Version classiqueVersion mobile

Du « Migrant nu » au citoyen différé

 | 
Victorien Lavou Zoungbo

Mutatis Mutandis : raciophobie structurante

Texte intégral

1Lorsque l’homosexuel tient à affirmer ce qu’il est, l’hétérosexuel, qui n’a pas besoin de dire ce qu’il est, jouit encore d’un privilège car il peut feindre de ne pas vouloir savoir, de ne pas s’intéresser, de ne pas comprendre pourquoi il est besoin de dire, etc. C’est ce que Eve Kosofsky Sedgwick appelle « the privilege of unknowing », c’est à dire la faculté non pas d’ignorer mais de ne pas vouloir savoir, de faire comme s’il n’y avait rien à savoir. Sans doute parce que, lorsque l’homosexuel dit qu’il est homosexuel, l’hétérosexuel est obligé de se penser comme hétérosexuel, alors que jusque-là il n’avait pas à se poser de question sur son identité et sur l’ordre social par lequel elle est instituée. Il était dans un état de privilège absolu. Aussi s’indigne-t-il lorsqu’il est menacé de le perdre, ne serait-ce que partiellement, et demande aux gays d’en revenir à la « discrétion », c’est à dire lui permettre de revenir à la paix de ses certitudes, au confort de sa normalité qui reposait sur le silence des autres. Ou bien, plus simplement encore l’hétérosexuel considère que l’homosexuel se tient mal, exagère, « s’affiche », provoque... Ainsi l’homosexuel ne peut-il être que l’objet du discours et devient insupportable dès qu’il prétend en être le sujet...

2[Lorsque le Noir ou la Noire (dont on oublie souvent volontairement qu’il ou elle peut être aussi homosexuel (le) tient à affirmer ce qu’il est, ce qu’elle est, l’Homme-blan, qui n’a pas besoin de dire ce qu’il est, jouit encore d’un privilège car il peut feindre de ne pas vouloir savoir, de ne pas s’intéresser, de ne pas comprendre pourquoi il est besoin de dire, etc. C’est ce que Eve Kosofsky appelle « the privilege of unknowing », c’est à dire la faculté non pas d’ignorer mais de ne pas vouloir savoir, de faire comme s’il n’y avait rien à savoir. Sans doute parce que, lorsque le Noir, la Noire dit qu’il est Noir, qu’elle est Noire, l’Homme-blan est obligé de se penser comme Homme-blan, alors que jusque-là il n’avait pas à se poser de question sur son identité et sur l’ordre esclavagiste et colonial par lequel elle est instituée. Il était dans un état de privilège absolu. Aussi s’indigne-t-il lorsqu’il est menacé de le perdre, ne serait-ce que partiellement, et demande aux blacks d’en revenir à la « discrétion », c’est à dire lui permettre de revenir à la paix de ses certitudes, au confort de sa normalité qui reposait sur le silence des autres. Ou bien, plus simplement encore l’Homme-blan considère que le Noir, la Noire se tient mal, exagère, « s’affiche », provoque... Ainsi le Noir, la Noire ne peut-il, ne peut-elle être que l’objet du discours et devient insupportable dès qu’il prétend en être le sujet, dès qu’elle prétend en être le sujet...]

  • 1 Didier Éribon, Réflexions sur la question gay, Éditions Fayard, Paris, 1999, pp.85-87

3C’est toujours la dissymétrie qui est à l’œuvre : l’hétérosexuel a toujours un privilège sur l’homosexuel. C’est lui qui décide de l’attitude à adopter et du sens qu’il donnera aux gestes et aux paroles de l’homosexuel. Il a toujours un point de vue sur ce que devraient faire ou ne pas faire, être ou ne pas être, dire ou ne pas dire, les homosexuels. Il sait toujours mieux que l’homosexuel ce qu’est l’homosexualité, il a toujours une explication à donner (psychologique ou psychanalytique, le plus souvent) et il est prompt à balayer avec mépris ou condescendance tout ce que l’homosexuel peut dire de lui-même. Il est en position de domination « épistémologique », puisqu’il tient entre ses mains les conditions de production, de circulation et d’interprétation de ce qu’on peut dire de tel gay en particulier, et des gays en général, mais aussi les conditions de réinterprétation et de resignification de tout ce que les gays et les lesbiennes peuvent dire d’eux-mêmes et qui est toujours susceptible d’être annulé, dévalué, ridiculisé, ou simplement expliqué et réduit à l’état d’objet par les catégories du discours dominant1

4[C’est toujours la dissymétrie qui est à l’œuvre : l’Homme-blan a toujours un privilège sur la Noire, sur le Noir. C’est lui qui décide de l’attitude à adopter et du sens qu’il donnera aux gestes et aux paroles de la Noire, du Noir. Il a toujours un point de vue sur ce que devraient faire ou ne pas faire, être ou ne pas être, dire ou ne pas dire, les Noir(e) s. Il sait toujours mieux que la Noire, le Noir ce qu’être noir(e) veut dire, il a toujours une explication à donner (psychologique ou psychanalytique, le plus souvent) et il est prompt à balayer avec mépris ou condescendance tout ce que la Noire, le Noir peut dire d’elle-même, de lui-même. Il est en position de domination « épistémologique », puisqu' il tient entre ses mains les conditions de production, de circulation et d’interprétation de ce qu’on peut dire de telle Noire, de tel Noir, et des Noirs en général, mais aussi les conditions de réinterprétation et de resignifïcation de tout ce que les Noires et les Noirs peuvent dire d’eux-mêmes et qui est toujours susceptible d’être annulé, dévalué, ridiculisé, ou simplement expliqué et réduit à l’état d’objet par les catégories du discours dominant].

Notes

1 Didier Éribon, Réflexions sur la question gay, Éditions Fayard, Paris, 1999, pp.85-87

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search