1À l’occasion d’une prospection-inventaire lancée à partir de 1987 par le Ministère de la Culture et concernant les deux cantons de Castelnaudary (Aude), nous avions réalisé un inventaire et un essai de localisation des églises rurales, des écarts à usage agricole ou artisanal (tuileries, poteries, moulins...) aux XIV^e et XV^e siècles. Nous avions pour cela utilisé les séries G et H, les registres notariaux et les livres d’estimes déposés aux Archives départementales de l’Aude.

2Nous avons élargi la recherche, en ce qui concerne l’habitat isolé, à l’ensemble du diocèse de Saint-Papoul. Celui-ci correspond en gros au Lauragais oriental, constitué d’une dépression molassique, le sillon de Castelnaudary, dans laquelle se sont installés les ruisseaux du Fresquel et du Tréboul, dépression encadrée par deux zones peu élevées (le plus souvent comprises entre 300 et 500 mètres) : au nord-est, la Montagne Noire, massif ancien ; au sud et au sud-ouest, les collines de la Piège. Au Moyen Âge, les céréales y étaient cultivées un peu partout, dans un système d’assolement biennal. On pratiquait aussi l’élevage : bovins et chevaux en faible quantité pour fournir les animaux de trait, moutons dans les collines de la Montagne Noire et de la Piège.

3L’habitat isolé apparaît dans les registres sous les vocables campmas, capmas, boria, boaria. Ces termes désignent l’unité d’exploitation : les bâtiments d’habitation et à usage agricole et tout autour, formant un seul bloc, les terres cultes et incultes (terres labourables, prairies naturelles et artificielles, vignes, bois et broussailles), souvent séparées des exploitations voisines par des routes ou des fossés. Un autre édifice, situé le plus souvent hors des murailles mais à proximité de celles-ci, est appelé borda. Le dictionnaire occitan-français établi par L. Alibert donne au mot borda divers sens dont chaumière, remise agricole, ferme, métairie, domaine agricole et fournit d’ailleurs comme synonymes boria, mas, capmas. Au bas Moyen Âge, c’est une grange, un bâtiment à usage agricole accompagné d’un lopin de terre, le plus souvent jardin ou verger. Il semble toutefois que le terme « borde » commence à prendre au début du XVI^e siècle son sens moderne de métairie : nous avons des mentions de bordes d’une dizaine d’hectares.

4Étant donné la présence d’une documentation abondante concernant la ville de Castelnaudary, en particulier des registres d’estimes, nous avons pu étudier de façon assez précise les exploitations situées sur le territoire de cette communauté. Nous arrivons à un total, pour la fin du Moyen Âge, d’au moins 115 fermes isolées, peut-être une vingtaine de plus étant donné que tous les quartiers de la ville ne sont pas recensés dans les estimes et que n’y figurent pas les biens non taillables. Ces écarts correspondent à peu près à 20 % des lieux d’habitation. Les documents concernant les villages étant moins nombreux, nous n’avons repéré que 67 exploitations isolées réparties sur le territoire de 27 communautés.

5Nous avons dans un précédent article recensé cet habitat isolé et essayé de le localiser1. Nous nous consacrerons ici à l’étude de ces exploitations (superficie, valeur vénale et d’estimation), de leurs propriétaires, et nous essaierons de voir ce qu’elles peuvent rapporter.

Les biens

6Les documents, quelle que soit leur nature, ne permettent pas de connaître l’aspect des fermes elles-mêmes. Nous savons toutefois que plusieurs bâtiments peuvent exister car il est fait mention de campmas cum bastimentiis, hospiciis, probablement bâtiments d’habitation et d’exploitation, étables, granges, porcheries, poulaillers... Certains comportent plusieurs maisons d’habitation à l’usage des multiples héritiers. Les notables propriétaires de fermes ont dû faire bâtir un lieu de résidence séparé de celui des exploitants. C’était du moins la norme au XVIII^e siècle.

7Nous ne pouvons compter sur l’archéologie pour nous préciser l’allure qu’avaient ces campmas car les bâtiments actuels sont situés sur l’emplacement de ceux du bas Moyen Âge. Il est toutefois probable que ces fermes étaient du même type que celles qui subsistent aujourd’hui : des fermes-blocs, où un même bâtiment rectangulaire, à un seul étage surmonté d’un grenier, orienté selon les vents dominants, est-ouest, abrite l’habitation du fermier ou du métayer, ainsi que l’étable (communiquant jusque dans les années soixante avec la salle) et la grange. Porcherie et poulailler sont en général distincts. Dans le cas de fermes occupées par plusieurs familles, nous avons des bâtiments multiples, généralement parallèles les uns aux autres.

8Les textes ne nous renseignent pas non plus sur l’aménagement intérieur des lieux d’habitation. Deux inventaires après décès nous indiquent seulement les animaux qui se trouvent dans le campmas. Un contrat de fermage mentionne quelques meubles et ustensiles de cuisine. Les différentes pièces ne sont pas énumérées.

9Nous avons par contre beaucoup plus de précisions (au moins dans les registres d’estimes) quant à la taille de ces exploitations, la nature des parcelles, leurs confronts.

– La superficie des exploitations 

– Superficie moyenne

10Nous connaissons seulement la superficie de 15 exploitations sur les 125 mentionnées (une fois enlevés les possibles doublons pour Castelnaudary et les villages)2. Même dans les actes de vente ou d’affermage, cette précision n’est que rarement apportée :

ainsi Jean et Vital Orliac achètent-ils une borie à Labécède « dicta vulgariter la boria del gorbelli » sans qu’en soit indiquée la superficie3 ; Hugo Pintonis, marchand de Castelnaudary loue à Jean et Bérenger Cuxac, une borie dans les dépendances de Souilhanels, à la « font domergat », avec toutes ses terres, des prés à l’autan (à l’est) et une nauze (mare) situés, eux, dans les dépendances de Castelnaudary4, sans plus de précision.

11Les rares exploitations dont la taille est mentionnée ont une superficie moyenne de 29 séterées (nous ignorons s’il s’agit uniquement des terres labourables) ; la séterée de Castelnaudary correspondant à 35,2 ares5, la superficie moyenne est donc de 10 hectares.

12Nous ne pouvons pas voir si elle varie selon la localisation (plaine de Castelnaudary ou hauteurs de la Piège ou de la Montagne Noire), faute d’exemple situé dans ces dernières zones.

13Dans les estimes de Castelnaudary (nous avons utilisé les registres du XV^e siècle et celui de 1516), la dimension de l’exploitation est généralement mentionnée mais soit la superficie totale des terres apparaît : « ung campmas de LVI sesteradas de tera quompres pratz, vignas, payssieus »6, soit les différents éléments de celle-ci : terres labourables suivies des malhols (jeunes vignes), prés, payssieux (prairies artificielles), bois et broussailles : « Johan Lobat ten et possedis ung campmas al base Ramonenx conten en sas terras laboradissos quarante quatre sesteradas una carterada una punherada et miega daquillo deldit campmas una sesterada de malhol et quart de punherada item aqui metys cinq sesteradas et cart de punherada de prat item aqui metys de totas pars deldit campmas cinq sesteradas très carteradas et una punherada de payssu item ung base a la ribiera de Fresqueilh conten quatre sesteradas tres carteradas dos punheradas... »7.

14Quand les rajouts concernent des champs, ce qu’on a donc tendance à considérer comme des terres labourables, pourquoi ceux-ci ne sont-ils pas notés avec les autres terres labourables ? S’agit-il d’achats postérieurs ? Ces terres ont-elles un seigneur différent ? Ce dernier cas semble fréquent.

Nous voyons par exemple que noble G. de Fontaynis est seigneur d’un campmas lieu-dit « a Font Vidal » : il lauzime la vente de ce campmas et de 9 séterées de terres contiguës dont il est unique seigneur puis celle de 10 séterées de terre dans les dépendances du dit campmas dont il est co-seigneur pour les trois quarts8.

15Les divers éléments de l’exploitation sont alors, sur le registre, reliés par une accolade et une seule valeur cadastrale est indiquée, signe que toutes ces terres sont jugées appartenir à un même ensemble :

ainsi, la confrérie Notre-Dame possède un campmas « au Fresquel » de 54 séterées et demi, une quartière et une pugnère, en confronts Anna Jacma veuve de Pierre de Montelhs, la route, Thomas Membrat et les héritiers de Raymond de Alayraco, un payssieu au nord du campmas d’une séterée et demi confront le campmas de tous côtés, un autrepayssieu au midi du campmas d’une quartière, en confronts à l’autan et au cers le capmas, au nord et au midi les héritiers de R. de Alayraco, suivent des parcelles situées dans le même secteur, le tout estimé ensemble 15 livres, preuve donc que c’est bien perçu comme une entité ; viennent ensuite des parcelles localisées dans d’autres zones et estimées à part9.

16Les registres d’estimes nous fournissent la superficie labourable de 166 campmas dont la superficie moyenne est de 33,43 séterées soit 11,76 ha. La norme dans la région était encore d’une douzaine d’hectares en 1945, surface que peut cultiver une paire de bœufs dans l’année. En effet, si l’on suit Walter de Henley, on peut labourer 35 ares en un jour, avec une charrue, lors des premiers labours, 40 par la suite. Dans cette région, il est fréquent de trouver dans les contrats de métayage des mentions de 7 labours, la jachère étant aussi labourée, ce qui donne au minimum 215 jours de labour pour une exploitation moyenne du Lauragais (à noter que l’araire est souvent mentionné dans les inventaires, le temps nécessaire au labour est alors plus court). Le terme de boaria, bouvée, a un peu partout le même sens : G. Duby dit ainsi qu’en dialecte italien, la boaria correspond à la quantité de terre que deux bœufs peuvent labourer dans l’année. Les exploitations lauragaises décrites semblent bien correspondre à ce schéma.

17Estimes et contrats de notaires donnent donc à peu près les mêmes résultats quant à la superficie moyenne. Ces fermes sont de taille modeste par rapport aux fermes d’autres régions : au XIII^e siècle, dans le comté de Vendôme, les métairies font en moyenne 35 ha (mais là, le plus souvent les terres sont dispersées), tandis que dans la région d’Arles, à la fin du Moyen Âge, les affars atteignent une soixantaine d’hectares10. En pays toulousain, G. Sicard indique des superficies comprises entre 15 et 80 hectares mais ne fournit pas de moyenne11. Nous ne trouvons des superficies comparables que dans la localité voisine de Pexiora où C. Mimiague indique la taille de quatre campmas du XV^e siècle et de trois du XVI^e12. Nous avons calculé la superficie moyenne qui est de 21,57 séterées (de 59 ares 28), soit 11,5 ha.

18Ces chiffres moyens recouvrent toutefois des écarts considérables :

à Pexiora, le plus petit campmas fait 3,74 ha, le plus grand atteint 26,2 ha ; à Castelnaudary, en gros, on va de 5 séterées à 115 soit de moins de deux hectares à une quarantaine. Le plus grand campmas du registre d’estimes CC 9, au début du XV^e siècle, est celui de Jean Niseti à Saint-Jean-des-Plats : il compte 100 séterées labourables. Dans le registre CC10 de 1496, un campmas de Jacques Le Roy, « a Fresquel », dépasse les 115 séterées, y compris 6 séterées de payssieu, bartes (bois) et brogues (broussailles) ; J. Le Roy possède de plus, en confront du campmas, une trentaine de séterées ; un campmas du chapitre Saint-Michel atteint les 100 séterées et celui du Capitoul appartenant à J. Flourens les 80 séterées de terres labourables auxquelles s’ajoutent 16 séterées de prés. Dans le registre CC 11, en 1516, le campmas le plus grand est toujours celui de J. Le Roy, passé à son fils, Martin13.

19En général, petites et grandes exploitations sont mitoyennes. Ainsi « a fontanillas » trouve-t-on des fermes de 60 séterées mais aussi de 12 ; il n’existe pas vraiment un secteur rassemblant les grosses fermes et un secteur de petites fermes. Tout au plus peut-on noter que les plus grandes fermes sont souvent dans les zones les plus fertiles, les plus chères aussi, en bordure des ruisseaux (Fresquel, Tréboul, ruisseau de Glandes).

Parmi les plus petits campmas, celui des héritiers de Bartholomé Ricard14, d’un peu plus de 5 séterées et comportant en confront deux prés, un champ et un malhol totalisant un peu plus de 4 séterées, celui des héritiers de Guilhem Anduza15 de 6 séterées et demi, une quartière et une pugnère de terres labourables auxquelles s’ajoutent trois parcelles de pré, malhol et payssieu pour à peu près 3 séterées.

20Ces propriétaires ne déclarent généralement qu’un seul campmas et n’ont pas toujours d’autres terres dans un autre secteur. Ils n’indiquent pas leur activité : exploitent-ils ces petits campmas eux-mêmes, parallèlement à une autre occupation ? Les donnent-ils en gasaille (bail à part de fruits) à quelqu’un qui tiendrait alors plusieurs campmas car il n’est guère possible de subsister avec une si faible superficie ? M. Zerner considère qu’en Comtat Venaissin, quatre hectares suffisent pour vivre dans une économie de polyculture16. Dans notre région, il nous semble qu’au moins huit hectares soit 24 séterées étaient nécessaires et encore les fermiers qui exploitaient une telle superficie entre les deux guerres survivaient-ils tout juste. Au XV^e siècle, le pastel est encore peu cultivé, les céréales dominent. À raison de 12 séterées emblavées d’où 60 setiers récoltés (5 grains récoltés pour un semé jusqu’au XIX^e siècle dans cette région), à 8 ou 9 sous le setier (cf. infra), le rapport en faire-valoir direct, pour une ferme de 24 séterées, tourne autour de 20 livres, une fois prélevée la semence pour l’année suivante. Bien sûr, la vente de produits animaux, de fruits et légumes peut augmenter ce revenu. Les gasaillers ou fermiers qui sont estimés dans les registres mènent des campmas d’au moins 26 séterées, le plus souvent de 60 à 80, signe qu’il fallait au moins une telle superficie pour que cela soit rentable17.

21Dans le village d’Issel, alors que les conditions pédologiques sont moins favorables, la taille moyenne des fermes en 1536 est de 22 séterées labourables (la séterée est celle de Castelnaudary) auxquelles s’ajoute une dizaine de séterées de brogues et bois. La plus petite borie est celle de Roquefort : 9 séterées 2 quartières une pugnère. Les plus grandes : une borie « al crussol » (55 séterées labourables et dans les 7 séterées de bois et prés) et la borie de Pech Caulet (45 séterées labourables et 28 séterées de brogues, bois et vigne)18.

22Nous avons seulement effectué des sondages quant aux superficies des parcelles diverses rajoutées à ces campmas. Elles représentent de 1/2 à 1/30 de la superficie des terres labourables. Généralement, dans le cas de bonnes terres de la plaine, les superficies non labourables sont réduites :

ainsi, Guilhem Barbin possède en 1516 un campmas de 31 séterées 3 quartières et demie à « las planas », dans la vallée du Tréboul, et il n’a comme annexe de celui-ci qu’un malhol d’une séterée et demie pugnère19.

23Par contre, les campmas situés dans des zones plus élevées ou au sol plus pauvre ou bien aux marges des terroirs, ont de grandes quantités d’annexes : prés, pâtures, friches et bois ;

24Antoine Parra possède une ferme située en limite du consulat de Castelnaudary, dans un secteur où subsistent aujourd’hui des bois, ferme qui compte 28 séterées labourables auxquels s’ajoutent un malhol de presqu’une séterée mais surtout un pré de 4 séterées et demie, un payssieu de plus de deux séterées et 15 séterées et demi de brogues20.

– Évolution de la superficie

25La superficie moyenne des terres labourables varie d’un registre d’estimes à l’autre. Elle progresse tout au long du XV^e siècle puis diminue légèrement début XVIe.

26Superficie moyenne des campmas (terres labourables seulement), d’après les registres d’estimes :

27Nous avons essayé de préciser cela en répartissant les campmas mentionnés dans les estimes en différents groupes selon leur taille, en considérant seulement les terres labourables.

28Répartition des campmas d’après la superficie (terres labourables seulement) :

291 = jusqu’à 20 séterées (soit 7 ha) ; 2 = entre 21 et 40 (soit de 7 à 14 ha) ; 3 = entre 41 et 60 (soit de 14 à 21 ha) ; 4 = + de 60 (soit plus de 21 ha) ; 5 = non précisé.

30Répartition en pourcentage des campmas dont la superficie est précisée :

Superficie des fermes

31Le corpus du CC 9 est plus restreint que ceux des CC 10 et 11, ce qui confère peut-être une certaine marge d’erreur aux résultats obtenus pour ce registre.

Répartition exprimée en pourcentages

32Au début du XV^e siècle, 5 % seulement des campmas dépassent les 40 séterées, près de six sur dix n’atteignent pas les 20 séterées, soit 7 hectares. À la fin du siècle, ces petits campmas ne correspondent plus qu’à trois fermes sur dix. Les grands campmas sont plus fréquents : plus du tiers dépasse les 40 séterées. En 1516, les petits campmas sont plus nombreux, les très grands (plus de 60 séterées) sont moins courants mais représentent toutefois 11,94 % de l’ensemble. Il faut garder à l’esprit toutefois que cette variation n’affecte qu’un corpus de 60 à 70 biens.

33Il est difficile de comparer nos résultats à ceux de M. Zerner dans le Comtat puisqu’elle ne parle pas de domaines constitués d’un seul bloc dans les campagnes, mais a recensé toutes les terres détenues par les estimés de cette région, la micro-propriété dominant puisque les superficies inférieures à 4 ha représentent 80 % du total et celles de plus de 16 ha, 1 %21. Il est évident que cette micro-propriété existe aussi en Lauragais, chaque estimé ou presque déclarant un champ et une vigne, la règle étant d’assurer son approvisionnement (en tout ou partie) en blé et vin.

34Nous pensions, a priori, trouver de grandes exploitations au début du XV^e siècle, le manque d’hommes facilitant l’achat de terres, et trouver vers la fin du siècle, en raison de la reprise démographique, une réduction des superficies moyennes, ce qui n’est pas le cas. Peut-être n’y a-t-il pas constitution de grandes fermes au début du XV^e par manque d’argent pour acheter les terres ou bien, en ce qui concerne les fermiers, pour acheter le matériel d’exploitation nécessaire. Peut-être n’existe-t-il pas d’exploitants potentiels du fait de la diminution de la population.

35Le phénomène de grandes fermes apparaît dans le registre de 1496, lié probablement à la reprise économique. Les marchands, les hommes de loi, ont alors investi dans la terre, achetant des domaines et les agrandissant peu à peu. Il ne semble pas qu’il y ait alors création de nouvelles exploitations isolées ex nihilo, par achats de parcelles diverses et construction de bâtiments, ou par défrichement. Alors que Ch. Mimiague note des créations à Pexiora au début du XVI^e siècle, à Castelnaudary, nous n’avons pas du tout cette impression. Un seul campmas est dit « bâti de neuf », en 1496, celui de Jean Borrasserii « a prat feneres » (multiples graphies : prat feneyres) avec 80 séterées de terre. Nous n’avons pas de mentions de campmas neufs dans les estimes de 1516 et en comparant les listes de fermes de 1496 et 1516, nous ne trouvons que 22 nouveaux toponymes dont une dizaine correspond à des campmas propriétés de déclarants apparaissant pour la première fois, le précédent recensement de leur quartier (celui de la Place) n’ayant pas subsisté. Si nous essayons de comparer d’une estime à l’autre, le nombre de campmas détenu par les habitants des divers ports, les déménagements ayant été probablement limités, nous ne notons guère de progression.

36Nombre de campmas possédés par les habitants des différents quartiers :

37Nous n’avons pas toujours les deux propriétaires des demi-campmas notés dans les estimes.

38Pour le registre CC 11 composé de cahiers réalisé à des dates légèrement différentes, nous n’avons considéré que la partie datant de 1516.

39L’évolution indiquée par le livre d’estimes de 1516 doit être, en partie, un effet de la reprise démographique qui a dû s’effectuer comme dans beaucoup de régions vers les années 1480 et qui apparaît dans les registres plus tardivement, lors des successions. On a effectivement dans le registre de 1516 des mentions de parts de campmas (et de parts d’ostals) plus fréquentes qu’en 1496, sans être toutefois généralisées (13 cas pour les campmas). Le plus souvent deux ou trois frères sont propriétaires de parts complémentaires de fermes. Ces campmas démembrés lors des successions ne peuvent toujours assurer la survie d’une famille de propriétaires-exploitants (c’est évidemment moins gênant pour un campmas-investissement).

Le partage du campmas de Guilhem Lobat assure 23 séterées labourables à chaque héritier plus 23 séterées de terres diverses autour du campmas ; celui de son frère Jean donne 22 séterées et demi de terres labourables plus 33 séterées de prés et autres à ses trois enfants.

40Que fait-on quand la ferme est trop petite ? Choisit-on un seul héritier, reste-t-on dans l’indivision22 ? Souvent dans les testaments, tous les fils et parfois même les filles sont faits héritiers universels en parts égales, si bien que l’indivision doit être fréquente, au moins tant qu’il y a des mineurs ou que la mère est en vie, ce qui expliquerait tous ces « héritiers un tel » effectuant les déclarations dans les registres d’estimes. Les héritiers multiples construisent dans les campmas des bâtiments pour leurs métayers et pour leur propre usage. Les deux fils de Jean et les trois de Guilhem Loubat ont dû procéder ainsi : le lieu-dit des Loubats était il y a encore quelques années un hameau, comportant plusieurs bâtiments d’habitation et d’exploitation sur des lignes parallèles. Nous voyons Raymond Auqueri vendre à son frère Jean, 10 séterées de terre et une maison du campmas des Auquerii, campmas dans lequel ils habitent, avec son aire et son jardin23. Ceci va encore se développer dans le courant du XVI^e siècle. Le cadastre de 1536 du Mas-Saintes-Puelles fait état de campmas comptant 7 ou 8 maisons dans lesquelles vivent parents, enfants et collatéraux24. Un peu plus tard, chaque héritier construisant sa maison, l’entassement est tel que ces fermes deviennent des masatges ou hameaux.

41La diminution de la taille des campmas peut être liée aussi à des difficultés économiques, car nous trouvons dans les registres notariaux des ventes de parts de campmas (cf. infra l’investissement).

– La valeur des biens

– Le prix d’après les actes de ventes 

42Grâce aux registres notariés, nous connaissons le prix de vente de 30 fermes (13 situées dans le consulat de Castelnaudary, 17 dans des consulats villageois). Plusieurs paramètres doivent expliquer ce prix : superficie et nature des parcelles de terre, présence d’alluvions, possibilités d’irrigation, état et nombre des bâtiments. Nous avons ainsi, à des dates proches, des prix très divers qui ne sont pas en rapport avec la seule superficie ou la qualité du sol :

des tapias (mur de pisé, d’où ruines) où il y avait un campmas avec 100 séterées de terre à Lepalop, secteur de bonnes terres, sont vendues 12 écus d’or en 1466 (soit 16 livres 10 sous)25. un campmas avec 25 séterées de terre à Fontanillas, secteur voisin (avec un sol de même qualité) est vendu pour 20 écus d’or en 1469 (soit 27 livres 10 s). La borie de Guilhem Anduze senior, à Cogurone, avec ses 32 séterées coûte 70 écus d’or en 1482 (soit 115 livres 10 s) alors que cent séterées de terre à Laurabuc (dans les collines de La Piège) valent 6 écus en 1497 (soit 10 livres 7 s 6 d tr). Les terres sont toutefois meilleures à Cogurone et plus faciles à cultiver.

43La fourchette des prix est très ouverte : de 5 livres tr le campmas franc de Rouzillac (en fait Les Pascals) à Issel en 1446 à 185 livres tr celui de Caraudy toujours à Issel en 141826. Nous ne connaissons pas la superficie de ces deux exploitations, mais les terres sont de même qualité, le ruisseau de l’Argentouïre passe tout près des Pascals, permettant la création de prairies inondables.

44Courant XV^e siècle (avec beaucoup d’exemples dans la première moitié du siècle), la moyenne des prix à Castelnaudary, d’après ces registres, est de 90 livres 1 s, et pour les villages de 60 livres 15 s 8 d tr.

Nous avons trois prix largement au-dessus de ces moyennes : 96 livres 5 s pour un campmas à Campgranier en 1449, 128 livres 18 s à Nauza fresilh en 1438, 185 livres à Caraudy en 1418.

45À partir de ces quelques exemples, il est impossible de savoir si le prix des exploitations varie au fil du temps car taille et prix ne sont indiqués simultanément que cinq ou six fois. De plus entraient en ligne de compte, nous l’avons déjà signalé, la qualité des sols et l’état des bâtiments.

– Le prix d’après le registre d’estimes de 1496 

46Ce registre d’estimes nous donne de tout autres résultats. En effet, si l’essentiel du livre nous fournit un état des biens et leur estimation, sans que soit mentionné un quelconque coefficient de réduction, le cahier consacré aux biens des habitants du port Dedins est beaucoup plus intéressant car si dans la marge de droite est indiquée l’estime du bien, dans la marge de gauche figure, la plupart du temps, un autre chiffre qui nous paraît correspondre à sa valeur vénale. D’après ce registre, une séterée de champ ou de pré coûte dans les 30 livres, une de malhol de 30 à 40 livres. Les campmas ont une valeur comprise entre 60 livres (un de 5 séterées) et 650 livres (le campmas de 115 séterées labourables de J. Le Roy à « Fresquel »). La moyenne des prix pour 36 exemples est un peu supérieure à 235 livres, deux fois et demi la moyenne obtenue à partir des registres notariés, ce qui laisse penser que la fin du XV^e siècle doit correspondre à une période de hausse des prix qui peut s’expliquer par la reprise démographique.

47Il n’existe pas, semble-t-il, de rapport entre le prix d’un champ et celui de toute une exploitation : le plus souvent, si l’on ne tient pas compte de la présence de bâtiments, le prix moyen de la séterée de bonne terre de campmas varie entre 5 livres 1/2 et 6 livres. Nous avons tout de même un campmas de trois séterées, vers le Tréboul, valant 100 livres et un de 8 séterées à Pech Landric, vers le Fresquel, atteignant 200 livres (alors qu’un campmas de 41 séterées, à Saint-Jean-des-Plats, ne vaut pas plus).

48Pourquoi certains campmas sont-ils si chers ?

49Leur valeur n’est pas fonction en tous cas de l’éloignement par rapport à la ville, ni de leur taille. Doivent surtout jouer les conditions pédologiques et la possibilité d’irriguer les terres : les fermes proches des ruisseaux sont généralement plus chères que les autres. Le registre d’estimes de 1698 est réalisé selon le principe : bonne terre, moyenne, faible27. Il y est question d’une première délibération effectuée en 1675. Comme la municipalité ne possède qu’un vieux cadastre de près de deux siècles (probablement celui de 1496), on décide alors d’en faire un nouveau en 1676, la séterée de bonne terre labourable étant allivrée huit sous, la moyenne six sous et la faible trois sous. Pour les bois, vignes et prés, la séterée bonne à 10 sous, la moyenne à 7 sous 6 deniers, la faible à 3 sous (même type d’estimation dans le registre, rédigé à la même époque, de la communauté voisine du Mas-Saintes-Puelles28 ; les moulins à vent à 20 sous, à eau 20 sous chaque meule, les tuileries 40 sous. Les maisons sont évaluées selon la contenance et le lieu. On devait avoir ce genre d’estimation au Moyen Âge et non une division du terroir en zones plus ou moins proches de la ville comme c’était le cas en Comtat29.

50Les campmas voisins, à même type de sol, ont des valeurs vénales comparables :

ainsi ceux de M. La Cam, d’A. Parra, des frères Pujol, de B. Crotz, situés à 500 mètres les uns des autres, dans des terrains médiocres, respectivement de 22, 28, 40 et 66 séterées valent 100, 100, 140 et 300 livres.

51Des campmas établis près du Fresquel, dans des terres alluviales, sont comparativement plus chers :

celui d’Auriol, de 42 séterées, vaut 275 livres, les deux campmas des Loubat près du même ruisseau valent 350 livres, l’un avec 65 séterées, l’autre avec 68 séterées de terres labourables, malhols, prés, payssieux et bois. De même, la ferme d’Arnaud de Lyas, à Cogurone, secteur de bonnes terres, avec des sources, vaut 400 livres avec ses 65 séterées labourables et 8 séterées d’annexes. Le campmas de J. Le Roy, toujours près du Fresquel, de 145 séterées en tout, est un peu moins cher comparativement : 650 livres ; les bâtiments sont-ils moins nombreux, en plus mauvais état ou assiste-t-on à un arrangement vu que J. Le Roy est lui-même estimateur ? Cette hypothèse semble la plus vraisemblable.

52Un campmas d’une trentaine de séterées coûte, à Castelnaudary, à la fin du XV^e siècle, dans les 200 livres tr. À cette date, une paire de bœufs vaut en moyenne 15 à 16 livres tr, une hôtellerie (en fait grande maison avec verger et puits, hors la porte de la Bastide), est vendue 60 écus d’or soit 82 livres 10 sous. À la même époque, une demi-maison est vendue 3 écus à 27 s 6 d tr soit 4 livres 2 s 6 d, une maison dans le village de Peyrens 36 écus soit 49 livres 10 s. Cinquante ans plus tôt un moulin à vent était vendu 137 livres 10 sous, un autre 61 livres 13 s 4 d tr. En 1423, à Issel, Bartholomé et Jacoba Arnaldi échangeaient leur capmas situé « ad bosquetum » contre 1/2 hospicium en indivis appartenant à Pierre Amaldi junior qui leur est apparenté ; celui-ci devait donner au dit couple 11 moutons d’or et 11 livres tr vu que le campmas valait plus que l’hospicium30, cet échange se rapprochant fort d’une donation, le prix du campmas devait être minoré.

53Peut-on pour autant déduire de ces quelques exemples qu’une ferme de 12 hectares avec ses bâtiments coûte en moyenne le prix de trois grandes maisons ou de vingt-cinq à trente bœufs ?

– La valeur d’estimation

54La valeur vénale des biens fournie par le registre de 1496 nous permet de connaître le coefficient de réduction que les livres d’estimes ne nous fournissaient pas. Ce coefficient est connu pour Toulouse, fin XIV^e et début XV^e : d’après le registre CC2 de 1391, pour les biens-fonds situés en dehors de la ville, on porte la moitié de la valeur réelle pour ceux situés dans le gardiage (Ph. Wolff a repéré une métairie du gardiage taxée 50 livres et effectivement acquise trois ans plus tôt pour 100 livres (avec un peu moins de terres), 1/3 pour ceux situés dans la viguerie, 1/4 pour ceux situés dans la sénéchaussée. Dans le registre dit de Merville, un peu postérieur à 1405, on porte, dans les mêmes circonstances, 1/4, 1/6, 1/8 de la valeur réelle ; les taxes baissent au fur et à mesure qu’on s’éloigne de la ville. Le registre de 1405 réduit donc de moitié, en campagne, la valeur taxée des immeubles par rapport à celui de 139131. La réduction des cotes d’estimes est classique alors car l’administration royale cherche à les utiliser, d’où le désir des consulats de donner aux officiers royaux une impression de moins grande richesse. Cela sera encore plus net par la suite car l’estime devient royale avec Charles VII dont les commissaires doivent relever le nombre de ménages et les facultés de chacun. Les municipalités réduisent à nouveau le montant de leurs estimes, comme à Toulouse et Albi32. Les vérifications n’ont pas forcément lieu.

55Il semble que ce phénomène de réduction soit une tendance constante au cours des siècles car on le retrouve dans le cadastre de Castelnaudary du XVII^e siècle. En 1698, quand on commence la rédaction des estimes, on réduit la taxation : la bonne terre labourable est taxée 6 sous, la moyenne 4, la faible 2, les vignes et bois de bonne terre 8 sous la séterée, de moyenne 5, de faible 2 sous 6 deniers. Les pacages sont taxés comme la terre labourable, les jardins à 12 sous la séterée, les moulins à vent à 16 sous, à eau, 16 sous par meule, les tuileries 36 sous. En ce qui concerne les maisons : « les experts y mettront l’allivrement telle qu’ils estimeront par rapport à la situation, commodité ou incommodité. »

56Début XVe, à Castelnaudary (registre CC9), l’estime moyenne des campmas est de 20 livres. Si l’on s’en tient au prix moyen fourni par les actes notariés, elle représente 1/5 de la valeur des biens. Le Lauragais oriental est alors bien loin du Toulousain où les campmas étaient estimés 70 ans auparavant de quelques dizaines à quelques milliers de livres tournois. Ph. Wolff donne les exemples de la borie d’Arnaud Bernard Rous cotée 4000 livres, de celle d’Etienne de Castelnau cotée 2500 livres, il a toutefois des bories à 100, 120 livres aussi33.

57Nous n’avons pas beaucoup de campmas dans le registre CC 8 de 1431 mais nous connaissons la valeur vénale de l’un d’entre eux, celui du chanoine Jean de la Terrade « a camp piulat », qui compte 30 séterées et est estimé 30 livres. J. de la Terrade possède en outre 20 séterées contiguës à ce campmas estimées 8 livres. Il donne cette ferme, en 1421, à la collégiale Saint-Michel, sous réserve d’usufruit, en remplacement de 200 livres léguées précédemment pour une chapellenie34. On peut donc supposer qu’il estime la valeur vénale de ce campmas à 200 livres (à moins qu’il ne veuille réduire son legs). L’estime correspond à peu près à 1/7^e de la valeur du bien (s’il n’inclut pas dans ce campmas les terres voisines).

58Dans le registre CC 10 de 1496, l’estime moyenne est de 10 livres 3 sous seulement (une réduction de moitié par rapport au CC 9). Les exploitations de 30 à 40 séterées passent donc d’une estimation de 20-30 livres à une dizaine. Le campmas den Fizas tenu par le chapitre est côté 40 livres en CC 9, 20 en CC 1035. Bernard Sarrasi possède un campmas de 4 séterées estimé 15 livres36. Le même campmas détenu ensuite par Guiraud Franc est estimé 5 livres37. La plus forte estimation, pour un campmas de 115 séterées est de 32 livres 5 s.

Nous trouvons des estimations très faibles de l’ordre de 2 ou 3 livres : campmas de 12 séterées « a Fontanillas » 3 livres (f° 12 v°), 1/2 campmas « al mal pas » 1 livres 4 s (f° 16 r°), 1/2 campmas « a Tréboulh » de 16 séterées labourables 3 livres (f° 163 v°), 1/2 campmas de 38 séterées « a la Nauzelle » 3 livres 4 s (f° 166 r°), campmas de 56 séterées à Saint-Andrieu 6 livres (f° 26 v°).

59La réduction opérée est semblable à celle du registre de Merville concernant les biens situés dans la sénéchaussée. Il faut apparemment que les petits consulats soient compétitifs par rapport à Toulouse pour attirer les déclarants. La baisse est amorcée dès le registre de 1431. En 1495, l’estime représenterait un dixième de la valeur des biens si l’on se base sur les registres de notaires ; en fait, en utilisant la valeur vénale fournie pour 36 campmas du registre, on s’aperçoit que la taxation est bien plus faible : les campmas sont taxés entre 4 et 5 % de leur valeur, le plus souvent à un sou par livre, si bien que l’estime représente un vingtième de la valeur vénale. Les parcelles de terre sont taxées au vingtième au-delà de 20 livres, au quarantième en dessous de 20 livres, soit 6 deniers par livre. La taxation est extrêmement faible par rapport à Toulouse, mais c’est 90 ans plus tard.

Valeur cadastrale des campmas :

60Si, dans l’ensemble, les déclarants résidant port Dedins en 1496 voient leurs campmas estimés entre 4 et 5 % de leur valeur vénale, parfois la taxation est plus forte : une à 6,15 %, celle du campmas des Cap de Biau à Pontgourse, une à 7,25 %, celle des héritiers Alayrac, une à 10 %, celle de la ferme de N. Dauriac. C’est la même chose pour les parcelles de terre, puisque nous avons une taxation à 13,3 %, celle d’un malhol appartenant à J. Villeroux : la valeur vénale est de 15 livres mais il est estimé 2 livres. Nous avons aussi des sous-taxations : le campmas de Peyre Auriol à 3,75 % (valeur vénale 400 livres, estime 15 livres). On ne fournit pas d’explication à ces anomalies. Certains déclarants sous-taxés ont vu cependant leur estime rectifiée : G. de Caussidières dont le campmas était estimé 7 livres 10 s pour une valeur vénale de 200 livres voit son estime portée à 10 livres. Les arrangements concernant les biens des estimateurs ou des consuls (fréquents lors des rédactions des estimes d’après les études réalisées)38 ont porté plutôt sur la valeur vénale des biens, la fraude étant ainsi moins visible. Le chapitre Saint-Michel semble quand même bien traité : 80 séterées au Fresquel sont estimées 9 livres, 80 à Pech Contrasty 9 livres aussi (nous n’avons pas la valeur vénale de ces biens) mais des terres situées dans la même zone et appartenant à des particuliers sont estimées bien plus : les héritiers Cap de Biau ont 60 séterées labourables au Fresquel et une trentaine de séterées de prés, friches et bois autour estimées 30 livres tr. La force de persuasion du chapitre reste importante lors de la rédaction des registres suivants puisqu’en 1698, la Grand-Rue où il possède beaucoup de biens étant la plus taxée, il fait appel et l’on décide de modifier l’assiette...

61Le registre CC 11 ne fournit que peu d’estimations et dans le cahier antérieur à 1516, on peut noter toutefois que la cote moyenne remonte et rejoint à peu près celle du début du XV^e siècle.

62Pour savoir ce que la valeur d’estimation donnait en matière d’imposition, nous n’avons que le registre de taille de 149239. On y trouve mentionnés 459 contribuables mais de nombreux estimés de 1496 ne figurent pas parmi eux. Si nous prenons le seul port de la Baffe, nous avons 38 contribuables en 1492 (dont deux cas où ce sont deux probables cohéritiers qui payent une taille). Nous retrouvons 26 d’entre eux dans le registre CC 10 (12 disparus tout de même en 4 ans) et nous avons 24 autres estimés ; près de la moitié des déclarants n’est donc pas taillable, jusqu’à une estime apparemment de 7 livres. Quant à ceux qui payent effectivement la taille, il est difficile de savoir comment elle est calculée puisque des personnes n’étant estimées que pour leurs biens immobiliers payent une taille représentant de 0,81 (le chapitre Saint-Michel !) à 15 % de leur estimation ; la taxation la plus courante étant de l’ordre de 4 à 7 %. Il est quand même peu probable que de telles variations, touchant la moitié de notre corpus, soient explicables par de fortes modifications de si nombreux patrimoines en l’espace de quatre ans.

Les hommes

Les propriétaires de campmas 

63Nous connaissons l’activité d’à peu près un quart des personnes intervenant lors d’actes passés devant notaire (ventes, locations, lauzimes, donations, échanges). La profession des déclarants n’apparaît que rarement dans les registres d’estimes (sauf s’il s’agit de gens d’Eglise) mais nous les avons parfois retrouvés dans les registres notariaux : B. Sarrazi, B. Ricardi, J. Le Roy, P. Gast sont marchands, Th. Membrat et Estève Gervais hôteliers... Nous pensons que ces indications ponctuelles sont à peu près représentatives des catégories socioprofessionnelles des propriétaires de campmas.

Propriétaires de campmas

64Les marchands apparaissent, comme c’est le cas un peu partout, en tant que principaux propriétaires d’exploitations rurales, suivis par l’Église et son personnel. Les chapelains détiennent souvent des campmas légués en échange du service d’une chapellenie, le nom du précédent propriétaire est alors indiqué40. Ils peuvent aussi en avoir à titre d’héritage, en acheter41 : R. Teulini, prêtre, avait acheté un campmas au chapitre pour 120 francs d’or, il meurt avant d’avoir fini de payer, son frère Guilhem, n’ayant pas les moyens d’acquitter cette dette, rend le campmas au chapitre42. Les hommes de loi se constituent eux aussi une propriété foncière. Quelques artisans achètent des campmas. Les laboureurs apparaissent peu, peut-être parce qu’ils n’effectuent aucune transaction, conservant leur patrimoine inchangé, le transmettant à leurs enfants.

65Ces exploitations composées d’un seul bloc de terres correspondent dans certaines régions à des éléments de la réserve donnés en fermage ou métayage. Mais ici, ce n’est pas le cas, sauf exception. Les fermes propriétés des nobles sont très rares. Elles sont absentes des registres d’estimes sauf si elles sont taillables, ce qui est le cas pour seulement deux d’entre elles (la ferme de Pratfeneres appartenant au seigneur de Peyrens, celle de La Terrade propriété du seigneur de Fendeille). Elles peuvent toutefois y apparaître en tant que confronts. C’est ainsi que nous connaissons l’existence des fermes de Barbontier, propriété du seigneur de Souilhe, de La Rouquette, aux mains d’un marchand à noblesse récente, Julyan Villaroux. Elles réapparaissent parfois dans les registres notariaux : le seigneur de Fendeille donne son campmas de La Terrade en fermage contre une rente en nature43 (40) ; celui de Peyrens, Jean Borrasserie, loue le sien par un bail reconductible de 29 ans en 29 ans44.

66L’aristocratie locale est assez médiocre, les co-seigneuries sont fréquentes (même sur de petits villages), étant donné le partage des biens entre tous les héritiers, filles comprises. Beaucoup de réserves ont dû être vendues dès le XIII^e siècle. Les familles plus importantes, touchées par l’hérésie, ont été, elles, dépossédées de leurs biens (vente des encours d’hérésie). Les quelques métairies nobles qui apparaissent dans des actes datant de 1550-1551 dans les villages (Soupex, Pexiora, Montferrand), existaient probablement à la fin du XV^e siècle.

– Des campmas francs ou non ?

67Les registres d’estimes ne précisent jamais si les biens déclarés sont francs ou non. Une exception toutefois : si la valeur cadastrale du campmas d’Anna Jacma veuve de Pierre de Montelhs45 est faible, c’est parce que le cens payé au roi, précise le document, est élevé. Dans les actes provenant des séries clergé régulier, clergé séculier et des registres notariaux, un seigneur est mentionné pour une ferme sur trois. Le plus souvent, il s’agit d’une ferme située sur un terroir villageois. Les acheteurs fortunés ont pu racheter les droits féodaux qui sont indiqués principalement quand le bien n’est qu’une borde (au sens de grange, remise) ou une parcelle de terre.

68L’absence de mention de redevance ne prouve pas qu’un bien soit franc. On peut supposer que, s’il l’était, on le préciserait car sa valeur en est augmentée.

Le campmas des Martini à Rieutort est dit franc dans l’acte d’échange avec J. Niseti, sauf trois séterées ou à peu près à l’est qui relèvent de G. Jaques (sur 40 séterées). Le campmas de Rousillac à Issel vendu en 1446 par Guilhem de Baure à Peytavine veuve de Pierre Pascal, à ses deux fils et peut-être au frère de Peytavine et au fils de celui-ci, est dit « franc et libre46 ». Il semble y avoir deux campmas sous le même toponyme car l’évêque de Saint-Papoul a acheté en 1430 une « boriam de Rosilhac bonam et pulcram », cherchant à constituer un bloc de terres dans ce secteur : achat du « territorio de Rosilhac » en 1415, de la borie en 1430, possession près de celle-ci d’un bois mis en défens47. Il est peu probable que cette borie ait déjà été mise en vente, la première semble correspondre en fait à l’actuelle ferme des Pascals et la deuxième à celle de Rouzillac. Nous trouvons aussi une borde franche hors la porte Goufferand, à Castelnaudary, celle de Pétrone Raphi, une autre à Villeneuve-la-Comptal, près de la chapelle rurale de la Gavarre48.

69Il n’est pas toujours facile de connaître le seigneur d’un bien, car si des redevances sont parfois signalées, le nom de leur percepteur ne l’est pas et dans un cinquième des actes, si le nom du seigneur est mentionné, son activité n’est pas précisée.

70À partir des documents fournissant nom et qualité des seigneurs, nous voyons que ceux-ci sont traditionnellement les nobles du voisinage49, en tout 14 personnes qualifiées de « nobilis », « miles » ou « dominas ». Viennent ensuite le chapitre Saint-Michel et quelques confréries locales. Des hommes de loi et des marchands de Castelnaudary apparaissent aussi. Quelques seigneurs plus lointains sont mentionnés : le collège Saint-Martial de Toulouse, l’abbé de Saint-Pons-de-Thomières, le roi en tant qu’héritier du comte de Toulouse. Certains sont seigneurs de plusieurs biens : le roi qui apparaît pour six bordes, deux campmas (en co-seigneurie) ; la famille de Fontaynis repérée à 10 reprises, Gaston de Lévis, seigneur de Léran (Ariège) mais aussi de Souilhe, des hommes de loi ou des marchands locaux50. Certains biens même de faible importance ont plusieurs seigneurs51.

71Le plus souvent, la redevance mentionnée est le cens. Les deux tiers des cens sont en argent, allant de 5 d tr à 4 gros soit 60 d tr. Parmi les cens payables en nature, le plus élevé est de 4 setiers de froment, au Mas-Saintes-Puelles (on ne connaît pas la taille du campmas). Le setier de Toulouse étant en usage dans cette localité, cela représente 2 livres tr à peu près en année normale au début du XV^e siècle. Une lauzime réalisée par Sicard de Salesses, le seigneur d’Issel, en 1405, nous le montre percevant 1/9^e du fruit d’un campmas. À part ces deux exemples, nous avons l’impression de cens légers, seulement récognitifs. Les termes d’agriers ou de tasque ne sont pas employés.

72Ces cens qui rapportent assez peu sont l’objet d’un commerce actif, accompagnés des oblies et autres droits. Nous voyons ainsi un bien changer de seigneur au fil du temps : en 1418, le seigneur du campmas de Pongaoujous était un habitant de Castelnaudary, G. Ebrardi, qui en tirait 5 d tr de cens. Quelques décennies plus tard le seigneur en est Gaston de Lévis52. En 1487, noble Pons Calmetas de Labessière, dans la vicomté de Lautrec, mais ancien habitant de Villeneuve-la-Comptal, vend à noble Jean de Turre, du dit lieu, tous les cens, oblies et services qu’il a sur le campmas des Artels pour 6 livres tr53. L’acte ne fournissant malheureusement pas le détail de tous ces droits, on ne peut savoir si les cens sont surestimés comme en Comtat54, mais ils doivent être là aussi affaire de prestige et se vendre relativement cher. un exemple toutefois : dans le registre 3 E 9474 sont rassemblés toute une série d’actes concernant la famille Amiel : noble sire Guiraud Amellii, bourgeois de Toulouse, seigneur de Tréville et, dix ans plus tard, de Tréville et d’Airoux, puis son fils. Plusieurs habitants de Tréville assignent un cens sur leurs propres terres et le vendent (pour payer des dettes ?) à Guiraud. Le prix est toujours à peu près le même : un cens d’une carteria de froment est vendu un écu (à 27 s 6 d tr). Le setier de blé à ce moment-là coûtant en moyenne 8 sous, la carteria en valant deux, l’achat de ce cens correspond à 14 ans de rapport de celui-ci.

73Quelques personnes investissent plus particulièrement dans ce domaine :

Jean Niseti, licencié ès lois, dans le registre d’estimes CC 9, déclare plusieurs rentes, cens ou oblies : 9 setiers de froment et 4 d’avoine (valeur marchande de l’ordre de 4 livres 8 s), estimés 14 livres tr puis le chiffre est biffé et l’estime est descendue à 11 livres 10 s tr ; 4 s 7 d tol de cens (soit 9 s 2 d tr) reposant sur des terres ou des immeubles en ville estimés 2 livres tr55. L’estime correspond à trois ou quatre fois le rapport de la rente. À Saint-Flour, on multiplie chaque cens en argent par 20 fois sa valeur56. Existe-t-il des coefficients particuliers de réduction, cinq séterées de terre ayant par exemple la même valeur d’estimation alors qu’elles rapportent beaucoup plus, dans les 5 livres, dans un système d’assolement biennal, comme nous allons le voir. La fraude plus aisée quant aux déclarations de rentes suffit-elle à expliquer la forte estimation ?

La terre : un investissement fréquent ?

74Nous allons essayer de le voir à partir des registres d’estimes de Castelnaudary, en gardant à l’esprit que les biens situés hors du consulat n’y figurent pas, ce qui nous conduit à sous-évaluer les propriétés rurales. En effet, les habitants de cette ville (marchands, hommes de loi...) investissent fréquemment dans les villages, ce dont nous nous apercevons à partir des registres de notaires.

– Les biens immobiliers d’après les registres d’estimes 

75En 1496, 179 déclarants sur 494, soit 36,23 % ne possèdent aucun bien immobilier. Les 315 autres détiennent 80 campmas et 373 ostals soit en moyenne 1,43 biens immobiliers par propriétaire (nous ne tenons pas compte des bordes). Si l’on considère seulement les laïcs détenteurs de biens immobiliers (les clercs sont la confrérie Notre-Dame, le chapitre et 36 chapelains), le total est légèrement supérieur : 1,46.

76Les résultats sont assez proches de ceux obtenus pour Toulouse en 1459 : 31 % des estimés n’ont pas d’immeuble, les autres en détiennent 1,5757

77L’investissement en biens ruraux est très fréquent :

66 propriétaires sur 315, soit 20,95 %, détiennent une ou plusieurs fermes. Le chapitre Saint-Michel et trois chapelains déclarent 10 exploitations dont une en ruines et 19 ostals, la confrérie Notre-Dame un campmas. Les 61 laïcs détiennent 60 campmas, 9 parts de campmas et 42 ostals. Pour ces propriétaires de campmas, laïcs ou ecclésiastiques, la moyenne des biens immobiliers possédés atteint 2,13. Si l’on considère seulement les laïcs, elle est de 1,81.

78Généralement, un individu ne possède qu’un seul campmas (48 cas), 5 n’ont qu’un demi-campmas, 3 un tiers de campmas. un propriétaire possède un campmas et la moitié d’un autre ; 5 ont 2 campmas, le chapitre Saint-Michel et J. Villeroux en possèdent 6.

79Trente déclarants possèdent un ou plusieurs campmas et n’ont pas d’ostal en ville ; il s’agit du seigneur de Peyrens, J. Borrasserie, recensé Port-Sainte-Croix, du seigneur de Fendeille, recensé port de la Baffe (donc possédant tous les deux des ostals non taillables dans ces ports) et de 28 individus résidant dans leur campmas et recensés port Dedins ; ces 28 personnes représentent 45,9 % des détenteurs de campmas. Sont-elles pour autant des exploitants ? Il ne le semble pas, au moins pour certaines d’entre elles, car nous avons rencontré dans ces mêmes registres d’estimes ou dans le registre de taille de 1492 des gasaillers ou des fermiers installés dans ces campmas. Les propriétaires résident probablement dans un bâtiment séparé du corps de ferme, la « maison de maître ». Celles de l’époque moderne existent encore.

80Si l’on considère les 31 laïcs à la fois propriétaires ruraux et urbains, la moyenne de leurs possessions s’établit à 2,3 biens par individu, la moitié de ces déclarants possède deux ostals en ville, ce qui n’est guère la norme. En effet, 198 déclarants ne possèdent qu’un ostal, 21 n’en détiennent qu’une part (souvent une moitié), seuls 51 déclarants en ont deux, 15 plus de deux.

81Dans le registre CC 11, 90 déclarants sur 326 n’ont pas de biens immobiliers, soit 27,6 % et même, si l’on exclut le port de la Place où vivent les plus riches, 85 sur 280 soit 30,35 %, moins qu’en 1496. Pour les 236 qui possèdent des biens immobiliers (68 capmas + 339 ostals) la moyenne est de 1,72 bien par individu, plus élevée qu’en 1496, ce qui semble indiquer un enrichissement. À Toulouse, cet enrichissement s’est réalisé au cours du XIV^e siècle.

82Les possessions urbaines consistent généralement en un ostal, parfois deux. Seuls 13 déclarants, propriétaires ou non de campmas détiennent 3 ostals ou plus, le record étant de 7 ostals et une part d’ostal.

83Sur 236 propriétaires, 57 personnes possèdent une ou plusieurs fermes, soit 24,15 %, plus que 20 ans auparavant. Ces individus détiennent 68 campmas et 86 ostals en tout ou partie, soit 2,7 biens immobiliers par personne. Ces 57 personnes ont un ou plusieurs campmas. Les héritiers de J. Villeroux sont les mieux pourvus avec 6, quatre personnes en possèdent deux, une en détient un et demi, trois en ont un tiers, dix en ont un demi, tous les autres possèdent un campmas.

84Les possesseurs de biens ruraux sont mieux pourvus en moyenne en biens immobiliers urbains que 20 ans plus tôt : beaucoup, parmi ceux qui ne détenaient que des campmas en 1496, possèdent un ou plusieurs ostals en ville58. Quelques propriétaires de fermes qui avaient déjà un ostal en ville, en ont acheté d’autres : D. Domerc, les héritiers de Th. Membrat...

85Seuls, huit propriétaires de fermes59, dont 2 domiciliés dans une autre localité, ne possèdent pas de biens urbains, soit 14 % contre 45,9 % en 1496.

86Les 49 propriétaires de biens-fonds ruraux et urbains détiennent 68 fermes et 86 ostals soit une moyenne de 3,14 biens immobiliers par individu contre 2,3 en 1496. En général, la fortune moyenne se compose d’un campmas et de deux ostals (une résidence d’hiver, une maison de rapport ?).

Biens immobiliers détenus par les propriétaires de campmas 

87D’après ces registres, l’idéal du propriétaire terrien semble être la constitution d’un domaine d’un seul bloc (avec peut-être l’exception des malhols parfois éloignés des campmas pour bénéficier d’une pente bien exposée, d’un terroir plus favorable). On souhaite agrandir sa parcelle, son exploitation, en achetant les terres voisines :

en 1496, le marchand Julyan Villaroux possède un campmas et plusieurs biens à Combe Juliane à l’est de la ville, il a aussi diverses parcelles et quatre campmas, à l’ouest de la ville, dans un secteur allant de Saint-Michel-de-Cogurone au village de Souilhanels (campmas à « Cogurone », campmas de Gaubert toujours à Cogurone, condamine à « Pontoustou », campmas à « Plan Capel », près de Souilhanels, distance maximum 2 km). En 1516, ses héritiers possèdent quatre campmas à Cogurone (dont un qui appartenait précédemment à Jean de Lorda, un autre à Anna Jacma veuve de Montelhs) et le campmas de Pontoustou. Ils n’ont plus le campmas de Plan Capel qui n’était pas mitoyen des autres, la superficie de ces biens est passé de 60 à 78 séterées.

Nous retrouvons un même souci de remembrement des terres chez Jean Niseti qui, avec son épouse, échange son campmas situé à Saint-Jean-des-Plats (d’après le registre CC9 il atteint 100 séterées et est estimé 35 livres tr) contre celui du couple Martini, faisant pièce à ses possessions du Tréboul (moulin, terres). Les Martini donnent aux Niseti 30 moutons d’or car le campmas de Saint-Jean-des-Plats vaut plus que le leur60.

88Nous notons, à tout le moins, une tendance à la concentration des biens immobiliers dans un même secteur. Ainsi, il n’y a que 750 mètres entre le campmas d’Estève Gervays et son hôtellerie, ses trois bordes sont tout à côté de celle-ci. Les héritiers d’Arnaud Cap de Biou possèdent deux campmas et divers champs dans la vallée du Fresquel. Jean Borrasserii, le seigneur de Peyrens, bâtit un nouveau campmas sur le territoire de Castelnaudary mais en limite de celui de Peyrens.

89D’après ces registres d’estimes, un enrichissement général semble s’être produit en une vingtaine d’années. Le nombre de propriétaires s’est accru et les plus aisés, souvent liés au monde du commerce, ont fortement augmenté leurs possessions, urbaines et rurales. Ces achats sont-ils dus à un accroissement de leur richesse ou bien à une réorientation des investissements ? Dégage-t-on les capitaux des affaires pour acheter des biens fonciers ? Dans un but spéculatif, le prix des domaines semblant monter ? Ceux-ci rapportent-ils plus que l’argent investi dans des sociétés ? Il est difficile de répondre à certaines de ces questions. En effet, on ne connaît pas en 1516 le « cabal et moble » des estimés, on ne peut comparer les prix de mêmes domaines entre 1496 et 1516...

90Nous avons essayé de voir toutefois comment évoluaient les investissements en biens ruraux. Sont-ils durables ou s’agit-il de placer commodément les revenus tirés du commerce puis de les désinvestir rapidement ? Vend-on certains biens ruraux pour acheter ailleurs et plus particulièrement en ville ?

91Nous pouvons repérer les changements de propriétaires dans les registres de notaires mais aussi dans les estimes où les mutations récentes sont signalées. Par exemple dans le registre CC10, sur 78 campmas, 8 viennent de changer de propriétaire, soit 10,25 % ; dans le CC11, 10 sur 68, soit 14,7 % ; les mutations sont en augmentation. On vend parfois une part de son campmas : Guiraud Franc en 1495 possède un demi-capmas qui fut de Bernard Sarasini, un Jean Sarasini est confront ; nous n’avons pas l’estime du propriétaire de l’autre moitié ; Guiraud peut toutefois être le gendre de Bernard... Le chapitre Saint-Michel vend souvent des capmas qui viennent de lui être légués, des ventes à la chandelle sont signalées...

92Pour observer l’évolution de la composition du patrimoine plus précisément, sur un intervalle d’une vingtaine d’années, nous avons utilisé les estimes d’individus apparaissant, eux ou leurs héritiers mâles, dans les deux registres CC 10 et CC 11. Les familles que nous avons suivies sont celles dans lesquelles l’héritage n’est pas transmis aux filles (nous n’avons pas noté de demi-campmas ou demi-osta/ avec même toponyme aux mains d’un possible gendre). Nous ne savons malheureusement pas si les estimés possèdent des biens dans les villages voisins. Nous ne pouvons voir comment évolue l’ensemble de leur patrimoine. Dans quelques cas, n’a-t-on pas désinvestissement dans un lieu, investissement ailleurs ?

93En nous basant uniquement sur les possessions chauriennes de 25 familles retrouvées avec certitude dans les deux registres, nous avons, dans 11 cas, une diminution du patrimoine rural (vente de terres, de campmas). La superficie des terres détenues par les mêmes déclarants ou leurs héritiers ne représente plus que de 36 % à 73 % de ce qu’elle était quelques 20 ans avant. Elle est le plus souvent comprise entre 46 et 61 %. Cette sévère réduction frappe indifféremment grands et petits patrimoines :

on passe ainsi de 196 séterées pour J. Le Roy à 137 séterées pour Martin, son héritier, et de 47 séterées pour R. Marsol à 27. Quatre de ces déclarants cependant, s’ils ont vendu des terres, ont acheté des ostals en ville. Ainsi Thomas Membrat possède en 1495 un capmas de 56 séterées à Saint-Andrieu qui fut d’un dénommé Aliet, 22 séterées de terres diverses vers Cogurone, puis en 1516 il possède 4 hôtels, une borde, un verger, des terres pour 17 séterées et a vendu une partie de son campmas (24 séterées) à J. Villeroux. Pour les sept autres déclarants, deux ont toujours le même patrimoine urbain, un ne possède rien en ville, trois ont vendu une borde, un a vendu un ostal.

94Dans 7 cas de maintien des terres et achats en ville, cela concerne aussi bien de gros propriétaires (J. Villaroux) que des petits (héritiers de B. Ricard...).

95Dans deux cas le patrimoine rural de la famille a augmenté d’une génération à l’autre. Ses biens urbains sont toujours les mêmes, mais il y a eu division entre héritiers. Dans trois cas on note un maintien total du patrimoine (purement rural), dans 2 cas une augmentation des possessions rurales et urbaines.

96Sur 25 exemples, 11 montrent une baisse des possessions rurales, 4 une augmentation, 10 un maintien ; 13 familles augmentent leurs possessions urbaines, 4 les maintiennent, 4 les diminuent (souvent très faiblement : une borde), 4 ne possèdent rien en ville.

97Pour plus d’un quart des familles, on note un appauvrissement. Ce sont les plus modestes généralement qui ont le plus vendu, ceux qui ne possèdent qu’un seul campmas. C’est moins le cas de ceux qui en ont plusieurs.

98Pour près de la moitié des familles, on note une augmentation du patrimoine, le plus souvent par achats en ville. Philippe Wolff note qu’entre 1335 et 1391, une évolution se produit à Toulouse où les Toulousains ont davantage d’immeubles urbains et moins de biens ruraux61. Le phénomène se produirait-il plus tard dans les petites villes, les causes sont-elles les mêmes ? Toulouse semble s’être appauvrie entre 1391 et 1459 : de plus en plus de gens ne possèdent pas d’immeubles, de plus en plus n’en possèdent qu’un seul, ce qui n’est pas le cas ici. Si certains petits propriétaires semblent connaître des difficultés, pour d’autres la vente de biens ruraux résulte d’un choix. On désinvestit en campagne pour acheter en ville, d’abord pour se loger, dans la partie la plus riche de la ville, le port de la Place, peut-être aussi par désir de paraître, et parce qu’un ostal loué en ville rapporte plus qu’un campmas donné en métayage ou fermage. À Toulouse, charges déduites, on considère que le rapport d’un ostal est de 10 %. Pour Castelnaudary, nous n’avons malheureusement qu’un seul exemple de ce que peut rapporter un bien immobilier urbain : la borde franche de Pétrone, veuve de Pierre Raphi, vendue 9 livres en 1418 est louée pour trois ans à 24 gros par an soit une livre et demi l’an62. Elle rapporte donc 16,6 % l’an moins les frais, soit probablement dans les 10 à 12 %, à peu près comme à Toulouse. Que peut donc rapporter un campmas ?

– La terre, source de richesses ou de paraître ?

99S’il s’agit de faire-valoir direct (en admettant que l’on cultive uniquement du blé), la superficie moyenne étant de l’ordre de 35 séterées labourables, avec un rendement moyen de 5 setiers à la séterée sur un demi des terres, on dispose, une fois sortie la semence, de 70 setiers de blé à peu près en année normale. Que peut rapporter cette quantité de blé ? À Toulouse, au début du XV^e siècle, le carton de froment soit 4 setiers coûte de 2 livres à 2 livres 12 sous63. Le setier de Toulouse de 93,26 litres valait donc en année moyenne 10 à 13 sous. Le setier de Castelnaudary étant de 60,40 litres, il valait donc à peu près les deux tiers de celui de Toulouse soit 7 à 9 sous. Nous avons trouvé pour la fin du XV^e siècle, des reconnaissances de dettes pour du blé qui sont de l’ordre de 9-10 sous le setier, prix peut-être exagéré par la présence d’un intérêt64. Nous nous basons pour nos calculs sur un prix de 8 sous le setier (a minima) à la mesure de Castelnaudary. Le rapport brut de la séterée, ensemencée en blé, serait au moins de 40 sous. Dans le Massif Central, pour P. Charbonnier, il est de l’ordre de 37 sous pour le seigle ou l’avoine. Là, d’après des expertises du XVIII^e siècle, jusqu’à 15 hectares la main d’œuvre familiale suffit, au-delà, il faut des salariés65 un campmas de 35 séterées -ce qui est la moyenne en Lauragais- peut, de la même façon, être exploité dans le cadre familial. Dans ce cas une ferme, avec ce rapport brut de 2 livres la séterée, en admettant qu’elle ne produise que du blé et sans compter la vente des produits animaux, rapporterait, une fois sortie la semence et la consommation familiale, une trentaine de livres en moyenne. Le prix moyen d’un campmas de 28 à 44 séterées d’après le registre CC 10 étant de 214 livres (11 exemples, avec une variation de 100 à 400 livres), il rapporterait donc, en exploitation directe, dans les 15 %. Ce rapport serait bien moindre si l’on utilise de la main d’œuvre salariée : E. Le Roy Ladurie fournit un exemple où les moissonneurs prennent un dixième de la récolte66. En Comtat Venaissin, M. Zemer dit que le labourage d’une saumée coûte trois florins, qu’une saumée de grains se vendant 40 sous, le bénéfice net par saumée serait d’un florin si le rendement est de 3,5 pour un67. Si les mêmes tarifs étaient pratiqués dans le Lauragais, comme une saumée du Comtat correspond à peu près à deux séterées de Castelnaudary, la terre ne rapporterait pratiquement rien. Nous n’avons malheureusement trouvé aucun tarif d’embauche dans nos registres. Nous supposons que la main d’œuvre salariée n’était guère utilisée en Lauragais. Alors que la petite ferme était exploitée probablement par la famille propriétaire, les fermes plus importantes étaient données en fermage ou métayage, dont nous connaissons de nombreux baux qui nous permettant de calculer le rapport qui en résultait pour le maître du sol.

100En ce qui concerne le fermage, quand le loyer est en nature, ce qui est pratiquement toujours le cas, il est en moyenne de 20 setiers de froment et 20 d’avoine. En nous basant toujours sur un setier de blé à 8 sous et sur un setier d’avoine à 4 ou 5 sous, cela représente 12 à 13 livres soit 6 % de rapport. Ce type de mise en valeur est sans risque pour le propriétaire. Un loyer fixe est plus intéressant pour lui que le métayage soumis aux aléas de la récolte et en outre, il n’y a pas à surveiller le fermier. Pour les exploitations données en métayage, le partage le plus fréquent accorde un tiers de la récolte au propriétaire. Si l’on considère toujours une ferme moyenne de 35 séterées labourables, la récolte est de l’ordre de 90 setiers, dont 30 reviennent au bailleur soit 12 livres, un rapport semblable, en année moyenne, à celui du fermage. Il peut être supérieur, mais aussi bien inférieur en cas de catastrophe météorologique.

101L’estime de ces fermes moyennes, qui est de 10 livres dans le registre de 1496, semble correspondre au rapport net d’une ferme donnée à bail, les charges (cens, tailles...) étant probablement déduites, ce qui est le cas dans d’autres villes.

102Le rapport des biens ruraux est du même ordre qu’à Florence, 5 à 6,5 %68. Une maison en ville rapporte davantage, au moins 10 %, l’argent investi dans les affaires aussi, mais le fait de détenir un campmas apporte un certain prestige. La possession de terres, d’une maison de maître à la campagne, prenant peut-être une allure de maison-forte, rapproche de la noblesse. Les marchands toulousains étudiés par Ph. Wolff ont pratiqué immédiatement ce type d’achats, fermes, fiefs même... Posséder une ferme, c’est aussi pouvoir consommer son propre blé, son propre vin, les légumes fournis par le gasailler ou le fermier. À la sécurité de l’approvisionnement s’ajoute la fierté de cette autoconsommation, toujours à l’image du noble69.

103Dans la mesure du possible, les biens patrimoniaux sont conservés, biens ruraux et même maisons en ville. Nous avons pu noter la transmission de fermes dans les mêmes familles jusqu’au XVIII^e siècle :

ainsi Jean Gervais, bourgeois, possède-t-il deux maisons au Port Sainte-Croix, une grange faubourg de la Bastide, une métairie appelée le Cammasou et à Librouch qui étaient déjà à Estève Gervais en 1496 (plus une autre métairie à Pontoustou) ; J.B. Le Roy possède toujours La Rouquette de Jacques Le Roy, Etienne Villeroux le château et les terres de Cucurou, secteur où son ancêtre Julyan avait acheté plusieurs campmas. D’autres Villeroux possèdent les biens sis à Combe Juliane eux aussi tenus par Julyan en 149670.

Certains rachètent même un bien vendu par la génération précédente : Pierre Amiel, bourgeois, seigneur de Tréville, achète plusieurs biens dont une borie à Guilhem de Bartore ; cette borie avait été précédemment vendue par le propre père de Pierre Amiel, Guiraud et par deux frères Raymond et Guilhem X de Montferrand71.

104Cette région du Lauragais apparaît comme un conservatoire dans le domaine de l’exploitation du sol : l’habitat isolé de la fin du Moyen Âge s’y est perpétué jusqu’à nos jours pratiquement sans modifications. Quelques disparitions de fermes, quelques constructions se sont produites, mais, semble-t-il, surtout au XIX^e et au début du XX^e siècle. Les exploitations, jusqu’aux années cinquante, répondaient toujours au schéma de la boaria et de sa paire de bœufs, soit une douzaine d’hectares.

105Si au XV^e siècle, après l’Église, ce sont surtout les marchands et les hommes de loi qui détiennent les fermes, ce sont leurs descendants, devenus parlementaires toulousains ou officiers du roi que nous retrouvons au XVIII^e siècle. La fortune de ces familles s’est constituée à la fin du Moyen Âge, généralement par la marchandise, mais très vite, cette activité a été abandonnée au profit d’investissement « dormants » dans les biens-fonds, ce qui sera toujours une caractéristique de la région jusqu’au XIX^e siècle inclus, le prestige tiré de la possession de la terre étant davantage recherché que les bénéfices.