Version classiqueVersion mobile

La persistance du Midi blanc

 | 
Philippe Secondy

Troisième partie. La tentation du fascisme

Chapitre 2 : Le régime de Vichy ou la revanche des « techniciens du redressement »

Texte intégral

  • 1 Philippe Burrin, La France à l’heure allemande (1940-1944), Paris, Seuil, 1995, p. 22.
  • 2 Pierre Birnbaum, La France imaginée, op. cit., p. 195.
  • 3 René Rémond, Les droites en France, op. cit., p. 232.
  • 4 On s’en tiendra ici à une vue d’ensemble sur les agissements observés dans les deux principales con (...)
  • 5 Sur cette façon d’aborder ce régime, voir Gérard Noiriel, Les origines républicaines de Vichy, Pari (...)

1Après l’embrasement de l’Europe, le vote des pleins pouvoirs le 10 juillet 1940 scelle l’instauration du nouveau régime. Le maréchal Pétain « s’avance revêtu du manteau de la légitimité »1 dans une société bouleversée par une situation extraordinaire. L’arène politique n’est pas épargnée : « le jeu intense, violent mais prévisible, se complique avec la présence allemande, l’occupation, la défaite de l’État, la collaboration »2. Sur les décombres de la Troisième République se dresse une majorité née de « reclassements imprévus »3 qui voue au « héros de Verdun » une confiance absolue consolidée par l’attitude des clergés4. Dès les premiers mois, le nouveau régime, engagé dans la voie de la Révolution nationale, bâtit à l’échelon local une ossature institutionnelle chargée d’encadrer la population à la tête de laquelle apparaissent les principaux acteurs de la droite « blanche ». Ils forment un réseau d’affinité décidé à mettre en pratique des projets de réforme dont certains ont été envisagés durant l’entre-deux-guerres. Pour comprendre ce qui se déroule durant la période, il conviendra encore de donner des coups de projecteurs sur le passé républicain. Ils éclaireront les expériences tentées dans le présent de Vichy5.

  • 6 Deux viennent des rangs de la SFIO (Moïse Majurel et Fernand Roucayrol), le troisième socialiste ap (...)
  • 7 Lors de la séance, Vincent Badie tente en vain de gravir les marches de la tribune pour exprimer un (...)

2La majorité politique derrière le maréchal Pétain ne se réduit pas aux éléments conservateurs et englobe une partie du pôle républicain actif sous « l’ancien régime ». Les premières fissures apparaissent après la déclaration du 17 juin. Le clivage ancestral symbolisé par la «barrière» séparant le quotidien conservateur L’Éclair du Petit Méridional, le journal emblématique depuis de longues décennies des radicaux-socialistes, se rompt. Les deux titres se plient aux exigences du maréchal. Le journal « barthiste », Le Devoir Socialiste, réagit de façon identique. Ces ralliements anticipent la séance plénière du 10 juillet, jour où le redécoupage du jeu politique prend toute sa signification. Six parlementaires héraultais sur neuf confient toutes les rênes du pouvoir au maréchal6. Parmi les trois derniers irréductibles (Paul Boulet, député de la Jeune République ; Jules Moch, député SFIO et Vincent Badie, député radical), hostiles à la confiscation des pouvoirs, se détache l’élu du parti radical. La veille du scrutin, il prend la direction du groupe des « vingt-sept » qui n’hésite pas à crier que le vote de ce projet « aboutirait inéluctablement à la disparition du régime républicain »7.

  • 8 Jean Sagnes, « Le refus républicain : les quatre-vingts parlementaires qui a Vichy dirent «non» au (...)
  • 9 Philippe Burrin, La dérive fasciste : Déat, Doriot, Bergery, Paris, Seuil, 1986.
  • 10 Par exemple à la veille de la grève générale de novembre 1938, Robert Audema termine son propos par (...)
  • 11 Jean Sagnes, Sylvie Caucanas, dir., Les Français et la guerre d’Espagne, Perpignan, Presses univers (...)
  • 12 Voir Murray Edelman, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1991, p. 22.

3Comment peut-on interpréter la faiblesse de l’opposition républicaine ? Dans un premier temps, nous pouvons noter que la modification de la Constitution dans un sens plus autoritaire alimente le débat public depuis la Grande Guerre. La réclamation revient dans toutes les luttes électorales et s’intensifie après les émeutes du 6 février 1934. La « peur sociale »8 renforce la fibre autoritaire. Plus présente chez les conservateurs, elle se répand chez des sympathisants de gauche vulnérables aux discours fascistes9. La victoire du Front populaire et ses cortèges de grévistes, auxquels il faut ajouter l’immigration politique, font craindre le pire à un fragment de la société. Pour s’en tenir au cas de notre département, une analyse de contenu des éditoriaux signés par Robert Audema, à la une du Petit Méridional, démontre la banalisation bien avant-guerre des discours à connotation xénophobe10. L’afflux massif de réfugiés espagnols fuyant le régime de Franco soulève des remous11. Si ses écrits ne permettent peut-être pas d’entrevoir les premiers éboulements de l’édifice républicain, les appels répétés en faveur d’une « vitale rénovation » aboutiront au revirement d’une partie des radicaux et des socialistes tombés dans les bras d’un militaire voulant effacer les acquis de 1789. Toutes les personnalités qui s’inclinent devant la figure emblématique du maréchal démontrent le principe, notamment relevé par Murray Edelman, suivant lequel « les autodéfinitions et les rôles politiques reflètent les contextes, les contraintes et les occasions qui forment la trame de l’existence sociale »12. L’incohérence supposée des acteurs politiques correspond à une simple adaptation. Les ennemis d’hier n’apparaissent plus obligatoirement nuisibles ou menaçants.

  • 13 Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, op. cit.
  • 14 Voir Albert O. Hirschman. Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995, p. 64-65 et p. 122 et (...)
  • 15 Par comportement «ordinaire», nous entendons ici l’attitude adoptée par un individu qui « fera le s (...)
  • 16 Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, op. cit., p. 365.

4La population, au cœur de nos investigations, ne réagit pas de manière identique à l’évolution de la situation. Nous voyons jaillir plusieurs types d’accommodations13. La très grande majorité affiche un « loyalisme » sans faille et durable à l’égard de Pétain. La conduite loyaliste peut être influencée par « une organisation (qui) est en mesure de pénaliser lourdement la défection »14. Il n’en est rien ici. Les motifs sont très largement d’ordre rationnel. Il s’agit, si l’on reprend le vocabulaire d’Albert O. Hirschman, « d’une prise de parole en tant qu’effort pour faire changer les choses de l’intérieur (...) ». On partage néanmoins le point de vue de ce sociologue qui estime que l’engagement loyaliste « admet des degrés très variables d’activité et d’initiative ». Ceux-ci ne seront pas toujours faciles à déceler. Le « loyalisme » représente, pourrait-on dire, le comportement « ordinaire »15 au sein d’une droite extrême traversée par des antagonismes s’amplifiant à l’automne 1942. Dans la lutte d’influence sourde entre les leaders de la nébuleuse au pouvoir, une coupure très nette à partir de cette époque sépare les « loyalistes » de ce qu’on pourrait appeler les « ultras ». Si les premiers comme les seconds manifestent une pleine confiance au chef de l’État, les « ultras » animés par un esprit de vindicte depuis l’avènement du régime ambitionnent de passer à la vitesse supérieure. Au sein d’une « scène politique organisée et contrôlée par l’occupant qui par son ampleur et sa diversité n’a pas d’équivalent dans l’Europe nazie »16, les « ultras » s’empressent de convertir les populations et militent dans l’appareil de Vichy pour accélérer le processus de Collaboration d’État inauguré le 24 octobre 1940. Le recours à ces deux catégories (les « loyalistes » et les « ultras ») doit nous aider à clarifier une période troublée. Elles représentent des images intellectuelles. Cette façon de procéder permet de mettre de l’ordre dans l’incohérence du monde humain. Elle ne chasse pas définitivement la brume qui entoure les conduites des individus.

  • 17 Voir, par exemple, Robert O. Paxton, La France de Vichy (1940-1944), Paris, Seuil, 1973 ; Jean-Pier (...)
  • 18 Limore Yagil, « L’homme nouveau » et la Révolution nationale de Vichy (1940-1944), Paris, Presses U (...)

5Les débats sur la nature idéologique du régime demeurent d’actualité. Si le projet de société évoque indubitablement l’emprise fasciste, plusieurs historiens ont pu noter des différences essentielles. Le refus d’un parti unique de masse et l’impossible volonté de conquête territoriale dessinent des nuances de taille17. Le slogan « Travail, Famille, Patrie » annonce un « ordre nouveau » au sein duquel l’égalité en droit et la liberté sont jetées aux oubliettes de l’histoire. L’État français en marche balaie sur son passage toute activité politique en interdisant les partis, les syndicats, la vie parlementaire... La plus petite trace de la Troisième République est à bannir. Les « expérimentateurs » de la Révolution nationale, même cantonnés à la zone sud, bénéficient du contexte de dévotion qui entoure la personne du maréchal Pétain dès l’été 1940. Ils s’efforcent d’entretenir le «mythe» et n’hésitent pas à plonger dans la brèche béante ouverte pour tenter de fabriquer un « homme nouveau »18. C’est à la poursuite de quelques-uns de ces « expérimentateurs » que nous partons.

  • 19 Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, ibidem.
  • 20 Toute vision d’ensemble s’avère difficile car nos sources demeurent limitées. Néanmoins, nous assis (...)
  • 21 Quelques travaux généraux attestent de l’engagement de ces professions. S’agissant en particulier d (...)
  • 22 Dans le cadre de notre thèse, nous nous sommes également glissés dans le sillage des laborantins en (...)

6Un bilan récent de l’apport à la « grande histoire » des éclairages locaux montre que la politique du maréchal connaît une appréhension différente selon les régions19. Aux vues des informations recueillies, les « hommes de Vichy » dans l’Hérault viennent dans leur majorité du vivier « traditionniste ». Principal ferment de l’opposition à « l’ancien régime », il a lutté par le biais de canaux multiformes pour survivre. L’État français entend lui redonner la pleine possession de la société locale en faisant ressurgir les « corps naturels » en vue d’encadrer une population en désarroi. Ils représentent pour Pétain « l’âme de la France ». À cet égard la nomination d’Henri de Rodez-Bénavent à la présidence du conseil départemental prend une forme emblématique. D’autres héritiers directs des « blocs de granit » sortent de leur mutisme, forcé ou voulu, pour participer aux projets conçus par Vichy au sein des conseils municipaux ou dans des instances périphériques20. Dans un élan semblable, tous s’agrègent au groupe des élites des Ordres. Dès 1918, comme nous l’avons relevé précédemment, Louis Guibal dans un discours fondateur à l’Académie de Montpellier souhaitait vivement voir les professions libérales tenir une place de premier plan dans la France issue de la Grande Guerre. Parmi tous les motifs avancés, un semble déterminant. Ces catégories sociales, classées selon le bâtonnier dans les sphères « supérieures », seraient les seules à pouvoir « redresser les volontés ». Elles ont montré leur efficacité durant les affrontements en conduisant les troupes dans une grande discipline et se remarquent par leur véhémence dans les années 1920-1930. Avec la mise en place du régime de Vichy, les « expérimentateurs » accèdent à un rang leur permettant enfin d’agir21. Nous envisagerons ici deux directions très travaillées par ces « experts en santé nationale ». La première opération d’envergure mobilise les anciens combattants, dans le cadre d’une Légion appelée à pénétrer tous les pores de la société. Dans un second temps, nous examinerons le diagnostic et les remèdes délivrés par Jean Guibal, sollicité par l’État pour reconsidérer l’un des trois piliers du régime en construction : la famille. Ces deux coups de projecteur cherchent à jeter un premier regard sur un objet complexe : la Révolution nationale. Elle mériterait, au niveau régional, un examen plus soigné à partir de tous les angles qui ont mobilisé ses irréductibles partisans22.

La Légion française des combattants : l’instrument essentiel de la Révolution nationale

  • 23 En 1935 sur 5,5 millions de survivants, plus de 3 millions appartiennent à des associations. Voir J (...)
  • 24 Jean-Paul Cointet, « Marcel Déat et le parti unique », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondi (...)

7À la fin du mois d’août 1940 paraît au Journal officiel une loi créant la Légion française des combattants. Philippe Pétain, à la recherche d’un solide appui pour entreprendre ses réformes, se tourne « naturellement » en direction d’un milieu en ébullition depuis une vingtaine d’années : le monde des anciens combattants. Il bénéficie aisément de son concours. Déjà avant-guerre, des appels en faveur du « héros de Verdun » émanaient de cette force parfaitement structurée23. La fusion des deux principales associations (l’Union nationale des combattants et l’Union fédérale), dès le commencement des combats, et la naissance d’un bloc quasi-hégémonique intitulé la Légion des combattants français, facilitent sa tâche. Six mois avant son ascension au pouvoir suprême, il pouvait compter sur une masse uniforme qui n’attendait qu’un signal fort pour prendre des responsabilités et passer à l’action. Le maréchal prend de vitesse aussi Marcel Déat dans sa tentative de mettre sur pied un parti unique24 qui risquait de gêner l’élaboration de la politique promise à une nation secouée par la débacle.

  • 25 Jean-Paul Cointet, La Légion française des combattants, op. cit.
  • 26 Cet historien a dirigé un travail portant sur cinq départements (les Alpes-Maritimes, l’Hérault, la (...)
  • 27 Pour une vision plus complète de l’évolution de la Légion française des combattants, voir Philippe (...)

8Ce rassemblement de soutien au maréchal représente l’instrument essentiel d’expression des idéaux de la Révolution nationale jusqu’à la fin de la guerre25. Une étude récente, osant intégrer la focale régionale, confirme que « ses militants ont été les artisans les plus convaincus » du pétainisme. « Elle donne l’image la plus exacte de ce que Vichy aurait voulu être et de ce qu’il a été, que ce soit dans son idéologie et ses valeurs, dans ses composantes politiques et sa sociologie, dans sa géographie et sa chronologie »26, tranche Jean-Marie Guillon. Dans l’Hérault, la politisation exacerbée des cadres dirigeants et leur radicalisation vont progressivement déstabiliser une institution promettant à l’origine de s’orienter vers un travail de concorde nationale. Nous nous arrêterons ici davantage sur le premier volet, en insistant sur les propriétés des membres de l’organigramme légionnaire27.

Un appareil dirigeant tenu par les anciens membres du PSF

  • 28 Dominique Ribeyre, Montpellier du 1er juillet 1940 au 30 juin 1941 d’après L’Éclair et Le Petit Mér (...)
  • 29 Le Petit Méridional, 4 novembre 1940.
  • 30 L Éclair, 24 novembre 1940.
  • 31 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 99.
  • 32 Ils signent sous le pseudonyme de Custos.
  • 33 Dominique Ribeyre, ibidem.

9À l’automne 1940 l’Union héraultaise, forte de ses 20 000 fidèles, vote conformément à la loi sa dissolution à Béziers lors d’une journée ponctuée par des discours lyriques qui célèbrent le brillant soldat au pouvoir28. Le 3 novembre, les 67 sections rurales regroupant 10 000 affiliés à l’Association des combattants et victimes de la guerre lui emboîtent le pas29. En effet, « seule “la Légion française” a désormais qualité pour représenter l’action civique, sociale et morale de ceux qui au cours des deux guerres ont exposé leur vie pour le salut du pays »30. Décrits par la propagande comme « l’aristocratie du courage » ou « la chevalerie des temps nouveaux », les « valeureux guerriers » répondent en masse à l’appel du chef de l’État qui compte sur chaque Légionnaire pour l’aider « à restaurer la France »31. L’Éclair et Le Petit Méridional se rangent derrière les directives gouvernementales. L’énumération des intitulés des articles d’une chronique hebdomadaire tenue par quatre universitaires montpelliérains32 fournit une vue des objectifs généraux de l’institution légionnaire33 :

13 mars 1941 : Ce qu’est la Légion : son but (servir)

3 avril 1941 : Ce qu’est la Légion : son Chef (Pétain)

10 avril 1941 : la troupe (tous les anciens combattants)

17 avril 1941 : le cadre (Association type 1901. La loi du 26 août 1940 lui donne le monopole de la réunion des anciens combattants)

24 avril 1941 : Ce que veut la Légion : refaire une âme à la France

3 mai 1941 : Ce que veut la Légion : critique ? ou effort constructif ?

15 mai 1941 : Les rapports avec les pouvoirs civils

22 mai 1941 : On ne nous le refera pas deux fois (allusion à la victoire volée de 1918)

31 mai 1941 : Ce qu’il faut bannir : le « système D » ; le « piston »

7 juin 1941 : Pour l’ordre économique

13 juin 1941 : Le creuset de l’épreuve

20 juin 1941 : Demain ?

27 juin 1941 : Les captifs

  • 34 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 331.
  • 35 Voir les rapports des renseignements généraux sur le PSF à Montpellier et à Béziers du 30 avril 194 (...)
  • 36 Extrait d’un discours qui tire le bilan d’une année d’existence. Voir L’Éclair, 7 février 1942.
  • 37 Mathieu Séguéla, Pétain-Franco : les secrets d’une alliance, Paris, Albin Michel, 1992, p. 127 et s (...)
  • 38 Mathieu Séguéla, op. cit., p. 157.

10Au quotidien, l’appréciation des actions légionnaires reste malaisée34. Ils se chargent d’opérations d’entraide en faveur des prisonniers, de leurs familles... L’ouverture, dans les grandes villes du département, de « restaurants » destinés aux populations les plus touchées par le conflit constitue une autre étape dans la légitimation sociale de l’institution. À Montpellier, les Artisans du devoir patriotique collaborent avec la Légion et divers mouvements impulsés par le régime : le Secours national, la Maison du prisonnier... Un ancien des Croix-de-Feu, l’avocat Emmanuel Temple, élu député dans la circonscription de Saint-Affrique dans l’Aveyron en 1936, coordonne les activités. À Béziers, la société de préparation et d’éducation sportive, dont s’occupe le docteur René Delmas, frère du futur édile montpelliérain, participe à la fortification de « l’homme nouveau », alors que le centre d’apprentissage Jean Mermoz se concentre sur « la formation morale et professionnelle des jeunes gens »35. Un responsable biterrois résume ainsi la place du légionnaire dans la cité : « notre vie doit être un exemple (...). Parce que nous avons été les meilleurs au temps du danger, nous sommes condamnés à être les meilleurs dans les temps de la résurrection nationale »36. Tel est le message récurrent des cadres locaux. L’organisation de grandes cérémonies à la gloire du maréchal ou de rencontres officielles occupent également l’emploi du temps des anciens combattants convertis. Le sommet franco-espagnol de Montpellier, le 13 février 1941, reste la manifestation majeure dans l’exaltation du culte du régime37. La rumeur annonçant la tenue d’un rassemblement officiel se propage très vite au lendemain des rafles qui visent les communistes, les socialistes, les francs-maçons et les réfugiés espagnols. La Légion joue un rôle clé dans l’organisation de l’événement. Elle placarde des centaines d’affiches et distribue deux mille portraits du maréchal. Dans une foule compacte estimée à 100 000 personnes par la presse quotidienne, les légionnaires représentent les troupes les plus reconnaissables38. « Montpellier fait au Maréchal Pétain un accueil inoubliable et acclame frénétiquement le sauveur de la Patrie » titre L’Éclair.

  • 39 Nous reprenons ici une citation de Xavier Vallat. Voir Jean-Paul Cointet, op. cit.
  • 40 Laurent Joly, Xavier Vallat (1891-1972). Du nationalisme chrétien à l’antisémitisme d’État, Paris, (...)
  • 41 Pierre-Philippe Lambert, Gérard Le Marec, Organisations, mouvements et unités de l’État français-Vi (...)

11Outre l’entraide et la célébration de la flamme combattante, les Légionnaires chargés de diffuser les principes de la Révolution nationale, représentent les « yeux et les oreilles du Maréchal »39 dans tous les recoins du territoire. L’association unique d’anciens combattants est placée sous la tutelle du député de l’Ardèche Xavier Vallat. Un seul regard sur le parcours de cet avocat démontre la perméabilité qui existe entre toutes les familles nationalistes de l’entre-deux-guerres40. En effet, Xavier Vallat a fréquenté le Faisceau de Georges Valois, les Croix-de-Feu, la Fédération nationale catholique, qu’il soutient avec ferveur, sans cacher sa proximité avec Charles Maurras. La connaissance des multiples facettes du champ conservateur servira la cause du doyen des médaillés militaires. Le caractère pyramidal de la Légion n’étonne personne, tout comme la sévérité de la sélection. Il faut faire la preuve de sa qualité de combattant au front, et être présenté par deux parrains41. En sa qualité de coordinateur, le nouvel homme fort choisit quinze personnes représentatives de chaque région pour former un Directoire. Dans la pratique, seulement les cinq issus de la zone non occupée seront convoqués aux réunions.

  • 42 Augustin Fliche, en l’accueillant au sein de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, ins (...)
  • 43 Augustin Fliche, op. cit., p. 129.
  • 44 Ibidem.

12Le choix du représentant languedocien de cet état-major restreint se porte sur l’historien Marcel Blanchard, une figure charismatique du milieu combattant42. Il marque la société locale par son engagement en faveur de la reconnaissance d’un milieu agonisant. Le doyen de la Faculté des lettres de Montpellier, Augustin Fliche, qui le parraine à l’Académie, souligne que son succès repose en grande partie sur ses talents de conférencier. L’éloquence « séduit et emporte »43 tous les auditoires, des plus érudits aux plus populaires, note-t-il. Durant plus de vingt ans, les militaires, les mutilés et les anciens combattants croiseront sa silhouette sur toutes les estrades. Sans être engagé derrière une bannière politique, ce fervent catholique s’efforce « d’instruire, d’éclairer et de redresser » par des démonstrations tournées vers un seul objectif qui émerveille Augustin Fliche : sauver « l’âme nationale (en façonnant) une mentalité meilleure »44. Élu en 1921 à Montpellier président d’une association des mutilés de la guerre, il se rapproche de l’Union fédérale des anciens combattants. Dix ans après, il prend la direction de l’échelon départemental de la puissante structure (160 associations et 20 000 adhérents) avant de faire l’unanimité en tant qu’administrateur national. Les milieux militaires l’écoutent avec beaucoup de respect et l’admettent dans leur univers très fermé. Examinateur d’histoire à Saint-Cyr, il participe aussi au recrutement des jeunes officiers de l’École militaire de Montpellier. L’appel du maréchal Pétain le comble et Xavier Vallat compte sur lui pour la mise en place du support régional de la plus importante organisation de masse du régime.

  • 45 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 75.
  • 46 « Je vous serais bien reconnaissant, écrit le ministre, de vouloir bien me proposer vous-même, pour (...)

13Chargé de tous les départements rattachés à l’Union régionale de Montpellier (l’Aude, l’Aveyron, l’Hérault, la Lozère, les Pyrénées-Orientales), Marcel Blanchard sonde le milieu en place et désigne pour le suppléer des « hommes de confiance ». Trois critères fondamentaux sont requis par le chef suprême : être une personnalité de premier plan ; avoir bien sûr des titres combattants et surtout une absence explicite d’engagement politique depuis la Grande Guerre45. Bien établi dans les réseaux militaires et intellectuels, en rapport permanent avec les milieux décisionnels parisiens de la plus grande association de rescapés, Marcel Blanchard a les mains libres pour choisir les pions essentiels dans le dispositif en construction. Xavier Vallat lui confie ce rôle primordial car il demeure le seul à pouvoir appréhender les aspects propres à notre aire géographique. Le secrétaire d’État aux anciens combattants lui recommande simplement de sélectionner une personnalité à l’écart des tensions internes ayant traversé le milieu46.

  • 47 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 74 et s.
  • 48 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 315.
  • 49 Un petit détail à échapper à la sagacité du spécialiste de la Légion. Éloi Alméras n’est à l’origin (...)

14Le choix prend ici une connotation très spécifique. Notre terrain d’étude fait figure d’exception. Sur un total de quarante-cinq présidents, recensés par Jean-Paul Cointet, deux arborent un sceau politique très marqué : le dirigeant des Hautes-Alpes, ancienne figure royaliste ; et celui de l’Hérault, dirigeant montpelliérain du PSF. Dans le tableau récapitulatif établi par cet historien47, les caractéristiques notées pour notre département désignent sans le citer Éloi Alméras, un dentiste de quarante-deux ans appartenant avant 1940 à l’Union nationale des combattants48. Il assure la direction de la Légion pendant deux ans49 avec comme volonté de lui faire bénéficier de la couverture partisane prometteuse bâtie par les militants des Croix-de-Feu et du PSF. Les données départementales confirment l’analyse. Après la mise en sommeil des partis politiques, le Parti social français se transforme en Progrès social français. Il n’est pas rayé de la carte officielle à l’instar des organisations regroupées sous le chapitre « propagande anti-nationale » :

  • 50 Bulletin hebdomadaire de renseignements du 20 au 26 décembre 1943. ADH 172 W 4.

« En 1941 de nombreux adhérents se rallient au Maréchal et à la Légion française des combattants. Ce dernier mouvement est même dirigé par des membres du PSF (...). Dans l’ensemble les adhérents du PSF sont nettement germanophobes. Cette tendance s’est accrue depuis l’arrestation par les Allemands de leur chef, le colonel de La Rocque en mars 1943. Nombreux étaient ceux qui souhaitaient une victoire anglaise mais tous craignaient la bolchevisation du continent et l’extension de la propagande communiste (...) »50.

  • 51 Cet engagé volontaire en 1914, président des médaillés militaires, sera aussi nommé au conseil muni (...)
  • 52 Nous mesurerons l’emprise du PSF sur la Légion essentiellement à partir d’une soixantaine de notice (...)
  • 53 Rapport des renseignements généraux du 30 avril 1945. ADH 172 W 4.
  • 54 Ces informations concernant une personnalité politique remarquable de la seconde moitié du xxe sièc (...)
  • 55 En 1942, les deux principales villes de l’Est du département (Montpellier et Lunel) sont subordonné (...)
  • 56 Jean Jolly, dir., Dictionnaire des parlementaires français, tome 3, Paris, PUF, 1963, p. 833.

15La pauvreté des sources ne permet pas de dessiner avec précision l’organigramme. Des bribes d’informations rapportées par la presse nous donnent un aperçu de ses contours à travers la présence de quelques personnalités aux postes-clés. Pour seconder Éloi Alméras, la vice-présidence départementale a été confiée à André Guibal, le second fils de Louis Guibal qui enseigne la médecine dans la capitale régionale51. L’influence des militants modelés par l’école des Croix-de-Feu et du PSF se dégage avec netteté dans le chef-lieu du département52. La reconversion de François Delmas dans la Légion à un poste indéterminé est signalée par les fonctionnaires du régime53. Il ne quitte pas le PSF, puisqu’en 1943 on le désigne comme « délégué local »54 à la place de Max Février, un architecte discret, blessé au combat en 1939. Pour l’épauler dans sa mission, il reçoit l’aide des professeurs de médecine Louis Carrère et Jean Coll de Carrera. Ce dernier fut appelé quelques mois après l’avènement de Pétain à de nouvelles responsabilités à Vichy au sein du Secrétariat d’État chargé des sports. Sous la charpente, composée par des figures du PSF, la Légion trouve des appuis dans l’éventail politique des droites sensible à la restauration de l’autorité55. De manière marginale, des éléments de la gauche peuvent s’y agréger. C’est le cas par exemple de Charles Caffort. Député de 1914 à 1919 et de 1924 à 1932, il siège sans interruption au Conseil général de 1907 à 1940 et se fait élire à la fin des années trente à la tête de sa commune natale, Olonzac. Ce fils de viticulteur gravit les échelons sociaux et accède au barreau de Paris. Entré en politique au soir des événements de 1907, durant lesquels il prêche la coopération entre tous les viticulteurs du Midi, Charles Caffort intègre naturellement la CGV. Ancien partisan du Cartel des gauches, le notable joue, à l’instar d’Édouard Barthe, la carte de l’agrarisme dans une circonscription aux fortes nuances radicales56. Adhérent de la première heure à la Légion française des combattants, il accrédite la politique du « retour à la terre ». En pratique son action au cours des « années noires » reste limitée. Conseiller à la cour d’Appel d’Aix-en-Provence, il ne réside qu’occasionnellement dans le département n’apporte pas un appui soutenu à la politique menée en direction des viticulteurs. Ces quelques exemples dessinent un volet de la structure légionnaire qui veut pénétrer les principaux secteurs sociaux.

  • 57 Statistiques sur l’activité politique des dirigeants de la Légion. Voir ADH 172 W 30.

16Si les listes complètes des responsables font défaut, un ensemble de références politiques établies par le préfet en 1942 apporte des indications de première importance. La collecte porte sur les « activités politiques des dirigeants de la Légion » et concerne les membres du comité départemental des trois cantons de Montpellier et la majeure partie de l’arrondissement. Celui de Béziers n’est pas complet, mais la partie urbaine a été obtenue57. L’enquête se révèle précieuse. Elle touche 145 cadres, ce qui permet d’élaborer une photographie unique du personnel dirigeant.

Engagements politiques des responsables locaux de la Légion française des combattants

Engagements politiques des responsables locaux de la Légion française des combattants
  • 58 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 323.

17Les statistiques amplifient l’impression antérieure observée dans les centres urbains. 41 % des dirigeants viennent de la droite et tout d’abord du PSF (24 sur 60) suivi par la nébuleuse des « modérés et nationaux » (23). La domination du PSF (40 % des cadres y appartiennent) est consacrée. À l’échelle du pays, le recensement établi par Jean-Paul Cointet montre que les dirigeants viennent davantage des « modérés » (45,7 %) et de l’URD (22,5 %). Le PSF n’arrivant qu’en troisième position avec 20,3 %. Le maréchalisme fait aussi beaucoup d’adeptes dans une partie de la population difficile à classer politiquement ou qui ne s’est guère manifestée dans ce sens avant le déclenchement des hostilités : 62 sont référencés « sans étiquette ». Si l’on se déplace vers le mystérieux «centre», la part non négligeable (11 légionnaires) des « radicaux indépendants » rappelle l’ancrage d’un radicalisme « modéré », dominant dans le Montpellier de l’entre-deux-guerres ou vers Béziers, qui véhicule par le biais d’une classe dirigeante composée pour l’essentiel de professions libérales un discours de défense sociale très apprécié par les éditorialistes de L’Éclair. L’insignifiance de la gauche (9 légionnaires au total soit 6,2 % de l’effectif répertorié) montre le choix très partisan effectué. Jean-Paul Cointet dans son étude portant sur la moyenne de tous les départements enregistre un pourcentage de militants socialistes ou radicaux-socialistes bien supérieur (19 %)58. Le caractère « revanchard » éclate ici au grand jour.

  • 59 Olivier Dedieu, op. cit.

18Il faut relever que, durant les deux premières années, les directeurs de conscience du monde combattant ayant l’onction de Vichy maîtrisent la situation. Huit mois après le premier serment des Légionnaires rassemblés en mars 1941 à Béziers, une première enquête fait état de l’enrôlement de 12 000 membres. En 1942, les effectifs avoisinent les 27 000 avant de décroître de la fin de cette année à la Libération59. Progressivement, les militants combattants de la première heure, attirés au départ par la fougue du maréchal, commencent à admettre difficilement les ordres des cadres légionnaires :

  • 60 Voir le rapport des renseignements généraux du 23 décembre 1942. ADH 356 W 46. Cette analyse relève (...)

« Des éléments (légionnaires) sont désabusés, note le préposé des renseignements généraux du secteur de Béziers en décembre 1942. Il remarque que parmi les légionnaires figurent des personnes qui n’ont de combattant que le nom et des “convertis” politiques (...). L’élément ouvrier et les milieux de gauche ont tendance à considérer la Légion, non comme une organisation d’autres combattants mais comme une organisation politique à caractère réactionnaire. Cet état d’esprit a été créé par la présence au sein de la Légion et surtout parmi les dirigeants de militants des partis de droites (PSF, PPF, Action française) ainsi que de riches propriétaires terriens et industriels. Dans les campagnes surtout, nombreux sont des présidents de sections où leurs collaborateurs qui, soit pour des raisons d’ordre personnel, soit pour des raisons d’ordre politique, se prévalent de leurs fonctions au sein de la Légion pour satisfaire leurs rancunes à l’égard de leurs ennemis ou de leurs adversaires d’hier »60.

Antécédents politiques des dirigeants légionnaires en 1942
(Sources : Jean-Paul Cointet, 1995 ; ADH 172 W 30)

Antécédents politiques des dirigeants légionnaires en 1942(Sources : Jean-Paul Cointet, 1995 ; ADH 172 W 30)

La prépondérance du Parti social français : une spécificité héraultaise
(Sources : Jean-Paul Cointet, 1995 ; ADH 172 W 30)

La prépondérance du Parti social français : une spécificité héraultaise(Sources : Jean-Paul Cointet, 1995 ; ADH 172 W 30)

Le profil social très marqué des cadres cantonaux

  • 61 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 59.
  • 62 Les quatre exemplaires trouvés couvrent la période de juin à septembre 1942. Un autre organe de lia (...)

19Parallèlement aux efforts en direction des domaines d’activité traditionnels, une élite légionnaire émerge au niveau cantonal et communal. Les indices disponibles aux échelons territoriaux primaires pour photographier ces « surveillants de l’opinion »61 sont encore une fois très réduits. Au cours de nos pérégrinations, nous n’avons trouvé qu’un tableau, tiré d’un des rares exemplaires de « l’organe de liaison » (Le Légionnaire de l’Hérault62), qui nous aide à mieux situer l’origine sociale des responsables cantonaux en septembre 1942. Trente-trois cantons sont répertoriés. Deux noms apparaissent à chaque fois. Le premier désigne le « Chef du district » (c’est-à-dire celui du canton) ; le second présente le « délégué cantonal à la propagande ». L’engagement des médecins saute tout de suite aux yeux. Sur les 66 cadres, 12 font partie du corps médical (11 médecins et un pharmacien). Cinq militaires de carrière sont par ailleurs mentionnés. Pour découvrir des données sociales concernant les autres personnalités, nous nous sommes plongés dans l’Annuaire du département de l’Hérault publié en 1939. Il constitue une mine pour les aspects administratifs ou commerciaux. La lecture attentive des listes des habitants des chefs-lieux d’arrondissement ou des principales professions, répertoriées dans les 33 cantons, nous apporte des renseignements intéressants. Sur 66 légionnaires, nous avons pu déterminer la profession de 36 d’entre eux.

Professions des chefs de districts et des délégués cantonaux à la propagande (septembre 1942)

Professions des chefs de districts et des délégués cantonaux à la propagande (septembre 1942)
  • 63 Voir supra.
  • 64 Rapport du commissaire de Sète du 22 août 1942. ADH 356 W 102. Citation donnée par Olivier Dedieu, (...)

20Le résultat de ce recensement atteste de la place cruciale de la profession médicale. Le processus de « redressement » en cours depuis l’installation du régime de Vichy lui est confié. Les positions dominantes sur le plan départemental de deux médecins expliquent en partie ce choix. Les responsables puisent dans un réservoir qui leur est familier. Le second enseignement à tirer résulte de la bonne position des officiers qui s’étend après 1942. Ils installent leur discipline dans les cantons de Clermont-l’Hérault, Pézenas, Roujan, Capestang et Lunas ainsi que dans l’arrondissement de Béziers, sous la tutelle du capitaine d’Andoque de Sériège. Cinq autres cantons dépendent de propriétaires terriens qui rentrent dans la catégorie des « groupements naturels ». Soit ils retrouvent une importance ancienne qui a pu être contestée depuis la fin de la Grande Guerre, soit leur engagement ne souffre d’aucune contestation et s’assimile à une forme de continuité politique. Tel semble le cas pour le canton de Castries. La nomination de Durand de Fontmagne à la direction du district paraît logique. Membre d’une « grande famille »63, élu à Castries durant des décennies, propriétaire de centaine d’hectares de terres agricoles, dirigeant influent de la CGV et de l’Union catholique des hommes, il présente un profil idéal dans l’optique du « renouveau » insufflé par la Révolution nationale. Cet échantillon contraste avec l’appartenance sociale des anciens responsables du monde combattant, membres pour la plupart des classes moyennes urbaines. L’esprit de camaraderie observé s’efface au profit souvent d’une distance sociale mal vécue : « La formation sociale des dirigeants de la Légion, leurs origines même, les placent très au-dessus de leurs camarades dont ils sont les directeurs de conscience et non les élus, observe le commissaire de Sète. Ainsi, on ne tutoie pas un président de la Légion (alors que) les anciens présidents se laissaient volontiers tutoyer (...) »64.

La mainmise des collaborateurs à partir de la fin 1942

  • 65 Le Petit Méridional, 4 février 1942.
  • 66 « L’esprit critique, fils de l’individualisme, a multiplié jadis, les clans et les partis. Les Fran (...)
  • 67 Ibidem.
  • 68 Le Légionnaire de l’Hérault, n° 11, septembre 1942.
  • 69 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 238.

21Dès le début de l’année 1942, si le maillage serré est incontestable, l’instrument majeur de la promotion des nouvelles valeurs rencontre quelques défaillances dans son fonctionnement et dans ses relations avec les autres pouvoirs en place. La presse, en février 1942, publie un message du maréchal qui précise les conditions de liaison entre les pouvoirs publics et la Légion. À la clarification s’ajoute une volonté évidente de redynamiser un mouvement qui commence à douter. Pétain s’empresse de féliciter cette « large élite » qui fait preuve d’une « profonde unité parmi les familles spirituelles de la France ». Extraite des « générations du feu », elle représente dans une « nation divisée par ses querelles (...), l’élément le plus sain, le plus sûr, le mieux trempé par l’épreuve (...) »65. Après un rappel de ses actions de terrain, le chef de l’État rentre dans le vif du sujet. Deux obstacles majeurs s’avèrent difficiles à franchir. Le premier est à rechercher dans le « tempérament français »66. Le second concerne l’administration. Le chef de l’État n’admet pas son « indifférence » ou son « hostilité voilée », attribuée à d’irréductibles « cadres (qui) n’ont point désarmé et dont les réactions vous ont souvent découragé »67. Le Service d’ordre légionnaire (SOL) qui émerge à Montpellier à la fin de 1941 répond à cette logique de reprise en main d’une institution centrale dans la bonne marche du régime. Étape intermédiaire avant la création de la Milice, il prend son essor avec le retour au pouvoir de Pierre Laval et annonce un raidissement général. Joseph Darnand, son initiateur, espère mobiliser les « véritables révolutionnaires ». Le SOL n’atteindra jamais un seuil organisationnel satisfaisant dans l’Hérault. En septembre 1942, Le Légionnaire de l’Hérault regrette que «trop de présidents de sections n’aient pas manifesté la moindre activité (...) pour le recrutement du SOL (...). À ceux-là, écrit le président, je rappelle que le SOL doit être constitué, c’est un ordre du Maréchal »68. Toutefois, un rapport de Darnand à la même période évoque un aspect fondamental. Notre département appartient à la petite minorité où les relations entre la Légion et le SOL sont très satisfaisantes69.

  • 70 Il sillonne régulièrement le canton afin de motiver les responsables locaux, intervient dans la pre (...)
  • 71 « Dans les heures graves que notre Patrie connaît ma consigne est la suivante : se serrer farouchem (...)

22De semblables conclusions ne nous étonnent pas. Déjà aux mains d’une fraction politique décidée à accorder une confiance aveugle au gouvernement de Vichy, l’état-major local connaît une inflexion remarquable : il tombe sous la tutelle du PPF. Le premier signe annonciateur du changement se produit dans L’Éclair le 17 novembre 1942. Un communiqué laconique annonce que le chef départemental de la Légion, le docteur Eloi Alméras a donné sa démission le 25 octobre « pour des raisons personnelles ». À sa place, la direction nationale désigne le général Guyomar. Militant aguerri, délégué de la Légion dans le canton de Clermont-l’Hérault, cet expert militaire ne se limite pas à une simple gestion routinière. Il occupe le terrain par des exercices de propagande appréciés au plus haut niveau70. Le virage martial pris s’affiche dès les premières déclarations publiques du général-président. Dans un message distribué le jour de sa nomination, il ordonne à ses troupes de se réfugier, en rangs serrés, derrière le chef vénéré et de « se taire »71.

  • 72 Jacques Delperrie de Bayac, Histoire de la Milice (1918-1945), Paris, Fayard, 1995.
  • 73 La police de Vichy la présente ainsi : « Son activité tend essentiellement au dépistage des foyers (...)
  • 74 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 249-254.
  • 75 Henry Rousso, « Collaborer », L’Histoire, n°80, 1985, p. 48-61.

23L’heure de la mobilisation sonne à l’instant où les inspirateurs de la politique gouvernementale, confrontés au débarquement des alliés en Afrique du Nord et aux prouesses de la Résistance, choisissent de s’engouffrer pleinement dans la collaboration avec l’Allemagne. L’autre temps fort, confirmant le tournant, sera le surgissement de la Milice, l’héritière du SOL, en janvier 194372. L’État ne dissimule pas son ambition : faire travailler en commun Légion et Milice pour maintenir l’ordre à l’intérieur du territoire73 et à court terme bâtir un parti unique74. Au sein des sections le milieu dirigeant légionnaire perd peu à peu son indépendance au profit d’une minorité « collaborationniste » aux « motivations multiples, diverses, parfois contradictoires et opposées »75 mais parfaitement soudée dans l’admiration portée à l’Allemagne nazie. Pour mieux comprendre, la détermination de ceux qui prennent le pouvoir dans une Légion aux stigmates politiques désormais poussés aux extrêmes, une parenthèse paraît nécessaire.

  • 76 Pascal Ory, Les collaborateurs (1940-1945), Paris, Seuil, 1976 et La France allemande (1933-1945) : (...)

24Le culte du nazisme se forme dès les années trente et se raffermit à l’époque du Front populaire. Le milieu conservateur s’il se démène pour endiguer la « marée rouge » ne réagit pas de façon identique envers Hitler. La Fédération catholique s’effraie. Les royalistes y voient la reconstitution d’un État fort obsédé par l’effacement de l’humiliation éprouvée à Versailles et réclament aux autorités républicaines une grande vigilance. Ce sentiment est partagé par les Croix-de-Feu. Dans ce concert de méfiance, quelques voix dissonent. Des groupuscules « ultras », peu organisés, regardent le travail acharné des adulateurs du Führer et souhaiteraient le transposer en France. Ils trouvent réconfortant que leur projet radical rencontre un écho positif dans une portion de l’élite universitaire amadouée, voire hypnotisée, par le tourbillon qui a emporté la République de Weimar pour dresser sur ses ruines un État en passe de discipliner toute la population76.

  • 77 Paul Delmas, « Impressions d’Allemagne d’un universitaire montpelliérain », Bulletin de l’Académie (...)
  • 78 Ibidem.

25Le professeur de médecine Paul Delmas, un des piliers de celle-ci, se fait l’interprète des « ultras » dans une conférence publique prononcée devant les membres de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier le 21 décembre 1936. Il s’emploie à convaincre une partie des couches dirigeantes qui souhaitent éviter l’amplification des réformes voulues par le gouvernement de Léon Blum. Quasiment à chaque ligne, le « mandarin » du haut de sa tribune se réjouit de l’expérience entamée en 1933. Il signe ici un texte important qui préfigure et accrédite le processus de collaboration, baptisé à Montoire, quelques mois après la disparition de la Troisième République. La démonstration entend s’établir sur des bases modestes. Il ne s’agit que d’« impressions », rapportées d’Allemagne par une personnalité montpelliéraine qui occupe une place à part dans la société (un « universitaire ») et qui ne se prive pas de le souligner en l’intégrant au titre de la communication77. Chantre des élites des Ordres, il commente son périple en Bavière et en Rhénanie à partir d’un « premier détail » observé avant de passer la frontière dans un bureau de change. « Sur la tranche des pièces d’argent, note-t-il, là où se lisait naguère chez nous la devise : “Dieu protège la France”, est gravé en quatre mots vigoureux l’affirmation : “L’intérêt commun passe avant l’intérêt privé”, et ce n’est point là clause de style, mais constatation vérifiée dans les grandes comme les petites choses »78. Dans le pays dirigé depuis trois ans par le Führer, la devise représente pour lui une réalité qu’il nous propose de toucher par une série d’observations relevées pendant son séjour :

  • 79 Ibidem.

« Le compartiment toilette des wagons est d’une irréprochable tenue, même sur les petites lignes ; les essuie-mains individuels en toile, rangés en ordre dans une petite armoire, sont, après usage, déposés avec soin dans la corbeille destinée à les recevoir, sans que nul ait l’idée de les dérober (...). Jamais un usager du trottoir ne s’affranchit de la règle du sens unique ; à l’étranger étourdi ou sans gêne, un avis indulgent suggéré à mi-voix (le remet dans le droit chemin). Et encore : sans bousculade, à l’arrêt du tram, l’entrée se fait par l’arrière, la sortie par l’avant. Un dernier : chaque médecin allemand, tous les cinq ans, est astreint à effectuer, dans l’Université de son ressort, un stage de trois semaines, tout comme en Soviétie d’ailleurs, en vue de se remettre en forme et de se tenir au courant des acquisitions récentes »79.

  • 80 « D’instinct, chacun sait les bienfaits de la discipline, et s’y prête spontanément de bonne grâce. (...)
  • 81 Ibidem.
  • 82 Ibidem.
  • 83 Ibidem.
  • 84 Ibidem.
  • 85 « Les trains partent et arrivent à l’heure exacte. Démarrages et arrêts s’y font sans à-coups, déce (...)
  • 86 « Ordre et gaieté des hommes se retrouvent dans les choses : pas d’affiches ni de graffiti sur les (...)
  • 87 Paul Delmas, op. cit., p. 172-174.

26Surtout, la discipline serait librement consentie par un peuple qui ne cacherait pas sa « joie de vivre » dans un tel système80 ! Ce qui s’expliquerait aisément, selon Paul Delmas, car « la vie est facile, (et) à peu de frais (...). Chacun est content de son sort, et le dit »81. Un autre exemple vient étayer ses impressions : celui de la « bonne humeur » dégagée par une jeunesse certainement hitlérienne. « Cette bonne humeur générale, raconte-t-il, se manifeste avec plus de spontanéité les dimanches et jeudis matins où, dans la rue, des groupes compacts d’enfants, sans aucune contrainte que leur volonté propre, sans même l’intermédiaire d’un camarade plus âgé, se groupent par quatre pour s’en aller à la promenade au pas cadencé, en chantant des hymnes patriotiques, et agitant amicalement leurs petites mains vers l’étranger croisé au passage »82. Certes, le voyageur relève des « exceptions » qu’il qualifie de « compréhensibles » dans ce tableau idyllique. Il évoque, sans s’en émouvoir, le cas de « ce professeur juif dépossédé de sa chaire, le jour que les pouvoirs publics ont déclaré ceux de sa race responsable de l’esprit de subversion »83 et poursuit en faisant ce commentaire : « ce que l’étranger de passage n’a pas eu le loisir de démêler »84. La « traque » organisée par l’État contre les juifs le laisse donc indifférent. Au lieu de s’alarmer, en percevant les contraintes drastiques, fruit d’un régime de terreur, le médecin conte avec malice les résultats de la politique dans le fonctionnement des compagnies ferroviaires85 et au coeur même des villes qui respirent « ordre et gaieté »86. Relevant la courtoisie qui entoure tous les Français, le visiteur croit en la bonne foi allemande. Le redémarrage d’un conflit, lui clame-t-on, n’est plus d’actualité et l’entente réciproque doit prévaloir87.

  • 88 L’Éclair du 10 février 1942 propose ce compte-rendu : « Une conférence de Georges Claude organisée (...)
  • 89 Pour un aperçu des difficultés rencontrées par les mouvements collaborationnistes, voir Philippe Se (...)
  • 90 Des rapports affirment que des militants du PPF « déterminés et partisans de l’action directe quitt (...)
  • 91 La population assimile le SOL a une « organisation similaire étrangère. Beaucoup, écrit le préfet, (...)
  • 92 En décembre 1942, le Docteur R. dans un rapport remis à son supérieur hiérarchique écrit : « Nous n (...)

27À la lecture de ses « Impressions d’Allemagne », nous ne pouvons pas être surpris par l’attitude de Paul Delmas après le naufrage de l’armée nationale. Animateur des conférences du groupe Collaboration de Montpellier88, il se mobilise en faveur de l’érection d’une Europe allemande. Appelés à s’investir aux côtés des Légionnaires, les militants des mouvements admirateurs du régime totalitaire de Hitler regrettent leur faible marge d’action pour accélérer le changement. La propagande se limite à des causeries et à des distributions de tracts. Pas assez de moyens seraient mis à leur disposition. Une plainte diffuse89 traverse ce milieu de fanatiques solidaires particulièrement implantés dans le Biterrois. La haine et les espoirs charriés par les deux principaux moteurs que sont le PPF et les groupes Collaboration, en liaison permanente, irriguent les correspondances des dirigeants placées sous le contrôle d’un régime qui scrute les variations de l’opinion en interceptant le courrier. Depuis la naissance de la Milice et l’ordre donné aux chefs légionnaires d’encourager l’enrôlement de leurs hommes dans ce dernier modèle de « machine de guerre », le cordon mythique reliant Pétain à son peuple a connu une sérieuse érosion. Les cohortes miliciennes, composées par bien des rejets militants des autres branches collaborationnistes, déclenchent des opérations répressives90 qui attisent une animosité déjà perceptible lors des premiers pas du SOL91. La masse des légionnaires encaisse mal la mutation et rejoint le flot des récalcitrants. Dans les lettres saisies, tous les collaborationnistes s’indignent devant autant d’« incompréhension »92.

  • 93 Gérard Bouladou, L’Hérault dans la Résistance (1940-1944), Nîmes, Lacour, 1992.

28La Légion française des combattants est victime de l’évolution du régime. Cet instrument massif chargé de répandre la politique gouvernementale, en vue de façonner un « homme nouveau », échoue. L’impopularité grandissante du régime, décelable dès la fin 1942, et la pugnacité de la Résistance93 emportent les restes d’une Légion à l’agonie dans une fin de règne placée sous le signe d’un accroissement de la barbarie. À côté du projet global de « revitalisation de la Patrie », l’Etat français sollicite des experts pour l’aider par exemple à réformer la cellule familiale. Jean Guibal devient l’un des principaux conseillers du régime sur cet axe fondamental sur lequel doit se greffer « l’ordre nouveau ».

La famille : un terrain d’expertise privilégié

  • 94 Jacques Dupâquier, Antoinette Fauve-Chamoux, « La famille », in Jean-François Sirinelli, dir., Hist (...)
  • 95 Elles constituaient jusqu’à cette période une sorte de sur-salaire. Voir Antoine Prost, « L’évoluti (...)
  • 96 Ibidem.
  • 97 Jacques Dupâquier, Antoinette Fauve-Chamou, op. cit., p. 42.
  • 98 Georges Duby, Michèle Perrot, dir., Histoire de femmes. Tome 5 : le Vingtième siècle, Paris, Plon, (...)
  • 99 Ibidem.

29Un survol des débats parlementaires entre les deux guerres donne à penser qu’une réelle « union sacrée »94 existe autour de la famille. Une politique nataliste et familiale prend corps. Elle mord aussi bien sur les bancs de la gauche que de la droite, comme en témoigne le renforcement des mesures législatives. La loi généralisant les allocations familiales est votée en 1932 après une alliance entre les radicaux et le « centre-droit ». Elles seront étendues au secteur agricole par le second gouvernement Blum, tandis que Camille Chautemps met sur pied un Haut comité de la population. Toutes les facettes du champ politique apportent leur contribution à une cause considérée comme d’intérêt national. Après les accords de Munich, la concordance politique sur ces questions se solidifie. Edouard Daladier à la présidence du Conseil fait l’unanimité avec un programme qui cherche à réamorcer la courbe des naissances. Le souci nataliste se traduit par un décret-loi de 1938 qui ajuste les allocations familiales sur un salaire moyen mensuel afin d’éviter des inégalités dues à des politiques salariales disparates d’une entreprise à l’autre95 ou par un code de la famille qui promet de fortes primes aux parents disposés à avoir au moins trois enfants. Le gouvernement inaugure, ce qu’Antoine Prost appelle, « l’âge d’or de la politique familiale »96. Il perdure pendant deux décennies. Cet historien rejoint Jacques Dupâquier et Antoinette Fauve-Chamoux pour englober dans ce mouvement la politique familiale du maréchal Pétain. « Le régime de Vichy ne marque nulle rupture : Travail-Famille-Patrie aurait bien pu servir de devise à la Quatrième (et à la Cinquième en ses débuts) qu’à l’État français »97, écrivent-ils. Effectivement, la politique du maréchal délimite strictement le rôle des femmes dans la société et entreprend de consolider, de façon plus large, la famille appelée à devenir « une unité organique du fonctionnement social »98. L’affirmation de la différence des sexes au sein du foyer est réaffirmée. L’homme en assure la direction par son autorité. La femme se contente du rôle de mère. La priorité donnée à la maternité leur permettra, selon les tenants de la Révolution nationale, de « retrouver les vertus de la vraie féminité »99.

  • 100 Licencié ès-lettres, docteur en droit, il prête serment le 21 octobre 1907 en s’intéressant d’abord (...)
  • 101 Nous nous appuyons ici sur les remarques du professeur de médecine André Thévenet, auteur de l’élog (...)

30Pourtant la notion de « rupture », refusée par les historiens attentifs à l’évolution de la politique familiale, a été revendiquée par des doctrinaires vichystes qui proposent au gouvernement des pistes de réflexion parfois reprises par la législation autoritaire ou restées au stade de projet. Au premier rang des experts sollicités, nous trouvons Jean Guibal. Son étude, publiée en 1941, porte un titre programmatique : La famille dans la Révolution nationale (Préface de René Gillouin, Clermont-Ferrand, Éditions Fernand Sorlot, 1941, Collection « Cahiers de Rénovation Nationale »). Elle revient sur les tentatives de « transformation des mœurs » qui ont germé depuis une cinquantaine d’années en dépit des interventions des groupes de pression d’obédience catholique. Cet avocat100, doté d’une « forte personnalité »101, est passionné par l’analyse politique. Il a suivi une trajectoire qui copie sur bien des points celle de son père : Louis Guibal. On ne peut pas comprendre les projets proposés par les tenants de la Révolution nationale sans retracer à gros traits quelques épisodes de la mobilisation de cette lignée qui va acquérir une légitimité sur la question familiale, pierre angulaire de la pensée traditionaliste, débordant largement l’espace régional.

« L’éternel féminin »

  • 102 Ils luttent pour l’égalité de droit des époux, la mise en place du divorce, la limitation de la pui (...)
  • 103 Jacques Dupâquier, Antoinette Fauve-Chamoux, op. cit.
  • 104 Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin. Contribution à une sociologie politique de l’ord (...)

31L’engagement de Louis et de Jean Guibal se confond avec la construction concurrentielle depuis la fin du xixe siècle d’un féminisme laïc qui milite pour l’ouverture du système scolaire et une meilleure intégration dans la vie professionnelle. Il reprend les revendications des révolutionnaires de 1789, contestataires des fondements traditionnels de la famille. Dans la lignée des philosophes des Lumières, les progressistes de la Législative réclament une réforme pour introduire des principes de laïcité, de liberté et d’égalité au sein de l’univers familial102. La Révolution n’ira pas très loin dans ce domaine, le Code civil de 1804 dégageant un compromis entre les coutumes de l’ancienne France et les désirs des accoucheurs du nouvel ordre social. Bien des adversaires du « nouveau régime » assimilent la famille à un « microcosme primordial du grand travail social ». Selon eux, « de la police de la famille dépend celle de la Cité »103. Pour les penseurs de la contre-révolution, comme Louis de Bonald, la famille précède l’État qui se plie à ses exigences et en premier lieu à sa protection. Base d’apprentissage élémentaire des contraintes et des libertés, elle remplit son rôle social si trois colonnes sont préservées : l’autorité paternelle, la transmission du patrimoine et l’indissolubilité du mariage. Un palier supplémentaire est franchi sous la Troisième République. À ses débuts, elle cherche en vain à rétablir le divorce. L’entêtement d’un socialiste, Alfred Naquet, paye une dizaine d’années plus tard. Le divorce est adopté en 1884. Il ouvre la voie à la montée en puissance d’une fronde féministe. Les conceptions antagonistes du rôle de la femme dans la société ressurgissent aussi dans les affrontements périphériques entre l’Église et l’État ou liés à l’École. La quête de l’émancipation, aussi minime soit-elle, heurte les défenseurs de « l’éternel féminin »104. Face à l’ère nouvelle de la démocratie, ils entonnent une complainte monolithique qui résiste au temps.

  • 105 Louis Guibal, «Le féminisme», Bulletin de l’Association des Amis de l’Université de Montpellier, Mo (...)
  • 106 « J’ai cru qu’entre d’autres je pourrais me laisser désigner par lui (le président de l’Association (...)
  • 107 Ibidem.
  • 108 Ibidem.
  • 109 Ibidem.
  • 110 Ibidem.
  • 111 Ibidem.
  • 112 « Joseph de Maistre est bien d’avis que “chaque être doit tenir sa place et ne point affecter d’aut (...)
  • 113 Ibidem.
  • 114 Louis Guibal, op. cit., p. 18-19.

32Les avocats languedociens du « traditionnisme » seront particulièrement vigilants sur cette question. Louis Guibal multiplie les interventions. Une illustration intéressante de ce combat nous est donnée en 1904. Invité par l’Association des Amis de l’Université de Montpellier, il présente, dans un exercice de rhétorique qu’il affectionne, une communication longue de trente-quatre pages sur Le Féminisme105. Dès le départ, il légitime sa prise de parole en s’excusant à plusieurs reprises106 pour indiquer à l’auditoire qu’il ne peut lui « offrir ce soir que (sa) bonne volonté et (son) ignorance »107. Pour quelles raisons, le président de l’Association des Amis de l’Université lui a-t-il proposé un tel défi ? Louis Guibal répond, dans un style plein de fausse modestie, qu’il a « estimé que, Montpelliérain, je serais heureux de donner mon concours, si modeste soit-il, à une oeuvre dont Montpellier est justement fier ; et en cela je ne puis que le remercier d’avoir pensé à moi. Mais il a eu l’illusion -combien cruelle pour vous ! - que puisque avocat, -nos détracteurs diraient quoique avocat- je devais pouvoir exprimer correctement des idées à peu près saines sur un sujet à peu près actuel »108. Par la suite, l’intéressé s’engage à l’égard des dames à « parler dignement (d’elles) et plus utilement (à leur) montrer les écueils où (les) conduisent certains de ceux qui disent (les) défendre, ou pensent les libérer »109. La responsabilité qui lui incombe n’est pas mince. La question du féminisme « touche, estime-t-il, au fondement même de notre ordre social, à son histoire, à ses aspirations actuelles »110. Le texte s’annonce comme une croisade pour le maintien de « la dignité suprême que l’ère chrétienne a donnée à la femme »111. Le Créateur limiterait strictement la place des hommes et des femmes dans la société. Il renvoie l’auditoire à la lecture de Joseph de Maistre112 et rejette le mouvement actuel, qualifié de « féminisme intégral »113, qui revendique le droit à l’instruction. Il formule en ces termes son dépit : « Faut-il du moins que la femme voit son esprit soumis aux tortures de la pédagogie, avec une rigueur égale à celle que subit le cerveau masculin ? L’instruction de l’un et de l’autre doit-elle être nécessairement égale ? Cela serait regrettable, si cela pouvait paraître nécessaire !!! Mais il n’en est rien ; et le bon sens, comme la nature elle-même, protestent contre semblable hardiesse »114.

  • 115 Ibidem.
  • 116 Ibidem.
  • 117 « Et d’abord, pour parler net, la Providence ne nous a-t-elle pas fait dissemblables? Regardez seul (...)
  • 118 « Ne sentez-vous pas, en effet, que ces diversités sont essentielles à l’existence même de l’humani (...)
  • 119 Ibidem.
  • 120 Il fait appel à une citation de Guizot pour appuyer son point de vue : « Pourquoi rechercheriez-vou (...)

33Le maître du barreau, après ce plaidoyer, stipule que « l’essence »115 et le « normal développement »116 cantonnent la femme « à l’élégance, à la finesse et en un mot à la grâce ». Tous ces éléments ne pourront jamais être attribués à la population masculine explique-t-il en usant d’un ton volontairement humoristique117. Plus globalement, Louis Guibal ne comprend pas les discours qui réclament l’égalité entre les sexes. Il n’y voit que la naissance d’un processus vers «l’uniformité» synonyme de « stérélité »118. Il ne peut imaginer la présence quotidienne de l’homme au foyer aux côtés de ses enfants : « Nous voyez-vous, nous, les hommes, grossiers de forme ou simplement maladroits, donnant à l’être que vous venez de mettre au monde, les soins minutieux que réclame une frêle existence ? Et puis si femme et mari se consacrent tous deux à ces mêmes nécessités, qui donc apportera au foyer ce que réclament les soins, la nourriture de tous et le développement de la famille »119? Quant à l’attirance pour la politique, elle est fortement déconseillée par ce spécialiste des activités « désintéressées ». Les « arbitres du goût » ne peuvent s’y complaire : « C’est maintenant aussi la politique qui vous tente, paraît-il. Que Dieu vous en préserve, Mesdames. Vraiment, pour vous qui êtes les arbitres du goût, je ne comprends pas cette tendance. Depuis longtemps le poète l’a dit : “La politique, hélas ! Voilà notre misère ; mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire” (...) »120.

  • 121 Louis Guibal, op. cit., p. 27.
  • 122 Louis Guibal. op. cit., p. 33.
  • 123 Louis Guibal, op. cit., p. 27.
  • 124 Ibidem.
  • 125 Ibidem.
  • 126 Ibidem.
  • 127 Louis Guibal leur reconnaît simplement une faculté d’« inspiration » et tolère quelques avancées ju (...)
  • 128 « Je crois, écrit-il, que votre cause gagnera beaucoup à se montrer moins tapageuse. Je pense surto (...)

34À tous les niveaux, les progrès de l’égalité encouragés par les « affolées d’émancipation »121 inoculent un « poison »122 ravageur, explique-t-il. Le conférencier redoute au plus haut point le « féminisme intégral, cette forme complète et redoutable de révolution sociale »123 qui prône entre autres « blasphèmes »124 l’union libre et d’autres « semblables sauvageries »125. Le divorce rentre bien sûr dans ces catégories. Toutes ces mesures, selon lui, se révèlent très pernicieuses. Elles posent les premiers jalons de la société « socialiste que feignent de rêver certains esprits plus ambitieux que sincères (...) »126. Cet observateur de l’évolution sociale n’admet que très peu d’avancées127 et achève sa « leçon » par une conclusion très féroce qui vise à justifier le cloisonnement de la femme128.

  • 129 « Elle lutte pour la défense de nos écoles libres et la sauvegarde de l’âme de nos enfants », rappo (...)
  • 130 Son message général tient en cinq points : veiller à l’éducation des enfants ; développer à l’école (...)

35Louis Guibal ne limite pas son action aux simples discours mondains. La bataille autour de la question scolaire qui fait rage autour des années 1900 et s’étend après guerre correspond à un enjeu primordial. Les « menaces » que l’école laïque ferait peser sur l’enfant pourraient aboutir à l’implosion du modèle familial. Avec l’aide de Mgr de Cabrières se met en place la Ligue des chefs de famille pour la défense de l’école libre, dont Louis Guibal prend la présidence. Des comités de cinq membres forment sa base dans toutes les paroisses129. Après la coupure de 1914-1918, il confie la responsabilité de l’organisation à son fils Jean qui s’y investit pleinement. Appelée l’Association catholique des chefs de famille, elle est affiliée à la Fédération du général de Castelnau. La ligue attaque de plein fouet toutes les tentatives gouvernementales prônant l’extension de la laïcité130. Les « protecteurs de la famille » y voient une « politique sournoise » capable de renverser les principes sur lesquels s’appuie la « France chrétienne ».

  • 131 Pour que « le suffrage soit vraiment un suffrage intégral et non pas un suffrage mutilé », précise- (...)
  • 132 « Nous voilà à la première réalisation de l’École unique de l’État, maître des intelligences dans l (...)
  • 133 Ibidem.
  • 134 Ibidem.
  • 135 Ibidem.

36Dans un rapport présenté en 1928 aux responsables communaux, le président Jean Guibal étale son angoisse. Il préconise, parmi toutes les possibilités, une régulation du suffrage universel masculin suspecté de promouvoir la dérive dénoncée. L’instauration du vote familial lui semblerait bienvenue131. Deux points majeurs retiennent son intérêt dans la communication : l’École et les naturalisations. Dans l’institution scolaire, l’État deviendrait dorénavant le « maître des intelligences » au détriment des familles dépossédées d’une « fonction naturelle »132. Il reprend ici une vue largement rabattue par la communauté catholique. À propos du second aspect, il considère que l’évolution récente de la législation trouble l’identité nationale. Plusieurs contrecoups risquent d’en découler. Tout d’abord, la loi constitue un signal fort « d’humiliation pour des Français économes de leurs peines, de voir les vides faits au village par la stérélité française comblée par ces grands renforts d’étrangers »133 ! Ensuite l’ouverture souhaitée, si elle ne reçoit pas un rejet catégorique, mérite un fort encadrement dans le processus d’intégration afin d’éviter « qu’ils ne deviennent les agents d’importation de moeurs étrangères (...) »134. Jean Guibal entend les forcer « à prendre racine (...), en se nourrissant des vraies sèves Françaises », qu’il énumère ainsi : « Être Français, c’est être laborieux, aimer son coin de terre et son clocher natal ; être Français c’est pratiquer la mesure, la politesse, ces formes de la charité ; être français, c’est aimer tous les hommes sans doute, mais c’est aimer d’abord la France, son histoire d’hier et celle de demain ; être Français, c’est être chrétien »135.

  • 136 Trois définitions différentes et qui peuvent se recouper selon les moments sont posées par ce scrut (...)

37Au coeur de l’entre-deux-guerres, ce point de vue ne soulève que très peu de désaccords. Il s’inscrit dans le mythe de la « Vraie France », édifié à la fin du siècle dernier par la droite nationaliste et repris par l’ensemble des courants politiques, comme l’a montré l’historien américain Herman Lebovics136. La conception, dessinée par Jean Guibal, se rapproche de celle de Maurice Barrès. Dans les périodes de tensions intérieures caractérisées par une radicalisation des prises de position, comme ce fut le cas au moment du Front populaire ou durant les « années noires », des barrésiens se laissent très facilement gagner par la perspective voisine qui s’efforce d’écarter tous ceux qui n’entrent pas dans la catégorie fictive des « Vrais Français ». Les juifs, les immigrés et les communistes figurent parmi les plus accablés.

  • 137 Pierre Bourdieu dans son auscultation du champ juridique montre que « l’idéologie professionnelle d (...)
  • 138 Gabriel de Llobet, Le Cardinal de Cabrières, Paris, La Bonne Presse, 1944.
  • 139 L’Éclair du 27 octobre 1936 nous en donne un compte-rendu très révélateur : « Mademoiselle Moreau, (...)

38Le modèle soviétique répugne tellement qu’il déclenche des vagues de protestation de la communauté catholique « traditionniste » qui peut utiliser la « force du droit »137 dans son entreprise de démystification. C’est le cas lors des congrès nationaux de l’association nationale des jurisconsultes catholiques, présidée par Léon Guibal. Par exemple, celui de 1936 a lieu à la salle Wagram à Paris en présence du général de Castelnau, de Xavier Vallat et de Mgr Gabriel de Llobet, l’archevêque d’Avignon. Cet admirateur du cardinal de Cabrières, auquel il rend hommage dans un livre paru en 1944138, fut promu président des journées de discussion. À cette occasion, deux professionnels du droit cherchent à démontrer d’une part la nocivité du communisme dans le domaine de la natalité et d’autre part la particularité des rapports entre parents et enfants dans le droit de l’URSS139. La Revue catholique des institutions et du droit répand les méditations de ces juristes engagés. La collaboration de Jean Guibal est très appréciée. Par exemple, en 1935, il fait paraître un article sur « La question scolaire et le socialisme », et deux ans plus tard, disserte sur « Le patrimoine familial et le communisme ». Ce spécialiste reconnu de la sphère privée va approfondir l’analyse dès les premiers mois du régime de Vichy.

De nouvelles pistes de réflexion

  • 140 Jean Guibal, La famille dans la Révolution nationale. Préface de René Gillouin, Clermont-Ferrand, É (...)
  • 141 On trouve une collection titrée « Les cahiers de Politique nationale » avec plusieurs livres signés (...)
  • 142 Si l’Allemagne et l’Italie retiennent principalement son attention, nous pouvons noter aussi l’exis (...)

39La famille dans la Révolution nationale correspond à un rapport réalisé sur une des trois colonnes porteuses de « l’ordre nouveau ». Jean Guibal s’est indubitablement mis à l’ouvrage dès les premiers jours de l’arrivée au pouvoir de Pétain. Le raisonnement tient dans une trentaine de pages rédigées, comme l’indique l’auteur, « à Vichy et à Montpellier ». L’expert a «bouclé» son travail en octobre 1940140. Le choix de la maison d’édition atteste du caractère officiel de la démarche conduite par le bâtonnier montpelliérain. L’éditeur Fernand Sorlot, installé à Clermont-Ferrand, présente en quatrième de couverture un échantillon édifiant d’ouvrages célébrant les perspectives tracées par l’État français141. Avant d’examiner le contenu du rapport, il convient de dégager quelques indicateurs puisés dans ses publications sur la situation internationale complexe des années trente142. Par ce petit détour, nous appréhenderons une partie de ses conceptions sociétales qui ressortent dans le regard jeté sur la cellule familiale.

  • 143 Gustave Le Bon écrit en 1894, dans les Lois psychologiques de l’évolution des peuples, « l’histoire (...)
  • 144 Une métaphore illustre sa position : « Une révolution, pour un peuple, c’est comme une saison nouve (...)
  • 145 Le titre d’une section est le suivant : « L’âme allemande aujourd’hui ». Voir Jean Guibal, « Dans l (...)
  • 146 Ibidem.

40Les pérégrinations intellectuelles de Jean Guibal s’inscrivent dans un cadre théorique très commun autour des années 1900 et qui connaît un réel écho jusqu’aux années soixante : chaque peuple aurait une âme bien définie, un caractère permanent, dépendant de logiques affectives et biologiques. On martèle abondamment alors l’existence de « races historiques » fondées sur des cultures et des traditions communes. Gustave Le Bon à la fin du xixe et André Siegfried au milieu du xxe siècle sont très représentatifs de cette conception143. Jean Guibal s’y inscrit également. Derrière les successions de régime, l’Héraultais affirme déceler une sorte d’« esprit immuable ». En bon « traditionniste », il estime que les nations ne changent pas au fil du temps à l’instar de la terre144. Partant de là, il apporte un soin tout particulier à l’analyse des inclinaisons politiques des pays impliqués dans la Grande Guerre. L’Allemagne retient beaucoup son attention. Quatre années après la signature du traité de Versailles, l’avocat languedocien parcourt pendant plusieurs mois la Rhénanie. À partir de ses impressions de voyage et d’une recherche complémentaire basée sur des statistiques, il rédige un article en deux volets publié dans la Revue hebdomadaire en 1923. Son but est simple. Il cherche à faire le point sur la situation d’un pays contraint à respecter des principes dictés par les vainqueurs. De son exploration de « l’âme allemande »145 découle le bilan suivant : « l’Allemagne non occupée se définit hélas ! dès maintenant d’un mot. Il y a un nouvel ennemi (...). Elle songe déjà à déchirer le traité ; quoi que nous fassions sa volonté à elle a déjà nettement pris position. Elle se reforme, elle s’entraine »146. De retour en France, il continue à suivre les convulsions du régime de Weimar et l’éclosion d’un nationalisme exacerbé qui rêve de reconquête.

  • 147 Jean Guibal, « Où va l’Allemagne d’Hitler ? », Bulletin..., op. cit.
  • 148 Jean Guibal, op. cit., p. 154.
  • 149 Jean Guibal, op. cit., p. 157-158.
  • 150 Jean Guibal, op. cit., p. 161.
  • 151 Dans une section intitulée « Le droit d’un peuple de maîtres », Jean Guibal décrit ainsi sa vision (...)

41En 1933, la lecture de Mein Kampf et les premiers mois de Hitler au pouvoir le secouent. Tout au long des lignes d’une conférence reproduite dans le Bulletin de l’Académie147, il dénonce la « hardiesse d’Hitler»148 et la menace grandissante que représente le renouveau de la puissance en construction. Dans l’incohérence des événements politiques, une trame inexpiable surgit. L’unité du pays enfin réalisée, la suppression des anciens partis et de « tout ce qui constituait dans la nation un autre axe que celui d’Hitler »149, le broyage des individus récalcitrants, permettent à Jean Guibal d’affirmer que « l’État hitlérien, c’est l’État totalitaire »150. L’acuité de son analyse peut surprendre, onze mois seulement après l’accession au pouvoir du Führer. Ce premier état des lieux regorge d’inquiétude. Reprenant à son compte, la citation d’un ecclésiastique, Mgr Kaas, qui écrit : « Hitler n’est pas né en Autriche, il est né à Versailles... » ; le futur bâtonnier dévoile l’esprit de revanche qui imprègne les zélés défenseurs du national-socialisme. « Un cordon de feu court et gagne toute la ceinture des États voisins » raconte-t-il, en craignant une prochaine « contagion »151.

  • 152 « Le mouvement nouveau tend à débarrasser l’action de l’usure des Parlements qui ne veulent être qu (...)

42Dans une perspective comparative, il termine son exposé en croisant les chantiers hitlériens avec ceux de Mussolini. Si des points communs existent entre les deux régimes, c’est surtout les différences qui l’interpellent. Pour les premiers, la liste brossée reprend bien des impressions observables dans nombre d’essais de l’époque : la quête du chef, le refuge devant un avenir incertain, la suppression des partis et du régime électif, le reniement du « vieux mot liberté », l’économie cloisonnée... Cette énumération n’a pas pour Jean Guibal que des aspects négatifs. La mise en sommeil du « jeu des partis » ne le trouble pas152. Un pareil sentiment l’anime quand il loue une « réaction naturelle (...) : l’esprit nouveau, vivant », prenant appui sur les couches juvéniles :

  • 153 Ibidem.

« L’Allemagne et l’Italie ont démontré que, partout où l’air frais a balayé les relents des bureaux gouvernementaux, un esprit nouveau, vivant, anime l’âme du peuple tout entier. La force des peuples ne réside pas seulement dans la sagesse des ancêtres, sa source intarissable elle la trouve aussi dans la jeunesse. “Un peuple est voué à la mort quand il est gouverné par des générations au déclin de la vie” (Article de L’Angriff journal de Goebbels). Ainsi, des deux côtés, la jeunesse a fait son oeuvre. Elle l’a faite en réduisant au minimum la préparation de l’esprit : elle a banni le socialisme, par exemple, parce qu’il était délétère et c’est après seulement qu’elle cherche les formules capables de concilier les contradictions dans lesquelles elle s’est engagée. Mais là encore n’est-ce pas une réaction naturelle ? La génération précédente était celle de la haute culture, de la vie intellectuelle. Celle-ci ne risque-t-elle pas d’être celle de la vie physique et de l’action extérieure ? Et ce problème n’est plus commun seulement à deux nations. C’est le problème de notre siècle »153.

  • 154 « Mais à côté de ces notions qui rapprochent, que de différences entre les deux mouvements » ! note (...)
  • 155 « Si on y regarde plus profondément, les différences s’accentuent jusqu’à devenir des oppositions ; (...)
  • 156 « Derrière le nazi, on voit se profiler l’Allemagne de toujours. La filiation est établie. On trouv (...)
  • 157 Pour étayer sa démonstration, il cite l’extrait d’un discours du ministre de la justice du Reich : (...)
  • 158 Ibidem.
  • 159 Ibidem.
  • 160 Ibidem.

43Malgré tout, l’expérience italienne se différencie sans l’ombre d’un doute, pour son point de vue, du cas allemand154. Le terme de « différence » serait, assure-t-il dans un autre temps, impropre si l’on s’appesantit un peu sur les réformes réalisées. Il faut lui préférer celui d’« opposition »155. Il appréhende es bouleversements en cours comme une résurgence de « l’Allemagne de toujours » en quête de sa grandeur perdue156. L’« être allemand » est imbibé par une « volonté de puissance » telle, que « l’anéantissement de l’homme »157 et l’immersion de l’humanité dans une « religion germanique dont le premier postulat est l’exil du Crucifié », ne font guère d’illusion si rien ne vient empêcher la progression des nazis. Au fil de la démonstration, « l’opposition » se transforme en « abîme »158. Celui-ci sépare les « deux climats » politiques impulsés par Mussolini et Hitler. Jean Guibal admet que seul le « procédé de croissance de ces deux arbres est semblable »159. Les discours prononcés aux bords du Tibre s’inscrivent dans la tradition de la « civilisation romaine et chrétienne et du Quatro-Cento : l’Imperium et l’Auctoritas par le pouvoir, mais non pas la dureté, -la formation morale d’un homme qui connaît un au-delà proportionné à ses mérites, l’idée de qualité opposée à celle de puissance (...) »160.

  • 161 Jean Guibal, op. cit., p. 178.
  • 162 Jean Guibal, « Préludes Franco-Italiens. Souvenirs d’un soldat français d’Italie », Bulletin de l’A (...)
  • 163 « Enterré dans un bombardement, miraculeusement sauvé, il repartira au combat. Trois fois cité, sa (...)
  • 164 Il va même plus loin pour qualifier ce lien : « Français et Italiens, depuis que nous fûmes soldats (...)
  • 165 Jean Guibal, op. cit., p. 192.

44Ces « réflexions éparses »161 sur les mutations de la scène internationale se poursuivent l’année suivante. Dans une nouvelle intervention, il reprend de façon un peu détournée son autopsie des régimes touchés par les politiques incisives qui tendent à construire un « ordre nouveau ». À partir de ses souvenirs de la Grande Guerre, il célèbre l’amitié tenace entre la France et l’Italie qui a pris une dimension supplémentaire au front162. C’est un lieu commun d’affirmer que l’engagement sous l’uniforme l’imprègne profondément. Son successeur à l’Académie rapporte son héroïsme dans l’hommage rendu devant ses pairs163. De l’épreuve des armes, il en retire pour l’essentiel sa rencontre avec les combattants transalpins. « L’amitié actuelle (passe par de) semblables préludes »164, affirme-t-il. Faisant toute la généalogie du rapprochement à l’aide de son carnet de route écrit pendant la tourmente (Étapes sur le chemin de la victoire), il en tire une démonstration générale applicable à l’histoire des années trente : les Français et les Italiens, malgré quelques dissemblances peu dissimulables, sont des « frères utérins »165. Le « Gaulois » sommeille dans l’Italien qui se caractérise principalement par son souci de l’ordre. Dans une envolée, Jean Guibal salue la « franchise » latine :

  • 166 Ibidem.

« Nous ne manquons pas de te reconnaitre, ô terre latine, ô douceur, ô ordre ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que les Français arrivent au seuil de tes mystères ; et chaque fois qu’ils en approchent, ils éprouvent le sentiment de s’élever à un idéal supérieur. Mais que les Dieux nous pardonnent si, sous cette toge romaine qui porte dans ses plis l’ordre romain, par un vieil instinct de race, nous frémissons au sentiment des libertés et des franchises. Nous sommes nés, ô Dieux romains, de parents barbares, chez les Gaulois rudes et farouches qui ont pour centre un plateau austère, entre la mer latine et les brumes du Nord, entre la douceur angevine et la médiation de la forêt vosgienne. Ouvert sur des contrées ainsi diverses, mais qu’il pénètre toutes de ses eaux, ce haut lieu nous aide simplement à maintenir quelque ordre en nous. Mais auprès de vous, nous le sentons bien, nous sommes des primitifs »166...

  • 167 « Si l’on s’évade des sensibilités, que de vues objectives nous passionnent et nous confondent ». V (...)
  • 168 « Nous éprouvons, comme les Italiens, la menace du barbare. Nous sommes au même diapason, et (...) (...)
  • 169 Jean Guibal, op. cit., p. 198.

45Les intitulés des deux dernières sections (« Le sens de l’ennemi commun » ; « Nos sentiments nationaux se pénètrent ») résument un axiome majeur de sa réflexion. Les deux peuples partagent un même idéal167. Cimenté par l’effort pour refouler l’envahisseur « barbare »168 hors du territoire, ils méritent de connaître au plus tôt de nouvelles preuves de rapprochement. « Notre pénétration réciproque de combattants à combattants, devait aller plus avant » regrette l’intéressé, en évoquant le temps des tranchées avant de revenir aux préoccupations actuelles où les jeunes générations porteuses de la lueur fasciste s’indignent devant le traitement que leur infligent les régimes encore républicains. « Sachons, s’écrie Jean Guibal, leur rendre la chaleur de notre confiante amitiée ! Quand ils s’essayent ainsi à reparler de “Rome” (...), ce n’est pas qu’ils ignorent la splendeur écrasante qui s’attache à ces mots : ils les prononcent d’une voix hésitante qui s’essaye, et pour un peu s’excuserait. Pathétique conflit de leurs fiertés et de leurs modesties ! Une pareille émulation, quand elle n’est pas aveugle, n’est un signe que de valeur, et ne permet que le respect. Saluons ces jeunes énergies qui veulent s’essayer à rentrer dignement dans la maison de leurs aïeux »169. La célébration constante des relations franco-italiennes contraste avec la mise à l’index sans finesse discursive des méthodes allemandes. Le raisonnement tendant à démontrer l’existence d’un « abîme » entre les fascistes et les nazis reste fréquent à l’époque tout particulièrement dans la mouvance catholique. Les réformes mussoliniennes constituent une piste attractive à l’instar d’autres expériences autoritaires. Le rapport sur La famille dans la Révolution nationale recommande des mesures qui en sont directement inspirées.

  • 170 Il publie : Henri Bergson : choix de textes avec études du système philosophique (Paris, Éd. Louis (...)
  • 171 On trouve par exemple : Le problème de l’Occident (1929) ; Le destin de l’Occident (1929) ; Christi (...)
  • 172 Michèle Cointet-Labrousse, Vichy et le fascisme, Bruxelles, Éd. Complexe, 1987, p. 138.
  • 173 « Vous m’avez fait le très grand honneur de me demander un avant-propos pour cette brochure qui, si (...)
  • 174 Ibidem.
  • 175 Ibidem.
  • 176 Ibidem.
  • 177 Ibidem.
  • 178 Ibidem.

46Le doctrinaire du familialisme a souhaité recevoir l’aval d’un pétainiste de premier plan en demandant à René Gillouin de rédiger la préface. Hommes de lettres, né en 1881, il se penche sur l’oeuvre de Bergson170, avant de dresser l’état du modèle Occidental dans une série d’essais171, et de tâter à la politique au sein du conseil municipal de Paris. Habitué des cénacles conservateurs, sensible aux vues maurrassiennes172, il salue l’avènement du « héros de Verdun » et s’y rallie pleinement jusqu’en 1942. À l’origine de plusieurs discours célèbres du maréchal, René Gillouin apporte sa pierre à l’édifice doctrinal en rédigeant France 1941. La Révolution nationale constructive (Paris, Alsatia, 1941). C’est donc à un « nègre », porteur de la quintessence de la pensée pétainiste, que Jean Guibal s’en remet. Dans le respect des règles coutumières à toutes les préfaces, René Gillouin assure « publiquement » à l’avocat attaché à la reconsidération de l’espace familial sa « profonde estime »173. Reprenant les temps forts d’une brochure qui entend démontrer les erreurs commises par les anciens dirigeants du pays, le préfacier tout en indiquant la nécessité de remonter jusqu’à la fin du xviiie siècle pour retrouver les « racines du mal » (l’individualisme au dépens de l’institution familiale), insiste sur les « germes » contemporains du « désastre »174. Il s’en prend à différents essayistes accusés de « bafouer l’ordre social à qui ils doivent tout »175 : André Gide, « le théoricien de l’immoralisme » qui compare la cellule familiale à la « prison »176 et surtout Léon Blum, « le triste auteur » d’un « affreux livre » sur le mariage « que l’on pourrait définir comme un manuel de chiennerie consciente et organisée »177. La sévérité des assauts contre l’ancien Président du conseil constitue en effet le fil directeur du rapport remis par Jean Guibal, répertorié par le « conseiller intime du Maréchal » parmi les « bons et dévoués artisans de ce meilleur avenir »178 que les deux acteurs politiques s’efforcent de fabriquer.

  • 179 Enfin les Français vont «revivre» s’ils réalisent «chaque jour davantage cette communion » qu’il ap (...)
  • 180 Ibidem.
  • 181 Léon Blum, Nouvelles conversations de Goethe et d’Eckermann. Cité par Maurice Barrès, Scènes et doc (...)

47Un paragraphe, en guise d’avant-propos, signale la volonté émise par l’auteur de s’adresser à « chaque Français ». Il ne doute pas de leur capacité à se renouveler au contact de la pensée de l’État en train de naître179. Lorsque Jean Guibal parle du nécessaire « redressement », il pointe du doigt les facteurs responsables de la situation présente. Léon Blum est « celui qui a jeté ce pays dans l’illusion »180. Un lien s’établit à ses yeux entre l’expérience néfaste du Front populaire et les réflexions de son inspirateur en matière d’organisation de la société. Jean Guibal met en exergue une citation de Léon Blum sur la libération de l’individu. « La Famille, écrit-il, la Commune, ce sont les collectivités les plus dangereuses, parce que nous les aimons et parce qu’elles nous retiennent. Contre le développement libre de l’individu, ce n’est pas la contrainte ou la misère que je redoute le plus, mais les liens de l’affection partagé et du bonheur médiocre181 ».

  • 182 Jean Guibal, op. cit., p. 5.
  • 183 « Nous avons trop souffert du faux, de l’illusion ! Tromper l’homme, c’est la grande faute : c’est (...)
  • 184 « Loin de nous les idéologies à beautés oratoires, et leurs complices auprès des masses, les slogan (...)
  • 185 Ibidem.
  • 186 Prenant un ton solennel, Jean Guibal repousse la voie choisie par les protagonistes du Front popula (...)
  • 187 Ibidem.

48Celui qui appartient à une lignée préservatrice des valeurs du familialisme sort de ses gonds devant tant de témérité due à une « perversité d’intellectuel (qui) dépasse les ironies les plus perfides de l’esprit »182. Il estime que les « années Blum » correspondent à un subterfuge (il réemploie le terme d’« illusion »183) et souhaite que toute la population accomplisse la « révolution intérieure », impulsée par un maréchal bien campé dans le « réel ». Pêle-mêle, Jean Guibal décrit quelques particularités de cette politique qui aurait « trompé l’homme »184 et dénonce « l’attrait de l’universel » auquel il faut préférer « du relatif : une maison à nous, un horizon que l’on touche du doigt, des groupes limités où nous connaissions nos voisins, par qui nous soyons “retenus” »185. Les ouvertures préconisées au temps du Front populaire induiraient les agents sociaux vers une dangereuse impasse. Les espoirs de « liberté » relèvent de l’utopie. Jean Guibal s’emploie à enlever la « buée politique » qui recouvre le paysage politique national186 et prône un retour vers ce qu’au début du siècle Charles Maurras, Maurice Barrès et Frédéric Mistral nommaient le « pays réel ». « Il ne s’agit pas de faire le lit de l’humanité ; il y a de la sagesse à faire d’abord le lit des siens. Et, dans cette sagesse mesurée, il y a déjà tout le reflet de l’infini. Ainsi deux Évangiles auront fait deux Cités : l’Évangile de l’individu “libre” a fait la Cité du malheur ; l’Évangile du foyer va refaire la Cité de vie : le Foyer, le Métier, le Sol... »187, peut-on lire dans le rapport. Le « bonheur » passe donc par une reconsidération immédiate du foyer familial. La Révolution nationale en marche entend s’appuyer sur cet élément qualifié de « vital ». Jean Guibal dans le reste des pages de son étude montre pourquoi la cellule familiale est une forteresse puissante à reconstruire.

  • 188 Jean Guibal, op. cit., p. 8.
  • 189 Il permet « le renoncement aux caprices qui passent, c’est le commencement de la force de l’homme. (...)

49Il se réfugie dans la tradition pour montrer la nature « bienfaisante » de l’institution au coeur de ses propos et envisage de dépoussiérer ce vieux cadre indispensable afin qu’il imbibe l’avenir. « La famille doit être un dynamisme (...), un principe d’action »188, déclare-t-il. Elle seule offrirait « l’ordre » qui aurait tant fait défaut à « l’ancien régime ». En son sein « l’individu (devient) ordonné avec lui-même »189 et trouverait une sérennité très utile surtout en temps de guerre. Autre vertu, la famille éliminerait l’isolement de l’individu décrié dans la littérature non-conformiste. La création d’un « univers » commun après la prestation des serments, lors du mariage, ouvre un « horizon » appelé à durer et dont les « enfants seront le conseil permanent ». Dans un dernier point, il explique que l’individu grâce à la famille « s’intègre à la Patrie ». Si, selon lui, le célibataire a une devise inique (« après moi le déluge »), l’homme marié sommé de procréer représente une force pour le pays (« Famille et Patrie ne font qu’un. Ainsi la famille qui régénère et épanouit l’individu sauve aussi la Patrie »).

  • 190 « Nous avons tant l’individualisme dans le sang, (qu’) il agit sur nous comme une si lourde hérédit (...)
  • 191 Ibidem.
  • 192 Ibidem.
  • 193 Pour y arriver, il propose « d’emprunter la formule d’une autre Révolution : “Qu’est la famille ? R (...)
  • 194 Ibidem.
  • 195 Ibidem.

50Ces trois étapes représentent dans son esprit un tout harmonieux à recréer. Il ne se voile pas la face devant les difficultés rencontrées. Pour atteindre la « primauté du familial, il y a tout un monde à retourner (et) c’est ici le centre de la Révolution nationale », annonce-t-il. Les obstacles qui se dressent sur sa route prennent plusieurs formes. La principale inquiétude réside dans la vigueur d’un individualisme190, tellement ancré en nous qu’il fait partie de nos « habitudes ». Or, l’élimination du « monde des habitudes »191 sera la redoutable tâche assignée au gouvernement décidé « à désintoxiquer, à renouveler l’atmosphère (pour) faire un climat nouveau »192. Ensuite, la deuxième cible surgissant sous sa plume est le « monde des lois qu’il faut retourner »193. Le juriste considère que le législateur a « tout bâti pour l’individu qui “naît enfant trouvé et meurt célibataire” »194. S’ensuit un réquisitoire contre les lois sur le patrimoine, le divorce («depuis 1884, le mariage n’est guère plus qu’une partie de plaisir ; comme elle, il s’improvise et s’achève, puisqu’une “injure” peut le détruire »195)...

  • 196 « On laisse tomber ce campement provisoire de l’homme fait de tentes individuelles et bon pour une (...)
  • 197 Ibidem.

51Dans son effort pour recréer solidement, les fondations familiales, exaltées par le chef de l’État en personne196, l’architecte-conseil du régime présente le plan suivant. Il faut revoir « d’abord les pierres angulaires : les institutions ». On veut redonner au mariage la durée d’où la suppression dès la première heure du divorce. Une proposition pour empêcher les éventuelles « défaillances » du couple est donnée. Jean Guibal souhaite « une préface obligatoire au mariage, comme un acte de fiançailles, s’accomplissant devant un magistrat (ordre moral), assisté d’un représentant des groupes familiaux (ordre familial). (Ces deux étapes permettraient) de réfléchir pendant qu’il en est encore temps. Une solennisation du mariage lui-même obligerait à en mesurer l’importance. Et les ménages, mieux préparés, n’auraient déjà guère plus besoin du divorce. Les promesses du mariage pourraient donc devenir définitives »197.

  • 198 « Il faut que l’enfant de France soit mis à même d’aimer, de vénérer et de servir ». Des mesures ré (...)
  • 199 On peut noter que le gouvernement de Vichy met en place, peu de temps après la remise de ce « rappo (...)
  • 200 « Impuissance congénitale : il cultivait la liberté pour elle-même, il la pressait comme une fin en (...)

52L’autre angle à protéger concerne la transmission de « l’héritage moral »198 et du « patrimoine matériel ». Pour celui-ci, un objectif compte : « le mettre à l’abri des amputations ». Attaché à la préservation des biens ruraux, il conseille au gouvernement d’élaborer un projet de loi protecteur de l’unité de « la cellule économique résultant d’un effort accumulé, et construite pour être un tout (afin qu’elle puisse) garder son unité entre les mains d’un continuateur filial ». L’État doit se montrer interventionniste pour donner une prime au « familial sur l’individuel »199. C’est la fin des « libertés déchaînées », claironne-t-il en dénonçant « l’impuissance congénitale du libéralisme »200. « L’ordre social (qui) se bâtit pierre à pierre » s’oriente vers un système d’encadrement général dans le respect de la « hiérarchie des valeurs ». Jean Guibal soutient la nouvelle formule gouvernementale qui, selon-lui, amène la France sur « le chemin des libertés organisées ». Tout celà ne s’improvise pas, d’où sa volonté de mettre en place un « stage » pour apprendre la « Direction de la Famille ». Il ne manque pas de saluer toute une série de mesures en vigueur depuis peu : la « carte de priorité des mères », l’attribution des « jardins ménagers » à ceux qui ont « beaucoup de bouches à nourrir », l’aide aux chômeurs à réserver en premier lieu aux chargés de famille, la multiplication de « primes » pour lutter contre une natalité jugée « désastreuse »...

  • 201 Jean Guibal, op. cit., p. 23.
  • 202 Ibidem.

53Cet aperçu esquisse une politique déjà plus ou moins en marche depuis les années d’avant-guerre. Un autre volet de propositions va au-delà. Jean Guibal escompte bien convaincre ses interlocuteurs de l’obligation d’insérer la « cellule bienfaisante » dans la gestion des « intérêts mêmes de la Nation »201 en charge des affaires familiales (commissions de natalité, associations de parents d’élèves...) ou purement politiques. Celui qui pense que « le régime familial constitue un des cadres du salut de l’homme » supplie les Français et le gouvernement de suivre l’exemple portugais : « La participation à la conduite de l’État pose un problème plus ample. Ce problème paraît nouveau : il n’est pas cependant sans avoir reçu une solution positive. Au Portugal, l’accent des Institutions s’est placé sur les valeurs morales auxquelles s’est soumis l’État salazarien : l’insistance avec laquelle le texte constitutionnel traite des aspects moraux et des prérogatives des personnes, la force avec laquelle il marque le sens de la famille, “source de conservation et d’accroissement de la race”, “base première de l’éducation, de la discipline et de l’harmonie sociale”, “fondement de tout ordre politique par son agrégation à la communue et au municipe”, ouvrent des perspectives fécondes »202.

  • 203 Ibidem.
  • 204 « Son échec, en 1924, fut le commencement du déclin de l’État (...) » affirme l’auteur. Ibidem.
  • 205 Ibidem.
  • 206 Ibidem.
  • 207 Pierre Milza, Fascisme français. Passé et présent, Paris, Flammarion, 1987, p. 227.
  • 208 Helena Pinto Janeiro, «Salazar et les trois France», Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 62, 199 (...)
  • 209 Yves Léonard, « Salazar : vie et mort d’un dictateur », L’Histoire, n°287, mai 2004, p. 76.

54Fort de ce modèle, Jean Guibal soumet aux lecteurs des solutions très techniques directement applicables au cas national, sachant que pour l’instant il ne s’agit que de « présages »203. Le « vote familial », ancienne revendication des partisans du général de Castelnau, refait surface204. Attaché à limiter les ardeurs du corps des citoyens, le rapporteur avance deux arguments pour justifier son instauration. « Sa réalisation (détruirait) dans le suffrage, la fiction de l’individualisme (...) ». Dans un second temps, il affirme qu’» un homme qui a une famille derrière lui, c’est déjà un cerveau national raisonnable : en “pensant” famille, il “pense” naturellement sécurité, stabilité ; il pense déjà suivant la norme de l’Etat Français »205. Ainsi, le gouvernement pourrait peaufiner son modelage par ce détour. Jean Guibal, en parfait accord avec les premières décisions de Pétain sur la suppression du jeu partisan, espère éteindre définitivement l’activité politique telle qu’on la conçoit depuis l’établissement de la démocratie représentative. Pour lui, elle n’est qu’» un verbiage artificiel ou une agitation de partisans ; ces “plus petits communs diviseurs” de la Nation ». Pour devenir « l’expression réelle du Pays » faisons confiance aux « réalités d’intérêts (Travail), aux réalités morales (Légion) et aux réalités vivantes (Famille) ». Cette dernière jouant à ses yeux, au sein des organes de l’État nouveau, le « rôle de cerveau », d’« âme » grâce aux Chefs qui la composent et « sur qui il faut bâtir et sans lequel tout s’écroule »206. Durant le « premier Vichy », qui correspond approximativement aux dix-huit premiers mois du régime, Jean Guibal cautionne « l’idéologie régressive »207. Néanmoins, le conseiller du régime ne regarde pas exclusivement vers un passé lointain appréhendé comme une sorte d’âge d’or. Il préconise la reprise de quelques ingrédients empruntés aux États voisins. La métamorphose de l’Italie depuis les années 1920 le réjouit de même que les réformes lancées par Salazar208. Faisant l’apologie du « sens de la famille », le chef de l’État portugais incarne « une forme d’autoritarisme conservateur et bureaucratique, défenseur d’un État corporatif chrétien »209 qu’il faut réhabiliter, selon le dernier descendant d’une lignée attentive à exalter la fibre « traditionniste » et à repousser avec véhémence le totalitarisme hitlérien. Si, dès les premiers jours du « règne » de Pétain, le doctrinaire du familialisme s’engage dans le processus de la Révolution nationale, il semble acquis que le « second Vichy » ne lui convient guère. Ce qui le pousse à rester en retrait de la vie publique jusqu’à la Libération.

55Le parcours de Jean Guibal nous montre de manière emblématique comment les héritiers de Mgr de Cabrières peuvent être emportés par la vague autoritaire qui submerge bien des pays depuis les années 1920. Pour arracher les racines républicaines, les nouvelles générations très largement représentées dans les milieux médicaux et juridiques sont disposées à transiger avec des démagogues faisant figure d’apprentis sorciers. Les appels lancés par l’Action française et les ligues combattantes sont grandement entendus. Le régime de Vichy sera le laboratoire d’une politique intransigeante réclamée depuis longtemps par les ennemis de la Troisième République. Les combats pour la Libération scellent enfin le ralliement de la plupart des catholiques au modèle politique porté par les inspirateurs de 1789, sans toutefois empêcher le maintien d’un discours nostalgique à l’égard d’une expérience politique pétainiste pourtant marquée par la banalisation du crime d’État.

Notes

1 Philippe Burrin, La France à l’heure allemande (1940-1944), Paris, Seuil, 1995, p. 22.

2 Pierre Birnbaum, La France imaginée, op. cit., p. 195.

3 René Rémond, Les droites en France, op. cit., p. 232.

4 On s’en tiendra ici à une vue d’ensemble sur les agissements observés dans les deux principales confessions. De l’évêque de Montpellier au bas-clergé, une quasi-unanimité se dessine en faveur des lignes politiques tracées par Pétain. Les réticences envers le « nouvel homme fort » viennent d’un flanc démocrate-chrétien ultra-minoritaire et divisé. Avec le temps, ses rangs grossissent de l’apport des réfugiés. Ils alimenteront alors les braises d’une Résistance qui enflammera à partir du groupe « Liberté », né à Montpellier, toute la zone libre. On y rencontre beaucoup de gens repliés comme François de Menthon, Pierre-Henri Teitgen ou Jacques Renouvin. Ce dernier fut un partisan de l’Action française. De son côté, le milieu protestant (il représente environ 3 000 fidèles), neutre avant les accords de Montoire, s’organise peu après pour éviter les dérives du régime. Le pétainisme ne l’épargne cependant pas. Des personnalités notoires des conseils presbytéraux le cautionnent. On rencontre même au sein de l’Association Sully, un noyau de protestants de convictions royalistes. Dans le bulletin du même nom, ils prônent la Collaboration dès le lendemain de la défaite. Voir Emile Appolis, « Un organe protestant et royaliste sous le gouvernement de Vichy : Sully (octobre 1942-juin 1944) », Actes du quatre-vingt-sixième congrès national des Sociétés savantes, Montpellier, 1961, p. 195-203. Sur les aspects religieux, voir ADH 137 W 3. Pour une vision plus générale, qui ne paraît pas très éloignée des attitudes locales, voir Michèle Cointet, L’Église sous Vichy (1940-1945) : la repentance en question, Paris, Perrin, 1998 ; Etienne Fouilloux, Les chrétiens français entre crise et libération (1937-1947), Paris, Seuil, 1997 ; Jean-Louis Clément, Les évêques au temps de Vichy : loyalisme sans inféodation. Les relations entre l’Église et l’État de 1940 à 1944, Paris, Beauchesne, 1999.

5 Sur cette façon d’aborder ce régime, voir Gérard Noiriel, Les origines républicaines de Vichy, Paris, Hachette, 1999, p. 9-43.

6 Deux viennent des rangs de la SFIO (Moïse Majurel et Fernand Roucayrol), le troisième socialiste appartient à l’USR (Edouard Barthe) et les autres (Auguste Albertini, Max Roustan et Pierre Masse) circulent dans des franges radicales, pas toujours aisées à situer sur un axe gauche-droite. Edouard Barthe, le « pape du vin », et le responsable de la fédération socialiste, Fernand Roucayrol, vont même plus loin. En signant le même jour la déclaration Bergery qui entend éviter au pays « la ploutocratie » et « les valets conscients ou inconscients de la politique stalinienne », ils choisissent la politique du « maréchal Pétain impliquant -par un dosage de collaboration avec les puissances latines et l’Allemagne elle-même- l’établissement d’un nouvel ordre continental. Voir Jean Sagnes, Jules Maurin, L’Hérault dans la guerre (1939-1945), Le Coteau, Horvath, 1986.

7 Lors de la séance, Vincent Badie tente en vain de gravir les marches de la tribune pour exprimer une crainte peu partagée dans les travées. Comme le note Jean Sagnes, « sa tentative (signalée par la presse) est de plus grande portée politique qu’il n’y paraît car les partisans de Vichy affirmeront que nulle voix ne s’est élevée ce jour-là en faveur de la République que les pleins pouvoirs portaient en terre ». Ibidem.

8 Jean Sagnes, « Le refus républicain : les quatre-vingts parlementaires qui a Vichy dirent «non» au projet de loi du 10 juillet 1940 », Jean Marielle, Jean Sagnes, Pour la République. Le vote des quatre-vingts à Vichy le 10 juillet 1940, Paris, Centre national de documentation pédagogique, 1993.

9 Philippe Burrin, La dérive fasciste : Déat, Doriot, Bergery, Paris, Seuil, 1986.

10 Par exemple à la veille de la grève générale de novembre 1938, Robert Audema termine son propos par ces mots : « Espérons que le bon sens de tous les Français, reprenant le dessus, évitera au pays toute blessure et lui permettra, dans l’ordre et le calme retrouvés, de réaliser l’effort de redressement collectif indispensable au bien de la Nation ». Voir Le Petit Méridional du 30 novembre 1938. La thèse du complot de l’intérieur fomenté par « l’étranger » ressort de sa prose à plusieurs reprises. Le 19 avril 1939, il fait le compte-rendu d’un conseil des ministres où la situation des réfugiés a donné lieu à quelques mesures, portant en particulier sur leurs positions vis-à-vis du service militaire : « Il était apparu intolérable que des étrangers fussent demeurés à l’arrière et éventuellement s’enrichir en affirmant une arrogance inadmissible, cependant que les Français seraient seuls allés assurer la défense du sol sur lequel vivent tant de réfugiés (...). Il n’est pas besoin de préciser que ces décrets ont été accueillis, dans la région, avec une très vive satisfaction en raison de l’importance des éléments étrangers qui s’y trouvent réfugiés. Ces mesures, outre qu’elles assurent une protection nécessaire aux populations civiles de l’arrière contre les agissements suspects d’indésirables dangereux, donnent un apaisement moral à tous les citoyens français qui n’auraient pas admis que ceux qui sont venus chercher asile et sécurité en France ne participent pas éventuellement aux sacrifices communs et à la défense du sol hospitalier. Le plan des émeutiers et révolutionnaires de l’arrière vient d’être très heureusement bouleversé par les nouvelles dispositions concernant les étrangers ».

11 Jean Sagnes, Sylvie Caucanas, dir., Les Français et la guerre d’Espagne, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1990.

12 Voir Murray Edelman, Pièces et règles du jeu politique, Paris, Seuil, 1991, p. 22.

13 Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, op. cit.

14 Voir Albert O. Hirschman. Défection et prise de parole, Paris, Fayard, 1995, p. 64-65 et p. 122 et s.

15 Par comportement «ordinaire», nous entendons ici l’attitude adoptée par un individu qui « fera le sacrifice de rester fidèle à A parce qu’il a la volonté et estime avoir les moyens de “faire quelque chose” pour A et qu’il n’a aucune chance d’exercer une influence s’il fait défection ». Ibidem

16 Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, op. cit., p. 365.

17 Voir, par exemple, Robert O. Paxton, La France de Vichy (1940-1944), Paris, Seuil, 1973 ; Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, dir., Le régime de Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992 ; Henry Rousso, Les années noires. Vivre sous l’Occupation, Paris, Gallimard, 1992, p. 36.

18 Limore Yagil, « L’homme nouveau » et la Révolution nationale de Vichy (1940-1944), Paris, Presses Universitaires du Septentrion, 1997.

19 Jean-Pierre Azéma, François Bédarida, ibidem.

20 Toute vision d’ensemble s’avère difficile car nos sources demeurent limitées. Néanmoins, nous assistons par exemple au retour d’un Andoque de Sériège au poste d’adjoint au maire de Béziers ; le duc de Castries accède à la tête de sa commune... Signalons également que Xavier de Magallon, député de l’Hérault en 1919, reçoit un poste de confiance. Il met ses qualités de rhéteur au service de Pétain en parcourant les provinces avec le titre de « conférencier du Maréchal ». Voir L’Eclair, 11 février 1942.

21 Quelques travaux généraux attestent de l’engagement de ces professions. S’agissant en particulier des juristes, voir Michaël-Robert Marrus, « Les juristes de Vichy dans “l’engrenage de la destruction” », Le Genre humain, n°30-31, 1996, p. 47-54 et 401-412.

22 Dans le cadre de notre thèse, nous nous sommes également glissés dans le sillage des laborantins en charge de l’avenir, pour suivre les analyses sur les « jeunes pousses » dans l’optique des Chantiers de la jeunesse, sans négliger la caution qu’apportent à l’entreprise de « redressement » quelques hiérarques de l’Université de Montpellier. Enfin, notre angle d’observation néglige les conséquences sur les populations des mesures prises durant les « années sombres ». La publication du mémoire de maîtrise de Michaël Iancu lève un coin du voile sur celles-ci en mettant l’accent sur la communauté juive : Spoliations, déportations, résistance des Juifs à Montpellier et dans l’Hérault (1940-1944), Avignon, Éd. A. Barthélémy, 2000

23 En 1935 sur 5,5 millions de survivants, plus de 3 millions appartiennent à des associations. Voir Jean-Paul Cointet, La Légion française des combattants. La tentation du fascisme, Paris, Albin Michel, 1995, p. 18.

24 Jean-Paul Cointet, « Marcel Déat et le parti unique », Revue d’histoire de la deuxième guerre mondiale, n°91, juillet 1973.

25 Jean-Paul Cointet, La Légion française des combattants, op. cit.

26 Cet historien a dirigé un travail portant sur cinq départements (les Alpes-Maritimes, l’Hérault, la Gironde, l’Aveyron, le Lot-et-Garonne) et sur la Corse. Il tire les enseignements suivants : « L’image que ces études renvoient n’est pas du tout celle d’un conglomérat désuni. Comment ne pas relever l’unité de l’idéologie, la virulence sectaire, la mainmise qu’elle tente d’exercer sur les administrations communales et départementales, la puissance de ces moyens de propagande, le rôle majeur qu’elle joue dans les célébrations du régime qui, de Jeanne d’Arc à son propre anniversaire, sont autant d’anti-14 juillet ? Elle est partout le fer de lance de l’épuration politique (...) ». Voir Jean-Marie Guillon, dir., « Voyage dans la France de Vichy : la Légion française des combattants », Annales du Midi, tome 116, n°245, janvier-mars 2004, p. 5-6.

27 Pour une vision plus complète de l’évolution de la Légion française des combattants, voir Philippe Secondy, La droite extrême..... op. cit., p. 510-548. Voir aussi, notre article : « Regard sur le fascisme dans l’Hérault. La difficile implantation du Parti populaire français (1936-1944), Études héraultaises, n°30-31-32, 2001, p. 253-265. Enfin, nous renvoyons le lecteur à l’intéressante contribution d’Olivier Dedieu : «Anciens combattants et revanche politique: l’Hérault et sa Légion des combattants », Annales du Midi, tome 116, n°245, janvier-mars 2004, p. 37-55.

28 Dominique Ribeyre, Montpellier du 1er juillet 1940 au 30 juin 1941 d’après L’Éclair et Le Petit Méridional, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry - Montpellier III, 1983, p. 66.

29 Le Petit Méridional, 4 novembre 1940.

30 L Éclair, 24 novembre 1940.

31 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 99.

32 Ils signent sous le pseudonyme de Custos.

33 Dominique Ribeyre, ibidem.

34 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 331.

35 Voir les rapports des renseignements généraux sur le PSF à Montpellier et à Béziers du 30 avril 1945 (ADH 172 W 4) et du 9 juin 1944 (ADH 111 W 18).

36 Extrait d’un discours qui tire le bilan d’une année d’existence. Voir L’Éclair, 7 février 1942.

37 Mathieu Séguéla, Pétain-Franco : les secrets d’une alliance, Paris, Albin Michel, 1992, p. 127 et s. ; Stéphane Gribet, Le Maréchal Pétain à Montpellier (13 février 1941). Les notables et l’opinion, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry - Montpellier III, 1991.

38 Mathieu Séguéla, op. cit., p. 157.

39 Nous reprenons ici une citation de Xavier Vallat. Voir Jean-Paul Cointet, op. cit.

40 Laurent Joly, Xavier Vallat (1891-1972). Du nationalisme chrétien à l’antisémitisme d’État, Paris, Grasset, 2001.

41 Pierre-Philippe Lambert, Gérard Le Marec, Organisations, mouvements et unités de l’État français-Vichy (1940-1944), Paris, Jacques Grancher, 1992, p. 87.

42 Augustin Fliche, en l’accueillant au sein de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, insiste sur une frustration de jeunesse ayant joué un rôle majeur par la suite : son échec au concours d’entrée à Saint-Cyr. Il commence une carrière d’enseignant en histoire au lycée de Grenoble interrompue par la guerre. À vingt-neuf ans, il part vers les Dardanelles et comble ainsi son rêve de jeunesse en intégrant l’Infanterie avec le grade de lieutenant. De retour à la vie civile après une grave blessure, Marcel Blanchard achève sa thèse et entame une carrière universitaire à Montpellier. Voir Augustin Fliche, « Discours de réception de Marcel Blanchard », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, n° 69, 1939, p. 125 et s.

43 Augustin Fliche, op. cit., p. 129.

44 Ibidem.

45 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 75.

46 « Je vous serais bien reconnaissant, écrit le ministre, de vouloir bien me proposer vous-même, pour le département de l’Hérault, le choix que vous auriez fait si la province avait déjà été créée. Il me paraît y avoir intérêt, dans un département, où contre votre gré et vos efforts personnels, les querelles ont été particulièrement vives entre dirigeants d’anciennes associations, à ce que le choix se porte de préférence sur une personnalité (...) qui n’ait pas été mêlée à des luttes dont il convient d’effacer jusqu’au souvenir ». Voir Notre Lien, n° 179, novembre 1940.

47 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 74 et s.

48 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 315.

49 Un petit détail à échapper à la sagacité du spécialiste de la Légion. Éloi Alméras n’est à l’origine que le président intérimaire. Dans un premier temps, le choix de Marcel Blanchard s’était porté sur Robert Faucherre. Homme en vue de la scène politique depuis son accession à la présidence départementale du PSF, il a accrédité l’existence politique d’un grand rassemblement populaire de droite à la fois assez peu éloigné des anciennes ligues dissoutes et bien décidé à investir un terrain électoral toujours en friche. Si la guerre stoppe l’effort entrepris en direction des électeurs, elle ne gomme pas brutalement l’enracinement partisan. C’est sur ce terreau que le régime entend recruter les cadres locaux. Il compte sur l’expérience et le profil « entrepreneurial » de Robert Faucherre. Le régime en quête de « redresseur » veut s’appuyer sur cette personnalité au confins de plusieurs réseaux. Membre éminent d’une communauté protestante très dynamique dans une ville comme Montpellier, Robert Faucherre cohabite sans aucune difficulté avec les catholiques. Il connaît à la perfection les dirigeants économiques. Ses fonctions à la direction d’une importante pépinière, dans les milieux viticoles et au conseil d’administration de la Banque de France, lui facilitent la tâche. Robert Faucherre, rallié de la première heure au régime, doit rassurer et convaincre les forces vives héraultaises. La guerre l’empêche d’assurer la présidence. Parti au combat, cet ancien de 14-18 ne revient qu’en mai 1941 après quelque temps passé dans un camp de prisonnier allemand. Désemparé, Marcel Blanchard demande à son bras droit au sein du PSF en charge de la section montpelliéraine, de le remplacer jusqu’à sa libération. À son retour Robert Faucherre, nommé conseiller municipal depuis février 1941, décide de ne pas empiéter sur le travail de mobilisation mené de main de maître par son ancien collaborateur. Il devient un intermédiaire attitré entre le pouvoir local et le centre. Cet informateur privilégié des représentants de l’État cherche à placer aux postes clefs des hommes de confiance qui contrôleront le tissu économique et ne freineront pas la « politique nouvelle ». Voir L’Éclair du 12 novembre 1940 et du 29 mai 1941.

50 Bulletin hebdomadaire de renseignements du 20 au 26 décembre 1943. ADH 172 W 4.

51 Cet engagé volontaire en 1914, président des médaillés militaires, sera aussi nommé au conseil municipal de Montpellier. Voir Stéphane Gribet, Le Maréchal Pétain à Montpellier..., op. cit., p. 34.

52 Nous mesurerons l’emprise du PSF sur la Légion essentiellement à partir d’une soixantaine de notices individuelles très détaillées répertoriées dans la liasse classée aux ADH sous la cote 172 W 30.

53 Rapport des renseignements généraux du 30 avril 1945. ADH 172 W 4.

54 Ces informations concernant une personnalité politique remarquable de la seconde moitié du xxe siècle sont à manier avec délicatesse. Elles contredisent les propos de l’intéressé rapportés dans un entretien réalisé plus de trente-cinq après l’armistice. François Delmas interrogé par un journaliste sur l’évolution de Montpellier fait part de sa «joie» de vivre dans cette ville et indique : « Je suis né ici, j’y ai passé toute ma vie, sauf cinq ans à Paris pendant la guerre ». Voir Pierre Bosc, Les notables en question ou des hommes pour la région, Montpellier, Presses du Languedoc, 1976, p. 147.

55 En 1942, les deux principales villes de l’Est du département (Montpellier et Lunel) sont subordonnées au PSF qui tient aussi Pézenas et Agde. Le président de la section de Clermont-l’Hérault appartient au PPF et celui de Sète à l’Action française. Toutes ces tendances politiques se retrouvent dans les centres de décisions du Biterrois.

56 Jean Jolly, dir., Dictionnaire des parlementaires français, tome 3, Paris, PUF, 1963, p. 833.

57 Statistiques sur l’activité politique des dirigeants de la Légion. Voir ADH 172 W 30.

58 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 323.

59 Olivier Dedieu, op. cit.

60 Voir le rapport des renseignements généraux du 23 décembre 1942. ADH 356 W 46. Cette analyse relève une attitude déjà décriée par le préfet quelques mois auparavant : « La Légion a une tendance marquée à faire de la “réaction” plutôt que de prêcher la paix sociale (...). D’assez graves critiques sont portées contre la Légion considérée comme un organisme d’espionnage réactionnaire ». Rapport du préfet de mars 1942. ADH 356 W 114-1.

61 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 59.

62 Les quatre exemplaires trouvés couvrent la période de juin à septembre 1942. Un autre organe de liaison apparaît en 1943. Intitulé Vivre ! Les six exemplaires conservés à la Bibliothèque nationale ne nous informent guère sur l’origine sociale des dirigeants locaux.

63 Voir supra.

64 Rapport du commissaire de Sète du 22 août 1942. ADH 356 W 102. Citation donnée par Olivier Dedieu, op. cit.

65 Le Petit Méridional, 4 février 1942.

66 « L’esprit critique, fils de l’individualisme, a multiplié jadis, les clans et les partis. Les Français s’inclinent en général, devant les nécessités d’une révolution, mais ils restent volontiers attachés à leurs privilèges, ils n’acceptent que très rarement de changer de maîtres et exigent de leurs nouveaux chefs, à défaut d’une autorité ou d’une valeur personnelle évidente, beaucoup d’adresse, de souplesse, de force de persuasion ». Ibidem.

67 Ibidem.

68 Le Légionnaire de l’Hérault, n° 11, septembre 1942.

69 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 238.

70 Il sillonne régulièrement le canton afin de motiver les responsables locaux, intervient dans la presse régionale pour vanter les mérites du Chef de l’État et surtout organise avec faste l’arrivée de la flamme dans le département en août 1941. Guyomar met à la disposition de tous les légionnaires du canton un train spécial pour qu’ils puissent célébrer son passage qui symbolise le premier anniversaire de leur organisation. La cérémonie réunit entre Lodève et Montpellier 4 000 légionnaires. Voir Jean-Luc Bouniol, Le canton de Clermont-l’Hérault pendant la Seconde Guerre mondiale, Mémoire de maîtrise d’histoire, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1995, p. 52.

71 « Dans les heures graves que notre Patrie connaît ma consigne est la suivante : se serrer farouchement derrière le Maréchal, se taire dans les rangs, obéir et agir» (L’Éclair du 17 novembre 1942). Le lendemain, il envoie une lettre ouverte à Vichy qui réaffirme la confiance des légionnaires héraultais : « Je vous demande de transmettre au Chef de l’État français le message suivant : “Comme les voyageurs égarés dans la nuit éprouvent le besoin de s’appeler à grands cris pour se regrouper, les légionnaires et volontaires de la Révolution nationale de l’Hérault estiment nécessaire de vous crier à nouveau leur foi inébranlable dans les destinées de la patrie, leur filial attachement à votre personne, leur ardente résolution d’obéir fidèlement à tous vos ordres et de lutter avec vous, jusqu’à l’épuisement de leurs forces, pour le regroupement de tous les bons Français décidés, malgré la confusion actuelle de leurs pensées, à rejeter hors d’eux tous ce qui les sépare et à s’unir farouchement dans leur commun amour de la France et dans leur commune volonté de sauvegarder sa grandeur et sa pérennité. Ils vous demandent respectueusement de leur accorder tous les moyens vous paraissant susceptibles d’obtenir rapidement cette union et d’en faire une réalité vivante” ». Voir L’Éclair du 18 novembre 1942.

72 Jacques Delperrie de Bayac, Histoire de la Milice (1918-1945), Paris, Fayard, 1995.

73 La police de Vichy la présente ainsi : « Son activité tend essentiellement au dépistage des foyers de propagande hostiles au régime et à la répression des menées antinationales. La Milice mène également le bon combat contre le marché noir et les inégalités sociales ». RG / État français/3028/9 juin 1944. ADH 111 W 18.

74 Jean-Paul Cointet, op. cit., p. 249-254.

75 Henry Rousso, « Collaborer », L’Histoire, n°80, 1985, p. 48-61.

76 Pascal Ory, Les collaborateurs (1940-1945), Paris, Seuil, 1976 et La France allemande (1933-1945) : paroles du collaborationnisme français, Paris, Gallimard, 1995.

77 Paul Delmas, « Impressions d’Allemagne d’un universitaire montpelliérain », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, n° 66, 1936, p. 168-174.

78 Ibidem.

79 Ibidem.

80 « D’instinct, chacun sait les bienfaits de la discipline, et s’y prête spontanément de bonne grâce. Pas de visages renfrognés, ni d’attitude haineuse ». Ibidem.

81 Ibidem.

82 Ibidem.

83 Ibidem.

84 Ibidem.

85 « Les trains partent et arrivent à l’heure exacte. Démarrages et arrêts s’y font sans à-coups, décelant un machinisme consciencieux. Tout le personnel, et pas seulement ferroviaire, est d’une politesse et d’une obligeance sans défaut. Quiconque est porteur d’une tenue en a la fierté : coiffure posée d’aplomb et sans déformation, vêtements ajustés, et qui, même élimés, demeurent nets ». Ibidem.

86 « Ordre et gaieté des hommes se retrouvent dans les choses : pas d’affiches ni de graffiti sur les murs, les maisons sont pimpantes. Il en est peu, mêmes modestes, dont les fenêtres ne soient abondamment fleuries. Cet amour de la végétation se voit aussi le long des routes ou des voies ferrées : pas un talus dévasté de ses herbages ou arbrisseaux par la flamme du vandalisme incendiaire ». Ibidem.

87 Paul Delmas, op. cit., p. 172-174.

88 L’Éclair du 10 février 1942 propose ce compte-rendu : « Une conférence de Georges Claude organisée par le groupe Collaboration de Montpellier s’est déroulée devant un auditoire nombreux. Le conférencier a été présenté par le professeur Paul Delmas qui en termes excellents a rappelé ses découvertes et leurs principales applications. Georges Claude est venu exposer hier soir, devant un auditoire très nombreux et très attentif, les raisons qui lui font recommander une collaboration voulue et sincère avec l’Allemagne ».

89 Pour un aperçu des difficultés rencontrées par les mouvements collaborationnistes, voir Philippe Secondy, « Regard sur le fascisme dans l’Hérault... », op. cit., p. 262 et s.

90 Des rapports affirment que des militants du PPF « déterminés et partisans de l’action directe quittent Montpellier pour Paris en vue de faire un stage paramilitaire qui les rendra aptes à faire partie des “Gardes Françaises” et à concourir éventuellement au maintien de l’ordre ». Rapport des RG du 9 juin 1944. ADH 111 W 18.

91 La population assimile le SOL a une « organisation similaire étrangère. Beaucoup, écrit le préfet, craignent que le SOL (...) ne trouble l’ordre public ». Rapport du préfet du 2 avril 1942. ADH 12 W 762.

92 En décembre 1942, le Docteur R. dans un rapport remis à son supérieur hiérarchique écrit : « Nous nous heurtons à la passivité de l’opinion publique dont plus des trois quarts est sous l’idéologie radicale ou socialo-communiste (...) ». À la même époque, le responsable de la section du PPF de Saint-Bauzille-de-Putois, près de Ganges, un certain R. R., envoie à l’antenne montpelliéraine des indications concernant sa section dans lesquelles il se montre inquiet : « Je dois te dire que depuis les événements d’Afrique du Nord, la mentalité de la population est déplorable : 80 % sont dans le camp des anglo-saxons. Depuis les événements de Toulon, on en entend de vertes et de cruelles. Je dois te dire que c’est tout à fait décourageant (...) ». Les atrocités commises par les miliciens accentuent cet état d’esprit. Voir ADH 111 W 18.

93 Gérard Bouladou, L’Hérault dans la Résistance (1940-1944), Nîmes, Lacour, 1992.

94 Jacques Dupâquier, Antoinette Fauve-Chamoux, « La famille », in Jean-François Sirinelli, dir., Histoire des droites en France. Tome : 3 Sensibilités, Paris, Gallimard, 1992, p. 22.

95 Elles constituaient jusqu’à cette période une sorte de sur-salaire. Voir Antoine Prost, « L’évolution de la politique familiale en France de 1938 à 1981 », Le Mouvement social, n° 129, octobre-décembre 1984, p. 7-28.

96 Ibidem.

97 Jacques Dupâquier, Antoinette Fauve-Chamou, op. cit., p. 42.

98 Georges Duby, Michèle Perrot, dir., Histoire de femmes. Tome 5 : le Vingtième siècle, Paris, Plon, 1992, p. 189.

99 Ibidem.

100 Licencié ès-lettres, docteur en droit, il prête serment le 21 octobre 1907 en s’intéressant d’abord aux affaires civiles et commerciales. De 1922 à 1929, les contentieux liés au marché des vins deviennent son terrain de prédilection.

101 Nous nous appuyons ici sur les remarques du professeur de médecine André Thévenet, auteur de l’éloge de son collègue André Guibal. « Dernier de quatre enfants (un a disparu au combat durant le premier conflit mondial), il était protégé par sa soeur Marthe, plus proche de lui, que sa soeur Claire et son frère Jean, étudiant en droit, de onze ans son aîné, qui allait devenir le bâtonnier que l’on sait et qui dominait déjà par sa forte personnalité. (À la différence de celui-ci), André a très peu livré au domaine public et (même) au déclin de sa vie, il n’a pas exprimé la substance brute et forte de ses convictions essentielles (...) ». Voir André Thévenet, «Éloge du professeur André Guibal», Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, tome 25, 1994 (1995), p. 259 et 369.

102 Ils luttent pour l’égalité de droit des époux, la mise en place du divorce, la limitation de la puissance du chef de famille...

103 Jacques Dupâquier, Antoinette Fauve-Chamoux, op. cit.

104 Francine Muel-Dreyfus, Vichy et l’éternel féminin. Contribution à une sociologie politique de l’ordre des corps, Paris, Seuil, 1996, p. 15 ; Christine Bard, dir., Un siècle d’antiféminisme, Paris, Fayard, 1999.

105 Louis Guibal, «Le féminisme», Bulletin de l’Association des Amis de l’Université de Montpellier, Montpellier, Imprimerie G. Firmin, Montane et Sicardi, 1904.

106 « J’ai cru qu’entre d’autres je pourrais me laisser désigner par lui (le président de l’Association des Amis de l’Université) ; et c’est là ma première faute. J’ai cru que quelques loisirs me permettraient de penser dignement à l’auditoire que l’on voulait bien m’offrir en pâture ; c’est ma seconde faute. J’ai cru enfin que je serais capable de comprendre et d’expliquer l’un des problèmes les plus attirants de la société contemporaine ; j’ai promis de vous parler ce soir du féminisme. C’est là ma très grande faute. Et j’en demande humblement pardon -à vous surtout, Mesdames ». Voir Louis Guibal, op. cit., p. 7-8.

107 Ibidem.

108 Ibidem.

109 Ibidem.

110 Ibidem.

111 Ibidem.

112 « Joseph de Maistre est bien d’avis que “chaque être doit tenir sa place et ne point affecter d’autres perfections que celles qui lui appartiennent... et doivent lui appartenir sous peine de déchéance” ». Voir Louis Guibal, op. cit., p. 18.

113 Ibidem.

114 Louis Guibal, op. cit., p. 18-19.

115 Ibidem.

116 Ibidem.

117 « Et d’abord, pour parler net, la Providence ne nous a-t-elle pas fait dissemblables? Regardez seulement, Mesdames, défiler un groupe d’hommes collégiens sortants de classe, soldats quittant la caserne, jeunes gens en quête de bonne fortune, hommes mûrs faisant les sérieux, et jugez leur aspect, la gaucherie de leurs allures. Ils pourront être bien pris, jamais gracieux. Passez, au contraire, devant nous, fillettes, ouvrières, demoiselles de magasins, jeunes filles et femmes de tous les âges, et nous devrons admirer l’élégance et la finesse, la réserve sans embarras, la grâce, en un mot, qui est votre apanage incontesté. Nous n’avons pas la même démarche ; et il n’est pas travestissement si habile qui parvienne à déguiser des différences que tout accuse, que rien ne nous fait regretter, que rien ne nous permet de supprimer. Avons-nous même visage ? Pardon, Mesdames, mais vous auriez vraiment le droit de rire à cette question. Contentez-vous, par pitié, de sourire avec dédain ». Voir Louis Guibal, op. cit., p. 19.

118 « Ne sentez-vous pas, en effet, que ces diversités sont essentielles à l’existence même de l’humanité intellectuelle ? Ce n’est pas assez de dire que l’ennui peut naître un jour de l’uniformité : l’uniformité est nécessairement stérile. Que feraient, je vous prie, les êtres d’une société qui voudraient s’appliquer tous au même labeur : tous bûcherons, aucun moissonneur ; et bientôt tous pâtissiers, aucun boulanger » ? Voir Louis Guibal, op. cit., p. 22.

119 Ibidem.

120 Il fait appel à une citation de Guizot pour appuyer son point de vue : « Pourquoi rechercheriez-vous “ce mal incommode et funeste, qui retrécit les horizons, répand sur toutes choses un faux jour, saisit l’intelligence, aigrit le coeur, fait perdre aux hommes cette étendue d’idées, cette générosité de sentiments qui leur conviendrait si bien” ». Ibidem.

121 Louis Guibal, op. cit., p. 27.

122 Louis Guibal. op. cit., p. 33.

123 Louis Guibal, op. cit., p. 27.

124 Ibidem.

125 Ibidem.

126 Ibidem.

127 Louis Guibal leur reconnaît simplement une faculté d’« inspiration » et tolère quelques avancées juridiques anodines : « De tout temps, vous avez été le conseil, l’inspiration ; et vous serez toujours quand vous le voudrez, en restant les reines de vos foyers, les vraies, les seules maîtresses du monde (...). Il y avait certes, je le confesse, bien des points sur lesquels l’égalité civile de l’homme et de la femme devait être proclamée ou réglementée. Et c’est ainsi que l’on ne peut qu’applaudir à la loi (9 avril 1881) admettant les femmes mariées à déposer librement leurs fonds aux caisses d’épargne postales ; à la loi du 21 mars 1884, les admettant dans les syndicats professionnels ; à la loi du 1er avril 1898, les admettant dans les sociétés de secours mutuels. De la sorte, on leur permet de lutter contre les prodigalités ou l’imprévoyance des maris inconsidérés ou coupables (...) ». Voir Louis Guibal, op. cit., p. 27 et 31.

128 « Je crois, écrit-il, que votre cause gagnera beaucoup à se montrer moins tapageuse. Je pense surtout, Mesdames, que vous ne devez pas chercher à destituer l’homme de la fonction sociale que sa constitution physique lui a dévolue, de l’activité qui est son lot et qui fait sa spécificité ; et que, si bien des voies peuvent vous être ouvertes, si, pour mieux dire, il en est certaines qui ne doivent pas vous être interdites, vous ne devez, du moins, jamais méconnaître le rôle que la nature vous a attribué, la mission sociale qui vous incombe faisant de vous nos arbitres, ni sacrifier la dignité qui est votre honneur et qui vous établit les reines du monde ». Voir Louis Guibal, op. cit., p. 32.

129 « Elle lutte pour la défense de nos écoles libres et la sauvegarde de l’âme de nos enfants », rapporte L’Éclair du 23 mars 1909. Un rapport du commissaire spécial du 22 mars de la même année indique que pour les chefs de la ligue, « les parents sont bien les seuls maîtres de faire élever leurs enfants comme ils l’entendront, malgré les francs-maçons qui voudraient s’approprier ce bien pour leur donner une instruction particulière ». ADH 1 M 1120.

130 Son message général tient en cinq points : veiller à l’éducation des enfants ; développer à l’école publique le culte de la Patrie et le respect des croyances ; défendre la liberté d’enseignement ; assister matériellement les orphelins de la guerre ; s’associer à toutes les campagnes faites pour venir en aide aux familles nombreuses et lutter contre la dépopulation. C’est à partir de cette sorte de charte que se forment les sections locales. Voir le rapport du sous-préfet de Lodève adressé au préfet de l’Hérault le 1er juillet 1926 à propos de la naissance de la section de Gignac. ADH 1 M 1120.

131 Pour que « le suffrage soit vraiment un suffrage intégral et non pas un suffrage mutilé », précise-t-il. Ibidem. Pour une vision d’ensemble sur la revendication en faveur du vote familial, voir Anne Verjus, « Vote familialiste et vote familial. Contribution à l’étude du processus d’individualisation des femmes dans la première partie du xixe siècle», Genèses, n° 31, juin 1998, p. 29-47.

132 « Nous voilà à la première réalisation de l’École unique de l’État, maître des intelligences dans l’enseignement secondaire comme il a commencé à le rechercher dans l’enseignement primaire. Nous assistons à la dépossession des familles par la dictature de l’État (...). Méfiez-vous, prévient-il, les adversaires travaillent à la façon des taupes : elles labourent la terre en dessous ; quand on voit le résultat, il est déjà trop tard ». Voir L’Union catholique de l’Hérault, n°168, 22 avril 1928.

133 Ibidem.

134 Ibidem.

135 Ibidem.

136 Trois définitions différentes et qui peuvent se recouper selon les moments sont posées par ce scrutateur de l’identité nationale. La première reprend la perspective raciste (au sens biologique) élaborée par Vacher de Lapouge et utilisée par le gouvernement de Vichy : des caractéristiques raciales héréditaires s’imposent pour l’obtention du label « Vraie France ». La seconde renvoie à la conception historique de la race développée par Maurice Barrès. Elle rassemble uniquement des individus profondément enracinés dans la « terre française ». La transmission de la même histoire imprégnée par la religion catholique et retrempée dans la terre ancestrale est une condition sine qua non. L’industrialisation et son corrollaire cristallisent le dégoût. Enfin, Herman Lebovics relève la présence d’une troisième définition, « plus progressiste », empruntée à Emile Durkheim qui admet des composantes du monde moderne. Voir Herman Lebovics, La « Vraie France ». Les enjeux de l’identité culturelle (1900-1945), Paris, Belin, 1995.

137 Pierre Bourdieu dans son auscultation du champ juridique montre que « l’idéologie professionnelle du corps des juristes serait l’énoncé de valeurs universelles et éternelles, donc transcendantes aux intérêts particuliers (...) ». Ils usent et abusent d’une langue juridique porteuse de toutes les « marques d’une rhétorique de l’impersonnalité et de la neutralité (...) capable, par sa vertu propre, de produire des effets » y compris dans le domaine des opinions politiques. Voir Pierre Bourdieu, « La force du droit. Éléments pour une sociologie du champ juridique », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 64, septembre 1986, p. 13-14.

138 Gabriel de Llobet, Le Cardinal de Cabrières, Paris, La Bonne Presse, 1944.

139 L’Éclair du 27 octobre 1936 nous en donne un compte-rendu très révélateur : « Mademoiselle Moreau, avocat à la Cour d’appel évoque dans sa communication Le communisme et la natalité. Elle montre avec force que le communisme n’envisage la natalité que du point de vue de l’intérêt exclusif de l’État ; qu’il repousse les allocations familiales et toutes les mesures protégeant la famille elle-même, alors qu’une vraie politique de la natalité ne peut s’appuyer que sur la famille (...). Pour sa part, André Rouast, professeur de la Faculté de droit de Paris, étudie ensuite les rapports entre parents et enfants en droit soviétique. Les parents n’exercent plus de puissance paternelle que par délégation de l’État qui peut, à tout instant, leur retirer ce droit. Leurs rapports avec l’enfant se résument à une obligation alimentaire. Les résultats de cette législation en imposent une condamnation sévère et l’échec de l’expérience prouve en même temps la valeur de vieux principes de notre droit (...). Louis Guibal termine la journée en remerciant les rapporteurs de ces brillantes leçons et souligne la concordance de leurs conclusions sur la méconnaissance complète par le communisme des principes sur lesquels repose la famille (...). (Quant à) Xavier Vallat, il prend la parole pour montrer combien les communistes tendant la main aux catholiques sont des tartuffes aux mains rouges de sang chrétien ».

140 Jean Guibal, La famille dans la Révolution nationale. Préface de René Gillouin, Clermont-Ferrand, Éditions Fernand Sorlot, 1941, Collection « Cahiers de Rénovation Nationale », p. 28.

141 On trouve une collection titrée « Les cahiers de Politique nationale » avec plusieurs livres signés par Philippe Pétain (Appels aux Français, L’Éducation nationale). Dans celle qui accueille Jean Guibal, on propose par exemple le livre de Georges Ricou : Retour sur le passé.

142 Si l’Allemagne et l’Italie retiennent principalement son attention, nous pouvons noter aussi l’existence d’un article sur l’Angleterre qui ne revêt pas un grand intérêt. Il s’attache à faire une comparaison entre les modes de vie et les tempéraments des Anglais et des Français : les premiers se rangent dans la catégorie des « peuples marins » différents du caractère « terrien » qui imprègne les voisins d’Outre-Manche ; il salue leur attachement pour « l’esprit de tradition » et remarque leur grande « correction vestimentaire »... Voir Jean Guibal, « Les Anglais et nous », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, n° 66, 1936, p. 195-214.

143 Gustave Le Bon écrit en 1894, dans les Lois psychologiques de l’évolution des peuples, « l’histoire d’un peuple ne dépend pas de ses institutions mais de son caractère, c’est-à-dire de sa race ». Voir Catherine Rouvier, Les idées politiques de Gustave Le Bon, Paris, PUF, 1986, p. 67. André Siegfried, plus d’un demi-siècle plus tard, dans L’Âme des peuples (Paris, Hachette, 1950, p. 5) part d’un postulat analogue : « Il y a, dans la psychologie des peuples, un fond de permanence qui se retrouve toujours. Nous sommes encore, par combien de traits, semblables aux Gaulois nos ancêtres, et les caractéristiques que Tacite notait chez les Barbares ou les Juifs de son temps sont encore reconnaissables dans les Allemands et les Israéliens d’aujourd’hui ».

144 Une métaphore illustre sa position : « Une révolution, pour un peuple, c’est comme une saison nouvelle pour les champs. Qui reconnaîtrait la terre de l’hiver, quand le printemps est là avec ses jeunes épis ? Qui la reconnaîtrait d’une année à l’autre, quand le blé a remplacé le trèfle ? La terre fait une toilette nouvelle, mais par dessous elle demeure toujours la même et l’épi d’aujourd’hui n’est qu’une variété de sa moisson éternelle ». Voir Jean Guibal, « Où va l’Allemagne d’Hitler ? », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, n° 63, 1933 (1934), p. 176.

145 Le titre d’une section est le suivant : « L’âme allemande aujourd’hui ». Voir Jean Guibal, « Dans les marches rhénanes », Revue hebdomadaire, tome 4, 1923, p. 204-220 et p. 323-345.

146 Ibidem.

147 Jean Guibal, « Où va l’Allemagne d’Hitler ? », Bulletin..., op. cit.

148 Jean Guibal, op. cit., p. 154.

149 Jean Guibal, op. cit., p. 157-158.

150 Jean Guibal, op. cit., p. 161.

151 Dans une section intitulée « Le droit d’un peuple de maîtres », Jean Guibal décrit ainsi sa vision de l’appétit allemand : « Ainsi s’esquisse quotidiennement, par ces discours, ces déclarations, par les actes, la volonté commune que s’est donné le peuple hitlérien. Il ne sait plus la cacher, ni l’atténuer ; il la proclame comme un besoin vital ; il en saisit ses voisins et le monde. N’est-il pas remarquable, d’ailleurs, que tout le fond de ses discours soit ouvertement dirigé contre l’étranger ? Plus rien ne compte pour Hitler, ni les fiertés nationales des autres, ni de la simple prudence internationale ; il ne s’arrête pas aux limites de la saine raison : possédé par un système, lui et son peuple, ils n’admettent pas que leur raison allemande ne devienne pas la raison universelle ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 170.

152 « Le mouvement nouveau tend à débarrasser l’action de l’usure des Parlements qui ne veulent être que des “boîtes à bavards”. Mais derrière le Parlement, et plus profondément, c’est l’idée de parti elle-même qui est atteinte. Nous avons vécu, depuis 1688 et la Révolution anglaise, dans le fétichisme de l’idée des partis, et l’alternance régulière de la vie publique anglaise, comme un balancier idéal, entre les Whigs et les Tories nous a fait prendre en vénération ce qu’on appelle le “jeu des partis”. Si bien que, au retour de la guerre qui avait supprimé ce “jeu”, il sembla que M. Briand, dans son discours de Carcassonne d’octobre 1919, annonçant que la lutte reprenait entre les partis intérieurs, rendait à la vie française ses conditions nécessaires. On nous montre aujourd’hui une norme nouvelle où les partis sont supprimés. On se vante “qu’un gouvernement qui ne dépend pas des partis et qui ne subordonne pas son action à des intrigues parlementaires peut faire une politique de continuité ; les autres ne le peuvent pas” Et pendant que la France, pays de la mesure, se borne à marquer sa défiance au régime parlementaire et s’efforce de trouver des remèdes pour des Parlements qui fonctionnent à rencontre de leur objet, on déclare créer à Berlin et à Rome un État supérieur à la permanence des luttes intérieures. On s’apitoie sur la faiblesse d’une nation divisée en partis, et l’on trouve plus de force dans un groupement unique à la volonté uniforme ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 172-173.

153 Ibidem.

154 « Mais à côté de ces notions qui rapprochent, que de différences entre les deux mouvements » ! note-t-il. Ibidem.

155 « Si on y regarde plus profondément, les différences s’accentuent jusqu’à devenir des oppositions ; ce sont les filiations nationales qui reparaissent. Il n’y a pas d’exemple qu’une nation révoltée, même contre elle, se débarrasse entièrement de ses traditions. Elle peut en avoir l’illusion parfois, mais quand on regarde de près, on retrouve toujours les traits de son passé ». Ibidem.

156 « Derrière le nazi, on voit se profiler l’Allemagne de toujours. La filiation est établie. On trouve les Treitschke, les Moltke, les Kaunitz et les Nietzsche ; c’est la morale de la force ; c’est la volonté de puissance ». Ibidem.

157 Pour étayer sa démonstration, il cite l’extrait d’un discours du ministre de la justice du Reich : « Nous avons introduit dans notre droit l’idée de race. La lutte que nous avons engagée contre le droit romain est une affaire purement allemande. Le droit que nous voulons créer, ce sera le droit d’un peuple de soldats, ce sera le droit d’un peuple de maîtres ». Ibidem.

158 Ibidem.

159 Ibidem.

160 Ibidem.

161 Jean Guibal, op. cit., p. 178.

162 Jean Guibal, « Préludes Franco-Italiens. Souvenirs d’un soldat français d’Italie », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, n°65, 1935, p. 184-198.

163 « Enterré dans un bombardement, miraculeusement sauvé, il repartira au combat. Trois fois cité, sa Croix de guerre s’orne d’une palme et de deux étoiles (...). Il finira la guerre comme Capitaine et il aura le bonheur d’entrer avec les troupes d’occupation dans Mayence. Il recevra la Légion d’Honneur devant le front des troupes à Mayence même, des mains du Général Mangin. Il est alors membre de l’État-major comme Chef de Bataillon (...) ». Voir Jean Lafont, « Éloge du Batônnier Jean Guibal », Bulletin de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, Nouvelle série, tome 17, 1986, p. 347-348.

164 Il va même plus loin pour qualifier ce lien : « Français et Italiens, depuis que nous fûmes soldats ensemble, nous ne risquons pas d’être semblables à des inconnus surpris par l’amour au tournant d’une rue. Si nos mains se cherchent et se rassemblent, c’est pour nous conduire à des accolades viriles où repasseront toutes nos franchises de soldats ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 184-185.

165 Jean Guibal, op. cit., p. 192.

166 Ibidem.

167 « Si l’on s’évade des sensibilités, que de vues objectives nous passionnent et nous confondent ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 193.

168 « Nous éprouvons, comme les Italiens, la menace du barbare. Nous sommes au même diapason, et (...) c’est comme pour nous, celui de la ligne de l’Est, l’horizon par où le Barbare fuyant ses forêts, déferle éternellement sur nos plaines ; et nous sentons comme un outrage, la menace pesant sur cette terre ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 193.

169 Jean Guibal, op. cit., p. 198.

170 Il publie : Henri Bergson : choix de textes avec études du système philosophique (Paris, Éd. Louis Michaud, 1910).

171 On trouve par exemple : Le problème de l’Occident (1929) ; Le destin de l’Occident (1929) ; Christianisme, capitalisme, marxisme (1935).

172 Michèle Cointet-Labrousse, Vichy et le fascisme, Bruxelles, Éd. Complexe, 1987, p. 138.

173 « Vous m’avez fait le très grand honneur de me demander un avant-propos pour cette brochure qui, signée de votre nom, et toute rayonnante de l’autorité qui en émane, n’avait certes pas besoin de présentation. Je cède d’autant plus volontiers, néanmoins, à une invitation si flatteuse qu’elle me permet de témoigner publiquement de ma profonde estime et de mon admirative sympathie pour l’auteur de ces pages denses et si brillantes, pour la justesse des idées qui les lui ont inspirées, et pour le talent avec lequel il a su y condenser, sur un sujet capital, les méditations de beaucoup d’années et les leçons d’une récente expérience ». Voir Jean Guibal, La famille..., op. cit.

174 Ibidem.

175 Ibidem.

176 Ibidem.

177 Ibidem.

178 Ibidem.

179 Enfin les Français vont «revivre» s’ils réalisent «chaque jour davantage cette communion » qu’il appelle de ses voeux. Voir Jean Guibal, op. cit., p. 4.

180 Ibidem.

181 Léon Blum, Nouvelles conversations de Goethe et d’Eckermann. Cité par Maurice Barrès, Scènes et doctrines du nationalisme, p. 88. Voir Jean Guibal, op. cit., p. 5.

182 Jean Guibal, op. cit., p. 5.

183 « Nous avons trop souffert du faux, de l’illusion ! Tromper l’homme, c’est la grande faute : c’est la grande injustice aussi : maudit soit celui qui trompe, car c’est le malheur des autres qui paie... » Ibidem.

184 « Loin de nous les idéologies à beautés oratoires, et leurs complices auprès des masses, les slogans : “si tu veux faire la paix, prépare la paix” ; “vous voulez le bonheur, cherchez le loisir” ; “l’affection partagée ne conduit qu’au bonheur médiocre”... » Ibidem.

185 Ibidem.

186 Prenant un ton solennel, Jean Guibal repousse la voie choisie par les protagonistes du Front populaire et clôt son introduction sur les causes du « désastre » par une sorte d’acte de contrition dont « tout Français » doit se pénétrer : « Je sais que l’idéologie n’est qu’un faux vêtement qu’on veut donner à ma pensée française ; je m’y refuserai. Je sais que les mots sont menteurs, que tout slogan cache un charlatan qui saurait endormir mon sens critique, un chef d’orchestre qui veut noyer ma note personnelle ; je garderai le contrôle de moi-même. Le monde est bien trop vaste pour l’étreindre ; l’horizon rapproché, c’est l’horizon ami. C’est à lui que je me donnerai (...) ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 7.

187 Ibidem.

188 Jean Guibal, op. cit., p. 8.

189 Il permet « le renoncement aux caprices qui passent, c’est le commencement de la force de l’homme. Là seulement, il réalise la noble hiérarchie de ses valeurs individuelles : la primauté de l’esprit sur le corps (os homini sublime dedit...), de la conscience sur l’esprit ; finalement, l’homme est une conscience, informée par l’esprit, servie par les organes ; c’est elle qui ennoblit le tout, pour le plus bel emploi de soi ; c’est elle qui commande le tout, pour que l’homme devienne “le Capitaine de son âme”. La famille, enfin, pour l’individu, c’est bientôt la vie compensée de la fuite rapide des jours : “...la famille, seule consolidation que l’homme ait encore trouvée contre la mort” ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 8.

190 « Nous avons tant l’individualisme dans le sang, (qu’) il agit sur nous comme une si lourde hérédité, qu’il nous rend, malgré nous imperméables à la conception nouvelle de la société ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 11.

191 Ibidem.

192 Ibidem.

193 Pour y arriver, il propose « d’emprunter la formule d’une autre Révolution : “Qu’est la famille ? Rien. Que doit-elle être ? Tout. Que veut-elle être ? Quelque chose” ». Ibidem.

194 Ibidem.

195 Ibidem.

196 « On laisse tomber ce campement provisoire de l’homme fait de tentes individuelles et bon pour une saison », explique Jean Guibal. « On va reconstruire la maison de pierre : elle préservera mieux des orages. Écoutez le Maréchal : “C’est sur elle qu’il faut bâtir ; si elle fléchit, tout est perdu ; tant qu’elle tient, tout peut-être sauvé” ». Voir Jean Guibal, op. cit., p. 12.

197 Ibidem.

198 « Il faut que l’enfant de France soit mis à même d’aimer, de vénérer et de servir ». Des mesures récentes vont dans ce sens et il s’en réjouit (en septembre 1940, on a créé le conseil supérieur de l’éducation surveillée puis la Caisse des Écoles égale pour les Écoles publiques ou privées...). Tout ce qui permet la « liberté du père dans le choix du maître de son fds » mérite attention, estime-t-il. Ibidem.

199 On peut noter que le gouvernement de Vichy met en place, peu de temps après la remise de ce « rapport », un Commissariat général de la famille. Ce qui correspond à une volonté clairement revendiquée d’insuffler une « administrativisation » du champ familial. 11 s’agit d’une idée-maîtresse émise par Jean Guibal. Voir Michel Chauvière, « Le Commissariat Général à la Famille. Légitimation et organisation publique / privée du champ familial », in Martine Kaluszynski, Sophie Wahnich, dir., L’État contre la politique. Les expressions historiques de l’étatisation, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 321-339.

200 « Impuissance congénitale : il cultivait la liberté pour elle-même, il la pressait comme une fin en soi. La fin, n’est-ce pas l’homme ? Or, entre deux hommes intégralement libres, de quel droit et par quel moyen empêcher le conflit » ? Voir Jean Guibal, op. cit., p. 15.

201 Jean Guibal, op. cit., p. 23.

202 Ibidem.

203 Ibidem.

204 « Son échec, en 1924, fut le commencement du déclin de l’État (...) » affirme l’auteur. Ibidem.

205 Ibidem.

206 Ibidem.

207 Pierre Milza, Fascisme français. Passé et présent, Paris, Flammarion, 1987, p. 227.

208 Helena Pinto Janeiro, «Salazar et les trois France», Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 62, 1999, p. 40-41.

209 Yves Léonard, « Salazar : vie et mort d’un dictateur », L’Histoire, n°287, mai 2004, p. 76.

Table des illustrations

Titre Engagements politiques des responsables locaux de la Légion française des combattants
URL http://books.openedition.org/pupvd/docannexe/image/2252/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 292k
Titre Antécédents politiques des dirigeants légionnaires en 1942(Sources : Jean-Paul Cointet, 1995 ; ADH 172 W 30)
URL http://books.openedition.org/pupvd/docannexe/image/2252/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 104k
Titre La prépondérance du Parti social français : une spécificité héraultaise(Sources : Jean-Paul Cointet, 1995 ; ADH 172 W 30)
URL http://books.openedition.org/pupvd/docannexe/image/2252/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 140k
Titre Professions des chefs de districts et des délégués cantonaux à la propagande (septembre 1942)
URL http://books.openedition.org/pupvd/docannexe/image/2252/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 178k

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Cette publication numérique est issue d’un traitement automatique par reconnaissance optique de caractères.
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search