II. Conseil Général, taxes et communes, la monnaie et les circuits de prélèvement
p. 99-199
Texte intégral
1En principauté, impôts et administration générale et locale sont indissociables. L’un des rôles essentiels que tenaient les conseils était celui de la répartition des prélèvements. Le Conseil des Vallées répercutait sur les communes les taxes dues aux deux coprinces et les conseils communaux les répartissaient à leur tour sur les habitants. De prime abord, cette organisation présente un fort caractère pyramidal, mais il ne faut pas s’y tromper, l’aspect hiérarchique qui sous-tend le dispositif utilisé pour la perception des taxes n’était que l’un des aspects de cette organisation des conseils. Le destin administratif, politique et religieux des habitants se nouait principalement aux niveaux inférieurs. La base de cette pyramide des pouvoirs n’était pas si homogène qu’il y paraît. En premier lieu, tous les feux fiscaux n’étaient pas égaux face aux conseils. Ils se divisaient en deux groupes bien différenciés, les anfochs et les casalers. Même si la vision globale qu’elle fournit est partiellement tronquée, l’utilisation de l’enchaînement qui conduit de la Maison des Vallées aux maisons particulières en passant par la commune, permet une analyse assez cohérente des mécanismes financiers de la collectivité. L’étude de l’impact économique de l’impôt sur les communautés des vallées conduit au cœur du monde privé.
II.a. Commune et conseils, l’imbrication des compétences
2La possession de la terre était le fondement de l’appartenance à la communauté. Seuls avaient une reconnaissance politique les propriétaires d’une maison. De fait, seuls pouvaient avoir accès aux conseils communaux les héritiers mâles d’une maison d’anfoch. Les autres maisons constituaient ce que l’on nommait les casalers, c’est-à-dire des propriétaires imposables qui n’avaient pas de représentation politique. Astreints au respect de la réglementation communale, ils ne pouvaient intervenir qu’indirectement dans son élaboration. Cette division de la société civile entre maisons qui disposaient ou non des pleins droits politiques a été en vigueur jusqu’en 18661. Le statut d’anfoch conférerait une notion « d’ancestralité » aux maisons qui le possédaient : ces familles étaient considérées comme les descendantes des fondateurs du système. A l’opposé, les casalers étaient présentés comme les nouveaux arrivants, ceux qui n’avaient le droit que de s’établir. L’étude de la documentation montre une réalité plus complexe.
II.a.1 Anfochs et casalers, une organisation clanique ?
3Dans les plus anciens livres de comptes communaux consultés, cette segmentation bipartite de la société apparaît différemment2. Il n’est pas explicitement fait allusion à un statut de casalers, seule est citée la filiation entre les propriétaires. Par exemple, en 1551 et 1557, pour la répartition proportionnelle des bleds de la questia, 21 maisons reconnues uniquement par le nom de leur propriétaire furent différenciées d’un second groupe composé de 36 maisons en 1551, puis 37 en 1557, pour lesquelles n’était cité qu’un lien familial avec les premières. L’analyse de cette relation permet d’établir que, dans tous les cas, il s’agissait de cadets de famille3 et que les femmes étaient exclues. L’application de la règle de la primogéniture à la succession avait institué les droits de la fille aînée qui héritait de l’ensemble des biens et des droits familiaux (pubilla). En revanche, dans le cadre communautaire, la femme restait constamment en état de minorité et n’intervenait qu’indirectement au travers de représentants. En 1557, dans vingt-deux cas sur cinquante-huit, le titulaire de ces maisons était le mari d’une cadette originaire d’une maison du premier groupe4.
4Le reste des hommes, énumérés dans ces documents fiscaux du XVIe siècle, se composait exclusivement de cadets. Seule variait la relation entre générations. L’héritier restait dans l’ombre du père alors qu’un cadet avait pu s’émanciper de la tutelle patriarcale. Même si la documentation consultée reste fragmentaire, il semble logique de voir dans cette organisation l’une des conséquences directes de l’évolution qui affecta la société andorrane aux XIVe et XVe siècles5. La mise en place de l’heretament, qui privilégiait l’héritier au détriment des frères et sœurs, était l’axe principal de l’organisation sociale. La scission entre les proceres et le peuple, qui supplanta l’antérieure « communauté des habitants des vallées »6, portait les germes de la structure bipartite qui caractérisa l’organisation communale pendant la période moderne. Cette dualité, observable au niveau de la commune, l’est également au niveau du quart ou des veïnats. Comme l’organisation de ces villages semble antérieure à celle des communes ; il est tentant d’établir un lien de filiation avec le modèle des villages « casaliers » défini par Benoît Cursente, la collectivité aurait plaqué sur la structure communale l’organisation qu’elle employait au village7.
5L’absence de documentation continue ne permet pas de voir de corrélation directe entre ces premières listes de taillables et celles établies par la suite8. En 1614, il y avait 77 feux implantés dans la commune de Canillo, 54 étaient des maisons d’anfoch, 23 des casalers. En dehors de trois cas pour lesquels il est possible de découvrir un lien familial, il n’est plus fait de mention systématique au lien de parenté entre ces deux groupes. En 1671, seuls 38 des noms de maisons correspondent exactement à ceux qui figuraient dans les listes antérieures9. Les deux types de maisons y étaient représentés. Il semble donc que les premiers dénombrements dépouillés concernaient effectivement l’ensemble des taillables et que les deux groupes composant la totalité des feux fiscaux avaient été pris en compte. La distinction entre maisons qui possédaient leurs droits par descendance et celles qui avaient besoin d’un intermédiaire les liant à l’une des premières peut être interprétée comme équivalent à la notion d’anfoch et de casalers qui fut utilisée par la suite.
6L’organisation communale présentait un caractère clanique. En 1709, le Conseil communal de Sant Julià confirme cette caractéristique puisqu’interdiction était faite à tout étranger non apparenté à une maison existante de fonder une maison10. C’est l’appartenance à l’un des groupes fondateurs qui autorisait l’indépendance des membres et la possibilité de fonder une nouvelle unité d’habitation. Ce dispositif n’excluait pas totalement les étrangers11. Ce groupe était constitué d’immigrés qui recevaient l’autorisation de résider dans la commune, après dépôt d’une demande devant le Conseil communal. L’acceptation de leur demande pouvait être subordonnée à la présentation d’une lettre de bonne conduite du curé de leur paroisse d’origine12. Une fois acceptés, les nouveaux venus étaient assimilés à des casalers et la référence à leur origine restait parfois dans le nom de leur maison. Celle-ci était dite poblador de tel lieu. Cette réalité est illustrée, entre autres, par les maisons des pobladors de Santa Coloma, de Canillo ou de Sornàs.
7Le dépouillement complet des listes fiscales n’a été réalisé que pour les communes d’Ordino et de Canillo13. Ce travail a été complété par divers sondages effectués dans les fonds communaux d’Andorre et de Sant Julià. Entre 1614 et 1625, à Ordino, étaient recensés 40 anfochs pour 34 ou 35 casalers selon les listes. A Canillo, il y en avait 54 pour 23 en 1614 et 54 pour 31 en 1625. Le ratio entre les deux groupes était respectivement de 2,34 anfochs pour un casaler à Canillo et de 1,17 à Ordino. Dix ans plus tard, il était respectivement de 1,74 à Canillo et de 1,14 à Ordino. Conjointement pour les deux communes, il était passé de 1,64 à 1,42. Dans l’ensemble, il est possible de conclure que, dans la première moitié du XVIIe siècle, le contrôle de la commune retombait sur la plus grande partie des familles résidantes puisque les anfochs étaient majoritaires dans les dénombrements.
II.a.2. Le Conseil Général, un aperçu de son rôle au XVIIe siècle à travers les comptes
8Cette distinction administrative qui ouvrait les portes des différents conseils aux maisons d’anfochs n’impliquait pas que des droits : elles devaient s’acquitter d’une taxe particulière dite de foc gros. Celle-ci constituait l’un des piliers du budget du Conseil des Vallées14. L’analyse des livres de comptes de ce Conseil met en évidence la tenue de deux comptabilités complémentaires qui se trouvaient partiellement imbriquées. L’absence de textes ou de renseignements traitant, de manière concrète, du fonctionnement interne de ce Conseil oblige à mettre à jour les mécanismes utilisés à partir des divers documents comptables, établis par les diverses administrations, afin de démêler les tenants de cet organisme.
II.a.2.1. Évolution de la valeur et de la répartition de l’impôt (1288-1900)
9Dans les comptes, la part de numéraire la plus importante revenait à la questia que l’on payait alternativement aux deux coseigneurs15. Lors de l’établissement du recouvrement en 1288, la part épiscopale avait été fixée à 4 000 sous, somme équivalente à celle qui était prélevée au XVIIe siècle puisque, au cours de la période 1635-1655, le montant annuel de cet impôt était de 200 livres. Pour ce qui est de la part comtale, le cas était différent. En 1748, Fiter Rossell notait que la somme déboursée pour l’évêque devait être le tiers du montant attribué au roi16. Selon cette proportion, la taxe comtale aurait dû être de 600 livres alors qu’il était payé 748 livres (1 870 livres tournois), la différence provenant de deux types de modifications.
10En 1462, le comte de Foix avait fixé la questia à 1 000 florins17. Le rapport florin / sou établi pour cet acte est inconnu. On peut relever cependant que, cinq ans plus tôt (1457), Alphonse le Magnanime avait fixé la parité du florin à 13 sous au lieu de 11 afin de mettre fin à la spéculation qui mettait à mal la trésorerie du royaume18. Avant la promulgation de ce décret, la taxe comtale, estimée au triple de celle de l’évêque19, valait 600 livres soit 1 090 florins. En 1458, elle n’en valait plus que 923 et la dévaluation du sou se poursuivait. En décidant de bloquer l’impôt à 1 000 florins, le comte limitait la perte consécutive à l’affaiblissement de la monnaie. Plutôt qu’une augmentation du montant de l’impôt causée par la réaction féodale, la décision comtale répondait à la recherche d’une stabilité des revenus en période de crise monétaire. Par ce biais, le montant nominal de la questia se trouvait consolidé en une monnaie facile à importer par le comté. D’ailleurs, cette prédilection pour la monnaie catalane ne concernait pas que l’Andorre. Les transactions que fit le comte de Foix de ses seigneuries catalanes se firent également en florins20. Au cours de cette période, cette monnaie avait une grande diffusion en Languedoc.
11Cette décision eut une double conséquence. En premier lieu, elle limitait le champ d’action du comte puisque cela figeait une taxe dont il déterminait librement le montant tous les deux ans. En second lieu, elle faussait la proportion du tribut qui revenait aux deux seigneurs puisque, à partir de 1462, par un phénomène monétaire inverse du précédent, le montant nominal de la taxe comtale fixé en florins s’accrut régulièrement par rapport à celui de l’évêque estimé en sous d’argent. En 1633, la questia comtale valait 748 livres contre 650 en 1462. Mais alors que le taux du florin atteignit 17 sous, la valeur de la questia ne se modifiait plus. Entre temps, la perception comtale avait été convertie en livres tournois. La date de cette modification n’est pas connue21, mais il faut probablement y voir l’influence du changement du statut du coprince : en 1589, Henri de Navarre accédait au trône de France.
12Pour ce qui est de la contribution épiscopale, l’addition d’un paiement supplémentaire à la questia, la menjaria, avait un effet correcteur. Selon Fiter Rossell, celle-ci correspondait à un ancien versement que donnaient les communes au viguier délégué de l’évêque dans les vallées. La disparition de cette charge aurait fait passer ce versement dans l’escarcelle de l’évêché22. De 1631 à 1655, le montant de la menjaria acquitté par le Conseil fut de 28 livres annuelles23. Au cours de cette vingtaine d’années, le rapport entre les annuités versées aux deux seigneurs fut inférieur à ce qu’indiquait Fiter Rossell puisque l’évêque recevait approximativement 9 % de moins que ce qui lui revenait en théorie. De plus, l’effet correcteur de la menjaria pose un problème d’analyse. En effet, l’addition à la questia semble relever davantage d’une procédure comptable que de l’application d’une mesure compensatoire. Mentionnés séparément puis en commun jusqu’à la fin du XIXe siècle, ces deux tributs ne se confondaient pas. Au cours de la période moderne, la relation fixe qu’établissait Fiter Rossell entre les taxes comtales et épiscopales ne correspondait à aucune réalité.
13Les modifications qui affectaient les paiements de la questia se fondaient dans tous les cas sur des variations monétaires. Par exemple, en 1687, la part épiscopale passa à 319,2 livres courantes. Il recevait 228 réaux de huit pour la menjaria et la questia24. Il ne s’agit pas d’une augmentation réelle puisque le réal de huit était compté à 20 sous d’argent. La stabilité du recouvrement perdura jusqu’à la période contemporaine puisque c’était encore cette même somme que déboursait le Conseil Général à la fin du XIXe siècle25. Pour ce qui est de la part royale, on relève une continuité comparable. Entre 1633 et 1805, seul le rapport entre les monnaies française et catalane fit varier la somme déboursée. En 1748, Fiter Rossell notait que la questia royale valait 1 975 francs, 105 livres de plus que ce que l’on payait un siècle auparavant. Entre temps, le rapport entre les deux monnaies était passé de 2,5 à 2,66 livres tournois pour une livre barcelonaise. Finalement, la questia fut fixée à 1 920 francs par le décret de Napoléon Ier signé en 180626. Ce montant resta constant tout au long du XIXe siècle.
14Bien évidemment, cette stabilité de la questia est toute relative puisque les prix, les salaires, la teneur en métal de la monnaie, mais aussi l’assiette de l’impôt varièrent. Malgré cela, il semble évident que si le montant nominal de la taxe ne changea quasiment pas27, c’est qu’il n’y eut pas de volonté des seigneurs de modifier la fiscalité. A l’opposé de ce qu’il se passa au XIIIe siècle, où le passage du cens comtal à la questia avait multiplié par quarante le prélèvement, le comte et plus encore le roi ne cherchèrent aucunement à actualiser le montant de l’impôt. Les impôts réformés ne s’appliquaient pas dans les vallées, celles-ci ne faisaient pas partie des territoires affectés par les politiques fiscales de Richelieu, Fouquet ou Colbert. A titre de comparaison, entre 1450 et 1750, la taille royale à Montpellier enregistra un taux de croissance supérieur à celui des prix céréaliers28. En Andorre, au cours de la même période, la valeur nominale de l’impôt bisannuel, non corrigée des variations monétaires, n’augmenta que de 11 %, alors que les prix à la consommation avaient plus que quadruplé. Dans un contexte marqué par les réformes qui affectaient la Catalogne, l’insistance avec laquelle Fiter Rossell liait l’impôt que recevait la mitre au tiers de celui du roi dénote une volonté de tenter de limiter la politique fiscale épiscopale. Plus au fait de la réalité andorrane, l’évêque pouvait plus facilement être tenté de modifier la valeur de la taxe. En unissant la questia épiscopale à celle du roi, il la subordonnait directement à la volonté d’un seigneur absent et lointain. Seule une décision bilatérale, donc improbable, pouvait venir modifier profondément l’assise de la redevance. L’évolution de cette charge jusqu’au XIXe siècle lui donna raison.
15Afin de répartir la part de l’impôt qui incombait à chacune des paroisses, le Conseil des Vallées se réunissait au mois de décembre lors du conseil dit de la Saint-Thomas. Pour effectuer la répartition, les membres du Conseil se fondaient sur les listes fiscales présentées par les compters lors du conseil de Saint-André (30 novembre). Ce dénombrement correspondait à la situation fiscale de la commune l’année antérieure au règlement. La redevance épiscopale suivante était basée sur une réduction au tiers de la base imposable qui avait été utilisée pour payer le roi. Comme cela vient d’être vu, le partage au tiers affectait les paiements effectués par les communes, pas le versement qui était fait au coprince29. Les diverses listes fiscales qui étaient établies au niveau local prenaient en compte différents types d’unités fiscales qui finissaient par être regroupées en deux unités fondamentales : le metador et l’averia.
16L’un des dénombrements considérait la production annuelle de céréales qui s’évaluait fin août ou début septembre. Dans un premier temps, les gerbes étaient estimées en cavallons30, puis, par la suite, les cavallons étaient regroupés de 120 en 120 afin de constituer les metadors31. Un second type de recensement visait ce que l’on nommait les metadors de pa. Selon les auteurs, ils correspondaient au recensement soit du nombre d’habitants en âge de communier, soit aux seuls célibataires adultes. La documentation consultée n’a pas permis de clarifier ce point. Dans les deux cas, les membres du clergé étaient exclus de ce dénombrement, mais pas les personnes qui habitaient avec eux. Le troisième genre de rôles que l’on rédigeait était celui qui servait au dénombrement des animaux : les padrals. Ces listes, dressées entre la fin mai et la Saint-Luc (18 octobre), étaient divisées en deux grandes parties. Les « gros animaux », c’est-à-dire les équins et les bovins, constituaient la dernière composante du metador : chaque tête de gros bétail équivalait à une unité de compte32. Le reste des animaux à poil et à laine (ovins, caprins et porcins) formait ce que l’on nommait les averies. Les agneaux et les chevreaux n’entraient pas dans le comptage de la questia. En définitive, toutes les années où était établie la redevance du roi, chaque commune devait dénoncer un nombre global de metadors et d’averies qui résumait l’ensemble de ses ressources agropastorales33.
17Les textes traitant de manière théorique le système de répartition de la questia sont très clairs. On ne peut guère étudier ultérieurement le respect des règles édictées. L’analyse sérielle possible pour certaines données générales ne peut être faite pour ce qui touche au détail. La mise à jour des divers facteurs qui interviennent dans l’impôt est donc difficile, même si les renseignements ne font pas totalement défaut.
18Pour les averies, par exemple, la question trouve une réponse simple : le chiffre annoncé dans les rôles bisannuels était fondamentalement tributaire du nombre d’ovins. Les comptes des diverses compagnies pastorales exploitant un cheptel mixte composé d’ovins et caprins permettent de calculer que, dans tous les cas analysés, l’importance des caprins est constamment inférieure à 4 % du troupeau34. Si l’on admet a priori que les possibilités et la volonté de fraude étaient restées sensiblement les mêmes au cours de toute la période d’observation, l’évolution de la quantité d’averies présentées pour la questia semble constituer un moyen assez fiable pour suivre l’évolution du cheptel ovin andorran sur le long terme.
19Pour les metadors de questia, l’analyse des données est plus complexe. Les sources utilisables sont moins nombreuses et divers facteurs sont à tenir en compte. Le document le plus explicite que nous possédons au sujet du rôle de la production céréalière date de 1792. Cette année-là, il y avait 1 337 metadors dans la commune de Canillo auxquels s’ajoutaient 4 423 cavallons de blé qui furent réduits à 40 metadors35. La conversion avait été faite à 110,5 cavallons au lieu des 120 que prônait l’auteur du Manual Digest. Les bleds constituaient 2,9 % de la quantité totale de metadors déclarés.
20L’absence de liste de contribuables comptabilisant uniquement la production céréalière en vue du paiement de la questia laisse supposer que ce tribut pouvait être établi à partir des rôles de dîme. En théorie, comme pour la questia, la production céréalière se comptait en gerbes. Mais cette fois encore, les sources dont on peut tirer des renseignements sont maigres. Dans la plupart des cas, seuls ont été conservés les inventaires globaux relevés lorsque les collecteurs avaient converti la récolte en charges de grains, c’est-à-dire lorsqu’elle avait été battue, ventée et engrangée. Les fermiers de la dîme attendaient de connaître le volume de grains pour se répartir la dîme ou pour en fixer les prix. Cela ne se faisait jamais à partir de la gerbe. C’est l’inexistence d’un lien de causalité entre le volume et le nombre de gerbes qui motivait la précision faite en 1480 : les dîmes devaient être partagées « in granario » pas dans le champ36. À l’opposé, le montant de la taxe devait se compter sur gerbes et non en quantité de grains, cela revenait à indiquer que le prélèvement se faisait au prorata de la superficie emblavée. Système bien plus équitable qu’une dîme évaluée sur le volume de production, puisque, à quantité de blé égale, la superficie foncière et le labeur requis étaient bien plus importants sur une terre ayant un rendement médiocre que sur une bonne terre.
21L’indigence des sources utilisables afin d’appréhender cette première phase de la répartition est aggravée par un problème de mesures. Pour la dîme, comme pour les unités de superficie, on comptait 17 gerbes pour un cavalló, alors que pour la questia, d’après le Manual Digest, on dénombrait six gerbes pour un cavalló, soit 720 gerbes par metador. Dans les deux cas, la gerbe était l’unité comptabilisée concrètement dans les champs. C’était la seule mesure que les décimateurs et les topographes visualisaient, ce qui n’était pas le cas du cavalló qui résultait d’un calcul arithmétique. Selon ce rapport, le metador équivalant à 120 cavallons de questia ne représentait que 42,35 cavallons de dîme. Cependant, à défaut de renseignements précis sur la conversion37, il n’est pas possible d’éliminer définitivement l’hypothèse la plus simple qui voudrait que, contrairement à ce que prônait Fiter Rossell, le cavalló soit identique pour les deux mesures.
22Les rares années successives pour lesquelles le dénombrement de la totalité des gerbes produites dans une commune nous est parvenu sont fort tardives ; elles correspondent au terme de la période couverte par cette étude. À Ordino, de 1899 à 190238, furent dénoncés 5 690, 4 757, 6 740 et 6 073 cavallons soit 96 730, 80 869, 114 580 et 103 241 gerbes39. Une fois traduit en metadors à 720 gerbes par unité, il y avait 134,3 – 112,3 – 159,1 et 143,4 metadors de questia. Si, à l’inverse, on utilise la parité d’un cavalló de questia pour un cavalló de dîme, il y eut respectivement 45,8 – 39,6 – 48,2 et 44,8 metadors40. Dans le premier cas, cela représentait entre 13,3 et 16,9 % du nombre total de metadors, dans le second, cela oscillait entre 4,5 % et 5,5 %. Si l’on tient compte d’une croissance de 21 % du nombre de maisons productrices au cours du XIXe siècle41, ces chiffres fournissent probablement le seuil supérieur auquel parvinrent les metadors céréaliers au cours de la période que couvre ce travail.
23Deux cas particuliers viennent confirmer cette hypothèse. Toujours à Ordino, en 1834, 105 maisons produisirent 5 278 cavallons équivalant à 124 ou à 44 metadors selon le coefficient utilisé pour le calcul. La production céréalière équivalait soit à 14,2 % soit à 5 % des 870 metadors déclarés cette année-là pour la questia. À Andorre, quinze ans plus tard (1849), on comptabilisait 2 226,5 cavallons produits aux Escaldes et 2 245,5 à Andorre, soit 8 % ou 3 % des 1 313 metadors dénoncés pour la questia. L’agriculture n’avait qu’une influence réduite sur les déclarations et la variation du nombre de maisons soumises à l’impôt ne modifiait pas de manière significative le rapport entre l’imposition fondée sur la production céréalière et celle de l’ensemble des metadors. Cela s’explique en grande partie par le système de mesure utilisé. Dans le meilleur des cas, le metador valait 720 gerbes, ce qui représentait au minimum une superficie emblavée de 1,69 jornal (3 768 m2), soit une superficie utile de plus de 7 500 m2 si l’on tient compte de la jachère bisannuelle. Ces superficies considérées sont relativement importantes puisqu’à Ordino, selon le cadastre, la superficie moyenne des parcelles agricoles n’était que de 2 468 m2 et que près de la moitié de la population se contentait de moins de 1,5 hectare de terre, toutes productions confondues. Si l’on ne considère que les terres agricoles, près des trois quarts des maisons payaient un ou moins d’un metador céréalier.
24Reste à tenter de déterminer le rôle du facteur démographique. Si l’on se réfère au padral établi en 1865 pour l’ensemble de la principauté42, les gros animaux (équins et bovins) regroupaient 3 389 têtes, ce qui représentait un peu plus de 54 % des metadors de questia déclarés cette année-là. Si on y ajoute 15 % de metadors agricoles qui correspondent au seuil supérieur estimé à partir des dîmes, il reste près de 31 % de metadors civils (nombre de communiants). Le cens électoral établi en 1866, lors des premières élections organisées après la Nova Reforma auxquelles participa l’ensemble des chefs de familles, mentionnait 781 maisons andorranes43. Il y aurait eu par conséquent 2,49 metadors civils par maison au plus fort de la croissance démographique. Si l’on établit pour chacune des communes le ratio entre le nombre de metadors civils et le total recensé, on obtient une fourchette de valeurs allant de 23 % à Canillo où 16,4 % du cens électoral possédait 21,7 % du total des metadors, à 47 % à Andorre où furent déclarés 20,4 % des metadors par 31,3 % du cens. Deux conclusions s’imposent : le poids du facteur démographique dans la composition de la questia était relativement élevé et influait de manière différente selon les communes44.
25Cette double constatation prend une importance déterminante lorsqu’on prétend utiliser ces critères pour établir une comparaison avec d’autres périodes. Bien évidemment, les résultats ne peuvent avoir qu’une valeur indicative puisqu’ils présupposent une fixité des facteurs. La hausse démographique constante enregistrée depuis le milieu du XVIIe siècle dut affecter la production agricole, mais son incidence réduite sur le nombre global de metadors lors des maxima démographiques permet de penser que son influence n’était probablement pas décisive et que l’utilisation simultanée des deux facteurs (5 et 15 %) fournit une fourchette de probabilités acceptable. De la même manière, les taux de 2,09 et 2,49 metadors civils impliquent que la structure familiale ne se modifia pas pendant de plus de deux siècles, ce qui a priori, n’est guère concevable. Les sources consultées permettent, au mieux, de suivre le nombre de maisons et l’approche est toujours fiscale. Ces sources peuvent être utilisées sans trop de problèmes afin de suivre la tendance de la questia mais elles sont d’une aide peu fiable si l’on tente de les appliquer à des raisonnements démographiques45. Les coefficients que l’on vient d’établir sont, par conséquent, à considérer comme un moyen d’approcher l’évolution du gros cheptel sur le long terme à partir des données des metadors de questia. En pondérant les données brutes, on obtient une tendance qui ne vaut que pour ce qu’elle est : le résultat d’un filtrage. Seuls les padrals fournissent ponctuellement des données quantitatives utilisables.
26L’étude de l’assiette de la questia doit tenir compte d’un dernier facteur, celui de la variation de tarif applicable aux metadors et aux averies. Afin d’établir les paiements communaux, les conseillers de la Maison des Vallées pouvaient moduler le rapport entre ces deux unités de comptes. Grosso modo, de 1516 à 1658, le tarif du metador fut fixé de 16 à 96 deniers catalans, celui de l’averia varia simultanément de 2 à 5 deniers. Le rapport moyen entre les deux était d’un metador pour onze averies46. Ce rapport se réduit légèrement de 1660 à 1715, le metador valait alors de 24 à 38 deniers et l’averia de 3 à 4 deniers, soit un metador pour 10,3 averies. La tendance se poursuivit de 1716 à 1776, l’équivalence n’était plus que de 9,25 et, après une fin de siècle troublée, le rapport poursuivit sa baisse et se fixa définitivement à 1 pour 5 en 1800. Cette parité se consolida, jusqu’à la fin du XIXe siècle ; l’averia se payait à 6 deniers et le metador à 30.
27Au cours de cette longue période, le nombre moyen d’unités déclarées pour chacun des rôles varia grandement. De 1516 à 1656, ce nombre de metadors pour l’ensemble de la principauté fut de 4 923, tandis que la quantité annuelle d’averies fut de 33 684 ; il y avait donc en moyenne 6,84 averies par metador. De 1660 à 1715, la relation fléchit, le nombre de metadors était de 4 493 pour 26 817 averies, soit 5,97 averies par metador. Cette tendance se poursuivit entre 1716 et 1776, il n’y avait plus que 5,15 averies pour un metador47 puis, finalement, de 1776 à 1876, il n’y en avait plus que 3,4648. En trois siècles et demi, la proportion entre les deux types d’unités fiscales s’était réduite de moitié. Conjointement, le tarif de l’averia avait doublé par rapport au nombre de metadors, c’est-à-dire que proportionnellement la questia coûtait à un éleveur ovin du XIXe siècle deux fois plus qu’au XVIe siècle. Le prix de l’averia avait globalement augmenté de 300 %, alors que le metador n’avait connu qu’une hausse de 25 %49. L’importance financière des ovins dans l’établissement de la questia était globalement restée constante. De 1516 à 1656, ils représentaient 37 % de la valeur de la questia et ils en payaient 39 % au XIXe siècle, alors que leur nombre s’était réduit de près de 60 %.
28De la fin du XVIe à la fin du XIXe siècle, malgré la hausse démographique et ses conséquences sur l’agriculture, l’évolution du cheptel et la modulation de la tarification des unités de questia se conjuguèrent de telle manière que la perception de l’impôt resta fondamentalement tributaire de l’activité pastorale. Bien entendu, il ne s’agit ici que d’une tendance générale, chaque commune et chaque période constituent des cas singuliers qu’il faudra analyser en particulier. À titre d’exemple, la valeur des averies dans la questia de Canillo augmenta de 1671 à 1870, alors que, au même moment, à Ordino, leur rôle régressait faiblement. Pourtant une constatation s’impose, la stabilité récurrente du montant des perceptions seigneuriales ne s’appliquait d’aucune manière à l’assiette de l’impôt. L’étude de ces paramètres permet dans un premier temps d’appréhender la transformation de l’activité pastorale, mais elle met également en relief une volonté propre aux membres du Conseil Général : en accroissant la taxation de l’averia, c’est la filière ovine que l’on pénalisait à l’avantage des filières équine et bovine. Seule l’analyse détaillée des rôles et le croisement avec les autres sources, notamment patrimoniales, permettent de tenter d’établir les conséquences qu’impliquait cette évolution. Retenons pour l’heure que, dans la pratique, la fixation de la taxe ne dépendait pas seulement d’une routine immuable et que le Conseil gérait la collecte.
29De plus, cette politique fiscale et son évolution trouvaient une seconde voie pour s’exprimer au travers de la répartition du passif du Conseil Général. Le recouvrement de l’impôt n’était pas le seul objectif de l’assemblée du mois de décembre. Les conseillers ne se contentaient pas seulement d’attribuer une valeur à chacune de ces deux unités fiscales, ils se réunissaient également pour faire les comptes des dépenses et les répartir sur les collectivités locales.
II.a.2.2. Les frais du Conseil Général et le foc gros
30Au mois de décembre, la réunion du Conseil servait à établir une seconde comptabilité, celle dite du foc gros. Ce prélèvement ne retombait que sur les maisons d’anfoch et correspondait en théorie à la répartition des frais de fonctionnement et aux salaires réglés par le Conseil. Deux fois l’an, pendant le Carême (conseil de Sancogesma) et à la Saint-André (30 novembre), on faisait ce que l’on nommait l’ascot. En théorie, dans les deux cas, le travail débutait par le décompte et la mise à plat des frais payés par le Conseil depuis la dernière réunion au cours de laquelle un ascot avait été établi. Une fois estimé le montant des dépenses, afin de le régler, on fixait la somme que devait payer chacun des 179 focs grossos qui existaient en principauté.
31La différente nature des charges et le système de paiement impliquaient un mécanisme plus complexe. En premier lieu, le Conseil payait rarement les frais de manière directe. Généralement, les représentants désignés par les conseils communaux assumaient le montant des dépenses. A posteriori, le Conseil communal leur rendait leur avance et le montant de celle-ci était porté en avoir sur les livres du Conseil Général. De la même manière, les communes payaient les salaires qui revenaient aux membres de leur communauté ; le montant de ces gages s’ajoutait à l’actif communal. Une fois fixé le montant du foc gros que devaient les six communes par rapport au nombre d’anfochs qu’elles possédaient, un bilan entre actif et passif de chacune d’entre elles était calculé. Le foc gros ne se limitait pas seulement à couvrir les dépenses. Il pouvait aussi servir à créer un pécule. Grâce à cela, certaines années, il n’était pas nécessaire de faire un ascot. Par exemple, en 1642, il était dit : « Aujourd’hui, 24 novembre 1642, au conseil de Saint-André nous avons fait la clôture de l’ascot, tout a été payé de la bourse et le salaire des conseillers devra également se payer sur la bourse de tout souvenir50 ».
32Pour distribuer le montant du foc gros, on utilisait une répartition fixe qui considérait, selon l’ordre protocolaire, 36 gros feux à Canillo, 24 à Encamp, 27 à Ordino, 36 à la Massana, 31 à Andorre et 25 à Sant Julià. Au total, il était invariablement compté 179 feux pour la principauté. Il a été impossible de démêler les raisons qui conduisirent à cette répartition. Poids démographique spécifique lors de la formation du groupe d’anfochs, richesse de chacune des communes ? Le système d’intégration ou d’exclusion du groupe des anfochs au cours de la période moderne laisse penser qu’il s’agissait d’un critère fondé sur la richesse des membres. Il fallait pouvoir faire face aux frais qu’impliquait la participation aux organes politiques communaux. Ce n’est qu’une hypothèse fondée sur une extrapolation tardive. Pourtant, le rôle économique prééminent que semblent avoir les proceres dès le XIVe siècle permet pour l’heure de la privilégier par rapport aux autres. Cette base de répartition resta stable jusqu’au XIXe siècle51. Pourtant, le dépouillement des listes communales met en évidence une variation du nombre de maisons d’anfochs. Leur nombre réel coïncide rarement avec celui fixé au niveau du Conseil Général. Chaque commune prélevait le montant du foc gros, établi pour l’ensemble de la principauté, sur les anfochs qui constituaient effectivement le Conseil communal. Puis elle payait la somme fixée par rapport au nombre théorique qui lui était attribué dans la répartition générale. Le cas échéant, elle complétait la somme directement payée par les anfochs réels par une levée sur les fonds communaux ou, à l’inverse, elle conservait le surplus. La fixation d’un nombre invariable d’anfochs par commune ne limitait aucunement la possibilité qu’avait chaque Conseil communal de moduler le nombre réel de ces maisons. La politique communale, d’acceptation ou de refus de l’élargissement de la base constitutive du conseil, n’était nullement entravée par le fonctionnement du Conseil des Vallées. Chaque commune agissait indépendamment selon ses besoins.
33Cette base d’imposition ne peut aucunement être considérée comme un reflet de la stabilité démographique de la principauté puisqu’elle est fictive. Elle ne peut pas non plus être perçue comme une stagnation du système de représentation communal puisque la rigidité apparente de la délégation au Conseil Général n’avait rien à voir avec l’adaptabilité qui la caractérisait au niveau communal. Au mieux, elle met en évidence l’absence d’évolution de la structure au niveau du Conseil des Vallées. Cette stabilité de la base de rétribution allait de pair avec la fixité du nombre des suffrages puisque seuls deux délégués par commune étaient présents annuellement au Conseil Général – le consul et le sous-consul de la législature antérieure. L’évolution démographique des six communes et les changements économiques qui faisaient varier l’importance de l’une par rapport aux autres n’entraient pas en ligne de compte. Le poids et la représentation de chacune des six communautés restaient identiques52. En cela, la période moderne est l’héritière directe de la période médiévale. Les organismes locaux fonctionnaient déjà sur une base paritaire tant pour ce qui est de la représentation que pour les contraintes qui leur étaient imposées (ost, taxes, etc53). Le foc gros, qui se fondait sur une répartition inégale du nombre des maisons par commune, semble quant à lui devoir être lié à un mouvement plus tardif (à partir du XIVe siècle ?). Une fois encore, il semble que les proceres aient joué un rôle décisif dans cette évolution où l’on retrouve le binôme de base de la société andorrane : égalité pour ce qui est de la représentation et du pouvoir au niveau des vallées, inégalité et cloisonnement pour ce qui touche aux affaires intérieures des communes. Définitivement, le « socialisme », souvent mal compris, que l’on plaque systématiquement sur le fonctionnement des institutions collectives montagnardes, n’est apparent que dans ce qui touche à l’ensemble. Pour les communes, il restait le meilleur moyen d’éviter une perte d’autonomie des unes vis-à-vis des autres, mais ce raisonnement ne concernait nullement la vie quotidienne de chacune des collectivités locales54.
34Les frais incombant au Conseil des Vallées au XVIIe siècle peuvent être regroupés en trois grands volets : les coûts internes qui découlaient du fonctionnement du Conseil, les charges qu’impliquaient les relations avec l’extérieur et l’ensemble des journées payées pour des activités externes. Parmi les frais et dépenses inscrites entre 1633 et 1655, la majeure partie allait aux salaires perçus par les conseillers lorsqu’ils assistaient aux séances. S’ajoutaient les frais occasionnés par la présence des représentants à la Maison des Vallées, notamment les repas et l’entretien des bêtes de selle. Une charge particulière correspondait aux deux raonadors qui étaient désignés par le Conseil afin de représenter les accusés devant le tribunal de Corts55.
35S’ajoutaient des salaires recouvrés par les conseillers qui réalisaient certaines tâches particulières à caractère ponctuel. On retrouve ainsi des émoluments perçus pour avoir reçu et accompagné l’évêque lors de ses visites en principauté. D’autres journées étaient payées aux auxiliaires de justice. Cela se faisait, en particulier, lors de la conduite des expertises visuelles sur le terrain (visures). Se payaient également les sabudes, c’est-à-dire un salaire d’un sou par billet ou missive, rédigé par le Conseil, livré en principauté. Finalement, régulièrement, un représentant percevait des honoraires pour avoir classé et entretenu les archives du Conseil qui étaient conservées dans une armoire munie de six serrures, une par commune56. Les documents étaient classés en trois séries principales : les privilèges et franchises octroyés à la principauté, les actes financiers et les documents du tribunal de Corts. Au bas de l’armoire, deux ou trois tiroirs, fermés à clefs, servaient à diviser le pécule amassé par le Conseil selon l’usage qu’il était prévu d’en faire. C’est ce que les documents citent parfois sous la dénomination de bourse de tous souvenirs (bossa de tots records)57.
36Le second grand poste de la dépense du Conseil Général était imputable aux charges de représentation et au rôle d’interlocuteur auprès des seigneurs. De 1633 à 1655, ces frais se composèrent majoritairement de déplacements à l’extérieur des vallées. Le paiement de la questia, qui impliquait obligatoirement un voyage à la Seu d’Urgell et deux à Foix, cumula les deux tiers des trajets effectués par des membres du Conseil. Ces déplacements représentèrent un tiers des frais de déplacement. Si l’on y ajoute les bourgs et les villages limitrophes à la principauté, la zone d’influence du Conseil au XVIIe siècle se trouve définie. Son rayon d’action correspondait essentiellement à celui qui avait été fixé lors de sa constitution en 1419 et son rôle principal restait de traiter avec les voisins les plus proches. Les localités de Mérens, Ax, Les Cabannes, Tarascon et Foix au nord, celles de Carol et Puigcerdà à l’est et celles de Castellbó, Os et la Seu au sud étaient les plus couramment citées. Ensemble, elles totalisaient près de 90 % des destinations des déplacements des conseillers58.
37Certaines situations particulières impliquaient des voyages plus longs. Notamment sont mentionnées les cités de Sanauja et Balaguer, villes dans lesquelles résidait temporairement l’évêque. La ville d’Organyà, où la disparition du pont de l’escala obligeait au paiement d’un droit de barque qui contredisait l’exemption de droit de passage que possédaient les Andorrans59, revient également plusieurs fois dans les comptes. Les trois capitales régionales les plus proches (Barcelone, Toulouse et Perpignan) sont également régulièrement signalées. Ces trois dernières destinations prirent une importance particulière à partir de 1640 pendant la guerre des segadors60. Les vallées se trouvaient alors en porte-à-faux entre un évêque, Pau Duran, favorable à Philippe IV et un chanoine d’Urgell, proche des idées de Pau Claris qui défendait la cause catalane. Mais pour la principauté cet épisode prenait un caractère déterminant car il impliquait une opposition directe entre coprinces. L’évêque, dont la désignation était une prérogative du roi d’Espagne, était un farouche partisan de la monarchie contre laquelle Louis XIII était en lutte. Au niveau comptable, la détérioration de la situation impliqua également un autre type de dépense pour le Conseil. Il dut payer des journées consacrées au contrôle des cols d’altitude61, à l’espionnage ; plus occasionnellement, des sommes furent destinées à l’emprisonnement des intrus qui risquaient de compromettre l’image de neutralité qu’essayait de donner le Conseil. À partir de 1650, la peur de la peste s’ajouta aux problèmes militaires. Il fallut recourir à la junta del morbo qui gérait les situations de crises sanitaires.
38Les deux derniers chapitres étaient constitués par ce que l’on nommait les consultes et les feres. La possibilité pour le Conseil de recourir à l’avis d’un conseiller qui n’était plus en fonction pour résoudre des problèmes particuliers se nommait les consultes. À tout moment, l’assemblée pouvait demander la participation d’une tierce personne aux débats ou déléguer l’un de ses membres auprès de la personne choisie afin de lui poser les questions nécessaires. Ces consultations avaient le plus souvent comme but d’obtenir un éclaircissement sur un point de règlement ou sur la « tradition ». La connaissance de ce qui se faisait anciennement restait le fondement de la politique du conseil. « L’ancestralité » et la pérennité marquaient le cadre de la jurisprudence. La référence aux us et coutumes, sans cesse complétées par un recours aux documents conservés dans l’armoire aux six clefs, rythmait l’ensemble des décisions du Conseil. Grâce aux consultes, la tradition se coulait dans l’écrit et prenait ainsi force de loi en entrant dans la coutume. Le rapport à l’ancien n’impliquait pas forcément l’immobilisme. Certains exemples concrets montrent que la notion de coutume ne se confondait pas avec l’immatérialité. En 1839, Sebastián Serret, le représentant de l’évêque, annulait les décrets pris par l’évêque Josep Boitas en 1785 et 1786, à propos du recouvrement des censals, parce que les tribunaux ne les avaient pas appliqués au cours des 30 années suivant la promulgation. De même, en 1893, pour le droit de passage du canal d’amenée de la forge d’Encamp, on interdisait au propriétaire du terrain de le détruire parce qu’il n’y avait que 28 ans que la forge avait fermé. Le droit n’était toujours pas tombé en désuétude. Ce délai de 30 ans est également identifiable dans nombre de règlements communaux, il facilitait le renouvellement des réglementations62. Les nouvelles références obtenues par les consultes permettaient une continuelle adaptation des règlements, tant au niveau communal qu’à celui du Conseil des Vallées. Sous une apparence stable et immémoriale, il y existait une réalité dynamique qui avait la faculté de s’adapter aux événements.
39La seconde catégorie de ces dépenses, celle dite des feres (bêtes sauvages), répondait à un besoin principalement motivé par l’élevage. Il s’agissait de payer les chasseurs qui abattaient des ours, des lynx et des loups. Cette politique marque une claire volonté de limiter les méfaits commis par ces animaux, voire même d’éradiquer ces espèces afin de les faire disparaître des estives. Entre 1633 et 1655, 4 % du budget furent employés pour lutter contre les fauves.
II.a.2.3. Le désengagement des anfochs au XVIIe siècle
40L’ensemble de ces charges et de ces salaires était quasi exclusivement supporté par les anfochs, ceux que Fiter Rossell dans son introduction qualifie de prohoms. Les probi homini, ses pairs qu’il opposait à la casalera, le bas peuple (baix poble). Ce dernier, en dehors de ce qui concerne la chasse aux fauves, ne recevait que de rares tâches subalternes – voire même parfois considérées comme dégradantes – comme l’était celle qui consistait à remplacer le bourreau lorsqu’il n’était pas disponible63. En théorie, le budget qui revenait aux membres du Conseil sous forme de salaires était payé par l’ensemble des anfochs au moyen de l’ascot des focs grossos, mais l’origine concrète des fonds ne résidait pas uniquement dans cette répartition.
41En premier lieu, tous les troupeaux étrangers payaient l’estrany de la vall. Celui-ci, d’une manière identique à la questia, se subdivisait en metadors et averies. Les éleveurs qui recevaient ce bétail dans le cadre du conlloch devaient s’acquitter de la contribution auprès de la commune concernée, ensuite, contrairement à l’estrany communal qui restait dans les caisses de la commune, celle-ci le répercutait au niveau du Conseil Général. Toutes les années ne nous sont pas parvenues, de 1588 à 1641, le tarif établi par tête varia d’une année à l’autre64. Les années où la questia revenait à l’évêque, le tarif applicable au petit bétail était de 1 denier catalan par tête. L’année suivante, celle où l’on établissait la répartition de la taxe du roi, ces animaux étaient comptés au double. De la même manière, les gros animaux qui formaient une part des metadors de l’estrany payaient successivement un ou deux sous selon le cas. Les étrangers qui résidaient en principauté constituaient le reste des metadors, ils devaient pareillement s’acquitter d’une unité par personne.
42La troisième voie de financement utilisée par le Conseil dérivait du système de division de la questia. Le montant stipulé pour la répartition était supérieur à celui que devait la principauté au coprince, ce qui laissait un surplus. Généralement, l’excédent allait à la trésorerie et pouvait être utilisé à n’importe quelle dépense. Au cours de cette période (1632-1655), le système de surévaluation de la questia atteignit parfois jusqu’au tiers du montant de l’impôt65, mais cette situation n’était pas systématique. Parfois, l’inverse se produisait. En 1634, 1636 et 1651, la distribution en metadors et averies ne fut pas suffisante et le Conseil dut puiser dans ses réserves pour couvrir la totalité de la questia à régler. Entre 1632 et 1655, les revenus du Conseil Général se montèrent à 3 847 livres, dont 2 135 provinrent du foc gros et 1 712 du surplus de questia. Entre 1632 et 1642, seule période pendant laquelle l’estrany est mentionné dans les comptes, les revenus complets se répartirent en 16 % pour l’excédent de questia, 54 % de foc gros et 30 % d’estrany66. En onze ans, la principauté avait reçu 59 162 têtes de bétail menu étranger au titre du conlloch.
43Lorsqu’on analyse l’ensemble de la période couverte par ces deux livres de comptes, la part prise par l’estrany dans le budget global de ces années est à réduire. En effet, comme le confirment également les comptes privés, la décennie pour laquelle les données sont connues fut marquée par le franchissement de l’un des seuils les plus élevés de la période moderne. A titre de comparaison, dans ce même laps de temps, 395 399 averies de questia, déclarées par les habitants, s’ajoutèrent aux animaux étrangers. En moyenne, entre les deux types de bétail, ce furent plus de 45 400 bêtes à poil et à laine qui passèrent annuellement l’été dans les vallées andorranes. Près de 80 % de ces animaux furent déclarés au titre de la propriété directe des habitants. Par la suite, entre 1643 et 1655, les averies de la questia ne se montèrent plus qu’à 23 517 bêtes annuelles (– 40 %)67. Dans l’hypothèse probable que le bétail étranger avait subi une baisse similaire, le poids de l’estrany dut se réduire en proportion dans les comptes.
44Parallèlement à ce phénomène strictement tributaire de l’évolution du troupeau, la part prise par la répartition générale de la questia dans les paiements des dépenses du Conseil s’accrut. Elle devint progressivement supérieure à la valeur encaissée par le foc gros. Cette modification permettait un élargissement notable des entrées financières du Conseil Général. Le paiement des dépenses ne dépendait plus d’une fraction de la communauté, les anfochs, mais il reposait sur l’ensemble des chefs de maisons résidants. Cet élargissement des contribuables comporta pour certains une augmentation des versements puisque payaient des habitants qui jusqu’alors avaient été exonérés. Simultanément, cette modification privilégia a priori une meilleure répartition des charges. Au lieu de s’organiser sur un partage fixe, comme l’était celui du foc gros, elle se fondait sur l’estimation de la richesse agropastorale de chacune des familles.
45La répartition invariable payée par les anfochs ne disparut pas, mais elle perdit graduellement de son importance. Ce paiement se réduisit et, à la fin du XVIIe siècle, il se résumait à une taxe particulière que certains nomment le redre. Cette taxe, dont le montant était variable, fut définitivement fixée en 1763 à 6 sous par anfoch, payables lors du conseil de la Saint-Thomas68. Le foc gros, transformé en redre, n’était dès lors considéré que comme un appoint qui ne servait plus en théorie qu’à payer la chasse des fauves69. L’élargissement de la base contributive qui se généralisa dans la seconde moitié du XVIIe siècle prit sa forme définitive dans le système de l’ascot, complété par la suite par celui du llot. L’ascot intéressait les frais fixes, ceux qui étaient prévisibles. Le llot, à l’inverse, servait à l’origine à tout ce qui sortait de l’ordinaire. Une fois l’an, le Conseil Général divisait le montant des dépenses attendues en six parts égales, une par commune. Celles-ci, à la différence de ce qui se passait au niveau général, répartissaient la somme qu’elles devaient au titre des frais fixes, sur l’ensemble des chefs de maisons selon un critère variable diffèrent de celui qu’elles utilisaient pour la questia.
46Pour les frais extraordinaires, le Conseil des Vallées employait ponctuellement le même procédé que pour le foc gros. Il adaptait ainsi ses rentrées aux imprévus arrivés au cours de l’année. On disait alors que le Conseil Général llotejava, c’est-à-dire qu’il répartissait uniformément la dette sur les six communes. Le montant de ces Ilots entrait alors dans la gestion courante des communes et il est rare que leur perception donnât lieu à une répartition particulière comme cela se faisait pour l’ascot.
II.a.3. Taxes et finances communales
II.a.3.1. Ascot et llots, la répercussion des frais généraux au niveau local
47Au niveau communal, la distribution de l’ascot marquait la volonté d’obliger la majorité des maisons à participer aux frais généraux. Le montant des paiements était échelonné selon les ressources des diverses familles. Cette situation était fort différente de celle qui prévalait au Conseil des Vallées puisque celui-ci, le plus souvent, ne distribuait les frais qu’au moyen des six quotes-parts. Excepté pour la questia, chaque commune avait le même poids financier et chacune d’elles était responsable des mêmes charges. Dans une société où les collectivités locales fonctionnaient principalement sur le système de la répartition inégale, la pérennisation d’un type de prélèvement à rapports constants, ne tenant compte d’aucun élément correcteur, peut au premier abord sembler surprenante. C’est oublier que, jusqu’au XIXe siècle, le Conseil Général ne fut pas réellement considéré comme un véritable organe de gouvernement central. Les conseillers dépêchés par chacune des communes avaient comme tâche principale de représenter et de protéger les positions de leur collectivité. Ils n’étaient pas les délégués de la population andorrane mais les mandataires du Conseil de leur paroisse. Il était par conséquent nécessaire qu’ils fussent égaux entre eux afin qu’aucune des collectivités ne pût prétendre avoir un ascendant sur les autres. Le XVIIe siècle fut marqué par un élargissement du nombre d’unités fiscales assujetties à la rétribution des frais du Conseil des Vallées. Mais la contrepartie logique, qui eut été d’ouvrir les conseils à l’ensemble des familles contribuables, n’était pas à l’ordre du jour : le rôle qu’avaient les familles casalères dans la société andorrane ne changea pas d’un iota.
48La systématisation du prélèvement généralisé destiné aux paiements des frais des divers conseils n’était pas à proprement parler une nouveauté. L’ascot, en premier lieu, était déjà connu. A la différence de ce que l’on peut observer dans les listes postérieures, les seules maisons concernées étaient celles d’anfoch. En 1562, à Canillo, on mentionnait un ascot de 8,3 sous dont devaient s’acquitter les seuls anfochs. Dix ans plus tôt, on signalait que le mal de la Terre (questia) était de 37,3 livres 8 deniers, les sabudes de 1,25 livre 2 deniers auxquels s’ajoutaient 18,8 livres, dites de mal de l’ascot70. Il semble donc que la taxe citée dans ces documents est assimilable au foc gros que l’on connaît dans les livres du Conseil Général au XVIIe siècle. Le concept en lui-même n’était pas inédit, pour la simple raison que le conseil de l’ascot pouvait à peu de chose près être assimilé au conseil de la répartition, mais il est également évident que la base de répartition au niveau communal avait varié puisque, dans les premiers documents, seule une catégorie de la population était citée comme débitrice.
49Pour ce qui est de la contribution dont étaient redevables les casalers, elle trouvait ses antécédents dans ce que l’on nommait le lleuge. Il s’agissait d’une taxe pour laquelle était utilisée une assise différente de celle de la questia afin de couvrir une partie des dépenses communales. Comme son nom le laisse entendre71, il n’était pas question d’une répartition qui cherchait à uniformiser les contributions entre anfochs et casalers. Au mieux, il était question d’une participation aux dépenses incombant à la commune.
50Les premières mentions précises de ce paiement datent des débuts du XVIIe siècle. Cependant, rien ne permet d’affirmer qu’il s’agit de la mise en place de ce système, car l’absence de documentation antérieure fausse le cadre d’observation. L’existence d’une imposition sur les cabalers au XVe siècle tend à prouver qu’il ne s’agit pas d’une lacune due au type de documentation consultée72. Le passage de la terminologie cabaler – célibataire originaire d’une maison déjà établie – à celle de casaler – celui qui a fondé une nouvelle maison sans qu’entre en ligne de compte son origine (andorrane ou étrangère) – rappelle les observations faites à partir des premières listes de questia étudiées pour lesquelles un lien de famille évident unissait les diverses maisons comptabilisées. Le glissement de la cabalère, seule concernée dans un premier temps, à la casalère semble constituer l’un des changements principaux dans le type d’organisation au cours des XVe – XVIe siècles. Mais, malheureusement, les documents restent peu clairs73 et, dès le XVIIe siècle, l’amalgame entre les deux est systématiquement fait dans les textes. Afin d’analyser le rôle du lleuge, il est nécessaire de considérer une année complète de compte communal. Le choix s’est porté sur la comptabilité de l’ascot établi le 2 janvier 1635 à Ordino, c’est-à-dire sur la répartition de la partie fixe, prévisible, des frais communaux74. L’ensemble des documents est accessible et il est possible de corroborer les données communales avec les comptes fournis par les livres du Conseil Général.
51La commune devait 2 235 sous 8 deniers de questia75. S’ajoutait le foc gros du Conseil de la Terre, 9 sous par feu fiscal, soit 243 sous pour 27 feux l’anfochs, dont avait été déduit l’avoir communal. En définitive, lorsque les consuls quittèrent leur charge en décembre, il restait à payer 2 386 sous 8 deniers. Lors de l’ouverture de l’année comptable de 1635, les nouveaux consuls héritèrent du passif auquel se greffaient les dépenses qui devaient être ascotades. Ces charges, connues par avance, se répartissaient grosso modo en deux catégories. L’une se composait des dépenses qui avaient déjà été faites, l’autre des annuités contractées par le Conseil communal dont les pensions tombaient au cours de leur législature.
52Les trois groupes principaux qui composaient les dépenses étaient les salaires, les impositions, les contributions religieuses. Questia mise à part, ce dernier groupe représentait la moitié de la dépense. Certains versements étaient dus par chaque paroisse andorrane en propre. D’autres, comme les draps à laver qui se réglaient au portier majeur de la cathédrale ou la régale payée à la chapellenie de l’évêché s’acquittaient pour compléter un prélèvement collectif dû par les six paroisses76. La principale destinataire des dons pieux était la Vierge pour laquelle une lampe et des messes perpétuelles (15 août) étaient fondées au siège de l’évêché. S’ajoutait un cens constitué à la chapelle de la Vierge de Costoja (Alt Urgell)77. Les autres intercesseurs auxquels recourait communément la municipalité d’Ordino, au milieu du XVIIe siècle, étaient saint Barnabé qui marquait le début de la saison pastorale estivale, saint Cornélien, patron de la paroisse, et les âmes du Purgatoire que l’on retrouve également dans toutes les autres paroisses78. Entre processions, louanges et messes anniversaires, le conseil d’Ordino avait déboursé plus de 17 livres en 1634, auxquelles s’ajoutaient 6 livres versées annuellement au sonneur de cloches dont l’une des fonctions était de sonner le rappel des conseillers lorsque devait se tenir une assemblée79. Mis à part les rétributions communes aux tâches du conseil (sabudes, journées de conseil et feres), les gages perçus par le médecin constituaient l’une des composantes majeures de l’ascot communal80.
53À Ordino, en janvier 1635, le montant de l’ascot équivalait à 956,6 sous. Afin de payer cette somme, la commune percevait le lleuge des casalers (274 sous) et les bans (42 sous)81. Ce montant restait largement insuffisant pour couvrir les besoins, il fallait alors recourir à la talla. Il s’agissait de partager le restant de la dette entre les anfochs de la commune, en d’autres termes ascotar. Cette année-là, par exemple, il restait 640 sous à payer. La taille fut de 17 sous pour 38 maisons d’anfoch, il restait 6 sous aux collecteurs82. Les deux tiers de la créance demeuraient à la charge des anfochs. Les divers comptes d’ascot dépouillés mettent globalement en évidence un rapport identique tout au long de la première moitié du XVIIe siècle. Malgré l’augmentation du nombre de casalers et un accroissement régulier des taxations, leur contribution ne dépassa pas 30 % du montant des dettes mentionnées lors du conseil de l’ascot83.
54L’extrait de compte précédemment cité apporte également un autre éclaircissement. Pour la répartition du foc gros du Conseil des Vallées, la commune d’Ordino avait été comptée à 27 feux fiscaux. Mais, dans la pratique, les consuls se fondaient sur le nombre d’anfochs qui résidaient effectivement dans la paroisse (38 feux). Dès lors, la valeur concrète du foc gros s’était réduite d’un tiers. Moins encore si l’on tient compte que cette taxe était incluse dans la comptabilité de l’ascot communal dans laquelle intervenait le lleuge payé par les casalers. Par un phénomène de comptabilité en cascade, le foc gros était passé de 9 à 3,9 sous effectifs par anfoch. En contrepartie, les 38 anfochs prenaient à leur charge la différence entre les entrées et les obligations communales. Cet enchaînement n’était pas toujours favorable aux anfochs. En 1648, par exemple, le foc gros de 8 sous passa à 15 sous par maison d’anfoch une fois ajoutés les frais de l’ascot et retenus le lleuge, l’avoir des anciens consuls et les bans.
55La suprématie théorique des anfochs dans les contributions était tout aussi relative que l’absence des casalers dans les comptes du foc gros puisqu’ils contribuaient au niveau de la commune. Cela se confirme en particulier à partir de 1650, où la disparition des listes de lleuge dans les fonds communaux laisse la place aux listes d’ascot qui groupaient anfochs et casalers. Dans le fond, le mécanisme était similaire, cependant la réalisation d’un dénombrement commun impliquait que cette contribution leur était systématiquement demandée. De plus, elle s’ajustait au passif, puisqu’il n’y avait plus de décalage entre le moment où l’on estimait la créance communale et celui où intervenait le paiement demandé aux casalers.
56Au total, la combinaison de la modification du contingentement de l’ascot et de l’accroissement du rôle de provision financière pris par l’établissement du montant de la questia entraîna une augmentation des recouvrements sur les casalers. Ce glissement dans la pratique financière coïncida avec le passage du vocable cabalère à celui de casalère. Le lleuge semble couvrir une notion plus paternaliste que l’ascot. En restant dans l’ombre du pater familias, les nouvelles maisons n’étaient pas considérées rendues des charges communautaires au même degré. La notion de casaler rompait cet équilibre. Cette émancipation comporta une augmentation des obligations qui se traduisit par la mise en place de l’ascot systématique. Cette transformation du prélèvement peut être considérée comme le révélateur d’un changement plus profond de la société. La communauté indulgente avec ses fils l’était moins avec les étrangers. Dès lors, s’établissait une relation ambiguë : augmenter la ponction sur les nouvelles maisons tout en essayant de limiter leur influence dans la communauté.
57Dans la pratique, cette transformation n’eut pas des résultats identiques. En effet, si l’on considère l’augmentation de la questia, les anfochs restèrent globalement les principaux payeurs puisqu’ils étaient généralement les plus gros producteurs. A l’inverse, dans le système de partage communal, l’entrée de nouveaux contribuables et l’accroissement de la ponction sur les casalers abaissaient la contribution globale qui pesait sur les anfochs : ils l’allégeaient directement du poids d’une partie des frais fixes de la commune et, de manière indirecte, réduisaient les charges qui se répercutaient depuis le Conseil Général.
II.a.3.2. Frais et taxes communales, le poids spécifique des charges
58A première vue, la modification du mécanisme de l’ascot communal semble clarifier les choses. C’est sans compter que le critère de répartition reste confus. L’emploi de paramètres fondés sur la production aurait surtout privilégié les maisons d’anfochs les moins importantes. La réalité est plus complexe, la formule utilisée n’étant pas stable. En 1671, par exemple, aucune des maisons de Canillo ne paya la même somme : le montant de la charge avait été réparti différemment sur les maisons. D’autres années, comme c’était le cas pour les ascots classiques, tous les anfochs furent soumis au règlement d’une même somme forfaitaire84. D’autres fois, la majorité des maisons dût s’acquitter d’un montant identique, seules deux ou trois déboursèrent des sommes plus réduites85.
59À l’inverse, pour les casalers, la répartition eut toujours une assise beaucoup plus large. Entre 1671 et 1737, les casalers furent répartis de 15 à 25 classes. Il se peut que, pour l’établissement de l’ascot casaler, on continue à utiliser les critères servant à la fixation du lleuge. Mais les seules références écrites restent évasives puisqu’elles mentionnent seulement que les casalers étaient « ascotats à plus ou moins ». Il est évident que l’assiette de répartition de l’ascot n’était pas la même que celle employée pour la questia. Cependant, l’absence totale de mentions écrites faisant allusion à l’établissement de listes préliminaires spécifiques à l’ascot laisse à penser que l’on employait probablement celles qui avaient servi à la répartition de la questia, mais il n’a pas été possible de déterminer quels étaient les facteurs pris en compte. Cette ignorance provient de la façon dont était conservée cette documentation. Dans la plupart des cas, seuls demeurent les comptes globaux qui convertissaient l’impôt en une seule unité monétaire par maison. Fort peu de listes préparatoires nous sont parvenues et, lorsqu’elles sont utilisables, il n’existe aucune corrélation apparente entre celles-ci et celles que détaille l’ascot. Il est vraisemblable que l’établissement de l’ascot résultait de la combinaison de plusieurs paramètres, mais nous ne savons pas si les coefficients monétaires employés par unité de compte étaient identiques pour les deux taxes. Pour ajouter au flou général, il est possible qu’à ces paramètres communs se rajoutent des critères utilisés pour d’autres contributions, notamment la dîme. Pour l’heure, il reste impossible de déchiffrer intégralement le fondement de ce mécanisme pour la période qui nous intéresse.
60Dans la majorité des listes annuelles dépouillées, la répartition de l’ascot considérait les anfochs en bloc, chaque famille payait une somme forfaitaire qui servait de plafond aux paiements exigés des casalers. Pour ces derniers, au contraire, on utilisait toujours un critère de distribution qui échelonnait les maisons de l’exemption à l’assimilation avec les anfochs. Ces dénombrements posent un second problème d’analyse : le nombre de maisons astreintes au paiement de l’ascot différerait constamment de celui de la questia. Par exemple, à Canillo en 1674, 106 maisons payèrent la questia, alors que seules 98 familles furent inscrites sur la liste d’ascot. De 1671 à 1740, le nombre de contribuables recensés dans ces listes fut, selon les années, de 3 % (1695) à 21 % (1715) inférieur à celui des questables86.
61Mais quel qu’eût été le fondement de la répartition, il y eut élargissement de la base de perception en incluant systématiquement les casalers, ce qui accrut sensiblement leur participation aux finances communales. Cette contribution affecta directement les familles les moins favorisées. En effet, la comparaison des paiements permet d’établir que ce phénomène amplifia de manière notable les besoins en numéraire de certaines familles. Par exemple, en 1671, l’ascot représentait un doublement des charges pour 52 % des maisons d’anfoch et pour 66 % des casalères87. Au total, 56,5 % des contribuables étaient imposés à un montant plus élevé pour l’ascot que pour la questia et ils n’étaient que 4 % à payer moins du quart du prélèvement au titre de l’ascot. Cet exemple correspond à une année pour laquelle la questia devait se payer au comte de Foix, elle était par conséquent trois fois plus importante que celle qui allait se payer l’année suivante. En 1672, malgré une réduction des deux tiers de la levée de la questia et une diminution de 66 % du plafond de l’ascot88, seules 4 % des familles imposables eurent moins à payer pour l’ascot que pour la questia. À la veille du XVIIIe siècle, pour la plupart des familles, l’ascot communal pesait plus lourdement que la taxe seigneuriale.
62Pour que l’analyse des taxes et rétributions communales courantes à payer par la population soit complète, il faut ajouter un troisième versement qui dérivait directement de l’activité agropastorale des familles : les talles et bans. Celles-ci variaient énormément selon les périodes et ne correspondaient pas vraiment à un véritable impôt puisqu’elles étaient étroitement liées à l’utilisation du communal. L’application des bans et talles imposait des versements variés que régulaient les décrets communaux. Entre 1674 et 1750, le nombre de questables qui s’acquittèrent des talles à Canillo varia de 73 à 36 %. Sur l’ensemble de cette période, les taillables représentèrent 39 % des questables, tandis que les « ascotables » furent près de 65 %. L’évolution du cheptel, les conditions climatiques et les événements militaires qui rendaient difficile ou modifiaient le bon déroulement de la transhumance étaient autant de facteurs qui pouvaient obliger à exploiter des terres soumises aux bans. Mais, il est vraisemblable que, dans la mesure du possible, les habitants essayaient d’utiliser les terres qui n’en payaient pas. C’est-à-dire qu’ils exploitaient en priorité des secteurs sur lesquels ils possédaient une franchise leur permettant de faire paître gratuitement un nombre donné de têtes.
63La comparaison des versements met en évidence la primauté de l’activité des maisons d’anfoch. Elles étaient les principales débitrices de la questia et, par conséquent, les principales productrices de biens d’origine pastorale. De 1671 à 1751, les anfochs astreints à l’ascot furent, en moyenne, 94,5 % tandis qu’ils ne furent que 71,4 % à payer des talles ; pour les casalers ce furent 78,7 % contre 36,1 %89. Proportionnellement90, le rôle des anfochs dans les paiements était largement prééminent. Si l’on examine l’ensemble des paiements d’une année, une catégorie particulière de casalers est mise en lumière : celle qui contrôlait une production ovine importante qui l’obligeait à agir d’une manière similaire à celle des anfochs. Son action sur le communal, illustrée par le paiement des talles et bans, ne trouvait pas son équivalent dans la filière équine ni, non plus, dans les exploitations agricoles. Preuve en est le rôle minime que ces familles avaient dans les versements généraux de la questia.
64Le détail des recouvrements à Ordino en 1684 permet d’examiner la répartition de la questia en différenciant d’une part le caractère du prélèvement et d’autre part le statut des diverses maisons. La contribution qu’apportaient les casalers pour ce qui est des averies était globalement plus réduite qu’elle ne l’était pour les metadors, seul 12 % du bétail déclaré leur appartenaient contre 20 % des metadors. Ce décalage est à corriger car une unique maison d’anfoch, celle de Guillem Areny Torres d’Ordino, regroupait à elle seule près de 40 % du cheptel91. Son importance fausse partiellement le cadre d’observation. Si l’on met à part cet éleveur exceptionnel, la représentation des casalers devenait pratiquement la même pour les deux unités de comptes : ils avaient déclaré 21 % du nombre total d’averies et 23 % de celui des metadors. Pourtant la situation sous-jacente aux deux recensements était différente.
65Dans le compte final des metadors, excepté deux maisons casalères qui contribuaient à plus du double de la moyenne des paiements, tous les autres se trouvaient inclus dans un rapport qui variait d’un à deux ; alors qu’à l’inverse, pour ce qui est des averies, sept familles se plaçaient largement devant les autres. Même si globalement elles restaient bien en deçà des chiffres qu’atteignaient les plus gros éleveurs, elles entraient dans la fourchette de ce que payaient la majorité des anfochs au titre des averies. Ces sept maisons, qui exploitaient plus des trois quarts du bétail ovin appartenant aux casalers, n’étaient pas celles qui avaient le plus de gros bétail92 puisqu’elles ne contribuaient qu’à un quart des metadors déclarés. Dans un cas seulement, celui de Fijat de Llorts, il y avait correspondance : il possédait plus de 6 % des ovins casalers et 15 % des metadors. À l’opposé se plaçait Cabanes qui payait pour 16 % des avaries casalères et 3 % des metadors. Les besoins de terres pastorales collectives étaient plus pressants pour ces familles, c’est pourquoi elles se retrouvaient systématiquement en tête des listes de talles et bans.
66Une dernière nuance oblige à différencier les taillables entre eux. Le montant de la collecte était établi pour les différents secteurs délimités par le Conseil communal. Chaque année, la commune désignait un tallador ou bander par secteur. Celui-ci était invariablement choisi parmi les anfochs habitant une localité proche de la zone à contrôler. Dans tous les cas, il s’agissait de secteurs délimités sur les hauteurs, à la périphérie des habitations et de la zone de culture centrale93. Sur ces secteurs, les règles des bans obligeaient à des paiements différenciés selon que l’on introduisait des petits ou des grands troupeaux et selon le type de bétail qui profitait des herbages. En règle générale, le gros bétail payait beaucoup plus que les ovins. Par conséquent, il faut tenir compte qu’à règlement égal un éleveur pouvait avoir introduit un nombre de têtes plus important que d’autres. Cette différence explique partiellement le décalage que l’on remarque lorsqu’on compare les listes des talles et bans et celles de la questia. Les bans recouvraient deux types d’élevage. L’un avait un caractère spécifiquement autochtone, comme les paires de bœufs ou les têtes de bétail équin qui ne transhumaient pas ou peu, l’autre concernait les ovins ou les caprins qui pouvaient être plus nombreux et ne pesaient pas de manière uniforme dans les comptes de la talla.
67Mis à part quelques recensements limités à un secteur particulier sur lesquels il est difficile de s’appuyer tant leur représentativité est réduite, il n’existe aucun compte susceptible de nous livrer le détail des redevances qu’impliquaient les talles pour une année donnée. Les franchises et le recours à la transhumance permettaient d’éviter l’utilisation des solans en période de ban. En conséquence, toutes les maisons ne supportaient pas cette taxe de la même manière. Pour de nombreuses saisons, les recensements inventoriés ne prenaient en compte que les gros animaux où les porcs étaient les plus fréquemment taillés. Au sujet des porcins, la persistance de terres privées sous la dénomination de rouredas (chênaies) qui servaient à la glandée laisse supposer que certaines familles ne se contentaient pas d’engraisser une seule tête. En 1865, les porcins représentaient 20 % des gros animaux déclarés par le Syndic alors que, mis à part dans les règles des bans i talles, ils sont quasiment inexistants dans la documentation94. De là, la sous-évaluation chronique de ce type de cheptel dans les études portant sur l’élevage. Ces terres n’étaient ouvertes au bétail qu’au printemps et à l’automne. Pour les petits producteurs d’ovins et pour le cheptel qui stabulait en principauté au cours de la saison hivernale, les terres de bans constituaient un palliatif utilisé au cours de la soudure printanière.
68À l’inverse de la récapitulation d’averies de la questia, l’importance des paiements au titre de talles et bans ne constitue pas un repère représentatif de l’activité pastorale de l’ensemble des maisons tributaires. Ce prélèvement couvre trop de critères différents. Pour le moment, il ne peut être utilisé que comme une source qui révèle une certaine activité liée au cheptel sans que l’on puisse vraiment appréhender son organisation. D’autant que, pour en finir avec les talles, un dernier aspect complique encore les choses. Les activités artisanales qui débouchaient sur une commercialisation pouvaient être taillées en proportion de leur chiffre d’affaires. La seule référence qui permette d’estimer le taux en vigueur est celle que l’on trouve dans les ordinations du Conseil des Vallées ; au XVe siècle, les cabalers devaient 8 % pour la merceria.
69Les archives communales conservent peu de références comparables à ce type de taxe. Dans tous les cas, il s’agissait de services dépendants de la commune comme la boucherie ou l’hôtellerie. Ces cas sont spéciaux, car la mention des talles y est très ponctuelle et correspond le plus souvent au loyer de ces services. Dans la documentation privée dépouillée pour la période allant de 1622-1623 à 175095, sur 1 500 comptes nominatifs, il n’existe pas plus de références traitant de ce type de paiement. Au total, il n’y a guère que 400 citations de paiements de talla sur un total de plus de 11 000 transactions. Une mention de paiement pour une boutique, cinq pour une boucherie et soixante-dix pour des ateliers de forgerons96 sont les seules qui peuvent concerner, a priori, une talla fondée sur la vente de produits. Toutes les autres renvoient à des paiements reçus par les communes au titre des bans et talles. Pour les premières, qui semblent le plus se rapprocher de la notion de talla commerciale, encore faut-il se méfier de la première impression donnée par les chiffres. Dans la plupart des cas, il s’agissait seulement d’une disposition privée visant la répartition des gains et des dépenses entre les divers associés. Les comptes des différentes associations marchandes analysées mettent en évidence l’absence complète de paiement par rapport au volume de ventes dans la principauté. Les seuls paiements ponctuels de droits correspondaient à la participation à certaines foires ou aux droits exigés à des péages en Ariège comme en Catalogne. Le règlement des comptes au denier près, effectué après chaque opération, laisse supposer qu’il ne s’agit pas d’une lacune documentaire.
70En définitive, soit le paiement d’une taxe par rapport au volume commercialisé était tombé en désuétude, soit les personnes qui s’en acquittaient réellement étaient si peu nombreuses qu’il n’était pas nécessaire de constituer de nouvelles listes fiscales à cet effet97. On les inscrivait directement dans le cadre de talles et bans. Les comptes communaux, notamment ceux de Canillo pour le XVIIIe siècle et d’Andorre pour les XVIIIe et XIXe siècles, qui ont été intégralement dépouillés, ne portent aucune trace de cette ressource. La talla commerciale semble n’être au mieux qu’un reliquat. Les rôles de talles et bans établis sont vraisemblablement largement plus tributaires de l’élevage que d’une quelconque activité commerciale. De ce fait, l’écart observable dans le rapport questia / talles pour les deux types de maisons trouve son principal principe d’explication dans le rapport bétail stabulant / bétail transhumant. Vis-à-vis de cette taxe, il y avait par conséquent trois grands types d’économies familiales : celles qui possédaient une activité pastorale minime qui n’avait aucun besoin de recourir aux terres de bans, les franchises accordées sur le communal leur suffisant ; celles qui contrôlaient un cheptel plus important, mais n’atteignaient pas le seuil nécessaire pour pouvoir fonder leur travail sur la transhumance. Elles dépendaient des terres de ban pour l’intersaison, cela pouvait aussi bien concerner la filière ovine qu’équine. Enfin, venaient les plus gros éleveurs, leurs ovins quittant les vallées dès la fin de l’été, usant de ces secteurs seulement pour le gros bétail lorsque la transhumance se déroulait dans de bonnes conditions98. L’utilisation de ces terres ne concernait qu’une minorité des casalers. Dans tous les cas, il s’agissait de couvrir le déficit entre les besoins d’herbe du cheptel et la production de la maison. La réglementation des terres de bans était l’une des réponses qu’apportait la collectivité au déséquilibre endémique qui touchait les éleveurs, le manque de fourrage hivernal.
71La comptabilité communale contient une seconde taxe qui peut servir de traceur de l’activité pastorale : l’estrany. Celui-ci livre un autre aspect puisqu’il permet de saisir l’influence des estives andorranes sur les éleveurs étrangers. Comme pour la questia, ce facteur peut être retrouvé soit au niveau du Conseil Général, soit à celui de la commune. L’estrany n’apparaît pas dans les comptes qui s’établissent en début d’année puisqu’il n’entrait pas dans les profits prévisibles. Il était déclaré au cours de l’année, principalement à la fin du printemps et en été. Il était inclus dans un second résumé de comptes que faisaient les consuls en fonction avant de quitter leur charge, généralement au mois de novembre. Comme pour l’ascot, l’ensemble des rentrées et sorties était rapporté dans une liste qui permettait d’établir la balance des comptes du consulat. La distinction fondamentale consistait en ce que l’ascot considérait les frais fixes à couvrir par le consul qui entrait en charge, alors que, pour les comptes généraux, il s’agissait d’établir le relevé des charges qu’il avait assumées au cours de son mandat. Le mécanisme financier utilisé pour couvrir le passif différait complètement de celui employé lors de l’établissement de l’ascot. C’est au cours des clôtures des comptes que les rentrées financières étaient comptabilisées. La répercussion des dépenses sur la population dépendait des revenus qu’avait engrangés la commune.
II.a.4. Les frais de fonctionnement et les revenus communaux
72À l’inverse de ce qui se faisait en début d’année, moment de la prévision budgétaire qui tentait de répartir par avance les frais, les décomptes réalisés au mois de décembre étaient le résultat des paiements organisés de manière strictement chronologique. Le consul faisait face, au coup par coup, aux dépenses en s’adaptant à la conjoncture sur le très court terme. L’acceptation de la charge impliquait que les consuls puissent puiser dans les fonds courants pour couvrir les dépenses, mais, aussi, qu’une fois cette somme épuisée, ils avancent l’argent nécessaire. La dette ainsi contractée par la commune entrait alors dans les comptes de l’ascot du mandat suivant.
II.a.4.1. Fonctionnement et frais extraordinaires
73Les frais auxquels devaient faire face les consuls peuvent être classés en deux catégories. La première n’intéressait que la commune et son fonctionnement interne, la seconde touchait aux relations avec l’extérieur. Elle concernait les dépenses du Conseil Général qui n’avaient pas été comptabilisées au mois de janvier et les frais occasionnés par les relations avec les communes limitrophes. La base documentaire mise en œuvre afin d’observer la totalité de ces comptes a été constituée grâce au croisement des livres d’actes et de comptes de la commune de Canillo pour la période 1744-1779. Le choix de cette période, permet d’échapper aux effets de la guerre de la Succession d’Espagne et aux répercussions que pouvait avoir eu l’instauration du décret de la Nova Planta. En arrêtant les comptes avant la décennie 1780-1790, on fait disparaître une hypothétique influence des troubles prérévolutionnaires et révolutionnaires. Les sources bien définies ont pu être par la suite complétées et confrontées aux indices établis à partir des dépouillements des livres de Canillo, Ordino, Andorre et Sant Julià sur l’ensemble de la période couverte par les registres communaux. Pour ces fonds, deux approches ont été mises en œuvre. Certains facteurs qui permettent une approche sérielle ont été choisis sur le long terme. Parallèlement, le dépouillement de la totalité des comptes pour un moment donné permet de faire coïncider le cadre d’analyse.
74La confrontation des différents relevés a permis d’établir une année de comptes type pour la commune de Canillo. Seul le démontage du système financier permet d’appréhender la totalité des frais annuels avec une certaine fiabilité, car les regroupements de certains versements annuels, l’imprécision de certaines mentions, l’accumulation d’arriérés et les transferts de dettes sont autant de facteurs qui faussent l’analyse des données brutes.
75Les comptes de l’ascot de début d’année ont été estimés à 316 livres, les frais extraordinaires à 197 livres et les comptes de fin de consulat à 510 livres. Les œuvres sociales de la commune de Canillo représentaient plus du tiers du budget communal régulier fixé à la fin de l’année. Au plan religieux, l’une des charges les plus importantes était constituée par les rétributions reçues par le « prêtre habitué » qui incombaient intégralement à la commune. Celui-ci partageait avec le recteur un calendrier liturgique précis, fixé par la consueta, qui les conduisait dans les diverses chapelles de la paroisse99. Il recevait 28 livres par an pour une messe hebdomadaire pour les âmes de la paroisse. S’ajoutaient, pour les principaux saints, onze messes dites en l’église paroissiale100, la catéchèse qu’il faisait du premier jour de Carême jusqu’au dimanche de la Passion et certaines célébrations particulières non prévues dans la liturgie annuelle qu’il partageait avec le curé. Cela allait d’une procession chargée de garantir les récoltes à l’enterrement d’un berger français occis sur la Solana (1745), jusqu’à un exorcisme lorsque la tempête menaçait, ou la célébration d’un office de bon augure afin de protéger les agents communaux (1769). Globalement, la commune payait 75 livres l’an pour les services des deux prêtres auxquels se rajoutait à Pâques l’achat d’un rameau à la Seu d’Urgell (1,5 livre).
76Lorsque la commune n’avait pas de maître d’école attitré, le vicaire pouvait compléter les revenus de son sacerdoce en donnant les classes « de premières lettres » aux enfants (50 livres). La collectivité se chargeait des âmes et du savoir mais aussi des besoins matériels. Ce secours aux nécessiteux prenait diverses formes. Le lendemain de Noël à la Saint-Esteve (Étienne) on distribuait des fromages101, le Premier de l’An on offrait un repas aux pauvres et, tous les ans, pour Carnaval, on donnait une pièce de huit réaux à la confrérie des célibataires qui préparaient leur fête. Le consul faisait aussi moudre et pétrir de la farine au cours de l’année afin de faire du pain pour les déshérités102. Parallèlement à ces actes traditionnels, le consul pouvait agir épisodiquement lorsque des indigents ou des missionnaires arrivaient dans la commune. Les veuves sont régulièrement mentionnées sous cette rubrique.
77Cette entraide prenait un caractère plus important lorsque se déclarait une épidémie comme en 1753-1754 et 1766. Les disettes constituaient un second fléau auquel la collectivité devait faire face. La succession de mauvaises récoltes se traduisait par la mise en place d’un système d’achat de blé103. Dans certains cas, les communes agissaient indépendamment. D’autres fois, elles s’associaient, et les transactions étaient effectuées par des délégués de la Maison des Vallées. De 1744 à 1779, ce procédé fut mis en pratique quatre fois, en 1745-1746, 1749, 1752 et 1760, on importa alors plus de 150 charges de céréales de Cerdagne et de l’Alt Urgell. Dans la plupart des cas, les grains entraient dans la comptabilité de la bladeria communale et la commune les versait à fonds perdu puisqu’à partir de ce moment, la perception et l’administration des bleds ne dépendaient plus d’elle. Les prêts en numéraire gracieux complétaient la panoplie des actions solidaires. Le mécanisme était quasiment toujours le même. Dans un premier temps, seule la mention du prêt était portée dans les livres de comptes et seule sa pérennisation conduisait à l’établissement d’un acte sous seing privé qui impliquait le paiement d’intérêts104. Le secours financier était attribué aussi bien à des casalers qu’à des anfochs, mais il est à remarquer que les familles les plus démunies ne profitaient que rarement de ces prêts.
78La commune se chargeait de l’entretien des voies de communications et de celui des services communaux (boucherie, atelier du forgeron, scierie, moulin, etc.). Les journées consacrées à la garde des barrières à l’entrée du village, la réparation des ponts ainsi que la reconstruction des murs de soutènement ou des murettes, revenaient aussi cher que l’entretien des autres services communaux. Le Conseil s’occupait également de louer un gardien de mules105 (eguasser) auquel il fournissait de la poudre à fusil et une large cape en peau de mouton descendant jusqu’aux pieds (simara). Au total, l’ensemble de ces dépenses représentait 7 % du montant des comptes de fin d’année, quasiment autant que celles employées pour la justice et les cens payés par le consul au cours de l’année.
79L’une des particularités des cens était l’importance prise par les dons en nature (60 % de la valeur totale)106. Le rapport était encore plus important pour les frais dérivants du Conseil des Vallées. Systématiquement, pour chaque réunion ordinaire du Conseil Général, les conseillers faisaient ripaille. Chaque commune livrait deux jambons et deux fromages, soit en moyenne soixante-douze unités par an, auxquelles s’ajoutaient ceux qui étaient portés lors de la tenue d’un conseil extraordinaire107. On servait également, en moindre quantité, du poulet, des perdrix et des chapons. S’ajoutaient à ces aliments produits dans les vallées ceux d’importation que fournissaient les conseillers (sel, vin, huile, congre, morue, etc.). Ceux-ci entraient dans les comptes sous la rubrique des dépenses et correspondaient au remboursement des frais à la personne qui les avait apportés. Des repas étaient également préparés pour certains conseils communaux, notamment ceux au cours desquels on répartissait la questia et on louait les estives. Pour les services communaux, ces collations pouvaient être à la charge du locataire et elles constituaient parfois la totalité du loyer. Les paiements en nature étaient l’une des caractéristiques des droits d’empriu. À Canillo, tous les ans, on faisait livrer deux jambons et deux fromages au marquis de Gudanes afin de perpétuer les droits sur la haute vallée de l’Aston. A l’inverse, les loyers des orris communaux étaient exclusivement estimés en fromages. Jusqu’en 1753, ils furent les principaux pourvoyeurs de fromage à consommer et à livrer.,
80À l’ensemble de ces comptes réguliers, qui représentait la moitié des dépenses communales annuelles, se rajoutaient des dépenses que l’on peut qualifier d’extraordinaires, en premier lieu les frais de justice. Les terrains de la Solana, incessamment revendiqués par les communes de Mérens, de l’Hospitalet et de Carol, engloutissaient régulièrement une partie du budget communal de Canillo. Aux frais inhérents aux procès s’ajoutaient des déplacements fréquents qui conduisaient les représentants à Pamiers, Mont-Louis, Perpignan. En trente-cinq ans (1744-1779), en moyenne, un dixième du budget annuel passa en frais de justice. L’importance de ces dépenses obligeait parfois à un financement particulier, notamment en 1777, afin de payer 648 livres il fallut puiser dans l’arxiu, cette cassette conservée dans la chapelle de Sant Serni de Canillo. La situation était fort différente de ce que l’on observe dans la même commune à la fin du XVIe ou au début du XVIIe siècle. À cette époque, il fallait passer obligatoirement par une répartition du type de l’ascot afin de payer les frais de justice. Entre temps, la commune avait élargi la source de ses revenus.
81Le rôle de « poire pour la soif » qu’avait l’arxiu est également mis en évidence lors des pénuries de blé. Au XVIIIe siècle, la commune pouvait se permettre de faire livrer des céréales à la bladeria sans qu’elles soient prises nécessairement sur les comptes courants ou que l’on taxe directement les familles. L’emploi de cette provision allait au-delà de cette fonction de prévoyance puisque l’argent mis de côté permit de faire des investissements. On finança ainsi la construction de la forge (1724), mais aussi la reconstruction de l’église paroissiale qui coûta au moins 1 500 livres (1752-1760)108. Seule une partie des frais extraordinaires était prélevée sur le trésor communal. Lorsque le montant de la dépense ne dépassait pas les revenus annuels, on le payait directement sur le budget ordinaire de la commune. Les salaires des journaliers engagés pour construire ou reconstruire des orris, pour réparer la machinerie de la scierie, restaurer les toitures des édifices communaux, mais aussi les achats d’outillages, d’ustensiles de cuisine, de mesures et de luminaires, étaient absorbés par les comptes courants.
82Lorsque l’ensemble des dépenses ne pouvait être couvert de cette manière, deux possibilités se présentaient pour financer les projets : le consul avançait la somme et l’on insérait les débours dans les comptes de l’ascot de la législature suivante ; ou bien on puisait dans les réserves. Matériellement, cette provision ne se trouvait pas obligatoirement dans la caisse communale. En effet, les plus-values annuelles restaient parfois un certain temps dans les mains des consuls après la fin de leur mandat. Ainsi, les comptes des consuls de 1749 ne furent réglés qu’en 1760109. Ces dettes consulaires étaient parfois utilisées afin de couvrir les engagements auxquels ne pouvait pas faire face la commune au moyen des comptes courants. Par ce biais, elle recouvrait des sommes qui tardaient à revenir dans les caisses tout en évitant de puiser dans les réserves110.
83La comptabilité communale fonctionnait par conséquent sur trois niveaux. Aux deux premiers, qui considéraient l’ascot du début de législature et les comptes de fin d’année, s’ajoutait la caisse des dépôts complétée par les sommes appartenant à la commune, détenues provisoirement par un conseiller. Il faut donc être prudent lorsqu’on traite de l’endettement communal au XVIIIe siècle. Sur le court terme, une balance négative des comptes pouvait manifester une volonté de préserver les fonds et de résorber la dette uniquement en la répartissant sur les comptes courants. Ces procédés comptables se retrouvent dans la gestion des revenus communaux.
II.a.4.2. Les revenus communaux
84L’argent qui entrait dans les caisses provenait essentiellement de deux sources. L’une, strictement fiscale, correspondait à la répartition de la questia et de l’ascot, soit approximativement 16 % du budget comptabilisé. Dans ce cas, le Conseil communal servait d’intermédiaire entre la Maison des Vallées et les habitants. Pour les autres ressources, il était totalement autonome et comptait principalement sur l’exploitation de son territoire
85À Canillo, de 1744 à 1779, les recettes liées à l’exploitation foncière représentèrent 82 % des ressources communales, soit une moyenne de 1 087 livres par an. 83 % de ce montant dérivaient d’une activité pastorale. Les talles et bans et la plupart des amendes infligées aux éleveurs provenaient principalement du volet répressif de la réglementation communale111. L’estrany et, dans une moindre mesure, les rastolles en constituaient l’aspect positif112. On payait pour utiliser un droit d’exploitation collectif sur le communal dans le respect des règles édictées. Approximativement 4 % des revenus communaux furent obtenus par ce biais. À ces profits sur les animaux qui concernaient toute la collectivité, s’ajoutaient des prélèvements liés à des droits exclusifs concédés à certains habitants en particulier. La location des prés de fauche, des solans et des orris avaient une importance réduite (3,1 %), le gros des gains provenait de la location des estives qui, à elles seules, procuraient 59 % des versements annuels, soit 72 % des dividendes perçus sur le foncier. Le loyer de la forge, qui constituait la seconde source de revenus venait loin derrière avec 13,7 %. Notons que pour cette période d’analyse le montant annuel moyen du bail est faussé puisque cette fabrique avait définitivement fermé ses portes en 1763. Lorsqu’elle était en pleine activité, le loyer le plus élevé qui fut payé par Jean-Baptiste Bonneri d’Ax représentait 29,3 % du budget (475 livres)113. Cependant, cette forge ne travailla que trente-cinq ans, sur un siècle son rôle financier fut inférieur au dixième des revenus communaux.
86L’activité économique communale était fondée essentiellement sur le marché foncier, mais l’agriculture paraissait fort peu dans les comptes. La sidérurgie n’était qu’un complément. D’autant que la forge communale, dite de Ransol, n’était pas la seule en activité dans cette commune. Depuis 1716, un établissement sidérurgique privé avait été implanté aux Bordes d’Envalira et le fondateur de la forge s’était assuré d’un seul coup toute la matière première nécessaire pour une soixantaine d’années114. Cette fabrique n’a laissé que peu de témoignages dans la comptabilité communale. La forge de Ransol y figure aussi peu, mais cela s’explique par la technique comptable utilisée. Sur près de 6 700 livres, correspondant aux loyers de 1744 à 1761, seules 775 livres furent inscrites dans le budget communal. Lorsqu’ils n’étaient pas automatiquement affectés à un usage particulier, la plupart des paiements perçus allaient directement alimenter l’arxiu. Régulièrement, des actes ponctuels pour lesquels on établissait un acte sous seing privé n’étaient pas inscrits dans la comptabilité. Ainsi, lorsque le consul Pelliser rendit compte de ses activités pour la période 1749-1760, il fut précisé qu’il avait reçu 2 800 livres des locataires de la forge, ce qui équivalait à plus de deux ans de budget communal. Un quart de cette somme avait servi à fonder ou à payer des censals, le reste ayant été employé à l’achat de céréales et au financement de l’un des procès de la Solana. Cette pratique, courante pour les entrées « extraordinaires » d’argent, doublait le fonctionnement normal de la tenue des comptes. Comme ces sommes n’étaient pas prises en compte lors de la mise au net du budget, cela accentue encore davantage le caractère pastoral des recettes de la collectivité de Canillo au XVIIIe siècle.
87La balance des revenus établie pour la commune de Canillo ne doit pas être transposée sans précaution aux autres communes de la principauté. Dans la commune d’Andorre, au cours de la même période, les recouvrements pastoraux n’entraient que pour un peu plus de la moitié dans les comptes (53 %). La différence provenait principalement de la manière d’exploiter les services communaux. Au cours de cette période, les loyers des hôtels et des boucheries à Andorre115 fournissaient 21 % des revenus (3 850 livres) alors que, à Canillo, à l’inverse, le Conseil dut payer le tenancier afin que l’hôtel restât ouvert116. À Sant Julià, ce phénomène s’accentuait. Entre 1744 et 1779, le Conseil de cette commune ne reçut que 1 355 livres de loyer117 pour ses cortons et ses prés, alors qu’il perçut 8 511 livres pour la location des services communaux118 auxquelles s’ajoutèrent 5 058 livres provenant du bail du moulin119. La puissance économique de ces communes était également largement différente. Au total, le Conseil de Canillo avait perçu 28 030 livres pour ses herbages soit 4,9 fois plus que ce qu’il avait payé de questia. Celui d’Andorre, entre services et pâturages, encaissait 10 768 livres, moins du triple que la questia. À Sant Julià, le montant avait été de 14 924 livres, 4,4 fois plus que la taxe. Encore faut-il préciser que, entre 1744 et 1779, les habitants de Canillo s’étaient chargés de 22,6 % du montant global de l’impôt de la principauté alors que ceux d’Andorre, qui étaient plus nombreux, ne s’étaient acquittés que de 15,5 % de cette somme. La population de Sant Julià, quant à elle, n’avait contribué qu’à hauteur de 13,4 %.
88La situation florissante de Canillo permettait de dégager et d’investir un excédent important. Dans les deux autres communes, les consuls couvraient globalement la dépense et évitaient, comme à Canillo, d’avoir recours aux répartitions afin de combler les déficits. Mais cette situation excédentaire avait-elle toujours été la règle ? Afin de tenter de répondre à cette question, il est nécessaire de déplacer le cadre d’observation un siècle en amont. La documentation communale conservée susceptible d’apporter une réponse date au plus tôt de la seconde moitié du XVIe siècle.
II.b. La monétisation du marché communal
89L’élevage, le plus important pourvoyeur de revenus au XVIIIe siècle, constitue par conséquent notre premier centre d’intérêt.
II.b.1. Estives et transhumance, droits communs et monopole
90Comme nous l’avons déjà vu, la réglementation des cortons s’imposa au cours du passage du XVIe au XVIIe siècle. Progressivement, en un demi-siècle approximativement, deux phénomènes complétèrent l’établissement de ce système locatif. D’une part, il y eut une segmentation des secteurs initialement loués ; de l’autre, les herbages baillés furent progressivement limités au domaine de la haute montagne, la plupart des terres basses disparaissant des baux. Au cours de la première moitié du XVIIe siècle, la définition des limites territoriales des secteurs témoigne de la mise en place de ce système d’exploitation. Celui-ci, même si la propriété de la terre n’était pas concernée, apparaît comme une privatisation saisonnière des estives. En été, seuls les éleveurs capables d’assumer les frais des loyers pouvaient y accéder.
II.b.1.1. De l’implantation des cortons
91Pour tenter d’expliquer la généralisation des cortons, une première hypothèse consiste à penser à une augmentation significative du cheptel qui aurait entraîné la modification du système d’exploitation communal. Cette idée qui associe étroitement la hausse de l’activité pastorale qui débuta à la fin du XIIIe, se confirma au début du XIVe siècle et atteignit son apogée lors de la mise en place du système locatif des cortons, est séduisante. Mais elle ne résiste pas à l’épreuve des faits. En effet, s’il est indéniable que le mécanisme d’appropriation saisonnière se mit en place vers 1600, il ne fut pas la conséquence directe d’un accroissement du cheptel. Au début du XVIe siècle, le bétail déclaré par les habitants était aussi nombreux qu’au début du XVIIe siècle120. Entre 1516 et 1600, le nombre moyen de têtes ovines signalé annuellement fut de 36 700. Par la suite, entre 1600 à 1640, ils étaient 35 500.
92Si l’accroissement du nombre de bêtes n’est pas à l’origine de la création des cortons, l’explication ne peut venir que de l’organisation ou de la gestion des troupeaux. Une augmentation du nombre d’animaux étrangers dans le cheptel de certains éleveurs permettrait également d’expliquer ce phénomène. Mais, mis ensemble, ces faits ne sont pas cohérents. Dans le premier quart du XVIe siècle, le rapport entre le nombre du bétail étranger déclaré et celui qui appartenait à des Andorrans varia approximativement de 1 pour 7,4 à 1 pour 5,5. Ces chiffres se maintinrent jusque dans le premier tiers du XVIIe siècle. De 1616 à 1640, les animaux étrangers constituèrent 16,3 % du cheptel121. A ce moment-là, comme un siècle plus tôt, il y avait un grand nombre de bêtes, mais elles appartenaient en majorité à des Andorrans.
93Si l’on observe de plus près chacune des communes, il est évident que l’accueil fait au bétail étranger n’était pas homogène. Proportionnellement, à Canillo, de 1616 à 1640122, le bétail hébergé représenta un quart du cheptel paissant sur les estives communales (27,9 %). A Sant Julià, il atteignait 16,4 % du troupeau total, alors que, à Andorre, il fut de 2,7 %123. En nombre de têtes, c’était à Canillo que ce type d’animaux était le plus important. Il fut déclaré en moyenne 2 686 têtes, soit le tiers des animaux étrangers entrés en Andorre au cours de cette période124. L’importance de ce cheptel jouait différemment d’une commune à l’autre et il variait également fortement sur de courtes périodes. Par exemple, en 1608, 4 943 ovins estranys passèrent la bonne saison sur les estives de Canillo, alors que, en 1610, ils n’étaient plus que 870. A l’inverse, à Encamp, leur chiffre passa de 524 à 1 385. Cette disparité des chiffres fait qu’il est quasiment impossible de déterminer une tendance commune aux six paroisses. L’explication est probablement à chercher dans l’organisation des troupeaux. En moyenne, 5 627 têtes déclarées se répartissaient sur six paroisses. Si l’on met à part la paroisse d’Andorre qui ne participait quasiment pas à l’estrany en ce début de siècle, cela fait 1 125 bêtes par commune. Ce chiffre par commune est faible, si l’on pense que les troupeaux possédés par les gros éleveurs le dépassaient. Un seul acte privé conclu entre deux gros éleveurs organisant une compagnie pastorale fausse totalement la tendance générale. De 1645 à 1750, dans tous les cas recensés, le nombre de bêtes regroupées dans une compagnie fut supérieur à 2 000 têtes et atteignit parfois plus de 6 000 bêtes125. Notons tout de même que sous la dénomination troupeau d’Untel, grand éleveur dirigeant une compagnie, se cachait une réalité plus complexe ; la compagnie associait différents types d’éleveurs : il s’agissait d’un ou plusieurs troupeaux possédés en multipropriété. Au niveau communal, l’estrany ne concernait qu’une petite partie de la population – approximativement 10 % des maisons recensées à Ordino – et parmi cette minorité d’éleveurs, la plus grande part allait aux deux ou trois plus gros éleveurs. Cette remarque ne caractérise pas que cette période. Les mêmes conclusions sont livrées par les comptes de Canillo, de 1551 à 1558, moment pour lequel tous les recensements sont connus126.
94Les cortons, qui étaient un moyen de s’approprier certaines estives, constituaient un moyen de satisfaire un besoin accru d’herbages. La nécessité de sortir du cadre réglementaire classique impliquait que les éleveurs qui y avaient recours se situent au-dessus du seuil limite fixé par le Conseil communal. Grosso modo, les divers cas recensés montrent que la marge se situait entre 150 et 250 têtes, plus rarement 300 têtes sur certains secteurs à Canillo. Dans cette dernière commune, si l’on admet une moyenne réduite à 150 têtes127, la tolérance communale atteignait approximativement 12 000 animaux alors que, dans le meilleur des cas, en 1640, il n’y avait que 9 718 têtes de bétail estrany et andorran sur les estives communales128. Par conséquent, selon une approche purement statistique, les habitants n’avaient aucun besoin de recourir à la location des cortons. Cela se confirme lorsqu’on observe le nombre de têtes déclarées. La plupart des éleveurs signalaient de maigres troupeaux composés d’une dizaine de têtes. À contrario, en ce début de XVIIe siècle, des éleveurs comme Guillem Areny Vidal d’Ordino, Pal de la Cortinada, Calvo de Soldeu, Pelliser du Vilar de Canillo, Guillemo ou Moles d’Andorre ou encore Joan Antoni Torres d’Encamp, pour n’en citer que quelques-uns, ne pouvaient se contenter de l’application stricte du droit communal. Le bétail étranger était le plus souvent considéré par les éleveurs comme un moyen de compléter leur propre troupeau afin d’atteindre le plafond autorisé par la commune. S’ajoutaient les bans qui étaient le moyen de détourner la règle en contrepartie d’un paiement. Si l’on compare les solutions qui se présentaient à eux, la mise en place des cortons assurait une plus grande superficie et permettait de mieux prévoir les ressources en herbe dont disposeraient les bêtes. En dernière analyse, ce mécanisme limitait aussi les possibilités de contestation, car l’exclusion d’un secteur du droit communautaire évitait que les petits troupeaux se trouvent en concurrence avec les plus gros sur le même secteur et offrait l’avantage de donner de nouveaux revenus à la commune.
95Maigres revenus dans un premier temps, car, comme pour les orris, il y eut des loyers fixés en nature lors des premières années de location129. À Ordino, de 1600 à 1645, le loyer moyen d’une estive ne dépassa pas 113 sous par saison. Au même moment, à Andorre, il fut de 53 sous et atteignit 95 sous à Sant Julià. Pour les trois communes, 283 locations furent souscrites à un prix moyen de 80 sous130. Les communes baillaient un nombre restreint de cortons131 et obtenaient par ce biais entre une quinzaine et une trentaine de livres par an. On est loin de la situation analysée pour le XVIIIe siècle, période au cours de laquelle la plus grande partie des dépenses des communes était assurée grâce aux loyers du domaine supra-forestier. À simple titre de comparaison, de 1700 à 1750, la moyenne des loyers à Andorre fut supérieure à 20 livres et la commune reçut plus de 80 livres catalanes par an pour ces herbages. De 1750 à 1800, elle perçut annuellement en moyenne 246 livres pour ses cortons. À Canillo, à la fin du XVIIe siècle (1671-1700), la moyenne était de 142 livres pour une dizaine de locations et au terme du XVIIIe siècle, le montant annuel fut supérieur à 1 000 livres. Inutile pour l’instant de corriger ces chiffres des variations monétaires ou de celles des prix pour se rendre compte que la « monétisation » du marché communal s’effectua au cours du XVIIe siècle.
96Une seule référence antérieure pourrait mettre à mal ce raisonnement. En 1325, Bernat Martí de les Bons conservait 41,5 livres appartenant à la commune d’Encamp, qui correspondaient à une part de la somme reçue des habitants de Cerdagne pour les herbages d’Engaït et de Montmalus132. Deux arguments conduisent à ne pas assimiler cet acte à une location de cortó classique. En premier lieu, le bail fut passé par des habitants extérieurs aux vallées, ce qui ne correspond pas à la règle de ce type de locations pour lesquelles le bétail étranger entrait quasiment toujours dans le cadre du conlloch133. En second lieu, il semble improbable que le tarif appliqué se rapporte à une location saisonnière. Dans le meilleur des cas, si l’on considère qu’il s’agissait du regroupement de deux locations (Engaït et Montmalus), le prix unitaire de ces baux est comparable aux montants atteints par les cortons d’Andorre dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, après un siècle et demi d’augmentation constante134. Les seuls tarifs pour lesquels l’ordre de grandeur des montants engagés s’apparentaient à ces valeurs correspondent à des prêts à réméré gagés sur des estives dont la documentation de toutes les communes a livré plusieurs exemples. La référence de 1325 est probablement plus proche de ces actes que de la location des cortons.
97La location des estives constituait une entorse à l’usage collectif des montagnes qui prévalait dans toutes les réglementations étudiées. Avant 1600, les dépassements des quantités d’animaux autorisés – mis en évidence grâce aux rôles fiscaux (questia et estrany) – n’entraient dans l’économie communale qu’au travers des bans et de cots. Le surplus d’animaux se gérait dans le cadre réglementaire classique dans lequel tous les éleveurs avaient les mêmes droits. Comme chaque fois dans ces cas-là, les nouveaux statuts de ces secteurs ne modifièrent pas l’ensemble des règlements. Les bans continuèrent à être applicables aux pâturages qui ne se louaient pas.
98Si l’usage des cortons était en train de se roder dans cette première partie du XVIIe siècle, l’emploi des ressources procurées ainsi à la commune n’était pas non plus complètement fixé. Le 4 mars 1614, au lieu d’utiliser le montant des loyers dans les comptes courants comme cela devint l’habitude par la suite, le Conseil communal d’Ordino décida de répartir l’argent sur la population. Il est à noter que cette décision, précisant que c’étaient les maisons de la paroisse qui devaient recevoir cet argent135, fut beaucoup moins égalitaire qu’il ne semble au premier abord. En effet, seules les maisons d’anfoch bénéficièrent de cette distribution136. Peu favorable aux casalers, cette résolution doit être replacée dans son contexte pour être saisie à sa juste mesure. À cette date, la plus grande partie des frais communautaires reposait sur les anfochs. En suivant au pied de la lettre cette logique, il était normal que seuls les responsables de l’économie communale bénéficient des revenus issus du communal. Loin d’être une décision à caractère charitable, il était plutôt question d’un prêté pour un rendu. L’appartenance à cette catégorie de la population, et surtout les charges qui en découlaient, donnaient droit aux bénéfices lorsqu’ils existaient137. Une vision un peu plus séditieuse établirait un parallèle entre les principaux bénéficiaires de l’instauration des cortons, qui étaient également les personnages les mieux représentés au sein de l’exécutif communal, et ceux qui eurent droit au partage qui étaient tout simplement les seuls à posséder un droit politique pouvant servir à bloquer la mise en place du mécanisme de location. Les éleveurs les plus importants étaient les premiers intéressés par les cortons.
99Il semble que la quantité de bétail étranger venu dans la commune influait sensiblement sur les loyers des cortons. La courbe des prix des deux estives de Sant Julià (1602-1644), indexée sur les cinq premières années de location, présente des similitudes avec celle de l’évolution de l’estrany établie sur la même base. Il est évident également que la quantité du bétail andorran jouait aussi un rôle dans ce mouvement puisque, notamment après 1634, la réduction constante des chiffres de l’estrany n’inversa pas la tendance des loyers qui continuèrent au contraire à augmenter. Une constatation identique peut être faite à partir des chiffres, même fragmentaires, que nous possédons pour la commune d’Ordino. En ce début du XVIIe siècle, la location des estives était tributaire des deux types de cheptel et ceux-ci n’évoluaient pas forcément de la même manière. Une seule constante apparaît clairement, l’identité des éleveurs. À Ordino, en 1636, Guillem Areny recevait plus de 700 têtes d’estrany, il loua la vallée de Sorteny. En 1647, il hébergea mille têtes, il prit à bail simultanément celles de Sorteny et de Rialb. En 1648, Guillemó d’Andorre déclara près de 800 animaux étrangers, il occupa l’ensemble de la Vall dels Orris. Parallèlement à ces contrats passés avec des éleveurs extérieurs aux vallées qui les plaçaient aux premiers rangs des listes de déclaration de l’estrany, ces personnages possédaient également des troupeaux relativement importants qui les situaient en tête des tributaires de la questia, d’où la double influence observable dans l’évolution des loyers des cortons. Sur le moyen terme, l’évolution de leur propre cheptel pouvait les conduire à arrenter les pâturages communaux lorsque le nombre d’animaux qu’ils possédaient dépassait le seuil toléré par les règlements ; le même résultat était obtenu sur le court terme lorsqu’ils s’associaient pour une saison ou deux avec des éleveurs étrangers. La courbe des prix résulte de la combinaison de ces deux facteurs qui ne suivent pas obligatoirement la même tendance.
100Une question se pose néanmoins : s’il n’y eut pas un développement significatif de l’élevage au cours du XVIe siècle, qu’est-ce qui conduisit les plus gros éleveurs de la principauté à mettre en œuvre ce nouveau type d’exploitation qui les obligeait à payer pour un droit jusqu’alors gratuit ?
101A notre connaissance, aucun document ne permet d’apporter une réponse catégorique, mais deux hypothèses principales peuvent être émises. La première est à mettre en relation avec une vague de mécontentement au sein de la collectivité. Les ressources communales se trouvaient assujetties aux besoins de certains éleveurs, la solution des cortons permit de cantonner les gros troupeaux et procura de nouvelles ressources à la communauté. Mais cette explication, seule, ne paraît pas suffisante au vu des personnes concernées. Les familles que l’on retrouve dans les baux furent celles qui influencèrent la politique communale tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. Au cours de la mise en place des cortons, ce sont ces mêmes chefs de maison que l’on retrouve le plus fréquemment dans les comptes de la Maison des Vallées. A titre d’exemple, les personnages les plus représentés dans la documentation de la Maison de Vallées sont Guillem Areny d’Ordino qui fit 17 locations sur 84 à Ordino entre 1610 et 1647, Guiliemó d’Andorre qui en fit 113 sur 219 à Andorre entre 1609 et 1660, mais on y retrouve aussi, entre autres, Joan Antoni Torres d’Encamp, Martí de les Bons, Calvo de Soldeu, Toni Nagual de Nagol, Pal de la Cortinada, etc. Leur rôle et leur influence, tout au long de la période étudiée, ne cadrent pas avec l’idée d’une volonté générale qui leur aurait été imposée par l’ensemble de la communauté. À l’inverse, même, il est plausible que, si la solution de la location fut adoptée, c’est vraisemblablement parce qu’elle leur était favorable. Ce contexte conduit directement à la seconde hypothèse, la modification qui affecta l’élevage andorran entre le XVIe et le XVIIe siècle ne concerna pas l’ensemble du cheptel mais seulement celui de certains éleveurs. Le besoin accru d’herbages estivaux était lié à un accroissement de la quantité d’animaux au sein des mêmes compagnies pastorales. En d’autres termes, le bétail n’était pas plus nombreux, mais réparti différemment. Par voie de conséquence, cette conclusion conduit à une autre proposition, si les troupeaux devenaient plus importants, cela entraînait nécessairement un plus grand besoin de transhumer. Une seconde problématique sous-jacente se pose : s’il y eut développement de la transhumance, quel fut le type de migration que cela affecta et peut-on saisir ces modifications ?
II.b.1.2. Estivage, hivernage et transhumance
102L’importance des troupeaux avant le XVIIe siècle est corroborée, indirectement, par l’augmentation significative de la proportion de terres pastorales privées observée dans les actes établis à partir du XVe siècle. Cette hausse témoigne d’un accroissement des besoins de pâturages hivernaux, donc du nombre d’animaux non-transhumants. Les porcins, les bovins et les équins constituaient une partie de ces animaux qui migraient peu, du fond de vallée vers les estives. Mais la réglementation est claire, ils n’étaient pas les seuls animaux à être concernés, des ovins passaient également l’hiver dans les vallées. L’assimilation entre élevage ovin et élevage transhumant peut conduire à des erreurs. C’est par exemple le cas en Castille où à la suite des travaux de Julius Klein, les millions d’ovins castillans étaient généralement considérés comme transhumants, alors que, parmi les 18,6 millions d’animaux cités par le Catastro du marquis de Ensenada, il n’y avait que 18 % de bétail transhumant138. En Andorre, les règles établies pour les petits animaux considéraient généralement des droits de 75, 100 et 150 têtes par secteur. Si le législateur fixait ces seuils, c’est sûrement parce qu’ils permettaient au plus grand nombre de bénéficier des pacages hivernaux sans dépasser le seuil d’admissibilité de ces terres. Les prés de fauche et ceux qui servaient à la consommation sur pied en début de saison étaient le complément nécessaire pour passer le cap du début d’année. Certaines communes basses, notamment Andorre et Sant Julià, précisaient parfois que le bétail estrany pouvait servir à compléter les troupeaux admis sur ces terres situées à faible altitude au cours de l’hiver. Les éleveurs des paroisses élevées pouvaient ainsi bénéficier d’herbages sans quitter la principauté.
103Si l’on prend pour exemple un seuil fixé à 100 têtes, à Canillo, le maximum d’animaux autorisés se situerait à près de 9 000/10 000 têtes alors que c’est approximativement le maximum d’animaux déclarés pour la questia au XVIe siècle139. Pour l’ensemble de la principauté, la moyenne se situait à 6 215 têtes par commune. Ce chiffre, purement théorique, situait le cheptel paroissial au-dessous des maxima autorisés par les communes sur les rebaixants au cours de la saison hivernale. Cependant, il ne faut pas oublier que, en réalité, une partie des animaux quittait les vallées et que, même si le nombre d’éleveurs concernés par la migration saisonnière était réduit, cela pouvait toucher une partie relativement importante du troupeau.
104La première taxation faisant référence nommément au bétail andorran né au cours de celle-ci date de 1497, ce texte est une récapitulation d’un prélèvement déjà existant, aucunement une création140. En 1341, lorsque furent reprises les dispositions prévues par Bernat III de Castellbó, il était précisé que les animaux possédés en gasaille (parceria)141, que l’on conduisait au-delà du péage de Nargô, devaient 18 deniers par centaine142. Ce passage peut être interprété de deux manières : soit les animaux allaient en transhumance, soit ils allaient aux foires et ne faisaient le voyage que dans un sens143. Le texte désignant les seuls animaux passant le péage laisse entendre qu’une partie des animaux restait dans le secteur pyrénéen au cours de l’hivernage. On retrouve ces animaux dans le capbreu énonçant les rentes que recouvrait l’évêque en Andorre : les animaux nés dans l’Urgell, c’est-à-dire les animaux andorrans qui transhumaient sans sortir du domaine de l’évêque de la Seu, payaient un neuvième des agnelages, contre un dixième pour ceux qui ne quittaient pas les vallées et un huitième pour ceux qui naissaient en plaine, hors de la juridiction de cet évêque. Le cheptel était géré en suivant le calendrier d’une année pastorale qui combinait une transhumance courte dans le piémont avec l’estivage en haute montagne. Ce cas de figure présente des similitudes avec celui observé par Juan José Larrea pour l’Aragon au Xe siècle ; il s’agit de déplacements courts inter-montagnards144. Ce modèle n’était pas le seul appliqué puisqu’un document de 1326 traite sans équivoque de la migration saisonnière sur de longues distances. Lorsque Jacques II demandait que le procurateur de Meià suive les mêmes règles que le prieur de Sainte-Marie de Meià pour le bétail andorran, il statuait à propos de l’un des plus importants nœuds de transhumance145. Par conséquent, le passage d’animaux provenant d’Andorre est irréfutable dès le XIVe siècle146. Plus ponctuellement, la transhumance est attestée, par exemple en 1320, lorsque Bernât Marti de les Bons reconnaissait devoir à Pere Mora de Pradell de Sió (Urgell) 97,25 livres pour la moitié de la parceria qu’il avait passée avec Ramon Vilalta147. Mais, dans l’ensemble, pour cette époque, il reste difficile d’établir la propriété et l’importance du cheptel qui migrait jusqu’à la plaine. Remarquons tout de même que la tarification par centaine que l’on appliquait à Nargó ne concernait qu’une poignée des troupeaux ovins déclarés dans le cadre de l’estrany au début du XVIe siècle, la plupart des troupeaux étaient inférieurs à cette unité de base.
105Pour les animaux étrangers, l’utilisation des baux à cheptel (parcerias) semble courante. Ils furent mentionnés en 1317, lorsqu’on statua à propos des pâturages du Baridà (frontière andorrano-cerdane), et en 1341, lorsque furent établis les droits de passage des animaux andorrans à Nargó. En 1280-1281, en Cerdagne, ils constituaient 15 % de l’ensemble des transactions traitant de bétail inscrites dans les registres notariaux de Puigcerdà148. Mais que peut-on réellement déduire de la place relativement importante que tiennent ces baux dans la documentation à cette époque ? La référence précisant l’obligation de payer le péage à Nargó149, alors que le bétail andorran ne l’acquittait pas, servait uniquement à distinguer ces animaux ne bénéficiant d’aucune franchise. Cette clause ne permet pas de conclure à une supposée prééminence de ce cheptel. De même, lorsque le bétail de parceria était différencié du reste du bétail paissant sur une montagne ou un empriu, le seul but était de distinguer les animaux appartenant aux ayants droit, voisins du secteur de dépaissance, de ceux qui venaient d’ailleurs. De la même manière, l’inscription des actes de parceria dans les registres notariaux ne trouve pas son pendant dans la gestion des autres animaux : le croît du troupeau et la plupart des mouvements du cheptel ne donnant lieu à aucun enregistrement. Pour finir, dans le plus grand nombre des cas, les animaux mentionnés dans les actes de parceria étaient des bestiaux peu ou pas soumis à la transhumance. De 1619 à 1699, sur 447 contrats de parceria établis par les diverses chapellenies de la paroisse d’Andorre, seuls 10 % concernaient des ovins ou des caprins150. Il est également courant de trouver dans les comptes patrimoniaux des XVIIe et XVIIIe siècles des mules ou des bovins qui quittaient les paroisses d’altitude (Ordino, Canillo) pour aller stabuler au plus fort de l’hiver dans des secteurs bas, à Andorre, à Sant Julià ou en Urgellet151. En été, ce sont probablement ces mêmes animaux que l’on retrouve dans les comptes de l’estrany. Par exemple, en 1555, onze éleveurs de Canillo déclaraient 64 têtes de gros animaux parmi lesquelles cinq mules déclarées directement par Thomas Ribot des Escaldes152. Il est à noter que, le plus souvent, pour les ovins, les parceries se faisaient pour des animaux qui n’allaient pas en transhumance153. A l’opposé, les ovins transhumants n’appartenant pas au propriétaire de la compagnie pastorale intégraient le troupeau au titre du conlloch. Le plus souvent, pour le propriétaire des moutons, qu’il soit andorran ou étranger, il s’agissait uniquement de financer la migration saisonnière. Le croît et le produit de chaque tête revenaient au propriétaire de l’animal sans qu’il y ait répartition et lorsqu’il s’agissait d’animaux vendus aux foires, il percevait l’intégralité de la valeur de l’animal après soustraction des frais de voyage.
106Une conclusion s’impose, le nombre des parceries peut servir de révélateur d’une activité pastorale, mais il est difficilement assimilable à un développement du grand mouvement pendulaire. En second lieu, une prééminence du bétail étranger pose une autre question plus générale, elle impliquerait le passage d’une transhumance ascendante – le gros des animaux appartient à des étrangers – à une transhumance descendante dans laquelle le cheptel possédé par les Andorrans est majoritaire. Si, au XIIIe siècle, l’activité pastorale des cisterciens de Poblet et de Santa Creus154 montre qu’une partie du bétail qui allait estiver en Cerdagne provenait du piémont pyrénéen, pour le secteur andorran, les indices documentaires connus restent peu parlants et il est impossible d’estimer précisément la provenance et l’importance du cheptel. Si l’on se réfère aux chiffres tardifs du XVIe siècle, il s’agissait au plus de 15 % du cheptel, mais rien ne permet d’affirmer que le rapport ait été constant.
107Si le cadre réglementaire collectif fut suffisant jusqu’à la fin du XVIe siècle pour garantir les pâturages estivaux à l’ensemble des éleveurs, c’est sûrement que le nombre de troupeaux qui sortaient du cadre établi était limité. La formation des cortons ne se traduisit par aucune modification des règles appliquées à l’hivernage, ce qui montre que les cheptels transhumants étaient à la base de ce phénomène. Si, au XVIIe siècle, les éleveurs concernés par ce type d’exploitation étaient relativement peu nombreux par rapport au nombre total de maisons, il est logique de considérer qu’ils l’étaient encore moins auparavant lorsque le mouvement se mit en branle. Le passage d’un élevage principalement pyrénéen aux XIVe et XVe siècles à un élevage mixte (plaine/montagne) à la fin XVIe et, au début XVIIe siècle, ne peut être abordé pour l’heure que d’une manière partielle. Une étude approfondie, qui reste à faire, aboutira sûrement à fragmenter cette phase. L’augmentation de la pression pastorale, à la fin du XIIIe et au début du XIVe siècle, fut probablement freinée. Pestes, guerres et carences alimentaires s’enchaînèrent à partir del primer mal any (1333) et ne purent avoir qu’une incidence néfaste sur cette activité. Pratiquement, sur le court terme, ils rendirent impossible le développement de la transhumance puisque les déplacements étaient considérés comme un vecteur potentiel de propagation de l’épidémie155. Sur le long terme, la chute démographique qui est estimée aux deux tiers, voire aux trois quarts de la population catalane entre 1333 et 1400 dut affecter directement la demande156. Il y avait moins de bouches à nourrir et la demande textile s’était réduite. Par conséquent, l’élevage ne pouvait qu’être touché. Une reprise de l’activité au cours du XVe siècle, qu’il nous est impossible d’appréhender dans le détail, conduisit aux maxima enregistrés dans les premières décennies du XVIe siècle, sans qu’il fût nécessaire de toucher au cadre réglementaire dans lequel se développait cette activité157.
108Cette évolution ne toucha pas seulement l’organisation de la migration des troupeaux. Elle avait également des conséquences économiques et elle répondait probablement aussi à une restructuration des réseaux commerciaux. L’une des clefs qui expliquerait le développement des compagnies pastorales au cours du XVIe et du XVIIe siècle serait un changement des conditions de vente du bétail. Les propriétaires de ces compagnies faisaient descendre à leurs frais les animaux jusqu’à Barcelone ou Lleida pour les vendre directement à la boucherie158. Nous ne disposons d’aucune référence comparable pour la période antérieure. Même si c’est un travail à poursuivre, les divers sondages effectués n’ont délivré aucune référence assimilable à ce type de transactions159. Au mieux, certaines mentions de grossistes rencontrés en Cerdagne ou en Alt Urgell sont-elles citées. Ne peut-on pas imaginer qu’à l’image de ce boucher barcelonais qui s’était déplacé jusqu’à Puigcerdà pour approvisionner son établissement160, l’élevage andorran se trouvait dans une position où il passait par des intermédiaires pour vendre sa production ? Des foires pyrénéennes comme celles de Puigcerdà, la Seu d’Urgell, Organyà et Oliana, pouvaient servir de point de rencontre. De fait, elles jouaient encore ce rôle pour les petits éleveurs au cours des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais alors que, au cours de cette période, elles étaient le terminus du voyage pour les petits producteurs, le gros des troupeaux dirigés par les compagnies pastorales allait en plaine et une partie de celui-ci finissait le trajet directement sur les lieux de consommation. Un autre facteur qui pouvait jouer était le type de production recherchée. La majorité du cheptel des compagnies pastorales était destinée à la boucherie, mais était-ce le cas auparavant ?
109Le passage de la vente indirecte à la vente directe constitue probablement l’un des fondements qui modifia l’élevage andorran au cours du XVIe et du XVIIe siècle. Les cortons résultent de l’accroissement de la demande d’herbages estivaux pour les gros troupeaux. Ils impliquent également un changement des stratégies pastorales puisque la location se faisait généralement en février. La variation des besoins d’herbage ne pouvait dépendre du croît naturel (mars-avril), ni des transactions qui pouvaient être passées au cours des foires de printemps trop tardives pour que la location puisse se faire pour l’été suivant. C’est, au plus tard, au cours des foires d’automne que devait se fixer la prévision des besoins. La croissance de ces compagnies s’accompagnait de deux phénomènes sous-jacents, liés à l’obligation de transhumer : d’une part, elle fournissait à ces éleveurs la possibilité de servir d’intermédiaires et, de l’autre, elle induisait le développement des besoins de main-d’œuvre. Si la vente directe augmentait, il y avait réduction potentielle du marché local161. Seules restaient deux possibilités pour les propriétaires de petits troupeaux : soit ils s’associaient aux compagnies, soit ils poursuivaient leur activité sur des marchés en perte de vitesse, puisqu’une partie du volume des transactions ne se faisait plus sur ces places162. Pour le XVIIe et le XVIIIe siècle, ces gros acheteurs ne refirent leur apparition que ponctuellement au cours de certains épisodes militaires qui interdisaient la transhumance sur de longues distances. Ainsi, lors du siège de Lleida par les troupes de la Mothe en 1644, Josep Oliver de Tàrrega, représentant des fermiers de la boucherie de Barcelone, fit le déplacement jusque dans la principauté163. A partir de 1600, le marché ovin fonctionnait sur deux échelles. L’une, proche, intéressait avant tout les petits et moyens propriétaires qui se trouvaient dans une situation avantageuse surtout pour l’acheteur, la seconde, au niveau régional, offrait une position plus favorable à ceux qui possédaient le cheptel suffisant pour y aller. Ces hommes combinaient alors deux activités complémentaires, la vente de leur propre troupeau et celle des animaux pour lesquels ils n’étaient qu’intermédiaires. Ce phénomène entraîna des répercussions importantes au niveau local. En ce début du XVIIe siècle, alors que la plupart de la population se trouvait en manque de liquidité, émergea un groupe restreint de grands éleveurs qui à l’inverse servaient de trésoriers à la communauté. Cela est vrai au niveau public puisque le loyer des cortons devint la pierre angulaire de l’économie communale, mais aussi au niveau privé, à travers les salaires et les prêts. Pour ces propriétaires, la gestion des troupeaux sortait du cadre de la maison. Il ne pouvait plus être question d’organiser l’année pastorale en usant des ressources humaines fournies par le foyer, plus un ou deux salariés extérieurs au cercle familial et des journaliers lors de la tonte. Ce schéma présenté comme classique n’était pas viable dans le cadre d’une grande transhumance regroupant des centaines, voire des milliers d’animaux. Pour tenter de saisir cette évolution, seules sont utilisables les archives patrimoniales.
II.b.2. Le secteur privé, aiguillon de l’économie communale ?
110L’essentiel de la documentation patrimoniale dépouillée provient des fonds documentaires Areny et Rossell d’Ordino164. La différence fondamentale entre ces deux fonds provient de la continuité chronologique qu’ils autorisent. Relativement pauvre pour le XVIIe siècle, le fonds de la maison Rossell ne permet de faire un travail comparable à celui réalisé pour la maison Areny qu’à partir de 1700. L’étude sérielle à partir de la documentation de la maison Areny est possible dès le premier quart du XVIIe siècle. Les quatre grands types de documentation mis en œuvre pour aborder l’économie privée ont été les livres de compagnies165, les livres de salaires, les livres maîtres et les documents sous seing privé auxquels s’ajoute l’ensemble des actes notariés. Toutes ces sources sont complémentaires, la période couverte implique plusieurs générations de travailleurs et la diversité de l’économie familiale fait que chaque individu et chaque famille peuvent être mentionnés dans différents types documentaires. Cette remarque est également valable pour le fonds Rossell qui possède des caractères très voisins. Seul le croisement permet d’obtenir des résultats satisfaisants. Par conséquent, mis à part les cas particuliers, les informations ne coïncident pas avec un seul document. Aussi avons-nous été obligés de constituer une série composite à partir de toute la documentation mise en œuvre, mais qui, strictement contemporaine, portant sur les mêmes activités et présentée de manière identique, offre toutes garanties.
II.b.2.1. Compagnies pastorales, organisation et réseaux
111Le volume de la documentation permettant d’appréhender directement l’organisation de la transhumance dans le détail n’est pas très important. En effet, la plus grande partie des documents montre souvent qu’une partie du fonctionnement. Pour reconstituer le réseau de liens mis en place afin de l’organiser, il est nécessaire d’associer divers livres de comptes. Fort heureusement, pour certaines saisons, les aide-mémoires qui servaient de base à la rédaction des comptabilités ont été conservés et le livre 50 du fonds Areny contient plusieurs années de comptes indiquant les données brutes avant correction. Dans ces listes détaillées, l’intégralité des transactions conclues afin de conduire les bêtes de l’estive à la plaine, puis pour les ramener à l’estive, était mentionnée chronologiquement166. Cela a permis de créer un cadre de référence fort utile afin de mieux saisir les mentions partielles que livrent les autres documents consultés. L’un des plus complets correspond à la transhumance effectuée entre octobre 1714 et juin 1715167. Cette année-là, les troubles affectant la principauté de Catalogne ne permirent pas de programmer la transhumance. Au bout du compte, tout se déroula normalement, le seul résultat concret fut l’obligation de dresser un récapitulatif plus exhaustif que ceux qui étaient rédigés habituellement.
II.b.2.1.a. Les participants et leur entretien
112Les familles qui possédaient de gros troupeaux organisaient la transhumance au travers de compagnies pastorales formées par un ensemble d’associés qui se regroupaient pour faire face aux frais de déplacement et de séjour des bêtes en plaine pendant l’hiver. Ces compagnies pouvaient ponctuellement atteindre des chiffres considérables. En 1695, l’association entre Joan Antoni Torres d’Encamp et Guillem Areny Torres d’Ordino, deux des plus importants éleveurs des vallées, peut être estimée à plus de 9 000 têtes168. Un parallèle peut être fait avec les chiffres de certaines régions castillanes. Ainsi, en 1782, la commanderie de l’ordre d’Alcántara consigna 157 400 têtes ovines à l’entrée de la cabaña real, la comtesse de Campo Alanje, de Madrid, possédait 13 110 têtes. Suivaient le marquis de Portazgo (Madrid) et le marquis de Vadillo (Soria) avec 9 793 et 8 320 têtes. Le reste des gros propriétaires possédait entre 1 000 et 5 000 animaux. Les troupeaux des éleveurs andorrans, propriétaires de compagnies pastorales, sont globalement similaires à ceux que déclaraient ces propriétaires, mais le nombre de propriétaires recensés est loin d’être équivalent169.
113Les compagnies se structuraient en trois niveaux, les propriétaires de bétail, le personnel et les intermédiaires extérieurs aux vallées. Les éleveurs qui participaient à la transhumance se répartissaient en trois types différents. Un premier groupe se composait de gros propriétaires qui jouaient un rôle actif dans la migration. En amont, il y avait des éleveurs qui, moyennant finance, se contentaient d’agréger leurs animaux aux troupeaux formés par les premiers. En aval dans l’organigramme, se trouvait le groupe formé par les employés qui possédaient quelques têtes de bétail. Par exemple, lors de la transhumance de l’hiver 1714-1715, la compagnie formée par Guillem Areny Torres regroupait trois grands éleveurs (Areny d’Ordino, Guillemó d’Andorre et Teixidor de Sispony). A ce noyau central s’ajoutaient huit autres éleveurs. Les pâtres, à l’exception de rares cas, n’étaient pas engagés par la compagnie mais par l’un des propriétaires. Cette année-là, il y avait 17 bergers dont 13 étaient propriétaires d’animaux Au total, les 4 696 têtes170 se répartissaient entre 24 personnes possédant d’une à 2 143 têtes de bétail. La même compagnie, cinq ans plus tôt, groupait 7 213 bêtes. 3 880 appartenaient à Areny, 1 516 à Teixidor, suivaient Giberga de l’Aldosa et Fijat de Llorts avec 418 et 369 animaux, puis Ramonguem d’Ordino (162), Joan Pere Armany de Canillo (122), la veuve de Passamaner de Canillo (113). Le restant, 614 animaux, se distribuait entre 30 personnes.
114Ce type de répartition n’était aucunement une particularité de ces années là. Ainsi, en 1704, il y avait 4 082 bêtes pour 18 éleveurs dont 3 378 appartenaient à Guillem Areny Torres171 ; en 1732, la compagnie regroupait 23 propriétaires pour 2 618 têtes dont 2 212 étaient à la maison Areny. En 1737, elle possédait 2 133 animaux alors que le second participant n’en avait que 511. En 1739, c’était 1 706 têtes pour 2 667 animaux (28 éleveurs), en 1740, 5 319 têtes sur 6 001 (25 éleveurs) et, en 1741, 4 805 sur 6 027 (26 éleveurs). Dans tous les cas, plus de 90 % du bétail appartenait aux deux ou trois principaux éleveurs172. En 1719, Francisco Pio de Savoie, gouverneur du Principat de Catalogne et capitaine général de l’armée, délivra un passeport pour que les troupeaux andorrans puissent aller hiverner librement sur les communes de Linyola, Montblanc, Tarroja, Bellpuig et dans la seigneurie de Poblet jusqu’aux murs de la ville de Lleida. Au total, il y avait 16 003 animaux, conduits par 91 bergers, qui se divisaient en six troupeaux dénoncés par Pere Mateu Moles d’Andorre, Madalena Moles Rossell d’Andorre, Joana Fiter Rossell d’Ordino, Antoni Torres d’Encamp, Dr Joan Guillemo Torres d’Andorre et le dernier correspondant à l’association Dr Guillem Areny d’Ordino et Guillem Areny Teixidor de la Massana173.
115Parallèlement aux éleveurs, il existait un deuxième groupe composé des personnes intervenant dans l’organisation sans posséder de bétail dans le troupeau commun, notamment certains bergers engagés pour la durée du trajet ou ceux qui n’étaient payés qu’à la tâche (tondeurs, attacheurs de ballots de laine, etc.). Dans ce groupe d’ouvriers non-propriétaires, figuraient souvent les muletiers. Ils servaient de relais entre les brigades de bergers et les vallées andorranes. Grâce à eux, leur parvenaient les vivres, les vêtements, le courrier et les nouvelles fraîches174. Dans cet approvisionnement direct, une tâche prééminente était exercée par un associé de la compagnie. Celui-ci, dans tous les cas, était un habitant de la région d’hivernage. Son rôle était de simplifier les diverses formalités qu’impliquait la présence des troupeaux en plaine en même temps que de faciliter le contact avec les agents du marché local qui devaient pourvoir aux besoins des bergers. Grâce à lui, les propriétaires évitaient de faire un trop grand nombre de déplacements et pouvaient écourter leurs séjours en plaine.
116En octobre, les principaux propriétaires se rendaient en plaine pour louer les terres nécessaires à l’hivernage. C’est à ce moment-là qu’ils prenaient contact avec leur intermédiaire principal. Ainsi, dans le cas de la campagne de transhumance précédemment citée, la maison Areny était en relation avec le bailli de Mollerussa, Blasi Tarros. Cette relation entre les héritiers de la maison Areny et celle des Tarros fut permanente pendant près d’un siècle (1661-1750). Ce rapprochement avec un lignage de personnages officiels correspondait à un double besoin pour la maison Areny175. Celui-ci intervenait plus ou moins directement dans le paiement de certains droits, mais il était aussi le garant du paiement des dettes contractées envers la famille Areny. En effet, le paiement de certains frais de transhumance et la réservation des pâturages se faisaient avant l’arrivée des troupeaux. Pour acquitter ces frais, lors des foires d’octobre, Areny remettait à Tarros des lettres de créances sur des habitants de la plaine d’Urgell. Les débiteurs possédaient ainsi un interlocuteur désigné pour payer leurs dettes. Ce procédé autorisait également la multiplication des échéances puisqu’il n’était plus nécessaire de fixer la date de paiement aux foires auxquelles participait personnellement Guillem Areny ou son fondé de pouvoir176.
117Pour ce qui est de la transhumance, ce système de financement présentait l’avantage de rendre inutile le transport de la totalité de la masse monétaire requise pour la campagne d’hivernage. Une partie des montants payés sur place était réglée par la compagnie au travers d’un système comptable compensatoire dans lequel les avances de l’une des parties étaient couvertes par les frais acquittés par l’autre. Au cours de la campagne 1714- 1715, la transhumance coûta 3 488 livres, un quart de cette somme fut payé par Blasi Tarros. Le reste, le fut soit par les bergers177, soit par l’un des associés. Le plus possible, on recourait à l’approvisionnement direct.
118Au cours de la campagne de transhumance, l’ensemble des frais alimentaires représenta 34 % des dépenses totales. Au total, la transhumance avait nécessité entre autres 51 charges de blé, 1 620 litres de vin, 600 litres d’huile d’olive, 280 kg de fromage, 70 kg de salaison. Ces vivres constituaient la base de l’alimentation des pâtres. Celle-ci faisait partie intégrante de leur salaire puisque, dans tous les cas, leur contrat contenait une clause précisant qu’ils étaient à la charge de la compagnie.
II.b.2.1.b. Cheptels et transhumances
119Trois produits particuliers, l’huile de genièvre servant à oindre le bétail malade (180 litres), le sel (3,4 tonnes) et la poix qui servait à marquer les animaux178, sont caractéristiques de ce type de comptes179. Le marquage ne durait que jusqu’à la tonte de l’année suivante. S’ajoutait la senyal qui était une marque faite grâce à une découpe de l’oreille180. Celle-ci signalait la propriété de l’animal, alors que la marque constituait un moyen de repérer un troupeau constitué par plusieurs propriétaires. L’absence quasi systématique de mention faisant référence au salage de produits laitiers et la distribution régulière de fromages provenant de la principauté pour l’alimentation des bergers permettent de conclure qu’il n’y avait que peu de production fromagère au cours de la migration181. La comparaison entre le nombre d’agneaux sous la mère recensés lors de la remontée et le nombre total de brebis fournit l’explication principale. Si l’on comptabilise ce rapport pour l’ensemble des troupeaux où l’on connaît simultanément le nombre de femelles et leur progéniture sur la période 1714-1755182, on obtient 22 772 brebis pour 12 260 naissances, soit un taux pour l’ensemble du bétail de 5,38 pour dix183. Si l’on calcule la moyenne par troupeau, la proportion est de 6,7 agneaux pour dix brebis. Cette différence est due principalement au fait que le taux de naissances était plus élevé dans les petits troupeaux que dans les gros (de 7,8 pour dix pour ceux de moins de 10 têtes à 4,4 pour dix au-dessus de 500 brebis). Probablement faut-il voir dans ce phénomène le résultat d’une attention plus poussée des petits éleveurs qui s’occupaient personnellement de leur cheptel184. La plupart des agnelages ont lieu à partir de février185. Dans un premier temps, les agneaux avaient besoin du lait maternel pour se nourrir et obtenir le colostrum qui pallie le manque d’anticorps, puis ils se trouvaient en période de sevrage jusqu’en avril – mai, voire juin pour les naissances les plus tardives. Par conséquent, mis à part les brebis les plus hâtives, qui avaient mis bas trop tôt, il y avait peu de place pour la production fromagère au cours de l’hivernage.
120L’ensemble des animaux adultes, ou semi-adultes, effectuant la transhumance au sein de ces compagnies, se répartissait approximativement en 55 % de brebis, 25 % d’animaux sevrés (mâles et femelles) n’ayant pas encore atteint l’âge adulte, 15 % de moutons, le reste se partageait entre les béliers (1,4 %) et les moutons porteurs de sonnaille (moltó esqueller). Cette composition ne correspond pas à celle des troupeaux conduits aux foires où les moutons étaient généralement le groupe le plus important. Ainsi en 1709- 1710, la famille Rossell d’Ordino acheta un troupeau de 15 461 bêtes en comté de Foix afin de le revendre, au cours de la saison, aux bouchers de Barcelone : 96 % des animaux étaient des moutons186. Même si ce cas est particulier et s’il exagère le phénomène, il illustre une tendance observable pour quasiment tous les comptes pastoraux. Cette différence provient de la gestion des troupeaux. La compagnie transhumante, au sens strict du terme, c’est-à-dire celle qui quittait l’estive pour y revenir, ne constituait qu’une part du cheptel. C’était en quelque sorte le bien-fonds de la compagnie pastorale. Elle servait à assurer le croît et le renouvellement du troupeau. C’est pourquoi on y retrouve majoritairement des femelles porteuses et des sub-adultes n’ayant pas atteint l’âge optimal de vente. Parfois, la transhumance ne comptait que ces animaux187. A l’inverse, les moutons étaient toujours présents dans les troupeaux des foires. L’animal castré, plus lourd, était également plus cher, c’était le produit de vente par excellence sur les marchés carnés ovins.
121Cette différence dans les troupeaux avait des répercussions directes sur la façon de transhumer. La préparation de la descente pouvait se faire dès la fin du mois d’août ou au cours du mois de septembre. C’est à ce moment-là que les divers propriétaires de bétail allaient rebutjar les animaux. Ce terme désignait la première tâche de la transhumance qui consistait à trier les têtes suivant leur sexe, leur état physique et leur stade d’élevage. Les différents troupeaux qui en résultaient constituaient les différentes compagnies. Les animaux de rebut (rebuig) n’étaient pas uniquement des animaux estropiés ou malades. Ceux-ci restaient généralement en convalescence dans les vallées, le temps de redevenir commercialisables188. Le rebuig était également constitué d’animaux sains que l’on excluait à la fois du troupeau transhumant principal et du troupeau destiné aux foires de la plaine. On peut discerner globalement trois groupes. Le premier était celui destiné à la transhumance, le second quittait la vallée pour un seul voyage à destination des foires et marchés de l’Urgell, enfin les animaux de rebuig qui n’étaient pas destinés à une foire particulière et que l’on désirait vendre au cours des foires d’automne, dès le mois de septembre.
122Cette typologie se traduisait par trois types de routes de transhumance. La règle de base que l’on utilisait au cours du voyage était d’éviter les secteurs agricoles. Cela tenait à deux raisons principales : éviter les lieux où les débordements du troupeau pouvaient impliquer des sanctions pécuniaires, en particulier lorsque le bétail risquait de porter atteinte aux récoltes, et fournir les herbages nécessaires aux animaux au cours de leur déplacement. Les bêtes quittaient les vallées en suivant les chemins principaux qui débutaient dans la haute vallée de Setúria, au-dessus d’Os de Civís. De là, elles suivaient de près la ligne de diverses crêtes secondaires orientées nord / sud, qui, de la zone axiale de la chaîne, les conduisait jusqu’au piémont189, dans le secteur dit de garriga où on louait une ou plusieurs zones, selon le nombre de troupeaux qui se déplaçaient. Ces secteurs, qui correspondaient aux versants montagneux situés au nord du Segre190, servaient d’attente jusqu’au mois de janvier, moment où les animaux entraient dans la plaine afin de se diriger vers les véritables terres d’hivernage souvent situées sur les contreforts septentrionaux des massifs pré-littoraux191.
123Cette voie principale était complétée d’une seconde qui débutait plus à l’est, dans le secteur de la Rabassa sur la commune de Sant Julià, et qui finissait par aboutir à la route précédemment citée, après la traversée du massif de Sant Joan. Cette variante qui impliquait un double franchissement de la haute vallée du Segre au niveau de la Seu d’Urgell, puis à Organyà, était moins empruntée par les troupeaux transhumants que la première. A l’inverse, c’était la voie privilégiée pour les animaux de rebuig qui quittaient les vallées plus tard que le troupeau principal. En effet, ces bêtes destinées à la vente suivaient ce tracé qui leur ouvrait un accès facile aux foires de Toussaint à la Seu et à celle de la fin novembre à Organyà. Une partie du bétail de rebuig voyageait parfois avec le troupeau principal. Il s’en séparait après le franchissement du Boumort pour se diriger vers Isona ou directement vers la plaine pour aller à la foire de Sant-Armengol (3 novembre) à Guissona. Selon la date de départ du troupeau principal, ces animaux destinés aux foires d’automne, pouvaient faire le voyage avant que commence la véritable transhumance afin d’arriver sur le marché dans les délais. Cette division des troupeaux qui affectait l’ensemble du cheptel était un moyen de réduire éventuels méfaits des bandes de brigands ou de miquelets, les mauvaises rencontres ne concernant ainsi qu’une partie du cheptel. Selon le nombre d’animaux et la destination, les portions communes pouvaient se faire conjointement ou à quelques jours d’intervalle.
II.b.2.2. Les statistiques de l’élevage
124Afin de pouvoir suivre le fonctionnement de l’élevage ovin, il est nécessaire de tenir compte des diverses périodes de la saison. L’hivernage constituait l’un des moments fort de l’année mais ce n’était pas le seul. La compréhension des stades d’élevage et des différents recours utilisés, tout au long de l’année, est essentielle afin de pouvoir replacer la documentation dans son contexte. Chaque document correspond à un moment précis de l’année pastorale et les données que l’on peut en extraire ne sont pas forcément directement comparables.
II.b.2.2.a. Parcours, herbages et foires
125Le tiers des frais d’hivernage allait à l’entretien des pâtres. Le reste correspondait aux droits payés au cours du trajet, à ceux acquittés sur les foires et aux locations d’herbages192. Le trajet en lui-même ne représentait approximativement que 1,5 % des dépenses. Le règlement du réal de batlle, auquel s’ajoutait le droit de passage dans certaines municipalités, constituait la plus grande part des frais de déplacements. Le terme de passatge recouvrait deux types de paiement. Le premier correspondait à un droit acquitté lors du franchissement d’une seigneurie193, le second au franchissement d’un secteur particulier, notamment certains ponts sur le Segre comme à Organyà, à Alentorn ou à Alòs de Balaguer. Les routes de transhumance ne privilégiaient pas la traversée des terres de certains seigneurs par rapport à d’autres. Les besoins des troupeaux primaient sur les réalités juridictionnelles. Selon la route suivie, le troupeau traversait de 30 à 40 municipalités en s’acquittant de 2 sous à chacune d’elle. L’ancienneté de ces droits laisse supposer que ce montant avait dû être fortement dévalué.
126La salvaguarda et les salaires des gardes loués lorsque les troupeaux se trouvaient à l’arrêt près d’un noyau urbain s’ajoutaient à ces frais. En 1714-1715, ce chapitre des comptes totalisa 315 livres, près de 11 % du capital investi. La notion de salvaguarda reste ambiguë, la terminologie utilisée pour désigner le versement laisse entendre qu’il s’agissait d’un paiement en contrepartie d’une protection, voire de l’établissement d’un sauf-conduit. Dans l’ensemble, cela reste assez peu précis. Le bénéficiaire du recouvrement n’est jamais mentionné précisément dans la comptabilité194 et, lorsque les textes sont plus précis, on reste quand même dans l’expectative. Une seule chose est sûre, lorsqu’il était payé, ce versement n’était pas insignifiant.
127L’une des dépenses les plus importantes au cours de la transhumance correspondait à la location d’herbages et de bâtiments pastoraux. Lors du déroulement de la campagne de 1714-1715, 31 % de l’investissement global195 furent destinés aux pacages. Les herbages d’hiver utilisés, selon les années, à partir de la fin janvier ou du mois de février, représentaient 80 % de la somme déboursée dans ce domaine, soit un quart du capital total. Le nombre de terres louées en plaine variait avec le nombre de troupeaux ayant participé à la transhumance. En 1703 par exemple, il fut dépensé 958 livres en cinq locations, dont quatre se situaient aux alentours de la ville de Bellvís. À titre de comparaison, ce coût était équivalent aux montants qu’avait amassés la commune de Canillo pour l’ensemble de ses cortons dans les années 1704, 1705 et 1706196. Une différence importante est à noter, les loyers andorrans entraient directement dans la caisse de l’administration locale, alors qu’en plaine une partie de la somme, quand ce n’était pas l’intégralité, allait au seigneur du lieu, notamment au chapitre de la cathédrale de Lleida. Une seconde grande différence résidait dans les durées des baux, puisque les estives se louaient approximativement pour deux mois alors que les terres d’hivernage l’étaient pour huit197. Sur ce point, il est clair que les éleveurs n’épuisaient nullement la durée du séjour hivernal, certaines années les animaux ne quittaient la montagne qu’au mois de novembre et ils ne se dirigeaient jamais directement en plaine.
128Un premier arrêt était systématiquement fait dans le piémont pyrénéen pour la garriga qui représentait un peu moins de 5 % des frais de pâturages198. Les contrats s’établissaient sur plusieurs années, ce qui explique la répétition successive du même montant. Ainsi, de 1694 à 1701, le prix de cette location fut de 52 livres. Par la suite, jusque vers 1716, il fut payé 55 livres par saison. Cet arrêt en cours de transhumance marque une volonté affichée de la part des éleveurs de retarder le plus possible l’entrée du bétail transhumant sur les prés d’hivernage. La date de départ de la garriga la plus tardive a été enregistrée en 1700 puisque les borrecs arrivèrent en Urgell le 19 mars199, mais cette date semble exceptionnelle. Le transfert se faisait généralement entre la fin janvier et la fin février. En 1736, le contrat de location établi par les regidors de la ville de Camarasa considérait qu’après le mois de janvier les animaux devaient changer d’itinéraire et de secteur de dépaissance. Par conséquent, la location courrait au moins jusqu’au mois de février200. En évitant une arrivée précoce sur ces terres qui se louaient jusqu’au mois de mai, les éleveurs limitaient le temps où les bêtes paissaient et ils économisaient l’herbe, réduisant de ce fait l’étendue de terre nécessaire. De la même manière, ils écartaient des terres baillées les animaux qui allaient se vendre en janvier ou février, notamment au marché de l’Espluga de Francolí (22 janvier) et celui de Carême de Santa Coloma de Queralt (25 février). Ils réservaient les terres d’hivernage au seul bétail qui devait se vendre à la fin de printemps ou à celui qui devait revenir en Andorre. Ils évitaient ainsi qu’une partie de la location demeure vacante pendant plus d’un trimestre.
129Pour ces animaux qui partaient aux foires, on louait un dernier type de terres : les rebaixants, situés près des villes de foire qui servaient à attendre l’ouverture des marchés (1 % de l’investissement en 1714-1715). Dans le cas des troupeaux transhumants, cela ne concernait qu’une petite partie du bétail, entre 5 et 10 % du cheptel. Il s’agissait des animaux dont on se défaisait à partir du 17 janvier (Saint-Antoine). Cette dénomination (rebaixants), ou plus simplement celle d’herbages, était également utilisée pour certains secteurs que l’on baillait dans la région du Boumort, au nord des terres de garriga. Ces pâturages étaient utilisés pour de courtes périodes afin que le bétail puisse faire un arrêt prolongé au cours du voyage de descente201.
130Pour la participation aux foires de printemps, en particulier à Lleida, à Mont-Blanc, à Guissona et au second marché de Santa Coloma de Queralt (19 mai)202 s’ajoutaient des corrals et des pletes à usage exclusif des animaux destinés à la vente. Lorsque les animaux déplacés n’atteignaient pas la quantité suffisante pour louer un emplacement, on payait la tinguda qui, habituellement, désignait les animaux d’un propriétaire. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit des frais qu’occasionnaient les animaux de la compagnie envoyés à la foire. Dans certaines circonstances, plusieurs compagnies andorranes se retrouvaient sur le marché et groupaient leurs animaux, chaque majorai payant alors la dépense (tinguda) au prorata des animaux qu’il y avait conduits pour sa société. Parfois, cette dépense était désignée par le même terme que l’on utilisait pour l’estivage (conlloch)203. Les comptes des différentes compagnies ne se mêlaient pas, même si les animaux appartenaient à la même personne.
131Pour finir, des ouvriers spécialisés et des journaliers intervenaient également au cours de la période d’hivernage et lors des différents déplacements. Approximativement 5 à 6 % de la dépense totale allaient à la rémunération de ce personnel (réparations sur le matériel, transport des vivres, surveillance des troupeaux près des agglomérations, tonte...). L’achat de certains outils (haches, colliers à pointe de fer pour les chiens, ustensiles de cuisine, etc.) complétait ce chapitre des frais occasionnels pour lesquels les majorais avaient reçu une somme d’argent lors du départ. Le rôle financier du patron de la compagnie couvrait l’ensemble des besoins et pouvait aller jusqu’au paiement de filles de joie. Dans cette même catégorie, entraient certains paiements destinés à couvrir les dettes de jeux des bergers204.
II.b.2.2.b. La répartition des frais
132En résumé, les comptes généraux de la transhumance se répartissaient grosso modo en deux gros chapitres ; une grande partie (85 à 90 %) de l’investissement était employée pour assurer les déplacements. Elle comprenait l’entretien du personnel et celui des bestiaux, le reste allait à la commercialisation de certains animaux. Le paiement du leude, de la taille, les locations et l’établissement des actes notariés205 formaient le gros de cette dépense imputable à la vente des bêtes. Cette proportion était logiquement plus réduite dans les comptes des troupeaux composés exclusivement d’animaux transhumants que dans ceux qui traitaient des bestiaux destinés aux foires : les frais de marché augmentaient proportionnellement à l’accroissement du nombre de têtes, mais, en contrepartie, on ne louait pas de terres d’hivernage pour les animaux dont on se débarrassait avant le printemps, en particulier à Guissona pour la Toussaint.
133La somme totale de l’investissement qu’avait nécessité la transhumance se répartissait entre tous les participants sur la base d’un double comptage groupant, d’une part, les animaux vendus pendant la saison et, de l’autre, ceux qui effectuaient la remontée vers les estives. Les agneaux étaient comptabilisés mais ne payaient pas. Les brebis, les ovins sub-adultes et les moutons acquittaient toujours le même prix. Les caprins étaient les seuls animaux qui étaient parfois comptabilisés à un tarif inférieur. La réalisation de ce dénombrement à la fin de la saison servait en quelque sorte d’assurance au propriétaire. En effet, les animaux perdus au cours de la saison n’entraient pas dans la comptabilité : le propriétaire perdait les bêtes, mais les frais de transhumance se répartissaient entre tous les participants à la compagnie. Les risques de disparition d’animaux étaient relativement élevés. Un exemple est fourni par un contrat passé en octobre 1640 selon lequel l’acheteur prenait à sa charge six moutons sur un achat de quarante, au cas où il y aurait des pertes au cours du voyage206. Il considérait qu’il pouvait assumer la perte de 15 % de l’investissement au cours du déplacement jusqu’à Barcelone.
134Les contrats que passaient les éleveurs andorrans entre eux pour la période d’hivernage sont plus loquaces. Dans tous les cas, il s’agissait d’animaux qui ne transhumaient pas et restaient dans les fonds de vallée207. Lors de l’établissement des comptes, le nombre d’animaux mis à disposition en automne et celui des têtes restituées au printemps étaient systématiquement précisés. Globalement, sur la trentaine d’actes pour lesquels il est possible de calculer la moyenne d’animaux décédés par rapport au troupeau initial, il y eut 9,15 % d’animaux manquants lors de la restitution. Comme c’était le cas pour la transhumance, dans ces contrats, le propriétaire ne payait l’hivernage que pour les animaux qui lui étaient rendus au printemps et aucune sanction n’était retenue contre l’éleveur qui avait perdu le bétail. Il semble, par conséquent, que ces dommages, qui atteignaient quasiment le dixième du cheptel, n’étaient pas considérés comme anormaux208. Sur ce point, il est à noter que la fourchette que l’on peut établir entre la quantité de têtes dénombrées au départ et à l’arrivée de la transhumance sur l’estive est sensiblement comparable (de 4,2 à 13,6 % du cheptel). Il n’est donc pas déraisonnable de considérer qu’il s’agissait de pertes.
135Pour les bêtes qui avaient quitté les vallées andorranes, le montant de l’investissement qu’avait nécessité la transhumance servait à fixer le prix par tête que devait payer chaque propriétaire. En 1714-1715, pour la compagnie Areny, la valeur par tête estimée était de 14,4 sous par animal ayant fait le trajet complet de l’estive à l’estive. Ce prix équivalait à 18,15 % de la valeur marchande des moutons vendus au cours de la campagne de transhumance. Les délais réels d’hivernage étaient respectés dans l’établissement de ces tarifs, c’est-à-dire que les propriétaires qui avaient retiré des animaux avant la fin de la saison payaient moins que ceux qui avaient fait la totalité du voyage. Cette année-là, les animaux qui avaient quitté le troupeau commun à la fin de période de garriga ne devaient que 4 sous par tête. Ceux qui avaient été vendus au printemps, avant la remontée, payèrent 6 sous. Parfois, les éleveurs ne participaient qu’à l’une des étapes de la transhumance. Notamment, les bêtes qui allaient aux foires d’automne en Urgell sans s’arrêter à la garriga209. Cependant, généralement, afin d’être sur place avant la Toussaint, ce cheptel quittait les vallées avant le bétail transhumant. Il descendait seul. Dans ces cas spécifiques, des compagnies étaient constituées afin d’aller commercialiser le troupeau. La combinaison des diverses phases de la transhumance, c’est-à-dire la descente, le temps de garriga, celui d’hivernage – parfois réduit de moitié lorsque les animaux étaient conduits aux foires du début du printemps – et la remontée210, permettait d’établir le prix par animal selon le temps où les bestiaux avaient été à la charge de la compagnie.
136La comparaison des prix de l’hivernage par tête en plaine avec les tarifs applicables aux bêtes qui restaient en Andorre permet d’établir que, tout au moins pour le XVIIe et le XVIIIe siècle, il était plus avantageux que les animaux passent la saison froide en montagne que de les faire transhumer211. De 1624 à 1752, les contrats d’hivernage dans les vallées se fondaient généralement sur un contrat type pour lequel il était d’ordinaire demandé de 7 à 8 sous par tête212, les animaux transhumants payèrent de 10 à 20 sous au cours de la même période. Dans le meilleur des cas, la transhumance représenta un tiers de plus que l’hivernage en Andorre213. Au vu de ces chiffres, il est évident que pour les petits éleveurs qui bénéficiaient des droits sur les communaux andorrans et d’un apport d’herbage sur les terres qui leur appartenaient, il était préférable de réduire les déplacements à l’extérieur aux seuls voyages qui conduisaient les animaux aux foires.
137Pour les plus gros éleveurs, le cheptel n’était pas administré en bloc. Une première subdivision se faisait entre les animaux qui passaient la saison dans le cadre de la maison ou que l’on incluait dans des contrats de gardiennage conclus auprès d’habitants des vallées ou du secteur géographique limitrophe. Occasionnellement, derrière ces contrats, se cachait parfois une double relation, une centaine de têtes étaient laissées chez un voisin, alors que celui-ci plaçait des animaux dans le troupeau de la compagnie. Il est à noter que seuls les habitants qui possédaient des pâturages dans leur patrimoine ou ceux qui avaient préalablement loué des prés de fauche communaux afin de constituer des réserves de foin pouvaient répondre aux besoins du troupeau. A l’opposé de ces éleveurs qui recevaient le bétail d’autrui, il y avait ceux qui possédaient une quantité de bêtes supérieure à ce que pouvait absorber simultanément leur patrimoine et l’offre de fermage locale. Ils étaient contraints à la transhumance.
138À ces tarifs strictement tributaires du grand mouvement pendulaire, s’ajoutaient les droits payés uniquement pour la vente du bétail. De la même manière que l’on organisait sur les estives des troupeaux indépendants destinés aux foires d’automne, des troupeaux particuliers se constituaient pour aller sur certains marchés éloignés des terres d’hivernage. De même que pour la transhumance, les troupeaux qui allaient à une foire donnée étaient groupés au sein d’une compagnie qui assurait l’ensemble des dépenses. La valeur par tête qui revenait à chaque propriétaire était calculée en distribuant la plus-value sur le nombre d’animaux arrivés à bon port. Ce mécanisme, qui impliquait l’établissement d’un prix unitaire pour chaque animal, était essentiellement utilisé lorsqu’on vendait les bêtes à la boucherie des grandes villes (Barcelone, Lleida, etc.) où on avait conduit des troupeaux homogènes qui pouvaient se vendre en une seule fois.
139Dans le cas où il y avait différents types d’animaux ou si les affaires se traitaient hors du cadre de la compagnie, l’éleveur s’acquittait des frais inhérents à la portion de trajet qu’il avait effectuée avec le troupeau commun et de la dépense consentie sur la place de vente (droits et frais de parcage). Si la vente des animaux se faisait au sein de la compagnie, les frais étaient prélevés à la source pour chaque éleveur. On stipulait un prix par tête auquel avaient été soustraits les frais de foire. Ce décompte pouvait être cumulatif. Par conséquent, pour une même vente, le prix des bêtes inscrites dans les livres variait selon le passif accumulé par chaque troupeau avant d’arriver sur le lieu de vente214. Pour la période 1635-1730, l’ensemble des droits de foire varie de 6 à 9 deniers par tête auxquels s’ajoutaient de 6 à 17 deniers de frais divers et, fréquemment, le prix du déplacement d’Andorre jusqu’à la foire. Ainsi, en 1702, pour vendre des borrecs à Preixens et en 1719 pour ceux de Guissona, les éleveurs payèrent 5 sous qui couvraient les frais de transhumance, de garriga et de foire. Cela représentait, respectivement, 15 et 17 % du prix de vente de ces jeunes animaux. En 1702, le rapport calculé pour un mouton était de 8,3 % du prix de vente, il était de 9,5 % en 1719. Le mouton avait payé le même tarif que le borrec au cours du voyage, mais il se vendait à 52,5 sous contre 33,5 sous pour le borrec.
II.b.2.2.c. Les productions dérivées et la dîme
140Pour en finir avec les frais qui incombaient aux propriétaires d’animaux transhumants et tenter de calculer la balance de l’investissement nécessaire pour mener un agneau de la naissance à l’âge adulte, il est nécessaire de tenir compte de trois autres facteurs : la production dérivée (laine et fromage), la dîme, et finalement les frais de main-d’œuvre.
– La production laitière
141Pour ce qui est de la production fromagère, les chiffres montrent qu’elle était fort réduite au sein des compagnies transhumantes. En 1700- 1701, il n’y eut que 114 fromages pour près de 1 000 brebis. Ce type d’exemple est rare ; généralement il n’est pas question de fromages au cours de la période de transhumance et ils sont systématiquement omis dans les comptes de la compagnie. Au cours de l’année, les seuls contrats où une production fromagère est mentionnée correspondent aux temps d’orri, c’est-à-dire grosso modo au premier mois d’estivage qui débutait à la fin du sevrage, moment où les brebis qui avaient porté étaient les plus productives215. Les contrats précisaient que le propriétaire de l’orri et celui de l’animal se partageaient 3 fromages par animal, auxquels s’ajoutait une demi-livre donnée au berger, soit 5 kg de fromage par brebis en un été216. La répétition systématique de ces rapports dans les comptes d’estivage au cours du XVIIe siècle montre que les éleveurs tenaient pour normale cette production217. Le rapport entre la quantité de lait et celle de fromage peut être estimée approximativement à cinq litres pour un kilo, la production laitière peut donc être jaugée à 25 litres par période d’orri218.
142À l’inverse de ce que l’on peut observer pour les comptes des orris, cette production n’est mentionnée ni dans les comptes d’estivage, ni dans ceux des capsous. Dans ces contrats, l’éleveur qui recevait le bétail conservait l’ensemble de la production en contrepartie d’une livre de laine par tête livrée au propriétaire. Le capsou à proprement parler était un contrat par lequel un éleveur se chargeait d’un nombre donné d’animaux pour une période de quelques années (deux à cinq ans). En échange, il payait un sou par tête au propriétaire. La même terminologie est utilisée pour des contrats fixant les livraisons annuelles de laine. Ainsi, le 14 juillet 1674, Rossell de Meritxell prenait trois brebis et vingt-sept borregues à capsou, il devait apporter trente livres de laine à Ordino à chaque Saint-Jean219. Un autre exemple de ce type de contrat est celui passé en 1790 entre Maciana Rossell Rull du Puy de la Massana. Elle recevait deux cents brebis, deux moutons et huit béliers, en compensation elle devait 210 livres de laine par an. À la différence du premier contrat cité, les agneaux faisaient également partie du partage220. Alors que, dans les comptes, il est mentionné des livraisons de foin, de blé, des ventes de bestiaux et des revenus en numéraire, lors de la liquidation des comptes aucune production laitière n’avait été comptabilisée221. Il semble donc que toutes les brebis, même lorsqu’elles avaient agnelé, n’étaient pas systématiquement utilisées pour cette production et qu’on les laissait se tarir après le sevrage.
143La fabrication de fromages avait un rôle secondaire au XVIIe et au XVIIIe siècle, les ovins étaient prioritairement destinés à la production lainière et à la boucherie. Faut-il pour autant considérer que les fromages ne tenaient aucun rôle dans l’économie des vallées ? Même si le nombre de bêtes qui passaient par l’orri était réduit par rapport au cheptel total222, cette production ne doit pas être trop sous-estimée. En moyenne, sur un siècle, la famille Areny avait vendu de 25 à 200 unités par an, mais c’est sans tenir compte qu’elle consommait directement une partie de la production, qu’elle nourrissait la plupart de ses employés et que les fromages étaient utilisés comme paiement dans de nombreux contrats agraires. Les seuls pâtres, en neuf mois d’hivernage, consommaient entre 150 et 175 fromages qui leur étaient apportés depuis les vallées et les bergers d’orri percevaient l/24ème de la production fromagère. Sur un volume total supérieur à 35 000 transactions (1622-1750), les fromages ne constituent que 1,2 % des ventes et 0,3 % des achats d’aliments notés dans les livres de comptes de la maison Areny223, mais le volume qui s’échangeait sans passer par un acte de vente était de huit à dix fois supérieur à la fin du XVIIe et début du XVIIIe siècle. Nourriture de consommation et de production courante, le fromage restait principalement limité à la sphère privée. Le manque relatif de références documentaires dans les actes privés illustre un rôle surtout cantonné à l’économie familiale. On fabriquait avant tout pour soi plutôt que pour vendre. Le second rôle que jouait cette denrée était celui d’unité fiscale.
144Les chiffres globaux que fournissent les données de la dîme224 ne sont pas d’un grand secours lorsqu’on veut estimer la production fromagère. Le paiement n’était pas estimé proportionnellement à la quantité de fromages, mais par rapport au nombre de femelles ayant agnelé : c’est ce que l’on appelait la formatgeria. Les vallées d’Andorre devaient 800 fromages en 1653, 439 en 1658 et 452 en 1659225. Comme une partie de la dîme se partageait entre deux bénéficiaires, les chiffres globaux ont été estimés à partir du doublement des prélèvements des secteurs qui revenaient à deux bénéficiaires226. Ces chiffres posent un problème. En effet, selon le capbreu de 1480, il était prélevé un ou deux fromages par agneau227, le nombre d’agnelages que l’on peut déduire des données de la dîme est totalement aberrant quand on sait que la compagnie Areny, pour la saison 1658-1659, avait déclaré à elle seule 918 naissances228 et que les communes avaient déclaré 15 846 ovins adultes de questia229, dont au moins 5 000 étaient des brebis porteuses. De prime abord, mis à part un taux de fraude considérable, la seule explication est que le rapport employé au XVIIe siècle et celui utilisé dans le capbreu ne sont pas les mêmes.
145Les rédacteurs des inventaires de dîme utilisaient indifféremment le terme d’agneau pour qualifier l’assiette de la redevance – la quantité d’animaux nés au cours de l’année – ou l’unité comptable servant à calculer le montant du paiement. Les éleveurs andorrans payaient une dîme d’un agneau sur dix230. Pour chaque propriétaire, on se fondait sur un calcul qui débutait par la division du total des naissances par dix. La part entière du résultat était ce que l’on appelait l’agneau de dîme. Le montant prélevé sur cinq naissances était dit mitger, comme pour les contrats de gasaille et les décimales correspondaient à ce que l’on nommait les escudorsos. Cette notion était déjà inscrite dans le capbreu de 1480, puisqu’à Canillo les agneaux et cabris stadorserchs, qui ne suffisaient pas au nombre, payaient la moitié pour cinq et qu’en dessous, chaque agneau de la terre payait 8 deniers (4 deniers par cabri). Ces animaux stadorserchs, dits escudorsos ou parfois d’escaig dans les documents modernes, équivalaient à une fraction d’agneau de dîme. Ils constituaient la partie proportionnelle de l’impôt que l’on payait forcément en liquide. Le même procédé était utilisé pour les agneaux d’Urgell231, mais dans ce cas, le rapport du prélèvement n’était pas identique. La tarification de la dîme d’Urgell se faisait à un pour dix-sept232. Ainsi, un agneau de dîme et un escudors équivalaient à 18 naissances en plaine et à 11 en Andorre. De ce mécanisme comptable, utilisant un terme identique (anyell ou corder) pour deux réalités différentes, découle un risque de quiproquo lors de la lecture des textes puisque, dans le même document, un agneau peut être estimé à deux valeurs totalement différentes, suivant que l’on fait référence à un agneau de dîme ou à un agneau réel ne payant que la valeur de l’escudors.
146Au cours de la période moderne, la dîme n’était pas directement prélevée par l’évêché. Il louait le prélèvement soit au Conseil Général soit à un particulier. Parfois le locataire obtenait les rentes de la dîme sur une région dépassant le cadre des vallées. Il pouvait alors sous-louer la perception. Le dernier échelon correspondait à la personne qui s’occupait directement du prélèvement, elle s’engageait à payer un prix par agneau prélevé. Par exemple, en 1658 la part des agneaux de dîmes de Canillo, Encamp, La Massana, Andorre et Sant Julià. revenant à la mense épiscopale, fut donnée à Antoni Torres d’Encamp pour 15,75 sous par tête, Antoni Pal de la Cortinada acquit ceux d’Ordino à 14,25 sous par tête. L’année suivante, les agneaux furent achetés par Joan Pal Pont de les Bons à 19 sous par tête233. La taxe sur les fromages relève vraisemblablement du même procédé. Les chiffres fournis par les documents sont dérisoires par rapport au cheptel qui sert de base à sa fixation ; a contrario, la quantité prélevée par naissance est relativement importante si on la compare à la production laitière obtenue par brebis au cours de la période d’orri. Deux fromages, prélevés par agneau natif d’Urgell, équivalaient aux deux tiers de la production fromagère moyenne de la mère. La seule hypothèse plausible est que l’agneau qui servait à fixer la taxe correspondait à un agneau de dîme. Selon ce système de répartition, les 800 fromages que devaient les vallées en 1656 correspondaient à la naissance de 4 000 ou 8 000 agneaux234, ceux de 1658 variaient de 2 195 à 4 390 et en 1659, c’était entre 2 260 et 4 520 agneaux. Fourchette trop large pour être retenue, mais cependant plus acceptable que la première estimation, puisque les agneaux de dîme prélevés pouvaient équivaloir respectivement à 5 916, 5 489 et à 5 372 têtes. Cette répartition proportionnelle des fromages de dîme est confirmée indirectement par une mention complémentaire rajoutée à l’attribution de la perception des escudorsos à Miquel Adellach de Canillo. La taxe qu’il levait correspondait aux « escudorsos, formatges i altres ». Comme les fromages de dîme avaient déjà été attribués à une autre personne, il est logique de penser que, de la même manière qu’existait une fraction d’agneau de dîme, il y avait également une fraction de fromage de dîme. Entre le capbreu de 1480 et les décomptes du XVIIe siècle, il n’y a donc pas eu de modification du rapport de la dîme, la variation est imputable à une imprécision du texte.
147Le prélèvement réel par naissance était d’un 10ème ou d’un 20ème de fromage selon le lieu de naissance235. Dans le même document, il était précisé que, lorsque les fromages n’étaient pas au goût du décimateur, celui-ci devait recevoir normalement 8 deniers par fromage. Tarif dont les représentants de Canillo se plaignaient car il avait augmenté. Cette majoration répond à une volonté du collecteur d’adapter la collecte à la valeur du produit sur le marché. En 1551, un fromage de brebis se vendait 15 deniers, valeur assez proche des 12 deniers dont se plaignaient les personnes interrogées en 1480. En 1658 et 1659, le fromage se payait a 24 deniers, cependant l’augmentation de la valeur de l’unité fiscale n’était pas calquée exactement sur les cours pratiqués sur le marché puisque le fromage de brebis se vendait 3 sous. En 1696, le fromage était compté à 3,5 sous et, après 1700, les rares mentions indiquent 4 sous par unité, ce qui est le prix normal de ces fromages au cours de cette période.
– La production de laine
148Pour la laine, la méthode utilisée était simplifiée puisque ce produit pouvait facilement s’évaluer et se diviser. En 1480, il était dit que le décimateur devait sortir, une par une, les toisons du tas de laine et que la dixième qu’il tirait lui était réservée. Les chiffres globaux que nous possédons pour les XVIIe et XVIIIe siècles ne sont donnés qu’en poids et aucune référence directe au nombre de toisons n’est mentionnée. Le produit de la dîme sur la laine, pour les six communes, fut de 44 quintars en 1653 et de 32,15 quintars en 1658. En 1659, il y eut 24,6 quintars de laine prélevés à Canillo, Ordino, La Massana et Sant Julià. La laine de 1753 équivalait à 37,1 % des questies épiscopale et comtale cumulées (431,2 livres). En 1658 et en 1659, elle valait autant que la moitié de l’impôt payé aux deux seigneurs (332,75 et 245 livres), ce qui représentait 43,1 % de la somme encaissée par le Conseil Général au titre de la questia236.
149En 1707, les communes d’Ordino, de la Massana et d’Andorre avaient donné 27,72 quintars237. L’année suivante 30,3 quintars furent récoltés à Canillo, Ordino, Andorre et Sant Julià. Le prix de vente de cette laine fut de 443,5 et 499,9 livres. En 1714, ce furent 32,9 quintars donnés par l’ensemble des vallées, sauf Sant Julià, qui se vendirent à 542,8 livres238, cela faisait 44,6 % du montant de la questia bisannuelle pour une seule année de dîme.
150La production était toujours divisée en deux parties : la laine d’animaux adultes et celle des anims, c’est-à-dire le produit de la tonte des agneaux qui se vendait plus cher. Il est à noter qu’en 1334, l’évêque Arnau de Llordà stipula que la dîme de la laine devait se prélever avant celle des agneaux239. A la mi-juin, les décimateurs commençaient la collecte à Sant Julià, puis ils remontaient successivement toutes les autres paroisses. Ce n’est qu’ensuite que l’on comptabilisait les agneaux. La mention d’agneaux non tondus donnés à la dîme montre que cette règle n’était pas obligatoirement suivie lors de la période moderne. Dans les comptes privés, la laine noire était généralement surévaluée par rapport à la laine blanche240, mais cette différenciation n’est jamais apparue dans les comptes des dîmes. Une seconde différence s’établissait entre la laine lavée et la laine brute. Cependant l’immense majorité des transactions ne se faisait qu’avec de la laine brute. Seule la laine trop sale ou mouillée, qui risquait de perdre du poids, était traitée avant exportation.
151Dans les documents issus de fonds patrimoniaux, la production annuelle prélevée sur les troupeaux aux mois de juin et juillet est systématiquement mentionnée. Le lieu de tonte pouvait tout aussi bien se situer en plaine qu’en montagne. Cependant, dans la seconde moitié du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, on note une certaine préférence pour la tonte dans les vallées. Le contrat de tonte était parfois intégré dans les comptes de l’estivage. Dans certains cas, les bergers étaient dits tondeurs et prenyadors, ce qui correspondait à la tonte et à la période à laquelle les brebis étaient couvertes241. La majorité des ventes de laine se faisant vers comté de Foix, il s’agissait de rationaliser la période de tonte puisque les exemples de tonte des animaux en Urgell se soldaient, à l’inverse, par une vente sur place. Selon Severino Pallaruelo, il n’y avait pas de règle définie dans les Pyrénées, la différence entre une tonte précoce en plaine et une tonte tardive lors de l’entrée sur les estives s’explique par les conditions climatiques242. Il est à noter que, en Andorre, la dîme sur la laine se prélevait le 15 août (Sainte-Marie) et, contrairement aux escudorsos ou aux agneaux, cela se faisait toujours à 10 %, sans qu’entre en jeu une différenciation entre les animaux transhumants et ceux qui étaient restés en Andorre.
152La production de laine par tête n’est connue qu’au moyen de certains comptes de tondeurs qui étaient payés à la production. Par exemple, en 1686, 188 moutons tondus à Utxavafa (Urgell) donnèrent 590 livres de laine, soit 1,25 kg de laine par tête. La dîme sur cette production fut comptée à 1,5 denier par tête. Les animaux furent conduits à l’estive et la laine resta sur place243. En 1686, on considérait que la laine d’un agneau de dîme (17 têtes) pesait 26 livres soit 611 grammes de laine par animal. En 1689, Jean Doedra de Canillo recevait 1,6 kg de laine par borrec tondu. En 1689, la production du mouton était évaluée approximativement à 1,9 kg, celle de la brebis à 1,2 kg et celle de l’agneau à 0,85 kg244. Grosso modo, la production moyenne par tête, que l’on peut estimer à partir des différents comptes, est de 1,75 kg pour un mouton, de 1,25 kg pour une brebis et de 0,75 kg pour un agneau. Ces quantités concordent avec celles obtenues dans le Gévaudan. À titre de comparaison, actuellement en production extensive, la quantité de laine produite par une brebis est estimée à 1,5 kg, celle d’un mouton à 2,5 kg245.
– Agneaux et agnelages
153Au sein des compagnies transhumantes, le montant de la dîme que l’on devait pour les agnelages d’Urgell était acquitté intégralement par la personne qui avait loué les terres d’hivernage. Ce pouvait être l’un des plus gros actionnaires, mais parfois c’était l’un de ses associés qui avait pris une parcelle plus réduite afin de couvrir une part de sa participation à la compagnie. Le recensement des animaux se faisait par secteur, puisque la dîme ne revenait pas forcément à la même personne. Cela dépendait du seigneur qui était le titulaire de la dîme sur le lieu de naissance. Au cours de la campagne 1714-1715, 10 % des animaux, nés au cours du temps de garriga, ne payaient que la dîme au diocèse d’Urgell siégeant à la Seu d’Urgell, tandis que le reste des animaux, nés sur les terres du Segrià, payait au diocèse de Lleida.
154Il est à noter que lorsque les rédacteurs du texte du capbreu de 1480 mentionnent les différents rapports utilisés par les décimateurs lors du comptage des agneaux, ils ne citent que les droits qui reviennent à l’évêque d’Urgell. C’est pourquoi l’une des phases de la transhumance n’est pas directement apparente. Les Andorrans devaient un dixième des agneaux nés en Andorre, un neuvième pour ceux qui ne sortaient pas du territoire de l’évêché d’Urgell246 et un huitième pour ceux qui naissaient hors de la terre de l’évêque et revenaient dans les vallées. En résumé, lorsque le bétail ne transhumait pas, l’éleveur payait 10 % sur les naissances. Il s’acquittait de 11,11 % lorsqu’il ne sortait pas du domaine de l’évêché et 12,5 % lorsqu’il était allé en plaine. Pour ainsi dire, plus les animaux allaient loin, plus ils étaient taxés.
155Les chiffres qui nous sont parvenus grâce aux diverses comptabilités consultées diffèrent sensiblement de ce schéma. Le premier dénombrement effectué au cours de l’année se faisait fin mai. On comptait les animaux nés sur les terres de l’évêque de Lleida qui payaient au dix-septième. C’est le seul versement qui apparaît à la charge des éleveurs pour les agneaux qui restaient en plaine. Ce prélèvement ne figure pas dans le capbreu de 1480, l’évêque de la Seu ne percevant rien sur les animaux qui se vendaient avant la Saint-Jean. La franchise sur ceux vendus ou sacrifiés avant le passage du décimateur ne concernait en réalité que les animaux non-transhumants, les transhumants étaient absents du capbreu uniquement parce que le recouvrement n’allait pas dans les caisses de l’évêché d’Urgell.
156Pour les agneaux qui finissaient leur sevrage en Andorre, un paiement établi au cours des mois de juin et juillet s’ajoutait au versement effectué au mois de mai. Pour le premier, on parlait de la « dîme de montagne », en opposition à la seconde qui était dite « dîme d’Urgell »247. Le prix par tête de la dîme d’Urgell était fixé proportionnellement à la valeur attribuée à l’agneau de dîme248 quel que soit le nombre de naissances, alors que pour celle des vallées, on suivait un système de répartition identique à celui appliqué aux animaux ayant passé l’hiver dans les étables : les escudorsos payaient un tarif fixe (4 deniers) et les troupeaux plus importants payaient en proportion de l’agneau de dîme.
157Les comptes du décimateur de Sant Julià en 1654 permettent de détailler les paiements249. Par exemple, Ribot s’acquittait d’un mitger d’Andorre, de six escudorsos d’Urgell, de trois escudorsos de montagne et de deux porcelets. Les tarifs appliqués aux escudorsos et aux porcelets étaient semblables à ceux qui avaient été énumérés dans le capbreu de 1480 : 4 deniers pour les premiers et 8 pour les deux autres250. Dans ce cas, Ribot avait divisé son troupeau. Une partie des animaux était restée en Andorre et lui avait donné cinq naissances (un mitger), une seconde partie avait transhumé et avait donné six petits dont trois, qui n’apparaissent pas dans le dénombrement, furent vendus en Urgell et trois parvinrent à l’estive. La réduction de moitié du tarif de l’escudors d’Urgell par rapport à celui de montagne répondait à une division de la dîme perçue sur l’agnelage. En contrepartie de cette baisse de la dîme urgéllitaine, l’éleveur s’acquittait d’un second prélèvement en plaine ; celui-ci était absent du comptage effectué par les décimateurs andorrans. Cette double imposition est mieux illustrée par les comptes privés car ils ne se réfèrent pas à la levée d’une seule partie de la dîme. Ainsi, en 1714, Pere Antoni Roca de Ransol conduisit quinze brebis en hivernage au sein de la compagnie Areny. En mai 1715, il s’acquitta de 16,5 sous pour 11 agneaux nés en Urgell et au mois de juin, lors du recensement des animaux en Andorre, il paya en sus 4 deniers pour un escudors et 10 sous pour un agneau mitger (dix têtes)251. Au total, il avait payé un dix-septième en Urgell et un vingtième en Andorre, soit 10,88 % des naissances entre les deux versements.
158Ce paiement au vingtième que percevait le décimateur d’Andorre n’est pas cité dans le capbreu de 1480, alors qu’il est identifiable dans tous les comptes de transhumance étudiés pour la période moderne. De plus, si le mécanisme de répartition de la dîme entre les deux régions était déjà en vigueur, il faudrait y ajouter la part de dîme payée pour les naissances qui avaient lieu en plaine, hors des terres de l’évêque d’Urgell. Au bout du compte, cela se traduirait par un surenchérissement de la dîme puisque les deux paiements ajoutés atteindraient 18,4 % de la production252. Ceci est contraire à ce que laisse entendre le paiement des escudorsos, puisque la division de la valeur de la dîme y est clairement mentionnée. Le besoin de mettre à plat les diverses perceptions en cette fin du XVe siècle peut être attribué à un redémarrage de la production ovine transhumante, après la récession de la fin du XIVe siècle. Les maxima pastoraux enregistrés dans le premier quart du XVIe siècle constituent l’illustration manifeste de cette revitalisation de l’activité et, par conséquent, de l’accroissement des besoins de transhumer. L’imprécision concernant les animaux transhumants dans ce texte, qui mentionne la consultation d’un capbreu antérieur (molt antich), est-elle imputable à un oubli ou à l’absence de systématisation du mécanisme de transhumance ? A ce stade de la recherche, il est impossible de répondre de manière sûre, mais un faisceau convergent de présomptions porte à privilégier la seconde hypothèse253.
159Concrètement, pour le XVIIe siècle, la parité entre les tributs levés en plaine et ceux des vallées est toute relative. En premier lieu, l’escudors d’Urgell se calculait par rapport au prix de l’agneau de dîme, alors qu’en Andorre le tarif était fixe. Pour que le partage soit équitable, il ne fallait pas que la valeur de l’agneau d’Urgell soit fixée au-delà de 68 deniers alors que, entre 1622 et 1740, il n’a été trouvé aucune référence inférieure à 108 deniers254. Cette fixité de l’escudors se traduisait par une disparité des paiements entre éleveurs.
160Une seconde différence dérivait de la valeur nominale de l’agneau de dîme, celui-ci n’était pas estimé de la même façon pour les deux dénombrements de la dîme. En 1654, un agneau de dîme en Andorre valait 22 sous, alors que celui d’Urgell était porté à 14 sous. Ces deux valeurs étaient inférieures à celle du marché privé au cours de la même année, puisque le prix de vente d’un agneau en Andorre était de 24 sous. Cette année-là, un éleveur payait 9,16 % de la valeur de l’agnelage pour les bêtes qui avaient hiverné en Andorre et 8 % pour un animal transhumant. Cette différence de barème, entre les valeurs appliquées à l’agneau de dîme et les prix de vente, est observable systématiquement tous les ans. Par conséquent, dans la mesure du possible, il valait mieux payer le montant de la dîme plutôt que de donner l’animal. Systématiquement employée en Urgell, la transformation de la dîme en argent, sans passer par la remise des animaux, n’était pas généralisée en Andorre au XVIIe siècle. Les quelques estimations que nous possédons pour la période suivante sont toujours en numéraire255. Il semble que, à cette période, on payait les agneaux de dîme plus qu’on ne les livrait, mais cette impression peut résulter de l’insuffisance des données fournies par la documentation consultée pour la période débutant après l’année 1750.
161En résumé, pour en finir avec les dîmes pastorales, les prélèvements sur les ovins peuvent être synthétisés de la manière suivante : un dixième de fromage, 0,19 livre de laine (anims) et 8 deniers pour un agneau né dans les vallées ; pour un animal né en transhumance : un vingtième de fromage, 0,187 livre d’anims, 4 deniers et un dix-septième d’agneau de dîme d’Urgell. Par la suite, pour les saisons suivantes, s’ajoutait en moyenne 0,312 livre de laine par brebis et 0,437 livre pour un mouton. En 1622, pour une naissance, un éleveur payait 14,9 deniers de dîme pour un agneau né en Andorre et 22,1 deniers pour un agneau né en transhumance, alors que le prix de vente de l’animal était de 192 deniers. En 1700, c’était 21,45 et 34,25 deniers par naissance pour un prix de vente de 240 deniers256. La totalité de la dîme acquittée équivalait à 7,76 % et 11,5 % du prix de l’animal dans le premier cas et à 8,9 et 14,3 % dans le second. Pour relativiser ces résultats, il ne faut pas oublier que les animaux vendus au cours de la saison d’agnelage ne payaient au plus que le dix-septième d’Urgell, soit 8,8 et 9,6 deniers, ce qui faisait 4,6 % et 4 % du prix de vente. Mais ceux pour lesquels l’intégralité de la dîme était payée ne se vendaient au minimum qu’une saison plus tard. Comme, à cet âge-là, ils avaient atteint le stade de sub-adulte, le prix de vente à prendre en considération n’est plus celui de l’agneau257. De plus, pour obtenir une estimation correcte, il faut tenir compte de la part de laine et de fromage qui restait après taxation. Pour ces deux exemples, la taxation atteignait au plus 4,8 et 7,1 % du produit de la vente en 1622 et 4,1 et 6,6 % en 1700. La répercussion de la dîme pastorale était par conséquent bien moindre que ce que laissent supposer les documents bruts qui ne tiennent compte ni du stade d’élevage, ni des prix réels. La fixité du montant de l’escudors favorisait les petits producteurs. La hausse des cours sur les marchés allégeait sensiblement le recouvrement. Pour les gros producteurs qui participaient à la transhumance, le prix en nature se faisait au plus au vingtième, pour le reste ils payaient au prorata des naissances sur une base inférieure aux prix pratiqués.
162Loin d’être le loup dans la bergerie, la pression seigneuriale exercée sur cette activité au cours du XVIIe siècle s’apparente au loup de Pierre : plus on s’en plaignait et on en parlait, moins on risquait de le voir réellement surgir. La dîme qui pesait sur l’élevage n’était aucunement un frein à la production et, même si on y ajoute le second impôt qui pesait sur cette activité (la questia)258, les taxes restaient marginales.
II.b.2.2.d. Investissement et main-d’œuvre
163Afin de préciser la marge bénéficiaire que pouvait attendre un éleveur de la vente de son bétail, on s’est intéressé, saison par saison, aux investissements nécessaires pour conduire un agneau de sa naissance à sa vente, selon le sexe et le stade d’élevage. Pour les besoins de cette analyse, la date de naissance de l’animal a été fixée au cours de l’hivernage 1707 et l’ensemble des paiements a été calculé à partir des informations fournies par la documentation.
164La part de la dîme dans l’investissement est en constante diminution au cours de la vie de l’animal. En 1707, les droits acquittés au cours de la saison furent de 4,07 sous pour un agneau né en plaine et de 3,73 pour un agneau né en montagne259. Au niveau comptable, l’investissement se limitait à la dîme puisque les agneaux étaient couverts par le contrat d’hivernage de leur mère. Ils ne payaient rien de plus au cours de la première campagne. La saison suivante, ils avaient atteint le stade de borrec et payaient l’ensemble des frais au même titre que les primais ou les animaux adultes. A partir de ce moment, l’essentiel de l’investissement allait aux frais engagés en raison de la participation aux diverses compagnies pastorales qui totalisaient 63,9 % du total dès la première saison260. Les taxes réglées sur les deux premières années représentaient 19,5 % de la dépense, 12,7 % la troisième année et 10,2 % la suivante. Au bout de sept ans un mouton transhumant avait coûté 176,6 sous à son propriétaire. 78,7 % de cette somme avaient été payés aux diverses compagnies pastorales, 7,3 % étaient partis en taxes et 2,6 % correspondaient aux divers trajets entre la montagne et la plaine. Le reste, 11,4 %, avait servi à payer la part des émoluments perçus par les bergers qui n’avait pas été fournie par les associations. Le salaire destiné aux tondeurs et aux lieurs était réduit (1,5 % des frais). La majorité de ce chapitre avait servi à payer le solde des bergers, ce salaire annuel fixe n’était pas comptabilisé dans les frais des compagnies de transhumance et restait à la charge de la maison qui les avait engagés. La plus grande partie des ouvriers bénéficiait de contrats à l’année et certains bergers ne prenaient leur poste que pour l’une des étapes de la saison (pâtres d’orri, prenyadors, etc.)261. La moyenne des salaires annuels était de 373 sous262, soit 2,5 sous par animal.
165Pour élever un mouton dans les vallées au cours de la même période, il avait fallu un investissement de 115,6 sous. La différence fondamentale s’explique par les tarifs d’hivernage. Au total, l’animal stabulant n’était revenu qu’à 55,5 sous en sept ans, contre 111,5 sous pour les hivernages de l’animal transhumant. La laine produite par le mouton, la dîme une fois déduite, couvrait 43,9 % de l’investissement pour l’animal transhumant et 67,6 % pour celui de la montagne. Une dernière dépense s’ajoutait à l’ensemble : les frais de foire. Selon que l’animal se vendait à l’automne, en hiver ou au printemps, ces frais se montaient à 2 – 1,5 ou 1 sous par tête. L’importance de l’investissement par rapport au prix de vente de l’animal263 faisait qu’un mouton transhumant se vendait à perte dès la troisième saison d’hivernage. En comptant la laine produite, ce n’est qu’à partir de la cinquième saison de transhumance que l’éleveur perdait sur la vente264. Ce seuil de rentabilité n’était atteint par le mouton non-transhumant qu’à la fin de la saison suivante. Dans les deux cas, plus le temps passait, moins le rapport devenait avantageux. Dans ces conditions, il est clair que la stratégie des éleveurs devait prendre en compte deux paramètres fondamentaux : ne pas vendre les animaux trop tôt, pour qu’ils ne soient plus considérés comme sub-adultes et que leur valeur atteigne son maximum, mais aussi ne pas garder trop longtemps l’animal afin de ne pas multiplier les frais. Pour les brebis bréhaignes, ce facteur était encore plus marqué car le prix de vente par tête était systématiquement inférieur de 10 à 20 % à celui du mouton.
166Seules les brebis porteuses constituaient un cas particulier. Elles produisaient moins de laine que le mouton, mais en contrepartie elles donnaient du fromage. Cependant, la différence provenait essentiellement de la plus-value qu’elles apportaient grâce aux agneaux. A peu de chose près, les productions dérivées (laine, fromage) couvraient les frais d’entretien. A partir du premier agnelage, les comptes devenaient excédentaires. Le décalage entre les animaux de plaine et ceux de montagne persistait. A sept ans, une brebis transhumante rapportait 42 % du capital engagé, alors qu’une brebis stabulante apportait un profit équivalant à 71 % de l’investissement. Contrairement au mouton, tant qu’elles étaient fécondes, les brebis porteuses restaient toujours rentables. Les brebis vieillissantes, moins prolifiques, étaient celles qui, à terme, pouvaient poser un problème. Elles donnaient moins de naissances et, simultanément, elles perdaient de leur valeur marchande. Le faible nombre des mentions pour lesquelles il est précisé que le prix de vente entraînait une perte parce qu’il s’agissait d’animaux trop âgés montre que les éleveurs se défaisaient de ces bêtes avant ce stade. L’important croît naturel du troupeau assure facilement le renouvellement des animaux sans que cela affecte la gestion de l’ensemble des bêtes265.
167Face à l’ensemble de ces obligations, les éleveurs n’étaient pas égaux. En effet, les dépenses qu’entraînait la transhumance obligeaient à bloquer un capital relativement important. La location d’une seule zone d’hivernage comme celles que louaient les compagnies représentait la valeur marchande d’un troupeau de 140 à 150 moutons. Certaines terres d’hivernage plus petites représentaient un dixième de ce montant, cependant cette opération ne représentait qu’une partie des frais. Si on comptabilise la totalité de la dépense nécessaire à l’entretien d’un troupeau d’octobre à mai, il fallait une somme équivalente à la valeur de près de 400 animaux. À Ordino, en 1684, 61 maisons déclaraient 2 436 animaux. Il n’y avait que trois éleveurs qui déclaraient un nombre d’averies équivalent ou supérieur à 150266. Dans ce dénombrement tardif (novembre), seuls ont été comptés les animaux qui devaient hiverner en principauté. Cette année-là, la commune d’Ordino s’acquitta de 9 729 averies pour la questia267. Les livres de comptes permettent d’estimer que la famille Areny possédait au moins 3 000 ovins268 et la maison Rossell d’Ordino avait au moins 1 500 bêtes269. En ajoutant les bêtes possédées par les maisons Areny, Rossell et Nicolau Areny270 au dénombrement communal, il ne manque plus que 1 500 têtes à ce recensement pour équivaloir à celui de la questia. Par conséquent, en 1684, à Ordino, au moins 55 % du cheptel déclaré appartenait à trois familles et un quart du bétail paroissial ne partait pas en transhumance. Ce rapport est confirmé en 1714, 16 003 ovins autorisés par le marquis de Castelrodrigo représentaient 61 % des bêtes déclarées pour l’ensemble de la principauté. 7 186 têtes ne quittaient pas le territoire national271. Cette année-là, la compagnie transhumante de Guillem Areny Torres comptait au moins 26 % des bêtes transhumantes (4 696 animaux), 21 % du cheptel andorran, alors même que les recensements conservés ne comptabilisent pas le troupeau destiné aux foires qui n’allait pas sur les terres d’hivernage. Il est à noter qu’en 1684, trois éleveurs totalisaient 60 % du cheptel transhumant alors qu’ils ne possédaient que 28 % du bétail stabulant. Il semble donc que le rapport à la transhumance était proportionnel à la quantité de bétail possédé.
168En 1774, l’inventaire détaillé des averies de questia à Ordino recense 3 220 bêtes contre 3 508 déclarées à la Maison des Vallées. Dans ce cas, il y avait 5 propriétaires sur 89 déclarants272 qui dépassaient le seuil des 150 têtes. Bien que plus fiables que le document précédemment cité, ces chiffres cachent une partie de la réalité. Les animaux appartenant à un éleveur pouvaient être placés chez un partenaire. C’est, par exemple, le cas de la maison Areny, qui ne résidait plus dans les vallées à cette date273, dont une partie des animaux était comptabilisée dans le cheptel de Teixidor de la Massana et ne payait rien à Ordino. Un dernier exemple : en 1792 à Canillo274, il n’y avait que 11 éleveurs, sur 125 déclarants, qui dépassaient le seuil des 150 têtes, contre 6 maisons sur 61 en 1684 et 6 sur 89 en 1774. Même si ces proportions ne sont pas parfaitement fiables, le nombre de candidats qui pouvaient se permettre de transhumer, sans passer par le filtre de l’une des grandes maisons, était fort réduit. Un parallèle peut être établi avec une région éminemment pastorale comme l’était celle de Soria. En 1765, les animaux non-transhumants se répartissaient de la manière suivante : 96 % des propriétaires possédaient moins de 300 animaux, un tiers en avait moins de 50 et seuls deux éleveurs dépassaient 500 têtes. Au même moment, en Capcir ou en Cerdagne, aucun propriétaire n’entretenait plus de 200 ou 300 bêtes à laine et chèvres275.
169La relation entre les grandes compagnies et l’évolution du cheptel est évidente si on observe parallèlement le nombre de journées payées par la maison Areny et la quantité de bétail déclarée dans la commune d’Ordino276. En 1638, les averies atteignaient la quantité maximale déclarée à Ordino au cours de la première moitié du XVIIe siècle : de 1 673 têtes, elles passèrent à 7 404 en 1642. Durant cette période, le nombre de journées de travail payées par la maison Areny concernant les ovins doubla, passant de moins de 3 000 à 6 673 en 1641. La crise de la filière ovine s’ouvrit dès 1644 et atteignit son point culminant en 1656. Le cheptel déclaré par la commune déclina de 65 %, la perte enregistrée par les contrats fut de 75 % par rapport à 1641 : le nombre de journées travaillées annuellement devint inférieur à 2 000 en 1647 et, en 1651, il n’y en avait plus que 1 515. Jusqu’en 1660, la situation resta stable, on recrutait du personnel pour effectuer entre 2 000 et 2 500 journées de travail. A partir de cette année, la situation se débloqua et le cheptel crût fortement. En 1686, la commune déclarait plus de 11 000 averies. Simultanément, la masse salariale de la maison Areny fut multipliée par trois. Au cours des deux années 1685 et 1686, plus de 11 000 journées de travail furent payées à une quarantaine d’employés.
170Si l’on compare ce mouvement à celui qu’avait connu le cheptel andorran, une conclusion s’impose : dans l’ensemble, les tendances sont concordantes, même si l’amplitude du mouvement n’est pas identique. La poussée initiale ne fut que de 39 % pour l’ensemble des vallées alors qu’elle fut de 78 % pour la commune d’Ordino. De la même manière, au cours des années 1650, la perte du cheptel de la principauté fut au plus de 57 % du maximum de la période antérieure, alors que celle d’Ordino se situa 10 points au-dessus. Par la suite, la tendance s’inversa. Bien que l’activité pastorale communale parvint à dépasser de 37 % les maxima du début du siècle, celle des vallées resta au mieux 15 % en dessous du seuil enregistré en 1634-1636. Après 1686, l’élevage ovin entra en récession jusqu’en 1712. Seule une légère reprise, entre 1698 et 1702, vint interrompre l’inexorable tendance à la baisse. L’évolution du nombre de contrats salariaux se différencie de cette évolution puisque la chute, observée après le pic de 1686, s’inversa. Dès 1693, le nombre de contrats augmenta fortement, parvenant à 11 200 journées en 1704, avant que ne débute la chute qui aboutit au minimum relevé à la fin de la guerre de la Succession d’Espagne en 1714-1715. La réduction du nombre de contrats conclus par la compagnie Areny fut également plus faible que celle qui affecta les troupeaux d’Ordino ou des vallées277. L’évolution du volume de main-d’œuvre est surtout à mettre au compte du réseau sur lequel se fondait l’activité pastorale de la maison Areny. Elle travaillait sur une zone géographique large qui allait de Lleida à Barcelone, en passant par l’arrière-pays tarragonais. Lorsque l’un de ces secteurs était touché, elle pouvait se rabattre sur un autre. Cette compagnie qui traitait directement avec les bouchers de différentes grandes villes était mieux placée que la plupart des éleveurs qui travaillaient à une échelle plus réduite sur un marché plus localisé, ils étaient plus sensibles aux aléas de la conjoncture. C’est seulement lorsque les désordres militaires, qui bloquèrent les routes pastorales, se conjuguèrent à la désorganisation des marchés que la compagnie fut touchée. A partir de 1705, ces deux facteurs se combinèrent et marquèrent la limite d’adaptation que possédait la structure de la compagnie278.
171L’évolution générale avait une répercussion directe sur le marché salarial, une période de croissance se traduisait par un allongement de la période d’embauche. Au début du XVIIe siècle, la durée moyenne d’un contrat était inférieure à deux ans. En 1644-1645, elle était supérieure à sept ans. À ce phénomène, s’en était ajouté un second : la part de la main-d’œuvre étrangère augmenta. A cette date, un quart des employés était originaire de l’extérieur des vallées279. La crise de la moitié du siècle se traduisit par un licenciement des employés les plus anciens et par l’établissement de nouveaux contrats. Au niveau géographique, la crise entraîna une diversification de l’origine de la main-d’œuvre. Alors que le nombre des employés originaires d’Ordino et de la Massana diminua des deux tiers, la main-d’œuvre immigrée ne chuta globalement que d’un tiers : le nombre de bergers catalans se réduisit de moitié, celui des Ariégeois resta stable et, à partir de 1650, on fit appel à des pâtres Languedociens280. Une fois ces difficultés dépassées, la stabilité des places de travail se renforça. A la fin du XVIIe siècle, la durée moyenne des périodes d’embauche était supérieure à huit ans.
172Au cours de la période 1665-1700, l’origine des travailleurs se modifia. Dans la principauté, le nombre de bergers d’Ordino et de la Massana se réduisit progressivement jusqu’à atteindre le seuil le plus bas en 1686-1687. Les principaux bénéficiaires de l’accroissement de la demande de main-d’œuvre furent les habitants de Canillo, leur nombre quadrupla entre 1660 et 1786. A cette date, près d’un quart des contrats était destiné à l’embauche d’immigrés qui provenaient majoritairement de l’Ait Urgell. La proportion d’étrangers resta constante jusque dans la première décennie du XVIIIe siècle. Mais, alors que les personnes originaires de l’Ait Urgell et du Pallars se réduisaient constamment, le nombre d’Ariégeois et de Languedociens augmentait sensiblement281. Ces derniers avaient refait leur apparition dans les comptes au cours des dernières années du XVIIe siècle. Ils totalisaient 5 % des contrats d’embauche en 1710, contre 15 % pour les Ariégeois. Les bergers originaires des communes d’Andorre, de Sant Julià et d’Encamp travaillant pour Guillem Areny Torres, quasiment absents avant le XVIIIe siècle, regroupaient 10 % des contrats en 1710. Pour ce qui est des autres habitants des vallées, ceux d’Ordino égalèrent la situation enregistrée au début du XVIIe siècle en repassant la cote des 50 % des engagements. La commune de la Massana disparut des comptes des employés de la compagnie alors qu’elle restait omniprésente dans les comptes des associés. Le nombre de pâtres originaires de la paroisse de Canillo s’était réduit de moitié, cependant ils constituaient encore près de 40 % de la masse salariale.
173Au bout du compte, sur un siècle, 70 % de la main-d’œuvre totale provinrent des communes d’Ordino (31,9 %), de Canillo (30,3 %) et de la Massana (14,9 %). 6 % étaient originaires des trois autres communes andorranes et le reste (16,9 %) était extérieur aux vallées282. La longueur de certains contrats montre que quelques uns de ces immigrés pouvaient finir par s’installer définitivement en Andorre. Cette installation, qui pouvait durer plusieurs années, n’était pas forcément définitive, le passage en Andorre ne constitue souvent qu’une étape dans leur vie. Les comptes des salaires illustrent au plus un moment de la vie de ces ouvriers, ils ne permettent pas une véritable approche chiffrée de ce phénomène283. Mais, même si cela était plus ou moins durable, l’arrivée de ces immigrants qui résidaient dans les vallées pendant un certain nombre d’années met en évidence une frange de la population qui n’apparaît pas dans la documentation communale.
174L’allongement de la durée des contrats avait une incidence sur la relation qui s’établissait entre l’ouvrier et l’employeur. Bernat « Roergue » fut aidé par Guillem Areny Torres lors de son installation (achat de terres), mais le changement est surtout appréciable dans le cadre de l’élevage, car cela se traduisait par une modification du statut de l’employé. Dans le meilleur des cas, progressivement, il pouvait finir par s’associer à la compagnie pastorale. La date à laquelle étaient comptabilisées les journées de travail est le reflet de l’activité pastorale privée des bergers. Au cours des six premières saisons, la plupart des contrats se soldaient au cours des mois de juin et de juillet, alors que, par la suite, cela se faisait aux mois d’octobre et de novembre. Cette variation était imputable à la façon dont était intégré l’employé dans la structure de la compagnie. Chaque employé pouvait placer des animaux dans le troupeau de la maison Areny. Généralement, l’une des clauses du contrat spécifiait qu’il recevait une franchise pour un certain nombre de têtes en estivage, l’hivernage restant à sa charge, et l’on procédait de la même manière que pour les autres associés. Les employés qui soldaient leur compte au printemps participaient le plus souvent uniquement à la transhumance, alors que les autres, ceux pour lesquels on établissait la balance des comptes en automne, prenaient part à la formation des troupeaux destinés aux foires. Cela impliquait un changement profond de la base financière. Ceux qui se déplaçaient aux foires possédaient un troupeau suffisant pour participer à deux stades différents de l’élevage alors que les premiers n’usaient des facilités qu’offrait la compagnie que pour passer le cap de la mauvaise saison.
175Ce changement est apparent dans les modifications qui intervenaient dans les clauses du contrat. Prenons l’exemple de Jaume Vidal de Prats qui débuta le 26 octobre 1674 sur le solà de Pal juste avant le regroupement des animaux pour le départ284. Son salaire initial était de 14 livres et 15 ovins francs d’estivage285. Puis, progressivement, il fut réévalué : en décembre 1688, lorsqu’il quitta la compagnie, ses gages étaient composés de 23,5 livres, d’un caleçon et de 60 bêtes. En 16 ans, le salaire qu’il percevait en argent avait augmenté de 68 % et la valeur de la part en nature avait crû de 360 %. Parallèlement à cette évolution salariale, l’activité pastorale qu’il développait se modifia profondément. Lors de la première saison, il possédait 15 animaux sur les estives, or, aucun d’entre eux ne participa à la transhumance. En 1674, pour la première fois, il agrégea une bête au troupeau transhumant, les 14 animaux restants hivernèrent en Andorre. A partir de cette date, le nombre d’ovins qu’il conduisait en plaine alla croissant. En 1688, sur ses 60 animaux, la moitié alla hiverner en Urgell. Au cours de cette période, son troupeau quadrupla et, successivement, en 1675, 1680, 1685 et en 1689, il vendit 75 bêtes par l’intermédiaire de la compagnie. La relation entre la famille Areny et son employé ne finit pas à cette date. A partir de ce moment-là, il fit partie des associés minoritaires qui vendaient des animaux à la boucherie de Barcelone286, alors qu’auparavant il se contentait des foires d’Urgell. En 1690 et en 1691, les deux tiers de ses bêtes allaient en plaine. Quatorze ans après le début du contrat qui le liait à la maison Areny (1686), ses bénéfices furent investis dans l’achat d’équins.
176Cette longue collaboration avait fourni le cadre grâce auquel cet éleveur avait pu extraire son activité des limites des vallées. La franchise qu’il possédait constituait l’une des facettes de cette activité287, la possibilité de participer à la compagnie transhumante était la seconde. De fait, au cours de cette période, 42 % de son salaire furent consacrés à payer les droits d’hivernage de son troupeau et 2,5 % allèrent aux dîmes d’Urgell et aux droits de foire. Un second exemple de cette évolution est celui de Miquel Aymar, dit « Tomaset », de Canillo. En 1682, il commença à 12,5 livres et 10 têtes d’estivage. En 1692, il percevait 23 livres et possédait une franchise pour 30 ovins288. Pour ce qui est du cheptel transhumant, en 1683, il fit conduire 2 brebis en plaine, 3 l’année suivante et 15 en 1686. En 1688, ce furent 32 de ses ovins qui prirent le chemin de l’Urgell ; en 1690, ils étaient au nombre de 46. Comme dans le cas précédent, il finit par investir dans l’achat de poulains (1691), puis, après la fin de son contrat, il poursuivit son activité au sein de la compagnie en participant plusieurs années de suite à la foire de Guissona et en conduisant des animaux à la boucherie de Barcelone. Parallèlement, il avait développé une activité pastorale centrée sur son domaine patrimonial en prenant à capsou 38 animaux appartenant à Guillem Areny Torres en 1693. Au total, au cours des dix ans d’engagement, il consacra 70 % de son salaire au paiement de l’hivernage de ses ovins289.
177Moyennant finances, la compagnie offrait à ses employés la possibilité d’élargir l’accès à la transhumance et ouvrait des marchés qui leur étaient difficilement accessibles. Cette évolution eut lieu au cours du XVIIe siècle et elle est illustrée par la composition des règlements de salaires de la compagnie. La part de salaire retenue directement pour couvrir les frais de transhumance des bergers fut en constante augmentation entre 1620 et 1720. Elle atteignit entre 15 et 20 % du total des gages à partir de 1690, alors qu’elle ne dépassait pas 5 % dans la première moitié du siècle. Ce mouvement général se traduisit également par un accroissement des paiements en numéraire. La part de liquidité que percevaient les employés augmenta290 et, parallèlement, les sommes qu’Areny payait directement aux créanciers de ses ouvriers déclina. En particulier, le paiement des taxes communales (questia, ascot, talla) qui était fréquent entre 1620 et 1650, ne l’était plus autant après 1660-1670. En 1641, plus d’un tiers des employés demandèrent le paiement de leurs taxes alors qu’ils n’étaient que 10 % en 1690. Encore faut-il préciser que la moitié d’entre eux étaient étrangers aux vallées et n’avaient pas accès au Conseil communal. Ils passaient obligatoirement par un intermédiaire pour payer l’estrany291.
178Les éleveurs qui contrôlaient une compagnie pastorale prenaient quasi intégralement à leur compte les frais de la saison. Il n’était compté aucun intérêt aux autres participants. L’établissement d’un tarif par tête impliquait qu’il n’était possible d’établir le prix qu’une fois terminée la saison d’hivernage, ce qui se faisait au plus tôt au mois de juin. La complexité du système financier mis en œuvre afin de couvrir la dépense et de recouvrer le montant des ventes nécessitait un large réseau de connaissances et d’associations. L’alliance des éleveurs et des bergers ne constituait que l’une des facettes de ce dispositif. En amont et en aval, le financement était fondé sur le crédit à court et moyen terme, notamment grâce aux lettres de change qui permettaient de pourvoir aux avances de paiement et à l’échelonnement des dettes. Foires d’automne et de printemps, organisation de la transhumance, vente des animaux aux boucheries et commerce de la laine, constituaient autant de marchés indépendants qui se combinaient et requéraient systématiquement des ententes financières préalables. À cet ensemble de transactions directement tributaires de la compagnie, s’ajoutaient l’entretien et les salaires du personnel nécessaire à ces diverses activités. En 1686, le montant total des avances sur salaire faites au personnel qui intervint plus ou moins directement dans l’activité pastorale de la maison Areny se monta à 633 livres. En 1689, année pour laquelle le montant fut le plus élevé, Guillem Areny Torres paya plus de 928 livres, ce qui équivalait au prix de 551 moutons vendus en Andorre ou à 395 vendus directement à Barcelone292. « Le berger et les étoiles » n’étaient que le maillon romantique de cette chaîne ; derrière l’immuabilité d’une technique « ancestrale » mise en œuvre par tous les éleveurs, il y avait un monde de l’échange contrôlé par un nombre restreint de familles.
II.b.2.3. L’influence des compagnies pastorales au niveau local
179Au XVIIe siècle, l’émergence et la consolidation de ces familles, qui développaient un élevage fondé sur la possession d’un capital important et qui étaient déliées des réalités intrinsèques des vallées, se traduisirent, au niveau local, par la modification du cadre d’exploitation des estives. Par la location des cortons, ces maisons se réservaient l’usage d’une part des pâturages estivaux appartenant à leur commune. Leur activité pastorale outrepassait amplement le potentiel que leur offrait leur patrimoine et les herbages de leur commune d’origine, eux-mêmes, se révélèrent trop étroits. À Canillo, de 1671 à 1706, les locations de certains cortons se faisaient à des étrangers à la commune. Moles et Guillemo d’Andorre, Torres d’Encamp, Rossell et Areny d’Ordino furent les seuls bénéficiaires recensés, c’est-à-dire cinq des six éleveurs qui avaient obtenu du marquis de Castelrodrigo le passeport afin de pouvoir transhumer en 1719.
180Ces contrats, directement établis par un étranger à la commune, même s’ils étaient quasiment dans tous les cas originaires des vallées, n’étaient pas la règle293. La position de force dans laquelle se trouvaient ces maisons autorisait un autre moyen de se réserver l’usage de certaines estives, ce que les documents nomment les empenyos. C’est-à-dire l’engagement d’un ou plusieurs cortons, afin que l’éleveur se charge de la dette publique. Ainsi, de 1693 à 1697, la commune de Canillo engagea deux fois le cortó des Basses à Guillem Areny Torres. Contre 44 livres et 41 livres 12 sous, il eut l’usage exclusif de ces pâturages pendant six ans. Cet espace était mitoyen de ses terres de Montaup et Mereig294, pour lesquelles il possédait un droit de dépaissance franc d’estrany depuis 1690. Au cours de cette période, il jouit par conséquent des herbages qui allaient de la frange sud du cortó de la Vall del Riu295, à la limite de l’empriu contigu de la commune d’Ordino, où il cumulait le droit de dépaissance de Canillo et celui d’Ordino comme habitant de ce village. Le domaine qu’il utilisait à Canillo ne se limitait pas à ce secteur. En effet, à travers la relation qu’il entretenait avec Bartumeu Gener « Peirot » et avec Sucarana de Meritxell, il accédait également aux estives de la Portella et du Ribalo sur la solana du Bac de la Casa et à celles de la Coma de Ransol et d’Antor.
181L’évolution de la relation entre la commune de Canillo et la maison Areny est intéressante, car elle met en lumière le rôle financier que jouaient ces grands éleveurs à la fin du XVIIe siècle. Les deux actes de 1693 et 1696 concluaient une situation qui avait débuté dix ans auparavant296. Entre versements en numéraire, livraisons de blé prélevées sur le stock des dîmes, paiements de Ilots, de bulles de la croisade et acquittement des frais occasionnés par le passage du Gouverneur de Mont-Louis et de sa troupe en 1690297, Guillem Areny avait versé 684,45 livres. Mis à part 37,5 livres que la commune restitua en liquide, le reste fut remboursé grâce à diverses locations de cortons et par le versement du droit de dépaissance de Mereig (150 livres). L’engagement du cortó des Bases se fit pour tenter d’éponger la dette. Cela ne conclut pas cet épisode. De nouveau, de 1687 à 1699, la commune, obérée, dut engager une autre estive. Cette fois, ce fut celle de la Coma de Ransol qu’il prit, trois fois, pour un total de 78 doublons (429 livres). Au cours de cette période, il ne fut pas le seul à bénéficier de ce type de contrats. De 1692 à 1699, le cortó des Herbes-Mitgeres fut hypothéqué au profit de Joan Marc Torres d’Encamp pour 98 livres. En 1693, Pere Joan Fiter Sellera, de la maison Rossell d’Ordino, obtint les estives des Colis, de la Portella et du Ribalo pour 44,5 livres et Moles d’Andorre reçut les estives de la Solana en 1706298. Pour simplifier, on peut dire que l’élevage ovin était au centre du système financier privé et que, au cours du XVIIe siècle, la commune s’adapta à une nouvelle réalité, celle des compagnies transhumantes. La location directe à un étranger à la commune est le résultat de la position de faiblesse de la commune. En 1683, il est dit dans le document que le loyer correspond à un an d’empenyo. La commune ouvrait ses estives hors du cadre du conlloch parce qu’elle n’avait pas d’autre moyen de se financer. Le droit de dépaissance perpétuel et franc d’estrany dont bénéficiait Guillem Areny Torres à Mereig résulte probablement d’une même logique. Preuves en sont les terres qu’il possédait sur d’autres communes qui ne lui donnaient aucun droit sur le communal, mis à part ceux de guarda ou de defens dont il s’était acquitté. Généralement, le droit d’accéder au communal était lié à l’appartenance à la communauté, pas à la seule possession de la terre.
182Tout au long du XVIIe siècle, les revenus communaux se caractérisent par leur faiblesse. Les locations de services ne jouent pas encore le rôle qu’elles auront au siècle suivant. A Sant Julià, la construction de la casa comuna qui servait d’hôtel remonte à l’an 1695. Pour la période précédente, le locataire de la fonction hôtelière recevait les hôtes chez lui. Le plus souvent, il ne payait aucun loyer pour cela, mais il était contraint de suivre à la lettre les recommandations données par le Conseil communal, qui portaient aussi bien sur la manière de tenir l’hôtel que sur les prix qu’il devait appliquer299. Les hôtels ne rendaient quasiment rien et aucune forge communale n’était en activité. Au XVIIe siècle, le manque de ressources rendait les communes tributaires des éleveurs qui utilisaient les estives. Cette faiblesse pouvait les conduire à perdre momentanément le contrôle d’une partie de leur territoire300. Lorsqu’une telle situation se produisait, elle se faisait systématiquement au profit de l’un des gros éleveurs transhumants. Ils étaient les seuls vraiment intéressés, mais également les seuls qui pouvaient apporter le capital dont avait besoin la commune.
183La situation financière des communes au XVIIe siècle avait peu à voir avec celle que l’on peut observer lors de la période suivante. L’impossibilité de couvrir les Ilots démontre que, contrairement à ce qui est apparu dans les comptes postérieurs, la commune ne possédait pas une trésorerie comparable. La grande différence entre ces deux épisodes réside bien plus dans les rentrées financières que dans la dépense. Avant 1700, la commune de Canillo percevait moins de 200 livres annuelles pour ses cortons. De 1700 à 1730, elle perçut plus de 265 livres. Ce montant doubla entre 1730 et 1766 (570 livres) et atteignit 1 016 livres entre 1766 et 1800. Pour la commune d’Andorre, les loyers perçus au début du XVIIe siècle étaient de 11 livres en moyenne, de 25 livres entre 1633 et 1666, ils atteignirent 67 livres à la fin du siècle. Ils étaient de près de 150 livres entre 1733 et 1766 et finirent par dépasser 430 livres annuelles de 1766 à 1800301.
184À l’origine, que ce soit grâce à des animaux étrangers (estrany) ou grâce aux recouvrements constitués par les talles et bans, la commune ne percevait une rémunération que par rapport au nombre de têtes paissant sur son territoire. Ce type de rémunération se fondait sur l’usage communautaire. Alors que ce système perdura pour les terres basses d’usage hivernal, il fut supplanté par la location d’estives. Cette modification impliquait un blocage de ce système collectif sur les terres louées. Les 11,8 livres de moyenne que percevait la commune d’Andorre entre 1609 et 1650 équivalaient à la valeur de la questia de 1 422 averies. Au même moment, à Sant Julià, le bail des estives représentait 732 ovins et 7 340 à Ordino302. À la fin du XVIIe siècle, la moyenne annuelle des loyers perçus à Sant Julià égalait la taxe de 1 324 averies ; elle se montait à 5 196 averies à Andorre, à 6 156 têtes à Ordino et à 11 336 à Canillo. Mis à part Sant Julià, où les averies réellement déclarées à la questia payaient un montant supérieur à la valeur de location des estives, dans tous les autres cas les cortons rapportaient près du double de ce que prélevait la communauté. L’enchérissement des loyers dépassait largement la hausse des prix. Au début du XVIIIe siècle, à Ordino, le montant des baux, indexés sur les prix de la viande de mouton, doubla. A Andorre, il tripla. A Sant Julià, la progression fut plus réduite (25 %). A Canillo, paroisse pour laquelle les références antérieures à 1671 sont inconnues, la progression des rentes fournies par les estives fut de 88 % entre les périodes 1671- 1700 et 1700-1733, alors que les cours de la viande ovine ne progressèrent que de 7,5 %. Les prix de l’estivage appliqués sur le marché privé connurent une croissance semblable à celle qu’enregistrèrent les cortons. Dans la compagnie Areny, le tarif moyen par tête ovine estivée était passé de 1,5 sou à 3,5 sous, soit 166 % d’augmentation303, contre 69 % en moyenne pour la viande, 77 % pour le fromage ou 80 % pour la laine304.
185La fin du XVIe siècle et le XVIIe siècle andorrans furent marqués par un mouvement profond qui débuta au sein des compagnies pastorales transhumantes. Celles-ci, en augmentant la demande des territoires soustraits à l’exploitation collective, créèrent les conditions propices à l’enrichissement progressif des communes. Ce mécanisme, qui s’instaura dès la fin de la première moitié du XVIIe siècle, connut un blocage au cours des crises consécutives à la guerre des segadors pour reprendre avec plus de force dès 1660. L’influence de ces compagnies allait bien au-delà du strict cadre communal. Par les salaires et, surtout, grâce à l’ouverture de marchés spécialisés ne travaillant qu’avec un nombre important d’animaux, elles finirent par constituer la clef de voûte de l’organisation transhumante au cours de la période moderne. Ce développement économique se répercuta sur la population. L’augmentation du nombre d’ouvriers et la création de capital furent les deux principaux facteurs qui permirent un accroissement des installations de fils cadets et l’augmentation relative du nombre d’immigrants. Ce phénomène se traduisit au niveau général par une refonte de l’assiette des prélèvements. Sans qu’intervienne une modification du cadre général, l’impôt fut dans un premier temps transféré partiellement sur ces nouvelles maisons, puis directement sur la commune. Le mécanisme des Ilots, payés sur la recette publique au cours du XVIIIe siècle, fut l’aboutissement de ce désengagement des familles d’anfoch. Cependant, alors que le XVIIIe siècle s’ouvrait sur une période d’abondance, cette évolution portait déjà en elle les germes des troubles politiques qui naquirent à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. La réalité économique et la collecte des charges s’étaient modifiées, mais le fondement politique ne changeait pas. Pour l’heure, la croissance atténuait les disparités, d’autant que le marché intérieur possédait deux atouts qui le favorisaient : une position géographique facilitant l’échange entre Languedoc et Catalogne et la matière première nécessaire à la production du fer.
Notes de bas de page
1 Date d’instauration de la Nova Reforma.
2 ANA/ACC, livre d’actes 8, listes de paiement de la questia de 1551-1558.
3 En vallée de Barravés ou en Val d’Aran, les « cases noves » étaient les cabalers qui avaient le statut de « fils » par admission (SANLLEHY, 1988, 32-38 ; PIQUÉ, 2000, 221-228).
4 Dans dix-sept cas il s’agissait du beau-frère, dans quatre cas du mari de la tante et dans un cas du père du beau-frère.
5 VIADER, 2000a, 613-618.
6 BERTHE, 2000.
7 CURSENTE, 1998, 2000.
8 ANA/ACA, livre d’actes et de comptes 2, 1619-1671.
9 Les changements de dénomination des maisons étaient fréquents. À Canillo, par exemple, pour un maximum de 126 maisons à la fin du XVIIIe siècle, il a été recensé un total de 438 noms de maisons et 876 noms patronymiques affiliés entre 1662 et 1809 – ANA/ACC, livres 2 et 4.
10 ANA/ACSJ, livre 6, 14 mai 1709.
11 En 1748, Fiter Rossell proposait un mécanisme d’obtention de la résidence fondé sur trois points : il fallait que l’étranger ait habité pendant dix ans la commune, qu’il paye la questia et qu’il démontre qu’il aimait le pays « de fets y paraulas » (FITER, 2000, 402).
12 Ainsi, en 1754, Miguel Aragonés qui résidait dans la paroisse de Sant Julià fut contraint de fermer la boutique qu’il avait installée dans cette bourgade pour non-présentation des lettres de créances – ANA/ACSJ, livre d’actes 7, 4 octobre 1754.
13 ANA/ACC et ACO, Ensemble des livres communaux, 1613-1866 et 1671-1866, date à laquelle l’application de la Nova Reforma gomma cette distinction.
14 ANA/APN, livres de comptes du Conseil Général, s. n. (1632-1655).
15 La questia destinée au comte était acquittée en deux versements égaux, l’un à Pâques et l’autre à la Toussaint. Lorsque le paiement revenait à l’évêque, il se faisait en une seule fois à Pâques.
16 FITER, 1748, 383-384. La part du comte de Foix était passée à la maison de Navarre puis à celle du roi de France lors du couronnement d’Henri IV en 1589.
17 ANA/ASC, Codex miscel.lani, f° 135-137.
18 BATLLE, 1973, 230-239 et 1988, 308-312.
19 Au XIIIe siècle, un écart similaire était appliqué pour le recouvrement des frais de justice, les trois quarts allaient au comte, le reste à la mitre (VIADER, 2000a, 322-323).
20 Gerri de la Sal, Rialp, Castelló de Farfanya ou Vic (BOURRET, 1995 ; WOLF, 1954).
21 R. Anthony cite une questia à 1 870 F.F. payée à la fin du XVIe siècle (1933, 41-64).
22 FITER, 1748, 383-384.
23 Hormis en 1633, année pour laquelle elle fut de 30 livres – APN, livre de comptes du Conseil Général, s. n., 1632-1640.
24 ANA/ASC, livre 5.
25 ANA/ASC, livre d’actes du Conseil Général n° 11.
26 Arch. Nat., Fla 635/20 a, 27 mars 1806.
27 En 360 ans, la part épiscopale en monnaie courante avait augmenté de 59 %, celle du comte de 20 %. Entre la fin du XIIIe et la fin du XIXe siècle, la croissance de la valeur nominale de la taxe fut de 23 % en un peu plus de cinq siècles.
28 LEROY, 1977, fig. 45, 817 ; CHAUNU, 1977, 129-192.
29 Tant que le rapport entre les monnaies françaises et les catalanes fut de 1 pour 2,5 ou 2,66, la répartition se maintint régulièrement au tiers. Lorsqu’il passa à 1 pour 2, la même base à la répartition fut appliquée. Ainsi, en 1875, il fut levé 532 livres afin de payer les 319,2 livres de l’évêque. Cette somme avait été établie en divisant par deux celle qui avait été prélevée pour payer les 1 920 francs du roi (1 064 livres).
30 6 gerbes pour un cavalló, soit 3 fois moins que pour le cavalló, unité de superficie (17 gerbes formaient un cavalló).
31 Les ruches et les colombiers étaient comptabilisés. Ces éléments sont très rarement présents dans la comptabilité communale.
32 On consignait les metadors de peu forcat (animaux à sabot fendu) et les metadors de peu rodo (bestiaux à sabot rond), cela n’influait pas sur l’unité comptable – ANA/ACO, ACC, АСА et ACSJ, livre d’actes et de comptes, listes fiscales, 1551-1866.
33 Les animaux sacrifiés au cours de l’année pour la consommation ou pour le salage n’étaient pas pris en compte. Cela réduit le poids des porcs dans les comptages des averies puisque c’était l’objet principal de leur élevage.
34 ANA/APCA, annexes au livre 29, livres 4 et 27 à 29.
35 S’ajoutaient 7 145 averies – ANA/ACC, doc. annexe, livre 4, 1792.
36 ACU, Llibre Capbreus..., 445, f° 223v-224r, 1480 (VELA, 1996, 9-26).
37 Les comptages de céréales étaient inscrits soit en gerbes, soit en cavallons, aucun document n’a livré le coefficient de conversion.
38 ANA/AFCR, listes de dîmes, s. n., 1899-1902.
39 À la fin du XIXe siècle, la réforme des dîmes reçues par le chapitre et l’évêché d’Urgell modifia les paiements de l’impôt, pas la manière d’établir les listes de contribuables (cf. infra).
40 La moyenne sur les quatre ans est de 5 371 cavallons soit 126,8 metadors à 720 gerbes par metador ou 44,8 à 120 cavallons par metador.
41 À Ordino, le nombre de maisons taxées passa de 88 à 112 entre 1792 et 1900 – ANA/AFCR, listes de dîmes, s. n., 1899-1902 et ACO, livre 6.
42 ANA/APCA, annexes au livre 29, livres 4 et 27 à 29.
43 781 maisons après déduction des étrangers et des familles absentes. Au total, il y avait 931 familles. Sur cette base, le nombre de metadors civils par maison serait de 2,09, ce chiffre sera utilisé pour calculer l’estimation basse par rapport à la moyenne supérieure (2,49) – Arch. dép. de l’Ariège, 1 J 28, 140.
44 Sur la base de 2,09 metadors civils et 5 % de prélèvement céréalier qui marquerait le bas de la fourchette d’estimation, le ratio serait de 20 % à Canillo à 44 % à Andorre. Ce serait alors 7,8 têtes à Canillo, 4,7 à Encamp, 5 à Ordino, 4,6 à La Massana, 2,4 à Andorre et 3,2 à Sant Julià. 4,26 pour l’ensemble de la principauté.
45 Divers auteurs du XIXe siècle comptaient 5 personnes par feu, plus récemment, ont été proposées des estimations qui varient de 6 / 7 à 7 / 8 personnes par feu (MONTANYA, PERUGA, TUDEL, 1988, 17 ; ARMENGOL, 1987b, 28).
46 Si l’on omet les années pour lesquelles le prix de l’unité fiscale fut tiré à la hausse par la crise monétaire du milieu du XVIIe siècle, les tarifs applicables oscillent entre 2 sous et 2,5 sous pour le metador et de 2 deniers à 2,5 deniers pour l’averia. Mis à part les années 1648, 1654, 1656 et 1658, pour toutes les autres le rapport fut supérieur à 10,5 – ANA/ASC, livres 1 et 5, ANA/APN, livres de comptes du Conseil Général, 1633-1655.
47 5 774 metadors pour 29 781 averies – ANA/ASC, livres 5 et 11.
48 5 865 metadors pour 19 974 averies. dans la seconde moitié du XIXe le rapport était de 2,5 averies déclarées pour un metador, et dans le premier quart du XXe siècle, il était approximativement de 1,75 – ibid.
49 Cette évolution est fort différente si l’on compare ces tarifs à ceux des produits alimentaires : entre la moitié du XVIe siècle et le XIXe siècle, le prix de la viande de mouton augmenta de 600 %, alors que le tarif de l’averia augmenta de 300 %. L’accroissement de la masse monétaire nécessaire pour s’acquitter de la questia des averies avait été par conséquent neutralisé par la hausse des prix.
50 APN. livre de comptes du Conseil Général, 1641-1655.
51 A la fin du XIXe siècle, le total était toujours de 179 feux, mais Ordino avait gagné cinq feux (de 26 il était passé à 31) alors que Sant Julià en avait perdu quatre (de 25 à 21) – ANA/ASC, livre 11.
52 En 1419, Francesc de Tovià avait autorisé l’élection ou la désignation de deux ou trois hommes par paroisse. La représentation à 2 membres par paroisse est attestée sans équivoque en 1493 et 1494 (VELA, 2000. doc. 24, 100 et 119).
53 VIADER, 2000a, 354-453.
54 Bien évidemment, le rapport numérique entre casalers et anfochs, l’évolution démographique, la répartition des charges, l’ouverture des conseils sont autant de facteurs qui doivent être pris en compte afin de relativiser les conclusions. La situation sociale évolua et il est impensable d’appliquer un calque identique à toute la période.
55 FITER, 1748, 296-297.
56 Les consuls respectifs conservaient la clef qui correspondait à leur serrure, de sorte que nul n’avait accès au contenu de l’armoire sans que soient présents tous les représentants communaux.
57 On retrouve un système similaire pour les communes (cf. infra).
58 APN, livres de comptes du Conseil Général, s. n., 1633-1655.
59 ANA/ASC, doc. 260, 16 avril 1651.
60 En 1651, le syndic des Vallées se déplaça à Paris pour faire renouveler l’exemption de logement des troupes que le gouverneur de la frontière menaçait de leur faire payer – ANA/ACA, liasse III, doc. 3.
61 Il s’agissait en réalité de placer des postes frontières en amont des deux vallées principales (Llorts et Soldeu) et un autre au sud, au niveau de la frontière avec la commune d’Anserall. Ce réseau était complété par des portails en dur qui servaient au contrôle des arrivées, à l’entrée de chacun des chefs- lieux de communes – ANA/APFCR, doc. s. n., 1759 (BARAUT, 1978b, 101-131).
62 AEU, Andorra, doc. 21, copies des originaux, 11 août 1785, 19 juillet 1786 et 19 septembre 1839 et ANA/APCR, de Bonaventura Riba à José de Riba, 5 mai 1893.
63 FITER, 1748, 337.
64 APN, livres de comptes du Conseil Général, s. n., 1632-1655 et ANA/ASC, livres 1 et 2. Fréquemment, c’est soit le montant total, soit le nombre de têtes qui est cité dans le document.
65 32,46 % en 1646 – APN, livre de comptes du Conseil Général, s. n.
66 84 % du montant de l’estrany sont payés au titre des averies.
67 De fait, l’utilisation de ces données pose un double problème puisqu’en un quart de siècle les chiffres atteignirent leur point culminant pour les XVIIe et XVIIIe siècles en 1640-1641 et les minima séculaires dix ans plus tard (1650-1653).
68 À partir de cette date, le foc gros total valait 53,7 livres par an. C’est-à-dire 11 % de la questia payée au roi et à l’évêque, alors que, entre 1633 et 1655, elle représentait de 19 à 47 % de la valeur de l’impôt.
69 En réalité, il continue à entrer dans les comptes de la même manière. Le redre correspond au résultat de la soustraction, prélèvement par foc gros moins l’avoir des conseillers au titre des feres, sabudes et consultes, calculé commune par commune. Le reste des comptes est mis à plat au cours de la tenue d’autres conseils.
70 ANA/ACC, livre n° 7.
71 Lleuge peut se traduire par « allégement ». Dans certains cas, c’est l’ensemble des sommes que l’on retranchait de la dette communale que l’on désignait par ce terme On parlait du lleuge des bans, de celui des locations ou de celui de l’ascot.
72 Les cabalers payaient pour la laine, les draps, le blé, la vente de marchandises, mais aussi pour les averies et les metadors. Mis à part ces deux derniers, les autres paiements sont partiellement identifiables dans les paiements demandés aux casalers au XVIIe siècle.
73 S’agit-il d’un accroissement des installations de cadets de familles favorisé par la conjoncture, d’une augmentation du nombre d’immigrés ? Les données actuellement disponibles ne permettent pas d’émettre des hypothèses fiables.
74 ANA/ACO, livre 2.
75 La questia et le foc gros étaient établis lors du même Conseil des Vallées. Cependant, dans les comptes communaux, la questia donnait lieu à un traitement particulier.
76 2,5 sous et 10 livres l’an – ANA/ASC, doc. 842 ; doc. 528.
77 ANA/ASC, doc. 473 ; doc. 821.
78 Dans d’autres comptes s’ajoutaient également saint Isidore, sainte Barbara, saint Sébastien et saint Fabien – ANA/ACO, livre 3.
79 Les cloches sonnaient pour qu’aucun conseiller ne puisse justifier son absence par l’ignorance de la tenue du conseil, les absences injustifiées pouvaient être punies d’une amende. L’assistance aux réunions était l’un des devoirs des anfochs.
80 Il était engagé par le Conseil des Vallées et payé par les six communes. Au XVIIIe siècle, un barbier était également engagé.
81 Il s’agit des bans perçus entre le conseil du mois de novembre et le premier du mois de janvier. Le gros des bans était tributaire de l’exploitation de la montagne et se payait au printemps et à l’automne.
82 ANA/ACO, livre 3, 2 janvier 1635.
83 Ils étaient de 24 à 31 sur les listes de lleuge du début du siècle. Leur nombre variait de 35 à 38 après 1625. La moyenne des paiements fut de 6.25 sous en 1624 – 7,03 en 1625 – 8,14 en 1626 – 8,33 en 1628 – 11,23 en 1632 et 10,68 en 1634.
84 En 1674 et 1695. toutes réglèrent 2 livres.
85 En 1725, 18 familles s’acquittèrent de 52 sous, tandis que trois anfochs payèrent entre 3 et 26 sous. En 1721, toutes versèrent 4 livres alors que deux autres ne devaient que 2 livres et, dans d’autres cas encore, seule une maison d’anfoch se différenciait.
86 À cause de cette imprécision, le suivi sériel, famille par famille, a été limité aux listes de questia.
87 ANA/ACC, livre d’actes 2.
88 La variation de même ordre pour le montant de la questia et de l’ascot montre que, comme pour l’estrany, les coefficients monétaires variaient selon qu’il s’agissait d’une année du roi ou de l’évêque. Pourtant, l’ascot et l’estrany restaient au bénéfice du Conseil qui les prélevait, ils n’étaient versés ni à l’un ni à l’autre des seigneurs.
89 Pour l’ensemble de la population, 84,7 % des maisons furent « ascotées » contre 49,2 % qui furent taillées – ANA/ACC, livres 2 et 4.
90 Entre 1671 à 1751, les anfochs représentèrent 39,3 % du nombre de maisons fiscales.
91 966 têtes auxquelles s’ajoutaient plus de 1 200 animaux reçus au titre de l’estrany – ANA/APCA, livres de comptes 4 et 28.
92 La même remarque est également valable pour certaines maisons d’anfoch (Vilar de la Cortinada, Call de Segudet. Bringuer de Sornàs).
93 Nous retrouvons ici les limites du domaine contrôlé par les veïnats et les quarts.
94 ANA/ASC, doc. 3743, 4062 et APCR, 1865, padral, s. n. (à ce sujet, MORICEAU, 2005, 345-346).
95 ANA/APCAP, livres de comptes 1 à 7. 46 à 49 et 27 à 29.
96 Installation spécialisée dans la manufacture du fer provenant des forges.
97 Un exemple est fourni par une mention de 1654 dans laquelle la commune obligeait à un paiement pour chaque chambre ou maison louée. Ce paiement n’est jamais apparu dans les comptes. S’il était prélevé, il se trouvait englobé dans une liste générale – ANA/ACO, livre 3.
98 De fait, la documentation patrimoniale consultée met en évidence un quatrième type qui fondait son élevage ovin sur la transhumance et l’élevage équin sur la propriété privée située en moyenne montagne.
99 ANA/APC, consueta, XVIIe siècle, s. d. et instrumenta necessària al conductiu de Canillo, 1781.
100 Saint Martin, saint Marc, saint Barnabé, saint Roc, saint Isidore, saint Luc, sainte Barbe, saint Antoine de Padoue, saint Augustin et saint Sébastien (GALINIER, 1988).
101 De 20 à 40 fromages, une trentaine de kilos.
102 En général, c’était 3 charges et demie, soit plus de 500 litres.
103 Pour l’heure, seul nous intéresse le poids financier de cette activité, le marché des céréales sera traité ultérieurement.
104 Le délai entre le prêt et l’établissement variait énormément, il pouvait aller de six mois à plusieurs années.
105 Dans certaines communes (Andorre, Ordino), on louait également un vacher – ANA/ACA, livres 1, 2 et 3.
106 Les principaux bénéficiaires étaient le marquis de Gudanes, le prédicateur du Roser (Rosier), le gouverneur de Mont-Louis, celui de la Seu et le chapitre.
107 En moyenne, la commune de Canillo livrait annuellement une vingtaine de jambons et une cinquantaine de fromages.
108 ANA/ACC, papiers annexes au livre 2, s. n.
109 Sauf exception, les délais étaient généralement plus courts (2 à 3 ans). De 1744 à 1779, les dettes de clôture s’échelonnaient de quelques livres à plus de 300. Par exemple, en 1758, le consul devait restituer 35 % des rentes perçues. À l’opposé, en 1755, il avait payé 75 livres de sa poche (10 % du budget). Cette situation ne se produisit qu’une année sur dix ; pour le reste, les comptes étaient toujours bénéficiaires.
110 La limite entre le rôle de trésorier et l’abus de bien public est difficile à établir. Pour des consuls ayant peu de scrupules, ce système fournissait un grand nombre d’occasions d’autofinancement. A Andorre, à la fin du XVIIIe siècle, le consul qui eut la politique la plus économe pour ce qui est du budget communal se révéla être celui qui eut le plus de mal à rendre les avances qu’il s’était faites sur les fonds de la collectivité. Après moult rappels et plusieurs amendes, ses comptes ne furent soldés qu’un quart de siècle plus tard.
111 Approximativement 2 % des revenus communaux.
112 Les rastolles étaient des paiements par tête fixés par les règlements sur certains secteurs non sujets aux bans. Ce terme pouvait également désigner un droit de charbonnage (cf. infra).
113 ANA/ACC livre 2, 1749-1752 et ANMV, livre 120.
114 ANA/ACA, livre 3, cf. infra.
115 Deux boucheries et deux hôtels situés aux Escaldes et à Andorre.
116 Il faut probablement y voir la différence entre une voie de passage empruntée (Tarascon, Siguer, Ordino, Andorre, Seu) et une seconde moins utilisée (Aston/Ax, Canillo, Andorre, Seu).
117 Moins de 10 % des revenus totaux.
118 Principalement, l’hôtel, la boucherie et le poids.
119 Total établi en convertissant les loyers fixés en nature au tarif en vigueur au cours de l’année récolte du bail. La vingtaine de charges annuelles servait principalement de stock au grenier communal. Par conséquent, ce montant n’était pas automatiquement utilisable par la commune, mais dans tous les cas il permettait de limiter les frais d’achat.
120 ANA/ASC, livre 1.
121 Le rapport entre les deux types de cheptel variait grandement, de 1 pour 3,3 à 1 pour 10,6, la moyenne étant de 1 pour 6,5. Calcul établi pour les années de paiement de la questia au roi (seules pour lesquelles nous disposons de l’estimation des deux cheptels) – ANA/ASC, livre 5 et APC, livres de comptes, 1632-1644, s. n.
122 ANA/ASC, livre 5 et APN, livres de comptes du Conseil Général, 1632-1644 et 1644- 1655, s. n.
123 15,6 % et 11,0 % à Ordino et à La Massana ; à 8,2 % à Encamp.
124 Ordino reçut 18 % du cheptel étranger entré en principauté, Sant Julià 16 %, Encamp et la Massana 15 %. À Andorre, il ne fut déclaré que 1 % d’estrany – ibid.
125 ANA/APCA, livres 4, 29, 46 et APCR, liasses de comptabilité, s. n. 1700-1737.
126 La moitié des déclarants ne dénonçaient que des troupeaux de gros animaux dépassant rarement la dizaine -ANA/ACC, livre 7.
127 Dans la plupart des actes, c’est ce chiffre qui servait de base.
128 3 023 estranys et 6 695 têtes de questia.
129 Quelques rares loyers en fromages sont demandés à Canillo avant 1580 et quelques exemples existent à Andorre avant 1625 – ANA/ACO, livre 7 ; ANA/ACA, livre 1.
130 Pour la délimitation des cortons, on a utilisé le partage mis en pratique à la fin du XVIIe siècle qui est globalement identique à celui qui perdura par la suite. Ainsi, le cortó de la Ribera dels Orris, dans la vallée du Madriu, a été comptabilisé pour quatre locations puisqu’il regroupait quatre cortons (Setut, Sadornet, Bael et l’Estall) qui ne furent loués à l’unité que par la suite. De même, celui de Sorteny, à Ordino, qui correspondait à diverses variantes combinant ceux de Rialb, de la Sebollera, de la Serrera et de l’Estanyó, voire parfois celui de l’Hortell.
131 Tous les cortons n’étaient pas délimités au début du siècle et ceux qui l’étaient ne trouvaient pas obligatoirement preneur. En moyenne, 6 cortons à Andorre, 5 à Ordino et 2 à Sant Julià étaient loués annuellement dans la première moitié du XVIIe siècle.
132 ANA/FCMB, doc. 59.
133 Il n’existe qu’un seul cas, celui de la Solana, louée aux habitants de Mérens et de l’Hospitalet à partir de 1833, lorsque le tribunal de Foix eut aboli les prétentions ariégeoises sur ces pâturages. Auparavant, mis à part certaines années où ces estives leur furent louées directement (1778, 1780, 1787) et d’autres pour lesquelles, à l’inverse, la tension entre les deux communes se traduisait par une exclusion totale des animaux ariégeois (1765, 1766), seuls des Andorrans pouvaient les louer. Quitte à recevoir les bestiaux ariégeois dans le cadre de l’estrany, lorsque les clauses de location ne l’interdisaient pas – ANA/ACC, livres 2 et 4.
134 Bien plus en réalité, si l’on tient compte des variations monétaires.
135 ANA/ACO, livre 3.
136 Il fut distribué 24 livres, soit 40 maisons à 12 sous, c’est-à-dire le nombre exact de maisons d’anfoch recensées au Conseil communal.
137 Le 15 mai 1635, il fut fait une autre répartition des loyers des cortons qui, comme la précédente, ne tenait compte que des anfochs.
138 KLEIN, 1920 ; GARCIA. 1998, 65-89.
139 11 3 80 en 1518 et 10 670 en 1532 – ANA/ASC, livre 2.
140 ACU, Llibre Capbreus..., 445, f° 223v-224r, 1480 (VELA, 1996, 9-26).
141 Dans la parceria, le gardien du bétail et le propriétaire se partageaient équitablement les frais et les revenus. On parle alors souvent de bestiar mitger (bétail à moitié). Dans certains cas, le rapport passait à un tiers, mais alors la partie qui recevait les deux tiers prenait à sa charge l’intégralité des frais – ANA/APCA, livres 1 à 4 et 27 à 29.
142 ANA/ASC, perg. n° 20 (BAIGES, FAGES, 1993, 81-84).
143 Pour les XVIIe et XVIIIe siècles, ce point de passage correspond à une route descendante qui avait un double usage : conduire les animaux à l’hivernage ou aller les vendre sur les marchés de l’Urgell.
144 LARREA, 1990, 219-239 ; VIADER, 2000a, 275-277.
145 ACA/canceleria, reg. Commune, n° 187, f° 105v.
146 Au milieu du XIVe siècle, des documents témoignent de la présence d’animaux andorrans dans le Pallars (BERTRAN, 1978, 91-92).
147 ANA/APCM, doc. 50.
148 RENDU, 1991, 85-106.
149 Le comptage par centaine montre que seuls les ovins étaient concernés – ANA/ASC, perg. n° 20 (BAIGES, FAGES, 1993, 81-84).
150 ANA/APCA, livre 1.
151 ANA/APCA, livres 1 à 4 et 27 à 29 et APCR, livres et documents traitant de bétail, s. n.
152 Il y avait 19 mules, 3 chevaux, 20 vaches et 20 animaux dits gros sans autre précision – ANA/ACC, livre 8.
153 Il est à noter que dans le capbreu de 1480, la seule mention d’animaux faisant partie d’une parceria est liée aux animaux qui passaient « ... une partie de l’année dans une paroisse et le reste dans une autre... » alors que pour les animaux de transhumance, on utilise le concept d’agneaux d’Urgell – ACU, Llibre Capbreus..., 445, f° 223v-224r, 1480 (VELA, 1996).
154 RIU, 1995, 200 ; GALOP, 1998, 84-86.
155 En mai 1348, la peste est à Perpignan ; en avril, elle est à Barcelone, Lleida est affecté en juin et, à l’automne, l’ensemble des secteurs dans lesquels passaient les animaux avait été touché.
156 BATLLE, 1973, 44-58.
157 Dans la Mesta, le bétail est estimé à 1,5 million de têtes en 1400 et à 3,2 millions en 1519 (RUIZ, 1998, 42-64 ; LE FLEM, 1972, 23-104).
158 ANA/APCA, livres 1 à 4, 27 à 29 et 46.
159 Nous ne saisissons précisément que la part finale de ce mouvement. L’une des premières mentions que nous connaissons concerne l’approvisionnement de la ville de Cervera à l’extrême fin du XVIe siècle – Arx. Comarcal de Cervera, fons municipals, llibres del racional, 1595-1600 (LLOBET PORTELLA, 1985).
160 RENDU, 1991.
161 Pour le bétail ovin, la foire de Puigcerdà disparaît de la documentation, seuls restent la Seu, Organyà et Oliana qui sont minoritaires dans le volume des transactions.
162 Sur ce point, il faut différencier le marché lainier de celui de la boucherie.
163 Probablement également celui de Lleida puisqu’une partie des paiements provint de cette ville – ANA/APCA, livre 48, années de comptes 1645-1646.
164 Ce fonds est en cours de classement.
165 ANA/APCAP, livres n° 1 à 6, 27 à 30 et 32 à 50 ; liasses I à VI et XIV à XXII. Ils regroupent plus de 40 000 transactions qui couvrent la période et livrent également une belle collection de documentation annexe.
166 Certaines de ces listes concernent des troupeaux que l’on allait vendre et qui, par conséquent, ne revenaient pas sur les estives – ANA/APCA, livre 50, 1701-1710.
167 ANA/APCAP, liasse XIV, doc. 1095.
168 ANA/APCA, livres 4, 49 et liasse XIV.
169 PEREIRA, 1998, 242.
170 Ce qui représente 21,7 % du total de petits animaux dénoncés à la questia en décembre 1714 – ANA/ASC, livre 11.
171 ANA/APCA, livre 50.
172 ANA/APCA, livre 29, annexes. Le croît du troupeau n’a pas été pris en compte. Ces chiffres ne correspondent qu’aux animaux adultes comptabilisés au départ des vallées.
173 Les 16 000 animaux autorisés représentaient 69,5 % des bêtes déclarées au titre des averies de la questia en 1718 – ANA/ASC, doc. 1562.
174 Produits locaux d’Andorre (céréales, pain, fromages, etc.), produits manufacturés de France (tissus, outils, ustensiles, etc.) et certains produits pris en plaine.
175 Le père et le grand-père de Blasi Tarros avaient aussi exercé la charge de bailli.
176 A la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, celui-ci envoyait un associé ou un membre de sa famille faire la tournée des diverses foires et marchés afin de recouvrer les dettes.
177 Les bergers propriétaires pouvaient payer directement de leur poche certains frais déduits par la suite du montant qu’ils devaient pour leur propre bétail qui avait hiverné. Sinon, ils recevaient lors du départ une somme d’argent qui leur servait à couvrir une partie des frais quotidiens.
178 Huile de genièvre, sel et poix regroupaient 7,5 % de la dépense.
179 Le marché de la poix comme produit imperméabilisant était bien plus considérable que les quelques centaines de kilos avec lesquelles on marquait les bêtes (moins de 100 grammes par animal). On comprend mal comment certains médiévistes parviennent à affirmer qu’il y eut un accroissement notable de l’élevage dans les vallées en se fondant sur la citation de la dîme sur la poix au Xe siècle (OLIVER, 1998, 157-168). De plus, il s’agit d’une imposition sur la production, non sur l’utilisation
180 La senyal ne se faisait qu’aux animaux qui restaient dans la maison. Les animaux destinés à la vente n’étaient que marqués, à charge pour l’acheteur de lui faire sa senyal.
181 La période de production fromagère, le « temps d’orri » se situait après la remontée au cours du premier mois d’ouverture des estives et ne concernait qu’une minorité d’animaux.
182 173 troupeaux, allant d’une dizaine à plus d’un millier de têtes.
183 Pour la seconde moitié du XVIIe siècle, les agneaux déclarés pour la dîme d’Urgell étaient toujours supérieurs à 1 000 têtes, voire même à 2 000.
184 Actuellement, le taux de prolificité varie de 150 % à 200 % (élevage extensif race lacaune / élevage intensif race sufolk).
185 90 % des naissances avaient lieu entre le mois de février et le mois de mai sans qu’il soit possible d’être plus précis.
186 ANA/APCR, série de comptabilité familiale, documents s. n.
187 ANA/APCA, livre 47.
188 Les animaux malades ou atteints d’une tare étaient soit exclus des actes de ventes, soit payés à moitié prix si l’on en découvrait un.
189 Les éleveurs andorrans partageaient la même draille que ceux du Pallars entre Taús et le massif du Montsec (VIOLANT, 1979, 177 ; ROS, 2005, 22-23).
190 Massif de Sant Mamet et versants méridionaux de celui de Comiols correspondant aux communes d’Alòs de Balaguer, Vilanova de Meià, de Santa Maria de Meià et de Lluçars. Parfois, les troupeaux franchissaient le Segre et s’arrêtaient dans le massif du Boada, au nord de Camarasa. D’autre fois, les herbages de garriga se louaient au nord du Pallars Jussà, dans le secteur de Cimadal – ANA/APCA, livres 48, 49, et liasses XIV et XV.
191 Après le séjour sur les terres de garriga, les animaux traversaient la dépression centrale pour atteindre l’extrémité sud-ouest du massif pré-littoral, au sud du réseau hydrographique du Segre. Certains troupeaux passaient sur la rive droite du Segre, en Aragon.
192 ANA/APCA, doc. 1095, liasse XIV.
193 CASTILLON, 1986, 188.
194 Dans la majorité des cas, il est impossible de déterminer si les éleveurs payaient l’armée pour s’assurer le passage ou s’ils réglaient le passage dans une municipalité qui payait la salvaguarda afin d’éviter de devoir héberger des troupes (SALES, 1989, 401-408).
195 1 004 livres sur 3 488 livres Bna – ANA/APCA, liasse XV, doc. 1095.
196 49 locations en trois ans pour 918 livres 4 sous – ANA/ACC, livre 4.
197 La location réservait l’usage des droits d’herbage et d’eau de la fin du mois de septembre (Saint-Michel, 29 septembre) jusqu’à la fin mai (fête de la Sainte-Croix). Le paiement se soldait généralement en mai – ANA/APCA, livre 50, 3 mai 1707.
198 La part de la garriga dans les années pour lesquelles l’ensemble des locations a pu être identifié, oscille entre 3,5 et 6,5 %.
199 ANA/APCA, livre 49.
200 ANA/APCA, doc. annexe au livre 29.
201 À l’inverse, lors de la remontée qui débutait après la tonte, les bergers ne se permettaient aucun arrêt significatif. Le retour était sensiblement plus rapide, pour une route de 30 jours à la descente, il ne fallait que 15 jours au retour (PALLARUELO, 1988, 67).
202 Ponctuellement, des ventes d’ovins sont citées à la foire de Verdú le 25 avril (Saint-Marc évangéliste). Cette foire qui durait 8 jours était incontournable pour les équidés et n’avait qu’un rôle subsidiaire pour les autres animaux.
203 Cette dénomination peut porter à confusion puisqu’elle pouvait se rapporter à des animaux transhumants n’appartenant pas au propriétaire, mais aussi aux siens lorsqu’ils étaient momentanément rajoutés à un autre troupeau afin d’être vendus à une foire.
204 ANA/APCA, livres 27 et 28.
205 Le cas le plus courant était l’établissement d’une reconnaissance de dette signée devant témoins qui servait par la suite de lettre de change, seules les ventes les plus importantes passaient devant le notaire.
206 ANA/APCA, livre 28.
207 Ces troupeaux qui ne dépassent jamais 200 têtes séjournaient en Alt Urgell, Haut Pallars ou restaient en Andorre.
208 ANA/APCA, contrats d’hivernage, livres 4, 27, 28, 29, 48 et 49.
209 Pour le voyage, les tarifs allaient de 4 à 9 deniers selon les années.
210 4 deniers par tête, pour les bêtes acquises en fin de printemps en Urgell.
211 814 contrats d’hivernage (1624-1752) – ANA/APCA, livres de I à 6, de 27 à 29 et de 46 à 49.
212 Certaines années pour lesquelles la transhumance était rendue difficile par des événements militaires, les prix étaient tirés à la hausse, mais, sur la période étudiée, ce tarif n’atteignit jamais la barre des 10 sous par tête, le maximum ayant été enregistré à 9,3 sous (1645-1652).
213 8 sous en Andorre, 12 sous en transhumance – ANA/APCA, livre 4.
214 Ce facteur, ajouté à la diversité des prix imputables aux types d’animaux et à la multiplication des lieux de vente, rend impossible une étude sérielle des prix de vente. Malgré un panel de plus de 1 000 transactions sur un siècle, il est difficile d’effectuer des comparaisons cohérentes. C’est pourquoi, pour le moment, seront utilisés comme référence sur le long terme les prix des produits dérivés (viande, laine et fromage).
215 La période d’orri débute toujours dans la seconde quinzaine de juin et déborde rarement sur la seconde quinzaine d’août. Des dates identiques sont citées pour la vallée d’Aragües (Aragon) à la fin du XIXe siècle (PALLARUELO, 1988, 108).
216 La dîme sur le fromage n’a pas été comptabilisée.
217 Au XVIIIe siècle, pour les Causses, la production est estimée de 4 à 6 Kg par brebis (MARRES, 1935, t. II, 50).
218 PALLARUELO, 1988, 111 ; RISSE, 1994, 346. Actuellement, pour l’aire Roquefort, en élevage extensif, la production annuelle par brebis laitière comptée sur deux mois varie selon les sources de 36,66 à 50 litres, près du double de ce que permettent d’évaluer les documents. (2001, information orale, éleveur possédant 500 brebis laitières).
219 Notons que les bêtes rendues à la fin du contrat ne pouvaient être les mêmes puisqu’au bout de 6 ans, il restituait le même nombre de borregues, alors qu’à cette date, les premières avaient largement dépassé l’âge adulte – ANA/APCA, livres 28 et 6.
220 136 naissances en 1691 et 126 en 1692. Ces taux sont comparables à ceux précédemment calculés (6,8 et 6,3 pour 10) – ANA/APCA, livre 6.
221 ANA/APCA, livre 7, janvier 1696.
222 Les brebis qui pouvaient potentiellement produire ne représentaient que 32 % du cheptel mentionné dans les documents.
223 ANA/APCA, livres 1 à 7, 27 à 29 et 47 à 50.
224 Au niveau andorran, les données concernant la dîme dont nous disposons sont assez réduites : une vingtaine d’années pour lesquelles la valeur de cet impôt est inscrite dans les comptes des fermiers de ses rentes et des fragments de listes détaillées établies par les décimateurs pour certaines portions du territoire. Au cas par cas, 600 références ont été regroupées : dîmes payées par les compagnies pastorales, par les associés ou les travailleurs, qui étaient inscrites dans les livres de comptes.
225 ANA/APCR, doc. s. n., décompte de la dîme et ANA/ASC, livre 23.
226 Chapitre d’Urgell, évêque, archidiacre d’Andorre et de Llimiana (Pallars), recteur d’Arcavell, estador de Bescaran, de Pal, bénéficiaire de la chapelle de Videlach et détenteur de la castlania d’Andorre.
227 Canillo, Encamp et Andorre donnaient 1 fromage par agneau ou cabri né en Andorre et 2 pour ceux nés en Urgell. Ordino en faisait 4 et 2. La Massana en livrait un seul dans les deux cas et Sant Julià en donnait à chaque fois 2 (VELA, 1996, 8-26).
228 ANA/APCA, livres 4 et 27.
229 En 1652, il avait été dénoncé 20 012 ovins, 23 256 en 1654. En 1656, il y en avait 15 440 et ils étaient 18 446 en 1660.
230 Les animaux, morts ou vendus avant la date de comptage (Saint-Jean ou Saint-Pierre), n’étaient pas comptés dans la dîme. Dans les actes de location des boucheries communales, la Saint-Jean marquait la fin de l’obligation de fournir de la viande d’agneau ou de cabri. Une fois passé le décimateur, le boucher pouvait garder les agneaux pour l’engraissage.
231 Agneaux de troupeaux andorrans nés au cours de l’hivernage. Il est à noter que l’escudors était proportionnel à la valeur de l’agneau de dîme en Urgell, alors qu’il était tarifé à une valeur fixe en Andorre.
232 Ce rapport était le plus courant, ponctuellement il est apparu des dîmes au vingtième. Le capbreu de 1480 citait, quant à lui, une dîme au huitième pour les animaux transhumants et au neuvième pour les animaux nés et vendus en Urgell.
233 Un mécanisme identique était utilisé pour le blé – ANA/APCA, doc. n° 947, liasse XIV.
234 8 000 si l’on considère que tous les animaux étaient nés en Andorre (un fromage par agneau), 4 000 s’ils étaient nés en Urgell (deux fromages par tête). Selon le capbreu de 1480, ce rapport n’était valable que pour trois paroisses sur six.
235 Un cinquième à Ordino selon le capbreu, mais les habitants déclaraient qu’ils livraient des fromages plus petits car ils donnaient davantage. Cette différence n’apparaît pas dans les comptes du XVIIe siècle, tous les fromages étaient comptés au même prix.
236 Ces valeurs sont comparables à ceux stipulés pour les agneaux de dîme puisque les animaux valurent 355,2 livres, 231,75 livres, 361 livres. Les fromages ne valaient que le dixième de ce que représentait la laine. Le poids de la dîme retombait essentiellement sur la production de céréales qui cumulait 81, 77 et 74 % de la valeur de la taxe.
237 ANA/APCA, livre 7.
238 Entre 1675 et 1720, plusieurs transactions de ce type ont été enregistrées pour des quantités totales variant de 74,5 (3,1 tonnes) à 181,9 quintars (7,6 tonnes) – cf. infra, ANA/APCA, livre 40 et livre 7.
239 VALLS, 1920, 459-462.
240 En août 1622, la laine noire se vendait à 208 sous par quintar contre 160 pour la blanche ; en 1640, c’était 208 et 170 sous. À la fin de 1674, la noire valait 312 sous et la blanche 260 et, en 1705, c’était 412 et 305 sous – ANA/APCA, livres 1 à 4.
241 ANA/APCA, livre 29.
242 PALLARUELO, 1988, 100.
243 ANA/APCA, livre 28.
244 ANA/APCA, livres 28 et 29.
245 BERNARD, 1984, 335-354 ; RISSE, 1994, 347.
246 C’est en particulier le cas des animaux nés sur la garriga qui revenaient en Andorre après avoir séjourné quelques mois en plaine. Ils payaient l’intégralité des droits à l’évêque d’Urgell.
247 Cette mention n’impliquait qu’une notion géographique. La plaine d’Urgell que citent les textes correspond à la notion de dépression centrale de Catalogne qu’utilisent de nos jours les géographes. La majorité des paiements de dîme d’Urgell était faite au chapitre de Lleida, pas à celui d’Urgell.
248 Entre 1650 et 1750, le prix de l’agneau d’Urgell varia de 8,5 à 34 sous.
249 AHM/APCA, liasse XIV, doc. 947.
250 Les prix par veau et par poulain (4 deniers et 1 sou) étaient également semblables à ceux que l’on payait 175 ans auparavant.
251 Il est dit dans le texte, « ... deu un mitger i un escudors, són 11 caps... »– ANA/APCA, livre 29.
252 Un huitième en Andorre plus un dix-septième en plaine.
253 Dans ce cas précis, il est à remarquer que les contrats de gasailles sont clarifiés et que les abus perpétrés par les décimateurs qui aboutissent à un dédoublement de la taxe furent dénoncés, alors que le cas du bétail transhumant, qui pourrait aboutir au même résultat, ne l’est pas.
254 Au plus, de 1713 à 1718, puis en 1722, l’agneau d’Urgell valait 408 deniers ce qui mettait l’escudors à 24 deniers, soit 3 et 6 fois plus que la valeur en Andorre – ANA/APCA, livres 6, 29 et liasses XIV et XV.
255 ANA/APCR, doc. s. n., comptes de la location des rentes de l’évêché, 1819.
256 Valeur de l’agneau vendu sur pied. Le prix de vente au poids en boucherie était supérieur – ANA/APCA, livre 50.
257 Le prix de vente de l’animal passe à 240 deniers en 1622 et à 384 en 1700.
258 En proportion, la questia payée pour une averia équivalait à un sixième de la dîme prélevée sur un agneau en 1622 et un septième en 1700.
259 Cela équivaut à 18,5 % de la valeur marchande de l’agneau et 16,9 %, 8 % et 7,5 % par rapport au prix de l’animal sub-adulte – ANA/APCA, livres 29 et 50.
260 Chronologiquement, venaient en premier lieu la garriga (13,5 %), puis l’hivernage à proprement parler (35,7 %) et si l’animal n’était pas vendu cette saison-là, l’estivage (13,5 %).
261 À l’inverse, certains pâtres n’étaient engagés que pour la saison d’hivernage. Ils commençaient à travailler en octobre et quittaient la compagnie dès le retour.
262 Moyenne calculée sur 823 contrats pastoraux établis entre janvier 1700 et décembre 1725 – ANA/APCA, livres 28 et 29.
263 En 1707, un agneau vivant se vendait à 22 sous, un borrec valait 50 sous en 1708 et, de 1709 à 1714, le prix du mouton fut successivement de 65 ; 77,75 ; 90 ; 96 ; 84 et 80 sous – ANA/APCA, livres 6, 29 et 50.
264 Les cours avaient baissé de 16 % en 1714 et 1715, sans cette baisse, le déficit n’était atteint qu’au cours de la saison suivante.
265 En tenant compte des troupeaux destinés aux foires, le renouvellement complet était obtenu en trois ou quatre saisons.
266 Pal et Vilar de la Cortinada et Areny d’Ordino – ANA/ACO, livre 5.
267 Le total d’Ordino équivaut à 30,2 % du total d’averies déclarées dans les vallées – ANA/ASC, livre 11.
268 ANA/APCA, livre 6 et annexes au livre 29.
269 En 1682, elle possédait au moins 1700 animaux puisque c’est le nombre de têtes qu’elle fit partir en transhumance – ANA/APCR, doc. s. d.
270 C’était le frère cadet de Guillem Areny Torres.
271 À Soria, au XVIIIe siècle, le pourcentage d’animaux non transhumants (ganado estante) était de 40 % (PEREZ ROMERO, 1995).
272 Rufo, Pal, Sucarà, Call et Sella – ANA/ACO, livre 6.
273 Depuis 1755-1760, elle s’était installée à la Seu d’Urgell.
274 6 465 averies contre 7 145 au niveau général – ANA/ACC, livre 4.
275 PEREZ ROMERO, 1998, 209 ; LARGUIER, 2000, 143-185.
276 ANA/APC, livres de comptes du Conseil Général, 1632-1644 et 1644-1655 ; ASC, livres 5 et 11 et APCA, livres 1 à 6, 27 à 29 et 47 à 50. Seuls ont été comptabilisés les jours de labeur concernant l’élevage ovin.
277 60 % de perte à Ordino entre 1686 et 1712 et 38 % au niveau général.
278 Le facteur militaire, en tant que frein à l’activité pastorale, est identifiable en 1653-1659.
279 La plupart de ces ouvriers provenait des secteurs géographiques voisins, le Pallars Sobirà, l’Ait Urgell (16,9 %) et l’Ariège (6,3 %). Le reste était issu de la zone d’hivernage (2,5 %) – ANA/APCA, livres 2, 3 et 27.
280 Certains venaient du Couserans, d’autres étaient dits de Gascogne sans plus de précision et l’un d’entre eux, était dit « le Provençal ». Ces employés disparurent à partir de 1663 – ANA/APCA, livre 27.
281 Par rapport au nombre total d’immigrants, l’élevage était la seconde activité exercée par les immigrés français en Catalogne dans le premier tiers du XVIIe siècle (NADAL, GIRALT, 2000, 196-200).
282 Alt Urgell (8,6 %), Ariège (5,7 %), Languedoc (1,3 %) et Urgell (1,3 %).
283 En un siècle, il n’y a que 35 mariages recensés dans cette documentation.
284 ANA/APCA, livre 28.
285 S’ajoutait l’alimentation au cours de l’année, qui n’est jamais signalée dans les comptes, sauf lorsqu’un berger était au chômage pour maladie. Les jours de maladie, le montant des vivres consommés, le salaire du médecin, du barbier ou de l’apothicaire étaient décomptés de son salaire. Lorsqu’il restait à la charge de la compagnie, le berger était parfois contraint de payer un remplaçant – ANA/APCA, livres 1 et 28.
286 À Barcelone, il y avait plusieurs boucheries. L’une, officielle, dépendait de la municipalité, s’ajoutaient des boucheries privées, mais aussi celles de l’Inquisition, de la cathédrale et de l’armée (CABALLERO, 2003, 115-123).
287 L’estivage équivalait à 15 % de la valeur totale du salaire perçu en 16 ans. Pour les 536 contrats pour lesquels la clause autorisant l’estivage d’ovins était précisée, la moyenne était de 16,3 animaux pour la première année, puis successivement 17,3 ; 17,7 ; 18,3 ; 20,1 ; 20,6 ; 22,4 ; 22,6 ; 22,7 ; 24,2 et 27,7 pour la onzième année de contrat – ANA/APCA, livres 27, 28 et 29.
288 Les étapes de son évolution furent : 18 livres et 20 têtes en 1683, 19,5 livres et 20 têtes en 1684, 22 livres et 20 têtes en 1685, 23 livres et 30 têtes partir de 1686 – ANA/APCA, livre 28.
289 Sur 210 livres de salaire perçu en dix ans, 147,7 livres allèrent aux hivernages, 3,25 aux dîmes et 5,45 livres aux droits de foire.
290 De 30 à 40 % maximum au début du siècle, elle passa à 50-60 %.
291 Selon les cas, cela faisait de 1 à 3 % du salaire en numéraire.
292 33,6 sous pour un mouton vendu dans les vallées et 47 sous à la boucherie de Barcelone.
293 39 locations sur 255 (1671 et 1706) – ANA/ACC, livre 4.
294 Le droit de dépaissance s’ajoutait à une borde, des champs, des prés, des corrals, des pletes et une aire de battage que la famille Areny acquit dans ce secteur entre 1683 et 1712 – ANA/APCA, livre 6 et liasse I, doc. 116, Liasse V, doc. 379 et 386 et liasse VI, doc. 402 ; ANA/APSJ, doc. 1299.
295 Une seconde solution plus courante était de laisser la location à l’un de ses associés, originaire de la commune dans laquelle était loué le cortó, et de passer un contrat privé avec lui de sorte qu’il reçut une partie du bétail dans le cadre du conlloch. Ce type de transaction ne laisse que peu de traces dans la documentation communale puisqu’il s’agit d’une entente privée.
296 1683, date à laquelle fut réalisée la première balance des comptes avec la commune. Après avoir chiffré la dette et l’avoir communal, la commune devait 9,3 livres – ANA/APCA, livre 6.
297 Les années 1690-1692 sont des années troublées en Andorre, la troupe est à Canillo en 1690 ; le 4 juin 1691, l’intendant du Roussillon, Raymond Trobat, ordonne aux Andorrans « ... la livraison quotidienne de 20 charges de pain, 4 charges de poule, fromage, beurre laitage et autre chose à manger pour vendre... faute par eux d’y satisfaire, ils seront traités comme ennemis... ». En 1692, le baron de Preus s’installa avec 30 miquelets au Pui d’Olivesa et contrôla le passage vers la zone sud. L’une des premières cartes géographiques centrées sur les vallées fut précisément celle de la frontière sud (Pui d’Olivesa), réalisée par les troupes espagnoles en 1692 – ANA/ASC, doc. 565 et 975 ; MEYCE, Simancas MPD-LXI-82.
298 La commune de Canillo ne fut pas la seule affectée. En 1706, la commune de Sant Julià engageait les Fenerals pour 10 ans (18 doublons) et, en 1713, la commune d’Andorre fit de même avec celui d’Enclar (201,2 livres 7 deniers) – ANA/ACSJ, livre 3 et ANA/ACA, livre 1.
299 Le premier hôtel acquitté en contrepartie d’un loyer en numéraire fut celui de Sant Julià en 1696. Le suivant fut celui d’Ordino en 1724, puis celui d’Andorre en 1731.
300 Sur le long terme, la commune n’agissait plus de la même manière. Au lieu d’engager une portion de territoire, elle finissait par créer un censol. Cela impliquait le paiement d’un intérêt, mais elle recouvrait le contrôle de son patrimoine. L’ensemble des dettes contractée par la commune de Canillo se solda par un acte de 960 livres dont la première pension annuelle recensée fut payée à Victoria Areny, veuve de Guillem Areny Torres, en 1722.
301 Moyenne des revenus totaux – ANA/ACC, livre 4 et ACA, livres 1 à 3.
302 Il faut corriger les valeurs des cortons d’Ordino du droit de charbonnage qu’on louait pour la forge du Serrat, la partie des loyers correspondant à l’élevage équivalait à 3 000-4 000 têtes – ANA/ACO, livre 3.
303 ANA/APCA, livres 1 et 6.
304 Moyenne comparée entre 1600-1633 et 1700-1733.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les monarchies espagnole et française au temps de leur affrontement
Milieu XVIe siècle - 1714. Synthèse et documents
Jean-Pierre Dedieu, Gilbert Larguier et Jean-Paul Le Flem
2001
La désorganisation
Contribution à l’élaboration d’une théorie de la désorganisation en droit de l’entreprise
Muriel Texier
2006
Le Livre Vert de Pierre de la Jugie
Une image de la fortune des archevêques de Narbonne au XIVe siècle. Étude d’une seigneurie
Marie-Laure Jalabert
2009