Raisons d’un hommage
p. 5-8
Plan détaillé
Texte intégral
1 Pourquoi donc un livre offert en hommage à Aimé Césaire ?1 N’est-ce pas là l’exemple même d’une démarche opportuniste très koui, très Kras-à-boyo d’appropriation bon marché d’une figure légendaire qu’on s’attacherait à des fins de légitimation symbolique et intellectuelle ? Fi donc ! Notre hommage est bien modeste et tient à trois raisons principales.
2 Primo. A. Césaire fait partie de ceux et celles qui ont combattu pour faire accepter au monde entier la légitimité de l’être-Nègre (il le dit lui-même) alors que dans le « tout moun ce pa moun la » prévalait, comme une essence indiscutable, la juridicité du Blanc (et sa suprématie), aune-étalon à partir duquel tout était jugé, et surtout ramené : réductions multiples dont on a tant parlé dorénavant mais qui restent cependant opératoires, ne serait-ce que comme schèmes de perception de l’Autre-antipode dans le là-bas-ici mondialisé. What time was it ?
3 Deuxio. En cette région du monde qui l’a vu naître, et où il y est resté la minaire, A. Césaire est l’une des rares voix publiques (on le croyait tombé fou pour cela) à rappeler fermement dans ses écrits, dans ses discours et déclarations l’importance capitale du Un-diffracté (ne lui faisons donc pas de procès facile en essentialisme béat) africain/noir-nègre en Antilles françaises alors que la tendance générale en était à l’occulter, à le dénigrer, à le tenir pour insignifiant2 . Les années 1940-1960-1970 en Caraïbes lui donnèrent raison en quelque sorte3 .
4Cependant ce débat là n’est pas clos et on en mesure la permanence dans ce qu’il y a bien lieu de prendre pour des étourderies actuelles de quelques sensationnalistes scribouillards et autres hâbleurs médiatiques à défendre mordicus la continuité géographique entre la France et les DOM TOM pour ainsi se démarquer de l’Afrique, encore fossilisée par ces mêmes scribouillards et hâbleurs dans les paradigmes coloniaux des plus horribles et tenaces. Hâblerie et ladrerie font décidément bon ménage quand d’Africain/de Noir-e il s’agit !4
5 Il y a là une courte vue historique dommageable de la complexité des rapports politiques, et faussement ontologiques, entre la France et ses ex et toujours actuelles colonies (naguère unis dans l’Empire). Au regard de cette histoire, la continuité géographique rêvée s’apparente davantage à une liminalité tant elle pleine de tensions politiques, raciales, d’oblitérations, de dominations et de dénis de mémoires esclavagistes et coloniaux, etc5 . Mais laissons cela.
6 Tercio. A. Césaire a été (est) courageux : en politique (les voix divergent fortement sur ses choix, certains de ses engagements réformistes à l’heure (leurre) des révolutions qu’on annonçait dans le Tiers monde en général et en Caraïbes, en particulier, etc.), en ses œuvres intellectuelles. En effet, malgré un « emmusèlement », malgré un « cordon sanitaire » (ce sont ses propres mots), en dépit, nous dirions pour notre part, du « préservatif intellectuel », toujours renouvelé, (le spectacle dégoûtant de certains politiques français, même des plus racistes et des plus arrogants/coloniaux vantant le mérite poétique de A. Césaire ou allant chercher sa bénédiction politique ne doit pas faire diversion), placé autour de ses idées, celles-ci continuent d’irradier fortement telles des « lumières noires ». Le grand cri nègre, qu’avec d’autres de sa génération, il a poussé, trouve ses résonances pleinement désormais dans le tout moun ce moun et l’imaginaire de Relation (E. Glissant) à forger et à consolider constamment en ces temps mondialisés dans lesquels on observe que les « identités » tendent à se changer en prédatrices dans notre là-bas-ici et versa contemporain.
Notes de bas de page
1 V. Lavou Zoungbo, « Teatro y poder en La Tragédie du Roi Christophe de Aimé Césaire », in Du migrant-nu au citoyen différé... PUP, 2003, p. 277-287.
2 Alain Blérad, Négritude et politique aux Antilles, éd. Caribéennes, paris, 1981.
3 F. Fanon, « Antillais et Noirs » in Esprit, 1955 ; René Maran, Asepsie noire ! Préface de René Hénane, Postface de Claude Maran, éd. Jean-Michel Place, Paris, 2007. Réédition en fac-similé de l’édition de 1931.
4 Boubacar Boris Diop, L’Afrique au-delà du miroir, éd. Philippe Rey, Paris, 2007. Le titre de ce livre souligne assez l’intentionalité de son auteur qui, à travers des exemples particuliers démonte et dénonce cette fossilisation de l’Afrique... noire.
5 E. Glissant, Le discours antillais...
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