dans la comptabilité des forges, puisque des chargements de minerai avaient été livrés.

162 DUBOIS, 1998.

163 Ce fut en 1846, 1854, 1855 et 1857, ANA/APCA, livres de comptes de la forge 40 à 46.

164 Serrat, Areny et Picart jusqu’en 1845 ; Areny, Picart et Rossell par la suite.

165 THOS, 1884.

166 Le droit fut acquis par les concessionnaires de la forge, les frères Raguer, qui le transférèrent à la commune en 1789. Le tarif était de 84 livres catalanes par an – ANA/ACA, doc. 118.

167 ANA/ACSJ, livre 3, 18 juin 1759.

168 FRANÇOIS, 1843, 88 et IZARD, 1999, 371.

169 MAS C, 2000, 137-148.

170 THOS, 1884.

171 ANA/APCA et APCR, croisement de l’ensemble des livres de forges dépouillés.

172 MAS C, 2000, 158-161.

173 ANA/APCA, livre 42 et APCR, livre 197.

174 116 % d’augmentation de la valeur de la charge équivalent blé entre 1810 et 1868.

175 Jean Cantelaube estime qu’en Ariège le nombre de feux passa de 36 à 57 entre 1800 et 1841 (CANTELAUBE, 2002b, 516-518).

176 Le conseil de Canillo prévoyait de réserver le transport aux habitants, le locataire de la forge ne pouvait faire appel à des étrangers (andorrans ou autres) que si la main-d’œuvre lui manquait – ANA/ACC, livre d’actes 4, actes de location de la forge de Ransol.

177 De 1741 à 1761, la charge de minerai (104 kg) livrée au Serrat était payée 7 sous, elle en valait 8 à Ransol et 10 à Ordino. Après 1812, le tarif passa à 10 sous au Serrat et 15 à Ordino. A la fin du siècle, le minerai livré à Ordino était payé 16,87 sous et 18 à la forge de la Massana. Au milieu du XVIIIe siècle, le transport du minerai augmentait le prix de la matière première de 466 % au Serrat, alors qu’à la fin du XIXe siècle le surcoût jusqu’à Ordino était de 250 %. Entre temps, le salaire recouvré par charge par les mineurs avait quintuplé – ANA/APCR, livres du minerai, compagnie mixte, s. n.

178 En comparaison, c’est un tiers de plus de ce qu’annonce Jules François pour les mines du Puymorens et vingt fois moins que ce que l’on produit à Rancié (FRANÇOIS, 1843, 88 et 152).

179 Bilan établi à partir de la production de fer des forges en comptant 7 charges de minerai par loupe.

180 Forges du Serrat, d’Areny et Picart, puis d’Areny, de Picart et de Rossell à partir de 1845. À titre de comparaison, le droit de mine recouvré par la commune de Canillo, au XIXe siècle, pour les trois compagnies travaillant à Ransol, totalisa 8 816 livres.

181 ANA/APCA, livre 46 et APCR, livre 127.

182 CODINA, 2001, 83-145.

183 ANA/APCR, livres du minerai de la compagnie mixte déchargé pour le compte de Guillem Areny Plandolit (forges du Serrat et d’Ordino), s. n.

184 Dans ces cas, l’intégralité du salaire était payée au prix de vente de la marchandise, alors que le propriétaire réalisait un bénéfice sur le produit qui servait de base à la transaction.

185 En particulier, tous les ans, sont mentionnées 3 ou 4 veuves qui transportaient une cinquantaine de kilos de minerai en 2 ou 3 voyages.

186 924 livres à 112 sous le doublon – ANA/ACC, livre 4.

187 ANA/ACA, doc. 97.

188 C’est le seul cortó dont le tarif resta fixe – ANA/ACA, livres 2, 3, 9 et 10.

189 ANA/APCR, doc. 199.

190 ANA/APCA, liasse XXI, doc. 1732.

191 Pour la forge d’Encamp, le même mécanisme est à la base de la fondation. En 1742, les deux copropriétaires se partageaient un droit de charbonnage de 2 000 livres – ANA/ANMV, 15 juin 1742, doc. s.n.

192 Il s’agit d’un censal de 185 doublons fondé au cours de la Guerre de Succession d’Espagne qui existe pour les six communes andorranes. Il correspond au montant d’une importation de blé. En 1737, est mentionné le paiement du premier cens de censal en février 1710. Nous n’avons pas retrouvé l’acte original qui se montait à 1 110 doublons et devait équivaloir approximativement à 700-750 charges de blé – ANA/ACA, liasse III, doc. 3.

193 ANA/APCA, liasse VI, doc. 401 bis.

194 ANA/APCR, doc. 208 et ANA/APCA, liasse VI, doc. 401 bis.

195 1 225 livres Bna – ANA/APCA, liasse XXI, doc. 1720

196 Après la réforme de la Nova Planta, le corps des regidors mis en place par la royauté remplaça les anciennes autorités consulaires (TORRAS 1983, 178-208).

197 Notons la différence radicale entre les communes catalanes et andorranes : alors qu’en Andorre on utilisait le droit de propriété sur les communaux pour s’enrichir en louant les estives, à Os la population payait 25 livres chaque mois de septembre pour utiliser les vacants.

198 Le 3 avril 1785, Areny acheta également le droit de charbonner et de construire une forge dans la vallée de Romadriu (Alt Urgell) pour 3 500 livres (ANA/APCA, liasse XXI, doc. 1723). Il n’y eut pas de suite à cet acte et la maison Areny ne participa pas à la forge de Romadriu qui fut effectivement construite au XIXe siècle (MAS C, 2000, 66).

199 Dans son raisonnement, Rossell exagère le prix du charbon. Le seuil de 5 sous la charge ne fut atteint qu’après 1800 – ANA/APCR, doc. 200.

200 L’autonomie des quarts était toute relative, ils pouvaient vendre leurs biens comme bon leur semblait tant que leurs décisions n’entraient pas en contradiction avec les décisions communales.

201 ANA/APCR, doc. s. n., 29 octobre 1742.

202 ANA/ACA, doc. 118.

203 Rabassa, Sorteny, Estanyó et Castellar – ANA/APCR, doc. 198.

204 ANA/APCR, doc. 206.

205 1 6 000 charges – ANA/APCR, doc. 208.

206 En 1769, Guillem Areny Montargull déléguait le droit d’acheter 5 800 charges de charbon au locataire de la forge, il précisait que l’acte ne devait pas excéder 5,75 deniers par charge – ANA/ANMV, livre 15, f° 217-219.

207 En 1765, celle de Arestui leur donna la faculté de charbonner pour 165 ans, et, un an plus tard, celle de Sant Joan Fumat le fit à perpétuité (MAS C, 2000, table 16, 199).

208 ANA/APCR et APCA, documents concernant la forge du Serrat.

209 Achat de 16 000 charges à 4 000 livres Bna. L’un des censals avait été racheté par la famille Areny 170 ans plus tôt (1659), l’autre fut fondé en 1717 et résultait de l’accumulation des intérêts du premier acte. Le dernier datait de 1731 – ANA/APCR, doc. 208 et APCA, livre 22.

210 ANA/ACSJ, livre 4.

211 ANA/ACA, livre de comptes 3 et liasse V, doc. 2.

212 Dans le premier cas, aux profits des droits de charbonnage s’ajoutait une part des bénéfices obtenus de la location de la forge du Madriu. Dans le second, il s’agissait des deniers de l’archive auxquels s’ajoutait une partie des gains obtenus d’une vente de charbon effectuée en 1844 pour 3 750 livres.

213 En Ariège, il semble qu’il y ait eu une évolution identique. En 1820, le directeur des domaines écrivait que : « ... Nous ne sommes plus dans le temps où les maîtres de forges exploitent sans règle ni mesure en se contentant d’envoyer leurs charbonniers, sans leur indiquer les bois qu’ils devaient abattre... »– Le directeur des Domaines au préfet, Foix, le 25 mai 1820, A.D. Haute-Garonne, P 360, 3 (BONHÔTE, 1998, 8).

214 ANA/APCR, doc. 202 et 202.

215 ANA/ACC, livre 3, 20 novembre 1749.

216 ANA/APCA, liasse XXI, doc. 1772.

217 BONHÔTE, 1998.

218 Soit 8 à 11 stères de charbon, 10 à 14 stères de bois – ANA/ACC, livre 3, location de la forge à Jaume Marti del Tarter, 23 octobre 1741.

219 Soit 50 m3 de charbon pour 70 stères de bois – ANA/ACA, doc. 101.

220 ANA/APCR, doc. 70, 73, 208 et livres 19 à 21 et 349 à 351.

221 ANA/APCR, s. n., 8 octobre 1737.

222 ANA/APCR, livre 139.

223 ANA/APCA et APCR, croisement des données pour les forges du Serrat, d’Ordino, d’Encamp et de la Massana.

224 ANA/APCR, livre 188.

225 ANA/APCR, livres 177 et 178.

226 ANA/APCA, doc. 1732 et APCR, livre 225.

227 Le prix moyen du quintar de fer passa la barre des 240 sous en 1809, alors qu’il était à moins de 110 sous avant 1782 – ANA/APCA, APCR, recoupement des prix de vente du fer.

228 Entre 1775-1780 et 1850-1855, le fer avait augmenté de 36 %, alors que le prix du charbon s’était élevé d’un peu plus de 200 %.

229 CANTELAUBE, 2002b, 693.

230 Le change entre la livre barcelonaise et la livre tournois était passé de 1 pour 3 à 1 pour 2,5. Il fut de 1 pour 2 au cours de la crise du début du XIXe siècle, moment où les salaires furent les plus hauts, puis il se stabilisa à 1 pour 2,5 pour le reste de la période.

231 En équivalent blé, sur le marché andorran cela représentait respectivement 100 / 117, 116 / 162, 118 / 206 et 133 / 291 setiers.

232 CANTELAUBE, 2002b, 689-700.

233 DRALET, 1813, vol. 2, 189, note 1.

234 MAS C, 2000, 218-219 ; les documents utilisés par cet auteur ne permettent pas de déterminer si leur présence était aussi massive qu’en Andorre.

235 ANA/APCA et APCR, croisement de la documentation des forges.

236 Le secteur le plus petit donna 25,3 tonnes de charbon, le plus grand 442, 1 tonnes – ANA/APCA, livre 42, et APCR, livre 197.

237 Comme pour les mines, la documentation qui permettrait d’affiner cette affirmation manque. Cependant, le nombre de références existantes dans les comptabilités ne laisse que peu de doute, le taux d’endogamie devait être important – ANA/APCA, livre 42, APCR, livre 132 et doc. 63.

238 Siguer, Auzat, Sullach, Vicdessos, Capoulet, Goulier, La Ramade, Alliat, Junac, Lercoul, Miglos, Saleix et Suc.

239 Banat et Saurat.

240 Du Bosc, Brassac, Serres, Ganac et de la Barguillère.

241 ANA/ACSJ, Fonds Tabacalera, doc. s. n.

242 ANA/ACSJ, livres 4 et APCA, livres de comptabilité des forges 34 à 46.

243 ANA/APCR, doc. 208.

244 ANA/APCR, doc. 201, 202 et 204.

245 7,5 sous par charge pour 8,5 sous de droit – ANA/APCR, doc. 207.

246 7,5 sous de port pour 8,25 sous de droit – ANA/APCR, doc. 210.

247 ANA/APCR, doc. 201.

248 ANA/APCA, livre 45.

249 Des chiffres comparables peuvent être établis pour la forge Rossell dont nous disposons de l’ensemble de la documentation (CODINA, 2001, 119-132).

250 28 ouvriers venaient d’Os, 21 du Pallars, 31 de Sant Julià et 2 étaient originaires d’Andorre – ANA/ACSJ, série Tabacalera, s. n. Et ANA/ACSJ, livres 4 et 2.

251 Essentiellement du pain, du vin, de l’huile et du lard vendus au détail, sur lesquels l’administrateur de la forge prenait une commission de 6 %.

252 ANA/APCA, livre 45.

253 191 livres de questia pour 5 959 livres de salaire – ANAAPCA, livre 45 et ACO, livre 3.

254 1 01 individus sur 931 habitants (ARMENGOL, 1987b, 29).

255 6 et 8 personnes par famille.

256 Si l’on comprend les ouvriers ayant travaillé au même moment à la forge Rossell, il faut ajouter 50 contrats, dont 21 correspondent à des individus qui avaient également servi à la forge Areny. Il y eut par conséquent 138 traginers employés pour les deux forges (14,8 % de la population totale, 20,8 % de la population « active ») – ANA/APCR, billets de forge 1852- 1853.

257 88 en comptant ceux de la forge Rossell (64 dont 6 avaient travaillé aux deux forges), soit 9,1 % de la population (12,7 % des actifs) – ibid.

258 En 1807, il y avait 41 feux en Ariège, il y en avait 43 en 1818 (CANTELAUBE, 2002b, tableau 517).

259 IZARD, 2000, 382.

260 MAS C, 2000, 59.

261 Au cours du XIXe siècle, deux nouvelles forges furent ouvertes en Pallars.

262 En 1752, les forges de Guipúzcoa et de Vizcaya produisirent 9 532 tonnes (214 établissements). La production s’était légèrement réduite. De l’autre côté de la chaîne, pour la même période, 27 forges du Pays de Foix produisaient 1 822 tonnes. En 1810, les 39 forges ariégeoises donnaient 3 954 t (BILBAO et FERNANDEZ, 1982, 133-228 ; CARRION, 1991, table 21, 266 et fig. 11, 332 et CANTELAUBE, 2002b, 525-526).

263 CORBERA, 1995, 357-365.

264 Nous retrouvons les familles Areny et Rossell d’Ordino, Torres d’Encamp et Moles d’Andorre qui contrôlaient des compagnies pastorales, mais aussi Picart d’Encamp qui était notaire.

265 Jérôme Astrié en 1738. Jean Batiste Bonneri en 1750 et Honorat Bonnel en 1753 – ANA/ACC, livre 3.

266 Antoni Duedra de Canillo en 1724, Joan Areny Calvo de Soldeu en 1734, Marti du Tarter en 1742 et Germa Areny Call en 1755.

267 Par exemple, en 1737, Calvo était le second payeur de questia, Marti le quatrième, Antoni Duedra le sixième et Call le huitième ; en 1743, Calvo était le premier, Marti le troisième, Antoni Duedra le quatrième et Call le huitième – ANA/ACC, livre 4.

268 ANA/ANMV, livre 98, f° 380.

269 ANA/APCR, 17 juillet 1723, doc. s. n. ; 12 juin 1727, doc. s. n. ; livre 195 ; ANA/APCA, liasse XI, doc. 781 ; ANA/ANMV, livre 15, F 215-216.

270 Le montant total du loyer pour la période 1755 à 1757 est inconnu, car Germa Areny Call devait payer 13 sous par quintar de fer produit.

271 Ainsi, en 1737-1738, la questia se montait à 313 livres ; en 1743-1744, elle fut de 288 livres ; en 1755-1756, de 250 livres et, en 1763-1764, de 316 livres – ANA/ACC, livre 4.

272 Le dernier contrat, qui débuta en 1758, enregistra une baisse des trois quarts puisqu’il fut fixé à 200 livres annuelles.

273 ANA/ACA, doc. 101 ; liasse V, doc. 12.

274 Quatre mois par an – ANA/ACA, doc. 97, 21 mai 1788.

275 Le retard dans les paiements n’était pas une caractéristique des seuls comptes de la forge – ANA/ACC, livre 4.

276 Valeur calculée à partir des cours appliqués aux forges du Serrat et d’Ordino – ANA/ACA, doc. 118.

277 ANA/ACA, doc. 101.

278 ANA/APCA, doc. 1616.

279 La commune se réservait le droit d’y conduire des bêtes du 23 septembre au 15 juin, c’est-à-dire pendant la période de fermeture des estives.

280 En cas d’infraction, le locataire risquait 25 livres d’amende et devait payer les dégâts occasionnés au bétail privé. A titre de comparaison, pour les infractions faites aux règles de charbonnage, il n’était redevable que d’une amende de 10 livres.

281 ANA/ACA, doc. 118.

282 ANA/ACA, doc. 101, 112, 115 et liasse V, doc. 20.

283 CANTELAUBE, 2002b, 41-69.

284 COMISION DE ADUANAS, 1867, 147-149 et 156-158.

285 3 22,5 livres de loyer annuel pour quatre ans – ANA/ACA, doc. 202.

286 ANA/ACA, doc. 102, 115, 209, 221.

287 En équivalent fer, le loyer moyen pour les quatre ans passa de 4 tonnes à 2,4 tonnes l’an. Au moment de la signature, le prix du fer était au plus haut et le loyer représentait 3,7 tonnes de fer (-35 %).

288 Le prix de la location en fer étant resté stable entre 1810 et 1836, si l’on considère que les années manquantes furent louées au même tarif, la forge représenterait 55 % des revenus sur 45 ans.

289 20 pesettes par maison.

290 30 000 charges de charbon, à 5 sous la charge – ANA/APCR, doc. 202.

291 7 800 livres sur 13 279 livres, la valeur de 38 900 charges de charbon – ANA/ACSJ, livre 4.

292 Valeur de 211,5 charges de blé reçues au cours des 10 ans de location.

293 Les maisons qui n’avaient pas accès au conseil communal, celles qui n’appartenaient pas à un prohom.

294 Cette demande s’inspire du mécanisme qu’utilisait la commune lorsqu’elle ne trouvait pas un responsable pour prendre la boucherie communale. Un roulement était établi : chaque feu fiscal devait tenir la boucherie pendant une semaine. L’ordre de passage était celui utilisé pour la liste de la questia. Ce mécanisme fut employé en 1657, 1714, de 1727 à 1729, puis en 1732 et en 1758.

295 À ce sujet, ANGUERA, 1995.

296 La baisse avait été de 25 % par rapport à 1800 (160 sous) et de 79 % par rapport aux maxima enregistrés en 1812 (580 sous), moment de la période 1700-1876 où les prix furent les plus hauts. Pour la viande de mouton, le mouvement est concordant, mais il n’eut pas la même amplitude. La réduction fut de 18 % par rapport à 1800 (8,23 sous) et de 46 % par rapport à 1813 (12,5 sous). Les prix égalèrent ceux appliqués au cours de la période pré-révolutionnaire (1780-1789) qui résultaient d’une hausse constante depuis 1748-1750. Pour le fer, la période 1795-1814 fut caractérisée par les prix les plus élevés. De 1794 à 1818, le quintar de. fer fut systématiquement vendu plus de 10 livres (11,6 livres le quintar en moyenne) – ANA/ACSJ, ACA, APCA et APCR, croisement des divers dépouillements.

297 ANA/ACA, livre 3.

298 Ibid. et APCR, livres 359 et 191.

299 Pour les décennies 1830-1839, 1840-1849 et 1850-1859, la moyenne annuelle fut de 854, 864 et 775 livres – ANA/ACA, livre 3.

300 La moyenne de 1830-1860 équivaut au prix de 104,2 charges de blé, celle de 1760-1789 équivaut à 47,9 charges de blé.

301 En 1828, les estives des Heres, Bael, Setut et Enclar furent louées pour 376 livres, alors qu’elles ne valaient que 103 livres en 1770, 155 en 1780 et 144 en 1790. Le prix de location moyen d’une estive fut en constante évolution – ANA/ACA, livres 3, 9 et 10.

302 Les ventes de charbon étaient aussi importantes qu’à Andorre ou à Sant Julià. Cependant, elles débutèrent dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, alors que la commune d’Andorre ne fut vraiment sollicitée qu’à partir de la fermeture de la forge du Madriu.

303 Le fait que Picart se tourne vers la commune d’Andorre en 1844 pour acquérir des droits de charbonnage hors de sa commune d’origine semble à priori confirmer cette hypothèse.

304 ANA/ACC, livre 4.

305 calcul établi à partir de la production moyenne par loupe à la forge du Serrat – ANA/APCR, livres 106 à 128.

306 Le salaire des transporteurs de fer avait fortement augmenté. En 1757-1760, le transport d’un quintar de fer du Serrat à la Seu était payé 2,5 sous, il en valait 3 ou 3,75 selon le cas en 1785-1788 (+ 20 et + 50 %), 5 (+ 100 %) en 1799 et était rémunéré à 7,5 sous de 1830 à 1845 (+ 200 %). Par rapport au prix du fer, cela représentait respectivement 2,8 %, 2,3-2,9 %, 3,2 % et de 4 à 6 % entre 1830 et 1845 – ANA/APCA et APCR, livres de comptes de la forge du Serrat.

307 Pas intégralement puisqu’une partie du charbon était faite et transportée par les communautés voisines de l’Ait Urgell (Arcavell et Os). Certains muletiers transportant du fer étaient originaires de la Seu, et il n’est pas démontré que les habitants de Porta, qui exploitaient la mine du Puymorens, n’agissent pas de la même manière que ceux de Canillo ou Ordino pour le transport du minerai.

308 ANA/APCR et APCA, livres de comptes des forges (306 contrats).

309 Ibid. (419 contrats).

310 ANA/APCR, de Jean Régnier à Antoine Fournier de Siguer.

311 Il s’agit de Felicien Maurie, maller à la forge Rossell de 1861 à 1863.

312 MARTY, 1999, 228-280 ; MACHOT, 2000, 370-373 ; MAS C, 2000, 106 et 107.

313 CANTELAUBE, 2002b, 488-491.

314 À ce sujet, CODINA, 2003, 686-689.

315 Le pain qui était vendu n’était pas uniquement fabriqué en Andorre, certaines années il était importé d’Ariège (Sinsat, Siguer) ou de la Seu d’Urgell. La consommation saisonnière des divers ouvriers qui travaillaient pour la forge était relativement importante. En 1846, le boulanger d’Andorre livra 2,2 tonnes de pain, en 1847. il y en eut 2 766 et 1 742 en 1849 – ANA/APCA, livre 42.

316 Morceaux de tissus servant à tenir les outils.

317 Tous les vanniers recensés étaient originaires de Miglos ou de Vèbre.

318 CODINA, 2001, 142-146.

319 ANA/APCA, livre 42.

320 De 1841 à 1868, la forge Areny produisit 2 382 tonnes de fer, la forge Rossell donna 846,5 tonnes de 1845 à 1876.

321 ANA/APCA, feuillets annexes au livre 42.

322 Moyenne obtenue à partir du volume de vente, le prix au quintar varia de 168,75 sous à 191,83 sous.

323 923 % de cette somme passa en Ariège et 9,2 % en Alt Urgell.

324 11,3 sous par journée, 6 jours ouvrables par semaine. Un ouvrier agricole pouvait ponctuellement gagner plus, une journée pour battre le grain était payée 15 sous de 1812 à 1845, le double d’une journée normale – ANA/APCA, doc. 1264.

325 800 sous par an – ANA/APCR, livres de comptes s. n.

326 84 contrats à la forge Rossell – ANA/APCR, billets de forge 1860.

327 Le nombre de contrats variait avec la production. Pour la forge Rossell, entre 1845 et 1858, le nombre d’ouvriers ayant travaillé varia de 74 à 164 par saison (CODINA, 2001, fig. 72). Ces chiffres de main-d’œuvre sont comparables à ceux obtenus pour d’autres régions (Ariège, Pays Basque, Béarn, Aude et Tarn ; CANTELAUBE, 2002b, 636-655 ; MACHOT, 2000, 367- 370 et MARTY, 1999, doc. 7).

328 BAQUER 1849, 50.

329 Par rapport au salaire moyen payé à ces ouvriers à la forge Areny en 1852 et 1860, cela représente respectivement le salaire de 449 et 774 personnes. L’équivalent du salaire en argent de 398 bergers.

330 ANA/ASC, livre 11.

331 De 1800 à 1874, il fut déclaré 667 133 averies, cela fait 18 531 par année de déclaration. Au prix fixé pour les moutons, le troupeau valait 101 920 livres (91 472 têtes en fonction du prix des brebis).

332 ANA/ACSJ, fonds Tabacalera, série forge d’Os et livre 5 ; APCA, livre 42 ; APCR, livres 251 et 335.

333 Les forges chômèrent en 1867, 1869-1871.

334 ANA/APCA, doc. 1253.

335 ANA/APCR, doc. 208, 20 novembre 1829.

336 Son fils, Bonaventura Riba Calva, se maria avec Francesca Magdalena Fiter Rossell qui devint l’héritière de la maison Rossell. C’est lui qui conduisit à son terme la location prise par son père.

337 ANA/APCR, doc. 220.

338 Riba Guillaumes devait 2 711,9 livres – ANA/APCR, doc. 221.

339 ANA/APCR, doc. 216.

340 ANA/APCR, livres 304 à 306, 308 et 355.

341 L’équivalent de 25,6 tonnes de fer en 7 ans, 3,65 tonnes par an.

342 ANA/ACA, doc. 112.

343 Il pourrait s’agir du descendant du facteur de la forge du Serrat, Jean Augé de Siguer dont le nom était parfois traduit, dans certains documents, par celui de Joan Auger – ANA/APCR doc. 20, 23 et APCA, livre 42.

344 1 125 livres par an en 1813 (campagne 1813-1814) et 1 000 livres en 1816 (campagne 1817-1818)– ANA/AXAP, doc. s. n.

345 3 4 00 livres par an, l’équivalent de 11,5 tonnes en 1813 et 12,8 tonnes en 1817. Par rapport au loyer que paya Jean Baptiste Bonneri en 1770-1773, cela représente une hausse de 40 % en valeur argent, mais une baisse de 35,5 % en équivalent fer – ANMV, livre 15, f° 217-218.

346 L’équivalent de 11,5 tonnes de fer au prix de 1813.

347 En comparaison, au même moment, le loyer de la forge du Serrat fut revu à la baisse de 1 125 à 1 000 livres et à la forge du Madriu le loyer passa de 1 100 à 700 livres par an.

348 ANA/APCA, doc. 1823 à 1852.

349 Pour suivre la production des forges, il a été utilisé le nombre de massers produits. Ce chiffre est directement tributaire de la durée de la campagne. Il permet également de comparer l’évolution de la production, sans qu’entre en jeu la notion de rendement qui pourrait fausser les choses, puisque la quantité de fer par loupe n’était pas identique pour tous les établissements.

350 48 tonnes de fer en une campagne – ANA/APCR, livre 105.

351 MOLERA, 1983, 55.

352 En 1822, la Seu tombait aux mains des troupes absolutistes d’Antonio Marañon. Les troupes libérales marchèrent sur cette ville pour anéantir la régence qui s’y était installée. Ces mouvements de troupes ne pouvaient être que néfastes pour l’exportation du fer andorran qui passait obligatoirement par la Seu.

353 La moyenne mobile quinquennale se stabilisa au niveau de 1808, de 20 à 28 % au-dessous du seuil atteint en 1828, près de 16 % au-dessus des taux enregistrés en 1810 ou 1821, près de 35 % de plus qu’au début du XIXe siècle. C’est au cours de cette phase que la forge d’Andorre ferma ses portes.

354 77 % de baisse entre 1840 et 1845 – ANA/APCR, livres 131, 134, 136.

355 ANA/APCA, livre 42.

356 6,57 sous la livre en 1837 et 6,58 en 1845.

357 8,72 sous la livre en moyenne entre 1839 et 1841.

358 Par exemple, le sel atteignit 195 sous le quintar, alors qu’il n’était plus qu’à 95 sous en 1841 (-51 %). L’huile vendue à 540 sous en 1812 l’était à 300 sous en 1842 (– 44 %), le fromage qui avait atteint 13 sous l’unité baissa à 7,5 sous (-42 %).

359 La charge de minerai abattue, triée et livrée était payée à 5,62 sous tournois, 125 % de plus que le tarif appliqué en 1797.

360 Bien qu’il portât le même nom, ce dernier ne faisait pas partie de la maison Rossell qui dirigeait la forge du Serrat.

361 1,45 tonne de fer par an. Par rapport à la location de la moitié de la forge octroyée à Jean-Baptiste Bonneri en 1771, le loyer en argent avait baissé de 40 %. En équivalent fer, la réduction fut encore plus forte, puisqu’on passa de 3,1 à 1,2 tonne. Ce tarif laisse présager que cette forge connaissait des difficultés semblables à celles qu’affronta l’établissement du Serrat à la fin de sa carrière – ANA/APCA, doc. 1886, livre 34 et LLOBET, 1986, 188-189.

362 ANA/APCA, doc. 1887.

363 ANA/ACSJ, livre 4.

364 Il n’y a pas de documentation pour la forge de Moles. Les achats de charbon à Sant Julià furent tous faits par Bonaventura Moles. La société fondée lors de la construction durait-elle encore ?

365 La construction de la forge Rossell avait coûté l’équivalent de 60,2 tonnes de fer au prix de 1845. C’est la quantité de fer que cette forge produisit entre le 10 novembre 1845 et le 16 octobre 1847, en 19 semaines de travail. À Puntal, en 1619, on avait payé 275,5 livres, l’équivalent d’un peu moins de 3 semaines d’exploitation. La forge Rossell avait valu 47,2 fois plus d’argent et 10,5 fois plus en valeur fer. Le temps de production équivalent au placement était 6,3 fois plus long pour cette forge du XIXe siècle qui produisait hebdomadairement près du double de ce que donnait la forge de Puntal, alors que le prix du fer, vendu à la sortie de la forge, n’avait augmenté que de 350 %.

366 ANA/ACO, livre 6.

367 Bonaventura Moles Llopart était notaire.

368 ANA/ACA, liasse V, doc. 28.

369 Entre les communes d’Ordino et de la Massana, cette famille possédait plus de 120 hectares (41 prés, 42 terres, 27 champs, 13 courtils), 43 bordes et heres, 10 maisons, 7 corrals, 4 cabanes, 3 moulins en pleine propriété et 2 en association, 1 orri, 1 chapelle – ANA/APCR doc. s. n., inventaire 28 juillet 1867.

370 De 1860 à 1866, les achats en Urgellet continuèrent. Neuf nouvelles parcelles furent achetées aux biens nationaux pour une valeur de 5 718,75 livres – ANA/APCA, doc. 1594.

371 Seul est compté le patrimoine Areny. Le patrimoine Senaller, qui entra dans la famille par alliance, n’est pas considéré. Il fut toujours administré par fermage. Il comprenait les droits seigneuriaux de la baronnie de Senaller, sur les villages de Montfornit, Serraspina, Sellui, Pauls et Pobellà ; des propriétés à Pujols, Pobleta, Moviera, Espui et Molins. S’ajoutait le patrimoine Targarona en Osona (Mas Saltor et Targarona à Sant Pere de Torelló).

372 ANA/APCA, doc. 1599.

373 ANA/APCA, doc. 1624, 1629, 1640 et 1658.

374 ANA/APCA, doc. 1656.

375 En 1804, cette location valait 821 livres par an – ANA/APCA, doc. 1622.

376 ANA/APCA, doc. 1659.

377 La maison, les prés attenants et les vergers étaient exclus de la location.

378 ANA/APCA, doc. 1598, s. d.

379 Un exemple est fourni par la forge Rossell. Dans des conditions normales, en théorie, l’investissement que fit la famille Rossell à la forge Rossell pouvait être récupéré en 5 ou 6 ans. Cependant, en réalité, si l’on tient compte de l’immobilisation du capital nécessaire au travail de la forge, des retards de paiement qui s’accumulaient après 1860, la forge ne devint rentable que dans les dernières années de travail (1871-1876).

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