Dynamique sociale, dynamique politique : pour un regard critique

1Poser la question d’une possible articulation entre « dynamique politique » et « dynamique sociale », c’est-à-dire entre le mouvement perceptible d’une histoire sociale – données structurelles et tendance conjoncturelle – et les réalités du politique – institutions, pratiques, événements –, c’est déjà insérer sa démarche réflexive dans une conception d’orientation moniste de l’histoire et concéder à la pensée issue de Marx – elle-même héritière de tout un savoir formalisé – une force d’intelligibilité qui, dans le moment herméneutique actuel, paraîtra insolite, alors qu’hier, ou naguère encore, l’affirmation paraissait aller de soi1. Pour commencer, reconnaissons donc notre dette et prenons l’appui de quelques textes bien connus – parmi d’autres – qui contribueront à définir la postulation d’ensemble sur laquelle s’est fondée la démarche théorique de toute historiographie se qualifiant de « marxiste » ou acceptant de reconnaître sa dette au marxisme.

2D’abord ce texte-ci, peu cité mais limpide, qui esquisse la fameuse topologie des différents niveaux de l’histoire générale : « C’est toujours dans le rapport immédiat entre le propriétaire de moyens de production et le producteur direct – rapports dont les aspects différents correspondent naturellement à un degré défini de développement des méthodes de travail, donc à un certain degré de force productive sociale qu’il faut chercher le secret le plus profond, le fondement caché de tout l’édifice social et par conséquent de forme politique que prend le rapport de souveraineté et d’indépendance, bref, la base de la forme spécifique que prend l’État à une période donnée » (Le Capital, livre III, ch. 47, « La rente en travail », Éd. soc., 1976, p. 717). Soulignés par moi, les termes de cet extrait nous donnent la configuration d’une grande bâtisse durable mais transitoire, donc transformable : la cave, les étages et le grenier2... Second extrait relatif à la base économique déterminante de toute histoire sociale : « Dans toutes les formes de sociétés, c’est une production déterminée qui assigne à toutes les autres, ce sont les rapports engendrés par elle, qui assignent à tous les autres, leur rang et leur importance. C’est un éclairage universel où sont plongées toutes les autres couleurs et (qui) les modifie au sein de leur particularité » (Études philosophiques, anthologie, Éd. soc., 1974, p. 111). Les mots également soulignés par moi révèlent assez ce qu’il faut entendre par « détermination » mais, afin de corriger ce que « l’assignation » aurait de trop impérieux et de contradictoire avec la dialectique, on évoquera le postulat supplémentaire bien connu qu’exprime Engels, entre autres occasions, dans sa lettre de 1890 à Joseph Bloch : « D’après la conception matérialiste de l’histoire, le facteur déterminant dans l’histoire est, en dernière instance, la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx, ni moi, n’avons jamais affirmé davantage. Si ensuite, quelqu’un torture cette proposition pour lui faire dire que le facteur économique est le seul déterminant, il la transforme en une phrase vide, abstraite, absurde »3. Retour cependant à la donnée fondatrice de toute intelligibilité fondamentale des révolutions politico-sociales, avec ce texte classique de 1859 qui, pendant plus d’un siècle, a pris figure d’article essentiel dans la vulgate historiographique marxiste : « À un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports sociaux existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’ici. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale » (Préface à la Contribution à la critique de l’économie politique). Tel était donc le cadre notionnel sur lequel prétendait se fonder la fameuse « loi tendancielle » dite de « correspondance » des rapports sociaux « de production » et de leur forme superstructurelle avec le mouvement de croissance des « forces productives », loi dont la force démonstrative inspira les réflexions de nos jeunes années !

3Perversité de la formule « en dernière instance » ! Perverse, l’expression l’est en ce qu’elle admet la contradiction mais biaise avec ce qu’elle peut impliquer : la voici qui ouvre largement le champ à l’observation du caractère autonome des niveaux structurels, notamment dans ce qui construit le lien social, mais la voilà qui en même temps, marque la limite à ne pas dépasser. Autonomie relative des superstructures (le mental, l’idéologique, le politique etc.) mais relativisation immédiate et renforcée de cette autonomie qui cesse du même coup d’en être une véritable, avec l’indication de ce que l’on ne saurait franchir impunément : la surdétermination exercée par la base sur le jeu des forces antagoniques qui puisent en elle leur énergie et la matière principale des enjeux qui les mettent aux prises. À travers les formes qu’elle prend, la lutte des classes est ainsi action – « moteur »– mais aussi passion et subsomption, territoire incertain et indéfini plus qu’illimité, où se rencontrent la détermination venue de la « base » des rapports sociaux et la liberté aventureuse de ce qui sans la détermination « en dernière instance », pourrait paraître devoir lui échapper. Le « facteur déterminant (...) en dernière instance » a donc pris figure de formule bien utile pour les historiens disciples de Marx : une véritable soupape ! Face à la possible (et d’ailleurs historiquement réalisée) dogmatisation déterministe et téléologique du matérialisme historique, elle ouvrait le champ à l’analyse des interactions, permettait de prendre en considération sérieusement la diversité concrète des situations historiques, la « logique concrète de l’objet concret » (Lénine), la configuration des « blocs historiques » (Gramsci), la variété des « formations économiques et sociales » et « l’intrication » des processus de lutte de classes dans leur a-chronie ou spécificité singulière et les manifestations quelquefois paradoxales, tenues souvent pour secondaires ou marginales, que laissaient transparaître les « sources » aux yeux des historiens. Au-delà cependant de ces bénéfices secondaires, la formule conduisait au verrouillage de la réflexion théorique puisque l’instance ultime rapportait au déjà su, au devant nécessairement se produire, l’effort essentiel d’intelligibilité historique auquel se consacraient, dans le foisonnement croissant des sources et des travaux accessibles, les producteurs attitrés du savoir historique dont la tâche était étroitement contrôlée par les partis « marxistes », a fortiori et plus dramatiquement encore par les États d’inspiration marxiste. Je sais bien que parallèlement, cent-cinquante années de pensée théorique marxiste ou hégélienne et de critique philosophique, ont conduit à contester que l’on puisse en principe déduire du matérialisme historique l’idée selon laquelle l’histoire réaliserait finalement une abstraction, un « sens de l’histoire » préfiguré par le donné dialectique des rapports entre base et superstructure, cette « illusion de la nécessité téléologique » (Lucien Sève) prenant si souvent figure subjective de « l’illusion héroïque »4. Mais sauf à considérer que l’infrastructure puisse se situer essentiellement hors du champ de constitution du mode de production des biens matériels nécessaires à la reproduction sociale – ce qui change tout ! –5, c’est tout de même au regard des formes structurelles du rapport social de production et de la manière dont il englobe le mouvement des forces productives, que l’historiographie d’inspiration marxiste conçoit le mouvement de l’histoire faite et, pour une large part, cependant de plus en plus incertaine d’elle-même, le mouvement de l’histoire qui se fait, celle de notre monde contemporain. Et je constate que chaque fois qu’on croit pouvoir y échapper, la rigueur d’une démarche théorique cohérente, même subtile, érudite et argumentée, conduit assez inévitablement à y revenir6.

4Loin d’avoir été improductive, la démarche marxienne – c’est-à-dire, construite dans le cadre conceptuel de la pensée de Marx et des marxistes – s’est avérée longtemps pertinente, plus encore, influente et focalisant l’attention, capable donc aux yeux de beaucoup d’historiens, de rendre compte de la corrélation positive et des articulations pensées entre dynamiques sociales, référées au mouvement de la base économique, et dynamiques politiques, notamment pour l’observation et la compréhension des révolutions. Le (ou les) modèle(s) marxiste(s) d’interprétation de la Révolution française s’est (se sont) à la fois révélé(s) apte(s) à intégrer les apports de la recherche érudite dans un dispositif conceptuel cohérent, intégrateur des savoirs antérieurement construits – l’œuvre des « historiens libéraux » évoquée par Marx et depuis ce temps, celle de tous leurs successeurs – et à se reconstruire elle-même (eux-mêmes) dans un ensemble évolutif susceptible de produire sa (leur) propre confirmation et simultanément son (leur) dépassement périodique. Sur la base du fameux « Ces chaînes devaient être brisées, on les brisa » du Manifeste de 1848, l’interprétation marxiste dans la diversité des points de vue de ceux qui s’en prévalaient, pouvait simultanément mettre en valeur les transformations de la structure du capital, la croissance des forces productives et du nombre des hommes, souligner les élans du marché et les freins par lui rencontrés, insister sur les formes traditionnelles et nouvelles de l’exploitation de la force de travail directe ou non – notamment au regard des procédés et évolutions techniques –, révéler les facteurs d’accumulation et de polarisation sociale des survaleurs (ou plus-values), montrer les brisures conjoncturelles et leurs rythmes différentiels, analyser les intérêts sociaux antagoniques et les contradictions sociales pas nécessairement non-antagoniques qui traversaient le monde des dominants, les observer à travers l’événementiel des crises et des affrontements, différencier la forme des conflits, rendre compte de la crise de l’État comme crise de légitimité autant que d’efficacité modernisatrice, rapporter tout cela à la remise en question idéologique de l’ordre du monde et de ses représentations dans les sphères du religieux, de la séparation du genre et de ses effets, du symbologique et du discours, mettre l’accent sur la construction d’une opinion collective dans l’espace public se constituant, favorisant du même coup l’intelligence biographique de ceux que porta « l’illusion héroïque », un temps, longtemps, jusqu’au terme de leur vie, longue ou brève, contribuer à faire percevoir la marche accélérative (dans un premier temps) des pratiques politiques culturelles et esthétiques innovantes, puis la temporisation nécessaire (dans un second temps) à la mise en place des institutions sociales et politiques nouvelles, construire enfin un système d’explication capable de rendre compte du décalage perceptible entre la rapidité cataclysmique de l’innovation politique et discursive et la lenteur des effets de la révolution politico-sociale dans ses limites peu à peu reconnues, sur la transformation d’un mode de production d’ailleurs complexe et hétérogène dès avant la mise en mouvement du processus événementiel, voire mettre en exergue les blocages introduits par les conséquences du processus politique lui-même sur le mouvement de la croissance capitaliste – dont rend compte pour une part le concept de « double révolution », la révolution économico-technique « à l’anglaise » et la révolution éthico-politique « à la française » –, bref proposer un modèle d’intelligibilité historique fondé sur l’observation cumulative et systématique des interactions contradictoires, rapportées, dans la définition du sens qu’elles peuvent prendre, aux nécessités de leur dépassement par les contradictions du mode de production dominant, travaillé qu’il était à la fois par la poussée capitaliste et la prégnance encore sensible du « féodalisme » survivant sous la forme de la société d’ordres et des mentalités anciennes.

5Dans ce modèle d’intelligibilité matérialiste de l’histoire, si fortement exprimé par Albert Soboul (notamment dans ses dernières publications, souvent les moins citées)7 et ses disciples, le politique dérivait du social, lui-même traversé par les contradictions issues de la base économique ; mais cela devait s’entendre ainsi : le mouvement de la société, c’est-à-dire la résultante des contradictions de classes dans la configuration de type culturel que leur imposaient l’histoire antérieure, les héritages symboliques et les traditions réitératives, définissait un champ plus ou moins ouvert de probabilités et d’initiatives, tendanciellement homologues aux besoins de transformation des rapports sociaux de production pour les mettre en harmonie avec les nécessités du temps économique. Dans l’ordre de la compréhension du politique, l’attention serait donc portée à saisir le jeu des alternatives pensées, des formulations discursives à travers lesquelles s’élaborent les voies de dépassement qui se fraient un chemin, mais en vérité, sous la variété des réponses, comme la fameuse taupe de l’histoire, agissait une nécessité unique. Ainsi le « tout » politique renvoyait au « tout » social et cet ensemble lui-même devenait le lieu de réalisation d’une nécessité immanente aux conditions matérielles de son expression (conditions matérielles mesurables ? telle était la question). Avec beaucoup d’intelligence dans la formulation et le maniement conceptuel, le modèle s’avérait d’une grande plasticité heuristique pouvant aller jusqu’à l’effacement implicite de ses fondements théorétiques au point de se trouver adopté, nolens, volens, par des historiens qui auraient refusé de s’y associer explicitement en raison de ses implications tenues pour « idéologiques ». Mais exprimé de manière plus rustique, le même modèle conduisait à la fermeture dogmatique et même à la tautologie puisque l’on pouvait retrouver au cœur explicatif de cette histoire pré-déterminée dont on construisait le récit, les éléments fondateurs que la « théorie » y avait précédemment introduits. C’est pourquoi, subtile ou grossière, c’est toute cette démarche qu’il convient de ré-interroger.

6Malgré la connaissance et la reconnaissance affichée de l’originalité et de l’absence de toute dogmatisation dans de grandes analyses historiques de Marx (Le 18 brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte ou les commentaires sur La guerre civile en France. 1871)8 ou encore de Lénine (Le développement du capitalisme en Russie), le modèle a fini par faire école, c’est-à-dire à devenir scolastique : le social, ramené à une lutte de classes dans laquelle le différent se ramène toujours au même, portait jusque dans le détail la construction idéologico-politique adéquate au besoin historique et celle-ci, reflet et instrument, en portant résolution des contradictions fondamentales, conduisait à leur dépassement (négation de la négation). Avec des bonheurs divers, cette théorie a irrigué nos recherches, même si dans l’ordre de l’enquête de terrain nous ne nous sentions pas dans l’obligation d’en vérifier à tout instant la vérité : elle fonctionnait comme assurance et comme proclamation.

7Aujourd’hui, non seulement dans sa version caricaturale mais plus encore dans son expression fine et élaborée, ce modèle est largement récusé et remis en question. Plus encore qu’ignoré ou combattu, il est le plus souvent tenu à l’écart des tendances dominantes de l’historiographie mondiale autant que française, laquelle est pourtant en pleine reconstruction critique98. Les raisons de cet effacement sont assurément multiples. Certaines sont d’ordre banalement politiques : les constructions marxistes subissent le contre-coup de l’effondrement du « socialisme réel » dont les États porteurs avaient officialisé le « marxisme » en idéologies d’État. D’autres sont plus subtiles et reflètent à leur manière les carences antérieures des études marxistes : le « linguistic turn » par exemple, a conduit à mettre l’accent sur les procédures de formalisation pratique du discours à travers quoi se pensent et se reconstruisent la réalité sociale10, l’identité sociale, le projet collectif, et la plupart des « marxistes » sont restés longtemps extérieurs à cette entreprise parce qu’ils ressentaient la crainte de voir le superstructurel se replier sur lui-même et d’isoler les systèmes de représentation des (supposées) réalités vraiment « matérielles ». D’autres raisons encore relèvent des effets de l’innovation méthodologique et des modalités nouvelles de traitement des sources de l’histoire en conséquence de la révolution informationnelle : les apports de la New economic History dans l’observation des dynamiques économiques a d’abord conduit à faire exploser ce qui antérieurement relevait de l’économico-social qui fut le meilleur terroir d’accueil de la vulgate marxisante ; la rupture des liens de l’économique et du rapport social préparait la rupture du processus d’insertion des enjeux du politique dans la réalité des contradictions sociales. La supériorité idéologique affichée par les néo-libéraux depuis vingt années a conduit dans le domaine de l’histoire politique à n’y voir que mises en chantiers d’idées ou de projets produits par une idéologie naviguant sur « coussin d’air » (Michel Vovelle), productions inspirées par les ambitions de groupes ou de coteries quand ce n’est pas sous l’effet des « passions » humaines ou en conséquence imprévisible des aléas de la « démocratie » (Tocqueville), « représentative » ou non : tel fut en particulier le résultat historiographique de l’offensive de l’histoire de type anglo-saxon, relayée par les travaux d’inspiration furétienne en Europe, laquelle avait puisé son énergie première dans la vigoureuse critique cobbanienne du modèle d’interprétation de la Révolution française par Georges Lefebvre11. Comme j’ai assez longuement traité de ces questions dans le rapport que j’ai présenté à l’ouverture de la « Table ronde » qui réunissait les membres de la Commission internationale d’histoire de la Révolution française au 18ème Congrès international des sciences historiques à Montréal en 1995, je me permets d’y renvoyer le lecteur12 avant de formuler quelques conclusions en forme de questions. Et d’abord celle-ci :

1. La récusation aujourd’hui dominante du modèle d’interprétation historique globale, loin de n’avoir produit que des mécomptes, n’a-t-elle pas conduit à élargir le champ théorique des paramètres de perception de l’historicité sociale et humaine ? L’ordre du symbolique dans la construction des dominations que nous devons à la sociologie de Bourdieu, les formalisations langagières dans les processus de construction des identités sociales, le retour sur le domaine de l’inconscient dans l’édification des héritages culturels et de l’imaginaire qui a ouvert des voies neuves à l’histoire biographique et à la compréhension des systèmes de cohérence et de leur pérennité, ont porté la recherche sur la dialectique historique, celle-ci débarrassée de tout finalisme, à des niveaux d’analyse jusqu’ici inconnus.

2. Comme toute modélisation dont la pertinence ne peut être que provisoire, le procédé de réduction du politique au social et la référence de celui-ci aux enjeux économiques à travers quoi s’affichaient autrefois la supériorité et l’arrogance de « l’histoire sociale »– toute histoire est une histoire sociale, disait-on – reposait sur l’observation d’une histoire supposée « universelle » mais dominée en réalité par l’omniprésence des voies de passage européennes du féodalisme au capitalisme, par l’histoire de l’expansion capitaliste dans le monde et par la montée en puissance des luttes du prolétariat et des peuples dominés par l’impérialisme. A contrario, le dernier demi-siècle nous a fait entrevoir l’extrême complexité des processus d’émancipation humaine et la pluralité des dialectiques historiques : à l’est de l’Europe, des « transitions » ni révolutionnaires, ni contre-révolutionnaires qui (r) établissent contre un « socialisme » devenu évanescent, un « capitalisme » (re)construit à partir de modèles idéologiques importés et de configurations sociales produites par une structure politique indigène véritablement dégénérée, moins produite par la base économique que tolérée par elle, conduisent évidemment à remettre en question la formulation de « la dernière instance » ; à l’ouest, des mouvements sociaux et des aspirations sociales de masse que structurent des enjeux de lutte et des aspirations collectives dont il sera difficile de dire, sauf aux prix de contorsions verbales ou de sophismes avérés, qu’ils sont finalement réductibles aux contradictions antérieures de la base économique, comme le sont le mouvement des femmes pour l’égalité, les formes nouvelles ou renouvelées d’affirmation des identités collectives, des « communautarismes » voire des « nationalismes », la présence de gigantesques rassemblements de type ludique, sportif etc. sans compter la cyber-communication qui, changeant les données de l’espace socialisé à l’échelle du monde, fait que de nos jours l’individu isolé dans son domicile mais relié au monde par l’ensemble des structures de l’information, devient l’être le plus socialisé de toute l’histoire humaine : tout cela conduit l’historien attentif à interroger sa pratique et à remettre en question radicale les schémas antérieurs sur lesquels il avait cru pouvoir établir ses certitudes.

3. De ce fait, le devoir d’interprétation sociale de la dialectique politique, devient plus une formule abstraite ou un vœu pieux qu’une donnée propre à produire l’intelligibilité du temps présent. Le projet d’établir une corrélation positive entre appartenance de classe supposée, expression idéologico-discursive et affirmation d’une « sensibilité », prise de parti dans le champ politique, n’ a plus vraiment cours même s’il en demeure de beaux restes et de fortes nostalgies ! Par contre, paraît s’imposer la reconnaissance de la pluralité des formes d’articulation entre aspirations collectives, mise en cohérence de ces tendances sourdes par la recherche de formalisations démocratiques susceptibles de trouver une efficace de type politico-administratif, recherche d’une mise en forme de type rhétorique, attentive à ménager des compromis transitoires et à favoriser des mobilisations effectives de moyens, tout un dispositif en fin de compte de nature à réorienter plus ou moins rapidement les tendances lourdes de la base économique.

8Nous voici donc assez loin il est vrai de la lutte des classes d’autrefois... mais ne nous sommes-nous pas rapprochés d’une compréhension plus profonde de la dialectique historique comme logique d’un mouvement sans projet autre qu’immanent à lui-même, ni sujet autre que se construisant dans l’historicité passagère de ses actes, ni dessein pré-établi, une dialectique historique ainsi déconfessionnalisée et créatrice de liberté humaine ?

9L’histoire manifeste toujours sa rudesse parce que comme discipline, elle est impitoyable et tout autant que parce que nous sommes immergés en elle mais sa force contraignante vient de ce qu’elle ne cesse de se révolutionner et nous avec elle.