1Le Lauragais est aujourd’hui un « pays », au sens géographique du mot1, c’est-à-dire une petite région agricole homogène, de 3 700 km² à peu près, allant des portes de Toulouse aux environs de Carcassonne. Il constituait autrefois une unité politique : le terme de Lauragais désignait jusqu’au milieu du xiii^e siècle les possessions de la maison de Laurac, sur la frontière orientale du comté de Toulouse2. Les biens de la famille ayant été saisis pour hérésie passent, en 1237, sous la domination directe du comte de Toulouse, puis d’Alphonse de Poitiers et, en 1271, du roi de France. Le Lauragais devient, sous Alphonse de Poitiers, une judicature dont le siège est Castelnaudary, puis, en 1478, un comté et, en 1554, une sénéchaussée. Lors de la création des départements, cette sénéchaussée de Lauragais est divisée, pour l’essentiel, entre les départements de l’Aude et de la Haute-Garonne (quelques éléments sont situés dans le Tarn et l’Ariège).

2Les campagnes du Lauragais ont été fort peu étudiées, pour la période médiévale, si l’on excepte le travail de Germain Sicard sur le métayage3 et quelques pages de la thèse de Philippe Wolff4. Des maîtrises ont été consacrées à l’étude de commanderies des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem, situées à Renneville, Caignac et Pexiora5, une à la baylie de Castelnaudary d’après le Liber reddituum, enquête sur les revenus du comte de Toulouse effectuée en 1272-73, après la prise de possession du comté par Philippe III, à la mort d’Alphonse de Poitiers6. Ces dernières années, quelques maîtrises ont traité de l’occupation du sol dans plusieurs cantons du Lauragais occidental : des monographies de communes ont été réalisées à partir, essentiellement, de sources publiées et du Liber reddituum (présentation des seigneurs, de la communauté, des édifices principaux et recensement des sites archéologiques repérables par prospection)7. Une thèse a été consacrée à l’occupation du sol en Lauragais oriental8, le bas Moyen Âge n’y est guère évoqué.

I. UN CHOIX NÉCESSAIRE

3Un choix a été opéré, tout d’abord, quant aux localités qui seraient plus particulièrement étudiées. J’ai privilégié Castelnaudary9, la ville la plus importante de la région, siège de la judicature, puis de la sénéchaussée, pour laquelle le fonds documentaire est très abondant : registres de notaires, livres d’estimes des xv^e et xvi^e siècles, suivis de compoix allant jusqu’au xviii^e siècle, registres de comptes du consulat, livres de taille. Je voulais ensuite étudier des villages ou de petites agglomérations qui disposeraient d’archives variées et qui ne connaîtraient pas les mêmes conditions naturelles. Le finage de Castelnaudary est entièrement situé dans une dépression de molasse, remblayée par des alluvions quaternaires. Cette plaine, drainée par deux ruisseaux, le Fresquel et le Tréboul, a des altitudes comprises entre 150 et 180 mètres, la seule ligne de hauteurs étant constituée par l’interfluve Fresquel-Tréboul, culminant à 211 mètres. Elle n’offre guère d’obstacles à la mise en culture et a été densément occupée dès la période protohistorique et l’Antiquité. Le reste du Lauragais constitue ce que les géographes appellent le Terrefort car le sol est constitué de terrefort argilo-calcaire, décomposition de la molasse, le sol fournit son nom à la région. Ce terrefort, facilement érodé, donne un relief de coteaux et collines, découpé par de nombreuses vallées. J’ai choisi trois localités du Terrefort : Fendeille, Montesquieu et Montgiscard. Fendeille10, à quelques kilomètres de Castelnaudary, est située au contact de la plaine et des collines de la Piège, secteur le moins fertile du Terrefort, au débouché d’une petite vallée encaissée (fendelha : petite fente). Un tiers du finage se trouve dans la plaine (entre 160 et 200 mètres), le reste dans le Terrefort, à une altitude comprise entre 200 et 329 mètres. Cette localité présente l’avantage de fournir une série de registres d’estimes répartis tout au long du xv^e siècle.

4Montesquieu11 et Montgiscard12 occupent toutes les deux une position dominante dans la gouttière de l’Hers-Mort, sur le versant occidental de la vallée. Une très faible partie de leur territoire se trouve dans la plaine de l’Hers (à une altitude de 150-160 mètres), le reste dans une zone collinaire, n’excédant pas 260 mètres d’altitude, très découpée par de nombreuses vallées. La commune de Montesquieu est perchée sur un éperon dominant de 60 mètres la confluence de la Thésauque avec les ruisseaux de Cante Merle et de Roussel, à une altitude maximale de 243 mètres, le nom de Montesquieu traduit cette position dominante, il signifie mont farouche, sauvage. Montgiscard est bâti sur un plateau séparant la vallée de l’Hers, au nord, de la vallée de la Hyze, au sud ; le point le plus élevé du finage culmine à 263 mètres. Au xv^e siècle, Montgiscard constituait une seule communauté avec Ayguesvives13 et Les Bastards14 qui ne disposaient pas d’un consulat ; les estimes des trois localités sont toutefois séparées. J’ai inclus Ayguesvives et Les Bastards parmi les localités témoins. Le finage d’Ayguesvives est du même type que celui de Montgiscard, le village est établi sur une hauteur dominant l’Hers, son territoire s’étend dans la gouttière de l’Hers et sur les collines du Terrefort. Le finage des Bastards est situé entièrement dans les collines du Terrefort, à une altitude comprise entre 200 et 268 mètres. La présence de nombreux registres de notaires de la fin du xiv^e siècle à Montgiscard, alors qu’il ne subsiste pas de registres d’estimes de cette période, et de livres de reconnaissances, dans cette bourgade et à Montesquieu, m’ont confortée dans le choix de ces deux localités.

5La confrontation des diverses sources conservées pour toutes ces communautés pouvait s’avérer intéressante ; l’existence de séries d’estimes à Fendeille, Castelnaudary et Montesquieu rendait possible l’étude de l’évolution de l’appropriation et de la mise en valeur des finages. Toutes les localités choisies étant, de plus, pourvues de compoix et de plans parcellaires de la période moderne15, il était possible d’étudier, ultérieurement, l’évolution des patrimoines entre le xv^e et le xvii^e ou le xviii^e siècle, au moins pour les notables et la fraction la plus riche de la paysannerie. Une tentative de reconstitution du parcellaire de la fin du xv^e siècle pouvait, même, être envisagée.

6Les documents médiévaux sont assez abondants en Lauragais, en particulier les registres de notaires, conservés à partir de 1380. On dispose aussi de livres d’estimes et de taille, de quelques registres de reconnaissances (pour le Lauragais occidental), d’aveux et dénombrements, de livres de comptes de consulats. Il n’était pas possible de tout dépouiller, il fallait effectuer un choix parmi toutes ces sources.

7J’ai retenu tous les registres d’estimes du xv^e siècle et quelques-uns du début du xvi^e siècle. J’ai utilisé, pour Montgiscard, trois registres de reconnaissances effectuées auprès de l’évêque, puis de l’archevêque de Toulouse, Montgiscard faisant partie de la Temporalité de celui-ci16. J’ai retenu le registre le plus ancien, le 1 G 799, intitulé « lieve des oblies des lieux de la baronnie de Montbrun, Corronsac, Castanet, Roqueville, Montgiscard, Pechabou, Donneville », daté de 1292, le registre 1 G 801, de 1447 et le registre 1 G 805, de 1487. J’ai dépouillé, pour Montesquieu, les livres de reconnaissances de quelques seigneurs laïcs. J’ai utilisé le registre E 1137, intitulé dans le répertoire des archives « reconnaissances 1371-1425 », dont le premier cahier renferme une série de reconnaissances faites à « noble Saxio », Says de Montesquieu ; le registre E 618 qui contient des reconnaissances faites à « dame Anglaise de Roqueville, veuve de noble écuyer Gailhard de Cambel », datées de 1392, puis au collège de Mirepoix (un collège toulousain), ainsi que le registre E 1125, répertorié « reconnaissances de 1490 de Montesquieu » qui contient les reconnaissances faites à « noble Pierre de Turre et de Rojac, seigneur de Castanet et co-seigneur de Montesquieu ». J’ai aussi dépouillé le registre E 1116 qui contient des reconnaissances de 1492 et 1514, collationnées en 1535. Celles de 1492 sont faites en faveur de « noble Antoine de Montesquieu, seigneur de Coustaussa », celles de 1514 en faveur de « monsieur de la Tour », Pierre de Turre. J’ai consulté toute une série d’actes émanant de l’administration municipale de Castelnaudary, des registres de police et, surtout, de comptabilité ; ces documents, très intéressants, sont, malheureusement, lacunaires pour le xv^e siècle17. J’ai dépouillé quelques livres de taille de Fendeille et Castelnaudary, datant du xv^e siècle18. Toutes ces sources étaient, jusque-là, inexploitées, sauf quelques registres de notaires de Montgiscard, vus par Germain Sicard dans le cadre de son ouvrage sur le métayage.

8Les possessions foncières du clergé figurent dans les estimes si elles sont taillables ; j’ai consulté les séries G et H uniquement pour le repérage des réserves ; je n’ai obtenu que peu de renseignements. Les réserves et les revenus de la noblesse ont été approchés grâce aux aveux et dénombrements du xvi^e siècle conservés dans la série B, mais, surtout, grâce à des copies du xvii^e siècle ( ?) d’aveux et dénombrements datant des xiv^e, xv^e et xvi^e siècles. Ces copies se trouvent dans deux registres déposés aux Archives municipales de Toulouse, le Ms. 634 et le Ms. 635. Le Ms. 634 intitulé « Inventaire des registres de la sénéchaussée de Toulouse xiv^e-xv^e avec patrimoine seigneurial »19, m’a été particulièrement utile car il contient des aveux de 1389 et du xv^e siècle. Le Ms. 635, intitulé « sommaire des dénombrements des terres et seigneuries assises à la viguerie de Toulouse et judicature de Lauragois de l’an 1540, 1554 et autres insérés dans le livre coté n°18 de l’armoire 4 », a fourni quelques compléments. Ces aveux et dénombrements devaient être effectués tous les dix ans, dans tout le Lauragais ; très peu semblent subsister quand sont réalisées ces copies. J’ai consulté aussi les inventaires du domaine royal réalisés aux xvii^e et xviii^e siècles, consistant en collation de documents médiévaux. J’ai effectué quelques recherches aux Archives nationales (Domaine du roi), ceci dans l’espoir d’approcher la réserve royale mais je n’ai pas trouvé beaucoup d’éléments exploitables. J’ai utilisé quelques sources publiées : registres de procurations et de décimes de la fin du xiv^e siècle20, chartes de coutumes du Lauragais21. Pour tenter de situer les lieux-dits ou, au moins, les domaines ruraux du bas Moyen Âge, j’ai utilisé les plans cadastraux et les plans d’adaptation du xviii^e siècle, j’ai aussi fait appel aux cartes réalisées par Jaillot, Aldring et Cassini et au cadastre napoléonien22.

9Les registres notariaux, malgré les aléas de la conservation, sont encore abondants en Lauragais. Il s’agit, le plus souvent, de registres de notes ou brèves (les minutes actuelles) prises au jour le jour, dits protocoles ; on trouve aussi des registres d’étendues, les extensoires (de in extenso), où les actes ne se suivent pas chronologiquement car ils sont rédigés quand un client demande une grosse ou expédition. Le notaire met alors au propre la minute, les formules juridiques sont entièrement développées. Ces registres sont beaucoup trop nombreux pour être tous exploités ; de plus, à partir d’un certain nombre d’actes, on n’observe plus de modification sensible des résultats obtenus. J’ai donc effectué le dépouillement de quelques registres seulement. J’ai choisi des registres répartis entre 1380 et le début du xvi^e siècle. J’ai dépouillé douze registres conservés aux Archives départementales de la Haute-Garonne et 17 registres conservés aux Archives départementales de l’Aude. Les notaires qui ont instrumenté résidaient en majorité à Castelnaudary, Montgiscard et Montesquieu ; j’ai aussi inclus dans ce corpus des notaires de Cintegabelle23, Laurac, Mas-Saintes-Puelles24, pour essayer de couvrir une plus grande partie du Lauragais25.

10J’ai retenu, pour ces 29 registres, les actes de vente portant sur les biens-fonds ruraux, bâtis ou non bâtis. J’ai inclus dans les biens bâtis les fermes (campmas, borias), mais aussi les bordes (bordas) et les maisons (ostals), si elles étaient situées à l’extérieur des murailles. Ces actes sont dressés même si le bien a été payé en totalité ; parfois, une reconnaissance de dette est incluse dans l’acte ou le suit. J’ai retenu les ventes de bétail (qui n’apparaissent dans les registres que si l’achat n’est pas totalement réglé), les baux à cheptel (gasailles), les reconnaissances de dettes si elles concernaient des produits agricoles : blés, pastel, etc. (en plus, bien sûr, de celles portant sur des biens immobiliers ruraux). J’ai noté les inféodations, les reconnaissances, les lauzimes (approbatio, laudatio par le seigneur, en échange d’une taxe équivalent des lods et ventes, d’une transaction qui s’est effectuée sur le bien), les déguerpissements, les échanges, les donations (sauf celles pour cause de noces) et les partages de biens. Ont été retenues aussi les locations de biens-fonds ruraux, qu’il s’agisse d’une simple parcelle ou d’un domaine, ainsi que celles des moulins fariniers ou pasteliers. J’ai noté aussi ce qu’on peut appeler des actes rares : constitutions de rentes, rachats de droits féodaux, transactions sur arrérages, modérations de cens, vente de récoltes, locations de coupes de bois, de prés, de ripparia, contrats de travail, conflits familiaux en raison d’une dot, d’une donation. J’ai noté, hors corpus, quelques constitutions de dots, quand l’un des deux conjoints était issu d’une famille demeurant dans une ferme, des inventaires après décès de paysans, quelques contrats concernant des constructions de fermes. J’ai dépouillé quelques registres notariaux supplémentaires, trente et un provenant du Lauragais oriental26, en ne relevant que les actes concernant les domaines, et quatre provenant de Montesquieu et Montgiscard, en ne retenant que les actes de vente. Ces actes ne sont pas comptabilisés dans le corpus.

11Il faut garder à l’esprit que, même dans une région où le notariat est extrêmement développé, toutes les transactions, tous les baux de fermage, de métayage ou à cheptel, ne sont pas forcément passés par-devant notaire, la parole donnée engage autant qu’un acte notarié. Dans une société où le testament oral est légal, s’il est fait devant sept témoins, comme l’indique la coutume de Toulouse27, valable dans toute la sénéchaussée, une vente verbale l’est aussi. J’en ai trouvé quelques mentions : en 1460, par exemple, J. de Saxis, chevalier, docteur ès lois de Toulouse, lauzime à Arnaud-Guilhem de Croso, de Villenouvette, la vente faite verbo par Jean Dosseti, d’une bosiga d’un arpent, au prix de deux écus d’or ; il reconnaît avoir reçu ses pax28. Toutes les ventes faites au comptant, même celles de biens immobiliers, ne sont donc pas forcément enregistrées, ce qui conduit à sous-estimer la circulation des parcelles. Les reconnaissances de dettes, probablement, ne se font pas toutes devant notaires, celles contractées entre parents ou amis doivent être réalisées simplement devant témoins ou inscrites sur un papier privé. J’ai, à plusieurs reprises, trouvé mention, dans les testaments, de cartellum contenant une reconnaissance de dette29. Les baux de métayage et de fermage peuvent se faire sur ce simple papier restant chez le propriétaire du bien (le cartellum en langue vernaculaire est apporté, parfois, quand on officialise le contrat par-devant notaire, les premières phrases en sont même recopiées par celui-ci) et être reconduits oralement, comme cela se faisait encore au début du xx^e siècle.

12Les registres notariaux ne permettent qu’une approche imparfaite de la structure des campagnes, les domaines aux mains de propriétaires-exploitants, par exemple, n’y apparaissent que peu, ce qui est normal, car ils ne font que rarement l’objet de transactions ; les estimes constituent, par contre, un outil irremplaçable pour les repérer. Dans un article antérieur30, j’ai signalé que les séries G, H et les registres notariés que j’avais alors consultés aux Archives départementales de l’Aude, ne permettaient d’apercevoir que 57 domaines établis sur le territoire de Castelnaudary, contre 120, à peu près, déclarés dans les livres d’estimes. Il m’a donc semblé nécessaire, pour approcher la réalité des campagnes, de faire porter l’essentiel de ce travail sur les communautés pour lesquelles subsistent des estimes.

13Les 29 registres notariaux entièrement exploités ont fourni 2 946 actes, 1 845 pour le Lauragais occidental (actuel département de la Haute-Garonne), 1 101 pour le Lauragais oriental (actuel département de l’Aude).

Répartition chronologique des actes dans les 29 registres témoins

141 430 actes sont passés entre 1380 et 1410, 872, entrel411 et 1450, et 644, entre 1451 et 1504. La répartition dans le temps des registres notariaux est volontairement déséquilibrée, elle favorise la fin du xiv^e siècle et le début du xv^e (tous les registres de la période 1380-1410 ont été retenus) car les livres d’estimes sont alors rares ; inversement, peu de registres de la deuxième moitié du xv^e siècle ont été utilisés puisque la période est très bien documentée par les estimes.

Les différents types d’actes :

15La quasi-totalité des actes consistent en transactions portant sur des biens-fonds ruraux. Les actes concernant le bétail représentent 16,56 % du corpus, les reconnaissances de dettes portant sur des produits agricoles, 8,55 %. Ces pourcentages sont toutefois différents selon la zone de provenance des registres. Pour la partie orientale du Lauragais (registres déposés aux Archives départementales de l’Aude), les actes concernant le bétail représentent 13,89 % du corpus, les reconnaissances de dettes portant sur des produits agricoles 5,9 %. Pour le Lauragais occidental (registres déposés aux Archives départementales de la Haute-Garonne), ils représentent respectivement 18,15 % et 10,13 % du corpus. Ces différences existent aussi pour les actes traduisant la présence seigneuriale (reconnaissances, inféodations, lauzimes, déguerpissements), qui constituent 23,08 % des actes dans les registres conservés aux Archives départementales de la Haute-Garonne contre 13,98 % pour ceux conservés aux Archives départementales de l’Aude. Elles apparaissent aussi, mais moins marquées, pour les baux de faire-valoir indirect qui constituent 5,35 % des actes en Lauragais oriental contre 6,89 % en Lauragais occidental31.

II. LES LIVRES D’ESTIMES

16Cette source étant plus originale, propre aux régions méditerranéennes32, il m’a semblé nécessaire de développer particulièrement ce chapitre.

17Dans la sénéchaussée de Toulouse, où se trouve le Lauragais, les premiers registres d’estimes remontent, probablement, à l’administration d’Alphonse de Poitiers. Avant lui, les communautés ont dû lever des impôts, ainsi, un document de 1220 mentionne des dépenses communes, à Toulouse, pour la lutte contre Simon de Montfort, dépenses qui sont couvertes par des tailles, on ne sait pas comment elles sont réparties. Il est probable que les capitouls, assistés de prud’hommes, établissaient une taxation plus ou moins arbitraire des contribuables, d’où des plaintes. Alphonse de Poitiers, vers 1260, adressa à ses sénéchaux des instructions pour la levée d’une taille : ils devaient convoquer une douzaine d’habitants ou plus, dans chaque ville, pour désigner des répartiteurs qui jureraient de faire bonne assiette et inscriraient tous les noms des habitants et les sommes dues par eux. On aboutit à des registres de tailles. Ce sont de nouvelles instructions, de 1263, qui demandent aux sénéchaux de faire des estimes des biens meubles et immeubles des chefs de famille et d’additionner les montants portés sur ces registres d’estimes. À Toulouse, en 1270, les capitouls ordonnent une révision générale des estimes qui devaient donc exister depuis quelques années.

18S’il est probable qu’à Toulouse les registres d’estimes apparaissent à partir de 1264 environ, c’est peut-être un peu plus tard dans les communes rurales. La disparition de très nombreux registres ne permet pas de le savoir exactement. À Toulouse, par exemple, les premiers fragments d’estimes conservés datent seulement de 1335, les suivants, toujours fragmentaires, sont de 139133. Une enquête de 155734, lancée par l’Assiette du diocèse de Toulouse, qui procède à la réfection du cadastre diocésain et demande à toutes les communautés un extrait des cadastres, mentionne un compoix de 1319, maintenant disparu, pour la communauté de Beauzelle et un, de 1354, pour celle de Bessières (toutes deux hors des limites du Lauragais). Dans le Tarn, ont été conservés plusieurs livres du xiv^e siècle, pour Albi, Lautrec, Rabastens et Castres35, dans l’Ariège, 10 registres de la période 1350-1399 subsistent, pour la ville de Pamiers36. En Lauragais, d’après le répertoire numérique des sous-séries IV E et V E des archives départementales de la Haute-Garonne37, le registre le plus ancien semble celui de Montesquieu-Lauragais, daté de 140938, mais cette datation, nous le verrons, est inexacte.

19J’ai utilisé, pour la partie occidentale du Lauragais, deux registres de Montesquieu (celui daté de 1409 dans les inventaires et un registre de 148539) et un registre de 1489 regroupant les estimes de Montgiscard, Ayguesvives et Les Bastards, ces deux agglomérations ne disposant pas alors, ainsi que signalé, d’un consulat. Pour la partie orientale du Lauragais, j’ai utilisé les estimes de Fendeille, un registre regroupe celles de 1428, 1473, 1489 (n. st.), 149540. On trouve aussi, dans un registre répertorié comme datant de la période moderne41, une estime de 1466 et une autre estime, non datée, qui me semble de la fin du xv^e siècle ou du tout début du xvi^e siècle42. Je ne ferai, le plus souvent, appel qu’aux deux registres de 1428 et 1495, les registres de 1466, 1473 et 1489 n’offrant que peu de différences par rapport à celui de 1495. Pour Castelnaudary, sont conservés trois livres d’estimes du xv^e siècle : deux registres fragmentaires, datés, dans les répertoires, de 1431 et 1492 et un registre presque complet de 149643, que j’ai utilisés ici. J’ai dépouillé aussi, pour cette ville, les registres de 151644 et 153545, essentiellement pour connaître l’évolution des patrimoines des propriétaires de domaines. J’ai laissé de côté le registre de 1546, trop proche du précédent. Celui de 1553 a été vu par Roger Maguer, dans le cadre d’une thèse d’histoire moderne46, mais dans une optique différente. J’ai consulté aussi, uniquement pour une étude des domaines, trois compoix du xvi^e siècle provenant des bourgades du Mas-Saintes-Puelles, de Souilhe et d’Issel47 et le compoix de 1700 de Castelnaudary48.

Les registres dépouillés49

20Les registres étaient, bien sûr, beaucoup plus nombreux. Une enquête de 155750 qui recense les livres d’estimes et les terres nobles du diocèse civil de Toulouse ne mentionne, pour la jugerie de Lauragais, que 11 registres du xv^e siècle51. Cette enquête est très incomplète, toutes les localités ne sont pas répertoriées, et, quand elles le sont, tous les registres ne sont pas indiqués. A Montesquieu-Lauragais, par exemple, un livre de 1421 est signalé, à Montgiscard, un livre du xvi^e siècle, or, aujourd’hui, pour le seul xv^e siècle, subsistent deux registres à Montesquieu, un à Montgiscard. Pour Castelnaudary, j’ai retrouvé un inventaire des livres et privilèges de la ville dressé, le 17 octobre 1493, par Estève Gervays, un hôtelier qui est alors consul. Cet inventaire ne mentionne pas moins de dix livres d’estimes répartis tout au long du xv^e siècle52 : « un qu’il a rédigé en 1487, d’autres datant de 1484, de 1483, de 1472, un de 1450 réalisé par Arnaud Faias (un marchand) et autres, un de 1435 fait par Pierre-Guilhem de Causidieyras (un notaire), un autre livre de la même année, un livre sans date, un de 1429, un de 1402 ». J’ai trouvé aussi un inventaire de 175053, les « cadastres ou estimes » de Castelnaudary mentionnés pour la période antérieure à 1493 ne sont alors que cinq, dont un de 1359, qui n’apparaissait pas dans la liste d’Estève Gervais (les autres datent de 1402, 1472, 1482, 1487). Cet inventaire mentionne aussi des registres del495, 1503, 1553, 1554, 1594, 1600, 1700. Les douze livres du xv^e siècle sont réduits aujourd’hui à trois, deux fragmentaires et un presque complet. Parmi les registres postérieurs, ceux de 155354 et 160055 ont survécu aux aléas de la conservation. Nous disposons aussi, signe que les inventaires sont très mal effectués, des registres de 1516, 1535, 1546, 1603-04, 1604-05, d’un registre du XVII^e, sans date et d’un registre du xviii^e, sans date56.

21A Toulouse, on sait, par des registres de comptabilité capitulaire, que de 1335 à la fin du xiv^e siècle, les estimations avaient lieu assez régulièrement, tous les cinq ans, à peu près57 ; pour le Lauragais, les intervalles entre deux estimes, d’après les plus anciens inventaires, sont parfois de quatre ans pour Castelnaudary, de sept ou huit ans pour Fendeille, parfois plus longs, si les registres n’ont pas été égarés dès le xv^e siècle. Les intervalles de rédaction entre deux estimes peuvent être importants car, en plus des discussions sans fin pour la mise au point de l’allivrement, qui au xvii^e siècle, par exemple, pour Castelnaudary, durent 25 ans, la réalisation d’un nouveau registre se fait très lentement. A Fendeille, en 1495, l’estime est commencée le 7 avril et terminée (« foc clausa la presenti estima ») le 4 juillet suivant ; les estimateurs, alors qu’ils sont quatre, mettent trois mois pour entendre une soixantaine de chefs de famille déclarer leurs biens (à peu près 700 items), vérifier leurs dires et effectuer l’allivrement. Le registre de 1466 est, lui aussi, réalisé en trois mois, commencé au mois de novembre, il est terminé en janvier58. On doit hésiter à lancer une telle procédure, ce qui explique que l’on se contente, souvent, de modifier les registres anciens : en 1675, à Castelnaudary, on se plaint de travailler sur un compoix qui a plus de 200 ans ; on avait cependant prévu en 1516 de modifier l’estimation tous les quatre ans59.

Quelques problèmes

22La datation de tout ou partie des livres d’estimes pose quelques problèmes. Si les estimes d’un petit village tiennent sur un seul cahier, celles des bourgades sont rédigées sur plusieurs cahiers cousus ensemble, parfois assemblés aléatoirement à l’époque moderne.

23Le registre CC 11 de Castelnaudary, daté de 1516, est ainsi composé d’éléments correspondant à des recensements de biens réalisés à diverses dates : le premier cahier, jusqu’au folio 74 v° (foliotage moderne) et les derniers, du folio 183 r° au folio 289 r°, qui sont d’une même main, ne donnent pas de chiffre d’estimation, par contre la partie allant du folio 76 r° au folio 175 v° est d’une écriture différente, plus soignée, et mentionne l’estimation. Cette partie est antérieure au reste et postérieure à 1496 ; en effet, il y est fait mention, par exemple, d’Estève Gervais, folio 79 r°, de Louis Pelisse, folio 88 v°, déjà présents dans le registre de 1496, alors qu’au folio 7 r°, ce sont les héritiers d’Estève Gervais qui déclarent leurs biens, au folio 60 r° les héritiers de Louis Pelisse, etc. Le registre CC 10, daté de 1496, comporte lui aussi un remontage aléatoire de cahiers, celui consacré au port Dedins n’utilise pas la même livre cadastrale que les autres et correspond, peut-être, à un stade de réalisation différent.

24Les dates attribuées par les rédacteurs d’inventaires, au xvii^e siècle ou plus récemment, ne sont pas toujours très fiables. C’est le cas pour le registre de Montesquieu, répertorié 5 E 66, daté de 1409 dans le répertoire numérique des sous-séries IV E et VE, car on s’est contenté de reprendre une mention marginale, probablement du xvii^e siècle, figurant au folio 1 r°60. Aujourd’hui, la page est restaurée, la partie qui comportait la date a disparu. Peut-on faire confiance à cette datation ? Beaucoup de déclarants de 1485 portent les mêmes prénoms et noms que ceux de 1409 et exercent parfois le même métier (Alyot Baco, forgeron, Pierre Bobald, notaire, les trois frères (?) Advessen, Daniel, Jordy, Pierre-Jean, etc.) ; on peut considérer que la transmission des prénoms des grands-parents, des oncles est classique, mais on peut aussi penser que l’écart entre les deux registres n’est pas aussi important et que les deux livres recensent les mêmes individus. J’ai comparé les noms des déclarants du registre avec ceux des tenanciers apparaissant dans un registre de reconnaissances commencé en 139261 : une douzaine seulement des patronymes de 1392 se retrouvent dans le livre d’estimes censé être de 1409. C’est, par contre, le cas de beaucoup plus de tenanciers effectuant, dans ce même registre, reconnaissance de leurs biens en 1447 (plus d’une vingtaine). Les tenanciers sont chaque fois une cinquantaine. Le registre 5 E 66 est donc plus proche de 1447 que de 1392. Les déclarants de ce registre dit de 1409 se retrouvent aussi dans les actes notariés de la fin du xv^e siècle et même dans les estimes de Montgiscard : c’est le cas de Guilhem Jolia, des Bastards. Il ne me semble pas que ces estimes dites de 1409 soient postérieures à 1485. En effet, le total de l’estime est indiqué à la fin des deux registres, il est plus élevé dans le registre 5 E 66 que dans le registre 5 E 67, 14 513 £ 10 sous contre 11 774 £ 10 sous. L’estimation moyenne de chaque type de bien est plus forte dans le registre 5 E 66 que dans le registre 5 E 67, elle est de 23,52 £ pour les ostals, de 1,79£ pour les jardins contre respectivement 19,31 £ et 1,53 £. Ceci permet de conclure à une antériorité du registre 5 E 66, l’affaiblissement des estimes est, en effet, attesté à Toulouse dès le début du xv^e siècle62. L’estime devient royale en 1426 avec Charles VII ; la municipalité de Toulouse réduit alors un peu plus le montant de ses estimes, ainsi que toutes les villes de la région : Albi63, Castres64, Lautrec65. La réduction des cotes d’estimes se poursuit tout au long du siècle. Les friches sont aussi plus nombreuses dans le registre 5 E 66 qu’en 5 E 67, indice probable d’une antériorité. Je pense que l’écart entre les deux registres de Montesquieu n’est que de vingt ans, trente ans peut-être, le registre dit de 1409 serait des années 1450 ou 60.

25Le registre de Castelnaudary, coté 4 E076/CC 9, est répertorié de 1492, il est, en fait, largement antérieur, je le date des années 1400, au plus tard 1416. Toute une série d’indices m’incite à cette conclusion : en effet, j’ai retrouvé l’inventaire des biens du savetier Raymond Sacrotz, un des déclarants, réalisé en 1416 après son décès66. Parmi les estimés, se trouve Jean Niseti, licencié ès lois, consul en 1401 et juge ordinaire de Soupex67 ; il déclare un capmas situé à Saint-Jean-des-Plats, or, il échange cette ferme, en 1425, contre une autre située dans la vallée du Tréboul. Ces estimés et d’autres, tels Bertrand Garreti, Pierre La Faia, sont mentionnés dans divers actes notariés des années 1400-143068 et non plus tard, leurs patronymes ont d’ailleurs disparu à la fin du siècle. Les estimations effectuées dans le registre CC 9 sont plus élevées, pour le même type de biens, que dans ceux de 1496 et 1516, ce qui plaide en faveur de son ancienneté ; on y mentionne aussi de nombreux pigeonniers qui ont disparu des registres d’estimes de la fin du xv^e siècle, sûrement par désir de réduire la richesse apparente de la ville. Ce registre est probablement le plus ancien livre d’estimes du Lauragais conservé. Peut-être a-t-on affaire au livre de 1402 signalé par Estève Gervays.

26Le registre CC 8 de Castelnaudary pose aussi problème, la date qui lui est affectée dans les fichiers est de 1431 mais aucune date ne figure sur le registre lui-même, un simple cahier de déclarations de « las gens de la gleysa » ; au folio 8 v°, une main du xvii^e ou xviii^e siècle a noté : « cotte CCC chapitre N 3 liasse I. Tenet des gens déglise. Sans datte ». Il est peut-être un peu antérieur, car dans ce cahier, Jean de la Terrade, un chanoine de la collégiale Saint-Michel déclare un campmas « a camp piulat », or, il donne son campmas à la collégiale, en juin 142169, pour fonder une chapellenie en l’honneur des saints Georges, Égide et Léonard, ceci à la place de 200 £ tournois, promises en avril 1418 ; il teste en 142570 et fait héritier universel l’obit de la collégiale Saint-Michel, il doit mourir peu après car il ne figure pas dans les registres notariaux postérieurs. Dans le registre CC 8, la moyenne de l’allivrement pour les 34 ostals estimés est de 19 £ 7 sous, elle est de 21 £ 17 sous pour les six fermes estimées. Dans le registre CC 9, en ne considérant que les biens du clergé, la moyenne de l’allivrement des ostals est de 13 £ 7 sous, celle des fermes est de 19,6 £. La baisse de l’allivrement, dans ce dernier registre, par rapport au registre CC 8, est de 31 % pour les maisons des clercs, de 11,68 % seulement pour leurs fermes. Cela incite à penser, étant donné la tendance à la baisse de l’allivrement au cours du xv^e siècle, que le registre CC 8 est antérieur au registre CC9. De plus, certains chapelains sont sur les deux registres, la majorité déclare davantage de biens en CC 9 qu’en CC 8, ce qui conforte l’idée d’un registre CC 8 antérieur au CC 9.

1. Les acteurs

27Si dans certaines régions (Comtat Venaissin71, Vivarais72), toute la procédure de lancement et de réalisation des estimes est bien explicitée, ce n’est guère le cas dans les documents lauragais ; ce système étant rodé depuis 1263, la réfection des registres ne relève que des consulats. A Fendeille, par exemple, celles de 1428 (n. st.) sont d’ailleurs notées sur un cahier où figurent des comptes de la communauté. On y trouve, dans les premiers folios, une reddition de comptes par les consuls sortants, Pons Rocas, Guilhem Salvata et leurs compagnons : « ils ont donné de leur administration 6 francs 4 tolsans ». Suivent des comptabilités diverses : location de fours, vente d’herbe des fossés, prêts consentis à la communauté : « Raymond Rabanh a pris à ferme le four de Nadal pour quatre gros, a prêté 20 écus à la ville ».

28En tête des livres d’estimes figurent les noms des consuls et estimateurs et, parfois, d’une partie de la population, le « conseil » qui regroupe probablement les plus aisés des habitants. C’est le cas à Castelnaudary en 1496 : « Les estimes novellement faites pour les honorables hommes et discretz Jaquet Le Roy, Gibert Johan, Peyre Pages, Danys Domerc, Guilhem Arnaut de Sauca (?) et Jean Lobat depputatz per les consulz de la ville so es asaber Johan de Lorde, Julian Villeroux, Johan du Fauga, et Paul Del Roux et per les conseilhies de la ville de Castelnaudarry comensées le segont jour de mars lan 1495 tombant 96 »73. C’est aussi le cas à Montesquieu, en avril « 1409 », où l’on indique que fut fait « lo present libre destima par mandament de messegneurs los cossolz senhe Johan Garaut, Daniel Advessen, Johan Faure et Gervasi Philipo(u) ? consolz de la present annee et aussi par deliberacion del conseilh delz habitans del loc de Montesquieu et fogon estimayres Peire Servini de la Ribiera, Peire Arnault de Peries, Bartholy de Nabonna, Peyre Jolia, Johan de Montlaur et Guechiot Prim ». A Fendeille, en 1428, « Lastima dels bes moables e nomoables dels singulhas abitans delloc de Fendelha foc fayta del cossolat den Johan Ebbles, en Johan Marti, en Peyre Gaubert mage, en Gualhart Besseda, cossols de lan present, ham cossentiment den Bernat Bossenac, en Guilhem Balhe, en Arnault Pascal, en Peyre Gaubert jobe, en Guiraut de Valensia, en Peyre Sabie, en Johan Roquos, en Peyre Verfuelh, en Ramon Andrieu, en Peyre Pascal, en Guilhem Roquos, en Peyre Fromensol, en Peyre Boier, en Guilhem Seras, en Ramon Peyre, en Johan Donat, en Guiraut Tosto et elegiron lors stimados so es assaber Bernat Bossenac, Arnault Pascal, Guilhem Rocos, en Peyre Gaubert jove, lescals juregan que be e lialment stimeran le be per le paubre coma per lo ric ». Dans ce village, si l’on additionne consuls, estimateurs et conseil de la communauté, on obtient plus de la moitié des chefs de famille imposables (25/45). On associe une partie des contribuables au déroulement de l’opération, et, face aux craintes de la population, on insiste sur l’honnêteté du travail qui va être réalisé. On retrouve le même souci dans les estimes de 1466 et de 1495, les estimateurs « prometan e juran que be e lialmen stimaran e faran tam per lo paubre como per lo ric lo milho que elis poyran ni saubran ».

29La méfiance des contribuables semble justifiée quand on voit à quelle catégorie sociale appartiennent les consuls et estimateurs. En effet, en comparant leurs estimes à l’estime moyenne du registre, on s’aperçoit qu’ils font partie des couches les plus riches de la population. À Fendeille, par exemple, en 1428, la moyenne par estimé est de 16 £ 10 sous. Parmi les consuls figure le plus gros estimé du village, Jean Ebles, avec une estime de 54 £ 5 sous 3 tolsans, les autres consuls sont au-dessus de la moyenne (J. Marti, 31 £ 3 sous 4 tol, G. Besseda, 22 £ 3 sous 5 tolsans), sauf P. Gaubert mage (le vieux) qui n’est estimé que pour 4 £ 5 sous. La famille Gaubert fournit aussi un estimateur, P. Gaubert jove (le jeune) qui, avec son frère, est estimé pour 40 £ 6 sous 10 tolsans, soit la troisième estime du registre. Les autres estimateurs sont, sauf un, G. Rocos (estimé pour 12 £ 5 sous 10 tolsans), au-dessus de la moyenne (B. Bossenac, 16 £ 8 sous 3 tolsans, A. Pascal, 19 £ 5 sous 9 tolsans, R. Rabanh, 50 £ 2 sous, la deuxième estime du village). Toujours à Fendeille, en 1495, alors que la moyenne par estimé est de 4 £ 12 sous 2 deniers et demi, tous les consuls, sauf un (Belinguier Bergues, estimé à 4 £) et tous les estimateurs sont au-dessus de la moyenne ou non estimés (peut-être car exemptés de tailles pour l’année). Jean Gaubert, un des estimateurs, est le plus gros estimé du village, avec 35 £ 9 sous 6 deniers. Les sommes fournies par les manifestes sont des valeurs cadastrales.

30On peut noter la même chose dans les deux registres de Montesquieu. Pour celui daté de 1409, l’estime moyenne des résidents est de 71 £ 10 sous 8 deniers. Deux consuls : G. Philipo, coté 44 £ 10 sous et J. Faure, coté 6 £ pour son cabal, et deux estimateurs : P. A. de Périès, coté 34 £ 5 sous et J. de Montlaur, coté 12 £ pour son cabal, sont au-dessous de la moyenne. Les autres sont largement au-dessus : un consul, D. Advessen, estimé 253 £ 5 sous, et trois estimateurs, P. Servini, estimé 122 £, Guechiot Prim, estimé 161 £ 10 sous et P. Jolia, estimé 444 £ 10 sous, ce qui constitue la deuxième estime du registre. Je n’ai pas retrouvé l’un des consuls car le registre est incomplet. En 1485, la moyenne par estimé résidant est de 67 £ 5 sous 5 deniers, tous les consuls et estimateurs, sauf deux, ont une estime supérieure à la moyenne ; ceux qui sont au-dessous, Johan de Montech et Ponset Serny, sont estimés 54 £ 5 sous et 66 £ 10 sous, donc très près de la moyenne. Les deux plus gros estimés du registre, P. J. Advessen (590 £) et Anthonie Mercie (397 £ 15 s) sont l’un consul, l’autre estimateur. Deux consuls, Jean Auruol et Germa Galoffy, sont estimés 101 £ et 196 £ 5 s. Le dernier consul, Arnaud Bohe n’apparaît pas dans ce qui subsiste de l’estime. Les autres estimateurs sont estimés 86 £ 5 sous (Peyre Serny), 125 £ (Duran Thomas), 145 £ 15 sous (Johan Primi mage). A Castelnaudary, en 1496, la moyenne des estimes est de 8 £ 10 sous, les consuls et estimateurs retrouvés dans le registre ont une estime très supérieure. Parmi les consuls, J. Villeroux est estimé 91 £ 4 sous 6 deniers (la plus forte estime après celle du chapitre Saint-Michel qui, elle, est supérieure à 150 £), J. du Fauga est estimé 27 £ 14 sous 9 deniers, Paul del Roux est estimé 76 £ 11 sous 4 deniers. Parmi les estimateurs, J. Lobat est estimé 18 £ 7 sous, D. Domerc, 28 £ 18 sous 10 deniers, J. Le Roy, 55 £ 10 sous 7 deniers 1 obole.

31Dans les registres les plus anciens, à Montesquieu et Fendeille, un tout petit propriétaire est, généralement, consul, un autre, estimateur, peut-être parce que les consuls doivent appartenir aux principales catégories sociales. Il est peu probable, vu la taille de ces bourgades, qu’ils représentent les différents quartiers comme c’est le cas à Castelnaudary ou à Toulouse74, les estimés n’y sont, d’ailleurs, pas classés par quartiers. Plus on avance dans le temps, plus ces fonctions administratives sont accaparées par les catégories moyennes supérieures et riches ; on ne trouve plus de tout petit contribuable à ces postes. On voit même se succéder, à Fendeille, grâce à la série d’estimes et de tailles dont on dispose, toujours les membres des mêmes familles, au consulat ou comme estimateurs ou thalaires (collecteurs de la taille dans le village).

Personnel « administratif » à Fendeille, fin xv^e

32Sur la cinquantaine de familles de contribuables, quatre semblent être en position dominante, les Nebles (ou Ebles) qui apparaissent à sept reprises, dont cinq fois, Danys (cette famille possède des biens importants sur le territoire de Castelnaudary), les Tosto qui apparaissent à sept reprises aussi, les de Miliès et les Gaubert. Ces familles doivent résider dans le village depuis longtemps, plusieurs chefs de feux portent ces patronymes. En 1428, un Ebles et un Gaubert sont consuls, un autre Gaubert estimateur, en 1466, P. Tosto et P. de Miliès sont consuls, A. de Miliès estimateur. De temps en temps, la présence d’une famille non dominante doit maintenir l’idée d’une juste représentation de la population.

33On peut supposer que les estimes rédigées sous le contrôle de ces éléments les plus riches doivent leur être favorables, leurs biens peuvent être légèrement sous-évalués, surtout les domaines ruraux qui constituent l’essentiel de leur patrimoine immobilier75 ; l’assiette de l’impôt peut ignorer boutiques, ouvroirs, moulins...

2. La réalisation

34Ces registres qui sont dans les mains des consuls, rédigés sous leur contrôle, d’après les déclarations enregistrées par les estimateurs (stimaïres, estimayres) choisis par eux, sont rédigés en langue occitane, comme tous les actes relevant des consulats, avec, très rarement, une introduction en français, ainsi à Castelnaudary en 1496 : « Les estimes novellement faites pour les honorables hommes et discretz Jaquet Le Roy, Gibert Johan, Peyre Pages, Danys Domerc, Guilhem A., de Sauca ( ?) et Jean Lobat depputatz.... et plus les conseilhies de la ville de Castelnaudarry comensées le second jour de mars l’an 1495 tombant 96 ». Ils sont appelés « libre destima », « libre de estimas », « lastima dels bes moables e nomoables ». Le style de l’Annonciation étant en usage, ces registres sont mis en œuvre en mars-avril, au changement de millésime, sauf celui de 1466 de Fendeille qui est commencé en novembre. Le contribuable déclare ses biens (« X te e possedis »), parfois sous serment (X « a jurat e rebelat » posséder tel et tel bien), aux estimateurs qui viennent à domicile. On trouve la même chose à Toulouse en 1391 : le contribuable prête serment puis énumère tous ses biens76. Les manifestes étant recopiés dans les registres dans l’ordre où ils ont été notés par les estimateurs, les propriétaires ne sont pas classés selon leurs possessions comme cela est fait à Saint-Flour, « ceux qui ont immeubles et meubles, ceux qui ont meubles seulement et ceux qui n’ont rien »77. Les contribuables habitant dans le même quartier, qu’ils soient propriétaires de leur maison ou seulement locataires, sont recensés en même temps, quand l’estimateur passe dans la rue où ils habitent. Partout, des individus qui ne possèdent que des parcelles sont mêlés à ceux qui ont ostal(s) et parcelles et à ceux qui ne sont allivrés que pour leur cabal.

35Â Castelnaudary, où existent six quartiers (appelés ports) pourvus chacun d’un consul, le recensement des contribuables est effectué quartier par quartier ; un estimateur doit recenser un quartier puisqu’ils sont six à opérer. Les barris (faubourgs) sont recensés avec les ports voisins, les habitants des écarts avec ceux du port Dedins. Les Ordres Mendiants, les confréries sont recensés dans leur quartier d’implantation ; les déclarations du chapitre, des chanoines et des chapelains de la collégiale Saint-Michel sont regroupées sur un même cahier, placé à la fin du registre. L’estimateur effectue son travail rue par rue et on peut même noter le sens de déplacement dans celles-ci, à partir des confronts des maisons. En 1496, par exemple, dans le port Sainte-Croix, l’estimateur fait d’abord un côté d’une rue, du cers vers l’autan (ce sont les deux vents dominants), donc de l’ouest vers l’est, au f° 23 v°, G. Dianna déclare une maison, le déclarant suivant, Guiraud Franc, P 24 r°, indique la maison de G. Dianna en confront au cers, le suivant, f° 24 v°, B. Cazas, a comme confront, au cers, G. Franc. J’ai pu noter la même chose dans les autres ports. À Fendeille, dans le registre de 1428, les déplacements s’effectuent d’autan à cers, ainsi, folio 6 v°, Jean Salamo déclare un ostal confront « dauta am ben Guilhem Roquos de certz am na Flor Tostona, f° 7 v°, le déclarant suivant, Bernat Tosto, déclare un ostal « dauta am ben Jean Salamo de certz am ben Guilhem Balhe, folio 8 r°, le suivant est Guilhem Balhe qui déclare un ostal « dauta am na Flor Tostona de certz am na Cerena Ribiera ». Ces déplacements est-ouest ont été signalés pour Saint-Flour78. À Castelnaudary et Fendeille, les estimateurs font leur tournée toujours de la même façon, les familles se suivent, d’un registre à l’autre, pratiquement dans le même ordre79.

36Les registres dont on dispose correspondent probablement à la mise au propre des relevés effectués par les estimateurs (dans un registre de Montesquieu, deux feuilles volantes contiennent une liste de biens notés par un des estimateurs, Guilhem Serni, et non recopiée). Ils renferment les déclarations détaillées des contribuables, on ne voit pas apparaître d’états abrégés, résumés des précédents, et indiquant seulement l’impôt à payer, tels qu’on en trouve en Vivarais80.

37Le rédacteur du livre indique parfois ses noms et qualité, ainsi fait « Guilhem Baldit, capela », à Montesquieu, en 1485. Il authentifie même la réalité du préambule indiquant les noms des consuls et estimateurs et la consultation du conseil : « vertat es », son estime figure au folio 1 r°. Les petites communautés semblent utiliser ce genre de personnel ; à Fendeille, en 1495, le rédacteur indique à la fin du registre : écrit par « Mengo R(amon ?), capela » ; l’estime de 1488 et une autre, non datée, sont écrites par « Jean Lenco, capela ». A Castelnaudary, la communauté dispose d’un « recebedor », notaire ou non, qui tient en double les livres de recettes et de dépenses et doit probablement rédiger le livre d’estimes, à partir des relevés effectués par les estimateurs.

3. Les biens soumis à l’impôt

38Ne sont recensés que les biens taillables, c’est-à-dire roturiers. Les tailles réelles « ne s’imposent que sur les héritages roturiers ; de sorte que les nobles y sont imposés pour les héritages roturiers qu’ils possèdent et les roturiers ne doivent rien pour leurs héritages nobles ». C’est ce qui était en vigueur au Moyen Âge et que signale encore le « Code rural » de 176281. Une partie des patrimoines nous échappe donc.

39En Lauragais, comme partout, le manifeste fournit le(s) prénom(s) et nom du déclarant, le métier en cas d’homonymie, suivis d’une liste d’items décrivant chacun un élément de propriété. Des différences existent cependant d’une localité à l’autre, même quand elles sont situées à quelques kilomètres de distance, et pour les biens déclarés et pour la façon de faire. Les biens immobiliers sont placés en tête du manifeste, en commençant par la maison d’habitation du contribuable (ostal ou ferme). Sauf dans un registre de Castelnaudary (le CC 9) où quelques individus déclarent des biens situés dans un village voisin, biens qui sont estimés et donc taillés sur Castelnaudary, les biens allivrés se trouvent dans le territoire de la localité82. Parmi les biens urbains (situés à l’intérieur des murailles), on trouve les parcelles bâties : ostai (maison), borda (borde, petit édifice à usage agricole, situé près des murailles, accompagné souvent d’un jardin, pouvant servir aussi de logement pour les plus pauvres) ou non bâties : patu ou pati, logada ou loguar. L’ostal (ou hostal) est la maison, quelle que soit sa taille, une seule occurrence d’hostalet (petit ostai), apparaît. Cet ostai n’est pas décrit, les premières précisions se trouvent seulement dans le compoix de 1535 (ostai en solier par exemple, c’est-à-dire avec un étage)83. Le terme de « mayso » apparaît dans ce registre, par occitannisation du terme français.

40Le mot pati est traduit généralement par le mot « cour »84 ; pour B. Sournia et J.-L. Vayssettes, le pati n’est pas tout à fait une cour : « La cour, normalement, est un espace libre entouré de plusieurs édifices, qui est un lieu de passage entre deux bâtiments ou entre une rue et un bâtiment ; les boigues ou patus désignent un espace libre plus ou moins grand, dépourvu de caractère distributif. Leur nature et leur fonction sont souvent mal déterminées »85. Dans les villages du Lauragais occidental, seul endroit où ce terme est employé, le pati semble être, quelquefois, une cour. Quelques contribuables déclarent, en effet, ostai et pati attenant : « un hostal et deux patis d’hostal qui se tiennent »86, « un hostal dans le fort avec un pati attenant »87. Cette cour est parfois couverte, J.-F. de Godetz possède un pati dans le fort de Montesquieu « am capelas » (couverts), estimé 6 £88, parfois close, le même déclarant possède un « pati tot clau » dans le registre de 148589. Des contribuables de Montgiscard et Montesquieu déclarent un pati de borde ou d’ostal et non le bien correspondant : « hum hostal carriera dels Mercadies, hum pati d’hostal al canto den Barrau »90 ; un pati accompagne un jardin à Ayguesvives, il ne peut s’agir dans ce cas d’une cour, mais de l’emplacement où se trouvait autrefois un ostai ou une borde. Cette signification apparaît bien dans les registres de notaires : on vend, par exemple, à Montgiscard, début xv^e, un « patuum sive locale hospicii », 24 £ tr, pour y édifier un ostal91 ; « unum locare hospicii sive patuo »92 est vendu, à Montesquieu, pour 6 écus, soit 8 £ 5 sous, à la fin du siècle. Dans le compoix de 1700 de Castelnaudary, un patu est synonyme de terre vacante en ville93.

41Les logadas, qui peuvent être situées dans les faubourgs94, apparaissent dans les registres notariaux sous l’appellation « locata ». Une locata, à Puginier, fait sept cannes de long sur cinq de large, 13 mètres sur neuf, environ, elle a donc la taille d’un terrain à bâtir, elle coûte 4 écus et 9 doubles95. Une autre, toujours à Puginier, ne fait que sept cannes sur six palmes et demi (partage d’une parcelle ?), mais coûte 4 écus96. Ce terme, au xix^e siècle, a le sens de ruines97 ; au Moyen Âge, il peut désigner une parcelle à bâtir, vide ou encore occupée par quelques ruines ; c’est ce que l’on voit à Fendeille où, en 1428, Arnaud Sirvent déclare « un loguar am paretz (murailles) als baris ». À Castelnaudary, un déclarant est allivré 3 sous pour une « logada tras son hostal e borda », l’allivrement est rayé et porté à 1 £ car « foges bastide de novel », l’emplacement est à nouveau bâti98. À Fendeille, on trouve ces loguars et des aysinas qui devaient correspondre à autre chose. Les registres contiennent des mentions de « borda am sa aysina », de « borda et aysina » et même d’un moulin à pastel et borde avec « ses aysinas encems tenent », estimés 4,5 £. Un loguar ou une aysina peuvent être estimés seuls. Les aysinas sont le plus souvent situées dans le faubourg, quelques-unes sont en campagne « a las tapias » (murs de terre), dans un lieu qui fut construit. Elles sont frappées d’un cens, consistant parfois en une part de poule, d’oie, de seaux de vin, le genre de cens pesant le plus souvent sur une parcelle bâtie : une aysina, al barri, fait une demi-poule de cens, une autre, toujours dans le faubourg, fait deux parts d’une oie, deux parts d’un seau de vin, deux parts d’une poule, deux parts de deux pains d’un denier tolsan, deux parts de six pugnères d’avoine. Les aysinas sont, le plus souvent, estimées quelques deniers ou quelques sous. Les propriétaires d’aysina ont souvent ostal(s) et borde et beaucoup de parcelles99. Peut-on penser à des étables sommaires, des bâtiments de stockage100 ?

42Les boutiques, les ateliers, les caves, n’apparaissent pas alors qu’on les trouve dans beaucoup de livres d’estimes101 ; cela tient, probablement, à une habitude locale, on ne distingue pas ces éléments de l’ostal, mais celui-ci est plus fortement estimé s’il comporte boutique ou atelier. À Castelnaudary, dans le registre CC 9, les étals (taulas) tenus au marché, sont mentionnés.

43Les biens ruraux consistent en campmas ou borias qui sont des domaines d’un seul tenant. Parfois, en Lauragais occidental, dès le xv^e siècle, le mot borde peut désigner une exploitation, cela n’est attesté qu’au xvi^e siècle en Lauragais oriental102. Les parcelles de terre isolées sont définies par les cultures qu’elles portent : terres labourables (tera, terra, camp, quamp), vignes (vinha où, le plus souvent, malhols c’est à dire jeunes vignes peu productives, donc moins taxées), prés (prat, payssieu), de rares ferragines (ferratjals). Diverses friches et broussailles (brogas, anols, ginebres, bartas...) et des bois (bosc) sont aussi mentionnés. Les friches sont très rares à Castelnaudary et elles sont absentes des registres de Fendeille, non parce qu’elles n’existent pas dans ce village mais parce qu’on ne les allivre pas. Elles doivent être considérées comme terres nobles, propriétés du seigneur qui doit accorder un droit de pâture moyennant finances ; un acte, fragmentaire, daté de 1307, consiste en une enquête menée par les consuls sur le droit de dépaissance, on y voit intervenir le seigneur du lieu103. Des jardins (ort) et vergers (vergie) apparaissent, isolés ou accompagnant ostals et fermes. On trouve aussi mention de quelques fours, aires à dépiquer, dépendances telles que poulaillers, porcheries, pigeonniers (colomier). De très rares fameriers (fosses à fumier), pesquiers (viviers, mares) et cassieux (garennes) apparaissent. Les moulins pasteliers ainsi que les moulins fariniers, à eau ou à vent, les couverts (capelas) figurent dans les registres du Lauragais occidental. Les mentions de moulins sont très rares dans les estimes de Fendeille et Castelnaudary, alors qu’elles sont fréquentes dans les registres notariés. Les pigeonniers ont disparu des estimes de Castelnaudary courant xv^e siècle, probablement à partir du moment où les commissaires royaux peuvent les vérifier ; ils n’y réapparaîtront qu’en 1553. Les cens et rentes perçus par les déclarants ne sont mentionnés que dans les registres de Castelnaudary et se raréfient plus on avance dans le temps, ils sont placés parmi les biens immobiliers.

44Quelques déclarants essaient de classer leurs parcelles par tènement ; certains, à Montesquieu, en 1485, les rangent selon la nature des cultures, les terres labourables puis les vignes, les prés, mais, le plus souvent, tout est en désordre, des ostals, un moulin, peuvent apparaître entre deux parcelles de terre. Cela semble dénoter un simple enregistrement de la déclaration du contribuable par les estimateurs, ils n’essaient guère d’intervenir, d’opérer un rangement des items. Dans toutes les localités, sauf à Fendeille104, la superficie des parcelles est indiquée. Dans cette bourgade, de rarissimes mentions de superficies figurent dans le livre de 1428 : Jean Roques, par exemple, déclare 12 sétérées de terre « al loc apelat a troto quabra », peut-être la précision est-elle apportée car il y a risque de litige. Les arpenteurs n’apparaissent pas, ils ont dû exercer leur office quand même, car, dans la plupart des localités, les superficies sont indiqués de façon précise, jusqu’au 1/32 de sétérée (Montesquieu) ou même au 1/64 (Castelnaudary 1496). On n’a jamais de mention d’une superficie approximative, alors que c’est pratiquement toujours le cas chez les notaires (x superficie « vel circa »). Les parcelles sont localisées dans le finage par la mention d’un lieu-dit. A Castelnaudary et Fendeille, les confronts des ostals et des parcelles sont fournis, avec mention de deux confronts correspondant aux vents dominants, « altano, circio », autan (est) et cers (ouest). Parfois, dans le registre CC 10, les quatre confronts sont indiqués, toujours dans le même ordre, autan, cers, nord et midi (de aquilone, de meridie), ce que l’on trouvait à Agde ou Béziers, aux xi^e-xii^e siècles, dans les cartulaires105. Dans les autres localités, les confronts n’apparaissent pas, sauf exception, ainsi, à Montesquieu, dans le registre 5 E 66, un déclarant possède des friches, qui ont droit à la mention d’un confront « item te als prulens II sesteradas de gamassas que se te am Bernat de la Valla ». Ces estimes ne sont pas accompagnées de plans, les plus anciens qui subsistent aujourd’hui sont du début du xviii^e siècle, ils concernent Castelnaudary106 et Ayguesvives107.

45Les charges pesant sur les biens sont indiquées, par exemple, à Montesquieu « ... item te tres punheradas de malhol he de bosiga a cantalop fa de oblias II livralats de blat », à Fendeille « fa de servici dos sestiers de blat... » À Castelnaudary, une dizaine d’occurrences seulement figurent dans les registres, elles correspondent probablement à un dégrèvement important. Le propriétaire éminent des tenures n’est pas souvent mentionné, il l’est surtout dans les registres du Lauragais occidental. En Languedoc, il semble que, seuls, les registres de Montpellier l’indiquent108. Certains livres d’estimes signalent le nom du précédent propriétaire du bien, c’est le cas à Montesquieu en 1485, à Castelnaudary, dans les registres CC 9 et CC 10.

Nombre total d’items concernant des biens immobiliers

46Les biens meubles viennent en dernier. Dans les registres de Castelnaudary109, on parle de « moble » ou de « cabal » et l’on fournit une estimation globale. Quelques déclarants ne sont estimés que pour leur cabal ; le plus souvent, on précise qu’il s’agit de gasaillers ou « cammasiers » (c’est-à-dire de fermiers ou métayers). Il n’existe pas de compoix cabaliste110. À Montgiscard, Ayguesvives et Les Bastards, le cabal n’apparaît pas. À Montesquieu, le « moble e cabal » est estimé globalement dans le registre dit de 1409 ; dans celui de 1485, une partie du cheptel apparaît, il semble qu’il s’agisse d’un rajout légèrement postérieur à la réalisation du livre. A Fendeille, le « moble » est plus ou moins décrit selon les registres. Dans le livre d’estimes de 1428, le plus précis, sont mentionnés bétail, ruches, réserves de produits agricoles (menus et gros grains, vin, lin, etc.), viandes salées. Apparaissent aussi les futailles, quelques meubles, le linge de table, les grands récipients de métal (cuivre, laiton), les tasses et cuillers d’argent, et, très rarement, du numéraire111, ainsi un contribuable déclare un demi-franc en argent allivré 6 tolsans (deniers tolsans ?)112, un autre une tasse d’argent, deux moutons et un écu d’or, allivrés 5 sous 11 tolsans113, etc. On indique pour tous ces biens leur valeur vénale et leur allivrement. Pour les autres biens, l’estimateur inscrit « per tot son moble », suivi d’un allivrement très faible, un sou ou un demi-sou. On a parfois l’expression « per tota san aysela »114. Les animaux semblent tous notés, même les animaux de labour et de trait, seule la volaille échappe à déclaration (comme à Lautrec). Le blé et le vin mentionnés, souvent en petite quantité, semblent correspondre aux provisions familiales.

47Les estimateurs ont indiqué l’allivrement total du contribuable, sauf à Castelnaudary ; à Montesquieu, ce total est placé en tête du manifeste, à gauche, au-dessus du nom du déclarant, à Montgiscard, à Ayguesvives, à Fendeille, au bas du manifeste. Le travail est, en général, effectué soigneusement, à Montesquieu, par exemple, dans le registre dit de 1409, quelques cabaux sont rayés et l’on indique qu’ils sont affectés à la fin du livre, ce qui est le cas. Des comptes périodiques des allivrements sont effectués dans le registre de 1485, au bas de chaque verso d’un folio, par addition du recto et du verso, ils sont généralement exacts. On ne retrouve cela que dans le cahier du port Dedins, à Castelnaudary, en 1496.

4. La révision des registres

48Certains des livres d’estimes ont servi longtemps et comportent alors de nombreuses corrections, noms des nouveaux propriétaires dans la marge de gauche, surcharges des allivrements avec des modifications à la hausse ou à la baisse115. On fournit parfois des explications à ces ajustements : une parcelle ne porte plus le même type de culture, une autre a été bâtie, un ostal a été « amélioré », ces rajouts sont faits d’une main différente de celle du texte original. Il ne s’agit pas de modifications suite aux vérifications des dires des contribuables116. Les manifestes de quelques individus sont insérés dans les intervalles entre deux manifestes originaux. Pour Castelnaudary, des pages blanches sont laissées à la fin des cahiers de chaque quartier et l’on rajoute des contribuables les années suivantes. À Fendeille, les livres d’estimes ont peu servi, on ne trouve que de rarissimes modifications du genre « un tel ho te » dans la marge de gauche, signe que les opérations d’estimation ont été plus fréquentes que ne nous le laisseraient croire les documents conservés. Le registre de Montesquieu coté 5 E 66 a lui aussi peu servi, il n’y a pas de surcharge sur les chiffres d’estimation, on ne signale que de rares mutations, en marge de gauche ou à la fin des manifestes. Ce n’est pas le cas du registre de 1485 : on y trouve plusieurs écritures, des rajouts d’individus en bas de page et de-ci de-là, quand existe un vide entre deux manifestes d’origine. Des items sont rajoutés au bas des manifestes, d’autres sont rayés et, en marge de gauche, on a inscrit « herror » ou bien « x ho te ». Des allivrements sont augmentés car une borde a été construite, une terre est devenue une vigne, etc. Les totaux des manifestes sont rayés, modifiés trois ou quatre fois, revus à la baisse, même s’il n’y a pas de changement quant aux biens possédés.

49Les déclarants des registres d’estimes du xv^e siècle (seulement ceux de 1428 et 1495 pour Fendeille) ont été mis sur fichiers, ainsi que leurs possessions, biens ruraux et biens urbains. N’ont été utilisés, pour tous les registres, que les éléments qui semblaient d’origine, les manifestes réalisés postérieurement ont été écartés117.