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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral I. Le temps des communautés usagèresII. Le triomphe de l’appropriation privée du sol ou « l’ordre éternel des champs »III. Le temps des politiques environnementales Notes de bas de page Auteur

    Le paysage rural et ses acteurs

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Usages, propriété, environnement : les mutations du paysage rural contemporain

    Geneviève Gavignaud-Fontaine

    p. 379-405

    Texte intégral I. Le temps des communautés usagères1. Les droits des communautés usagères2. Les luttes des communautés de défenseII. Le triomphe de l’appropriation privée du sol ou « l’ordre éternel des champs »1. Le compromis issu de la Révolution : un individualisme foncier limité2. Pour une diffusion élargie du droit de propriétéIII. Le temps des politiques environnementales1. Les étapes de l’interventionnisme étatique contemporain : vers « l’ordre éternel de la nature » ?2. Vers un nouvel ordre rural non agricole Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Pour saisir toute l’ampleur du phénomène de mutation qui affecte, depuis le XVIIIe siècle, les campagnes occidentales et qui s’accélère sous nos yeux, le concept de Révolution rurale1 se révèle fort opératoire : il recouvre le processus qui, par-delà la Révolution agricole, conduit à l’effacement des communautés paysannes, à l’amenuisement jusqu’à leur minimum des populations agricoles, à l’intégration des campagnes dans une organisation sociale urbanisée. Celle-ci, d’abord implantée aux États-Unis, essaime sous nos yeux en Europe et génère une nouvelle distribution des populations sur le territoire : densification galopante des agglomérations périurbaines en zones métropolitaines et désertification généralisée dans les zones reculées privées de rentes de situation. Partout, la vocation nourricière des campagnes s’efface au profit d’un souci de rentabilité, les « espaces à consommer » prennent le relais des « espaces de vie ».

    2Une telle mutation porte à son terme l’évolution qui propulse, depuis la Révolution, la France paysanne dans la modernité, avec des temps d’accélération et de résistances, bien marqués ; elle est repérable dans le paysage rural dont l’évolution est successivement scandée par le temps perdu des usages communautaires et collectifs, le temps conquérant de la propriété individuelle des terres, le temps actuel de la politique environnementale imposée par Paris d’abord, Bruxelles ensuite. Le Roussillon, bien que riche de particularismes2 n’échappe pas à l’évolution générale.

    I. Le temps des communautés usagères

    3De « temps immémorial », comme il est dit dans les pays de droit coutumier, et mentionné dans les chartes dans les pays de droit écrit, la gestion territoriale était liée, dans les paroisses d’Ancien Régime, aux pratiques communautaires et collectives jusqu’à la nuit du 4 août 1789.

    4Les communautés rurales, rivées au sol par les liens seigneuriaux, avaient fait valoir les droits indispensables à leur développement ; confrontées à leur expansion démographique, elles ne furent pas longues à mesurer l’importance que représentaient pour elles les terres de parcours destinées à l’entretien des troupeaux, les bois et forêts aux potentialités diverses (bois, gibier, fruits sauvages...). Ici, avec la complicité des pouvoirs royaux ou seigneuriaux, là, contre leur volonté, elles tissèrent, patiemment et longuement, des liens communautaires et des droits collectifs, donnant à l’organisation communautaire médiévale une cohésion, qui depuis, n’a cessé de retenir l’attention des historiens, fussent-ils contemporanéistes comme Georges Lefèbvre3 ou Albert Soboul4.

    5Aux antipodes de ceux qui considèrent de nos jours les territoires en termes de paysages, les paysans médiévaux, par ailleurs attachés à leurs parcelles exiguës sinon à leurs maîtres, convoitaient l’espace en termes d’usages. Ainsi intégrèrent-ils l’« environnement » à leur organisation économique et sociale, l’exploitant et le modelant selon leurs besoins et leurs possibilités techniques.

    6Droits collectifs et pratiques communautaires du lointain passé paysan de la France5 remplirent deux rôles rendus inextricables par les comportements quotidiens : donner aux populations les terres et les fruits indispensables à leur survie, tout en assurant au mieux le renouvellement des forces du milieu ; en d’autres termes, les populations étaient simultanément usagères et responsables des territoires octroyés par la grâce des pouvoirs ou à force de revendications. Certes, les siècles passés ont connu les eaux infectées, les détritus dispersés, les odeurs nauséabondes, les dégradations des sols.

    7Quelle était donc la part de gestion directe exercée par les communautés paysannes d’hier, d’abord dans l’organisation médiévale contrôlée par le seigneur, puis, au fur et à mesure de l’application de la puissance royale, dans l’organisation étatique de la modernité ? La monarchie, cherchant en effet à se substituer aux pouvoirs seigneuriaux a pu, dans un premier temps chercher à avantager les communautés paysannes au détriment des seigneurs. Mais ceux-ci avaient également intérêt à ne pas heurter de front les communautés paysannes soumises à leur autorité.

    1. Les droits des communautés usagères

    8Ils relèvent de deux catégories : l’une fondée sur les biens communaux, l’autre sur le domaine agricole privatif. Considérons-les successivement.

    9Arrachées à la seigneurie ou à la couronne, selon les cas, et destinées à atténuer les effets d’un système seigneurial coercitif pour les populations dominées, d’innombrables concessions firent passer de vastes terres, les plus pauvres s’entend, sous la responsabilité directe des communautés. Elles étaient plus faciles à obtenir là où les puissants rivalisaient de faveurs pour s’adjoindre les populations utiles à leur stratégie, notamment dans les zones frontières ; mais face à des seigneurs trop récalcitrants, les communautés d’habitants ne reculèrent ni devant les révoltes armées, ni devant des procès-fleuves, comme en témoignent les archives du Languedoc et de bon nombre de provinces françaises.

    10En bref, au nom d’une « espèce de droit des gens », comme acquis de toute éternité, les communautés paysannes confortèrent jalousement leurs prérogatives, les imposèrent tant aux autorités constituées qu’aux communautés voisines parfois trop envahissantes ; elles s’imposèrent de la sorte en tant que « corps » dont l’existence physique se doublait d’une existence morale. En elles, se parachevait la fusion des territoires nécessaires à leur entretien et les circonscriptions qui les recouvraient, religieuses, fiscales, administratives. Ainsi développèrent-elles l’ambition de s’ériger en « communautés d’exploitation du sol »6.

    11Prétention qui ne fut pas toujours du goût des seigneurs, mais qui leur permit de participer aux règlements du système agraire qui les régissait ensemble : utilisation des biens communaux, droit de parcours pour les troupeaux, respect de tous usages consacrés par la coutume ou par un titre. Des générations de cultivateurs ont pu, grâce à elles, ramasser du bois pour se chauffer ou meubler leur maison, élever quelques têtes de bétail pourvoyeur de lait, de fromage, de viande, de cuir ou de laine, agrémenter leur maigre pitance de fruits frais ou secs, de champignons, de gibier. Autant d’améliorations d’un quotidien marqué par davantage de restrictions que de progalités.

    12Fortes de leurs droits, les communautés paysannes se dotèrent de mandataires variés, chargés de les faire respecter : gardes champêtres et forestiers surveillaient activement le territoire, veillaient à la défense des intérêts de leurs mandants contre les prétentions des maraudeurs ; des bergers prenaient la tête des troupeaux rassemblant le bétail de l’ensemble des familles. Il fallut du temps pour qu’une telle gestion passât sous l’autorité des assemblées locales représentant les habitants de la communauté ; au gré de l’affaiblissement de la société féodale, l’entretien de la voierie, des points d’eau (puits, fontaines, lavoirs), du réseau fluvial, vint diversifier, selon le degré d’abandon seigneurial, les responsabilités collectives.

    13Encore faut-il préciser que le niveau de puissance et d’autonomie des communautés d’habitants fut rarement élevé, que les situations locales dépendaient des circonstances historiques dans lesquelles les pouvoirs locaux avaient évolué et, qu’en la matière, la situation est pour le moins complexe. Ainsi, pour prendre deux cas extrêmes, l’influence des seigneurs pesa-t-elle longtemps sur les assemblées du Hainaut, leurs officiers en présidant généralement les réunions, tandis qu’en Languedoc les consuls parvenaient à renforcer les distances entre seigneurs et populations.

    14La situation était si complexe à la fin de la monarchie, que la justice elle-même hésitait, lors des conflits opposant communautés et seigneurs, entre deux points de vue : d’un côté, ceux qui défendaient les droits et les intérêts des premiers, de l’autre ceux qui soutenaient que les seigneurs disposaient de plus qu’un simple droit sur les terres soustraites à leur exploitation ; personne ne sut trouver de solution susceptible de satisfaire les deux parties.

    15Un rapide tour de France permet d’entrevoir la variété des situations.

    16Les biens reconnus appartenir aux communautés consistaient partout en terres pauvres, vaines ou vagues : les landes gascones, les garrigues languedociennes, les paluds de Sologne, les vacants roussillonnais, les hermes champenoises, les terres gastes provençales... Ces terres, d’une forte emprise sur les littoraux et dans les massifs, se réduisaient dans les riches bassins. Régies par le droit de parcours, elles servaient principalement de dépaissance aux troupeaux collectifs.

    17Les usages s’assortirent ici et là de conditions spéciales, telles les nuits de fumature en Gévaudan, où le bénéfice de la fumure laissée par le troupeau parqué était laissé au propriétaire ayant accepté d’héberger le troupeau lors de son passage. Ou encore au cœur des Pyrénées catalanes, la constitution de sociétés de veynat (ou de bon voisinage), autorisait-elle des conventions pastorales entre communautés limitrophes françaises et espagnoles pour la jouissance en commun des hauts pâturages, exemple d’organisation bilatérale dans le cadre de la vallée.

    18Dans les communaux boisés des massifs et des montagnes, les usages collectifs en vigueur témoignaient autant de la tradition pastorale ancestrale que de l’économie de cueillette primitive : des Ardennes au Pays Basque, du Jura à la Bretagne, l’affouage réglementait l’affectation annuelle de coupes de bois aux habitants ; en Roussillon, le lignerage, ou ramassage de bois mort, sec et traînant, interdisait toute utilisation de serpe, hâche, scie sous peine d’amendes.

    19Au total, il semblerait que les communautés montagnardes aient entretenu, de siècles en siècles, les plus fortes traditions collectives avec pacages en altitude et cueillette dans les étages boisés. Elles paraissent avoir longuement pérennisé un système agro-sylvo-pastoral enserré par de rigoureux règlements et une discipline exigeante ; elles avaient choisi de se reproduire en monde clos, avec impérative intégration des natifs du lieu et des maîtres du sol, mais soumission de tout nouveau-venu au consentement général pour acceptation de la candidature. Elles avaient également le souci de se protéger des empiètements tentés par les communautés voisines : la mise en défens de leur terre suffisait à interdire l’accès du pacage concerné au bétail extérieur7.

    20La gestion de l’eau constitua un autre élément de forte cohésion communautaire. En pays méditerranéen, elle entretint une rigoureuse discipline collective : le partage et la répartition des eaux étaient édictés par les assemblées générales des tenanciers et faisaient l’objet de strictes réglementations. L’eau était en général distribuée gratuitement, mais au XVIIIe siècle, en Roussillon, ses utilisateurs remplacèrent la corvée d’entretien par une taxe annuelle destinée à couvrir les frais de nettoyage et de réparations. Le bon fonctionnement du système d’irrigation exigea des rouages administratifs et judiciaires adaptés : les gardes chargés de la surveillance se transformèrent en arbitres, lors de la constitution des tours d’arrosage. Les arrangements intercommunaux s’imposèrent d’amont en aval des cours d’eau et contribuèrent à doter chaque vallée d’une physionomie particulière.

    21Dans les marais de Petite Camargue, entre les bras morts du Rhône, l’utilisation des ressources s’inscrivait dans les chartes médiévales. Si, vus de l’extérieur, les paluds constituent « des déserts mortifères nuisibles à l’homme, inutiles à l’économie », ils représentent, pour les populations locales, un véritable eldorado naturellement régénérable. La tradition y fixe les usages de pêche et de chasse, de récolte et de ramassage, dont la très originale coupe des roseaux à utilisations variées. Autant d’exemples de permanences communautaires, d’entretien collectif de l’environnement.

    22Troupeaux collectifs et cueillettes multiples maintinrent donc, au fil des siècles, de fortes traditions communautaires, de rigoureux règlements insérant l’exploitation des biens communaux, sous l’autorité et la surveillance d’assemblées, de jurats élus, de gardes appointés.

    23À ces droits communautaires, s’ajoutaient des droits fondés sur le territoire cultivé, entretenus avec non moins de vigilance ; ils impliquaient une stricte différenciation entre soles en production, soles dépourvues de leurs récoltes et soles en jachère. Et donc de forts contrastes de paysages.

    24Le droit communément admis sous Louis XIV établissait en effet que « la terre vide de produits cesse d’être capable de l’appropriation individuelle » et que, en conséquence, « lorsque les fruits sont enlevés, la terre devient commune à tous les hommes, riches et pauvres également »8.

    25Les droits nés des pratiques de l’assolement dans les pays de champs ouverts ont incontestablement contribué à entretenir le respect de la discipline biennale ou triennale, car, même si elle était parfois jugée contraignante pour les maîtres du sol, elle ne s’en avérait pas moins indispensable à la survie des plus démunis. Les choses sont moins évidentes quant à l’origine de ces droits. Pour les uns, ils font partie inhérente du système, tel qu’il fut mis en place par les populations germanisées, au moment des grandes invasions ; pour d’autres, ils ont été reconnus lorsque l’accroissement démographique des populations villageoises exigea des aménagements agraires : les soles en jachère, ainsi que les soles dépouillées de leurs récoltes auraient alors été affectées à la pâture (dite vaine pâture) et à la cueillette en faveur des populations les plus démunies. Celles-ci y élaborèrent les droits de glanage, rattelage, regain ou seconde récolte pour les terres labourables ; dans les vignes, elles grapillèrent pour faire leur « piquette » du dimanche. Ainsi, le pain quotidien et le vin de fête, parcimonieusement il est vrai, vinrent-ils combler quelques estomacs insatisfaits.

    26Partout, de l’Artois au Béarn et de la Vendée à l’Alsace, avec bien des nuances d’une province à l’autre et de savants dosages entre droits communautaires et droits collectifs, les populations usagères contrôlaient une partie non négligeable, aux côtés des maîtres du sol, des ressources naturelles. Non sans que fussent soulevées de vives contestations, face auxquelles les communautés paysannes constituèrent de véritables communautés de défense afin de préserver leur patrimoine.

    2. Les luttes des communautés de défense

    27L’espace hérité de l’organisation médiévale se partageait donc entre domaines seigneuriaux et biens communaux, sans compter les innombrables propriétés alleutières contrôlées par les roturiers. Après avoir âprement lutté, au cours des âges, pour exercer leur autorité sur une partie de territoire, le modeler et l’exploiter selon leurs besoins, les communautés paysannes eurent à défendre leurs droits face aux prétentions des rois, des seigneurs, des riches laboureurs, tous acharnés à faire appliquer leurs attributs de propriétaires usus et abusus, notion qui se fortifiait au gré de l’affaiblement du régime féodal au profit du régime monarchique.

    28Une telle évolution accentua les différenciations entre, d’une part, les communautés des territoires montagnards, fortement marquées du sceau pastoral et forestier, d’autre part les communautés des bas-pays, associant plus étroitement élevage et agriculture. Dans le premier cas, la gestion collective se heurta aux prétentions royales d’exercer une autorité sans partage sur les espaces boisés ; dans le second, elle eut à vaincre les prétentions individualistes des riches agriculteurs ; dans les deux cas, il fallait compter encore avec les prétentions seigneuriales à ne pas abandonner leurs bastions séculaires, voire à les renforcer par la pratique du « triage » sur des communaux concédés sans condition et selon laquelle un tiers des terres communautaires serait transformé en véritable propriété individuelle au bénéfice du seigneur.

    29L’exaspération des rapports sociaux culmina au XVIIIe siècle ; les communautés durcirent leur opposition à l’encontre des droits seigneuriaux ; les droits de garenne et de colombier furent généralement battus en brèche par les populations devenues, aux yeux des seigneurs, repaires de « braconniers patentés, artisans perpétuels d’une atteinte permanente aux privilèges ». Si les travailleurs de terre, voisins ou dépendants du plaignant, constituaient la plus grande partie des accusés de délits de chasse ou de pêche, ils furent progressivement rejoints par d’autres catégories sociales de contrevenants : il s’agissait de ruraux aisés ou cultivés, de citadins de retour aux champs, contestant les privilèges seigneuriaux, non plus au nom d’une « libre disposition des biens de la nature », mais au nom « d’un droit naturel aux loisirs ». L’attitude frondeuse qu’ils affichaient à l’égard des privilèges qu’ils ignoraient superbement, voire qu’ils récusaient provoqua, en cascade, des réactions de la part de seigneurs peu enclins à considérer les chasse et pêche comme « plaisirs naturels » ou « exercices salutaires à la santé », pas plus que comme « distractions conviviales ». L’arrivée impromptue d’un garde interrompit brutalement bien des réjouissances.

    30Le conflit s’enlisait entre les prétentions seigneuriales d’une part, les pratiques communautaires (version ancienne) ou le bon plaisir naturel (version moderne) d’autre part. Le dialogue de sourds s’exacerbait entre ceux qui balisaient l’environnement de privilèges, le peuplaient de gardes hostiles et ceux qui le croyaient en proie à des saccages roturiers.

    31Sur les riches terroirs, les communautés de gestion durcirent leur position face à l’intérêt privé qui entretenait les hostilités à l’encontre des droits et usages collectifs. D’autant qu’avec le renfort des physiocrates prônant l’individualisme agricole contre les empiètements agro-pastoraux collectifs jugés « archaïques », le camp des riches propriétaires se trouvait particulièrement renforcé au cours du XVIIIe siècle. De plus en plus de propriétaires acquis aux théories libérales osèrent alors interdire l’accès de leurs champs aux troupeaux collectifs, mais aussi aux pauvres, venus ici et là, glaner leur pitance ; ils entendaient gérer leurs terres indépendamment de toute servitude héritée, à leurs yeux, d’un passé suranné.

    32Ainsi, plus que toutes autres, les campagnes méditerranéennes, ayant conservé de leur passé romain une conception renforcée de la propriété privée, présentent-elles de nombreux cas d’affrontement entre agriculteurs sédentaires et éleveurs nomades, dégénérant en véritables rixes lors des déplacements massifs liés aux périodes de transhumance. Mais, en l’absence d’une définition stricte de ce droit de propriété à l’époque monarchique, les populations pastorales conservèrent leurs bastions, parcours et pâturages, même si les prétentions des populations agricoles, soutenues par les physiocrates et encouragées par la politique royale, gagnaient indéniablement en forces.

    33Ailleurs, et de toute évidence pour Georges Lefebvre, « le vœu de la grande majorité des ruraux était de maintenir l’agriculture traditionnelle et la réglementation routinière qui, en fait limitaient le droit de propriété (...). Parce que la transformation capitaliste de l’agriculture aggravait leurs conditions d’existence (...) toutes les pensées du paysan tendirent donc à limiter le droit de propriété individuelle (...). Bref, il s’opposait de toutes ses forces à la transformation de l’agriculture dans le sens capitaliste ».

    34La politique royale avait cessé d’hésiter dans ses choix et lançait, à l’occasion de l’exceptionnelle croissance démographique du XVIIIe siècle, une série d’encouragements à l’agriculture individualiste par le biais des autorisations à défricher de nouvelles terres, assorties de la quasi-obligation de cultiver des céréales, le pain étant alors le meilleur garant de l’ordre social.

    35Les édits royaux heurtèrent ici les intérêts seigneuriaux qui empêchèrent que tout défrichement au bénéfice des cultivateurs se fît en l’absence de titre d’inféodation, déchaînèrent là l’opposition pastorale accrochée au respect de l’indivision des terres communautaires, seule garante du domaine nécessaire à la circulation comme à la dépaissance des troupeaux collectifs.

    36Le renforcement de l’individualisme se faisait, pas à pas, au détriment du lien communautaire mais aussi du lien seigneurial. Les limites de la culture privée reculèrent inlassablement, parfois jusques aux pentes des massifs où d’audacieuses murettes consolidèrent les nouvelles parcelles ensemencées, et à la rencontre des terres les plus stériles grâce à l’utilisation de nouveaux procédés de bonification, les chaulage et marnage. Ce n’est que lorsqu’ils furent jugés dangereux pour l’équilibre écologique, que les défrichements ralentirent leur rythme. Nombreux furent en effet ceux qui les rendirent responsables des inondations qui se multipliaient ; les recommandations de pratiquer sur les pentes des cultures dont les racines retiennent la terre, comme la vigne, s’assortirent d’interdictions de déboiser les sommets en bordure des cours d’eau.

    37L’État était devenu, malgré les obstacles dressés contre ses projets, le promoteur de l’individualisme agraire. Dès 1747, dans son Essai sur l’économie, François Quesnay, partisan de la loi naturelle que Dupont de Nemours appela physiocratie, mettait en avant les bienfaits de la propriété individuelle des terres9. Les souverains étaient à l’écoute des agronomes qui clamaient l’irrationalité du système communautaire10, synonyme pour eux de « misère », de « laideur ». Avant qu’Arthur Young, en visite en France, ne dénonçât « treize millions d’hectares de friches et de landes », de grands projets d’assainissement de marais avaient été lancés au service d’une nouvelle mise en production du territoire. Des spécialistes du drainage, venus de Hollande, avaient su mener à bien des travaux au grand dam des populations usagères.

    38Duhamel du Montceau fut l’un de ces agronomes qui contribua le mieux à faire accepter par le pouvoir royal l’idée de lutter contre les pratiques collectives, afin de mettre en place un nouveau système agricole fondé sur la suppression des jachères, de la vaine pâture et de toutes autres pratiques collectives. Alimenté par la propriété individuelle du sol, l’exemple anglais était érigé en modèle de « productivité agricole », renversant l’adage « à terre inculte, paysan inculte ». Il s’agissait donc de renoncer aux pratiques communautaires et de mettre le territoire français en production moderne. Dans la foulée, le ministre Bertin encourageait à la suppression des communaux dans le Centre de la France (Haute Marche). Des édits échelonnés de 1767 à 1771 autorisèrent les propriétaires à se clore (Lorraine, Béarn, Flandre, Franche-Comté...) ; d’autres édits, lettres patentes, arrêts du conseil, s’en prirent aux communaux ; les plus vives protestations concernant le partage des marais furent enregistrées en Flandre et en Artois ; ici et là, la menace silencieuse et obstinée développée par la population paysanne conduisit la monarchie à ralentir son train de réformes.

    39Acquise aux idées nouvelles en matière de propriété, la couronne entendait faire respecter son propre domaine privé. Déjà, Colbert avait eu recours à la réglementation des bois royaux et associés, afin de faire face aux besoins croissants du pays en bois ; il chercha tous les moyens susceptibles de développer les richesses forestières de l’État, les exploiter en toute indépendance et les protéger d’abus en tous genres. En conséquence, la loi-code de 1669 avait-elle doté la maîtrise des Eaux et Forêts de moyens coercitifs nécessaires pour combattre les divers empiètements paysans qui la gênaient. La guerre était déclarée entre les populations usagères et l’État.

    40En effet, eu égard aux usages, les riverains prétendaient être habilités à disposer des ressources forestières environnantes, tandis que les textes et les gardes les considéraient comme de virtuels « maraudeurs », « pilleurs », « braconniers » ; la chasse, notamment, fut assimilée au braconnage, et à ce titre, interdite. Il fallut pour conforter les prétentions royales, peaufiner inlassablement le texte de 1669, sans jamais venir véritablement à bout des « envahissements collectifs » : réglementations, répressions furent impuissantes, en raison d’effectifs de surveillance insuffisants, à empêcher les coupes de bois, cueillettes et ramassages divers, interprétés par les législateurs comme atteintes à la propriété de l’État, et par les contrevenants comme droits immémoriaux, et donc sacrés.

    41Jusqu’à la fin de la monarchie, pillages collectifs plus ou moins massifs et pillages individuels, discrets et quotidiens, continuèrent à se faire de nuit ; ils étaient censés subvenir aux besoins des ménages, lesquels entretinrent une animosité tenace à l’égard de l’administration des Eaux et Forêts, de la procédure judiciaire du tribunal, de la tarification des délits particulièrement honnis. En maints endroits, les tensions s’exacerbèrent. Dans la forêt domaniale de la Chaux, sur la rive gauche du Doubs, entre Dôle et Besançon, les communautés riveraines s’acharnèrent sans répit à conserver leurs droits d’usage. En 1765, des bandes de paysans masqués et vêtus de longues chemises blanches, armés de fusils, hâches et pistolets, mirent en fuite les gardes, procédèrent aux coupes de bois habituelles ; d’autres révoltes des « demoiselles » éclatèrent dans le pays de Sault et autres lieux pyrénéens.

    42Face à la multiplication des heurts, Telès d’Aosta, nostalgique de la révolte colbertienne, préconisa, en 1780, « d’être plus sévère avec les délits, de rendre responsable le corps des communautés » lesquelles, pour cause de complicité villageoise, rendaient difficiles perquisitions et arrestations des contrevenants. Plus que les seigneurs, l’État paraissait être en mesure, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, de faire reconnaître sa conception d’une nouvelle gestion des ressources naturelles. La modernité avançait en France, comme dans le Royaume-Uni, sur le tremplin de la libre et individuelle disposition des biens, matérialisée par la clôture.

    II. Le triomphe de l’appropriation privée du sol ou « l’ordre éternel des champs »11

    43La Révolution eut pour effet, dans ce domaine comme tant d’autres, d’accélérer l’évolution. Mais les législateurs durent compter avec les populations concernées.

    1. Le compromis issu de la Révolution : un individualisme foncier limité

    44Les paysans étaient encore insérés, à la veille de 1789, dans une civilisation rurale millénaire, tissée par les puissances cléricale et seigneuriale ; une partie d’entre eux contestaient toutefois le sort qui leur était réservé, sans pour être pour autant acquis aux idées du moment, l’individualisme et le libéralisme, peu aptes il faut bien le reconnaître, à soutenir les communautés plus ou moins autarciques d’alors ; le décalage est total entre les visées de la bourgeoisie conquérante et les espoirs des paysans, si contestataires de l’ordre établi fussent-ils.

    45La volonté de remplacer la discipline communautaire et collective par la liberté individuelle inspira la législation révolutionnaire. L’enseignement des physiocrates avait porté ses fruits et puisqu’il était admis qu’une grande partie de la richesse nationale procédait de l’agriculture, les conditions d’exploitation du sol devaient être reconsidérées dans le but d’obtenir le plus fort rendement possible de la terre. En conséquence, il s’agissait de conférer aux propriétaires la pleine et entière liberté sur leurs domaines, depuis la mise en culture jusqu’aux récoltes. Le couperet tombait sur l’empiètement collectif et ses corollaires, la discipline d’assolement, la vaine pâture et autres usages traditionnels.

    46Fer de lance de l’individualisme agraire, les assemblées révolutionnaires agirent au pas de charge. La première étape fut franchie la nuit du 4 août 1789 par l’abolition de la féodalité et de ses lois. Le décret des 4-11 août déclara rachetables « les rentes foncières perpétuelles, soit en nature, soit en argent, de quelque espèce qu’elles soient, quelle que fût leur origine, à quelques personnes qu’elles soient dues ». Aussi, comme l’écrivait le comte d’Entraigues, « le colon actuel devriendra propriétaire, à très bas prix, de la propriété d’un autre qui lui était engagée »12. À condition d’avoir l’argent nécessaire au rachat des titres. Car la servitude de l’argent ne manquait pas de prendre le relais de celle de la féodalité ; le décret des 18-29 décembre 1790 précisa que les baux emphytéotiques non perpétuels seraient exécutés pour toute leur durée et pourraient être faits, à l’avenir, pour quatre-vingt-dix-neuf ans.

    47Entre-temps, l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août 1789) avait garanti la propriété de tout citoyen : « la propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

    48Aucun texte, loi ou décret, ne proposa de faire accéder chacun des citoyens à la propriété ; les non-propriétaires ne se méprirent pas sur le sens de la nouvelle législation ; il leur restait à veiller à ne pas se laisser définitivement exclure de la gestion économique des campagnes. Pour ce faire, ils n’avaient pas d’autre choix que de se raccrocher à leur acquis issu du passé ; l’avenir leur apparaissait irrémédiablement bouché. La politique agricole menée au nom du libéralisme était située aux antipodes tant de leurs intérêts que de leurs aspirations.

    49L’individualisme aux champs, cher aux nantis et à leurs théoriciens, ne faisait pas l’affaire des populations démunies. Tandis que les députés préparaient, à Paris, le nouveau visage de la France agricole, des troubles paysans éclatèrent aux quatre coins du royaume.

    50De la Normandie au Roussillon, les populations usagères manifestèrent partout leur rejet de l’individualisme triomphant. Des forêts, royales ou ex-seigneuriales, furent systématiquement ravagées par des coupes de bois jugées « immodérées » dans les procès-verbaux des administrations départementales. Les clôtures, surgies ici et là, furent détruites par ceux qui entendaient faire encore circuler et paître le troupeau collectif. Les vieilles pratiques auxquelles les communautés d’habitants restaient attachées, parce que le sort économique de la plupart de leurs membres en dépendait, mobilisèrent les forces de résistance en faveur des droits de parcours et de vaine pâture, mais aussi de pacage ou de glandée, d’affouage, de boisage, de charbonnage, de grapillage, glanage, rattelage... Tout au long de la période révolutionnaire, de 1789 à 1848, Albert Soboul n’a pas manqué de relever l’ardente défense collective déployée par les paysans en faveur des usages réputés anciens et respectueux13.

    51À tel point, qu’après avoir affirmé, haut et fort, la toute-puissance du droit de propriété privée, les législateurs allaient laisser inachevée, sur le plan juridique, l’œuvre de libération de la propriété. Soucieux en effet de ne pas heurter de front la masse paysanne, les députés des successives assemblées révolutionnaires ne purent dégager complètement la conception foncière individualiste de l’emprise de l’héritage communautaire. Le code rural, pourtant considéré comme de grande nécessité, était régulièrement ajourné, en raison des difficultés majeures qu’il soulevait à vouloir concilier des intérêts contraires ; les pressions paysannes avaient réussi à contrarier les tentatives de remodelage structurel déployées dans les campagnes afin de les mettre au service des intérêts particuliers des propriétaires.

    52De ce combat entre droit de propriété privée et pratiques coutumières, dépendrait le sort des campagnes au siècle suivant : plus ou moins grande parcellisation du terroir, champs clos ou ouverts, maintien ou recul de l’agriculture de subsistance, plus ou moins forte affirmation de la grande propriété capitaliste.

    53Le décret concernant « les biens et usages ruraux et la police rurale », promulgué entre le 28 septembre et le 6 octobre 1791, fit en sorte de calmer les esprits en essayant de satisfaire tout le monde. Aussi, reconnut-il à tout propriétaire :

    • le droit de clore : « le droit de clore et de déclore son héritage ne peut être contesté à aucun propriétaire » ; « est réputé clos tout héritage entouré d’un mur et de palissades, de haies vives ou sèches ». Un rien permettait donc de clore ; seule l’absence de clôture garantissait le maintien de l’ancien système agraire, la loi soustrayant les terres encloses à l’usage collectif.

    • la liberté d’assolement et la libre disposition des récoltes, ce qui suppose l’effacement de la charge communautaire.

    54Par ailleurs, limités, codifiés et réglementés, les droits collectifs subsistaient :

    • droit de parcours et de vaine pâture étaient maintenus sur les terres incultes ou laissées en jachère, à condition de résulter d’un titre ou d’un usage local immémorial ; tout ce qui pouvait en altérer ou en empêcher l’exercice était réprimé.

    • la vaine pâture était autorisée dans les prairies naturelles, après enlèvement de la première herbe, mais interdite sur les prairies artificielles. En tous cas, la clôture en affranchissait. L’absence de clôture constituait donc, en pratique, la meilleure sauvegarde de l’ancienne économie rurale.

    55Le code rural est muet sur le remembrement : laisser la liberté des échanges à la seule bonne volonté réciproque des cultivateurs revenait à le condamner, tant les mentalités paysannes étaient lourdes d’attachement aux biens ancestraux ; seule la pratique d’échanges forcés et rationnels aurait contribué à modifier l’allure générale des terroirs, par remembrement foncier.

    56Autant d’arguments qui ont incité les historiens à qualifier le code rural de 1791 de « compromis » (Georges Lefèbvre), de « paradoxe » (Albert Soboul). Quant au partage des biens communaux, autorisé par la loi du 10 juin 1793, il sembla à ce point voué à l’échec que la loi du 21 prairial an IV prit soin de préciser, faisant en quelque sorte marche arrière, « aucun habitant ne peut disposer des biens communaux au préjudice d’autrui » ; en 1796, les législateurs en vinrent même à renoncer à l’idée de partage, laissant en suspens le sort des communaux ; nul ne voulait prendre le risque de heurter de front l’énergie résistante des masses paysannes. Et celles-ci, âpres défenseurs de terrains pauvres mais dont l’étendue était source de survie communautaire rejetèrent, à de rares exceptions près, tout partage qui leur attribuerait quelques ares de terres peu propices à la culture.

    57Le paysage agraire de la France post-révolutionnaire resta donc empreint de pratiques et d’usages anciens, âprement défendus par les populations locales. Les communautés paysannes préservaient en leur sein le droit social hérité du Moyen Âge ; Georges Lefèbvre a mesuré la portée d’un tel événement : « les hommes étaient tournés vers le passé ; ils voulaient le maintenir ou le rétablir (...) La communauté rurale conservait le sentiment très vif d’un droit social supérieur à la propriété, sur les justes besoins de la communauté dont les membres ont droit à la vie »14. Les intérêts politiques commandèrent aux législateurs de ménager la France paysanne ; ils renoncèrent donc à leur volonté d’araser le passé collectif du pays au profit du tout puissant droit de propriété individuelle.

    58Les paysans se répartissaient alors en deux blocs irréductibles l’un à l’autre bien que tous deux hostiles au nouvel ordre libéral voulu par la bourgeoisie révolutionnaire : le bloc contre-révolutionnaire aspirant au retour de l’ordre ancien (Vendée-Gévaudan-Alpilles provençales...) et le bloc partageux acquis aux communautés agraires ; les premiers, généralement royalistes et catholiques, œuvraient pour le maintien de la tradition millénaire ; les seconds, anticléricaux et révolutionnaires, travaillaient à établir une société sans Dieu ni maître. À Paris, les législateurs cherchèrent tout au plus à ménager les « susceptibilités paysannes ». Acteurs d’une politique ambiguë, ils obtinrent un résultat paradoxal avec renforcement de la propriété individuelle et sauvegarde de l’héritage communautaire ancestral. Les campagnes françaises porteraient, longtemps, les traces de ces intérêts divergents.

    2. Pour une diffusion élargie du droit de propriété

    59Les partisans de la grande culture ne baissèrent pas les bras. Dans ses voyages agronomiques, François de Neufchateau dénonça la « désunion des terres », source d’« agriculture asservie » ; il exhorta au renversement de toutes les coutumes, afin de réaliser les réformes déjà entreprises par le Royaume-Uni, le Danemark, la Prusse. Il déplora « l’état actuel de la législation rurale ; au lieu des lois..., partout des coutumes différentes qui ne se rallient à aucun principe ».

    60De quoi relancer les débats. En l’an IX, une nouvelle commission était chargée d’élaborer un autre projet de code rural, ce qu’elle fit en deux cent quatre-vingt articles initiaux qui, au fil des observations formulées par les commissions consultatives, en donnèrent neuf cent soixante en 181415. Ils restèrent sans application !

    61En matière de culture, le texte de 1808 consacrait « dans toute son étendue le principe de l’assolement libre » afin de supprimer la jachère ; les réserves faites sur le terrain aboutirent, en 1814, à en limiter l’extension mais non à la faire disparaître : « la liberté naturelle des assolements peut être suspendue à la demande des deux tiers des propriétaires d’un finage, suspension limitée au maximum à dix ans, mais renouvelable ».

    62En matière de droit de parcours et de vaine pâture, le projet de 1808 portait la suppression des deux ; à la suite des innombrables protestations émises par les commissions locales, le rapporteur conclut : « il serait souhaitable que ces droits soient maintenus en certains endroits, au moins provisoirement et sous certaines conditions ». En 1814, l’abolition des usages de parcours et vaine pâture resta acquise en principe ; mais les préfets purent en retarder l’exécution pendant cinq ans, voire même « la suspendre définitivement ».

    63L’inconciliable serait long à concilier. Les législateurs de la Troisième république s’en aperçurent à leurs dépens : cherchant à renforcer les droits des propriétaires, ils interdirent, en 1889, la vaine pâture sur les prairies naturelles... au grand dam des populations paysannes... en faveur desquelles elle fut rétablie en 1890 ! Encore et toujours, « il y a deux intérêts, l’un et l’autre très graves à considérer, celui du propriétaire qui a le droit de défendre son héritage contre l’incursion du bétail d’autrui, et celui du petit cultivateur, éleveur de bétail, au profit duquel le droit de vaine pâture a toujours existé ». Ainsi la vaine pâture perpétuait-elle les traits caractéristiques de l’économie rurale de l’ancienne France.

    64L’idéal agricole et environnemental qui habitait les esprits acquis à la modernité serait aussi longtemps combattu que perdureraient sur le sol français de nombreux paysans acharnés à défendre la tradition communautaire16 et à considérer la campagne en termes d’usages et non de paysage. Ce n’est qu’au gré d’une large diffusion du droit de propriété privée et d’un fort courant de dépopulation paysanne que se dégraderaient, jusqu’à disparaître complètement, les habitudes collectives ; entre temps, nombreux à être devenus petits propriétaires, les cultivateurs enracinés sur les terroirs auront façonné un nouveau mode agraire au sein duquel la petite propriété occupera une place importante. Tel n’avait pas été le projet de 1789. Il faudrait beaucoup de patience aux élites progressistes avant de parvenir à implanter, comme en Europe septentrionale, des structures de production capitaliste et un paysage source d’émotion esthétique pour ceux qui auraient le loisir d’en jouir. Parce que la France paysanne n’avait pas voulu basculer en bloc dans le libéralisme porteur de capitalisme, elle avait ménagé, sans le savoir, une transition dans le processus de mutation économique et social engagé à l’époque révolutionnaire, transition préjudiciable à la modernisation agricole et favorable à l’accession des paysans à la petite propriété ; tel deviendrait en effet le but des paysans, après avoir combattu les ambitions de la grande propriété enclose et persévéré dans leurs pratiques ancestrales ; mais ce destin ne les concernerait que dans la mesure où ils auraient persévéré sur leur sol.

    III. Le temps des politiques environnementales

    65Le poids des communautés paysannes puis agricoles avait donc contribué à freiner, à la différence de ce qu’il s’était passé dans le Royaume-Uni, la modernisation des campagnes françaises. Tandis que l’État, monarchique ou républicain ne renonçait pas à accélérer l’évolution dès que cela lui paraissait possible.

    1. Les étapes de l’interventionnisme étatique contemporain : vers « l’ordre éternel de la nature »17 ?

    66Pouvoirs et politiques de réglementation se montraient donc prudents en matière de gestion collective : lois et décrets de l’État furent assortis, au gré des circonstances, d’arrêtés préfectoraux et communaux limités à quelques secteurs bien précis : réglementation des droits de chasse, pêche, parcours et vaine pâture. Les deux premiers visaient à protéger les espèces utiles : l’interdiction de la chasse à certaines périodes de l’année favorisait la reproduction du gibier, celle de la pêche respectait le frêt. Les deux autres entendaient protéger les espèces dans l’intérêt réciproque des agriculteurs et des éleveurs. Il fallait des événements inhabituels pour que des arrêtés municipaux vinssent prévenir les pestilences (réglementation contre la myxomatose, les épizooties) ou les destructions (animaux nuisibles...). L’État prêtait main forte lorsque cela était nécessaire, ainsi pour la destruction des loups : en 1818, le ministre de l’intérieur fit parvenir aux préfets des instructions concernant les battues ; ce ne fut qu’au début du XXe siècle que les loups disparurent du territoire français.

    67Mais l’action de l’État pesait bien plus lourdement sur le territoire forestier, au grand dam des populations usagères. Malgré leur résistance acharnée, il avait fini par y régner en maître ; en 1827, le nouveau code forestier sanctionnait sévèrement les manquements à la discipline. Maître de ses forêts, l’État entendait en outre procéder au reboisement du pays : les actions de François de Neufchâteau encouragèrent le Corps des ingénieurs forestiers à rechercher des appuis locaux (tel la Société d’Emulation des Vosges) pour favoriser l’aménagement forestier des montagnes ; mais, d’une façon générale, les populations locales se montrèrent peu sensibles aux arguments des forestiers -protéger les sols ruinés par une exploitation intensive- et si, çà et là elles arborèrent quelques terres communales, elles s’opposèrent partout ailleurs à leurs programmes. L’action des forestiers se fit alors plus autoritaire, facilitée par la loi de 1860 relative au reboisement des montagnes et celle de 1882 faisant de la restauration des terrains de montagne un devoir d’État. Ils recevaient donc toute autorité nécessaire pour reconstituer la forêt française dans l’intérêt national ; il fallait effacer les maigres taillis d’arbres rabougris, ravagés par la dent du bétail et la hache des paysans, lutter contre les catastrophes naturelles (inondations, glissements de terrains, coulées de boue... induites par une surexploitation des terres de montagne).

    68Cette idéologie forestière, hostile aux paysans, fut progressivement imposée à l’ensemble des montagnes françaises (restauration des terrains de montagne). La force publique vint la soutenir chaque fois qu’un conflit opposait les forestiers aux populations locales (Vosges, Vercors, Pays de Sault). Mais la violence de ces affrontements fit naître une opposition au discours « écologique » destiné à renouveler le patrimoine forestier et jugé « anti-social » : cette opposition germa au sein même des ingénieurs forestiers et fut conduite par Le Play au nom de la défense des intérêts des paysans.

    69Les forestiers dit « sociaux » (Le Play ayant fondé la Réforme Sociale) prônèrent, outre l’abandon de la politique autoritaire forestière, un aménagement montagnard simultanément conduit par les forestiers et les paysans. Dans le Jura et les Alpes, de tels projets aboutirent à l’organisation de coopératives fruitières chargées de rationaliser la distribution laitière locale.

    70Le combat fut âpre entre forestiers étatistes et forestiers sociaux ; il se solda par la victoire des premiers sur les seconds, en faveur des intérêts nationaux et au détriment de ceux des usagers. L’ouverture du premier parc français dans le Massif de l’Oisans (Isère) consacra l’alliance scellée entre forestiers étatistes et paysagistes élitistes à la veille de la première guerre mondiale.

    71Ecrivains, scientifiques, responsables des organisations de tourisme (Club Alpin Français, 1874, ou Touring Club de France, 1890) plaidèrent en effet pour une politique de défense de la nature selon la mode britannique, c’est-à-dire au détriment des populations locales et en faveur de l’élite sociale susceptible d’en goûter les plaisirs. À leurs yeux, l’art nouveau de l’appropriation de la nature ne pouvait que condamner « les formes dérivées des usages français de l’appropriation » ; en somme, « jouissance de maître » contre « jouissance de paysan » et l’État moderne se devait de servir la première. Seule la conversion -éphémère- des gouvernements à un agrarisme conforté tant à droite qu’à gauche de l’échiquier politique, et pour des raisons plus électoralistes que philanthropiques, était en mesure d’enrayer de tels projets.

    72Pour l’heure, les peintres étaient entrés en lice, portés par les succès de l’école de Barbizon, pour donner à la peinture française quelques-uns de ses fleurons paysagistes. Avec ou sans paysan, l’arbre se trouvait placé au faîte de la nature. Au nom de la sublimation de cette nature, les nouveaux amateurs de paysages dont A. Joanne, auteur d’une célèbre Collection de paysages touristiques, le peintre Cézanne, le géographe Elisée Reclus, l’écrivain George Sand réclamaient, à l’instar du parc de Yellowstone, créé aux États-Unis en 1872, l’ouverture de réserves où la faune et la flore seraient protégées contre l’action des hommes. Décrivant inlassablement les paysages pittoresques et sublimes que leurs révélaient leurs voyages, ils plaidaient pour la protection des paysages à leurs yeux trop lourds d’activités agropastorales.

    73Le pouvoir central leur donna -en partie- satisfaction par la promulgation de la première loi sur la Protection des Sites et des Monuments Naturels (1906) ; le classement d’un site relevait d’une Commission Départementale des Sites ; les indemnisations dues aux propriétaires expropriés restaient à la charge des communes intéressées ( !). Alors furent classés les rochers de Ploumanach en Bretagne et les Quatre fils Aymon dans les Ardennes. En 1930, une Commission Supérieure des Monuments Naturels et Sites multiplia les zones de protection grâce à d’importants moyens financiers mis en œuvre. Ainsi la volonté interventionniste de l’État scellait-elle la politique « d’environnement » au service des intérêts nationaux.

    74L’après seconde guerre mondiale relança les initiatives en la matière, au nom de l’intérêt général et de la protection de la nature ; ses opérations furent facilitées par l’allègement de la charge démographique rurale ; délesté de bon nombre des communautés villageoises d’autrefois, l’espace rural s’ouvrait à de nouveaux usages.

    75Le Conseil National de la Protection de la Nature fut mis en place dès 1945, doté l’année suivante d’une Direction, elle-même placée sous la tutelle du ministère de l’Agriculture. Les réserves naturelles étaient aménagées sans trop tarder (1957), précédant de peu parcs nationaux (1960) et parc régionaux (1967). Ainsi le parc national de la Vanoise inaugura-t-il une série de réalisations plus ou moins spectaculaires, étagées du littoral à la montagne, et confiées à des syndicats mixtes (collectivités locales, associations de protection de la nature, organismes consulaires).

    76La disparition accélérée des populations paysannes et de leurs pratiques facilitait le rôle joué par l’État ; de vastes espaces s’offraient en moyenne et haute montagne aux touristes, de plus en plus nombreux à venir se ressourcer auprès des gardiens de réserve veillant sur des espèces en voie de disparition et perpétuant, pour le spectacle, le rite des activités ancestrales.

    77Quelques années plus tard, ce fut au tour du littoral d’être concerné, le Schéma directeur d’aménagement du littoral (1972) et le Conservatoire de l’Espace littoral (1975) veillèrent à acquérir des terrains situés en bordure de mer, de lacs ou d’étangs, afin de les soustraire à l’urbanisation, aux ravages déjà trop accomplis ; les terres ainsi acquises étaient progressivement confiées, par voie de convention, à des collectivités locales, des établissements publics ou des associations agréées.

    78Entre-temps, l’État avait apporté la pièce maîtresse du système de protection de la nature : l’institution, en 1971, d’un ministère de l’Environnement : par-delà « la morale de l’environnement » évoquée à Chicago par le Président Pompidou, se profilait le renforcement des liens entre l’État et la nature ; le vote de la loi de la Protection de la Nature permettait notamment, à partir de 1976, d’affirmer sans tarder les droits de l’État sur la faune et la flore.

    79L’influence anglo-saxonne imprégnait plus que jamais les préoccupations esthétiques et environnementales d’un État de plus en plus sourd aux récriminations paysannes et agricoles ; l’intérêt national coiffait l’intérêt local ; l’intérêt agricole s’effritait. Les considérations économiques n’étaient pas absentes du débat : les mesures de protection de la montagne qui prirent le relais des aides aux zones défavorisées de montagne, destinées depuis 1967 à maintenir le minimum de population nécessaire à leur entretien, n’étaient-elles pas destinées à consolider le potentiel touristique de ces régions ? La politique d’aménagement du territoire et la politique agricole des gouvernements successifs constituèrent autant de relais à la politique de l’environnement : plans d’occupation du sol (1967), plans d’aménagement rural (1970), loi sur les zones défavorisées (1977), lois sur la montagne (1985), la forêt (1985), le littoral (1986)...

    80Progressivement, jusqu’à la loi de 1982 stipulant le transfert de certaines compétences de l’État aux régions, se renforcèrent les actions de mise au pas des zones rurales.

    81Chez les populations pour lesquelles l’environnement s’inscrit historiquement en termes d’usages et non de paysages, les conflits ne manquèrent pas de s’exacerber sur les terrains ; dans le parc national des Cévennes, établi en moyenne montagne et composé à 60 % d’espace privatif, l’association de défense des propriétaires « Solidarité Caussenarde et Cévénole » a consigné dans un livre blanc les plaintes concernant les contraintes architecturales, les règlements cynégétiques, les dégâts commis par la faune sauvage introduite par l’administration du parc. De quoi traduire « la vitalité des communautés locales qu’on avait considérées un peu trop vite parfois, sur la pente du déclin »18.

    82Nombreuses sont les associations à vouloir « protéger l’environnement et la nature », mais à leur façon, qui n’est pas la même que celle prônée par les Pouvoirs Publics. En 1984, un millier d’associations étaient répertoriées ; les chasseurs en animent bon nombre et les élections européennes de 1989 leur ont offert une tribune pour plaider contre les abus d’un droit européen, qui viendrait, chez eux, les priver de leurs plaisirs rituels.

    2. Vers un nouvel ordre rural non agricole

    83Tout en privilégiant l’intérêt national au détriment de l’intérêt des populations locales, l’État sert les intérêts non agricoles. Au sein même des campagnes, les considérations agricoles ont en effet cédé le pas aux considérations non agricoles : ainsi dans un premier temps, les plans d’occupation du sol (1967) et d’aménagement rural (1970) avaient tenté de concilier les principaux intérêts agricoles et non agricoles ; progressivement, les projets d’équipement touristique l’ont emporté sur les projets de développement agricole. Aujourd’hui, l’accent est mis sur la fonction conservatoire des agriculteurs réduits à la faillite économique par le marché ; ils n’ont qu’à se faire « jardiniers de la nature » ou « gardiens de l’espace » suggèrent les instructions émanant du ministère de l’Environnement. L’idée rebondit au ministère de l’Agriculture où germe le projet d’une « agriculture territoriale » destinée, comme son nom l’indique, à mettre une partie de la population agricole au service de l’entretien du territoire.

    84Le règlement du 15 juin 1987 a déjà défini, quant à lui, « l’agriculture environnementale » comme « une activité de production contribuant à l’entretien de l’espace naturel environnant » ; il s’inscrit dans le projet de « diminution harmonieuse de la surface agricole » émis par la C. E.E., laquelle ne lésine pas sur les primes accordées à toute substitution de terrains au détriment de l’agriculture. La loi de 1990 autorisant les S.A. F.E.R. à conduire les opérations destinées à faciliter la reconversion des espaces agricoles a concrétisé la volonté française d’abonder dans le même sens.

    85Depuis le 30 juin 1992, les « mesures agri-environnementales » (initiées par l’article 19) font l’objet d’un règlement européen spécifique (2078). L’environnement devient ainsi un des axes de la réorientation de la P.A.C. et de la capacité de celle-ci à impulser une politique agricole et rurale respectueuse de l’environnement. Obligatoires pour les États membres, applicables sur l’ensemble des territoires et pas seulement en zones sensibles, ces mesures et leurs impacts doivent être analysés, que ce soit au niveau national ou à l’échelon de leur application sur le terrain.

    86Ces « mesures agri-environnementales » zonées (reconversion des terres arables en herbage extensif, diminution de la charge du cheptel, protection de races locales menacées de disparition, développement de l’agriculture biologique, diminution des intrants...) ou applicables sur l’ensemble du territoire (Plans de Développement Durable, « primes à l’herbe ») prennent place dans un dispositif comprenant d’autres mesures plus spécifiques à la France (labellisation de paysages, opérations Ferti-mieux ou Fourrage-mieux...).

    87Les agriculteurs n’apprécient généralement pas ces reconversions forcées. Ils ne paraissent pas disposés par dizaines de milliers, à devenir des « animateurs de réserves » même si, officiellement, ils portent le nom de « conservateurs du passé » ou de « mainteneurs de paysages et d’environnement ». L’on peut cependant déjà voir, dans le parc national des Cévennes, de vrais faux-bergers occupés à promener, comme leurs ancêtres, leurs troupeaux, mais cette fois sous le regard ébahi des touristes... Ou encore des vrais faux-paysans occupés à construire les murettes à l’assaut des pentes pour en retenir la terre et les cultures... pour les défaire le soir même et recommencer le lendemain. Moyennant salaire.

    88Dans ce nouvel ordre rural non agricole qui se met en place, les terres soustraites à l’agriculture sont converties en terrain de jeux, de golf, de camping... ou vouées à la conservation des équilibres biologiques. L’État poursuit son enracinement dans le foncier. En 1978, il a été reconnu propriétaire des terrains figurant au compte de l’administration des Domaines ainsi que des parcellaires présumés vacants et sans maître. Les Commissions communales et intercommunales de réorganisation foncière et de remembrement sont, en conséquence, tenues de dresser l’état des fonds incultes depuis au moins trois ans ; un délai de six mois est accordé aux propriétaires pour faire valoir leur titre auprès du service des Domaines, au-delà duquel l’État peut gérer le fonds à sa guise, directement ou par conventions interposées.

    89Au bout du compte, une tâche complexe que la loi de 1982 a voulu alléger par le transfert des compétences qu’elle assure : la gestion de l’environnement a trouvé des relais dans les collectivités locales ; susceptibles de relancer l’intérêt local, celles-ci paraissent, en fait, surtout incitées à subventionner les politiques pour lesquelles l’État et la Communauté européenne gardent jalousement d’importantes prérogatives.

    90La formulation des politiques globales est à l’ordre du jour pour l’ensemble des États européens, d’autant plus que le second plan Mansholt a affirmé « plus importante que tout », la nécessité d’une concertation européenne « pour résoudre le problème de l’aménagement de l’espace rural ».

    91Les récentes politiques agricoles, rurales et, par-delà, environnementales couronnent l’émergence d’une nouvelle société, voire d’une nouvelle civilisation au service de la société urbaine et métropolitaine épanouie en France dans la seconde moitié du XXe siècle. En témoignent les récentes et massives installations dans les périphéries urbaines de populations continuant à travailler « en ville » et résidant dans d’anciens villages métamorphosés en lotissements-dortoirs. Autour de Perpignan comme autour de Montpellier, le chassé-croisé des populations rurales se fait au détriment des agriculteurs et en faveur des employés urbains. Loin des grandes cités, et exceptées les zones dotées d’une rente de situation, s’intensifient la déprise démographique comme la friche économique.

    92Partout, un nouvel ordre rural s’installe : évanouies, les communautés paysannes et leurs droits d’usagers-responsables. À leur place, des populations d’usagers -dépendants des pouvoirs publics et de leurs politiques dont elles ne perçoivent généralement que les effets. La Révolution rurale19 achève donc la mutation enclenchée par la Révolution agricole : délestées de leurs populations et activités paysannes, c’est-à-dire de leur millénaire vocation nourricière, les campagnes changent de mains. Pour quel avenir ? La Révolution en marche dans la société française depuis deux siècles va-t-elle complètement déposséder les populations rurales de leur territoire et de pouvoirs qu’elles y exerçaient ?

    93Serait-il sérieusement proposé de convertir demain à l’élevage extensif, suivant en cela la pratique australienne, comme le préconisèrent certains conseillers officiels, les campagnes plantureuses d’hier ?

    94À Paris comme à Bruxelles, de nouveaux concepts habillent les projets de pratiques environnementales à mettre en œuvre. Ainsi aux « espaces vécus » d’autrefois, succèdent des « espaces à consommer » donc à protéger. La bataille pour le contrôle du territoire rural (85 % de la France) est engagée depuis longtemps. Pour l’heure, subsistent beaucoup d’incertitudes non seulement sur l’appropriation du territoire rural, mais aussi sur les fonctions qui lui seront attribuées, sur les paysages qui s’y développeront, ou encore sur les dégradations qui ne manqueront pas de s’y produire.

    Notes de bas de page

    1 Geneviève Gavignaud, La Révolution rurale de la France contemporaine, XVIIIe-XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1996. Cet ouvrage fait suite à un Essai sur la révolution rurale à partir du cas américain (U.S.A.), Roanne, Horvath, 1983. Entre-temps de nombreux articles ont permis d’expliciter ces notions.

    2 Cf. plus spécialement étudiés par l’auteur dans Propriétaires-viticulteurs en Roussillon, XVIIIe, XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1983, T. 1 et 2, et dans « L’organisation économique communautaire dans les hauts-pays catalans », in Confient, Vallespir et montagnes catalanes, Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1980.

    3 Georges Lefèbvre, « La Révolution française et les paysans », dans Annales Historiques de la Révolution française, 1933, pp. 97-128 et nombreuses autres études.

    4 Albert Soboul, Les Problèmes paysans de la Révolution 1789-1848, Maspéro, Paris, 1976.

    5 La loi des Wisigoths organisait une pâture de droit commun sur les fonds non clos.

    6 Histoire de la France rurale, sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon, Seuil, 1976, T. 2.

    7 Henri Cavailles, La Vie pastorale et agricole dans les Pyrénées, Paris, 1931, p. 47.

    8 Eusèbe Laurière, cité par Marc Bloch, Les Caractères originaux de l’histoire rurale française, Oslo, 1931, p. 47.

    9 Les contrôleurs généraux Bertin (1759-63) et L’Averdy (1763-68), l’intendant des Finances Trudaine, le grand commis Le Fèbre d’Ormesson étaient acquis à ces idées.

    10 François Quesnay, Essai sur l’administration des terres, Paris, 1759.

    11 R. Maspétiol, L’Ordre éternel des champs, Paris, 1946.

    12 Mémoire sur le rachat des droits féodaux, 25 août 1789.

    13 A. Soboul. Les Problèmes paysans de la Révolution 1789-1848, Paris, Maspéro, 1976.

    14 Georges Lefèbvre, « La révolution française et les paysans », dans Annales historiques de la Révolution française, 1933, p. 153. « La place de la Révolution dans l’histoire agraire de la France », dans Annales d’histoire économique et sociale, 1929, pp. 506-520.

    15 Robert Laurent, « La lutte pour l’individualisme agraire à la fin de l’Empire », dans Annales de Bourgogne, Dijon, 1950, fasc. III, pp. 80-100.

    16 Philippe Vigier, « Les troubles forestiers du premier dix- neuvième siècle français », dans Revue forestière française, pp. 128-135.

    17 Emile Leynaud, L’État et la nature, l’exemple des parcs nationaux français, Florac, 1985.

    18 Ibidem.

    19 Cf. Geneviève Gavignaud-Fontaine, La Révolution rurale dans la France contemporaine, op. cit.

    Auteur

    Geneviève Gavignaud-Fontaine

    Professeur d’histoire contemporaine, Université Paul Valéry (Montpellier III).

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    1 Geneviève Gavignaud, La Révolution rurale de la France contemporaine, XVIIIe-XXe siècle, Paris, L’Harmattan, 1996. Cet ouvrage fait suite à un Essai sur la révolution rurale à partir du cas américain (U.S.A.), Roanne, Horvath, 1983. Entre-temps de nombreux articles ont permis d’expliciter ces notions.

    2 Cf. plus spécialement étudiés par l’auteur dans Propriétaires-viticulteurs en Roussillon, XVIIIe, XXe siècles, Paris, Publications de la Sorbonne, 1983, T. 1 et 2, et dans « L’organisation économique communautaire dans les hauts-pays catalans », in Confient, Vallespir et montagnes catalanes, Fédération historique du Languedoc méditerranéen et du Roussillon, Montpellier, 1980.

    3 Georges Lefèbvre, « La Révolution française et les paysans », dans Annales Historiques de la Révolution française, 1933, pp. 97-128 et nombreuses autres études.

    4 Albert Soboul, Les Problèmes paysans de la Révolution 1789-1848, Maspéro, Paris, 1976.

    5 La loi des Wisigoths organisait une pâture de droit commun sur les fonds non clos.

    6 Histoire de la France rurale, sous la direction de Georges Duby et Armand Wallon, Seuil, 1976, T. 2.

    7 Henri Cavailles, La Vie pastorale et agricole dans les Pyrénées, Paris, 1931, p. 47.

    8 Eusèbe Laurière, cité par Marc Bloch, Les Caractères originaux de l’histoire rurale française, Oslo, 1931, p. 47.

    9 Les contrôleurs généraux Bertin (1759-63) et L’Averdy (1763-68), l’intendant des Finances Trudaine, le grand commis Le Fèbre d’Ormesson étaient acquis à ces idées.

    10 François Quesnay, Essai sur l’administration des terres, Paris, 1759.

    11 R. Maspétiol, L’Ordre éternel des champs, Paris, 1946.

    12 Mémoire sur le rachat des droits féodaux, 25 août 1789.

    13 A. Soboul. Les Problèmes paysans de la Révolution 1789-1848, Paris, Maspéro, 1976.

    14 Georges Lefèbvre, « La révolution française et les paysans », dans Annales historiques de la Révolution française, 1933, p. 153. « La place de la Révolution dans l’histoire agraire de la France », dans Annales d’histoire économique et sociale, 1929, pp. 506-520.

    15 Robert Laurent, « La lutte pour l’individualisme agraire à la fin de l’Empire », dans Annales de Bourgogne, Dijon, 1950, fasc. III, pp. 80-100.

    16 Philippe Vigier, « Les troubles forestiers du premier dix- neuvième siècle français », dans Revue forestière française, pp. 128-135.

    17 Emile Leynaud, L’État et la nature, l’exemple des parcs nationaux français, Florac, 1985.

    18 Ibidem.

    19 Cf. Geneviève Gavignaud-Fontaine, La Révolution rurale dans la France contemporaine, op. cit.

    Le paysage rural et ses acteurs

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    Gavignaud-Fontaine, G. (1998). Usages, propriété, environnement : les mutations du paysage rural contemporain. In A. Rousselle & M.-C. Marandet (éds.), Le paysage rural et ses acteurs (1‑). Presses universitaires de Perpignan. https://doi.org/10.4000/books.pupvd.29002
    Gavignaud-Fontaine, Geneviève. « Usages, propriété, environnement : les mutations du paysage rural contemporain ». In Le paysage rural et ses acteurs, édité par Aline Rousselle et Marie-Claude Marandet. Perpignan: Presses universitaires de Perpignan, 1998. https://doi.org/10.4000/books.pupvd.29002.
    Gavignaud-Fontaine, Geneviève. « Usages, propriété, environnement : les mutations du paysage rural contemporain ». Le paysage rural et ses acteurs, édité par Aline Rousselle et Marie-Claude Marandet, Presses universitaires de Perpignan, 1998, https://doi.org/10.4000/books.pupvd.29002.

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    Rousselle, A., & Marandet, M.-C. (éds.). (1998). Le paysage rural et ses acteurs (1‑). Presses universitaires de Perpignan. https://doi.org/10.4000/books.pupvd.28812
    Rousselle, Aline, et Marie-Claude Marandet, éd. Le paysage rural et ses acteurs. Perpignan: Presses universitaires de Perpignan, 1998. https://doi.org/10.4000/books.pupvd.28812.
    Rousselle, Aline, et Marie-Claude Marandet, éditeurs. Le paysage rural et ses acteurs. Presses universitaires de Perpignan, 1998, https://doi.org/10.4000/books.pupvd.28812.
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