III. Forge, commerce et agriculture : conjoncture, croissance et déboires de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècle
p. 201-295
Texte intégral
1Le bilan plutôt négatif que l’on peut dresser de l’économie communale au XVIIe siècle contraste avec celui affiché par les économies familiales. La filière ovine connut un développement qui, d’emblée, peut sembler contradictoire avec l’évolution globale du cheptel, mais les ressources andorranes ne se limitaient pas à ce seul marché. Traditionnellement, la filière métallurgique était considérée comme l’une des bases de l’économie des vallées. Cette activité nous oblige à poser nombre de questions, dans lesquelles se mêlent les aspects sociaux, économique et techniques.
III.a. La forge au XVIIe siècle, une initiative privée
2La technique métallurgique utilisée dans les vallées andorranes du XVIIe au XIXe siècle s’inscrit dans l’évolution générale de la filière directe, c’est-à-dire celle par laquelle on obtenait du fer en une seule opération à partir du charbon de bois et du minerai. Mais, si la production de fer est incontestablement présente en principauté à cette période, qu’en est-il auparavant ?
III.a.1. Une production métallurgique médiévale ?
3Les seuls vestiges archéologiques, recensés avant le XVIIe siècle, remontent au Haut Moyen Âge (Ve – VIIIe siècle) et ont été mis à jour dans les fouilles du château d’Enclar1. Le volume réduit de déchets sidérurgiques et l’analyse des résidus2 mettent en évidence que la production et la consommation se faisaient sur le même lieu. Deux enseignements préliminaires peuvent être tirés : la technique du fer était présente au Roc d’Enclar, mais il ne s’agit aucunement d’une activité d’importance industrielle. En second lieu, l’activité sidérurgique disparut lors de l’abandon du puig, au plus tard au IXe siècle. Le flux de main-d’œuvre spécialisé confirme l’importance des relations est-ouest et nord-sud déjà mises en évidence au travers des autres matériaux découverts3, plutôt qu’une quelconque tradition métallurgique des vallées.
4Dans la documentation écrite andorrane, il n’existe que très peu de références qui traitent du fer avant le XVIIe siècle. Un document de 1218 cite un lieu-dit, la Fabregada4. Dans la documentation catalane médiévale, les termes fabrega et fabregada étaient employés indifféremment pour définir un atelier de forgeage, dit aussi ferreria, ou une exploitation productrice de fer à partir du minerai5. Par conséquent, cela ne permet pas de conclure de manière certaine pour l’une ou l’autre de ces fonctions, puisque le texte n’amène pas davantage de précisions. La seconde référence documentaire existant en principauté, datée de 1289, est incluse dans un document qui traitait du droit de leudam et pedagium du château de la Bastida de Ponts qui se situait à la frontière sud de la principauté. Des perceptions sur les grains, le bois, la cire, la laine, le fer et le poivre y étaient mentionnées6. Ce texte permet de savoir qu’il existait une circulation de produits entre le comté de Foix et la Catalogne. Ce flux commercial est également attesté pour la vallée voisine du Pallars, puisque, en 1355, les consuls de Vicdessos obtinrent le droit de passer en Pallars avec leurs mulets et leurs marchandises sans payer de droit de leude7. Le texte andorran confirme le passage de marchandises, mais il ne permet pas d’affirmer qu’il y avait une production dans les vallées. En 1498, deux habitants de Canillo témoignent dans une affaire de transport de fer8. Il s’agit de trois hommes transportant cinq verges de fer au-dessus du cortal d’Eraval. D’où venait ce fer qui descendait la vallée, où allait-il ? Le document ne le dit pas, une seule chose est sûre : ce passage était illégal puisque l’on comparaissait devant le juge afin de témoigner de l’infraction9. Le fer n’était pas si courant puisque les compagnons du témoin s’exclamèrent que le forgeron de Carbonel (d’Ordino ?) aurait pu profiter de l’occasion pour s’approvisionner en fer. Il semble que nous soyons loin de l’image d’une vallée productrice et exportatrice de fer.
5Au niveau fiscal, en 860, la perception des droits sur le fer et la poix dans les vallées avait été concédée à l’évêque Guisad I d’Urgell10, mais, a posteriori, il n’existe aucun document qui mentionne la perception de ce droit, ni le renouvellement de celui-ci. Le capbreu établi, en 148011, dans lequel était recensé l’ensemble des rentes appartenant au chapitre d’Urgell en Andorre, ne mentionne aucune perception fondée sur le fer. Pour finir, l’une des seules mentions de charbonnage médiéval correspondait à la vente du droit de charbonner que les communautés pouvaient octroyer aux étrangers. Le charbon, une fois produit, était exporté12. Il est par conséquent incohérent d’associer ce document à une sidérurgie locale. D’autre part, le droit de charbonnage que possédaient les habitants est parfaitement logique dans la civilisation du bois comme l’était la société médiévale, mais il ne permet aucunement d’assurer que le charbon était destiné aux forges
6Contrairement aux régions productrices, on ne trouve pas non plus de référence de paiements de droits liés au fer13. Il semble assez inconcevable que les comtes de Foix, qui fondaient une part importante de leur fortune sur une politique combinant taxation du minerai et contrôle de la production de fer14, n’aient pas pour le moins tenté de contrôler la production sidérurgique, notamment à partir du XIIIe siècle, moment où ils étendaient leur patrimoine sur le versant sud pyrénéen15. À l’opposé, les activités de ferronnerie sont identifiables dans la documentation médiévale andorrane. Le cas de Faure d’Andorre ou celui de Simon de Culties qui se déclarait faber en 1353 sont sans équivoque. Ils travaillaient le fer, produisaient du charbon, mais n’élaboraient pas de métal16. Le 15 mai 1412, la commune d’Encamp donnait à Johan de Riutort, habitant d’Angles, « l’hostal de la farga » pour dix ans à condition qu’il la reconstruise et qu’il s’installe dans le village17. La terminologie utilisée – farga – pourrait prêter à confusion, mais le document nous éclaire puisque sa profession est mentionnée deux fois (fabre et faure)18. Il devait travailler les socs et les bêches. Il s’agit de manière manifeste de réparer des outils agricoles. Le fer ne semble pas être produit sur place puisque les habitants se réservaient le droit de réduire le tarif lorsqu’ils amenaient au faure la quantité de fer nécessaire à la réparation. Le droit de charbonnage gratuit qu’il obtenait sur toutes les forêts de la commune confirme l’absence de production. En effet, si ce fabre fabriquait son fer, comment expliquer que la commune ne tienne pas compte de l’importante consommation de charbon qu’impliquait le fonctionnement d’un bas foyer ? L’absence de mention de minerai, la seule tarification des travaux de forgeage et l’inexistence de loyer inscrivent ce document dans le corpus des locations communales d’ateliers de forgerons établis pour les XVIe-XIXe siècle (cf. infra).
7Il semble, par conséquent, que pour l’heure, mis à part les rares vestiges du Roc d’Enclar, les seuls témoignages tangibles qui attestent de l’élaboration de fer brut en Andorre remontent, au plus tôt, au premier quart du XVIIe siècle19 et rien ne permet d’affirmer actuellement que les gisements métallifères avaient été exploités à des fins productives avant cette date. Sur bien des points, l’Andorre médiévale s’apparente plus au Béarn20 qu’au comté de Foix : consommatrice de fer, elle n’était probablement pas productrice.
III.a.2. Des forges qui n’étaient pas à la catalane
8En Andorre, en 1619, trois établissements sidérurgiques étaient en activité : la forge du Vilaró, celle du Serrat et celle de Puntal. Toutes les trois se situaient dans la commune d’Ordino. Chronologiquement, l’établissement de Puntal fut le dernier que l’on construisit (1619). Il appartenait aux mêmes propriétaires que la forge du Serrat qui est décrite comme relativement récente21. Le développement de l’activité sidérurgique andorrane au cours de ces décennies est à replacer dans un contexte plus large. Pour le Roussillon, Véronique Izard enregistre « ... un rythme de construction spectaculaire notamment en vallée conflentoise... ». Notons également que dans les travaux d’Eudald Graells, la plupart, des documents mentionnant des implantations ou décrivant des forges sur le versant sud catalan datent de la charnière des XVIe et XVIIe siècles22. En Andorre, l’implantation géographique des forges s’était faite suivant un schéma classique à cette époque : au bord d’un cours d’eau, dans la zone boisée exploitable la plus proche possible du gisement métallifère utilisé. Le bâtiment du Vilaró était le plus ancien. Établi dans la dernière décennie du XVIe siècle, la logique d’exploitation qui le régissait diffère de ce qui est observable pour les deux autres établissements. Le Serrat et Puntal se situent à l’entrée de la vallée de Sorteny, où étaient exploités les gisements ferreux de la Collada dels Meners, sur les flancs du massif de la Serrera. Fondamentalement, le secteur des mines correspond à celui qui fut utilisé à partir du XVIIIe siècle (cf. infra). Une différence notable est mise en lumière par la documentation, il y avait multiplication des lieux d’extraction et il n’y avait aucun besoin de fournir les mineurs en éclairage ou en bois d’étalement23. Une conclusion s’impose, le travail se faisait sur des fronts à ciel ouvert. L’absence de galeries laisse penser que l’exploitation minière était alors à son début et que, vraisemblablement, l’implantation de ces deux forges était contemporaine de la découverte des filons. Pour la forge du Vilaró, l’approvisionnement en minerai était assuré à partir des minéralisations qui affleurent dans le secteur de Llorts24. Les ressources ne devaient pas être importantes, puisque, malgré le triplement du prix du minerai consécutif au transport, des muletiers acheminaient du minerai depuis les mines de Ransol dès 1620. Ce choix ne s’explique que si les filons situés près de la forge n’étaient pas suffisants. Pour s’approvisionner, le propriétaire du Vilaró dépendait du bon vouloir des propriétaires des deux autres forges. Cette situation permet de supposer que cet atelier fut élevé avant que les filons de la Collada soient connus.
9Il est à noter, qu’en 1623, un acte signé par Honofre Baldo, lieutenant du procureur royal pour les comtés de Roussillon et Cerdagne, octroyait pour un an, à Antoni Pal d’Ordino, propriétaire de la forge du Vilaró, le droit de prospecter sur la montagne de Puymorens25. Cela confirme qu’il était à la recherche de nouveaux filons et qu’il ne pouvait pas s’implanter à la Collada de Ransol. Cet acte ne visait pas directement le fer puisqu’il pouvait exploiter « ... quascumque minas ferri, auri, argenti, cofolli, plumbi, azurri, stagni, calabris, sufri et aliorum... ». Il s’inscrit pleinement dans la politique roussillonnaise d’intensification et d’encouragement des prospections26. Cet essai n’a pas eu de conséquences puisque, dès l’année suivante (1624), la concession fut inféodée à Pierre Costa de Puigcerdà. C’est ce second acte qui fut à l’origine de la création des mines du Puymorens qui étaient encore exploitées au XVIIIe siècle par les descendants de Pierre Costa27.
10Le choix de la haute vallée d’Ordino pour construire ces usines n’est pas uniquement explicable par l’existence des filons de minerai de la Serrera. Ces forges avaient bénéficié d’un contexte favorable extérieur aux vallées d’Andorre. La zone du Serrat se situait à la confluence des rivières de Rialb et du Valira du nord. Elle formait un nœud de communications important avec Tarascon et Foix en comté de Foix. Par la vallée du Valira, en passant par le col du Rat, le chemin menait directement aux villages d’Auzat et de Vicdessos et par celle de Rialb, après franchissement du port de Siguer, le chemin conduisait à Siguer. Le Serrat était par conséquent directement en contact avec l’importante aire de production métallurgique fuxéenne. Les vallées de Vicdessos et Siguer abritaient 14 forges sur les 32 établissements qui œuvraient en Ariège28. Dans leur construction, les forges andorranes avaient bénéficié des acquis technologiques qui s’étaient développés dans le comté de Foix. L’érection des établissements de la principauté avait été réalisée par des maîtres de construction ariégeois. Pour la forge de Puntal, Guillem Areny et Bernat Rossell d’Ordino, engagèrent Pierris Gresa d’Auzat et François de Rafel d’Albiès pour conduire le chantier29.
11La situation générale dans laquelle se trouvaient les forges ariégeoises a vraisemblablement influé dans la décision d’implantation de ces forges. Dans cette région, la fin du XVIe siècle fut marquée par la faim de charbon30. Cette situation de déséquilibre n’était pas une nouveauté puisque, déjà en 1347, la communauté de Vicdessos avait dû signer un traité d’échange de minerai contre du charbon avec le Couserans afin d’alimenter ses forges. La pénurie de bois semble s’aggraver à la fin du XVIe siècle. La forge de Montgailhard, par exemple, perdit sa fonction productrice en 1580 et fut transformée en martinet. Pour ce qui est des vallées andorranes, il est remarquable que l’un des meilleurs clients des forges du Serrat et de Puntal ait été Marfany de Siguer. Ce propriétaire de forge avait été quelques années auparavant l’un des promoteurs des demandes d’élargissement des zones de charbonnage de cette vallée. Le type de contrats commerciaux qui liaient les forges d’Ordino aux forges ariégeoises montre une convergence d’intérêts entre les établissements des deux régions. À cette époque, les liens qui les unissaient se différenciaient grandement de ce que l’on peut observer pour les régions catalanes consommatrices de fer andorran. Les actes de vente ariégeois mettaient en présence deux producteurs de fer. L’ensemble de la production qui transitait par les cols de Siguer et du Rat aboutissait, intégralement, dans les magasins de stockage des forges ariégeoises. Au premier abord, il aurait semblé logique que les forges de la haute Ariège utilisent la production andorrane afin de fabriquer des produits finis. Par ce biais, les forgeurs de Vicdessos auraient pu détourner le monopole sur la fabrication d’outils que possédaient les martinets de Foix. Or, au contraire, seul les intéressait le fer brut en barres ou en lingots. Le fer andorran n’était pour eux qu’un moyen d’augmenter la quantité de produit qu’ils envoyaient sur le marché. Malgré l’important potentiel que possédait déjà la haute Ariège, elle n’arrivait pas à satisfaire la demande. Ce déficit fut probablement le facteur qui poussa au développement de la métallurgie dans la haute vallée d’Ordino. Au travers du Vicdessos, le premier marché visé était celui du Languedoc.
12Parmi ces premiers établissements sidérurgiques établis en principauté, le seul qui soit connu de manière plus ou moins détaillée est celui de Puntal. La construction eut lieu entre le mois d’octobre 1619 et le mois d’avril 1620. La comptabilité qui était tenue depuis le jour de l’engagement des premiers ouvriers permet de se faire une idée précise du type d’établissement qui fut construit. Il s’agissait d’un établissement de taille réduite construit de plain-pied. Excepté les fondations et les murs qui devaient recevoir le bas fourneau, construits en dur, le reste de l’atelier fut réalisé en bois. Pour ce qui est du mécanisme interne de la forge, il se composait d’un seul marteau dont les soucheries avaient été également réalisées en bois et de deux soufflets qui furent achetés dans le comté de Foix. L’alimentation en eau se faisait au travers d’un réservoir de bois relié à la rivière par une prise d’eau (peixera)31. La documentation reste muette sur les éléments auxquels était appliquée l’énergie hydraulique, mais il semble logique que, comme c’était le cas en Ariège32, elle soit appliquée simultanément au soufflage et au martelage. La constitution du bas foyer de cette forge est impossible à restituer à partir de la documentation. Au mieux peut-on remarquer que parmi les diverses pièces de fer mentionnées il n’y en a aucune qui puisse s’apparenter à celles que l’on peut recenser dans la documentation des forges implantées à partir du XVIIIe siècle. Ceci n’est guère surprenant si l’on tient compte que le creuset à la catalane n’acquit sa morphologie définitive qu’au cours du XVIIIe siècle33. Cette forge est à classer parmi les descendantes des moulines nées à la fin du XIIIe ou au XIVe siècle.
13Elle fait partie de ces usines pour lesquelles le développement du « mythe catalan »34 a contribué à masquer les caractéristiques spécifiques, l’hégémonique forge à la catalane servant de patron pour qualifier l’ensemble des établissements sidérurgiques implantés dans l’est pyrénéen du Moyen Âge au XIXe siècle35. Technologiquement, cette vision ne tient aucun compte d’une longue évolution. Moulines, forges à la génoise, biscayenne, voire même la tentation de l’indirect, sont les principales phases d’une évolution qui, successivement et souvent simultanément, modifièrent ce procédé qui continua à s’améliorer jusqu’à la fin du XIXe siècle36. La production de fer à Puntal débuta à la fin avril 1620, mais le seuil de production maximum ne fut atteint qu’en 1623. Selon les semaines et le nombre de jours chômés, cette forge produisit entre neuf et trente-six loupes hebdomadaires37. La production quotidienne maximale était de six massers et la durée de la réduction par loupe peut être estimée approximativement à quatre heures. Définitivement, cette forge, dont l’infrastructure ne suivait pas le modèle à la catalane, ne travaillait pas, non plus, selon la méthode dite à la catalane puisque dans cette dernière le mécanisme de fonctionnement finit par se fonder sur quatre réductions journalières durant près de six heures chacune. Pour l’heure, nous ne nous intéresserons pas aux aspects techniques de cette métallurgie du fer (cf. infra), seul nous intéresse l’aspect économique de cette première phase sidérurgique38.
III.a.2.1. Balances commerciales et prises de bénéfice
14Les contrats des forgeurs39 établissaient que la production hebdomadaire pouvait osciller de 30 à 70 quintars (1,25 et 2,9 tonnes)40. Entre 1620 et 1627, la moyenne hebdomadaire fut de 2,08 tonnes, soit un poids moyen de 58 kg par loupe produite en 36 réductions hebdomadaires. Ce chiffre peut être affiné à partir des comptes qui considèrent directement le nombre de massers produits, on obtient ainsi un poids moyen de 65,2 kg. Selon Louis de Froidour, en Pays de Foix, une forge qui fonctionnait bien produisait 60 quintars par semaine41. À la forge de Puntal, seul un quart des productions hebdomadaires atteignait ces chiffres. La consommation de charbon et de minerai par réduction reste impossible à connaître au moyen de la documentation. Pour les forges de Foix, le réformateur des forêts comptait 8 parts de charbon pour 5 de minerai. Faute de mieux, c’est ce rapport qui sera utilisé pour l’étude des coûts de revient.
15La durée des campagnes de production à la forge de Puntal variait entre 21 et 30 semaines. Elles s’échelonnaient à l’origine entre la mi-mai et la première quinzaine d’octobre. Par la suite, graduellement, entre 1620 et 1627, elles furent allongées et la forge ne fermait plus que fin novembre. Le personnel de la forge se composait des maîtres forgeurs (le maller et le foguer42), des escolas qui conduisaient la réduction et des piquemines. Ces spécialisations sont semblables à celles citées au siècle suivant. Les salaires mettent en lumière la hiérarchie qui existait entre ces ouvriers. Le 9 juillet 1623, un piquemine percevait un salaire fixe de 2,5 livres tournois. L’escola en recevait le double et le maller gagnait 8 livres tournois, autant que le foguer. Dans l’ensemble, il ne semble pas que la location des ouvriers se faisait en bloc comme c’était le cas au XVIIIe siècle. Chaque ouvrier marchandait indépendamment son salaire. Au mieux, existaient certaines associations temporaires entre deux ouvriers qui, très souvent, étaient apparentés. Globalement, l’organisation de la production s’éloignait de ce que l’on observe dans les forges à la catalane où il existait une claire notion de brigade de forgeurs dans laquelle chacun percevait un salaire parfaitement établi selon le rang qu’il tenait dans la hiérarchie.
16Alors que la forge ne livrait que du fer brut en barres, l’engagement systématique d’un estiraire laisse entendre que les forgeurs de Puntai ne donnaient pas un produit directement commercialisable. Ce produit était du fer, mais, contrairement à ce qui est observable à partir de 1700, il requérait une seconde phase de travail afin d’être vendu. Est-ce la qualité du produit obtenu qui modifiait le travail de post-réduction ou l’engagement de l’estiraire répondait-il uniquement à une manière d’organiser le travail ? Il est impossible de répondre. Les prix du fer mentionnés dans les documents ne permettent pas de préciser de grandes variations. En 1624, le fer commun et le fer doux (moll) se vendaient 40 sous le quintar. La même année, le fer fort, qui représentait 5 % du volume de vente global, atteignait 70 sous. Notons qu’à Puntai, la finition ou la présentation du fer n’affectaient pas le prix de vente puisque 85 % du fer fut vendu à 40 sous.
17L’investissement nécessaire pour la construction de la forge n’était pas considérable. Si l’on tient compte de l’ensemble des frais d’implantation, le capital total immobilisé se montait à 275,75 livres catalanes. Cette somme équivalait à la valeur marchande de 5,7 tonnes de fer brut vendu directement à la forge, soit moins de trois semaines d’exploitation. Pour tenter de connaître avec précision le taux de rentabilité de cet établissement, il est nécessaire de tenir compte de trois autres facteurs : les salaires fixes versés aux forgeurs avant qu’ils ne produisent, les gages et frais divers payés à partir du début de la campagne de production, le numéraire bloqué dans l’achat des matières premières. Les émoluments hebdomadaires perçus par les maîtres forgeurs variaient de 56 à 74 sous selon qu’ils avaient travaillé uniquement à la production ou, qu’ils avaient dû faire des réparations à la forge. A ce montant, s’ajoutait une part proportionnelle à la production hebdomadaire qui, en moyenne, représentait 1,5 sou par quintar produit. Les deux escolas recevaient entre 40 et 50 sous et la rétribution hebdomadaire des piquemines variait de 18 à 25 sous. Pour ce qui est de la matière première, à partir du prix moyen établi pour la période 1620-1627, cela représentait 3,3 sous de minerai et 6,3 sous de charbon par loupe. Selon cette base, le prix de revient de chaque loupe était en moyenne de 35,5 sous qui se répartissaient en trois parts pour la matière première43 et 1 part pour les forgeurs. Le bénéfice brut par masser commercialisé était de 57 % et il fallait produire un minimum de 6 quintars pour que l’ouverture hebdomadaire de la forge ne soit pas déficitaire et que les charges fixes de la semaine soient couvertes.
18Si l’on ajoute les frais induits par la mise en marche et le fonctionnement de la fabrique à l’investissement de base, il fallut 22 jours de production pour que la valeur marchande du fer produit soit égale au montant global du capital mobilisé. En théorie, dans le meilleur des cas, les investisseurs rentraient dans leurs frais 28 jours après l’ouverture de la forge44. Dans le pire des cas, si la forge ne dépassait pas les seuils de production les plus bas, il fallait compter 41 jours pour passer le seuil de l’amortissement. La forge était, par conséquent, un outil de production très rentable puisqu’il ne fallait, au plus, que six semaines pour que l’investissement soit récupéré.
19La rapidité avec laquelle le propriétaire pouvait prétendre regagner sa mise montre que ce type de décision financière pouvait se faire à court terme. La condition principale pour que l’investissement puisse avoir lieu était le montant des liquidités dont disposait l’investisseur. La valeur de la fabrique ne s’élevait qu’à 275 livres, mais, au bout du compte, l’investissement total se montait au plus à 489 livres, ce qui équivalait à la valeur marchande de 10 tonnes de fer. Si, pour un investissement productif de cette envergure, cette somme ne semble pas exagérée, cela était loin d’être insignifiant puisqu’il s’agissait de la valeur d’un troupeau de plus de 400 brebis ou de l’achat de 167 charges de blé ; ou encore, plus de 45 ans de travail pour un pâtre ou plus de 2 400 jours de moisson pour un journalier45. De telles liquidités n’étaient par conséquent pas à la portée de toutes les bourses. Preuve en est le nom des investisseurs, Areny et Rossell, deux maisons qui étaient également à la tête d’une compagnie pastorale transhumante.
III.a.2.2. Le fer dans les relations commerciales au début du XVIIe siècle
20La commercialisation du fer nécessitait des contacts importants avec l’extérieur, puisque la production dépassait la capacité d’absorption du marché local. La zone d’influence des forges d’Ordino au début du XVIIe siècle se composait essentiellement de trois régions : au nord, la haute Ariège, au sud, l’Ait Urgell et de manière réduite le marché local. L’absence de paiements de droits sur le transport et d’impôts sur la production étaient des atouts importants qui rendaient le fer andorran rentable. En comparaison avec leurs principales concurrentes, les forges de Vicdessos, qui se trouvaient dans l’obligation d’importer une partie du charbon qu’elles utilisaient, s’ajoutait la proximité des forêts qui caractérisait l’approvisionnement des forges d’Ordino qui ne pouvait qu’influer positivement sur le prix de revient du fer. Ces différences expliquent que, malgré un coût du transport qui renchérissait le fer de 16 %46, il était profitable aux ferriers ariégeois de recourir au fer andorran pour satisfaire leurs commandes. Dans la période 1620-1630, entre vente directe et vente par des intermédiaires, près de 40 % du fer écoulé passa à Siguer et à Vicdessos. De cette quantité de fer, une partie correspondait au paiement des salaires des ouvriers spécialisés (forgeurs, charbonniers et mineurs) qui demandaient à recevoir du métal qu’ils monnayaient par la suite sur le marché. Par ce moyen, ils augmentaient le pécule qu’ils avaient amassé pendant la campagne de production. Dans la majorité des cas, ils l’accroissaient de 16 % puisqu’ils vendaient le fer aux forges de Vicdessos. Certains ouvriers ne se contentaient pas de porter le fer dans la vallée voisine, ils le transportaient jusqu’à Tarascon ou Foix. Ils pouvaient alors le négocier directement aux martinets et réalisaient une plus-value d’au moins un quart de la valeur marchande du métal.
21Tous les ouvriers ne pouvaient pas employer ce système qui impliquait la possession d’un moyen de transport sur le lieu de travail. Au total, seules 8 % des rémunérations furent acquittées par ce biais. Une partie des charbonniers ariégeois venait en Andorre avec des animaux de bât, il leur fut versé 20 % de leurs traitements par ce moyen entre 1620 et 1630. À l’inverse, les mineurs et les forgeurs qui étaient logés sur leur lieu de travail n’avaient besoin d’aucun moyen de transport pendant leur séjour. Moins de 4 % de leurs salaires furent effectués en fer47 et le biais par lequel ils importaient ce produit était souvent différent de celui qu’employaient les autres ouvriers. Habituellement, il s’agissait soit d’un parent soit d’un créancier qui se déplaçait ponctuellement dans les vallées afin de charger le fer. Dans ce cas, le plus souvent, il s’agissait de dettes contractées envers les maîtres de forges des vallées voisines.
22Les paiements des salaires en fer étaient l’une des transactions les plus rentables pour le propriétaire de la forge, car le prix auquel le fer était compté aux ouvriers était le même que celui de vente, la charge salariale déboursée effectivement était alors réduite à 43 % de la valeur du fer. Les paiements de gages en lingots n’étaient pas une caractéristique qui concernait les seuls ouvriers de la forge. Ils étaient aussi un mode de rémunération des muletiers, car ceux-ci entraient souvent dans la transaction. Trait d’union entre la forge et le marché, ils spéculaient sur les ventes. Plutôt que de percevoir un salaire fixe, ils préféraient une participation dans l’opération. Pour ceux qui ne possédaient pas le capital nécessaire pour payer le produit, il s’agissait d’une association fondée sur le prix du transport. Le traginer se servait à la forge sans payer le fer, il le transportait sur le lieu de vente et ce n’est qu’au retour qu’il s’acquittait de sa dette en payant un forfait fondé sur la valeur intrinsèque du fer (40 sous) auquel s’ajoutait la moitié de la valeur du transport. Par exemple, un quintar de fer transporté à la Seu se payait 44 sous sur place. A son retour, le muletier s’acquittait de 42 sous. S’il réussissait à vendre le fer plus cher, il augmentait sa marge. Les ventes pour la revente impliquaient systématiquement des muletiers indépendants qui possédaient leur outil de travail. Lorsqu’il s’agissait de fournir un client de la forge, le traginer était engagé par la maison Areny et percevait un salaire convenu d’avance, payé tantôt par le client, tantôt par la maison. Certains de ces muletiers utilisaient des animaux de bât et un harnachement ne leur appartenant pas, le plus souvent ils étaient loués à l’année et l’intégralité du bénéfice allait au propriétaire des animaux.
23Le transport était l’un des facteurs importants qui pesaient sur le prix de vente du fer. Le transport d’un quintar de fer de la forge jusqu’au magasin de stockage que possédait la maison Areny à Ordino valait un sou, soit 2,5 % du prix de vente du fer. Dans les vallées, le transport du fer d’Ordino à Canillo ou jusqu’à Sant Julià était payé à 2 sous (5 % du prix de vente), autant que ce que l’on payait pour l’expédier de Sant Julià à la Seu. L’ensemble du fer livré aux villages de l’Urgellet (Seu, Adrall, Arfà, etc.) se payait à 44 ou 45 sous selon l’endroit auquel s’était servi le muletier (forge ou magasin d’Ordino). Porté jusqu’à Puigcerdà, il atteignait 46 ou 47 sous (17 %). Ce tarif était également applicable au fer qui arrivait à Fornols après être passé à la Seu et avoir franchi le massif du Cadi, à celui qui était porté dans le Haut Pallars (Tírvia en Vall Ferrera) et, surtout, à celui qui atteignait le sud de l’Alt Urgell, au-delà du défilé des « Tres Ponts » (Organyà), secteur qui ouvrait le chemin de l’Urgell48. À l’entrée de la plaine (Ponts), le fer avait augmenté de 20 %49.
24Cet enchérissement du métal obligeait à tenter de limiter les frais de transport. Pour atteindre cet objectif, le fer se déplaçait par étapes. On envoyait quelques quintars chez un muletier ou un client habitant un lieu de passage ou un carrefour afin de le rapprocher des marchés. Le déplacement de ce lieu sur celui de vente se faisait a posteriori, une fois que l’acquéreur était trouvé. Ces points de relais, au début du XVIIe siècle, étaient principalement au nombre de trois. Sant Julià qui ouvrait l’ensemble du marché vers le sud ; la Seu d’Urgell qui ouvrait sur la vallée du Segre : vers l’est à Puigcerdà, au sud vers Fornols, puis Solsona et au sud-ouest vers la Noguera. Le dernier secteur était celui d’Organyà et de Ponts qui donnait sur les marchés de la plaine. Chacune de ces places correspondait à une étape du transport, mais également à un centre de diffusion du produit sur le marché local. La grande différence entre le commerce établi vers le sud et celui qui allait au nord consistait dans le type de clients. Dans tous ces lieux, que ce soit en vente directe ou en passant par un tiers qui transportait le fer plus au sud, tous les acheteurs étaient des forgerons (ferrers), alors que, du côté ariégeois, aucun forgeron n’était mentionné.
25Deux enseignements sont à tirer de l’établissement de ce réseau. Le premier, au niveau général, correspond au paysage sidérurgique des Pyrénées catalanes centrales que livre cette documentation. L’Ait Urgell, voire même le Vall Ferrera, puisque Tírvia était un centre de diffusion du fer andorran auprès des forgerons du Pallars50, ne produisaient pas suffisamment pour couvrir la totalité des besoins locaux. La majorité des exportations de fer qui allaient vers le sud alimentait un marché strictement pyrénéen. Alors que les vallées de l’Ait Urgell et du Pallars sont généralement présentées comme de grandes productrices de fer, il semble que, en ce début de XVIIe siècle, elles ne parvenaient pas à satisfaire leur propre demande. A l’opposé, pour le versant est de la chaîne, à part quelques ventes minoritaires destinées au secteur cerdan, la demande est quasiment inexistante. Probablement faut-il y voir l’influence de l’aire de production du Canigou, qui jouait un rôle similaire à celui qu’avait le comté de Foix pour le Languedoc. Les Pyrénées catalanes, grandes productrices de fer ne semblent pas être une vérité généralisable. L’Andorre en est un exemple, puisqu’elle venait de s’ouvrir à la sidérurgie et que cela avait eu lieu en partie grâce à l’impulsion fournie par le secteur nord. Le Vicdessos constituait une part non négligeable de la demande et il avait apporté la quasi intégralité de la main-d’œuvre nécessaire à la production du fer51. Il semble bien que le paysage sidérurgique de l’est de la chaîne soit à revoir. Deux bassins sidérurgiques anciens52, le comté de Foix et le Roussillon, se trouvaient en pleine production. Ils correspondaient grosso modo aux deux secteurs miniers les plus importants : Rancié et le Canigou53. Le minerai produit dans le premier allait également alimenter les forges du Couserans et du nord-est ariégeois54. Le second centre minier comprenait principalement les régions du Vallespir et du Confient. Il approvisionnait également en matière première les établissements du secteur sud vers le Ripollès. Au-delà de ces lieux de production, sur le versant sud, du Cadí à l’Aneto, l’activité sidérurgique semble fort réduite.
26Le marché andorran était fondamentalement régional. Le fer s’exportait dans une aire qui comprenait essentiellement le Vicdessos, le Haut Pallars et l’Ait Urgell. Pourtant, l’aire de consommation du fer andorran était plus large. Une fois revendu, probablement sous la dénomination de fer de Foix, le fer exporté à Siguer suivait la filière du fer ariégeois. Une partie de ce fer andorran prenait-il la route de Montpellier, Marseille et Beaucaire à bord des bateaux qui quittaient le port de Narbonne55 ? Il est impossible de déterminer s’il parvenait à Narbonne ou s’il était conduit vers Toulouse et réparti dans le bassin de la Garonne. Sur le versant sud, il arrivait jusqu’à l’Urgell puisque certains comptes étaient basés sur des produits d’importation provenant de la plaine, notamment l’huile, le vin et les céréales. Cependant, le contact direct avec les forgerons de l’Urgell n’était pas établi. Les seuls qui travaillaient avec la maison Areny étaient installés sur des lieux de passage de la transhumance ou de vente du bétail (Isona, Balaguer, Bellvis, Castellserà et Verdu)56. Encore faut-il préciser que leur apparition dans les comptes est relativement tardive puisqu’ils ne sont inscrits dans les documents qu’après 1630. Le réseau de commercialisation que contrôlait directement Guillem Areny ne franchissait pas le piémont pyrénéen. Une bonne part du marché consommateur lui échappait. Une différence importante entre ces secteurs correspond au volume et à la nature des transactions. Les acquisitions ariégeoises se caractérisaient par des achats massifs réalisés par les maîtres de forges. A l’opposé, pour celles qui se faisaient dans la vallée du Segre, il y avait deux cas de figure selon que l’achat était fait par un forgeron ou par un marchand intermédiaire.
27Ces deux espaces du fer, celui auquel parvenait directement la forge en vendant son produit et celui qu’atteignait le fer via les négociants qui revendaient les lingots (la zone de consommation réelle), en recouvraient deux autres. Celui de la main-d’œuvre qualifiée qui couvrait une partie des hautes vallées de l’Ariège (Siguer, Vicdessos et Aston) et celui de la main-d’œuvre non-spécialisée dans la sidérurgie. Le fer, matière première pour les forgerons, était également un instrument d’échange sur le marché local. Nombre de pâtres, d’ouvriers agricoles et d’associés de la maison Areny percevaient du fer en contrepartie de leurs créances. En ce début du XVIIe siècle, alors que les vallées d’Andorre manquaient de numéraire57, cette pratique leur fournissait une monnaie d’échange. De plus, les lingots payables à court terme ne changeaient pas de prix. Que le fer soit pris à la fin août, ou en septembre, pour être payé en automne, qu’il parte en novembre pour être liquidé par moitié à Noël et à Carnaval, ou qu’il soit pris en mars et soldé à la Saint-Jean, le fer se vendait au même prix. Le prix n’augmentait que pour les ventes payables à plus de six mois. Mais cette réévaluation n’était pas automatique, puisque les créanciers qui s’acquittaient de leur dette plusieurs mois, voire plusieurs années après l’échéance, n’étaient pas pénalisés. Une seule exception, les créances qui étaient couchées par écrit dans un acte notarié qui impliquait le paiement d’un cens.
28La différenciation des marchés entre les divers secteurs est sensible dans le type de transactions enregistrées. La vente moyenne vers le comté de Foix était de 624 kg, celle qui était destinée aux intermédiaires originaires du sud avoisinait 250 kg, alors que les transactions passées avec des habitants des vallées variaient de 100 à 140 kg58. Cela équivalait à des ventes moyennes de 30, 12 et 4,8-6,8 livres catalanes. La différence entre les quantités achetées illustre l’usage que l’on prétendait faire du fer. Les achats ariégeois entraient dans une logique d’exportation massive tandis que la frange sud était mixte. L’Ait Urgell combinait les achats des forgerons et les ventes faites à des personnes servant de relais vers les terres plus méridionales. Les ventes de fer les plus réduites étaient souvent faites aux forgerons qui achetaient au détail ce dont ils avaient besoin. La moyenne des achats en Alt Urgell correspondait au chargement de deux bêtes de somme. En Andorre, s’ajoutaient nombre d’achats ponctuels effectués par des personnes qui n’étaient spécialistes ni du transport, ni de la manufacture du fer. Dans ces cas, ce n’était pas la revente du fer qui primait, mais le produit que l’on espérait obtenir en échange. En quelque sorte, le fer jouait le rôle d’une lettre de change.
29Au total, 80 % des personnes possédant un compte dans la comptabilité de la maison Areny achetèrent du fer, alors que celui-ci ne correspondait qu’à un tiers des ventes de la maison. Selon la documentation disponible, la masse totale de fer vendue en dix ans (1620-1630) par la maison Areny fut de 105 tonnes59. À la sortie de la forge, ce fer valait plus de 5 000 livres catalanes et représentait l’équivalent de 300 jours de production, un peu plus de deux ans de production pour un établissement comme celui de Puntal60. Au cours de cette décennie, le fer correspondait à 11,1 % du volume total des transactions enregistrées dans les comptes de la maison Areny (20 % du volume de vente). Le fer était important, mais n’était pas majoritaire. Cependant son rôle allait se révéler décisif, car, de la même manière que les employés obtenaient de substantielles marges bénéficiaires grâce à ce produit, la forge fournissait à son propriétaire une production facile à écouler qui lui ouvrait grand les marchés extérieurs. Au bénéfice obtenu sur le produit, il ajoutait celui qu’il pouvait prendre sur la revente des produits donnés en paiement.
III.b. L’Andorre : une économie de crise florissante
30Le marché du fer directement contrôlé par la maison Areny se cantonnait sur l’axe pyrénéen, alors que les produits sur lesquels spéculait la maison provenaient d’une aire géographique plus large. Pour le bétail, le marché privilégié conduisait cet éleveur au cœur de la plaine centrale catalane. C’est par ce réseau qu’il entra en contact avec les premiers forgerons d’Urgell auxquels il livra du fer. Ce secteur géographique servait également à l’échange de divers produits de consommation courante. Les vallées andorranes, naturellement situées sur l’axe conduisant de Toulouse à Lleida, pouvaient s’approvisionner indifféremment soit au sud, soit au nord. Pour ceux qui pouvaient se permettre d’investir dans l’achat de produits d’importation, cet axe de communication se révéla un moyen de créer une plus-value substantielle, en mettant en contact les marchés catalans et languedociens. La maison Areny qui possédait un réseau de contacts important, s’étendant sur les deux versants de la chaîne, fut l’une des grandes promotrices de ce courant d’échanges transpyrénéens. Elle possédait à la fois le capital, le réseau et l’outil de travail, puisqu’elle avait un cheptel équin et une équipe de muletiers sous contrat. Lorsque la conjoncture favorisait l’augmentation des échanges, elle se trouvait aux premières places.
III.b.1. Tissu, poisson et sel : les compagnies commerciales
31Sur le marché andorran, le principal moteur de la croissance des flux commerciaux était fondé sur l’offre et la demande ; à plus grande échelle, la notion de prix prenait une importance qu’elle n’avait pas sur le marché local puisque celui-ci était prioritairement conditionné par ses propres besoins en produits de première nécessité. Ce n’est pas parce que les prix sur ces produits augmentaient que les habitants stoppaient leur consommation. A l’opposé, les marchés extérieurs, que touchait le commerce andorran, disposaient de diverses voies d’approvisionnement. L’axe pyrénéen ne fonctionnait que lorsque l’approvisionnement classique était impossible ou lorsque l’écart entre les tarifs appliqués sur les deux marchés était suffisant pour couvrir les frais et permettre un bénéfice. Les facteurs qui agissaient sur ce rapport étaient divers.
III.b.1.1. Le sel, le congre et la politique de Richelieu
32L’un des produits clé de la première moitié du XVIIe siècle fut le sel. Le mouvement prend son origine dans la politique fiscale mise en œuvre par le cardinal de Richelieu. Après une phase d’effondrement au temps de la Ligue, la consommation de sel augmenta fortement entre 1600 et 1624. En Languedoc, cette hausse fut de 25 %. À partir de 1624, Richelieu ordonna l’augmentation du prix du sel et, en dix ans, celui-ci doubla61. L’augmentation des tarifs n’affecta pas immédiatement le commerce andorran ; ce n’est qu’à partir de 1635-1637, lorsque les cours languedociens eurent atteint leur maximum, que le sel prit un rôle important.
33Le prix du produit dépendait du prix du transport. Du Languedoc en Catalogne, le passage via les vallées d’Andorre se faisait sur des chemins où n’existait aucun roulage. Entre 1624 et 1628, le sel livré à Ordino valait de 16 à 18 sous le quintar, près du tiers de cette somme allait au transport depuis les salines de Gerri (Pallars). Le bénéfice escompté sur ce type de transaction était relativement important puisque la revente en « gros », c’est-à-dire pour les transactions dépassant le quart de quintar62, se faisait sur une base de 24 ou 26 sous le quintar. Au-dessous de cette barre, pour la vente à la menuda (au détail), il n’y avait aucun rapport entre le prix réel du produit et le prix de vente. Entre 1620 et 1630, la livre de sel fournie à un ouvrier pouvait être facturée de 8 à 14 deniers la livre, c’est-à-dire de 69,3 à 121,3 sous le quintar, soit 188 à 405 % de plus que le prix utilisé pour les ventes normales. Bien que très lucratives, ces ventes n’avaient pas d’impact réel dans les échanges puisqu’elles ne concernaient qu’un volume très réduit de transactions.
34Jusqu’en 1635-1636, les ventes de sel destinées à des habitants des vallées étaient équivalentes à celles qui allaient dans le comté de Foix via les besaces des ouvriers des forges ou des pâtres. Le trafic ne semble pas sortir du cadre des vallées voisines63. Le comté de Foix n’était pas une région déficitaire et le prix du transport était prohibitif. Une fois acheminé en Sabarthès, le sel était quasiment aussi cher que celui qui se vendait sur le marché fuxéen. L’augmentation des tarifs à partir de 1624 modifia la donne. Plus l’écart entre les deux marchés croissait, plus on s’approchait du seuil à partir duquel ce commerce devenait intéressant. À partir de 1637, la vente du sel augmenta de manière exponentielle. De 1638 à 1639, le volume transporté par an fut multiplié par 14 et, en 1640, il doubla de nouveau par rapport à la quantité exportée l’année précédente64. Simultanément, l’origine des clients se modifia, la maison Areny traitait directement avec certains négociants toulousains, notamment un certain Blasi Bruguière, bourgeois de Toulouse, et son homme de confiance dit « Belos ». Un second centre était constitué par les marchands établis à Tarascon qui représentèrent le gros des clients65. Parallèlement au développement du commerce du sel, le poisson, les tissus et les épices prirent une place importante dans les échanges. A l’inverse du sel, ces produits étaient pris en Languedoc et redistribués en Catalogne. Un commerce triangulaire se mit ainsi rapidement en place66.
35La transaction la plus classique se faisait à partir du sel. Pris à Cardona ou à Gerri, il était acheminé jusqu’en Ariège où il était échangé contre une quantité égale de poissons. Ainsi, le 18 octobre 1638, Tremons de Tarascon fournissait un quintar de congre à 178 sous pour chaque quintar de sel reçu. De même, le 14 mars 1639, Jean François Favas de Tarascon donnait la morue à 80 sous le quintar contre un quintar de sel. Morue, congre, harengs et sardines (sardes) ne sont pas des nouveautés dans les comptes de la maison Areny. Cependant, avant 1636, ils n’étaient destinés qu’au marché de détail andorran67, alors que par la suite ils allaient à l’exportation. Grosso modo, de 1636 à 1648, Guillem Areny Vidal vendit 26 tonnes de congre, 9 tonnes de morue et 18 000 pièces de harengs sur un territoire allant de l’Ait Urgell à la chaîne pré-littorale (Alt Camp) et qui englobait l’ensemble des régions de la dépression centrale catalane (Noguera, Segarra, Urgell, Pla d’Urgell, Segrià, Anoia et Garrigues). L’espace acquéreur du poisson exporté depuis Ordino dépassait largement celui qui existait dix ans plus tôt pour le fer.
36L’origine réelle du poisson qui transitait par l’Andorre est difficile à préciser car l’approvisionnement était intégralement contrôlé par des marchands de Toulouse. La morue était mentionnée dans les entrées du port de Narbonne, mais, à partir de 1635, ce poisson était préalablement débarqué à Marseille pour le compte des pêcheries de l’Atlantique68. Le congre, qui constitue la majorité des transactions, n’apparaît pas dans les listes de débarquement. Faut-il en conclure que le poisson passant par l’Andorre arrivait directement de l’Atlantique en suivant l’axe aquitain comme c’était le cas pour le val d’Aran69 ? Une seule chose est sûre, en une dizaine d’années, le développement de ce commerce nord-sud transforma le port de Siguer en une variante de la route d’entre deux mers.
37Il est à noter que, pour ces différents produits, les quantités vendues et celles qui étaient achetées ne s’équilibrent pas forcément. A cela, deux causes principales. La première, minime, est attribuable à la consommation interne de la maison Areny. La seconde, bien plus importante, tient à la fonction des livres de comptes. Un exemple parmi tant d’autres est celui du poisson. 35 tonnes de poisson furent reçues au titre de l’échange sel/poisson contre seulement 23 tonnes inscrites au titre du sel envoyé en comté de Foix. La notation « ja tenen la sal » accolée à certaines mentions de réception des poissons prouve irréfutablement que cette absence n’est due qu’à une lacune documentaire. Plus encore, la quantité totale de sel importée de Catalogne, inscrite dans les livres de comptes, est bien inférieure aux chiffres obtenus pour les exportations. Les livres n’avaient pas pour finalité d’établir une balance comptable totale de l’activité de la maison. Il s’agissait de suivre les créanciers et les débiteurs au cas par cas, cela excluait les ventes acquittées rubis sur l’ongle70. Par conséquent, lorsque nous citerons le volume total trouvé pour un produit, nous utiliserons le chiffre maximum fourni soit par les importations, soit par les exportations, puisque la quantité de marchandises qui avait comme destination finale l’Andorre était largement minoritaire.
III.b.1.2. Les épices, les textiles et la mercerie
38Au cours de cette période, le sel et le poisson n’étaient pas les seuls produits d’importation dont Guillem Areny Vidal faisait du négoce. Il recevait également des épices et des produits textiles de Toulouse. Les transactions sur les épices portaient sur la cannelle, les noix de muscade, les clous de girofle et surtout le poivre. Le volume d’épices transporté n’était pas important, quelques kilos pour les premiers, une quarantaine de kilos de clous de girofle et près d’une tonne de poivre71. La faiblesse de ce volume était compensée par le prix de ces produits qui s’échelonnaient de 50 à 150 livres catalanes le quintar. Le poivre, moins cher que les autres épices, était pris à 41,6 livres en janvier 1641 et se revendait à 67,7 livres, en déduisant les frais, la compagnie réalisait une plus-value de 13,6 % sur le prix d’achat72. Cette marge pouvait être encore supérieure, puisque le contrat ne précisait qu’un prix de vente minimum, payable au retour de foire. Si le marchand obtenait une majoration, les deux parties se répartissaient la différence. Par ce biais, Guillem évitait de prendre directement à sa charge le transport du produit, il s’assurait une marge bénéficiaire sur l’investissement et motivait le vendeur puisque son salaire dépendait du prix de revente.
39Au total, le capital investi dans les épices fut de 1 060 livres. Dérisoires si on place le cadre d’observation sur une échelle géographique plus large, les épices tenaient pourtant une place relativement importante puisque leur valeur était supérieure à celle des 35 tonnes de sel reçues au titre de l’échange avec le poisson. Cependant, leur rôle restait secondaire. L’ensemble de ces produits, sel compris, n’équivalait qu’à 4 % du montant des ventes qui furent réalisées entre 1636 et 164 373. La valeur du poisson vendu au cours de cette période dépassait 13 726 livres et celle des produits textiles 15 000 livres. Respectivement, cela équivalait à la vente de 5 803 et 6 346 ovins, plus que le nombre de têtes vendues par Guillem Areny Vidal et ses associés au cours de la même période.
40Comme le poisson, les tissus arrivaient en Andorre par l’intermédiaire des marchands toulousains et de leurs associés de Tarascon ou de Siguer. Il est quasiment impossible de déterminer l’origine précise de ces étoffes. Les draps et les toiles constituant les colis qui passaient à Ordino arrivaient principalement du nord et de l’ouest de la France74. Certains paquets contenaient de la mercerie des Flandres, mais aussi des étoffes arrivant de Sicile ou de Milan. Au niveau plus régional, seuls sont identifiables les passements de Pamiers et certaines toiles et draps dits de Gascogne. Il n’y a quasiment aucune mention concernant le midi toulousain. Le Languedoc, en particulier la région de Carcassonne, de Limoux, de Lodève ou le comté de Foix, sont absents des listes75. Cependant, l’origine de plus de la moitié des textiles comptabilisés n’est pas connue. Il n’est donc pas improbable que l’un des débouchés de ces productions soit le versant sud de la chaîne, d’autant que pour la fin du XVIe siècle le passage de ces toiles, notamment celles dites « montagne », est attesté dans les Corbières76.
41Le pôle diffuseur de Toulouse masque le commerce en amont de cette ville et il n’est pas possible de savoir si les commerçants de Tarascon ajoutaient une seconde voie d’approvisionnement. En 1639, Guillem Areny Vidal reproduisit la liste des produits qu’il était susceptible de vendre en Catalogne en se servant à Toulouse77. Au total, la liste comptabilise 46 étoffes. Cela allait des serges, en passant par le camelot78, la futaine, les toiles, les batistes, les cotonnades et le renni79, chacune se déclinant en diverses catégories, selon le façonnage, le nombre de fils et la couleur80. S’ajoutaient des pièces textiles finies, diverses qualités de capes, le passement de Pamiers, les « ligatures » des Flandres, les bas de Paris et ceux faits à la « façon d’Angleterre ». Se rajoutaient des produits de mercerie : les fils de coton et de soie, les aiguilles, les épingles et les agrafes. Pour finir, du fil de fer et du fil de laiton, des rosaires et des éditions du missel romain, venaient compléter cet ensemble somme toute assez hétéroclite.
42Pour la largeur des tissus, les seules indications un peu précises mentionnaient que la toile était étroite, normale ou large. Pour la longueur, les deux unités courantes étaient la canne des tisserands et l’aune. La canne utilisée en comté de Foix n’était pas égale à celle qui servait en Catalogne. Il fallait par conséquent convertir les deux unités. Le rapport employé était d’une canne française pour 1,12 canne espagnole81. Le passage d’une référence de longueur à l’autre n’était pas le système le plus couramment utilisé ; dans la majorité des cas, la conversion se traduisait sur le tarif de vente de la canne. On augmentait le prix de telle sorte que le tarif en vigueur en Catalogne tenait compte du changement de mesure. Une évaluation, fort approximative, de la longueur globale des tissus permet d’estimer que plus de 11 000 m linéaires transitèrent par Ordino. S’y ajoutaient près de 160 000 aiguilles, épingles, agrafes et autres produits de mercerie. Quelques centaines d’écheveaux de fils de diverses qualités, 3 500 paires de bas, près de 300 chapeaux et beretines et un millier de capes82 venaient compléter l’éventail des produits importés par la maison Areny en une dizaine d’années83.
43Les tissus mentionnés dans l’énumération des prix toulousains sont, à peu de chose près, ceux que l’on retrouve dans la comptabilité des compagnies commerciales. S’ajoutaient les toiles de Rouen et surtout celles de Laval, qui furent les plus vendues84. La clientèle qui achetait réellement ces marchandises est difficilement identifiable car, le plus souvent, l’acheteur qui figure dans les livres de comptes n’était qu’un intermédiaire. Afin de caractériser la demande, il est possible d’utiliser, en l’adaptant, l’échelle de valeur mise au point par R. Gascon pour le Lyonnais85. La répartition des qualités de tissus selon les prix par aune comparés au salaire journalier (4 sous)86 est la suivante : 1,25 % des ventes entrent dans la catégorie des tissus populaires, c’est-à-dire des textiles valant moins d’une journée de travail par aune ; 95,5 % se situent dans la catégorie des tissus de la bourgeoisie valant de un à trois jours de travail, le reste (3,25 %) se situe dans ce que cet auteur nomme les tissus de l’aristocratie.
44Ce travail de comparaison n’est réalisable que pour les textiles vendus au détail. Pour ceux qui s’écoulaient uniquement à la pièce, seule reste la comparaison des qualités. Les ventes de camelots, de serges et de toiles, majoritaires dans le commerce qui passait à Ordino, confirment a priori cette vision. La toile de Laval qui se vendait selon la qualité de 7,3 à 15,3 sous la canne, entrait dans la même catégorie. Le marché visé par ces tissus était constitué majoritairement par une catégorie intermédiaire de la population. Pour ce qui est des produits textiles finis, les bas et les capes constituaient l’essentiel des échanges87. La paire de bas de Paris coûtait de 5 à 5,5 sous pièce88 et ceux dits « façon Angleterre » valaient de 9,5 à 12,2 sous89. Cela les situe, grosso modo, dans le même ordre de prix que le restant des textiles. Le prix des capes variait de 26 à 90 sous pièce90, l’équivalent de six à vingt-deux jours de travail pour un muletier payé à la journée.
45Pour les petits acheteurs, la relation entre le prix de vente et la catégorie sociale de l’acheteur est à nuancer. Si, pour la même période, on compare les textiles acquis par des salariés de la maison Areny et ceux vendus à l’exportation, une disparité notable est observable91. En premier lieu, les capes constituent 43 % des achats des salariés alors qu’elles ne totalisent que 31 % de la valeur des importations textiles. De 1630 à 1650, deux tiers des ouvriers engagés par Guillem Areny, père et fils, reçurent au moins un produit textile et 62 % d’entre eux achetèrent des capes. Pour un berger, l’achat d’une cape pouvait représenter jusqu’au quart du salaire annuel perçu en numéraire. Pour un tiers des acheteurs il s’agissait de revente, pour les autres, ces achats n’avaient pour but que de satisfaire leur propre consommation. Au même titre, Guillem les fournissait en chemises, caleçons, beretines et sandales (espardenyes). Pour ce qui est de la qualité des tissus, le drap de laine (burell) et le camelot étaient les deux produits les plus répandus dans la liste de ceux acquis par les salariés. Ces deux étoffes représentaient un tiers de la dépense alors qu’elles ne constituaient que 3,3 % du volume d’exportation. De fait, le camelot représentait l’intégralité des importations puisque le burell, qui constituait le quart des achats des pâtres, ne s’exportait pas et était de fabrication locale. À l’opposé, les toiles de Laval et le renni, qui totalisaient plus de 40 % du montant des importations textiles, sont très peu présents dans les comptes des salariés92. Pour résumer, on peut dire que la demande des employés était constituée essentiellement de grosses toiles faites pour durer93, alors que les exportations portaient sur des toiles plus fines. Cette différence est confirmée par le métier exercé par certains clients non professionnels qui se fournissaient auprès de la compagnie Areny. On y recense des chanoines, un archidiacre, des médecins, des juges, des notaires et le gouverneur de la Seu.
III.b.1.3. Bénéfices et géographie des échanges : les compagnies commerciales
46Le flux général des échanges qui débutèrent en 1636 se fondait sur l’import-export. Ce trafic demandait une organisation importante, car les paquets étaient acheminés à dos de mulet sur près de 250 km et il fallait franchir une chaîne montagneuse. Le transport s’organisait en diverses étapes qui conduisaient les muletiers d’un lieu de stockage à un autre. De Toulouse, les produits étaient acheminés au pied des cols pyrénéens. Le capital nécessaire aux transactions provenait tantôt directement d’un marchand toulousain, tantôt d’un Ariégeois. L’acheteur ne s’occupait jamais des produits avant leur livraison en Sabarthès. Le second tronçon conduisait les colis de la basse montagne ariégeoise aux vallées andorranes. A leur arrivée, les animaux étaient déchargés à Llorts ou à Ordino. La boutique de Sant Julià tenait le même rôle au sein de la compagnie textile que celui qu’elle avait dans la distribution du fer dix ans auparavant. Cependant, en proportion, son importance avait décliné. Cette perte de vitesse tenait à la modification du réseau de distribution. Le poste relais principal de la compagnie s’était déplacé à la Seu d’Urgell, Sant Julià ne jouant plus qu’un rôle secondaire.
47À partir de la zone axiale pyrénéenne (Andorre-Seu), les balles suivaient principalement deux voies. Par le cours du Segre, elles aboutissaient à Ponts (Noguera) qui était la porte de la plaine d’Urgell et de l’arrière-pays tarragonais. Lorsqu’elles ne suivaient pas cet axe, les marchandises allaient dans le Pla du Bages et rejoignaient la vallée du Llobregat en passant par Cardona, Solsona ou Calaf. De là, les produits atteignaient l’arrière-pays barcelonais94. Cet axe se caractérisait par sa spécialisation. Il était majoritaire pour les produits finis (capes, bas et articles de mercerie) et pour les tissus de qualité supérieure. À l’inverse, le congre y était quasiment absent. La zone géographique desservie par les muletiers, entre 1636 et 1646, était bien plus large que celle correspondant aux ventes de fer au cours de la quinzaine d’années précédentes. Le commerce de la maison Areny avait perdu son caractère strictement pyrénéen.
48Certains lieux de stockage qu’utilisait la compagnie dépendaient directement de Guillem Areny Vidal. Cependant, la majorité des produits passait par des intermédiaires. Fondamentalement, il y avait deux types de négociants qui commerçaient avec lui. Les premiers entretenaient des relations strictement commerciales ; il leur vendait des marchandises et ne s’occupait que des paiements. Avec les seconds, il ne s’agissait pas à proprement parler d’une vente. C’est ce que la documentation désigne par le terme de « compagnies ». Les associés prenaient les colis à Ordino, puis se chargeaient de la vente soit directement dans les foires, soit auprès d’autres intermédiaires catalans. Excepté pour le sel, le capital nécessaire à l’achat des produits à Toulouse provenait de la maison Areny et les frais d’expédition des marchandises étaient payés par l’ensemble des associés. Les transactions se faisaient « aux frais et périls de la compagnie ». Chaque associé s’engageait à payer la moitié ou le tiers de la valeur du produit en cas de perte de la marchandise. En contrepartie de cet engagement, lorsque les choses se passaient normalement, la marchandise était payée au prix applicable sur le lieu de livraison et non à celui pratiqué au dépôt d’Ordino.
49La vente directe au dépôt était celle qui rapportait le moins, la marge bénéficiaire de la maison Areny variant de 4,5 à 8,7 %. Dans ce cas, Guillem prenait à sa charge le transport au plus loin jusqu’à la Seu. Tous les produits qui furent acheminés au-delà entraient dans le cadre d’une compagnie. La compagnie centrale était celle de Guillem Areny Vidal, le travail y était exclusivement réalisé par des salariés de la maison qui se chargeaient de l’ensemble des transactions sous le contrôle de leur patron. Autour de celle-ci gravitaient au moins une cinquantaine de compagnies. L’origine géographique des associés et leur statut étaient divers. Certains, comme Pere Bria de la Seu ou Pau Rossell de Barcelone, étaient dits marchands ou boutiquiers95. Ils disposaient d’un point de vente où ils se faisaient livrer la marchandise. Les autres étaient principalement des muletiers, certains d’entre eux disposaient d’un entrepôt, et tous possédaient les bêtes nécessaires au transport. Une partie des muletiers étaient d’origine pyrénéenne, d’autres, à l’inverse, montaient chercher les produits à Ordino ou à la Seu96. Ce fut notamment le cas de Pere Baro d’Oliana, Joan Ginesta et Miquel Diumenge de Ponts, d’Antoni Rosairol de Cardona, Pierris Gausi de Calaf ou de Guillem Llermonet « Medalla » de Tàrrega. Parfois, ces associations se faisaient avec des muletiers ariégeois qui transportaient les marchandises jusqu’en Andorre puis s’impliquaient dans leur distribution sur le versant sud.
50Mis à part les compagnies fondées avec des marchands et qui pouvaient durer plusieurs saisons, toutes les autres sociétés étaient constituées pour une durée limitée. D’une saison à l’autre, les alliances se modifiaient. Au gré des intérêts des participants et des marchés visés, ces compagnies se faisaient et se défaisaient, ce qui explique que leur nombre soit supérieur à celui des participants. La marge bénéficiaire qu’obtenaient ces associations était très fluctuante. Du prix de gros au prix de vente au détail, les muletiers adaptaient leurs tarifs « à la tête du client » et au marchandage qui s’instaurait lors de la vente. Aucune réglementation n’encadrait ce commerce, la seule règle était celle dictée par l’offre et la demande. Les ballots étant généralement constitués d’un assortiment de produits, il est difficile de calculer dans le détail le bénéfice réalisé. Au total, seuls 83 cas ont pu être clairement recensés. Par exemple, le 30 mai 1640, Lliros, Coll et Timoneda chargèrent des cartes à jouer, du fil commun, des bas de Paris pour femme, des aiguilles, de la toile de serpillière et de la toile de Reims. La plus-value variait de 7,9 à 10,3 % pour les bas et le tissu de Reims et pouvait atteindre de 28 à 55 % pour le poisson. En moyenne, sur l’ensemble des marchandises exportées dans cette opération, la plus-value atteignit 14 %. Seules quelques ventes de capes dépassaient ce seuil. Cela s’explique facilement, le poisson et les capes étaient deux des articles que l’on pouvait le plus facilement vendre au détail. Sur le volume total que représentent ces 83 affaires, le bénéfice moyen que se répartirent les associés fut de 25,6 %.
51Il n’est possible de donner qu’un ordre de grandeur pour chiffrer la plus-value totale réalisée par la maison Areny grâce à ce commerce transpyrénéen. En une dizaine d’années (1636-1646), elle gagna entre 7 500 et 10 000 livres catalanes. En réalité, cette fourchette est au-dessous de la réalité, car nous ne connaissons probablement pas l’intégralité du volume transporté. Mais surtout, dans cette organisation, le capital était en rotation constante. Le bénéfice réalisé sur une transaction servait à en établir une seconde. L’achat du sel impliquait un achat de poisson, la vente de tissu pouvait finir par un achat de laine ou de blé destiné au marché andorran97.
52L’un des impératifs pour toutes ces associations était la nécessité de pouvoir fournir les clients avant l’ouverture des foires et marchés aux chalands. En cela, le commerce qui passait les ports différait sensiblement de ce que l’on peut observer pour d’autres régions ou d’autres périodes. Alors qu’il est généralement admis que le commerce par terre connaissait son maximum en automne, le transfert de marchandises entre le comté de Foix et l’Andorre se faisait plus tard dans la saison. De septembre à novembre, les marchandises toulousaines arrivaient en Sabarthès, la revente en Urgell débutait fin janvier et durait jusqu’à la fin mai. Le passage des cols d’altitude devait par conséquent se faire entre la fin de l’automne et le début du printemps. Un exemple est fourni par la commande de congres passée à Faure de Tarascon en octobre 1638. Au total, sur une commande de 4,2 tonnes, 87 % avaient franchi le col entre le 15 décembre et le 24 janvier98. À ces envois de congre, s’ajoutèrent 101 pièces de tissus, 24 paires de bas, 40 écheveaux de fil et de la morue. L’année suivante (1640), le trafic débuta à la fin du mois de novembre et se termina le 4 février. La réputation d’imperméabilité des Pyrénées, mais surtout l’affirmation de l’inactivité hivernale des vallées, qui sont si souvent mises en avant pour qualifier l’économie andorrane, semblent bien compromises. Les muletiers franchissaient la chaîne en plein hiver et, qui plus est, l’une des clauses de leur contrat stipulait que si le congre arrivait détrempé, l’acheteur pouvait le refuser. De 1636 à 1646, 52,7 %99 du poisson fut importé du comté de Foix au cours des mois de décembre, janvier et février100. Pour les tissus, la tendance différait légèrement, il y avait trois moments forts dans l’année. Un tiers des textiles passait les cols au cours de ces trois mois (28 %), 22,4 % le faisaient en mai-juin et 26 % en septembre-novembre. Pour la mercerie, la période printanière était beaucoup moins importante101. Les épices n’apparaissent qu’aux mois de mars-avril et en septembre-novembre, le moment clé étant l’automne (55 %). Si on observe le flux par rapport au volume entier des échanges, la quasi-intégralité de la dette était contractée entre le mois de septembre et le mois de mars (81 %).
53Les exportations vers la Catalogne complètent le panorama saisonnier. Les clients de l’Urgell se faisaient livrer 27 % de colis entre janvier et février, le reste passait en août et septembre. Le second marché était constitué grosso modo par le Pla du Bages et la vallée du Llobregat qui absorbaient toute la marchandise entre septembre et décembre (79 %). Cela corrobore le mouvement saisonnier observé pour les différents articles, les tissus de meilleure qualité, les produits finis, et les épices qui connaissaient deux phases d’importation bien différenciées, l’une au printemps, l’autre à l’automne. La seconde était destinée au Bages alors que la première allait essentiellement vers l’Urgell. Le congre qui passait les cols en hiver et se vendait au cours du premier trimestre de l’année se retrouve principalement dans les comptes des marchands urgéllitains. Trois secteurs particuliers, constitués par l’Andorre, l’Ait Urgell et la Noguera, étaient spécialisés dans le rôle d’intermédiaires entre l’Andorre et les marchés consommateurs. L’un des débouchés classiques pour les colporteurs andorrans était l’Urgell. Ils concentraient leurs achats de décembre à mars (78 %), c’est-à-dire lors de l’arrivée des marchandises et avant les foires d’hiver et de printemps qui groupaient l’essentiel de leur clientèle. On retrouve la même tendance pour les clients de la Noguera.
54Le marché de la Seu d’Urgell différait sensiblement des deux autres. En premier lieu, le volume des marchandises y était plus élevé ; en second lieu, l’aménagement de l’année commerciale n’était pas le même puisque c’était un centre qui diffusait sur les régions qui l’entouraient. Dans cette cité, qui était tout à la fois consommatrice et débitrice des produits provenant du Languedoc, les échanges avec l’Andorre débutaient au cours de l’été. La tendance des acquisitions allait crescendo jusqu’en novembre, moment du maximum d’activité. Puis le flux s’inversait, stagnait au cours du premier trimestre de l’année et atteignait son cours le plus bas fin avril. Cette dernière phase s’ajustait à la distribution vers l’Urgell, alors que la première correspondait principalement aux ventes vers le Bages.
55La foire de la Seu servait de jonction entre les marchands du sud et les négociants du nord. Elle avait une importance capitale pour les muletiers andorrans. En effet, les achats qu’ils faisaient en début d’année étaient généralement payables au mois d’octobre suivant. Ce décalage entre la vente et le paiement leur laissait le temps de vendre les articles, puis de se faire payer. A tous les niveaux, le mécanisme comptable employé se fondait sur le crédit à court terme gratuit. Certains des paiements étaient dérivés vers des négociants de la Seu qui collaboraient avec des marchands urgéllitains : les muletiers andorrans confiaient les produits d’importation à un marchand de la plaine qui payait sa dette par l’intermédiaire de l’un des fournisseurs habituels de la maison Areny implanté à la Seu. D’autres passaient directement par les foires de Bellvis, Bel.loch ou Tàrrega. Les paiements permettent de différencier deux phases : les marchands d’Urgell utilisaient principalement les foires de mai-juin. A l’inverse, les marchands du Bages et du Llobregat centraient leur activité sur le semestre allant de septembre à février, les trois premiers mois servant à l’approvisionnement et les paiements s’échelonnant jusqu’à la fin de l’année.
III.b.1.4. Mouvements comptables et crédit
56La mise en contact du marché languedocien et du marché catalan impliquait le recours constant à deux références monétaires : la livre tournois et la livre barcelonaise. Ce mécanisme affectait aussi bien les liquidités que la monnaie de compte, les prêts ou les billets d’ordre. Entre 1636 et 1646, sur le volume total des transactions, le tiers fut acquitté en monnaie courante (livres tournois et catalanes), 55,8 % furent enregistrés uniquement de manière comptable, le reste fut acquitté par des espèces autres que la livre.
57Dans les comptes, il faut différencier deux types de crédits, l’un, classique, trouvait son origine dans l’avance de la valeur des articles que faisait le vendeur. Ce mécanisme était systématiquement utilisé dans tous les comptes. Le second correspondait à la dette de clôture de compte. Bien souvent, lorsqu’un client se déplaçait à Ordino et qu’il remboursait son passif, il ne s’acquittait pas intégralement de ses obligations. Il se créait alors une nouvelle dette constituée par la somme des débits non réglés. Les instruments servant au jeu d’écriture étaient de différentes natures. Certains se faisaient par reconnaissance de dette (7,8 %), d’autres utilisaient des billets et des lettres de change. Par ce dernier procédé, 46,5 % du volume total furent dérivés sur des tierces personnes qui pouvaient tout aussi bien être les acheteurs situés à la fin de la chaîne de transaction, que les intermédiaires. Certains paiements provenaient de personnes qui n’avaient pas traité directement avec la compagnie mais négociaient sur le marché textile. D’autres étaient faits par des individus totalement étrangers au trafic. Notamment, les lettres de change qui parvenaient du Bages, via les foires d’Urgell, sous-tendaient des relations commerciales qui n’avaient rien à voir directement avec Ordino. Ainsi, en 1637, Andreu Torres de Cervera s’acquitta de sa dette au moyen d’une reconnaissance de dette signée par Joan Prat de Vilagrassa encaissable à Calaf, lors de la foire de Pâques102. Ces paiements dérivés impliquaient parfois de nouvelles transactions. Les négociants de la Seu percevaient les marchandises d’importation et utilisaient leur réseau de distribution afin de ramener des produits de la plaine. Le sel, le vin, l’huile et, de manière moins importante, l’ail et les oranges, parvenaient dans les dépôts d’Ordino par cette voie.
58Les lettres de change et les importations de marchandises vers la principauté d’Andorre constituaient la facette dynamique de la dette. Guillem Areny Vidal avançait le capital de la vente. Par la suite, il recevait des paiements fractionnés qui, à terme, pouvaient parfois atteindre un montant supérieur à celui de la vente initiale. Il revendait ces articles et pouvait endosser les lettres de change, sans que le montant du passif soit à aucun moment converti en espèces. Cette monnaie comptable pouvait passer de mains en mains en évitant ainsi l’entremise d’un changeur qui eut prélevé sa part sur la conversion. Mais, surtout, elle permettait d’éluder les risques potentiels que constituait le banditisme. Indirectement, on rendait également le réseau plus souple. Puisque ces billets étaient à ordre, on pouvait les confier à n’importe lequel des muletiers en partance pour la plaine. À l’opposé, les soldes de clôture de compte correspondaient à un premier stade de consolidation de la dette. Le montant reconnu par le débiteur n’attendait plus que le paiement, cette opération était obligatoire afin que le marchand puisse se réapprovisionner en marchandises. Cette créance s’ajoutait alors à la valeur des nouveaux produits. Si la créance était trop élevée, la marge de confiance, donc de crédit, qu’on lui attribuait pour les achats postérieurs, était réduite. Cette notion de confiance ou de connaissance de l’interlocuteur était primordiale. Ainsi, Garreta de Carol, qui chargea pour 90 livres de tissus et de congre, en août 1637, était inconnu de Guillem et, contrairement à la majorité des autres clients, il dut payer 85 % de la transaction immédiatement. Pour les 14 livres restantes, il signa une reconnaissance de dette et son camarade de voyage, Andreu Pujal d’Osséja, dut cosigner la page, de sorte qu’il reconnaissait être caution solidaire de son compagnon de voyage. Cette procédure, combinant simultanément la vente et la création de la dette de clôture de compte, est très peu présente dans les livres. De fait, c’est sans compter que seuls sont restés les témoignages de ceux qui ne s’acquittaient pas de l’intégralité du montant de l’achat. Lorsque le colporteur payait ce qu’il acquérait, la transaction ne faisait pas l’objet d’une écriture. Les listes d’articles pris par les muletiers correspondaient à la création de la dette que l’on gérait sur le court terme, alors que les balances des comptes faisaient passer la créance dans le moyen terme. Il est à noter qu’une étude, qui se centrerait uniquement sur les fonds notariés afin d’analyser l’importance du crédit au cours de cette période, ne percevrait pas l’immense majorité de celui-ci, puisque, pour le court et le moyen terme, on ne faisait pas appel à l’écrivain public. Au plus, on signait dans le livre de comptes devant témoin. Le passage devant le notaire ne se faisait qu’au cours de la seconde phase de reconnaissance et de consolidation de la dette ; la dette courante passait alors dans le long terme, ce qui impliquait la notion d’intérêts. On transformait le prêt courant en hypothèque. Pour l’immense majorité des transactions commerciales fondées sur les marchandises importées du comté de Foix, ce stade ne fut pas atteint. Au plus, on utilisait des lettres de change garanties sur certaines banques ou maisons de change (Barcelone, Cervera, etc.).
59Le négoce sur les produits alimentaires, autres que le sel et le poisson, entrait dans le circuit commercial classique de la maison Areny. Celui-ci incluait la consommation familiale, la distribution aux employés et un magasin de vente publique à Ordino. Pour ce qui est des produits d’importation, l’ensemble des échanges se fondait sur une multitude de relations dans lesquelles elle pouvait soit uniquement fournir les produits, soit participer à la revente, quand il ne s’occupait pas directement de l’exportation. De 1636 à 1649, Guillem Areny Vidal traita avec 313 personnes parmi lesquelles 143 possédaient un compte personnel dans la comptabilité de la maison. Le métier des personnes qui négociaient avec lui n’était pas systématiquement porté dans les comptes, il n’est connu que pour 162 individus. Si l’on met à part 62 personnes liées à l’élevage (éleveur, berger, vacher, etc.) qui ne jouaient qu’un rôle marginal, les professions les plus représentées avaient à voir avec le commerce et le transport. Les muletiers (traginers) étaient au nombre de 24, les marchands et les boutiquiers 29. Le second grand groupe était constitué par des membres du clergé (21)103. Suivaient divers autres métiers : notaires, juges, médecins, apothicaires, vitriers, forgerons, fileurs, tailleurs, charpentiers. Un cas un peu particulier était celui des hôteliers (hostalers, posaders) qui jouaient un rôle ambivalent puisque, comme c’était le cas avec le fer, ils tenaient également boutique dans leur établissement104.
60L’utilisation systématique de ces pratiques de crédit est l’un des points qui rend difficile la définition de la limite entre l’ouvrier qualifié travaillant dans le transport et le commerçant autonome. L’échelon inférieur correspond aux muletiers professionnels qui ne possédaient pas les animaux et louaient leurs services à l’année. Ce stade était systématiquement employé pour le transport des pondéreux de peu de valeur et des produits non commercialisés destinés à l’usage interne. Au-dessus venait le traginer possédant les bêtes et les harnachements nécessaires mais n’intervenant pas dans la création du capital commercial. Il était engagé à la journée lorsqu’il participait à des activités agricoles, à la quinzaine ou au mois lorsqu’il travaillait pour la compagnie105. Son salaire était supérieur à celui encaissé par les muletiers non propriétaires. Dans la première moitié du XVIIe siècle, ces derniers percevaient de 13 à 20 livres catalanes en début de carrière106 et, de 25 à 30 livres au bout de 4 ou 5 années de service. C’est l’équivalent annuel du salaire que recevaient les muletiers occasionnels dés le premier engagement. En contrepartie, les gages n’évoluaient pratiquement pas avec l’ancienneté. Chaque engagement était comptabilisé de manière autonome, il n’y avait pas de suivi d’un contrat à l’autre.
61Ces deux types d’ouvriers n’intervenaient pas dans la fixation du prix de la marchandise qu’ils transportaient. Au-dessus, il y avait les muletiers qui vendaient les produits : les colporteurs. C’est à ce niveau que le crédit complique les choses. En effet, le premier échelon correspond à des muletiers qui recevaient la marchandise à un prix minimum supérieur à celui utilisé pour les ventes normales, libre à eux de marchander lors de la vente afin d’obtenir un salaire sur la plus-value107. A part le calcul du salaire, rien ne différencie vraiment ce type de transporteurs des muletiers indépendants travaillant à la journée. En effet, en fixant un prix de base, le patron garantissait son bénéfice, mais en contrepartie il était le seul à risquer le capital. A l’autre extrémité, il y avait les colporteurs autonomes qui prenaient des marchandises à crédit, payables au retour. Le prix était fixé au plus bas (prix de vente au magasin d’Ordino), mais, en cas de perte, le colporteur payait intégralement la marchandise au prix préétabli. Les associations ou les compagnies qui fonctionnaient à mi-gains / mi-pertes, voire au tiers ou au quart selon le nombre de participants, étaient des stades intermédiaires entre les deux. Au niveau financier, la différence entre ces divers contrats n’était pas énorme puisque, dans tous les cas, c’était le négociant qui avait avancé le capital initial.
III. b. 2. Commerce ou contrebande ?
62Pour ce qui est des paiements, la mise en contact des marchés languedocien et catalan demandait un recours incessant aux deux systèmes monétaires. Au niveau comptable, cela se limitait généralement à un calcul arithmétique, mais lorsqu’il s’agissait d’un paiement effectif, il fallait tenir compte de la monnaie utilisée. Près de 10 % des transactions se firent dans des espèces différentes des deux unités de comptes courantes. Le doublon, la pistole, le ducat et la piastre, qui totalisèrent respectivement 47,8 – 16,5 – 14,1 et 13,4 % de la masse monétaire, étaient les plus utilisées dans la période 1635-1645. Suivaient le trentí, le réal de huit, le marc d’argent et le creuet (3,1 – 2,7 – 1,6 et 0,8 %). Il est à noter l’absence quasi complète de l’écu qui ne fut utilisé que pour une seule transaction en dix ans, alors qu’il était couramment cité dans les comptes des forgeurs et des mineurs au début du siècle. Généralement, c’étaient des pièces, d’or et d’argent, espagnoles et catalanes, qui remontaient vers le nord108. Au niveau douanier, le passage incessant de capital par la frontière allait à l’encontre de la législation établie qui visait à éviter la fuite des métaux précieux à l’étranger. S’ajoute l’absence quasi complète de paiements de droits. Au total, sur 2 666 transactions, les paiements de droits de leude, de foraine ou autres ne sont inscrits que cinq fois. Faut-il en conclure que les droits d’entrée, de sortie, et les péages étaient comptabilisés systématiquement dans les frais généraux et n’apparaissent pas dans le détail de la documentation ou alors, plus simplement, qu’ils n’étaient pas acquittés ?
63Le statut particulier de la principauté d’Andorre peut en partie expliquer cette absence. L’Andorre jouissait d’un cadre général fondé sur un ensemble de privilèges qui s’appuyaient à peu de chose près sur un même mécanisme. Les vallées faisaient partie des divers territoires qui les entouraient. De fait, en caricaturant, nous pourrions dire qu’elles faisaient partie de tout et de rien. En 1603, les membres du Conseil Général présentent, devant les députés généraux de Catalogne, une supplique visant à l’exonération des droits d’entrée et de sortie du Principat109. Leur raisonnement s’appuie sur différents critères qui cherchent à démontrer que les vallées faisaient partie du territoire catalan. En premier lieu, elles sont englobées dans l’unité géographique catalane, elles participent à l’espace constitué par les comtés de Cerdagne et de Castellbó et le réseau hydrographique du Valira s’écoule vers le Segre. Le second argument est économique : l’élevage andorran sert de provision aux comtés. C’est aussi parce que l’Andorre est liée au spirituel à l’évêché d’Urgell et au district de la Sainte Inquisition catalane que l’on paye la questia à l’évêque110 et que les dîmes et prémices sont données à l’Église d’Urgell. Les émissaires mettent en exergue le rôle des fruits produits par ces « vassaux » (les Andorrans), qui sont fort utiles aux habitants des comtés catalans, et précisent que les Andorrans sont exonérés de gabelle et autres droits pour les marchandises importées de France. De même, ils bénéficient d’une franchise, concédée par Jean d’Aragon111, pour les provisions et victuailles qui entrent ou sortent de Catalogne à destination et usage des vallées. L’ancienneté de la franchise est le dernier point à relever. Donnée une première fois par Jean Ier, cette franchise avait été confirmée par Philippe d’Aragon au cours des Corts générales tenues à Montsó en 1585 et par les Corts de Barcelona en 1599. Néanmoins, cette franchise que validèrent à nouveau les députés généraux de Catalogne en 1603, n’était applicable que pour l’approvisionnement des villages andorrans. Si les marchandises importées de Catalogne étaient destinées à être exportées en France, il fallait que les Andorrans les déclarent et qu’ils payent les droits, au risque de perdre la marchandise s’ils ne le faisaient pas.
64Pour le versant français, en 1611112, Louis XIII, au vu de la fidélité et des difficultés que connaissaient ses « ... chers et bien aimés, les manants et habitants de notre dit lieu d’Andorre... » qui sont dans « ... les rochers et montagnes des monts Pyrénées et environnés de pays infertiles... », confirmait les privilèges concédés par ses prédécesseurs les comtes de Foix et par son père Henri IV113. Exemption pour le passage des bleds, vins, viandes, huiles, cuirs, vêtements, ustensiles et aliments qu’ils consomment dans la dite vallée sans fraude. Cette fois encore, il semble bien que les Andorrans – comme le faisaient systématiquement leurs voisins Ariégeois quand ils traitaient avec l’administration centrale – aient joué sur le peu de connaissance des réalités andorranes114. Cette vallée, qui était décrite comme l’un des greniers à grains des comtés catalans devant les députés généraux de Catalogne, n’avait plus de quoi se sustenter, et, en 1655, une nouvelle lettre patente qualifiait le pays « ... d’affreus et sauvage scittué dans les lieux les plus inaccessibles des monts pirénées, que les neiges rendent presque inhabitables à tel point stérile qui ne leur produit aucune sorte d’aliment... »115. Cette politique misérabiliste116 fit des émules puisqu’on la retrouve dans la maxime 49 du Manual Digest : « ... Ne jamais montrer de richesses, ni divulguer pouvoir et forces, mais prêcher misères et faiblesse des vallées... », ce à quoi Fiter Rossell ajoutait dans son commentaire : « ... grâce à ce précepte les anciens Andorrans avaient réussi [à obtenir] les insignes privilèges, franchises, libertés et exemptions... »117.
65Il semble bien que cette réalité soit bien mieux connue par les voisins proches de la principauté, puisque, le 20 juillet 1615, il fallut faire intervenir Jean Georges Caulet118, conseiller du roi, président trésorier de France et général des Finances au bureau du Languedoc, afin d’obliger Jacques et Bernard Caujole119, fermiers du droit de gabelle à Siguer, à respecter l’exemption andorrane. Il fallut menacer les fermiers d’une amende de 500 livres tournois pour qu’ils laissent les Andorrans tranquilles. On peut se faire une idée des arguments que devaient mettre en avant les frères Caujole au travers de la clause terminale qu’ajoutait le général des Finances : les fermiers de la gabelle de Siguer obtenaient le droit de placer un commis dans les vallées afin de contrôler le respect des clauses restrictives qui accompagnaient ces privilèges120. C’est-à-dire celles qui précisaient que les Andorrans n’avaient pas le droit de passer davantage de marchandises que ce qu’ils consommaient, et qu’ils perdraient leur immunité si l’on démontrait que les articles importés étaient destinés à la revente. Pour le versant sud, un accord similaire fut conclu en 1606 par la restitution du chargement de farine qui avait été confisqué par les consuls de la Seu d’Urgell121. A cette occasion, la Royale Audience de Catalogne réaffirma la liberté dont bénéficiaient les Andorrans de faire entrer et sortir gratuitement des marchandises de Catalogne122. Le cadre juridique est clair. En faisant partie simultanément des comtés catalans, du royaume d’Aragon et du royaume de France, la principauté d’Andorre pouvait commercer librement tant que le négoce était destiné à sa consommation interne.
66Pour ce qui est du commerce d’import-export, nous sommes loin du compte. Les volumes de marchandises transportés outrepassaient largement les franchises concédées. Ces échanges franco-catalans se faisaient-ils dans l’opacité la plus complète ? Il semble bien que non, puisque, en juin 1638, les Syndics des vallées123 protestaient devant le viguier épiscopal afin d’obtenir la levée de l’interdiction qui était faite aux Espagnols et aux Français d’établir des relations commerciales sur le territoire andorran. Les Syndics rejettent cette interdiction, car elle porte atteinte à la liberté et à l’immunité que possédaient les vallées, et que, contrairement à la règle, cette proclamation s’était faite hors du cadre normal des corts124. Le passage des marchandises était par conséquent connu, il n’en reste pas moins que, si l’on en croit la documentation, les passeurs ne s’acquittaient pas des droits. Il s’agissait donc d’un commerce illégal puisque la revente n’entrait pas dans le cadre des privilèges.
67Reste à préciser cette notion d’illégalité. Dans le texte, le droit des Andorrans est très restrictif. En ne considérant que ce qui est pour leur usage, il interdit pratiquement tout commerce à des fins lucratives. Cela va à rencontre du commerce du fer pour lequel n’était payé aucun droit de sortie, de celui des bestiaux qui se vendaient par centaines aux foires de la plaine et de celui de la laine qui s’exportait par tonnes. Par conséquent, dans ces trois cas, le volume échangé allait bien au-delà de la stricte satisfaction du marché local. Il semble bien que, dans la pratique, il y ait eu une marge de manœuvre. Cependant, ces marchés correspondaient à la diffusion d’une activité interne, le commerce d’import-export différait radicalement de ce type de transaction. Le commerce des tissus et du poisson se faisait en jouant sur une limite qui outrepassait ouvertement les droits réels dont bénéficiait la population. Cette activité se développant au cours d’une période troublée, elle bénéficiait probablement de certaines facilités.
68La revitalisation de l’axe nord-sud débuta en 1635-1636. Il est difficile de ne pas y voir une conséquence directe des événements qui affectaient la région. Le passage de produits par les Pyrénées andorranes débute alors que le commerce vers l’Espagne s’interrompt dans d’autres régions, comme par exemple à Narbonne à partir de 1635125. Le gros du trafic par le port de Siguer se fit entre 1639 et 1642. Cette tendance n’est établie qu’à partir de l’étude d’un seul fonds privé, pourtant les diverses phases que l’on peut y observer résultent de la conjoncture générale et ne sont pas imputables à la seule volonté de Guillem Areny Vidal. Elles sont un bon reflet, par conséquent, de l’évolution de la conjoncture générale. Il n’en est pas de même avec le volume de produits transportés. Cette documentation éclaire les activités d’un réseau de distribution particulier, mais combien y en avait-il réellement ? Le système financier mis en place se fondant sur le crédit systématique, il n’est concevable que pour des familles possédant des liquidités importantes, les autres devant se contenter du rôle d’intermédiaire. Si l’on considère que l’origine du capital nécessaire à l’investissement provenait de l’activité pastorale, il n’y avait qu’une poignée de maisons qui pouvait mettre sur pied une telle organisation. Si l’on opte pour un mécanisme de réinvestissement des bénéfices obtenus dans le premier développement sidérurgique, ce nombre est abaissé à trois ou quatre familles. De toute manière, dans les deux cas, le nombre de réseaux susceptibles de s’établir ne pouvait qu’être restreint puisqu’il fallait que le fondateur de la compagnie puisse immobiliser plusieurs milliers de livres pour travailler. L’une des conséquences de ces échanges fut l’installation pérenne de certains marchands ariégeois sur le versant sud. Louis Lavernia de Tarascon qui apparaît dans certains paiements est mentionné comme boutiquier à Sant Julià126. Vingt ans plus tard, en 1641, le fils de Jean François Tinier tenait boutique à la Seu127.
69Mais faut-il limiter le cadre d’observation aux seules vallées andorranes ? En d’autres mots, les négociants établis à la Seu étaient-ils obligés de passer par l’intermédiaire des Andorrans pour importer, aux mêmes conditions, les produits provenant de Toulouse. L’activité de la maison Areny est-elle seulement un témoignage parmi d’autres d’un trafic plus large se déroulant dans un cadre géographique dépassant celui de la principauté d’Andorre ? Le développement de ce négoce était-il uniquement en rapport avec le potentiel financier de la famille Areny ou était-ce la possibilité d’extrapoler les droits dont elle bénéficiait en tant qu’andorrane qui entrait en jeu ? Si l’on se place d’un point de vu légal, les Andorrans ne faisaient qu’outrepasser les limites d’un droit acquis, mais c’est entrer dans la subjectivité entre ce qui n’est pas vraiment permis et ce qui est strictement interdit.
70Le sel qui se vendait au nord n’était pas une particularité andorrane. Pour le Val d’Aran, à la même période, Patrice Poujade cite le passage de sel du Val d’Aran en Comminges et, en 1637, Philippe IV autorisa les Aranais à faire entrer 200 charges de congre de France128. S’agit-il d’un échange du type poisson / sel comme ceux qu’établissaient les négociants toulousains et andorrans ? Le commerce du Val d’Aran a-t-il connu le développement exponentiel que connut celui d’Andorre à partir de 1636 ? Pour le moment, les parallèles utilisables manquent, d’autant que le Val d’Aran constitue un cas particulier puisqu’il bénéficiait d’un statut original. Mais, sans sortir de l’aire géographique catalane, qu’en est-il du Pallars ou de la Cerdagne ? Pour le moment les éléments de réponse font défaut. Les quelques muletiers cerdans qui venaient s’approvisionner dans les magasins d’Ordino sont-ils des cas particuliers ou illustrent-ils l’absence de passage par le Puymorens ? Hors du cadre des compagnies constituées par Guillem Areny Vidal, nous nous trouvons dans l’impossibilité de définir l’amplitude réelle de ce commerce. Mais, il ne faut pas oublier que, comme en témoignent les plaintes répétées des tisserands barcelonais, l’arrivée d’étoffes françaises sur le marché catalan n’était pas une nouveauté129. Ce qui est inédit, c’est le lieu où se fait l’introduction de ces tissus. Il semble bien pourtant que ce passage ait eu des conséquences notables pour la Catalogne. Les dépôts enregistrés à la table de change de Cervera par les marchands et boutiquiers connaissent un maximum en 1641. Près d’un quart des dépôts comptabilisés par Josep Maria Portella pour la période 1620-1710 se fit cette année-là. L’auteur précise qu’ils étaient destinés à payer des tierces personnes130. Cervera étant l’une des places mentionnées dans la documentation andorrane, faut-il y voir l’un des résultats du trafic pyrénéen ?
III.b.3. Les marchés « traditionnels » de 1636 à 1646
71Probablement, plus que le volume transporté, c’est le passage massif de marchandises par les cols d’altitude au plus fort de l’hiver qui surprend le plus dans ce commerce. Il n’existe aucun témoignage de cette activité hivernale avant 1635. Cette remarque renforce l’hypothèse d’un flux commercial très temporaire. Les Pyrénées enneigées ne constituaient pas un obstacle tant qu’il y avait un profit substantiel à attendre de leur franchissement. Lorsque la conjoncture ne favorisait pas une telle spéculation, il n’y avait aucune raison de braver les intempéries. Mieux valait attendre la bonne saison.
72Le boom que connut ce commerce profitait aussi bien aux voisins ariégeois qu’à ceux de l’Ait Urgell, ce qui explique la complaisance dont bénéficia ce trafic dont l’illégalité est évidente. Cette croissance fut momentanée. Dès 1643, cette activité connut un coup de frein brutal qui ramena le volume de l’échange à des niveaux comparables à ceux enregistrés avant 1636. L’économie de crise qui s’était mise en place fut rattrapée par les événements. Le soulèvement catalan, à partir de 1640, contribua à désorganiser plus encore les réseaux de distribution, mais, en contrepartie, les événements militaires vinrent affecter les régions qui participaient au commerce pyrénéen. Au sentiment anti-français, qui alla en se renforçant et se solda, entre autres, par l’interdiction de l’utilisation des étoffes françaises par les untes131, s’ajoutèrent les événements militaires. Le 7 juin 1640 eut lieu le premier soulèvement populaire à Barcelone. Le retrait des troupes françaises du maréchal Espenan, au début 1641, se traduisit par une augmentation de la pression espagnole en Catalogne. En 1644, Lleida tombait. L’ensemble de la région avec laquelle négociait Guillem Areny Vidal était directement affecté par les événements. Après la chute du volume des échanges de 1643, cette activité ne connut une légère reprise qu’en 1646-1647, puis les ventes reprirent en 1651 avec une intensité moindre.
73Les difficultés d’approvisionnement que connaissait le marché catalan continuaient, mais la priorité n’était plus la même. L’un des témoignages qui illustre ce changement est l’association passagère qui s’établit entre Guillem et le représentant de la boucherie de Barcelone, Josep Oliver de Tàrrega, qui vint en Andorre en 1646 pour acheter plus de 2 500 ovins132. Neuf éleveurs furent mis à contribution, parmi lesquels quatre faisaient partie des principaux éleveurs de la principauté133, et il fallut compléter les acquisitions en achetant des bêtes à Segalos d’Alins et à Ros d’Arfà. La vente totale se montait à 5 824 livres catalanes134. En amont, Guillem Areny Vidal servait d’intermédiaire entre les éleveurs pyrénéens et le négociant urgélitain. En aval, les animaux furent payés par diverses personnes. Des polices furent signées par des négociants de Barcelone (2 739 livres), 1 647 livres furent dérivées sur des négociants de Tàrrega, Altet et Verdu. Les 1 438 livres restantes furent employées par Guillem pour s’acquitter des dettes, contractées à Solsona et à la Seu, sans toucher à sa trésorerie. Au mois de novembre suivant, cette fois directement à Guissona, Josep Oliver acquit de nouveau 987 moutons pour 2 553 livres135. Comme on peut s’en rendre compte, le négoce du bétail n’avait pas grand-chose à envier à celui des étoffes d’importation. D’autant qu’à ces ventes massives était venue se greffer celle de 4 803 ovins, dont 987 têtes appartenant au personnel de la compagnie, vendus à divers autres négociants136. Simultanément, entre 1636 et 1646, Guillem vendit 53 mules qui furent estimées à 3 592 livres. Même s’il n’avait pas encore l’importance qu’il atteignit par la suite, cet élevage n’avait rien de dérisoire. Les ventes de bestiaux avaient un rôle important dans l’économie de la famille, et les années postérieures à la chute de Lleida (1645-1646) furent marquées par l’importance du trafic. Les marchés constitués par les ovins et par les mules n’étaient pas les seuls qui jouaient un rôle important dans l’économie de cette famille. Le commerce de produits de première nécessité à destination des vallées jouait également un rôle dans les échanges. Nous ne constatons pas de variation notable de la demande entre 1620 et 1646. L’accroissement de cette activité résultait directement de la croissance de l’économie familiale. La naissance de l’activité sidérurgique et les débuts de la forte croissance de l’activité pastorale enregistrée au cours de la décennie 1632-1642 en furent les principales causes. Le marché ne s’était pas modifié, c’était le nombre de personnes impliquées dans les réseaux de la maison qui s’était accru. Les céréales et la laine méritent une mention spéciale.
74En 1642, 1643, 1644 et 1646, Guillem Areny Vidal fut associé à la location des dîmes agricoles de l’évêché. Au cours de cette période, la valeur des céréales engrangées par la maison Areny se montait à 1 912,5 livres. Par le circuit commercial classique, ces céréales furent revendues essentiellement sur le marché andorran. Seules quelques ventes ponctuelles en Alt Urgell se firent hors des vallées137. Une exception : en 1646, il fit une vente de 20 charges aux habitants du Pla de Sant Tirs138. Pour la laine, le volume des transactions ne résultait que d’échanges privés, puisque le produit de la dîme n’est pas mentionné dans les comptes tenus par Guillem. Les quantités de laine annuelles sur lesquelles il travaillait ne semblent pas se modifier entre 1620 et 1646. Les années pour lesquelles les comptes paraissent les plus complets, le volume moyen des transactions tournait autour de 1,3 et 2 tonnes l’an. De 1639 à 1647, les achats et les ventes s’équilibrent autour de 1,4 tonne. Cependant, la majorité des ventes qui concernaient la production des troupeaux lui appartenant ne sont pas mentionnées. Au bas mot, il possédait un millier de têtes. La production était par conséquent, à peu de chose près, au moins égale à la quantité de laine acquise. Le circuit de la laine reste difficile à saisir dans son ensemble. Pour ce que nous en savons, le débouché principal de la laine était le comté de Foix. Il est à noter qu’alors qu’une partie réduite de la laine est vendue à des pareurs de la Seu (10,5 %), des achats de laine à la Seu ou à Ponts destinés au marché ariégeois sont également attestés139.
75Si l’on fait la balance des comptes entre la période 1620-1635 et 1636-1646, le volume monétaire qu’implique l’ensemble de l’activité de la maison Areny fut multiplié par 3,6. Le montant total des transactions enregistrées dans les livres de comptes atteint plus de 120 000 livres catalanes140. Si l’on compare la moyenne annuelle calculée pour les deux périodes, la hausse est de 408 %141. Bien évidemment, le volume financier des produits textiles et du poisson fut celui qui connut le mouvement le plus prononcé142. La croissance du marché des ovins, qui avait été mise en évidence grâce aux comptes des communes et du Conseil des Vallées, apparaît également dans les comptes privés, puisque, une fois les montants des diverses ventes corrigés de la dépréciation monétaire, le volume des ventes fut multiplié par 10. Cette variation est probablement à revoir à la baisse car, pour certaines années, entre 1620 et 1635, les comptes n’ont pas conservé de transactions traitant de ventes d’ovins. Cependant, même en ne considérant que la moyenne des années pour lesquelles les ventes sont connues, la tendance reste largement positive, les ventes passant de 400 à 1 500 livres l’an. La place des ovins dans l’économie familiale passa d’un peu plus de 10 % à près de 25 %, alors que les transactions sur la laine, malgré une croissance de près de 400 %, perdirent de l’importance par rapport aux autres marchés143.
76Le marché du fer, à l’inverse, disparaît quasi totalement des comptes, alors qu’il constituait 20 % des échanges entre 1620 et 1635. De fait, il disparaît des comptes avant 1635. Dès 1630, il n’existe que peu de transactions traitant du fer. La moyenne établie pour cette période n’est que de 250 livres l’an, alors qu’elle est de plus de 700 livres auparavant. Une dizaine de ventes de fer, la dernière datant de 1648, sont les seules mentions de ce marché dans les comptes des compagnies. Dans les livres de salaires, le fer disparaît totalement des paiements octroyés aux salariés à partir de 1639144, mais, en contrepartie, les deux dernières mentions de forgeurs datent de 1649 et 1650145. La forge pour laquelle ils travaillaient n’est pas mentionnée. S’agit-il de la forge de Puntal ou de la nouvelle forge qui s’implanta à Canillo en 1643 ? L’érection de ce nouvel établissement sidérurgique laisse à penser que, tout au moins jusqu’à cette date, le marché du fer était toujours porteur. D’autant que dans une balance de compte datée de 1662 est mentionnée une dette ancienne correspondant à la période pour laquelle Guillem Areny Vidal était associé à Miquel Adellach dans l’administration de la forge de Canillo146. La rareté des actes concernant le fer reflète un désengagement de la famille. Confirmation en est donnée par les comptes passés avec la famille Rossell – qui était associée à Guillem Areny pour les deux établissements sidérurgiques – entre 1635 et 1645, où il n’est cité aucun frais ou bénéfice dégagé de la forge147.
III.c. La crise du XVIIe siècle et ses conséquences
771643, date de la perte de vitesse du commerce transpyrénéen, marque au niveau économique le début de la crise qui affecta de plein fouet l’économie des vallées. Cette récession combina deux facteurs étroitement liés : la dépréciation monétaire et la cherté des prix.
III.c.1. Le marché céréalier
78L’un des premiers produits qui enregistra un mouvement à la hausse fut le blé. Les céréales devenaient un article d’importation dès que des besoins se faisaient sentir et étaient les plus sensibles aux variations. Mais avant de chercher à analyser l’évolution des cours, il est nécessaire d’appréhender le cadre réglementaire dans lequel se fixaient les prix.
III.c.1.1. La fixation des prix céréaliers, la régulation du marché
79L’étude des prix au long de la période étudiée rassemble des références qui regroupent, en théorie, deux types de données, les prix fixés et applicables en principauté et ceux des produits dont le cours était libre. La notion de réglementation des prix par le Conseil Général, contrairement à ce que laissent croire les documents, n’avait pas un caractère absolu. En effet, pour des denrées alimentaires de base comme l’étaient les bleds, le pain, le vin et l’huile, il est fréquent de noter des variations entre les prix fixés par le Conseil des Vallées et ceux utilisés dans les actes de ventes.
80Pour les céréales, l’exemple le plus évident est fourni dans les comptes de la bladeria de Sant Julià. Régulièrement, pour les ventes réalisées entre le 15 août et le 15 septembre, il était spécifié que le prix applicable à la vente ne serait connu qu’une fois que la commune aurait fixé son prix ; mais, pour le faire, elle attendait que le Conseil des Vallées ait décrété la valeur marchande des céréales pour l’année récolte qui débutait. Ce décalage est imputable à l’échelonnement des moissons dans les vallées. Le délai qui s’écoulait entre la première et la dernière récolte était tributaire du temps de maturation qui variait avec l’altitude et pouvait être de plus de trois semaines148. Pour fixer son prix, le Conseil communal de Sant Julià attendait de connaître le tarif établi par la Maison des Vallées pour le marché intérieur. Les prix communaux se situaient au même niveau que ceux du Conseil ou légèrement en deçà lors des bonnes années, quand on prétendait vendre le surplus de production. A l’opposé, lors des mauvaises années ou lors des soudures printanières difficiles, les tarifs étaient fixés au-delà afin d’éviter que les stocks soient saignés à blanc.
81Le prix aforat fixé par le Conseil Général, n’était donc pas le seul qui avait cours dans les vallées. Il était fréquent que la commune appliquât un prix pour son stock et l’afor pour les céréales andorranes qui entraient dans son territoire. En 1700, le Conseil de Sant Julià disposait que ceux qui devaient du blé de l’afor de la Vall payaient 140 sous par charge, ceux qui prenaient du blé à la bladeria devaient 70 sous pour les prêts en nature. Ce tarif était applicable à ceux qui s’acquittaient de la dette en argent avant la Saint-Michel (29 septembre), après cette date le préposé de la bladeria pouvait encaisser plus149. L’afor servait de référence. Il s’appliquait aux céréales administrées par la Maison des Vallées150, la commune faisait de même avec ses stocks. Parfois identiques, ces deux cours pouvaient varier car les conseils communaux ne se privaient pas d’établir une valeur distincte pour leur blé. Notamment, ils utilisaient ce moyen pour adapter les prix de vente lorsqu’ils se trouvaient obligés d’acheter des céréales. La fixation indépendante des cours était le plus sûr moyen de gérer les réserves. En période d’augmentation des cours, il n’était pas rare que la commune décrétât deux prix différents, l’un applicable pour les transactions acquittées au cours de l’année récolte, un second pour celles qui se payaient après la récolte. Ainsi, le 28 octobre 1596, le conseil de Sant Julià fixa le tarif à 72 sous pour le premier et à 76 pour le second. Cette marge était prévue pour pouvoir racheter la même quantité de céréales malgré la hausse des cours.
82D’autre part, l’aforament n’était pas systématiquement appliqué dans les transactions privées. En effet, dans les comptes, il est fréquent de trouver des cours différents sans qu’il y ait contestation du tarif par les acheteurs. Ainsi, en septembre 1634, le Conseil des Vallées avait fixé le prix de la charge à 52 sous. Au même moment, le prix de vente en cours à la maison Areny était de 60 sous. C’est ce taux qu’imposa la commune de Sant Julià aux ventes qu’elle fit à partir de la moisson suivante. Généralement, le marché privé anticipait les évolutions qui affectaient le marché communal. Pour l’année récolte 1638-1639, l’afor était à 44 sous. Au cours du premier semestre 1639, les producteurs vendaient le blé à 56 sous et, à la fin août, le tarif réglementaire passa à 52 sous la charge151, mois à partir duquel les grains particuliers se vendaient à 54 sous. Il est clair que les négociants adaptaient leurs prix à la loi de l’offre et de la demande. C’est en grande partie pour cela que les cours, théoriquement fixes d’une récolte à l’autre, pouvaient varier fortement pendant une même année récolte.
83Les bladeries rassemblaient trois types de grains. Il y avait ceux qui provenaient de certains loyers (moulins152, locations foncières, hôtels, tavernes, boulangeries). Un second groupe était constitué des grains qui avaient été achetés soit directement par la commune, soit au travers d’une association de diverses communes au niveau du Conseil des Vallées, ces grains s’évaluaient toujours au prix de l’afor. La troisième catégorie correspondait au stock. Celui-ci pouvait soit se trouver physiquement engrangé à la bladeria, soit être en attente de recouvrement et n’exister qu’au niveau comptable. Dans ce cas, il s’agissait des prêts sur récolte octroyés au cours de la dernière soudure printanière, voire d’un prêt en numéraire payable en blé. Par exemple, en 1636, Bartumeu du mas de Certes, reconnaissait recevoir 18 livres pour lesquelles il acceptait de porter la récolte qu’il obtiendrait en 1637 au grenier de la bladeria153.
84Le rôle principal de ces institutions était de fournir les grains aux habitants qui se trouvaient dans l’impossibilité de se suffire à eux-mêmes. En aucun cas l’ensemble de la production andorrane ne correspondait aux approvisionnements de ces bladeries. Tous les producteurs privés possédaient leur propre stock, certaines chapellenies propriétaires de terres en avaient également154. Au niveau général, communes mises à part, les plus gros possesseurs de céréales étaient les locataires des dîmes. Le loyer de la dîme se payant en liquide, les grains ne quittaient pas la principauté155. L’afor servait parfois pour la fixation du prix des céréales de la dîme. En effet, lorsque la location ne se faisait pas sur la base d’un tarif fixé dans le contrat, il était convenu que c’était le prix du meilleur acheteur qui était employé156. Le montant, établi lors de la réception des grains, était celui qui allait aux bénéficiaires de la dîme157, alors que la vente réelle se faisait au bénéfice des locataires. Ces deux transactions ne s’établissaient pas au même prix. En 1643, le blé que Guillem Areny Vidal recevait de la récolte était comptabilisé à 220 sous, alors que le prix applicable selon le Conseil de Sant Julià était de 236 sous la charge. En juin 1644, Guillem vendait ces grains à 260 sous. L’année suivante, il réceptionnait les grains à 120 sous, alors qu’il les vendait à 140 sous en début de saison et à 160 sous à partir du mois de mai. De même, en 1658, Joan Rossell d’Ordino revendit les grains reçus des dîmes à 48, 54, 60 et 72 sous la charge, selon le mois de vente158. Les preneurs de la dîme suivaient les cours du marché, bien plus que ce que stipulait le Conseil Général. Pour le XVIIe siècle, en ne tenant compte que des ventes effectuées au cours des mois pour lesquels sont connus simultanément les prix de l’afor et ceux du marché privé, on obtient un prix moyen supérieur de 31 % pour le marché privé. Deux seules fois, le tarif de vente fut égal à l’afor, en 1640 et 1660. Exceptionnellement, au cours des chertés de 1652 et 1712, le prix de vente du blé atteignit plus du double de celui fixé par le Conseil159.
85La fixation des prix céréaliers en principauté combinait par conséquent trois origines différentes : les vallées, les communes, le secteur privé. Il faut y ajouter l’influence des marchés extérieurs qui s’exerçait dès que la communauté se trouvait en déficit. L’une des clauses que l’on retrouve fréquemment dans les livraisons de blés communaux se rapporte au type de remboursement, il devait se faire soit « blé pour blé », donc en nature, soit en argent, au tarif établi lors du prochain Conseil d’afor. Le prix applicable était par conséquent double. Le prix en vigueur au cours de l’année récolte était utilisé pour les ventes. Celui de l’année à venir l’était pour les prêts. La commune privilégiait la reconstitution des stocks plutôt que la vente. Ce caractère prenait de l’importance au cours des périodes de cherté. En fixant un tarif supérieur aux céréales qui devaient être acquittées l’année suivante, elle engageait les débiteurs à rendre leur dette en nature : mieux valait rendre grain pour grain que de payer une charge au-dessus des cours. Ainsi, en 1601, en fixant le prêt à 70 sous la charge, contre 60 pour les ventes satisfaites au comptant, la commune situa le prix au-delà des tarifs applicables à partir de d’octobre 1602160.
86Il serait par conséquent plus logique de parler de plusieurs marchés parallèles plutôt que d’un seul marché du blé. Cette situation oblige à considérer avec prudence les affirmations de pauvreté, de manque qui s’égrènent dans les documents communaux. Elles ne considéraient que la situation des stocks des bladeries. La constitution de ceux-ci s’effectuait majoritairement par des achats. Les communes se trouvaient en porte-à-faux entre deux réalités différentes. Pour une part, elles disposaient de la propriété de la majeure partie du territoire, mais en échange elles ne recevaient quasiment rien de la production. De l’autre, elles avaient la charge de tous les clients potentiels des bladeries. Ceci concernait aussi bien ceux qui ne possédaient pas la superficie d’emblavure suffisante pour pouvoir satisfaire les besoins de leur famille que ceux qui, momentanément dépourvus, devaient y recourir afin d’ensemencer leurs terres, car ils avaient dû puiser dans la réserve de semences. Dans un cas, le mal était chronique, dans le second, il était conjoncturel. Bien évidemment, lors d’une mauvaise année, les deux s’additionnaient. Ponctuellement, afin de faire face à ce décalage, la commune décrétait des valeurs distinctes selon la quantité demandée. Le 6 juin 1605, la vente jusqu’à deux setiers se faisait à 90 sous la charge, au-delà il en coûtait 102. Dans une conjoncture de hausse – les prix avaient augmenté de 50 % en un an – cette clause était destinée à limiter la spéculation. La bladeria avait un aspect social prononcé. La fixation d’un prix annuel à la fin des récoltes avait essentiellement deux buts : protéger les nécessiteux de la spéculation et rationaliser la gestion des stocks. De ce fait, se créaient deux marchés parallèles. L’un, ouvert, correspondait au marché privé et il s’adaptait continuellement aux fluctuations de l’offre et de la demande. L’autre, plus contrôlé, sur lequel on tentait d’atténuer les effets du premier.
87La fonction régulatrice du marché public se trouvait faussée dès que les cours privés fluctuaient de manière trop importante. Une hausse décrochant les prix communaux de ceux du secteur privé pouvait conduire à la mise en place d’une spéculation sur les stocks de la bladeria. L’une des réponses réglementaires était l’interdiction de vendre des céréales hors de la vallée ou de la commune. Mais à court terme, il fallait que la commune adapte ses prix. L’essentiel des révisions de prix effectuées au cours de l’année récolte répondaient à une adéquation des tarifs communaux aux tarifs privés. Le but premier était de faire obstacle à la spéculation et d’éviter les pertes financières qui compromettraient la reconstitution des stocks161. Les interdictions d’exportations ou de ventes de grains à un étranger peuvent conduire au premier abord à une compréhension erronée du marché céréalier andorran. On interdisait la spéculation sur les réserves publiques, mais le marché privé n’était nullement entravé par cette règle. Bien que le marché andorran rassemblât la plus grande partie des ventes de céréales, les ventes à l’exportation étaient relativement courantes dans les comptes privés et, dans certains cas, elles pouvaient même prendre une certaine envergure162.
88De toute manière, ces mesures restrictives n’étaient pas suffisantes pour réguler et contrôler le marché, puisque la structure nécessaire afin de les faire appliquer n’existait pas. Le Conseil n’avait pas les moyens de sa politique, la seule solution viable était d’établir des prix en relation avec le marché. La possibilité de rendre les prêts en nature permettait, généralement, d’éviter que la hausse des prix affectât les habitants. L’idéal que laisse entrevoir Fiter Rossell lorsqu’il affirme que le Conseil Général décrétait le cours annuel du blé n’est imaginable que si le marché fonctionnait en autarcie. Lorsque la bladeria se trouvait en rupture d’approvisionnement, il fallait avoir recours à l’achat pour répondre à la demande. Par ce biais, la logique de marché entrait dans la gestion du stock et l’on se voyait contraint de suivre les prix appliqués aux transactions courantes.
III.c.1.2. Rendements et prix. Une région déficitaire ?
89L’une des gageures de l’analyse des documents d’époque moderne traitant des céréales est l’évaluation de la production. Les données utilisables sont tout sauf globales, et il faut automatiquement faire face à une double réalité illustrée par deux témoignages tardifs. En 1838, Fra Junoy écrivait que « ... dans toutes les paroisses, on récolte le blé de seigle dont tout le monde mange régulièrement le pain, dans les années régulières [normales] il en manque très peu pour [subvenir à] la consommation... »163. Quinze ans plus tard, le colonel Ulrich exprimait un avis plus négatif, puisqu’il annonçait que « ... le seigle, même s’il y a une bonne récolte, ne suffit pas à la consommation... »164.
90Les comptes des diverses bladeries vont dans le sens de ce qu’écrivait Fra Junoy : les stocks ne posaient des problèmes de renouvellement que lors des périodes de cherté. Encore que le recours aux marchés catalan, cerdan ou ariégeois ne se fasse pas systématiquement, puisque la pénurie était fréquemment réglée en faisant appel à des réserves issues de la production andorrane, notamment celles des dîmes revenant aux locataires165. À Ordino, en 1642, la dîme équivalait à la collecte de 926,5 charges, et, en 1643, c’étaient 1 037 charges, ce qui fait respectivement 13,4 – 15,1 en moyenne par maison fiscale166. En 1658 et 1659, cela donne une moyenne de 14,5 et 14,4167. En 1689, la dîme fut de 99 charges 5 setiers, ce qui faisait 13,6 charges par maison fiscale168. En 1695, elle atteignait 1 188,3 charges, mais en contrepartie le nombre de maisons recensées avait augmenté, passant de moins de 70 à 101169. La production par maison fiscale n’était plus alors que de 11,8 charges170. Pour ces sept années, la moyenne annuelle est de 11,82 charges par maison une fois la dîme prélevée. 1 715 litres de grains, majoritairement du seigle qui, si l’on tient compte d’une densité de 0,72 et d’un rendement de 1,2 pour la transformation des grains en pain171, donnaient 1 481 kg de pain. A peu de chose près, de quoi nourrir deux hommes dans la force de l’âge, une femme et un enfant de moins de six ans, pendant un an pour chaque feu fiscal. Selon ces chiffres, il semble donc que, globalement, la production de la terre suffisait à alimenter la population. D’autant que l’omniprésence de l’élevage, même si c’est à petite échelle pour certaines maisons, complétait l’apport calorique quotidien (viande, fromages, salaisons). Dans les comptes de la dîme reçue par Guillem Areny Torres en 1695, les grains sont détaillés par propriétaire. La production peut être estimée de 2,8 à 68 charges par producteur, la moyenne étant de 13,8 pour les 39 cultivateurs cités. En 1714, une série semblable comptabilise 28 cultivateurs dont la production allait de 4,25 à 42,5 charges, 13 en moyenne172. Ce qui revient à 355 et 532 kg de pain pour les plus petits producteurs, au plus de quoi nourrir annuellement un homme effectuant un travail de force. De 1 064 à 1 331 kg, si l’on calcule la production à partir de la médiane des recouvrements de ces deux années, et plus de 5 000 et 8 000 kg pour les deux principaux cultivateurs. A la vue de ces chiffres, il est clair que le rôle tenu par les bladeries n’était pas le même pour tous.
91Si l’on applique au chiffre moyen obtenu à partir des sept années de dîme, les résultats calculés par M. Morineau pour le sud de la France173, cela donne une superficie emblavée de 1,71 hectare par maison fiscale. Même très approximatif, ce chiffre ne semble pas totalement incohérent avec les données globales calculées à partir du cadastre de 1905. Après la hausse démographique du XIXe siècle, la superficie moyenne dans cette commune était de 3,56 hectares par propriétaire. Comme elle se composait à 61,67 % de terres céréalières, cela fournissait une superficie emblavée moyenne, sans tenir compte de la jachère, de 2,2 hectares174. Ce raisonnement peut être affiné en corrigeant l’image globale fournie par le cadastre de l’impact des judicacions attribuées au XVIIIe et XIXe siècle et en répartissant le total sur le nombre de maisons fiscales comptabilisées au XVIIe siècle, on obtient ainsi une superficie moyenne agricole voisine de 3,45 hectares vers 1640, alors que les chiffres de la dîme donnaient 3,49 hectares. Même si elle est sujette à caution, puisqu’elle considère une structure du terroir fixe, cette extrapolation permet de donner un ordre de grandeur et de tirer quelques conclusions.
92Rappelons que la reconversion du terroir n’affectait la dénomination de la terre que lorsque l’usage commun s’en trouvait modifié. Une estimation de superficie emblavée à partir des données de la dîme de 1899-1903, c’est-à-dire contemporaine à la création du cadastre, livre un résultat sensiblement plus élevé que celui calculé directement à partir du statut des terres. La moyenne est de 3,76 hectares, la médiane étant de 2,1. La sole la plus réduite atteignait 3,36 hectares, la plus étendue 4,42175. Le décalage entre les chiffres du cadastre et celui de la dîme est probablement attribuable à la reconversion d’une partie du terroir consécutive à l’augmentation de la population. En second lieu, ces chiffres semblent confirmer le rôle secondaire des judicacions dans la formation globale du parcellaire, l’essentiel du terroir agricole dont témoigne le cadastre étant cultivé dès le XVIIe siècle. En revanche, la parcellisation que l’on a pu observer au travers de l’étude des mouvements patrimoniaux eut un impact plus important. Au cours de la période moderne, l’essentiel du mouvement foncier toucha aux patrimoines privés plus qu’à celui des communes, puisque nous retrouvons le noyau ancien installé en fond de vallée que nous avons aperçu lors de notre étude foncière.
93Les données permettant de calculer les rendements réels de manière fiable sont extrêmement rares, au plus, une vingtaine de cas concernant une seule parcelle ou une propriété donnée. En août 1689, Guillem Areny Torres affermait les terres qu’il possédait à Josep Pal Sucara de la Cortinada, le bailleur s’engageait à donner la moitié de la semence contre la moitié de la production. En 1690, le rendement fut de 4,55 pour un176. En 1691, la terre n’aurait donné qu’un rendement de 2,41 pour un. D’octobre 1690 à octobre 1691, le prix de la charge de blé passa de 80 à 150 sous, il faut probablement y voir l’effet de cette récolte déficiente. En août 1693, le rendement avait été de 4,28 et le prix de la charge de blé fut fixé à 91 sous en septembre177. Il semble donc que pour cette terre, située à 1 300 m. d’altitude, le rendement « normal » se situait au-dessus de 4 pour un, ce qui est parfaitement compatible avec les rendements calculés pour le Languedoc178, mais il est impossible d’établir la représentativité réelle de ces quelques données179.
94Un autre exemple, est fourni par la récolte obtenue par Joan Molner, dit « Miquel Pelliser », qui obtint 4,75 pour un sur une parcelle située à l’Aldosa de Canillo en 1691180. Pour les semailles suivantes, le rendement fut de 2,9 pour un. La régression entre ces deux années est à peu de chose près égale à celle établie à partir des comptes de Josep Pal pour Ansalonga. Un chiffre approchant est également livré pour la même moisson par les comptes de Miquel Ribot « Xim » de la Massana qui obtint un rendement de 2,7 pour un sur une terre cultivée à la Massana. L’année suivante, comme ce fut le cas à Ansalonga, le rendement augmenta et passa à 4,4 pour un.
95Quelques données fournies par les fonds communaux livrent des rendements de 3,6 – 3,8 – 4,1 pour un. Un, exceptionnel, de 6,1 pour un, obtenu à Andorre en 1702 peut sembler a priori peu crédible181. Pourtant ce ratio est confirmé par les comptes de Maciana Rossell Rull qui atteignit un rendement de 6,15 sur les parcelles de l’Aldosa de La Massana182. Cependant, il est inutile de multiplier les exemples, puisque la nature du sol, la superficie et la qualité de la terre nous sont inconnues183. Une seule certitude, ces rendements n’avaient pas grand-chose à envier à ceux que l’on obtenait dans les régions voisines ou dans d’autres régions montagneuses. Dans l’ensemble, ces ratios sont équivalents à ceux que Montserrat Duran calcule pour le premier quart du XVIe siècle dans l’Ait Camp, que Francis Brumont obtient pour l’espace castillan à la même période, qu’Abel Poitrineau trouve pour l’Auvergne ou qu’établit Nadine Vivier pour le Briançonnais au XVIIIe siècle184.
96Il semble que l’altitude des terres cultivées n’avait pas un impact systématique sur la production puisque les rendements de la terre de la Castlania d’Andorre (1 000 m) d’Ansalonga (1 309 m) et de l’Aldosa de Canillo (1 650 m.), pour la même récolte, sont à peu de chose près identiques. La différence entre les terres d’altitude et celles de fond de vallée se faisait-elle sur l’ampliation de la variation ? Il nous est impossible de répondre, même s’il semble logique que le dénivelé ait une influence puisqu’il accentuait les contrastes au même titre que l’exposition dont bénéficiait la parcelle.
97L’un des facteurs dont il convient de tenir compte pour tenter de comprendre ces rendements, qui pourraient surprendre sur des terres d’altitude, est l’emploi des engrais. L’araire restait l’outil de base pour travailler la terre, mais notons que l’équipement nécessaire aux labours tractés n’est cité que dans 18 inventaires sur 29 actes consultés, alors que l’outillage à main est cité dans tous les documents. Lors des contrats de fermage, il est courant de trouver une clause précisant que le propriétaire fournissait quelques jours de travail d’une paire de bœufs, et parfois, le prêt de l’animal se faisait pour l’ensemble de la période d’affermage. Les paires de bœufs de labour ne sont citées que dans cinq inventaires. S’ajoutaient quatre maisons pour lesquelles la possession d’une jument ou d’un cheval de travail venait pallier l’absence de bœufs.
98Pour les terres de defens, le recours à l’épandage était systématique et, comme nous l’avons vu, la quantité de bétail non transhumant était importante. La récupération du fumier de stabulation et le parcage des animaux en fond de vallée jusqu’au mois de juin était un moyen de bonifier la terre. A cela s’ajoutait le bétail transhumant qui, au printemps, était systématiquement attaché à l’ensemble des terres de cultures avant de pouvoir gagner la montagne. Par conséquent, les terres agricoles étaient fumées au moins deux fois l’an. Dans un contexte totalement différent, Jean-Marc Moriceau démontre l’utilisation de la fumure tous les neuf ans sur les soles en Île-de-France, au XVIIe siècle185. En Andorre, sur un terroir plus ingrat, cela se faisait chaque année. De plus, si en Île-de-France l’apport de fumure ovine était inexistant pour les petites exploitations utilisant une seule charrue, la législation communale andorrane pourvoyait à la répartition sur l’ensemble du terroir, quel que soit le propriétaire. Une fumure plus régulière, combinée à l’assolement bisannuel, est probablement l’une des clés qui explique les rendements observés sur les terres d’altitude186. D’autant que le fumier n’était pas un produit rare dans les vallées. Si, à partir du raisonnement fondé sur la notion d’unité de gros bétail, l’on calcule la fumure potentiellement nécessaire pour l’ensemble du terroir privé d’Ordino, il fallait 933 unités de gros bétail (UGB)187. Pour la première moitié du XVIIe siècle, les averies déclarées à la questia équivalaient à 566 unités, le bétail des metadors peut être estimé à 457 UGB. C’est-à-dire que, sans comptabiliser le bétail extra communal, le nombre d’UGB était suffisant pour fumer chaque année la totalité du terroir. Il n’est pas possible d’évaluer l’impact concret de ce phénomène, mais il semble évident que cette fertilisation à répétition ne pouvait qu’avoir des effets bénéfiques. Dès lors, même si ces résultats ont une valeur relative, la similitude des rendements obtenus dans la principauté avec ceux d’autres régions voisines, à priori mieux loties que les vallées andorranes, ne paraît plus aussi déconcertante.
99En résumé, rien de très nouveau. La principauté d’Andorre, grâce à un terroir probablement moins mauvais que ce que laisse croire la documentation et un apport massif d’engrais, s’inscrivait complètement dans le paysage céréalier de son époque. Le marché des grains était fragile, facilement perturbé par les aléas climatiques, mais rien n’est plus classique à cette période. Ce terroir bénéficiait de l’allégement démographique qui avait eu lieu à la fin du Moyen Âge, alors même que la poussée du « petit âge glaciaire »188, affectait les cultures. La reconversion du parcellaire vers la production d’herbe et l’abandon progressif de la vigne à partir des XVe et XVIe siècles sont, probablement, dus à ce phénomène189. Cependant, notamment pour ce qui est des pâturages, ce déterminisme climatique n’est pas seul en cause. Il est bien connu que la rigueur hivernale n’affectait pas les semis et pouvait même avoir des effets bénéfiques si l’on suit l’adage paysan affirmant que la neige de printemps – qui retarde la germination des grains – vaut engrais, alors qu’un été pluvieux pouvait avoir des conséquences désastreuses. L’abandon de l’habitat pérenne de certaines zones de moyenne montagne, pour lesquelles Roland Viader a mis en évidence une exploitation annuelle avant les crises du XIVe siècle, peut être interprété du point de vue climatique, mais on peut également se demander si le déclin démographique n’a pas joué un rôle tout aussi important. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, les exploitations céréalières implantées aux portes des estives sans qu’il y ait d’habitations fixes mitoyennes prouvent bien que la limite des cultures n’était pas calquée sur celle des lieux habités. Au XIXe siècle, la remontée des cultures sur les versants ne se traduisit pas, sauf dans certains cas particuliers, par un étire – ment des zones habitées190.
III.c.1.3. Crises céréalières et mortalités
100Le marché céréalier des XVIIe et XVIIIe siècles était marqué par d’incessantes oscillations qui, en cinq ou sept ans, doublaient quasiment les prix des grains191. Il est intéressant de remarquer la dynamique opposant le marché privé et le marché communal au cours des périodes de hausse des prix. Lorsque les prix augmentaient, le nombre de transactions et la quantité de grains par transaction se réduisaient sur le marché privé. A l’opposé, les demandes de grains enregistrées par la commune croissaient. Les prix régulés par décret devenaient plus intéressants pour la population, mais en contrepartie la commune devait faire face à une hausse de la demande. La facilité avec laquelle les bladeries se trouvaient en rupture de stock témoigne de ce phénomène, puisqu’elles recouraient fréquemment au marché interne afin de satisfaire la demande. Au début d’une crise frumentaire, le marché intérieur restait concurrentiel car l’éloignement de la zone d’approvisionnement enchérissait le coût du transport des grains dans des proportions importantes. En octobre 1623, le transport d’une charge de blé de l’Ait Urgell (Arfa et Adrall) valait 6 sous, soit 10 % du prix moyen sur le marché privé et 12 % du tarif fixé à Sant Julià. En 1624, une charge de blé provenant d’Agramunt voyait son prix augmenter de 16,3 sous alors que le tarif communal était fixé à 56 sous. Le coût du transport était un frein à l’importation, tout en constituant un excellent moyen de spéculation pour les maisons qui possédaient des stocks à commercialiser. L’une des retombées de ce mécanisme était la sensibilité du marché puisque l’on recourait au marché externe au moment des hausses des prix et que le transport amplifiait le mouvement. L’une des conséquences logiques de ce phénomène est apparente lorsqu’on compare les courbes céréalières catalanes192 avec celles des vallées d’Andorre : pour ces dernières, l’amplitude, entre les minima et les maxima, est dans tous les cas supérieure. Nous n’entrerons pas dans le détail de chacune de ces crises193, seule retiendra notre attention la succession de phases de prix hauts qui débuta en 1626-1627 et prit fin en 1653, car elle impliqua un mécanisme plus complexe que les autres.
101En 1626, la courbe des prix céréaliers prit une orientation ascendante jusqu’en 1631 lorsque les tarifs plafonnèrent à 160 sous la charge, ce qui les situait à 154 % au-dessus de la moyenne globale calculée pour la période 1600-1630194. Cette crise, plus ample que celles enregistrées depuis la dernière décennie du XVIe siècle, eut des répercussions importantes. Les prix furent tirés à la hausse, car le marché catalan dans son ensemble fut sérieusement affecté. Il est à remarquer que la crise débute dès 1627 en Catalogne et à Valence, alors que les communes andorranes ne furent touchées que deux récoltes plus tard195. Cela prouve bien que le marché andorran n’était pas systématiquement tributaire du marché extérieur. La crise, dans la principauté, coïncide avec les années pour lesquelles les exportations de grains de l’Aragon vers la Catalogne furent interdites (1629 à 163 3)196. Au cours de ces années-là, une réduction des flux commerciaux s’ajoutait aux mauvaises récoltes. Ce pic marque la première des trois grandes crises qui affectèrent le second tiers du XVIIe siècle ; le besoin d’importer des céréales des communes andorranes ne pouvait qu’aggraver les choses197.
102Après un rétablissement en 1632-1633, et une relative stabilité jusqu’en 1641-1642, période au cours de laquelle les prix fluctuaient de 48 à 70 sous, les cours passèrent le seuil des 200 sous la charge en 1643. Le 5 juin 1644, le tarif appliqué sur le marché privé atteignait 304 sous la charge et le 27 juillet, la commune fixa le taux à 236 sous, valeur qu’elle confirma au mois de septembre. Ces cours élevés se maintinrent jusqu’en 1647198. Un rétablissement partiel eut lieu l’année suivante. En août 1648, à Sant Julià, un achat à 48 sous se vendait à 84 sous, soit 2 sous au-dessous de celui édicté par le Conseil des Vallées. Le répit fut de courte durée puisque, en avril 1650, la commune d’Andorre décrétait un tarif à 144 sous, celle de Sant Julià le fixait à 200 sous le 4 août, et Guillem Areny Torres vendait ses grains à 240 sous au mois de juin. Le 25 avril 1651, la charge valait 360 sous à Sant Julià, et les ventes privées atteignirent 460 sous à la fin de l’année. Le 15 janvier 1652, la commune de Canillo achetait le blé à 360 sous. Le même prix était appliqué aux achats de la bladeria d’Andorre au mois d’août suivant. Les ventes privées, après avoir atteint un maximum en janvier (460 sous), se stabilisèrent à 320 sous entre les mois de mars et de juin. En février 1653, la commune d’Andorre achetait les grains à 340 sous, Guillem le vendait à 360 sous, ce n’est qu’à la fin du semestre que les prix furent rectifiés199.
103L’importance de ce dernier pic. par rapport aux deux premiers, est à relativiser, car un facteur indépendant du marché céréalier affectait les cours : la dévaluation de la monnaie. En effet, pendant cette période, la monnaie subit une dépréciation très importante (566 %). De février 1641 à février 1653, le doublon passa de 48 sous à 320 sous. Si la courbe des prix céréaliers est corrigée de la dévaluation monétaire, il apparaît que, au cours du second quart du XVIIe siècle, le prix maximum du blé fut atteint pendant la première période de cherté qui débuta en 1631. Les prix passèrent la barre des 150 % d’augmentation par rapport à la moyenne 1600 à 1609200 et parvinrent ponctuellement à 200 %. A l’opposé, la crise qui affecta les cours en 1642-1643, plafonna aux alentours de 100 % de hausse, alors que les chiffres bruts en monnaie courante aboutirent à une augmentation proche de 300 %. Le seuil maximum fut atteint au cours de la phase 1650-1653, les prix en or étaient à peu de chose près équivalents à ceux du début du siècle, alors que les prix courants passaient la barre des 400 %, allant temporairement jusqu’à 600 % au-dessus de ceux établis pour la période de base pendant le dernier trimestre de 1652.
104Cette tendance se confirme pour les autres produits. La viande de mouton, par exemple, pour laquelle les prix courants décrochent à partir de 1641. Au cours du premier trimestre 1653, ils parvinrent à des taux supérieurs de 200 % à ceux du début du siècle. Alors que les cours correspondants en or restèrent stables. Jusqu’à la fin 1651, ils étaient légèrement en deçà de l’indice établi pour la première décade du siècle, puis baissèrent jusqu’à la moitié de cette valeur en 1653. Toutes les marchandises furent touchées, mais il est à remarquer que les produits les plus affectés étaient ceux de consommation courante. Globalement, pour le fer, la laine, le bétail, les tissus ou les outils, la hausse en monnaie courante fut de près de la moitié de ce qu’elle avait été pour les céréales. Dans tous les cas, il s’agissait d’une diminution de la valeur réelle des produits. Cette dichotomie est également observable si l’on analyse les variations des locations foncières.
105Pour les communes d’Andorre et de Sant Julià, deux types de locations sont identifiables. Les premières étaient des terres de fond de vallée qui appartenaient dans la plupart des cas aux chapellenies de la paroisse201. Les secondes correspondent aux estives (cortons). Alors que les parcelles de fond de vallée, pour lesquelles une activité agricole est attestée, augmentèrent de 483 % entre 1641 et 1653, les estives ne progressèrent que de 118 %202. L’évolution des cours des céréales affectait les premières, alors qu’en revanche la location des estives, uniquement tributaire de l’évolution du cheptel, pâtissait du coup de frein qu’avait enregistré cette activité depuis 1642-1641. En monnaie constante, les terres agricoles progressèrent légèrement plus que l’inflation alors que les estives baissèrent de près de 60 %203.
106Le marché céréalier était le plus touché. La réglementation exceptionnelle qui fut appliquée par la commune d’Andorre en 1652 en témoigne. L’accumulation de plusieurs années néfastes conduisit à l’achat massif de grains. La pénurie était généralisée puisqu’elle touchait l’ensemble de la population. Successivement, la commune d’Andorre prit deux dispositions : la première fut d’établir les quantités de grains qu’elle attribuait aux diverses maisons. Les maisons d’anfoch devaient recevoir le double des casalères, ce qui montre que les réserves des plus importants propriétaires terriens étaient affectées, puisqu’il leur fallait recourir à la bladeria afin de pouvoir semer204. Le second décret concernait la restitution des prêts : les débiteurs devaient rendre 13 setiers de blé par charge prêtée, ce qui représentait une hausse de 1/12ème des tarifs en nature.
107Face à cette crise, les foyers n’étaient pas égaux. L’ensemble du marché intérieur, tant pour le numéraire que pour les écrits comptables, se faisait en monnaie courante. Les paiements des salaires de la compagnie Areny reflètent ces difficultés. Par deux fois, de 1632 à 1642, puis de manière plus prononcée de 1650 à 1660-1663, les employés privilégièrent les paiements en nature. Réaction classique face à la perte de pouvoir d’achat qu’impliquait la fixation des salaires en monnaie courante. Les salaires, pendant la période de crise, furent tirés à la hausse, mais cette augmentation resta largement en deçà des niveaux atteints par les produits de consommation courante. Le salaire moyen, toutes catégories confondues205, ne progressa que de 60 %. De plus, cette évolution ne fut pas identique pour tous les employés. Les ouvriers les plus spécialisés, comme les traginers ou les majorais, parvinrent à un doublement de leur salaire alors que ceux qui l’étaient moins ne bénéficièrent que d’une croissance d’un tiers par rapport aux rétributions enregistrées entre 1623 et 1632. Parallèlement, la période 1655-1659 correspond à un renouvellement quasi complet de la main-d’œuvre.
108À partir de 1647, aux trois premières plaies que constituaient la succession de mauvaises récoltes, la dépréciation de la monnaie et la guerre, s’ajouta un dernier fléau : la peste. En Catalogne, les diverses études démographiques concluent à une forte baisse du chiffre de la population. Un tiers de la population disparaît à Olot, 40 % à Calaf et à Palamós206. L’étude démographique de l’Andorre au XVIIe siècle est encore à faire. Nous l’avons vu, en 1650, la junta del morbo fut mise en place et le 12 août 1652, des lieux de quarantaine furent délimités afin d’éviter l’entrée de la peste qui sévissait en Cerdagne. S’ajoutent les célébrations de messes de dévotion en l’honneur du Saint-Esprit, de la Vierge et de Saint-Roch dans les diverses églises paroissiales, et ordre était donné de détruire les marchandises provenant de l’étranger. Dans les documents consultés, l’application des mesures prophylactiques est attestée, mais aucun cas de contagion n’est mentionné. Faut-il en conclure que la principauté fut épargnée ?
109Nous ne possédons aucun témoignage direct. Une indication indirecte est fournie cependant par les comptes des employés. Si l’on additionne les mentions de maladies et de décès207 et que l’on rapporte le résultat au nombre de comptes nominatifs enregistrés par année, on obtient un indice relatif de la santé de l’échantillon. Bien évidemment, celui-ci n’est représentatif que des employés des compagnies Areny et de leur famille. Ces résultats ne peuvent aucunement être généralisés à l’ensemble de la population, mais ils mettent en lumière une certaine corrélation entre la hausse des prix et les effets secondaires que pouvaient avoir les chertés. La courbe ainsi obtenue prend un intérêt certain si on la compare à celle résultant du calcul du salaire moyen en charges de blé établi à partir de l’ensemble des contrats d’embauche. L’évolution du nombre de personnes affectées par une maladie nécessitant l’intervention d’un spécialiste (barbier, médecin, prêtre, etc.) ou des jours de congés pour incapacité permet d’illustrer diverses phases au cours desquelles le pourcentage d’individus touchés fut en augmentation parallèlement à la perte de pouvoir d’achat208.
110Un premier cycle est observable en 1631-1632. Un second intervient entre 1637 et 1642. Contrairement au premier, ce dernier n’est pas consécutif à une cherté céréalière. À l’opposé, le troisième pic (1651-1652) est totalement synchrone avec la crise céréalière. Proportionnellement, le nombre de malades reste élevé jusqu’en 1654, et l’année 1651 est l’une de celles pour laquelle le nombre de décès comptabilisé est le plus élevé (5)209. Par la suite, une augmentation des cas est enregistrée à nouveau en 1666, en 1672 et un maximum est atteint entre 1676 et 1677. Au cours de cette dizaine d’années, les prix céréaliers connurent trois pics. Pendant l’année récolte 1664-1665, ils parvinrent, en moyenne, à 101 sous la charge, alors que deux ans plus tôt ils n’étaient qu’à 54 sous210. Après une baisse en octobre 1666, les cours passèrent la barre des 100 sous au cours de l’hiver 1668, et la récolte déficitaire de cette année-là les fit augmenter jusqu’à 123,6 sous dans le second trimestre 1669. La reprise qui débuta à l’automne 1670 fut de courte durée. Dès l’hiver 1672, les cours furent à nouveau systématiquement supérieurs à 70 sous la charge. Les prix s’envolèrent après la récolte de 1676. Trois mauvaises années se succédèrent et les tarifs atteignirent 180 sous la charge au cours du second trimestre 1679. Au vue de la concordance des deux courbes, il serait difficile de ne pas voir une corrélation entre l’évolution des cas avérés de maladie et celle des cours céréaliers. Ce n’est qu’en 1682-1686 que la courbe se normalise alors que les prix des blés étaient inférieurs à 50 sous211.
111Pour en revenir à la crise du milieu du XVIIe siècle, il ne semble pas que l’on doive faire intervenir un facteur externe (la peste) pour expliquer l’importance relative de l’indice de maladie. L’indicateur établi montre la sensibilité de la santé de l’échantillon aux crises frumentaires, et la succession de récoltes déficitaires entre 1631 et 1651 semble suffisante pour expliquer les pics enregistrés. Il y eut un ralentissement important de l’activité économique, la population fut probablement affectée par la disette et la malnutrition, mais il n’est pas certain que l’épidémie se soit propagée dans les vallées. Les informations fournies par les rôles fiscaux mettent en évidence une réduction du nombre de maisons au cours de cette période. En 1630-1640, il y avait en moyenne 72 maisons recensées dans les listes de la commune d’Ordino. Au cours de la décennie 1650-1660, leur nombre se réduisit à 65212. Près de 10 % de perte, mais, cette fois encore, cet indice n’est révélateur que d’une tendance. La disparition du dixième des maisons fiscales n’illustre que les cas extrêmes, il nous est impossible de savoir ce qui s’était passé à l’intérieur des maisons restantes. De toute évidence, baisse des rendements agricoles, cherté et maladie s’étaient combinées pour transformer la décade 1645-1655 en l’une des périodes les plus noires que connut la principauté au XVIIe siècle. La mortalité et l’arrêt complet de demande de main-d’œuvre étrangère s’étaient traduits par une évolution démographique négative.
III.c.2. Dettes et marché foncier. Les conséquences à long terme de la crise
112Après le choc de 1651-1652, le secteur céréalier ne reprit un cours normal qu’après 1658-1659, le marché de l’élevage ovin ne regagna le terrain qu’il avait perdu depuis 1643-1645 que cinq ans plus tard (1664), date à laquelle le marché salarial retrouva les niveaux d’avant la crise. D’autres activités ne se relevèrent pas. La sidérurgie s’éteignit complètement et le commerce transpyrénéen fut également totalement stoppé dès les premières interventions militaires, avant même l’instauration de la prohibition de 1644213. L’acceptation de la suzeraineté française par la « junta de Braços »214, convoquée par Pau Claris en 1640, ouvrit le marché catalan aux « drogues » et textiles français215. C’est à partir de ce moment-là que le volume du trafic passant par le col de Siguer décrût jusqu’à quasiment disparaître en 1643-1644. La présence française réactiva les axes classiques et sonna le glas des activités commerciales qui se déroulaient le long de l’axe pyrénéen alors que le marché barcelonais était inondé de marchandises françaises. Ce phénomène est à notre avis l’un des points qui montre le peu d’orthodoxie qui caractérisait ce commerce pyrénéen et accentue encore le rôle de palliatif qui le définit. En Andorre, malgré deux légers soubresauts d’activité en 1646- 1647 et en 1651, les relations commerciales que l’on peut observer après cet épisode ont les mêmes caractéristiques que celles qui ont été analysées pour le début du siècle. Les volumes d’importation sont faibles et la revente se fait principalement dans les vallées.
113La crise monétaire, qui se solda par la réforme de 1653216, ne marqua pas la fin de la crise. Le blé ne retrouva des cours normaux qu’en 1659. Pour la viande ovine, la chronologie est quasiment la même, la réforme abaissa fortement les prix mais la cherté dura jusqu’en 1658-1659. Les produits de première consommation furent ceux qui tardèrent le plus à s’équilibrer. Les autres, comme la laine ou les produits textiles, se reprirent plus tôt, mais globalement les prix moyens établis immédiatement après la crise sont supérieurs à ceux qui étaient en vigueur avant 1642. Sur le plus long terme, cette période de marasme avait fait germer un malaise plus profond dont les conséquences définitives n’apparaissent que plusieurs années plus tard au travers de l’endettement.
114Au niveau documentaire, les événements de 1642-1652 se traduisent dans le fonds Areny par l’inauguration d’un nouveau livre de comptes qui servit dans un premier temps à mettre à plat les comptes des associés217. Comme nous l’avons vu, le mécanisme financier sur lequel se fondaient les affaires de Guillem Areny Vidal était le prêt à court terme. La transaction la plus classique était basée sur le blé qu’il donnait en contrepartie d’un paiement ou d’un remboursement en nature qui devait se faire aux « prochains épis ». Il livrait également des marchandises payables lors de la prochaine foire et donnait fréquemment des sommes d’argent qui servaient d’avances sur salaire ou qui permettaient l’achat d’un produit précis. C’était notamment le cas du vin, de l’huile et du sel que le débiteur s’engageait à ramener à ses frais à Ordino. La succession de mauvaises années après 1642 faussa ce mécanisme, puisque, dans le contexte inflationniste, les quantités déterminées à l’avance ne correspondaient plus du tout à celles que pouvait obtenir l’intermédiaire sur le marché. De la même manière, lorsque s’enchaînaient les mauvaises récoltes, les avances de céréales tardaient à rentrer. Lorsque le débiteur mettait du temps à rendre les céréales, le prêt sur récolte finissait par devenir une dette en numéraire.
115La période qui débute en 1659 correspond à une reprise en main de l’ensemble des comptes nominaux. Au total, 108 maisons débitrices sont recensées dont 98 étaient originaires des vallées. A Ordino, cela représentait une maison fiscale sur deux et, à la Massana, cela équivalait, à peu de chose près, à un tiers des feux. La mise à plat de la dette dans le livre de comptes correspondait à la première phase de consolidation de la créance. Les balances de comptes débutent en 1659 et s’étirent sur cinq ou six ans. Le montant total de ces dettes s’élevait à 4 368 livres d’argent, c’est-à-dire 6 523 livres courantes (13 047 livres tournois)218. Le débiteur, ou son héritier, promettaient de s’acquitter de la créance dia per dia (jour après jour) et, dans certains cas, on établissait simultanément la manière dont le paiement devait s’effectuer.
116Le remboursement pouvait prendre diverses formes, mais toutes étaient essentiellement fondées sur la terre. Certaines consistaient en une part de production. Par exemple, Joan Bringuer « Grallaire » de la Massana qui pour payer une dette, contractée à Tarascon en 1650, donnait une partie de sa récolte de fourrage pour les années 1660 et 1661219. Un contrat identique apparaît également dans les comptes de Martina de la maison Marti de Les Bons ou dans ceux de Queralt d’Arinsal qui réserva une partie de sa production d’herbe à la maison Areny entre 1661 et 1669. Dans ces cas, les débiteurs recevaient chez eux le bétail équin de Guillem Areny Torres jusqu’à ce que la quantité d’herbe promise soit consommée. Au cours du printemps, cet usage se limitait à une ou plusieurs parcelles broutées sur pied220. Pour la période hivernale, un même type d’actes était mis en place. Dans ce cas, cela était fréquemment présenté comme une location : le fermier recevait le bétail de Guillem afin qu’il consommât une quantité donnée de foin stocké. Lorsque le montant de la dette dépassait ce que la production pouvait donner, c’est la propriété elle-même qui était affectée.
117Le 14 décembre 1662, les comptes avec Jaume Call de Segudet étaient débiteurs de 20 charges de blé et de 188 doublons221. Lorsque la dette avait été contractée, les 188 doublons valaient 199,75 livres d’argent ; en 1662, cela faisait 689,3 livres 4 deniers d’argent222. Mais la dette avait été contractée en monnaie courante, c’est-à-dire, qu’en fait, elle était passée de 451 livres à 1 034 livres. Si l’on considère l’équivalent en blé, elle avait quasiment doublé, passant de 164 à 304 charges. Afin de payer, Call qui était poursuivi en justice dut donner six terres. Les diverses parités monétaires qui faisaient varier le montant nominal des créances et les accumulations de dettes intervenues entre 1642 et 1659 furent à la base d’un mouvement de conversion du passif en monnaie constante. Le taux utilisé était de 73 sous 4 deniers d’argent par doublon. L’ensemble des débiteurs de la maison fut affecté. Cette transformation comptable était le premier pas d’un processus qui, à terme, conduisait à l’établissement d’actes notariés.
118Parallèlement, l’évolution et la reconnaissance de la dette donnèrent lieu à l’établissement des paiements. Ventes de terres223, prêts à réméré (censals) se multiplièrent à partir de 1659-1660. En 30 ans, les actes financiers correspondant à une vente ou à une hypothèque atteignirent plus de 6 700 livres. Au cours de cette période, 17 prés, 26 terres, 1 moulin et 1 martinet furent vendus à Guillem Areny Torres. 17 censals furent fondés et 11 autres « transportés », c’est-à-dire qu’ils furent livrés à la maison Areny en contrepartie de l’abaissement de la dette au prorata du capital de l’acte cédé224. Si l’on se réfère aux documents notariés conservés dans le fonds Areny225, 27 % des actes signés entre 1616 et 1870 le furent au cours de la période 1660-1689. Pendant cette trentaine d’années, deux phases sont identifiables à partir des livres de comptes226. Dans un premier temps, entre 1659 et 1670, les balances de comptes furent établies, et la nature des dettes contractées par chaque famille fut précisée. Ce n’est qu’entre 1670 et 1689 que la plupart des prêts à réméré furent institués.
119Globalement, le mécanisme était toujours le même. La première phase servait à définir la dette et à établir les premiers paiements. Au cours de la seconde, les débiteurs qui ne parvenaient pas à se défaire de leur passif et avaient contracté de nouveaux emprunts finissaient par être contraints de passer devant le notaire afin d’éviter que Guillem recoure à une action de justice pour recouvrer le montant des dettes. C’est à ce moment-là que se créaient les censals et que, dans certains cas, les premières terres étaient vendues afin d’alléger le montant de l’obligation. Le passage par l’acte authentifié servait de reconnaissance légale de la dette et impliquait le paiement d’un intérêt. De fait, la dette passait du court terme, lorsque le débiteur payait « jour après jour », au long terme. Le capital fondé disparaissait des comptes courants, et certains comptes débiteurs devenaient artificiellement créditeurs, puisque l’endettement n’avait été que transformé. A posteriori, l’accumulation des intérêts du censal pouvait finir par se traduire par une vente définitive de la parcelle hypothéquée.
120Un exemple est offert par Guillem Areny « Vilella » qui devait 113 doublons 1,4 livre d’argent en avril 1666. En 1669, vinrent se greffer 256,55 livres courantes provenant de la balance des comptes établie pour la période comprise entre juin 1666 et juillet 1669, plus 200 livres d’argent que Guillem Areny Torres avait données à Molner de Canillo en paiement de la dot de la sœur de Vilella. Afin d’équilibrer ses comptes, Vilella lui vendit du bétail, une terre sise à « l’any de la Part », le pré et le martinet d’Ordino227. Au bout du compte, grâce à ces transactions il avait soldé la dette courante contractée en 1669228, mais il devait encore la reconnaissance de dette signée en 1666. En 1681, lors d’un nouvel examen des comptes courants, 343 livres s’ajoutaient au compte débiteur de Vilella. Entre temps, en 1678, il avait donné une nouvelle terre, valant 170 livres, et des mules pour un montant de 370, 1 livres. Au total, il ne devait plus que 424,8 livres. Mais comme, entre temps, Guillem avait pris à sa charge diverses dettes que Vilella avait contractées auprès de tierces personnes229, au bout du compte, le 8 août 1681, le passif atteignait 1 041 livres courantes auxquelles s’ajoutaient 343 livres comptabilisées dans les comptes courants. Afin d’apurer cette situation, le 13 mars 1683, Guillem se faisait attribuer par voie judiciaire 16 parcelles de terre pour un montant total de 1 274 livres. Afin de solder tous les comptes, un censal de 58 livres de capital fut encore fondé le 18 décembre 1683.
121Lors des attributions de terres par voie judiciaire, comme pour les judicacions communales, la terre était évaluée par deux personnes indépendantes choisies par le juge. Le prix des biens était minoré d’un quart de leur valeur pour compenser ce qu’ils perdaient. Ainsi, le 30 juin 1703, Ricart d’Encamp, afin de payer une partie de la dette provenant d’un censal fondé en 1669, dut vendre un pré valant 490 livres. Sur cette somme furent retranchés, le quart, le salaire du juge, du notaire, du crieur public et des judicadors. Au total, sur 490 livres, la dette ne fut réduite que de 356,65 livres230. Ce quart correspondait au droit de lluisme (droit de quarta), c’est-à-dire le droit que conservait l’ancien propriétaire de racheter perpétuellement la terre231. Sauf clause particulière, la terre devait se rendre dans l’état où elle avait été donnée (chargée ou non de blé, fumée ou non fumée). L’aspect perpétuel du droit de rachat était à la base de nombreux procès. La modification des confronts après la rédaction de l’acte (regroupement ou élargissement de la parcelle) et les difficultés rencontrées au moment de démontrer clairement la possession des droits, ceci tant à cause de l’imbroglio des successions que de la multiplicité des actes, constituaient le terreau sur lequel levaient ces chicanes. En effet, le vendeur conservait la possibilité de céder le réméré à un tiers, alors que celui qui acquerrait la terre pouvait la revendre tout en conservant un droit de réméré sur celle-ci. Notons que le premier réméré valait un quart de la valeur du bien cédé, alors que le second représentait un quart de l’acte, soit 25 % des trois-quarts de la valeur du bien. La norme généralement admise était que le réméré du premier propriétaire était prioritaire sur les autres tant qu’il rachetait pour son usage. S’il rachetait le bien pour le vendre, le premier acquéreur était préféré à tout autre acheteur (droit de fadiga). Une lecture linéaire de ces actes permet d’affirmer que le système était profondément injuste puisque le rachat se faisait au même prix que la fondation. C’est sans compter que, avant de passer devant le juge ou le notaire, on actualisait la valeur de la dette, que le droit de quart était rajouté au passif et que la mention de la valeur de conversion monétaire appliquée lors de la rédaction était systématiquement mentionnée, de telle sorte que l’on pouvait établir la valeur relative en monnaie courante lors du rachat. 100 livres (41,6 doublons) de dettes de 1640 étaient comptées à 229 livres en 1660 (41,6 doublons) ce qui donnait lieu à l’établissement d’un acte de 306 livres (55,6 doublons). Par conséquent, à moyen terme, le créditeur n’y perdait pas, d’autant que pendant cette période il récupérait la production de la terre.
122Ce phénomène d’endettement est l’un des mouvements marquants de la seconde moitié du XVIIe siècle andorran. Les données patrimoniales dépouillées sont trop ponctuelles pour saisir l’ensemble de cette évolution, elles illustrent uniquement ce qui touche au mouvement foncier de la maison Areny. Toutefois, étant donné le rôle tenu par cette maison, l’ampleur de ses affaires et la durée de la série documentaire disponible, le phénomène n’est pas contestable. Il est à remarquer que, lors des exécutions judiciaires, l’on mentionne fréquemment d’autres débiteurs qui se greffaient à ces actions. Ainsi, lors de la saisie des terres de Vilella, trois terres furent également cédées à Nicolau Areny et deux à Rossell d’Ordino232. Il est également fréquent que Guillem Areny Torres reprenne les dettes contractées par ses débiteurs auprès d’autres membres de la communauté. Dans ce cas de figure, il existait deux types de cessions. L’une correspondait au rachat de censals qui à l’origine étaient recouvrés par un débiteur pour réduire le montant de la dette tout en évitant la vente d’une partie du patrimoine. Le vendeur perdait les intérêts annuels, mais ne touchait pas au bien-fonds de sa famille. Les premiers cas sont recensés dès la mise à plat des comptes en 1659. Le second cas des rachats de dettes correspondait à des paiements dérivés. Guillem payait les dettes courantes de l’un de ses débiteurs à l’un de ses créanciers, généralement des associés de la maison Areny. Notamment, il rachetait les dettes contractées auprès des marchands ariégeois ou urgellitains. Ces derniers trouvaient dans cette transaction un moyen simple de se délester d’une dette peu commode à recouvrer233. Dans ces circonstances, au niveau andorran, on retrouve systématiquement dans la liste des créanciers des noms familiers puisque ce sont les mêmes personnes qui apparaissent lors des locations des dîmes ou parmi les propriétaires de compagnies pastorales.
123À partir des dépouillements réalisés, il est impossible d’estimer l’ampleur réelle du mouvement qui affecta la terre entre 1659 et 1680. Une fois encore, l’étude du fonds notarial fait cruellement défaut. Pourtant de nombreux indices prouvent qu’il s’agissait d’un mouvement général. Ainsi, le 13 août 1656, la commune d’Andorre envoya Macia Constanti choisir 10 ou 12 vaches dans le troupeau communal afin que la bladeria puisse s’approvisionner, car elle se trouvait en rupture de stock parce que les débiteurs n’avaient ni rendu les avances ni payé leurs dettes. En 1659, le manque de numéraire obligea la commune à créer une commission qui devait aller vendre 1,2 tonne de laine à Tarascon afin de renflouer la trésorerie234. Il est clair que le mouvement dépassait le cadre de la famille Areny. Les besoins financiers créés par la conjoncture étaient généralisés alors que les prêteurs potentiels n’étaient pas légion. La récession qui commença au début de la décennie 1640 eut l’effet d’un catalyseur. Les familles qui purent faire des avances au cours de cette crise se placèrent en position de force. La stagnation de l’activité commerciale et la conjoncture troublée qui suivit n’avaient pu que contribuer à amplifier le mouvement. La dette conjoncturelle s’ajoutait à la dette courante. Après 1680, le mouvement s’inversa. La reprise du marché de l’élevage et du commerce (cf. infra) apporta de nouvelles entrées financières qui permirent pour certains d’acquitter les censals par la voie normale. Pour d’autres, la solution fut trouvée dans la vente de terres. En août 1696, Guillem Areny Torres établissait la liste des personnes qui lui devaient une pension annuelle soit à cause d’un censal, soit à cause d’une reconnaissance de dette passée devant notaire. Au total, 37 familles payaient 577,9 livres par an, ce qui représentait un capital nominal de 11 558 livres. Sur ces 37 débiteurs, 33 étaient originaires des vallées235. Si l’on compare cette liste à celle établie à partir des censiers mentionnés dans les transactions comptables et si l’on tient compte des mentions de cancellation énumérées dans les livres236, on obtient la répartition chronologique suivante : neuf actes avant 165 9237, trente-cinq entre 1660 et 1680 et six après 1680. Il faut y ajouter trois actes dont on ne connaît pas la date de fondation.
124L’un des indices indirects qui permet de compléter l’analyse de cette conjoncture au cours du XVIIe siècle est l’évolution des rentrées financières des chapellenies. Sur ce point, le travail n’a porté que sur les chapellenies de la paroisse d’Andorre.
III.c.2.1. Chapellenies et conjoncture
125Dans la paroisse d’Andorre, il y avait onze chapellenies dont quatre dépendaient de l’église paroissiale238, les autres correspondaient à des chapelles autonomes239. Deux chapelains (sagristans), nommés à l’année, géraient chaque édifice et passaient les comptes devant un conseil particulier constitué des consuls, des conseillers communaux et du recteur de la paroisse. Les revenus déclarés annuellement se composaient principalement de dons (cire, argent, etc.), de locations de terres240 et de redevances annuelles. Certaines rentes étaient fondées sur des prêts à réméré, mais l’essentiel des actes l’était sur le cheptel. Les chapellenies achetaient des animaux, essentiellement des bovins, qu’elles plaçaient en gasaille chez les habitants. Au début du XVIIe siècle, le troupeau se composait de 70 à 80 têtes. En 1638 et 1639, il atteignit son maximum avec 110 et 113 têtes recensées. A 14 exceptions près, sur 2 608 cas recensés, les mâles étaient vendus après le sevrage. 90 % des animaux possédés par les chapellenies étaient des vaches et le troupeau moyen total était de 68 têtes241.
126Cet élevage se caractérisait par la notion de proximité, c’étaient des animaux non transhumants. Ces bêtes, relativement peu onéreuses à l’achat, puisqu’elles équivalaient à peu près au prix de 3 ovins, entraient dans le cadre de l’exploitation familiale, mais n’étaient pas à la base d’un commerce très développé. Entre 1620 et 1720, sur 1 944 références de gros bétail pour lesquelles les prix de vente ont été inventoriés, les bovins ne représentent que 87 cas. Alors qu’à l’inverse, même si c’était en petites quantités, ils étaient présents dans la plupart des inventaires patrimoniaux consultés. Par exemple, Areny d’Erts, en septembre 1650, possédait 52 ovins, 4 caprins, 8 porcs, 4 juments et 3 vaches, dont 2 étaient originaires de la parceria qu’il avait conclue avec les chapelains de Sant Romà d’Erts242. Mas de Les Bons, en août 1682, était à la tête d’un cheptel composé de 120 ovins, 16 chèvres, 6 porcs, 6 juments, 1 mule, 1 cheval, 1 baudet, 7 vaches et 3 veaux, ces derniers provenant de la gasaille établie avec les chapelains de Sant Romà de les Bons243.
127En janvier 1643, le cheptel de Torres d’Encamp, qui était l’un des principaux éleveurs et propriétaires terriens, comprenait 22 bovins. Il possédait 56 équins244, 80 ovins et 35 caprins stabulants qui s’ajoutaient à plus d’un millier de têtes se trouvant en Noguera lors de l’établissement de l’acte. Pour cet important éleveur, il n’y avait que 22 bovins, dont 8 étaient des bêtes de labour. Par conséquent, on peut en déduire que, au XVIIe siècle, le rôle de ces chapellenies n’était pas anecdotique. À deux ou trois animaux par gasaille, leur bétail représentait le cheptel bovin d’une trentaine de familles. Une illustration est fournie par les comptes de la maison Areny, puisque, la plus grande partie des actes concernant ces animaux précisent qu’il s’agit d’une vente de bétail originaire de l’une des chapellenies de paroisse d’Ordino ou de La Massana.
128Le nombre réduit de têtes par exploitation se traduisait au niveau communal par la nécessité de louer un vacher. En effet, comme le cheptel était très fractionné, peu de familles pouvaient se permettre d’en engager un à titre personnel. Pour quatre années, pendant lesquelles la commune eut des problèmes pour trouver un vacher, elle s’engagea à payer un salaire pour la période d’estive. Au tarif applicable par tête l’année précédente, cette somme correspondait à un troupeau de 125 têtes en 1651 et de 150 en 1661. Normalement, le vacher ne pouvait accepter que le bétail originaire de la paroisse et on lui assurait que l’ensemble du cheptel bovin lui serait confié245. Sur cette base, le cheptel bovin déclaré par les chapellenies de la paroisse d’Andorre dans la première moitié du XVIIe siècle correspondait à près de la moitié du troupeau communal.
129Pour ce qui est des revenus globaux des chapellenies246, l’évolution au cours de la période 1619-1690 permet d’affiner les observations établies à partir des comptes privés. De 1620 à 1641, la tendance générale est à la croissance. Seul un épisode de stagnation ralentit ce mouvement entre 1632 et 1636. Après 1641, l’orientation s’inverse et, malgré la forte inflation qui affecte la monnaie courante, les rentrées s’amenuisent jusqu’en 1654. Après une reprise quinquennale (1656-1659), les cours s’effondrent pour atteindre leur niveau le plus bas en 1665. En un quart de siècle, les recouvrements perdent près des deux tiers de leur valeur. Si l’on corrige cette tendance apparente par la variation monétaire, la perte est de 81 % entre 1638 et 1653, moment où la dévaluation monétaire est la plus forte. Comme la monnaie stable ne jouait en fait qu’un rôle comptable, les répercussions de la crise se firent sentir fortement jusqu’en 1665. Les mauvaises récoltes de 1664 et 1665 annulèrent les effets bénéfiques qu’avaient produits la fin définitive du conflit franco-espagnol et la récupération du marché céréalier (1659-1663).
130La reprise réelle se fit entre 1666 et 1677, mais elle fut suivie d’une phase de recul qui débuta avec la crise céréalière de 1678 et se poursuivit jusqu’en 1687-1688. C’est précisément au cours de cette période que furent enregistrés les soldes de dettes au moyen de la vente de terres dans les comptes de la maison Areny. Il faut probablement y voir les conséquences négatives de cette phase pour les familles qui n’avaient pas pu obtenir des gains suffisants au cours de la reprise pour éliminer simultanément la dette qui s’était constituée entre 1642 et 1660 et celle d’après 1660. La chronologie générale établie à partir des comptes privés semble donc, par conséquent, pouvoir s’appliquer au cadre général. Mais, en contrepartie, il semble également évident que les conséquences de cette seconde crise ne furent pas aussi généralisées que celles de la précédente. En effet, alors que certains collaborateurs ou associés se trouvaient en difficulté, les comptes des salariés montrent que la croissance, qui avait débuté en 1659, ne fut plus interrompue jusqu’en 1688. De même, les comptes de la questia mettent en lumière une progression constante du nombre global d’averies entre 1656 et 1688. Mais encore faut-il préciser que le chiffre global, calculé pour les six paroisses, recouvre des disparités importantes. Alors qu’à Encamp ou à Sant Julià la tendance à la baisse débute dès 1672, elle n’intervient qu’en 1678 à la Massana. Ce ne fut le cas que quatre ans plus tard à Encamp, et ce n’est qu’en 1686 qu’elle se produisit à Ordino247. Dans tous les cas, cette inversion de la tendance se solda par des minima en 1712-1716, en pleine Guerre de Succession d’Espagne. Ces diverses évolutions chronologiques montrent bien que, si le mouvement à long terme fut général, il n’affecta pas toutes les communes de la même manière.
131On peut faire la même constatation dans les comptes privés. La décennie 1680-1690 fut caractérisée par une reprise de l’activité commerciale, notamment celle fondée sur le textile. Cependant, il serait faux de croire que l’intérêt de Guillem Areny Torres pour ce marché avait été inexistant entre 1645 et 1680. Ces produits ne disparurent jamais des listes de marchandises que distribuait la maison. Après 1653, il limitait les achats aux étoffes nécessaires à sa maison et à sa compagnie. Il lui fallait notamment acquérir les capes, les caleçons et la toile pour les chemises qui entraient dans les salaires de ses employés. A cet effet, il faisait travailler des tisserands andorrans installés à Andorre et aux Escaldes. Dans cette dernière localité, des résurgences d’eau chaude étaient mises à profit par les artisans textiles.
III.c.3. Le textile, la production andorrane
132Le 13 février 1604, l’évêque d’Urgell Andreu Capella approuva la constitution de la confrérie des pareurs et tisserands d’Andorre qui fut fondée à la chapelle de Saint-Pierre Martyr des Escaldes248. L’activité textile n’est pas une nouveauté puisqu’elle est attestée dans les documents depuis l’époque médiévale. Mais ce n’est qu’à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle que ces artisans cherchèrent à s’organiser. Selon les statuts fournis par l’évêque, la confrérie pouvait tenir réunion une fois l’an et avait le devoir d’élire deux prohoms pour la diriger et tenir les comptes au cours de l’année qui suivait. Une fois établis les statuts de son administration249, les obligations de dons – en particulier il fallait que les confrères fassent l’aumône chaque fois que l’on chantait vêpres à la chapelle des Escaldes – et le rôle d’entraide qu’elle devait jouer250, le texte fixe les devoirs professionnels à respecter par ces ouvriers du textile.
133En premier lieu, venaient les chapitres visant à prévenir les fraudes. Avant de commencer à travailler, les tisserands devaient faire peser par les responsables la laine, le chanvre et le lin qu’ils recevaient, puis une fois le produit tissé, avant de passer les étoffes au moulin à foulon, ils devaient recommencer cette opération afin qu’il n’y ait pas supercherie sur la quantité livrée. Ce mécanisme démontre que la matière première utilisée ne leur appartenait pas obligatoirement. A l’opposé, pour certains, le tissage ne s’effectuait pas uniquement sur commande puisque le texte mentionne des tisserands qui possédaient une boutique ayant pignon sur rue. Les métiers à tisser, les peignes à laine, les moulins à foulons, les perches à carder et les ciseaux sont mentionnés comme étant leur propriété. Tous les propriétaires d’ateliers devaient posséder l’outillage correspondant, mais ce n’était probablement pas le cas de tous les confrères. Preuve en est l’article qui interdisait la location de matériel à des non-membres, ce qui laisse entendre qu’il pouvait se louer entre confrères. Cette défense entrait dans le cadre de la protection du monopole instauré par la mise en place de cette organisation. Seuls les chefs de maison avaient le droit d’exercer une activité commerciale, les fadrins ne pouvaient travailler qu’à des fins domestiques et pour leur propre usage. L’exercice de la profession était lié à l’affiliation obligatoire à la confrérie, le droit de propriété d’un atelier à celui de cité, et celui d’administration à la possession des droits politiques (anfochs). Pour les maisons non affiliées, l’entrée dans cet organisme n’était pas bloquée, cependant la seule voie d’admission était celle qui autorisait les tisserands à prendre des apprentis, donc à s’inscrire à la confrérie251. L’office appartenait à la maison, puisque la veuve et les fils pouvaient poursuivre l’ouvrage à la mort du tisserand titulaire. La confrérie s’organisait par conséquent sur trois niveaux : celui des propriétaires d’ateliers ou des producteurs de matière première qui avaient les pleins droits politiques au Conseil communal et à celui de la confrérie, puis venaient les propriétaires qui ne possédaient des pouvoirs que dans la confrérie, enfin des ouvriers qui ne disposaient que de leurs mains252.
134Pour ce qui est de la fabrication des étoffes, la mise en place des tarifs applicables à l’ouvrage permet d’établir la liste des tissus produits au début du XVIIe siècle : les draps de laine (bure), la toile commune et le cordelat ; les trois étoffes existaient en pièces larges et étroites, les extrémités pouvaient être commercialisées en coupons. Mais aussi les cadins, la serpillière, les caleçons, les couvertures, les serviettes, les besaces (alforja) constituent l’essentiel des produits mentionnés253.
135Le texte de création de la confrérie ne mentionnant pas le nombre de compagnons, la seule référence utilisable afin d’appréhender son importance est la liste des membres qui, le 16 juillet 1606, reçurent la chapelle de Saint-Pierre Martyr des mains du fils de son fondateur, Bernat Picart. Selon ce document, il y avait 44 membres, tous originaires de la commune d’Andorre. La comparaison avec la liste des feux fiscaux permet d’évaluer qu’il y avait 16 ateliers dirigés par des maisons d’anfoch, 11 aux Escaldes et 5 à Engordany, et 14 autres dirigés par des chefs de maisons casalères (5 à Andorre et 9 aux Escaldes)254. Il y avait également 8 fadrins, c’est-à-dire des ouvriers tisserands parents de membres de la confrérie et six personnes signataires non identifiables. Il s’agit probablement d’ouvriers textiles étrangers255. Par conséquent, il y avait 29 maîtres pour 15 ouvriers et apprentis. Au total, 29 familles de la commune sur 123 étaient membres de la confrérie256, mais la possibilité de louer le matériel ne permet pas d’affirmer si elles étaient toutes propriétaires de leur outil de travail ou si, plus simplement, certains de ceux qui possédaient le droit de tenir un atelier n’étaient pas employés par d’autres maîtres tisserands. De toute manière, la disproportion entre le nombre d’ouvriers et le nombre potentiel de maîtres laisse supposer qu’il s’agissait de petits ateliers qui n’ouvraient qu’un marché salarial fort restreint se limitant probablement à la proche parenté. Notamment, dans les comptes des tisserands conservés par la maison Areny, des pièces confectionnées par des femmes de tisseurs sont citées, alors qu’elles sont totalement absentes des listes de confrères. De plus, les statuts de la confrérie mentionnent les femmes et les enfants comme successeurs logiques de l’activité de l’atelier, il fallait par conséquent qu’ils connaissent le métier257.
136Si l’on se réfère aux listes de répartition, les familles de tisserands contribuaient à 28,6 % du prélèvement communal, alors qu’elles représentaient 23,6 % du nombre total de maisons258. Elles avaient un rôle considérable aux Escaldes où elles payaient 70,9 % de la contribution du village, moindre à Engordany où elles ne participaient qu’à 30 % du montant et encore plus réduit pour le quart d’Andorre où elles ne donnaient que 4,8 % de l’imposition. La richesse des maisons des tisserands est légèrement supérieure à celle de l’ensemble de la commune259. Au niveau communal, les tisserands sont également représentés dans les listes de locataires et des employés communaux260. Cependant, il est à noter qu’ils sont essentiellement présents dans le secteur des services. Au cours du XVIIe siècle, la commune d’Andorre louait le droit de tenir la taverne, l’hôtel, le moulin et la boucherie. Il ne s’agissait que du droit d’exercer l’une de ces professions pour un an puisque les bâtiments attitrés n’avaient pas encore été édifiés. La commune s’assurait de l’existence des services, mais en contrepartie elle n’obtenait qu’un loyer modique261. Ces fonctions pouvaient être attribuées en bloc ou indépendamment l’une de l’autre lorsque la commune trouvait un tenancier pour chacune d’elles. Dans la mesure du possible, le Conseil communal cherchait à maintenir ces services simultanément à Andorre et aux Escaldes.
137Afin de rendre ce négoce plus attrayant, la commune pouvait assurer au preneur le monopole de la vente au détail. En contrepartie, celui-ci s’engageait à suivre les règles (tabes) édictées par la commune. Fréquemment, l’accumulation des fonctions était un moyen pour le preneur d’élargir le marché potentiel. Cette habitude est en particulier évidente lorsqu’on compare les règles régissant la boulangerie (fleca) et l’hôtel. Lorsque les deux se louaient indépendamment, on restreignait les droits de l’hôtelier. Ainsi, le 15 septembre 1695, Joan Ricart avait pris la boulangerie des Escaldes et Miquel Pujal enleva l’hôtel et la taverne. Ce dernier ne pouvait vendre du pain que « de la maison », c’est-à-dire qui devait être consommé sur place. Cette disposition visait à protéger le commerce du boulanger qui était le seul habitant de l’agglomération autorisé à vendre du pain à emporter. De la même manière, le tavernier était le seul à pouvoir vendre du vin au détail, l’hôtelier ne pouvant que servir sa clientèle sur place. Selon le nombre de locataires et les services qu’ils avaient pris, la commune modulait le droit afin de rendre le commerce plus attrayant. Les produits qui devaient être distribués étaient principalement le pain, le vin, l’huile, le sel, et les prix de ventes étaient ceux que stipulait l’afor. Mis à part une disposition contraire, c’était celui établi par la Maison des Vallées qui était en vigueur.
138Pour la commune d’Andorre, les tisserands furent les principaux locataires de services. En revanche, ils ne totalisaient qu’une minorité des locations d’estives ou de biens pastoraux262. Dans ce cas, tous les contrats furent établis par les maisons les plus importantes, puisqu’ils furent signés seulement par les neuf tisserands qui avaient été les plus taxés dans les listes communales. Pour ce qui est des services, l’ouverture était plus importante, puisque 16 maisons furent locataires d’un ou plusieurs baux. Entre ces deux types de locations, une différenciation peut être apportée. Les locataires d’estives pratiquaient une occupation pastorale qui concurrençait l’activité textile, alors que la fréquence des rotations dans les baux des services montre que la distribution des denrées n’était pour eux qu’un complément à leur travail de tisserand. Le rôle prééminent qu’avait cette corporation dans ce type de location est probablement à lier en partie à la possibilité qu’ils avaient d’utiliser la boutique où se vendaient les tissus.
139La règle établie qui stipulait que le client apportait la matière première, et le fait que tous les tisserands ne possédaient pas un lieu de commercialisation, laissent entendre a priori, que pour une partie de ces artisans, cette activité pouvait n’être qu’un complément à leur activité première. Mais il faut être prudent sur ce point, l’hétérogénéité qui caractérise les rares sources utilisables peut masquer une réalité plus complexe263. La comptabilité de la maison Areny livre à cet égard quelques informations complémentaires264. Systématiquement, la laine, les poils de chèvre, la filasse de chanvre, mais aussi le fil de laine nécessaire265, étaient fournis par le client qui ne payait à terme que la main-d’œuvre. Les produits reçus étaient principalement des caleçons de cadins, la toile blanche de six et douze pams de largeur (1,2 et 2,4 m), le drap de bure de douze pams266, le drap tissé à partir des poils livrés (le camelot), le drap noir, le cordelat, les couvertures, les serviettes de table et de toilette (tovalloles et tovallons), fréquemment tissées avec de l’étoupe de chanvre. Généralement, seul était payé le produit fini aux mêmes apprêts que ceux stipulés dans l’acte de fondation de la confrérie, mais, dans certains cas, on mentionne un salaire complémentaire pour la teinture.
140Les tarifs appliqués variaient de 15 deniers l’aune267 pour les toiles les plus grossières à 30 deniers pour le camelot, ce qui place ces prix à près de 33 % au-dessus des tarifs stipulés dans l’acte d’instauration de la confrérie. Cette tendance à la hausse se confirme au cours de la courte période pour laquelle les comptes sont complets. Entre 1666 et 1669, le tarif du drap de bure de douze pams paré et non paré passa, respectivement, de 20 et 24 deniers l’aune à 30 et 36 deniers. Ce tarif fut applicable jusqu’en 1680. Certains comptes sont assez précis pour que l’on puisse se faire une idée du rapport entre la valeur de la main-d’œuvre et celle de la matière première. Ainsi, en 1671, Jaume Joan « Muxella » d’Engordany recevait la laine noire à 3 sous la livre et il s’engageait à donner du drap de bure large, paré et teint, à 22 sous l’aune. Ce tarif fut applicable jusqu’en janvier 1676, date à laquelle il prit 54 livres de laine aux mêmes conditions. A terme, à la fin mars 1676, il donna 12 aunes de draps. Il lui avait fallu 4,5 livres de laine par aune et son salaire au bout du compte fut de 8,5 sous par mesure, dont 5,5 étaient pour la teinture et 3 pour le tissage. Le travail du tisserand représentait 63 % du prix de la matière première, 38,5 % du produit fini268. Le tarif de la teinture appliqué par « Muxella » est à peu de chose près le même que celui qui fut payé à Miquel Montanya dit « Gabriel Guillemo » d’Andorre entre 1672 et 1675, puisque ce dernier recevait les draps tissés et les colorait à 5 sous l’aune. De fait, en février 1671, « Gabriel Guillemo » passa un contrat comparable afin de faire deux pièces de draps à 22 sous. Mais, ces cas étaient relativement rares. Moins de 5 % des tissus subirent le traitement complet, tous les autres furent livrés sans être teintés269. Le salaire empoché par le tisserand était par conséquent au plus de 3 sous par aune alors que le bénéfice que pouvait en tirer la maison Areny était de 10 sous, une fois la pièce confectionnée par le tailleur qu’elle faisait travailler270. La capacité de production globale que pouvaient avoir ces ateliers nous est inconnue, puisque seuls nous sont parvenus les comptes d’un client.
141Les comptes les plus complets sont ceux de Miquel Montanya d’Andorre et de Joan Montanya des Escaldes qui entretinrent une relation continue avec la maison Areny de 1660 à 1675. Chacun d’entre eux livrait annuellement de 4 à 8 pièces de draps et de 10 à 25 pièces de cadins. Il semble par conséquent que cette tâche pouvait occuper un tisserand tout au long de l’année271, mais ces cas sont particuliers car, parmi les tisserands, Joan Montanya était le plus gros contribuable et Miquel Montanya le douzième272, et ils faisaient probablement partie de ceux qui pouvaient louer de la main-d’œuvre. Le bénéfice qu’ils retiraient de ces produits varia de 12 à 26 livres l’an, ce qui les place dans la hiérarchie des rétributions, au pire au niveau d’un pâtre engagé au mois, au mieux au niveau d’un muletier ou d’un pâtre en fin de carrière. C’est un peu plus que ce que Joan Sereix, tisserand installé à la Massana, tirait de son travail entre 1688 et 1695. Ce dernier livrait essentiellement différents types de serviettes de toile confectionnée à partir d’étoupe ou de fils de chanvre. Les transactions avec Guillem Areny Torres ne dépassèrent pas le seuil des 20 livres annuelles273.
142Dans ce cas, comme pour les autres, il fournissait la matière première et récupérait le produit fini pour le commercialiser. Ce mécanisme reléguait ces tisserands au statut de façonniers et s’inscrit dans un type d’organisation identique au verlagsystem274. La production acquise par Guillem était à l’usage de la maison (familles et employés) et servait également à alimenter la boutique. Mais l’intégralité des transactions traitant des textiles produits par les tisserands andorrans se retrouve dans les comptes des associés ou des employés. L’exportation des pièces d’étoffes produites en Andorre n’apparaît que dans très peu de cas. Le statut particulier de la maison Areny, qui possédait un réseau important à l’intérieur des vallées et n’avait aucun besoin d’expédier spécialement le produit pour le vendre, masque probablement un flux vers l’extérieur. Si l’on compte une population seuil de 500 personnes par atelier275, le marché potentiel nécessaire à l’écoulement de la production de ces ateliers serait de 15 000 personnes, 11 250 si l’on considère que la moitié des ateliers n’avaient qu’un rôle complémentaire dans l’économie des maisons et que certains confrères ne faisaient que livrer la matière première276. En tout état de cause, cela ferait au moins de quatre à cinq fois plus que la population réelle des vallées dans la première moitié du XVIIe siècle.
143Dans les comptes patrimoniaux, progressivement entre 1675 et 1700, les tisserands d’Andorre et des Escaldes travaillant pour la maison Areny furent remplacés par des artisans installés à la Massana : Joan Pere Forcada, Miquel Ribot « Xim », Pere Mas, « Pallero » d’Areu, Guillem Sereix. Notons que les deux premiers sont apparentés à des tisserands des Escaldes et d’Andorre et que les deux derniers sont d’origine étrangère. D’emblée, cela laisse croire que le nombre d’affiliés à la confrérie était en augmentation, mais les comptes de la confrérie en 1756 ne mentionnent que 45 tisserands installés dans la principauté277. Par rapport à la liste initiale de 1606, le nombre d’affiliés originaires des Escaldes s’était légèrement réduit (de 19 à 16), il avait doublé à Andorre et à Engordany et le centre de Sant Julià, qui comptait dix tisserands, était nouveau. Alors qu’à la Massana, entre 1680 et 1707, Guillem Areny Torres fit travailler ponctuellement cinq tisserands différents, un seul est comptabilisé dans la liste. Soit les artisans travaillaient illégalement, ils n’étaient pas inscrits à la confrérie, soit ils avaient disparu. Le caractère occasionnel de leur travail – quatre d’entre eux avaient été engagés à l’année pour d’autres tâches – permet a priori de privilégier la seconde hypothèse. Entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, il y eut une stabilisation du nombre global de tisserands, celui des confrères passa de 44 à 45 en un siècle et demi, mais la production se dispersa. Il semble que les tisserands se soient éloignés des moulins à foulons, puisque, mis à part l’apparition d’un nouveau centre producteur, le texte mentionne une taxation d’un denier par canne de tissu foulé provenant de l’extérieur. C’est également cette impression que donne la description de Fra Junoy en 1838, puisqu’il précisait qu’une douzaine de foulons œuvraient aux Escaldes, mais n’en mentionnait aucun dans les autres villages. Il décrivait un filage domestique du chanvre et de la laine, puis un tissage effectué par les artisans des Escaldes278. Dix ans plus tard, le colonel Ulrich (1848) était plus précis. À Engordany, quelques tisserands faisaient des draps grossiers. À Sant Julià, ils travaillaient le chanvre, l’étoupe et la laine, et, aux Escaldes, confectionnaient des couvertures, des draps grossiers dans d’anciens moulins à foulon édifiés à « l’air libre » (sans toiture)279. Selon cet auteur, les habitants des villages catalans frontaliers portaient la laine filée et teinte en Andorre afin de faire confectionner les étoffes. Le fonctionnement était par conséquent comparable à ce qui avait été établi en 1606. Cette description rappelle également le paiement d’un denier par aune de tissu foulé aux Escaldes, mentionné dans le texte de 1763. Mais, en contrepartie, il n’a pas été possible d’établir si la notion d’étranger était la même que celle appliquée au cheptel pour lequel la notion d’estrany désignait le bétail andorran extra-communal : les étoffes produites hors de la commune d’Andorre devaient-elles acquitter ce droit ?
144L’implantation de la corporation à Sant Julià montre une volonté de rapprocher les points de fabrication et de vente du marché de l’Ait Urgell, notamment de celui de la Seu d’Urgell. C’est ce même phénomène qui poussa, au XVIIe siècle, à l’implantation de la boutique du frère de Guillem Areny Torres ou de celle de Louis Lavernia de Tarascon. C’est également à Sant Julià qu’existaient un chausseur et un bourrelier280. Mais l’influence des filatures des vallées ne doit pas être surestimée. Notons que, dans tous les textes consultés, la production est systématiquement rattachée à une consommation locale. De plus, dans la première estimation du marché nécessaire à l’écoulement de la production, l’ensemble des maîtres tisserands a été considéré de manière homogène, alors que les descriptions postérieures font apparaître que la production connaissait un passage quasi obligatoire dans les ateliers des Escaldes. Il semble qu’il faille revoir ce calcul à la baisse. La population seuil se situerait alors aux alentours de 7 500 personnes, ce qui reste tout de même plus du double de la population andoranne au XVIIe siècle. Nous ne connaissons pas le nombre précis d’artisans pour le XIXe siècle, mais après une période de stagnation entre 1600 et 1760, il semble que leur nombre se réduisit281. C’est tout au moins l’impression que donnent les textes qui décrivent cette activité au XIXe siècle. Si l’on applique le ratio de 500 habitants aux 12 foulons mentionnés aux Escaldes qui semblent contrôler la totalité de la production, il ne fallait qu’une population de 6 000 personnes pour l’absorber. C’est à peu de chose près le nombre d’habitants de la principauté après la poussée démographique du XIXe siècle. Il semble que les deux phénomènes combinés aient réduit la sphère d’influence du textile andorran. Pour les XVIIe et XVIIIe siècles, il devait y avoir exportation des draps et des toiles produites aux Escaldes, mais n’oublions pas que, plus au sud, la Seu disposait également d’une corporation de tisserands et que la plupart des boutiques de Sant Julià étaient principalement spécialisées dans la vente de tissus d’importation282.
145De 1600 à 1725, l’exportation systématique de la laine, tant de la dîme que de la production du cheptel Areny, vers les centres textiles ariégeois, ou, de manière moindre, vers ceux de Catalogne, montre que la matière première ne trouvait pas preneur dans les vallées. Dans les comptes de ceux qui vendaient de la laine à la compagnie exportatrice, des tisserands sont cités, alors que le rôle réduit qu’ils jouaient dans la location des estives et leur niveau d’imposition indiquent qu’ils ne possédaient généralement pas de gros troupeaux. Un dernier point laisse supposer que le commerce des draps andorrans n’était pas très développé : l’absence de marchands spécialisés. A l’opposé même, les marchands d’étoffes mis en lumière par la documentation furent systématiquement liés au commerce d’import-export.
III.c.4. La reprise du marché textile d’exportation (1680-1690)
146En 1680, Guillem Areny Torres remit en état la compagnie d’importation textile fondée par son père Guillem Areny Vidal. Comme cela avait été le cas quarante ans auparavant, le réseau d’approvisionnement était fondé sur deux niveaux : des marchands intermédiaires à Tarascon et des marchands distributeurs à Toulouse. En Haute-Garonne, les deux principaux négociants auxquels furent achetées les marchandises étaient les frères Amius et M. Azema283. À Tarascon, seuls sont cités M. Perbor et Bernard De Guillhem, prévôt des marchands à Tarascon. À la différence de la première phase d’importation, le contact avec les Toulousains était plus direct : 88 % des paiements en numéraire furent acquittés directement à Toulouse284 et 82 % des produits furent commandés et expédiés depuis la capitale languedocienne. Ce ne fut pas la seule modification que connut le trafic. Le sel, le poisson et les épices disparurent des comptes285, et la majorité des échanges était basée sur des paiements en argent ou des livraisons de laine. Ainsi, en octobre 1676, Guillem Areny Torres faisait parvenir à M. Azema 4 quintars de laine d’agneau contre 6 quintars de congre sans emballage, 2 livres de poivre blanc et 2 arroves de sucre. Les 4 balles de laine furent chargées par Palmade, Mauri et Collar de Siguer qui les déchargèrent à l’auberge de Siguer. Ils devaient alors prévenir M. Verges de Tarascon qui devait se charger de la laine et faire porter les produits de Toulouse en s’acquittant du droit de foraine et des 24 sous de salaire par balle qui revenaient aux muletiers286. Ces transactions n’étaient pas rares, mais elles n’avaient pas le suivi qu’elles eurent à partir de 1680287. Il est à noter que pour l’ensemble des produits expédiés, au contraire de ce qui s’était fait en 1636-1645, la compagnie réglait la totalité des droits inhérents à l’importation de marchandises : droit de foraine, de leude, de gabelle et paiement aux gardes-frontières de Siguer furent régulièrement versés.
147L’éventail des produits qui passaient le col avait lui aussi été modifié288. Par exemple, les bréviaires, les jeux de cartes ou les rosaires avaient totalement disparu des commandes. L’ensemble du trafic ne portait plus que sur les tissus et les produits de mercerie. En neuf ans, la quantité totale d’étoffes inscrite dans le livre de comptes fut de 12 214 aunes de tissus, soit près de 850 pièces d’étoffes. Le renni continuait à être l’étoffe la plus importée, suivaient le saint Jean et la toile de Rouen. Les serges, qui constituaient approximativement 16 % des importations de tissus entre 1636 et 1645, ne trouvaient plus preneur. Les toiles de Bretagne, de Gascogne et celles de Laval ne s’échangeaient plus. Elles furent remplacées par les toiles de Cambrais, de Paris, d’Allemagne et ponctuellement par quelques dizaines de pièces dites de Carcassonne. Pour ce qui est de la mercerie, le nombre de bas et de chevillères s’était réduit de moitié, le gros du trafic portait sur les petites pièces se vendant par millier289 : le fil, les rubans et les frises290 auxquels s’ajoutaient quelques douzaines de produits en corne (Peignes et tire-bottes). A un niveau plus anecdotique étaient également acheminés des drogues et certains produits particuliers (soufre, encens et litharge).
148La compagnie constituée en 1680 était plus spécialisée que la précédente. La logique commerciale qui avait contribué à l’établissement de points de distribution intermédiaires en Alt Urgell ou en Noguera atteint son aboutissement au cours de cette seconde phase de développement, puisque, en novembre 1686, une boutique appartenant à la compagnie fut ouverte à Tàrrega (Urgell). A partir de cette date, cet établissement, dirigé par Jacques Lavernia, absorba alors une part importante des importations291. En 1686, le fonds qui fut nécessaire à la constitution du stock du magasin se chiffra à 2 626 livres Bna (5 252 livres tournois), près de 17 % du montant des importations comptabilisées par la compagnie292. Pour celle-ci, au total, la valeur d’achat des marchandises comptabilisées dans les livres atteignait 16 192 livres tournois (8 096 livres Bna) auxquelles il faut au minimum ajouter le fonds de la boutique qui passa de Siguer à Tàrrega sans s’arrêter à Ordino et reçut un traitement comptable indépendant du reste des cargaisons transitant par Ordino293.
149Globalement, sur l’ensemble des produits, la marge entre le prix d’achat et celui de vente était de un pour deux294. Les prix appliqués par les frères Amius et Azema étaient donnés en livres barcelonaises pour fixer les tarifs des marchandises295. Ainsi, le renni de quatre pains (0,8 m.) de largeur, acheté à 13 sous tournois l’aune, était facturé à 13 sous Bna alors que le change monétaire s’établissait à deux livres tournois pour une barcelonaise. Pour le renni étroit ou celui de trois pams, le prix compté au client était de 11 sous Bna l’aune contre 11 sous tournois à l’acquisition. Idem, pour le saint Jean écru et le Rouen dit de « gran crusada » qui valaient 9 sous l’aune ou les aiguilles dites « plumes fortes » qui valaient 100 sous le millier. En comparaison avec le premier épisode d’activité de la compagnie, le volume des échanges fut plus constant et, au bout du compte, en neuf ans, la quantité et le montant des ventes furent supérieurs. Le nombre d’aunes vendues progressa d’un tiers passant de près de 11 000 m linéaires à près de 15 000 (+ 36,4 %). Le chiffre d’affaires évolua plus fortement de 15 000 à 21 500 livres Bna. Comptabilisé en livres tournois, le change ayant progressé d’un pour trois à un pour deux, le chiffre d’affaires avait baissé de 45 000 à 43 000 et, en monnaie or, la baisse fut plus accentuée, passant de 5 183 doublons à 3 909. Une parité plus parlante, car elle illustre de plus près l’évolution du pouvoir d’achat des clients potentiels qui voyaient rarement le métal jaune, peut être établie à partir du prix moyen de la laine blanche et du blé sur le marché intérieur296. L’équivalent laine passa de 71 à 79 tonnes, soit une progression de 11,3 %. Pour l’équivalent blé, le rapport passa de 4 687 à 5 733 charges, ce qui correspond à une augmentation de 22,3 %.
150Cependant, il est à noter que la progression du tarif des étoffes d’importation, dont les prix de vente peuvent être suivis entre les deux périodes297, est considérablement plus élevée que celle que connut le volume général des échanges de la compagnie. Notamment le Rouen et le renni, deux tissus importants dans la balance des comptes, progressèrent de plus de 200 %. La croissance relativement contenue du chiffre d’affaires, alors que le volume de commercialisation avait progressé, s’explique par la qualité inférieure des étoffes importées au cours de cette seconde phase. Un exemple est fourni par le renni, à qualité égale, le prix de l’aune avait progressé de 213 à 233 % en monnaie courante, le prix moyen établi pour l’ensemble du stock n’augmenta que de 142 %. On achetait majoritairement des tissus plus ordinaires que l’on payait moins cher. La disparition des serges et des rares soieries dans le carnet de commandes illustre clairement cette évolution. Une exception est à noter, celle des tissus de laine qui existaient également dans la production locale, notamment le cadis, le camelot et le bouragan dont l’évolution fut inférieure à 100 %298. Cette augmentation qui varie de 43 à 92 % selon les tissus, place ces textiles légèrement au-dessus de la marge de croissance des toiles et draps produits dans les vallées. Le drap de bure non teint de douze pams de large, par exemple, ne progressa que de 50 % au cours de la même période. Une remarque similaire peut être faite au sujet des capes bordetes qui progressèrent au plus de 33 %. Par contre, les serpillières, type de toile que tissaient également les artisans andorrans, augmentèrent sensiblement plus. Probablement, faut-il voir là un changement dans la manière de confectionner les colis. Alors que, en 1636-1645, les ballots étaient enveloppés exclusivement de serpillières ou de capes de basse qualité, les paquets qui arrivaient à Ordino en 1680 étaient recouverts d’étoffes commercialisables différentes299. Malgré le fait que l’on parle indifféremment de toile d’emballage ou de serpillière, il n’est pas évident qu’il s’agit exactement du même type d’étoffe. Les tarifs des tissus qui connurent la progression la moins marquée furent ceux qui étaient de consommation la plus courante. L’évolution du prix des textiles locaux fut globalement comparable à celui de la matière première, puisque, au cours de cette période, le prix du quintar de laine blanche n’évolua que de 28,4 % et celui de laine noire de 44,4 % en monnaie courante.
151L’observation comparative de l’évolution des prix entre ces deux périodes permet de tirer une seconde conclusion. Le changement de parité entre les livres française et catalane avait relativement freiné les prix à l’importation, ce phénomène étant amplifié par la modification de la parité en équivalent or qui servait principalement de monnaie d’échange. De ce fait, l’utilisation systématique du bimétallisme entre les marchés amont et aval avait permis une augmentation de la marge bénéficiaire. En moyenne, les textiles d’importation avaient grimpé de 122 % par rapport au blé et de 102 % par rapport à la laine blanche alors que les produits locaux étaient restés relativement stables et que les denrées alimentaires arrivant de Languedoc, comme le congre ou la morue, n’avaient augmenté que de 70 et 55 %. Étant donné que la progression des salaires resta bien en deçà des seuils atteints par les produits d’importation, il est clair que le pouvoir d’achat de la population vis-à-vis de ces marchandises avait diminué. Ces évolutions monétaires ne pouvaient qu’accentuer le caractère d’import-export de ce commerce puisque les capacités financières du marché local potentiel s’étaient réduites.
152Un cas particulier est constitué par le fer commun300 dont le prix progressa de 39 %, soit 18,6 % par rapport au blé et 8,3 % par rapport à la laine. Cependant, il est à noter que, depuis la fin de la guerre de Trente Ans et la fermeture des forges, il s’agissait de lingots ou de plates importés du Sabarthès afin d’être revendus aux forgerons andorrans. Par conséquent, si l’on tient compte du coût du transport, qui au début du siècle atteignait un tiers de la valeur de la marchandise lorsqu’on franchissait les cols (cf. supra), il faut admettre que la valeur de ce métal avait substantiellement chuté entre la première et la seconde moitié du XVIIe siècle (cf. infra).
153Pour ce qui est de la vente des produits textiles, le commerce de la compagnie n’est pas connu dans le détail. Seule a pu être établie la liste des débiteurs pour la période 1680-1686. A partir de novembre 1686, date d’ouverture de la boutique de Tàrrega, la majorité des produits était livrée à cet établissement. Cette ville était déjà celle qui absorbait la plupart des textiles d’importation puisque, entre 1680 et 1686, 19 % de la dette contractée par des clients extérieurs aux vallées est imputable à des négociants originaires de cette cité. Le second pôle important était Cardona qui achetait plus de 17 % des exportations. Le commerce avec cette ville, comme cela fut le cas au cours de la période antérieure, était en partie fondé sur un double échange, les produits de Toulouse servant en partie à satisfaire les achats de sel destinés essentiellement à la consommation andorrane. Globalement, les deux routes commerciales utilisées lors de la première phase sont encore identifiables. La plus importante allait au Pla d’Urgell, puis bifurquait soit vers le Segrià, soit vers la Conca de Barberà ; l’autre, via le Pla du Bages se dirigeait vers le Llobregat. Une différence importante apparaît : la spécialisation des intervenants. À Tàrrega, 80 % de la marchandise passait entre les mains de quatre négociants et, à Cardona, c’était un seul marchand, Pau Casades, qui commandait 98 % des marchandises destinées à cette ville. Contrairement à ce qui s’était produit entre 1636 et 1645, ce commerce était quasiment alimenté seulement par les marchands spécialisés dans les produits textiles301. C’est ce qui explique en grande partie la modification du réseau de distribution. L’Ait Urgell et la Noguera avaient perdu partiellement leur rôle de distribution. En Alt Urgell, 18,2 % du volume fut confié à un négociant d’Arcavell, Andreu Vidal, qui revendait la marchandise, mais le client principal était Joan Forner (30,6 %) qui possédait une boutique dans la cité épiscopale. Pour le reste, il s’agissait essentiellement de clients qui achetaient pour leur usage ou pour la revente locale302. La créance moyenne contractée par les clients originaires de cette région ne dépassa pas 7 livres catalanes, alors qu’elle est supérieure à 80 livres en Urgell et à 150 livres pour le Bages ou le Vallès.
154Cette modification est évidente si l’on observe la répartition des lieux de vente. En effet, sur vingt villages ou hameaux cités en Alt Urgell, une douzaine correspondent à des lieux de passage de la transhumance situés hors de la route principale qui suivait l’axe du Segre. Mis à part deux clients qui étaient des muletiers, il n’y avait plus aucun achat pour la revente effectué par des personnages extérieurs à la filière textile (marchands, négociants, etc.). De fait, même en Andorre, hormis les achats destinés à un usage interne, le gros des ventes ne fut pas réalisé par un propriétaire de boutique à Ordino seulement. Encore faut-il préciser que 70 % des dettes furent contractées par le fils de la maison Rossell et, surtout, par Nicolau Areny. Ce dernier travaillait en association avec Guillem Areny Torres. Plus qu’un achat réel, il prenait à sa charge une partie des produits pour le compte de la compagnie. Ce n’était qu’une opération comptable puisqu’il agissait pour le compte de la maison Areny. L’importance de la marge bénéficiaire pour une seule transaction, par rapport à celle qui a pu être établie en 1636-1645, est probablement une des conséquences de ce changement. La marchandise allait sur les lieux de vente « aux frais et périls de la compagnie », d’où la réduction de la marge que percevaient à l’origine les intermédiaires, notamment les colporteurs qui s’associaient en compagnies afin de charger à Ordino et de revendre en plaine à des marchands. En privilégiant l’approvisionnement direct des négociants d’Urgell, et plus encore en fixant un lieu de distribution, la compagnie avait raccourci le circuit de distribution et contribué à sédentariser cette activité303.
155Au cours de cette seconde phase de développement du commerce des textiles d’importation, cette activité n’eut pas au niveau local un impact aussi important qu’en 1636-1645. La population était restée spectatrice de ce développement. Mis à part le développement du marché salarial potentiel qui, de toute manière, était partiellement accaparé par les ouvriers étrangers304, il n’y eut pas de conséquences importantes au niveau local305. Seuls Guillem et ses associés les plus proches bénéficièrent de ce flux, ce qui leur permit de mieux asseoir leur position au niveau des vallées. Le rôle de financier qu’ils exerçaient s’en trouva conforté. De fait, l’afflux de numéraire grâce à la vente des étoffes et du bétail fut ce qui permit à ces maisons de s’immiscer profondément dans le marché foncier andorran au cours du dernier tiers du XVIIe siècle.
III.d. Les modifications profondes du marché andorran (1600- 1715)
156Afin d’observer cette évolution, la balance comptable de l’ensemble de la documentation patrimoniale dépouillée pour la période 1620-1720 a été reconstituée. Ce travail a été effectué en utilisant un séquençage en cinq phases chronologiques. Ce découpage s’est fait en combinant à la fois les critères de conservation de la documentation et les premiers résultats de la périodisation306.
157Le volume des échanges307 entre 1620-1635, 1638-1653, 1659-1680 et 1680-1700 fut en moyenne de 2 341, 7 450, 2 805 et 9 649 livres catalanes. En monnaie constante, en 80 ans, celui-ci avait augmenté de 80 %. Par la suite, de 1700 à 1720, il baissa sensiblement et n’était plus que de 6 271 livres annuelles. Cette contraction résulte en grande partie de la réduction d’activité issue de la crise de 1715 et de la perte d’information après cette date308. Si l’on observe seulement la première décennie du XVIIIe siècle, les niveaux sont sensiblement équivalents à ceux de la période antérieure.
158Pour ce qui est de la composition de l’activité, plusieurs mouvements de fond sont identifiables. Le rôle croissant du marché foncier est confirmé. Alors qu’avant 1653, il ne constitue que 1 ou 2 % du volume des transactions, il atteint 11,9 % après 1659, et se maintient par la suite à 7 et 8 % jusqu’en 1720. Dans les paiements que recevait la maison Areny, le montant des salaires309 fut en constante augmentation. Alors qu’il ne constituait que 10 % du volume global au début du siècle, lorsque les activités pastorales et commerciales de Guillem Areny s’ajoutaient à celle de la forge, il parvint à 26 % entre 1659 et 1680 et à 27 % au début du XVIIIe siècle. Cette évolution fut en grande partie due à la croissance de l’activité pastorale. La période 1680-1700 est à ce sujet particulière. Alors que le montant total des salaires déboursés annuellement augmentait de 50 %, leur représentation dans l’ensemble de la comptabilité baissa à 13,8 %. Cela tient principalement à la restructuration de l’activité pastorale. Dans la seconde moitié du XVIIe siècle, l’élevage équin prit une importance qu’il ne possédait pas dans la période antérieure. Comme c’était le cas pour les ovins, le réseau de distribution mis en place par Guillem Areny Torres fut également utilisé par ses collaborateurs. En cela, il faut différencier les associés des salariés. Les équins omniprésents dans les comptes des premiers n’apparaissent que ponctuellement dans ceux des seconds. L’importance de l’investissement nécessaire limitait l’essentiel des échanges aux gros éleveurs310. Une différenciation capitale apparaît. Alors que les balances comptables réglées avec les salariés mettent en lumière une croissance notable de l’élevage ovin entre 1682 et 1690, les relations avec les partenaires financiers se focalisent sur le marché mulassier. Cela se vérifie dans les ventes de la maison Areny. D’une moyenne d’une centaine de livres l’an, les ventes passent la barre du millier de livres. L’influence de cette activité se retrouve également dans les besoins d’herbage. Les achats de foin et d’herbe réalisés par Guillem furent multipliés par six au cours de cette période alors que parallèlement le domaine foncier dont il disposait s’agrandissait. Malgré l’augmentation des cours – le prix de l’herbe passant de quatre à six sous le quintar – et celle de la superficie des prés appartenant à la maison, le volume annuel d’herbe achetée passa de moins de trois tonnes à plus de onze311.
159Dans l’ensemble, les éléments constituant le marché qu’illustrent ces comptes sont relativement stables tout au long du XVIIe siècle. Mise à part la sidérurgie au début du siècle, il n’y a pas de révolution, mais une adaptation constante à la conjoncture. Lorsque la possibilité de développer une activité se présentait, la société andorrane était capable de s’adapter rapidement au changement. Ces transformations affectaient aussi bien la réglementation collective, comme ce fut le cas lors de l’implantation de la réglementation des cortons au début du XVIIe siècle, que les transactions privées.
160Au tournant des XVIe et XVIIe siècles, une activité sidérurgique fut introduite dans les vallées. Cette initiative privée se fondait sur une main-d’œuvre et un savoir-faire venus du comté de Foix. En ce début du XVIIe siècle, l’édification de la forge de Puntal illustre une technique antérieure à la « méthode à la catalane » qui se développa à partir de la fin du siècle. La production relativement faible de ces établissements était diffusée au nord et au sud des vallées. Vers le comté de Foix, le métal entrait dans les canaux de diffusion des forges du Sabarthès, alors qu’il était essentiellement vendu à un réseau de forgerons sur le versant catalan. Les lingots prirent alors un rôle important dans les échanges puisqu’ils permirent leur développement à un moment où les habitants se trouvaient à cours de numéraire. L’influence de cette première sidérurgie dépassa largement le cadre constitué par les seuls investisseurs et une frange de la population put bénéficier de ce recours.
161Le marché du fer fut supplanté à partir de 1639 par celui des épices et des textiles. La principauté devint au cours d’une décennie un axe de transit entre la France et la plaine catalane. Les produits manufacturés achetés à Toulouse et emmagasinés à Ordino quittaient la principauté pour le Principat en empruntant deux routes principales : l’une par le Bages et le Llobregat atteignait le Barcelonès, la seconde suivait le Segre et finissait dans un secteur qui groupait grosso modo l’Urgell, le Segrià et la Conca de Barbera. En retour, le marché languedocien recevait du sel acheté à Gerri ou à Cardona. Ce commerce, qu’illustre l’activité de la maison Areny d’Ordino, se fondait sur le crédit et sur un réseau de compagnies se constituant au gré de la demande et des marchés visés. Ce trafic dépassait largement les besoins des vallées, alors qu’elles ne pouvaient importer que ce qu’elles pouvaient consommer. Ce négoce s’inscrivait dans des filières de contrebande qui bénéficiaient de la désorganisation du marché catalan qui ne parvenait pas à s’approvisionner par les canaux classiques. Les événements militaires et la crise économique qui sévissait au milieu du siècle mirent un terme à ce commerce lucratif. Les réseaux continuèrent un temps à être utilisés pour échanger des produits « traditionnels » comme le bétail. Puis, le marasme s’installant, les liens commerciaux cessèrent et les forges périclitèrent. Le redémarrage n’eut lieu que plusieurs années plus tard. Les compagnies pastorales furent les premières à reprendre, puis vint le commerce des tissus une dizaine d’années plus tard.
162Loin d’être cantonnée et fermée sur elle-même comme on le pense trop souvent, l’économie des vallées était ouverte sur l’extérieur. La crise du milieu du siècle en constitue une preuve éloquente. Alors que la résolution des conflits armés n’eut pas de conséquences directes durables dans la principauté, les diverses crises qui l’accompagnèrent eurent un impact économique beaucoup plus prononcé. Elles affectèrent profondément la société et accentuèrent davantage encore la différence entre les petits et les grands éleveurs. La vingtaine d’années qui stoppa net le décollage économique du début du siècle, permit la constitution de rentes et l’augmentation de la propriété foncière de certaines familles. Le cas de la maison Areny est révélateur, mais il ne semble pas être unique. Le capital qu’elle possédait lui avait octroyé le rôle de grand argentier de la collectivité et l’intervention continuelle du crédit dans les transactions ne pouvait que conforter cette position privilégiée312. Alors que, à la fin du XVIIe siècle, l’activité pastorale ovine se « démocratisait », notamment par le biais des compagnies pastorales qui ouvraient la possibilité de participer à la transhumance, les gros éleveurs qui purent profiter de leur position de force et de leur liquidité investirent dans l’élevage mulassier. Cette diversification ne fut pas le seul élément auquel ils consacrèrent les bénéfices réalisés au cours de la période précédente. Une partie de ces derniers fut réinvestie dans la location des rentes ecclésiastiques (dîmes). Par ce biais, ces personnages augmentaient leurs possibilités d’intervenir dans l’économie andorrane, puisque cette portion de la production céréalière était celle qui servait systématiquement à l’ensemble de la population lorsque la baisse des rendements requérait de passer par une phase de commercialisation. La commercialisation de la laine, tant de leur propre production que de celle récoltée par les dîmes, ainsi que la vente du bétail, les plaçaient aux postes clé du réseau financier car ces produits étaient les principaux pourvoyeurs d’excédents. Ils contrôlaient par conséquent la voie principale d’entrée du numéraire dans les vallées. Le cumul des activités fut tout à la fois le meilleur moyen de faire face aux mauvaises périodes – la perte d’un secteur étant compensée par les revenus d’un autre – et un des instruments qui établissait la suprématie de ces maisons. La seule activité pastorale, commerciale ou agricole, n’eut pas suffi à provoquer le mouvement de fond qui se répercuta sur le foncier. C’est l’accumulation des échanges sur les divers marchés qui finit par créer les conditions nécessaires au surendettement observable dans les comptes, qui affecta les familles dépendant quasi systématiquement de ces grosses maisons dès qu’elles avaient recours à l’échange. Dans les changements qui se succédèrent au cours du XVIIe siècle, ces dernières obtinrent les capitaux qui leur ouvraient de nouvelles perspectives de développement : la sidérurgie et l’élevage équin. Ces activités à forte plus-value constituèrent le terreau qui, progressivement, leur permit d’accentuer encore leur suprématie.
Notes de bas de page
1 ROVIRA, SOLANS, 1997, 356-364.
2 VILA, BOSCH, CODINA, ALVAREZ, CLOP, 2005, sous presse.
3 YAÑEZ, 1997, 250-287 et FOY, 1997, 321-25.
4 BARAUT, 1990, 60.
5 FARÍAS, 1998, 27-42 et 2002, 35-62. Les résultats des travaux de ce chercheur pondèrent l’analyse que fait M. Sancho du paysage sidérurgique catalan médiéval (SANCHO, 1999). Il démontre irréfutablement la distinction entre les établissements de production et les forges de transformation, rendant ainsi sa spécificité au forgeron médiéval catalan.
6 Paris, Bib. Nat, ms. Doat, 175, f°90-91.
7 BONHÔTE, CANTELAUBE, 1991. À ce sujet VERNA, 1997 et 2002a.
8 AHM/TC, processos judicials (Cxa 98), doc. s. n. (VELA, 2002, doc. 117).
9 S’agissait-il d’une infraction au droit de marque que possédaient les faures de Foix ? Rien ne permet de l’affirmer.
10 BARAUT, 1990, 94 et OLIVER, 1998, 157-168.
11 ACU, Llibre Capbreus..., 445, fol. 223v-224r, 1480 (VELA, 1996, 9-26).
12 ANA/ASC, perg. 30 (BAIGES, FAGES, 1993, 154).
13 En Álava, par exemple, sur 307 villages dépendant du monastère de San Millán, 293 payaient des rentes en fer au monastère (PASTOR DIAZ, 1996, 91).
14 VERNA, 2002a, 25-38 et 208-262.
15 L’alliance avec les Castelbó, l’opposition aux comtes de Pallars et l’union avec les Cabrera constituèrent les étapes marquantes de cette volonté (SOBREQUES, 1957, 65-70).
16 ANA/APCM, n° 101 (ARNOUX, 1993).
17 ANA/TC-N, 9 26-26v (VELA, 2002, doc. 17, 108-109).
18 À Foix en 1425, les faures ébauchent et marquent des armes de Foix les socs et les outils dégrossis préalablement dans les moulines du haut Sabarthès (VERNA, 2002a, 290).
19 Pour le détail de la situation médiévale et la révision bibliographique de cette problématique, CODINA, BOSCH, VILA, 2002, 53-60.
20 Pour le cas béarnais, VERNA, 2000, 219-238.
21 Les premiers droits de charbonnage attribués par la commune d’Ordino sont de 1609-1610, cependant, même si la documentation patrimoniale laisse entendre que la forge du Serrat ne travaillait que depuis quelques années, il est difficile d’assurer qu’il s’agit de la date d’implantation de cette forge – ANA/ACO, livre 3 et APCA, livre 32.
22 IZARD, 1999, 310 et GRAELLS, 1990.
23 ANA/APCA, livres 1 et 32.
24 Le secteur, abandonné, fut repris au XIXe siècle (Llorts et Sedornet).
25 Arch. des Pyrénées-Orientales, reg. B. 442, f. 127-128.
26 IZARD (1999), 294-300
27 CANTELAUBE (2002b), 391.
28 BONHÔTE, CANTELAUBE et alii, 1991.
29 ANA/APCA, livres 1 et 32.
30 VERNA, 2002a, 311-312.
31 Actuellement, chronologiquement et techniquement, la forge la plus proche mise à jour par des fouilles archéologiques est celle du Najac à Savignac, Grimbert, 2005.
32 BONHÔTE, CANTELAUBE, VERNA, 2000, 749-792 ; CANTELAUBE, VERNA, 2000, 152-163.
33 TRONSON DU COUDRAY, 1775. 47-48. À ce sujet, CANTELAUBE, 2002a, 9-34 et 2002b, 89-92.
34 WORONOFF, 1984, 286-288.
35 CANTELAUBE, 2002b, 59-68.
36 Pour une vue d’ensemble de cette évolution, VERNA 2001 et CANTELAUBE 2005.
37 Loupe, masser ou massiau : masse hétérogène, composée majoritairement de fer et de scories, que l’on extrayait du bas foyer après réduction du minerai.
38 À ce sujet, CODINA, 2003, 298-322.
39 L’ensemble des forgeurs et la majorité des charbonniers et des mineurs provenaient de l’Ariège.
40 Il s’agit du résultat obtenu après épuration du masser.
41 10 quintars par jour à six jours ouvrés (FROIDOUR, 1669).
42 Le foguer était l’ouvrier spécialisé dans la maintenance du bas foyer, le maller se chargeait de la maintenance du marteau hydraulique
43 Le montant de la matière première était formé en grande partie de salaires puisque seul un droit de charbonnage minime était payé pour le charbon.
44 Le dimanche était férié.
45 Pour chaque référence, moyenne de la valeur sur la période 1620-1630.
46 Livré à Siguer le fer valait approximativement 46 sous 5 deniers (40 sous Bna et 16 sous tournois de transport) – ANA/APCA, livres 1 et 32.
47 3,74 % pour les forgeurs et 2,14 % pour les mineurs.
48 Ce tarif était également celui appliqué au fer conduit à Solsona.
49 Vers l’Ariège, le transport jusqu’à Siguer valait entre 6,3 sous et 6.5 sous, celui de Siguer à Tarascon valait 1,5 ou 1,6 sou selon le contrat. Une fois à Tarascon, le fer avait augmenté de 20 %. Le franchissement du versant septentrional de la chaîne valait autant que celui de la vallée du Segre jusqu’au piémont pyrénéen.
50 Du fer fut vendu à Tor, à Esterri d’Aneu, à Ribera de Cardós, à Alins, à Ferrera et à Tírvia – ANA/APCA, livre 1.
51 146 ouvriers sur la période 1619-1629 dont 90 % d’Ariégeois. La totalité des forgeurs venait de Lercoul. Vicdessos, Siguer et Auzat, d’où arrivait aussi une partie des charbonniers. Junac, Lercoul. Laramade et Albiès fournissaient la majorité des mineurs (bassin minier de Rancié et de Château-Verdun). Seuls quelques mineurs et charbonniers étaient d’origine andorrane et deux venaient du Confient (cf. infra).
52 VERNA, 2002b, 63-79.
53 Pour le secteur des Pyrénées-Orientales, IZARD, 1999, 257-300.
54 BONHÔTE, CANTELAUBE et allii, 1991.
55 LARGUIER, 1996a 824 et annexe 15, 1326-1327.
56 Une seule exception, la vente de quelques lingots au forgeron de l’abbaye de Montserrat inscrite dans le compte de Bernat Rossell d’Ordino qui profita de son pèlerinage pour porter du fer – ANA/APCA, livre 1.
57 Toutes catégories confondues, pour le personnel de la maison Areny, le numéraire atteignait un tiers des échanges entre 1619 et 1630. Les ouvriers de la forge constituaient une exception puisque 60 % de leurs gages étaient payés en liquide – ANA/APCA, livres 1 et 32.
58 Certaines ventes atteignaient 3 à 4 tonnes – ANA/APCA, livres 1 et 32.
59 Quantité établie à partir des ventes de fer et du fer transporté pour lequel il n’a pas été conservé trace de la transaction de vente.
60 Si les trois établissements sidérurgiques d’Ordino travaillaient de la même manière, une approche, très approximative, fondée sur la production hebdomadaire et la durée d’ouverture permet d’estimer que les forges andorranes produisaient près de 54 tonnes par an. Sur 10 ans, le volume des transactions considérées à partir de la documentation représente entre 60 et 70 % du fer que reçut Guillem Areny, mais cela ne représente grosso modo que 20 % de la production andorrane.
61 LE ROY LADURIE, 1977, 756-759 et fig. 37, 758.
62 Une arrove : 10,4 kg.
63 Dans la plupart des cas, le sel ne motivait pas le déplacement. Un parent d’un ouvrier de la forge venait chercher du fer et chargeait en sus quelques dizaines de kilos de sel.
64 ANA/APCA, livres 46, 2 et 3.
65 Entre 1637 et 1640, Guillem Areny Vidal négocia avec Aimé Faure, Jean-François Favas, Mathieu Miroso, Jean-François et Catalina Tinier qui étaient tous marchands à Tarascon.
66 CODINA, 2005, 457-472.
67 ANA/APCA, livres 1 et 32.
68 LARGUIER, 1996a, 835 et annexe n° 17, 1331.
69 POUJADE, 1998, 153.
70 S’ajoutent des balances de comptes pour lesquelles seul est porté le montant de la dette finale. Ainsi, le 13 janvier 1639, le compte de Faure de Tarascon précise seulement qu’une fois le sel compté et l’ensemble des produits reçu, la maison Areny devait 1 044 livres 11 sous tournois – ANA/APCA, livre 3.
71 Rappelons que le passage du poivre le long de cet axe pyrénéen n’est pas une nouveauté, ce produit figure en 1289 dans le texte de la Bastide de Ponts – Paris, Bib. Nat, ms. Doat, 175, f° 90-91.
72 Sur les clous de girofle, la marge la plus faible fut de 29,6 %. Sur ce produit, il n’était pas payé de transport, car les volumes transportés étaient très réduits et généralement le muletier prenait l’épice qu’il devait livrer en sus d’un autre chargement – ANA/APCA, livres 2, 3 et 46.
73 Le volume total des ventes effectuées par les compagnies atteint 37 179 livres, près de 100 000 livres tournois en 8 ans (1636-1643).
74 De Bretagne, de Laval, de Rouen, de Paris, de Reims, et de Cambrai.
75 Les rases, les cordelats et les bayettes mentionnés dans la documentation andorrane sont également des produits cités dans la production de cette région (MINOVEZ, 1997, 52-54).
76 LARGUIER, 1996a, 610-618.
77 La production andorrane est absente de ce commerce.
78 Tissu obtenu par un mélange de laine de mouton et de poil de chèvre (LOPEZ SOLER, 1988).
79 Selon J. Savary des Bruslons, dans l’article traitant du commerce de Marseille « renies : Toiles provenant de Lyon, blanches et crues, qui s’expédient vers l’Espagne » et à la section « Regny ou regnie : Espèce de toile qui se fabrique en beaujolais », SAVARY, t. III, 451 et t. II, 333.
80 Les serges étaient quasiment les seules pour lesquelles la couleur était systématiquement mentionnée (rose, blanc, noir, jaune orangé, vert et bleu, gris, grenat et parme) – ANA/APCA, livres 2, 3 et 46.
81 25 cannes françaises / 28 cannes espagnoles ANA/APCA, livre 3.
82 Le nombre de capes importées est supérieur puisqu’elles servaient à envelopper les tissus de meilleure qualité et le plus souvent elles étaient gratuites.
83 S’ajoutaient une dizaine de bréviaires, 2 000 rosaires et 1 500 jeux de cartes – ANA/APCA, livres 2, 3 et 46.
84 Au total il fut vendu plus de 7 000 aunes de Laval fin et commun – ANA/APCA, livres 2 et 3.
85 GASCON, 1972, t. 1, 58.
86 Tarif d’une journée de muletier, d’une journée de chef de chantier dans le bâtiment ou d’une journée du conseiller des vallées. Au même moment, le salaire d’un ouvrier agricole varie de 2 à 3 sous.
87 Pour les capes de Béarn, la présence des marchands de Pontacq est attestée à Tarascon et à Ax (POUJADE, 2005, 415-437).
88 De 1636 à 1640, ces bas se vendaient de 60 à 66 sous la douzaine.
89 Le prix de la douzaine de bas « façon Angleterre » pour hommes était de 112 sous à la fin 1636. En 1637, il était de 146 sous 4 deniers. Ce prix resta constant jusque fin 1640. De 1637 à 1640, les bas pour femmes se vendirent à 113 sous 1,5 denier Bna.
90 Cape noire large à fond plombé pour la première, cape en toile de serpellot (toile de laine servant à l’emballage) pour la seconde.
91 ANA/APCA, livres 2, 3, 27 et 46.
92 Pour les serges et les soieries, les seuls cas sont des achats réalisés pour des occasions particulières (mariages, enterrements).
93 Il existait également un système de revente des vêtements usés.
94 La plaine littorale ne faisait pas partie de la zone desservie directement par les muletiers. Soit les entrées maritimes supplantaient les importations arrivant par les Pyrénées, soit ce secteur était desservi par les chalands de la compagnie et il n’apparaît pas dans la comptabilité.
95 Il y avait également Pere Serdanya de Sant Julià, Pere Uguet de la Seu, Treguany de Ponts, Antoni Dalmau, Vinyes et Comet qui étaient de Manresa, mais aussi Joan Serie et Geroni Drullola de Bellpuig.
96 ANA/APCA, livres 2, 3 et 46.
97 Le sel compté à 24 sous le quintar était vendu avec une marge bénéficiaire de près de 50 % à Siguer ou Tarascon. S’ajoutait alors une marge de 27-29 % lors de la vente en Catalogne du poisson pris en Ariège. En investissant 116 sous dans l’achat de sel, Guillem obtenait un produit commercialisable à 218 sous, soit un bénéfice de 88 % brut, et de près de 65 % net une fois les salaires imputables au transport comptabilisés.
98 ANA/APCA, livre 3.
99 Dans tous les cas, tendance mensuelle 1636-1646, désaisonnalisée.
100 ANA/APCA, livres 2, 3 et 46.
101 24 % en hiver, 12 % au printemps et 49 % de septembre à octobre – ibid.
102 ANA/APCA, livre 2.
103 ANA/APCA, livres 2, 3 et 46.
104 Il en était ainsi à Sant Julià, à Organyà et à Monfalcó – ibid.
105 Le salaire pouvait également être fixé à la tâche : tant par voyage, par ballot ou par quantité transportée. Fréquemment, dans ce cas, le muletier négociait son salaire au cas par cas, salaire en numéraire et participation aux frais lui servaient de marge de manœuvre.
106 ANA/APCA, livres 1, 27 et 46.
107 À ce sujet, mais pour une période plus tardive, voir le cas des colporteurs de l’Isère qui passaient en Italie : FONTAINE, 1984, 105 et ss, 1993. Pour les Pyrénées, POITRINEAU, 1983 ; THOMAS 1993.
108 Ce courant monétaire n’existe pas seulement par le port de Siguer, le Narbonnais au plus fort de la crise est qualifié par Gilbert Larguier « de véritable province hispanique » (LARGUIER, 1996b, 33-55).
109 ANA/ASC, perg. n° 157 ; Llibre de transuptes i notes de privile gis..., n° 41, f°, 97-100.
110 Dans ce document, le montant de la questia est surévalué et la part du comte de Foix est obviée. Les Andorrans parient sur l’ignorance des réalités andorranes de la part de leurs interlocuteurs puisque le montant mentionné correspond à celui que l’on paye au roi de France converti en livres barcelonaises et que l’évêque n’encaisse son tribut qu’une année sur deux, la seconde étant réservée au roi de France.
111 A la demande d’Archimbaud de Foix, cet acte fut confirmé par Marti I, l’humà, roi de Catalogne et d’Aragon, le 25 mai 1409. Martì I exonérait les Andorrans de tout droit de généralité pour le transport de marchandises. Notons que cette fois la principauté était dite du comte de Foix – ACA/reg. Commune, n° 2158, f° 159-159 v.
112 ANA/ASC, perg. 168 ; doc. 905 et 946, copies du XVIIe siècle, et 1001, copie du XVIIIe siècle.
113 Cette vision était alimentée par la manière de présenter les choses du côté andorran : en 1651, le Syndic écrivait au roi que « ... cette vallée pauvre située à la fin des Pyrénées, où l’on ne récolte pas assez de blé ou d’autres grains pour se sustenter, est manquée des autres aliments... »– ANA/ACA, liasse III, doc. 3.
114 À peu de chose près, cette formulation se retrouve quasiment au mot près pour toutes les confirmations de privilèges obtenus des rois de France pour les XVIIe et XVIIIe siècles et elle existait déjà auparavant puisqu’en 1470, elle fut utilisée par Gaston IV prince de Navarre et comte de Foix – ANA/ACO, Mic. 8, n° 292.
115 Arch. dép. des Pyrénées Orientales, C 2098, lettre patente de Louis XIV (1655).
116 Cette approche est courante, on la retrouve fréquemment dans les Pyrénées, par exemple pour le Béarn : BIDOUZE, 1993, 5-14.
117 Ce thème revient souvent chez Fiter. Par exemple, au sujet de la description que fit le docteur Joan Moreri dans son dictionnaire historique de ces « Vallis fertilissima pirineo-rum... », Fiter Rossell répond « tout est bien sauf en ce qui concerne [le point de la] grande fertilité » (FIXER 1748, 36 et 516).
118 ANA/ASC, perg. 169 ; Liber in quo sunt inserta privilegia..., f° 49 v – 52.
119 Cette réalité est d’autant mieux connue que nous retrouvons un traginer nommé Bernat Caujole de Siguer collaborant à la forge de Puntal de 1625 à 1627.
120 Le placement de ce commis ne dut pas se faire car aucun témoignage, direct ou indirect, n’a pu être trouvé à son sujet dans la documentation consultée. Il nous semble improbable que les Andorrans aient laissé instaurer cette nouvelle pratique sans la contester.
121 ANA/ASC, perg. 161.
122 Pour ce qui est du transport à proprement parler, en 1601, les habitants avaient payé 300 livres aux consuls de la Seu d’Urgell afin d’obtenir la gratuité à perpétuité du pont que l’on venait d’établir sur le Segre. De cette manière, les consuls évitaient que les Andorrans ne les entraînent dans des procès à répétition en contestant le droit de pontage au nom des privilèges qu’ils possédaient – ANA/ASC, perg. 155.
123 ANA/ASC, doc. n° 372.
124 De fait, c’est la deuxième fois que les Syndics faisaient appel de cette décision. La première fois, il leur fut répondu qu’elle émanait d’une demande conjointe de l’évêque d’Urgell et du roi de France et qu’il n’était pas possible de faire appel puisqu’il n’existait aucun pouvoir supérieur. Même réponse la deuxième fois, ce à quoi les Syndics rétorquèrent qu’ils voulaient voir les lettres signées de la main des deux coprinces avant d’accepter la décision.
125 Notamment à Narbonne en 1635 (LARGUIER, 1996, 835).
126 Il s’agit probablement du fils d’Antoine Lavernhe, marchand d’Auvergne, négociant à Sant Julià (POITRINEAU, 1985, 89-90 et POUJADE, 2005, 437-456).
127 ANA/APCA, livres 3 et 4.
128 POUJADE, 1998, 150-154.
129 VILAR, 1962, 635-636.
130 LLOBET, 1985, 183-189.
131 VILAR, 1962, 636.
132 Ce personnage n’est pas un inconnu. Avant cette date, il est mentionné dans les transactions qui s’établissaient au cours des foires de l’Urgell.
133 Bons d’Encamp, Ricart d’Encamp, Giberga de l’Aldosa, Torres de la Massana, Bons de Sornàs, Calvo de Soldeu, Torres d’Encamp, Guillemo d’Andorre et Guillem Areny Vidal d’Ordino – ANA/APCA, livre 46.
134 Valeur en monnaie courante, non corrigée des variations monétaires.
135 ANA/APCA, livre 46.
136 La valeur des ovins appartenant à la maison Areny était supérieure à 12 942 livres.
137 15 % du volume total furent vendus à Taús, Bescaran et la Seu et 2,5 % passèrent à Siguer au travers des comptes des salariés et quelques unités finirent en Vall Ferrera (ANA/APCA, livres 2, 3, 27 et 46).
138 ANA/APCA, liasse X, doc. 733.
139 ANA/APCA, livres 3 et 46. Ces livraisons directes, faites au nom de Guillem Areny Vidal, sont du même type que celles qui se faisaient pour le sel. C’est pourquoi ce produit n’apparaît que dans les résumés de comptes de fin d’année puisqu’il n’était pas stocké dans le magasin d’Ordino, mais remontait directement vers l’Ariège.
140 Montant total des transactions (avoir : 57 400 livres, dettes : 62 600) corrigé de l’inflation monétaire.
141 Balance de compte établie grâce aux comptes des livres 1, 2, 3 et 46 et les années correspondantes des livres de comptes (livre 27).
142 1 231 livres Bna de poisson, 1 292 pour les produits textiles en moyenne entre l’automne 1636 et le printemps 1646.
143 De 6,2 à 4,3 % du volume des transactions.
144 ANA/APCA, livre 8.
145 ANA/APCA, livre 27.
146 ANA/APCA, livre 4.
147 Même en imaginant que les livres de forges aient disparu pour la période postérieure à 1635, cela n’explique pas le niveau infime qu’atteignent les ventes cumulées dans les comptes des livres maîtres et dans les livres de salaires.
148 Le conseil de l’Afor ne se tenait pas à date fixe. Selon Fiter Rossell, la tradition voulait qu’il se tint lorsqu’on récoltait les épis à Meritxell (FITER (1748), 2000, 375).
149 ANA/ACSJ, mic. VII, 2 septembre 1700.
150 La soupente de la Maison des Vallées servait de grenier à grains.
151 ANA/APCA, livres 3 et 46.
152 Notamment celui du moulin de Sant Julià. Le locataire se payait sur les quantités moulues. Cela se faisait couramment en nature, chaque charge étant délestée d’une quantité variable lors de la mouture. Ce paiement en nature variait d’une demi punyera (2,08 %) à une punyera et demie (3,10 %), voire 2 punyeres en 1822 (4,16 %) – ANA/ACSJ, livre de la bladeria, 1587- 1738.
153 ANA/ACSJ, livre de la bladeria, 1587-1738.
154 ANA/ACA, livre d’actes 1, comptes de les sagristanies.
155 L’une des difficultés fondamentales de ce commerce était le transport. En louant la dîme, les bénéficiaires évitaient de devoir transporter la production. Généralement, les locataires faisaient de même.
156 ANA/APCA, livre 4, comptes de la dîme 1665 ou ANA/APCA, liasse XIV, doc. 1014, s. d., année 1676.
157 Entre locataires de dîmes, parfois, on stipulait une quantité fixe de grains au lieu d’un montant en argent. En 1676, Guillem Areny Torres sous-loua la dîme épiscopale et celle du chapitre pour Ordino à Areny d’Encamp et Colat d’Andorre contre 70 charges de blé.
158 ANA/ASC, livre 26.
159 ANA/APCA, APCR, ACSJ, ACA, ACO et ACC recoupement des transactions portant sur le blé (1 273 transactions).
160 ANA/ACSJ, livre d’actes 2.
161 Cette augmentation pouvait parfois affecter les remboursements en nature. Ainsi, le 4 avril 1745, le conseil communal décréta que les créanciers donneraient 13 setiers par charge au lieu de 12 – ANA/ACSJ, livre d’actes 3.
162 Notamment lorsque les ventes étaient faites par un locataire de la dîme. En 1646, 20 charges furent vendues à la commune de Pla de Sant Tirs ; en 1684, ce furent 60 charges à Bescaran et 26 à Serc ; en 1686, 40 charges furent livrées à Arcavell ou, à la fin du XVIIe siècle, plusieurs dizaines de charges partirent à Noves -ANA/APCA, liasse X, doc. 733 et livres 4 et 6.
163 JUNOY, 1838, 50.
164 ULRICH, 1851, 377.
165 Prélèvement de 2 pour 17, 2 gerbes par cavalló (VELA, 1996 et PUIG, 1763, 320).
166 ANA/APCA, livre 46.
167 69 et 67 maisons – ANAACO, livre 3, rôles de questia.
168 845,75 charges produites pour 62 feux fiscaux – ANA/APCA, livre 6 et ANAACO, livre 3.
169 À la Massana en 1684, la même estimation donne une production de 14,5 charges pour 88 maisons fiscales ; en 1688 et 1689, ce furent 14,6 et 11,9 charges par maison. À Canillo, la même année, il y avait 9,45 charges par maison fiscale – ANA/APCA, livre 6.
170 ANA/ACO, livre 5 et ANA/APCA, livre 7. Dans tous les cas, le total est obtenu par le doublement de la perception épiscopale. Ce sont les seules années pour lesquelles il est donné un total pour une paroisse complète. Le système de répartition entre les divers locataires ne donne que des résultats partiels pour les autres paroisses.
171 LACHIVER, 1991, 37.
172 ANA/APCA, livre 7.
173 10 hectolitres à l’hectare (MORINEAU, 1971).
174 Nous n’avons pas tenu compte des courtils.
175 Équivalence de 2 gerbes par cavalló, 18 m2 pour 90 m2.
176 27,3 charges pour 6 charges semées – ANA/APCA, livre 4.
177 En 1694, Josep Pal Sucara obtenait 19 charges 8 setiers du secteur des Malladissos à Ordino, la semence avait été de 4 charges 2 setiers, ce qui fait un rendement de 4,72 – ANA/APCA, livre 6.
178 Un autre exemple est fourni par Giberga qui cultiva une terre appartenant à la Castlania d’Andorre de 1682 à 1693. Guillem fournissait la moitié des semences. Les rendements varièrent de 2,5 à 4,8 pour un et la moyenne se situait à 3,9 – ANA/APCA, livre 6.
179 Le prix moyen du blé pour la période 1675-1700 est de 110,3 sous la charge, les années de ventes à 80 et 91 seraient par conséquent des années excédentaires (LE ROY LADURIE. 1977, 574-575).
180 2 charges de semences pour 9,5 charges produites – ANA/APCA, livre 28.
181 ANA/AHQA, livre 1.
182 Le rendement le plus bas fut de 2,19, le maximum de 6,15, la moyenne sur cinq récoltes de 4,26 (1690-1695) – ANA/APCA, livre 6.
183 Ce sont des facteurs déterminants pour approcher la productivité du terroir – MINOVEZ, 1997, 44-46.
184 DURAN, 1986, 186-213 ; WASSBERG, 1986, 259 ; BRUMONT, 1993, 409-413 ; POITRINEAU, 1965 et 1982, 699-705 ; VIVIER, 1992.
185 MORICEAU, 1994, 418.
186 À Montaup, à près de 2 000 m d’altitude, les deux seules années pour lesquelles les rendements peuvent être calculés (1690 et 1724), ils furent de 4,2 et 4,7 – ANA/APCA, livre 29.
187 Une UGB pour un cheval, une vache, 6 porcs et 8 moutons. La superficie fumée par une unité varie grandement dans les estimations de cet auteur (de 37 à 60 ares), nous utiliserons le rapport de 1 pour 40 ares, qui correspond au bas de la fourchette. La superficie totale correspond à celle du cadastre moins 8 % (373 hectares (MORICEAU, 1988, 211-231 et 1994, 420- 422).
188 MATEO, thèse de doctorat en cours, Université de Barcelone et MATEO, GOMEZ, 2000, 81-96.
189 BERTHE, 1976, 95-96 et LARGUIER, 1996a, 158-163.
190 À Ordino, par exemple, deux maisons installées au Serrat à la fin du XIXe siècle sont citées, alors que, dans les rôles de questia des XVIIe et XVIIIe siècles, le dernier village habité est celui de Llorts. A Canillo, dans les comptes de la questia de 1900, il est cité une maison fixée à Mereig, alors qu’auparavant il ne s’agissait que d’une exploitation saisonnière.
191 1596-1599 / 1606-1609 / 1613-1616 / 1621-1622.
192 VILAR, 1962, graphes 67 et 85.
193 À ce sujet, CODINA. 2003. p. 386-392 thèse.
194 Le prix moyen pour la période 1600-1630 est de 63,2 sous la charge – ANA/ACA, ACSJ et APCA, livres de comptes et d’actes.
195 VILAR, 1962, 599.
196 PEIRÓ ARROYO. 1990, tableau 1, 39.
197 C’est une crise majeure en Languedoc, (FRECHE. 2001, 83).
198 Le 7 août 1647, le Conseil de Sant Julià fixait le tarif à 132 sous la charge vendue et à 154 sous la charge prêtée – ANA/ACSJ, livre de la bladeria, 1587-1738.
199 ANA/APCA, livres 27 et 46 ; ACA, livre 1 ; ACSJ, livre 2 ; ACO, livre 3.
200 Moyenne calculée à partir de la série désaisonnalisée (63,52 sous).
201 Elles étaient administrées par la commune qui les louait de la même manière que les cortons. La différence entre les deux types de terres se faisant fréquemment sur la durée du bail : 2 à 4 ans pour les terres des chapellenies, contre une saison pour les cortons – ANA/ACA, livre 1 et ACSJ, livres 1 et 2.
202 Moyenne annuelle des locations par catégorie – ibid.
203 En 1652, sous l’influence de la dévalorisation monétaire, le tarif symbolique qu’utilisait la commune d’Andorre pour fixer le montant des boïgues doubla. Il passa à un sou par terre, il n’y avait, à cette date, toujours aucune variation de valeur entre les parcelles – ANA/ACO, livre 2.
204 S’agit-il uniquement de favoriser les anfochs par rapport aux casalers, de tenir compte du différentiel de superficie à emblaver ou du nombre d’habitants par maison ?
205 Moyenne établie uniquement à partir des salaires fixés à l’année – ANA/APCA, livres 1, 2, 3, 46, 27 et 28.
206 SALES, 1989, 376-387.
207 Celui-ci peut apparaître directement (Untel est mort tel jour) ou indirectement lorsqu’on établit la balance des comptes du défunt avec ses héritiers.
208 Au total, il a été compté 107 décès et 442 cas de maladie qui ne se conclurent pas par un décès entre 1623 et 1725 – ANA/APCA, livres 1 à 6, 27 à 29 et 46.
209 Les ouvriers malades ou trop usés n’étaient pas réembauchés, il ne s’agit dans la plupart des cas que de décès imprévisibles.
210 Dans tous les cas il s’agit de la moyenne trimestrielle – ANA/ACA, ACSJ, APCA, livres d’actes et de comptes.
211 Après cet épisode, la comparaison perd de son intérêt car la part des paiements en numéraire que recevaient les employés avait fortement augmenté, et ils n’avaient plus besoin de recourir systématiquement à des avances pour payer l’assistance sanitaire.
212 Tous les hameaux ne furent pas affectés, une baisse toucha Segudet, Ordino et Ansalonga. La Cortinada resta stable et Llorts gagna une maison – ANA/ACO, livre 3.
213 Décision des Juntes d’interdire l’achat et l’usage des marchandises étrangères.
214 Convocation des Corts, sans présence du roi.
215 VILAR, 1962, 635.
216 Ibid., 636-638.
217 ANA/APCA, livre 4.
218 Les dettes s’échelonnaient de 5 livres d’argent à 634 livres (100 livres en moyenne) – ANA/APCA, livre 4. S’ajoutent les créances inscrites dans les livres de salaires et certaines autres pour lesquelles seuls existe une reconnaissance de dette (liasses XIV et XV).
219 9,5 tonnes de foin en deux ans – ANA/APCA, livre 4, f° 3 v.
220 L’un des exemples les plus clairs de ce type d’actes est celui passé entre la maison Areny et Tolse de Sant Julià. Le montant de l’intérêt des censals que payait Tolse fut converti en herbe. Les 57,5 livres annuelles équivalaient à 9,5 tonnes d’herbe consommées dans les étables de Tolse – ANA/APCA, livre 22.
221 ANA/APCA, livre 4, f° 4.
222 La dette avait été établie à 21 sous 3 deniers d’argent, le doublon en 1662 était comptabilisé à 73 sous 4 deniers d’argent.
223 Ventes perpétuelles et ventes à carta de gràcia pour lesquelles le vendeur possédait un droit de rachat. Sur le court terme, l’absence de rachat permet de ne pas faire la différence, puisque dans la pratique il n’y avait pas de divergence.
224 ANA/APCA, livres 4, 6 et 22.
225 151 actes – ANA/APCA, liasses I, V et VI.
226 Les témoignages que livrent les comptes sont plus précis sur ce point que la documentation notariale puisque, lorsqu’un censal était soldé, l’acte revenait à l’ancien débiteur.
227 La première terre valait 90 livres, la seconde 290 – ANA/APCA, livre 4, f 79 r. v. et 81 v.
228 De fait, il était créditeur de 8 livres 6 sous – ibid.
229 51,3 livres pour solder un censal que payait Vilella à la chapellenie d’Encamp, 302 livres à Joan Rull de la Massana, 160 livres à Call de Segudet, 94 à un certain Geroni – ibid.
230 ANA/APCA, liasse V, doc. 360 et livre 22, F 4.
231 BRUTAILS, 1904, 206-214
232 Un premier sondage réalisé dans les documents de la maison Rossell d’Ordino met en évidence la formation d’une part importante du patrimoine foncier au cours de la même période, mais nous ne connaissons pas dans le détail le mécanisme de formation.
233 Les paiements indirects pour les impôts (dîme, questia, talles), pour la justice ou les frais médicaux constituaient une autre facette de ces paiements dérivés auxquels s’ajoutaient les prêts sur récolte et les diverses avances sur salaire.
234 ANA/ACA, livre 1, 1607-1753.
235 S’ajoutaient Josep Sola de Guissona, Roc Domenech de Ribera d’Ebre, Francesc Forner et Bernat Trell de la Seu et la municipalité de Bel.loch – ANA/APCA, livre 22.
236 4 actes cancellés avant 1680 avaient été fondés entre 1616 et 1650. 16 autres, annulés après 1680, dataient de la période 1659-1680. Les écritures de certains actes cancellés au cours de cette période n’apparaissent pas dans les comptes antérieurs. En les comptabilisant, ce ne sont pas 28 censals qui entrèrent dans le patrimoine Areny entre 1660 et 1680, mais 35, un tiers des comptes recensés dans le livre 4 finirent par se solder par la création d’un censal – ANA/APCA, livres 4, 5, 6 et 28.
237 Nous n’avons pas tenu compte des actes fondés et cancellés dans la première moitié du XVIIe siècle.
238 Chapellenie de Sainte-Lucie, des abbés (abats), du corps du Christ et de Saint-Esteve.
239 Sant Miquel d’Engolasters, Sant Jaume d’Engordany, Sant Romà dels Vilars, Sant Pere Martyr aux Escaldes et Sant Andreu, Sant Pere, Santa Coloma et Sant Vicenç à Andorre.
240 La plupart des prés que louait la commune appartenaient à des chapellenies.
241 La valeur moyenne du troupeau adulte était approximativement de 411 livres – ANA/APCA, livres 2 et 3, prix des bovins, 1630-1640
242 ANA/APCA, liasse XI, Areny d’Erts, doc. 774, 27 septembre 1650.
243 ANA/APCA, liasse XI, Mas de les Bons, doc. 777, 17 août 1682.
244 ANA/APCA, liasse XI, Torres d’Encamp, doc. 786, 19 janvier 1643.
245 Les propriétaires devaient payer le tarif même s’ils avaient fait estiver leurs bovins par leurs propres moyens. Parfois, une amende était prévue pour ceux qui refusaient de donner les animaux à garder.
246 Il s’agit du total des gains calculé en convertissant tous les produits en nature en argent au cours de l’année de compte. Le capital bloqué en cheptel n’a pas été comptabilisé.
247 Notons qu’elle est quasi inexistante pour la commune d’Andorre qui ne connut qu’un mouvement de stagnation entre 1686 et 1694 pour atteindre un maximum en 1700.
248 BARAUT, 1979, doc. n° 1.
249 Il est intéressant de noter que les comptes se passaient devant le Conseil de la confrérie et qu’il est précisé que le Conseil des Vallées ne pouvait intervenir. Cette règle, même si elle disparut par la suite, montre bien que, au XVIIe siècle, l’autorité de ce Conseil n’est nullement ressentie comme un pouvoir supérieur qui aurait à légiférer comme un gouvernement des vallées.
250 Veille des malades à tour de rôle et participation aux frais, tant de maladie que d’enterrement, en proportion des moyens de la confrérie.
251 Le document mentionne trois catégories, le maître, l’apprenti et le valet.
252 Les femmes sont mentionnées ponctuellement dans les comptes, mais il est impossible de connaître leur degré d’implication dans la production. Il pouvait être important. À Alpens en 1765, 10 pareurs et 15 tisserands, produisant un peu plus de 300 pièces annuelles, donnaient du travail à 20 journaliers, 15 tisseurs, 8 apprentis, 62 femmes et 18 enfants (PLANES, 1997, 102). Ce type de production textile lainière était fortement lié à l’organisation familiale (TORRAS, 1987, 145-160).
253 Cadins : toile de laine tissée à l’imitation des étoffes anglaises (ALCOVER, MOLL, 1956, Vol II, 809) – ANA/ASC, 1. 9, f° 137.
254 Cela fait 11 anfochs sur 13 aux Escaldes (84,6 %), 5 sur 15 à Engordany (33,3 %) et aucun à Andorre, ANA/ACA, livre d’actes 1, 1607-1753.
255 Notamment Llaurens Sinsat et Guillem Gautier. L’implantation d’ouvriers étrangers est confirmée dans les comptes, Joan Vinyes de Cerdagne était installé chez Miquel Ribot Xim – ANA/APCA, livre 29.
256 De fait, il faudrait en ajouter une puisque Pere Duran d’Andorre, qui n’apparaît pas dans la liste des membres de la confrérie en 1606, travailla pour la maison Areny – ANA/APCA, livres 1 et 4.
257 N’oublions pas que les pareurs faisaient également partie de la confrérie et qu’ils n’étaient pas obligatoirement producteurs de tissus.
258 ANA/ACA, livre 1, 1607-1753.
259 7,7 sous en moyenne pour les maisons de tisseurs, 6,3 pour l’ensemble des maisons de la commune et 5,9 sous pour les maisons non affiliées.
260 Ce fut le cas de Miquel Valls d’Andorre, puis de Joan Ribot Climent, qui furent engagés comme vachers communaux. Au niveau privé, certains tisseurs furent engagés comme pâtres ou pour des travaux agricoles – ANA/APCA, livre 29.
261 Il s’agit le plus souvent d’un loyer honorifique, le preneur donnait de 10 ou 15 réaux pour payer l’olifara, c’est-à-dire le repas servi aux conseillers le jour de la location – ANA/ACA, livre 1, (1607-1753).
262 Sur un siècle, pour 797 contrats, ils prirent 54 % des contrats pour l’hôtel, la taverne et la boulangerie ; 37 % pour la boucherie ; 34 % pour les locations foncières agricoles et 9,7 % pour les estives – ANA/ACA, livre d’actes 1.
263 MINOVEZ, 2000, 67-85.
264 Nous disposons des comptes de Miquel Duran et Miquel Montanya d’Andorre, de Jaume Joan Esteve Moxella d’Engordany, de Miquel Imbert, père et fils, de Joan Montanya et de Moga des Escaldes – ANA/APCA, livre 4 (1658-1680).
265 La livraison de laine déjà filée confirme que contrairement à ce que préconisent les statuts de la confrérie, les tisserands ne travaillaient pas uniquement à partir de la matière première brute. Les différences de taux par aune entre la liste de tarifs de la confrérie et les comptes patrimoniaux sont quasi systématiquement enregistrées pour des livraisons de fil. Cette variation correspond sans doute au salaire du fileur, mais celui-ci, comme le prix de la laine filée, n’a été relevé dans aucun compte. Seule était mentionnée la quantité livrée. Sur ce point, Guillem Areny Torres agissait probablement comme le faisaient certains pareurs en se plaçant en amont et en aval de la filière.
266 Le burell, tissu de laine grossière généralement de couleur foncée.
267 Tous les prix de tissus sont donnés en monnaie d’argent, le rapport entre 1660 et 1680 était de 1 réal d’argent pour 3 sous courants.
268 La part du tissage était supérieure pour la laine blanche, puisque, au même moment, elle était livrée à 2 sous la livre et que le tarif du tissage ne variait pas selon la qualité de la laine.
269 La teinture était omise dans les statuts de la confrérie, cela donne un certain crédit aux chiffres issus du fonds patrimonial. La modestie des ateliers et la vente en blanc des étoffes apparentent le centre textile des Escaldes à celui décrit par J.M. Minovez pour le pays de Foix (1997, 60).
270 La plupart des pièces confectionnées étaient estimées à la quantité d’étoffe employée par le tailleur. De 1660 à 1680, le tarif de l’aune de bure, « taillée et cousue », varia de 40 à 48 sous courants, de 26 sous 8 deniers à 32 sous d’argent selon la qualité et la largeur de la pièce d’étoffe utilisée – ANA/APCA, livres 28 et 29.
271 D’après les comptes, il fallait un peu plus d’un mois pour tisser une pièce de bure parée. Ainsi, le 11 novembre 1670, Guillem envoyait la laine à Joan Montanya. Il ne reçut les quatre pièces d’étoffe que sept mois plus tard (17 juin 1671). Mais comme nous ne possédons les comptes que pour Guillem Areny Torres et que cette relation n’impliquait pas une exclusivité, il est difficile de savoir si le tisserand avait également travaillé pour une autre personne.
272 Au niveau communal, le premier était le septième, le second était trente-septième sur 123 contribuables.
273 La façon de la toile de serviette de toilette étroite valait 16 deniers l’aune, celle de la toile d’étoupe large (5 pams), dite également borra (serpillière), valait 20 deniers et celle des serviettes de table 40 deniers – ANA/APCA, livre 29.
274 MINOVEZ, 1997, 57-58.
275 Pour la notion de population seuil, THOMAS, 1993. 159-164 et MINOVEZ, 2000.
276 Rappelons qu’il s’agit de la confrérie des tisserands et des pareurs de laine. L’ouvrage de ces derniers ne constituait que la première étape de la production. Ils fournissaient la matière première et récupéraient la production finie, ce qui les place aux deux extrémités de la chaîne de production. C’était également le cas dans la structure de production du Lluçanès (PLANES, 1997, 95-98).
277 16 aux Escaldes, 10 à Engordany, 8 à Andorre, 10 à Sant Julià et 1 à la Massana, liste des paiements perçus par l’administrateur des tisserands inscrits à la compagnie, Joan Pujal (BARAUT, 1979).
278 JUNOY, 1838, 52.
279 ULRICH. 1851, 362-462.
280 ANA/APCA, livres 28 et 29.
281 Le développement de l’industrie textile catalane de la laine à partir du milieu du XVIIIe siècle (Ripollès, Osona et Bages), mais aussi celle des indiennes sur la façade littorale (Garraf, Baix Llobregat, Maresme, Barcelonès et Maresme) modifia profondément ce marché et fut à la base de l’expansion d’un commerce important (MUSET, 1997). Cette nouvelle offre – bien que pour les indiennes on ne puisse pas vraiment parler de concurrence tant les productions sont différentes – ne pouvait que réduire le rayon de diffusion des toiles andorranes et accentuer plus encore le caractère local de cette production.
282 Selon le colonel Ulrich, les 9 boutiques implantées à Sant Julià étaient spécialisées dans la vente de tissus français (ULRICH, 1851, 378).
283 Ponctuellement sont mentionnés M. Bugar, M. Maillard et Venesa Ponsan et un colporteur J. Soulage – ANA/APCA, livre 6.
284 Sur ce point la situation avait également changé. Par rapport à la première phase d’importation, la pistole qui représentait 45,5 % du numéraire avait supplanté le doublon qui ne faisait plus que 2,5 % de la masse monétaire, contre 48 % quarante ans auparavant. Le rôle des piastres avait augmenté (20 %). Pour le reste, 6,5 % en réaux d’argent et 17,5 % en monnaie catalane sans précision de l’espèce constituaient l’ensemble de la monnaie étrangère qui fut envoyée à Toulouse. Le ducat, le trenti, le réal de 8 et le marc avaient complètement disparu des comptes. Malgré ces modifications, le passage de la monnaie espagnole vers le Languedoc était resté important puisque la livre tournois, qui servait d’unité de compte dans toutes les transactions d’importation, n’entrait que pour 8 % dans les liquidités – ibid.
285 Ces produits continuaient à être exportés sur le marché local. Ils n’entraient pas dans les comptes de la compagnie qui traitait de l’import-export, alors que la filière utilisée était la même.
286 ANA/APCA, doc. 1024, liasse XIV.
287 Il en était de même avec les textiles – ANA/APCA, doc. 1023, liasse XIV.
288 Nous ne possédons pas les comptes détaillés des muletiers comme cela fut le cas en 1636- 1645. D’après les balances de comptes, l’essentiel du passage se faisait entre le mois de mars et le mois de mai (73 %). De même, 93,5 % des droits de foraine et de leude furent acquittés au cours de cette période. La reprise d’un cycle commercial « normal » met en évidence le caractère exceptionnel des flux au cours de la période précédente – ibid.
289 Principalement, aiguilles d’Angleterre, des Flandres, plumes et agrafes.
290 Fils de coton, rubans de couleur, à petits carreaux, imprimés.
291 Jacques Lavernia était le fils de Louis Lavernia. Ce dernier était probablement originaire d’Auvergne ; installé à Tarascon. il apparaît dans le négoce transfrontalier au sein de la compagnie Areny. Par la suite, Louis s’installa à Sant Julià et son fils finit par le faire à Tàrrega.
292 Le choix de la ville de Tàrrega n’est pas un hasard, cette décision situait la boutique sur l’un des axes routiers principaux de Catalogne : la route qui reliait Barcelone à Lleida.
293 Entre 1686 et 1689, il est possible qu’une partie des importations ait suivi la même filière que le fonds de la boutique et n’ait pas été inscrite dans le livre de la compagnie. Tàrrega comptait un peu moins de 2 000 habitants à la fin du XVIIe siècle, il semble logique de penser que ces boutiques ne visaient pas que le marché local et qu’elles constituaient d’abord des points servant à diffuser les articles dans une région plus large (PLANES, 1989, 23-35).
294 Pour certains produits, il pouvait même être supérieur, par exemple pour la toile de Rouen l’augmentation était de 128 %.
295 L’inexistence de comptes détaillés ne permet pas de connaître la marge bénéficiaire réelle.
296 ANA/APCA, regroupement des livres de comptes.
297 La modification des caractéristiques (couleur, largeur, type, etc.) ne permet de suivre de manière fiable que quelques exemples d’étoffes.
298 43,59 % pour le cadis rouge, 75,61 % pour le camelot et 92,31 % pour le bouragan.
299 Laval, renni ou Rouen. Il s’agissait toujours de la même étoffe, mais de qualité inférieure par rapport à la marchandise empaquetée.
300 Fer commun en opposition au fer fort (acier naturel).
301 Mis à part les clients achetant pour leur usage, certains banquiers ou changeurs n’intervenant que pour des opérations financières, il n’y a pas de recoupement entre la liste des acheteurs de textile et celle des autres activités.
302 Les mentions de muletiers achetant pour la revente sont quasiment inexistantes dans les comptes de la compagnie.
303 En 1687, Bernard De Guillhem, qui jusqu’alors n’était apparu que comme fournisseur, est mentionné comme débiteur pour des marchandises livrées par la boutique de la compagnie. Il semble donc qu’il avait investi ou s’était associé à une tierce personne afin d’intervenir directement dans la distribution – ANA/APCA, livre 5.
304 On cite des muletiers français, gascons, ariégeois, mais aussi catalans, sans plus de précisions. L’absence de comptes et de salaires laisse penser que ces employés n’intervenaient pas dans d’autres secteurs d’activité, alors que, à l’inverse, pour les salariés andorrans, les informations se recoupent systématiquement dans les diverses sources. Il n’est pas improbable que ce mouvement salarial ait à voir avec « les remues d’hommes » qu’observe Abel Poitrineau pour le Massif Central à la fin du cycle agricole. Les hommes allaient chercher du travail outre-Pyrénées jusqu’au printemps (POITRINEAU, 1965).
305 Notamment, à l’inverse de ce qui est observable quarante ans auparavant, il est impossible de retrouver les propriétaires des autres compagnies pastorales dans les comptes de la compagnie textile. La spécialisation de ce marché et l’absence de recoupement avec les autres marchés laissent supposer que ce type d’investissement fut moins généralisé qu’au cours de la première phase.
306 Les années qui n’ont pas été prises en compte correspondent à des périodes pour lesquelles il est évident qu’une partie importante des documents comptables ne nous est pas parvenue.
307 Résultat du croisement de l’ensemble des livres de comptes (41 294 transactions).
308 L’élevage ovin est aux mains d’employés et d’associés. La comptabilité de la forge, qui a rouvert ses portes à la fin XVIIe siècle, n’a pas été conservée. La commercialisation et certains salaires étaient inscrits dans les livres maîtres, mais il manque les livrets traitant de la production et de la vente directe depuis la fabrique (cf. infra). En revanche, les comptes du commerce, des dîmes, du foncier et de l’élevage équin semblent complets.
309 Il ne s’agit que de la part en numéraire, l’entretien des employés n’a pas été comptabilisé.
310 A la fin du XVIIe siècle, le prix de vente moyen d’un mulet était de 75 livres, celui d’une mule de 100 livres et celui d’un étalon dépassait 160 livres, alors que le prix d’un poulain était de 16 livres – ANA/APCA, livres 48 et 49.
311 En réalité, c’est un minimum, puisque de nombreux actes citent des achats du tiers ou de la moitié de la production, fréquemment en paiement d’une dette, sans qu’il soit possible de déterminer la quantité de fourrage considérée.
312 Au niveau communal, c’est cette position qui lui permit de monopoliser certaines estives que les communes de Canillo et d’Ordino durent hypothéquer au cours de la seconde moitié du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. A la même période, on retrouve dans ce rôle les autres propriétaires de compagnies pastorales (cf. supra).
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