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Un Géosystème cénozoïque

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Bertrand Lemartinel

Conclusions générales

Texte intégral

1Au terme de cette étude de l’histoire néogène des Monts Ibériques Occidentaux, nous pouvons dresser un bilan. Comme nous l’espérions au début de l’ouvrage, l’originalité du terrain permet de saisir l’évolution des sierras et de leurs piémonts non seulement dans sa dimension chronologique, mais encore dans ses composantes géodynamiques.

2Notre travail décrit en effet, dans le bassin de Soria surtout, le puissant Paléogène castillan. Certes, il laisse des zones d’ombres mais nous pensons cependant avoir mis en lumière des faits non négligeables. Nous avons l’assurance que les mouvements pyrénéens ont eu des répercussions dans les Monts Ibériques Occidentaux : ils ont comprimé les couches jusque sur le bord méridional des sierras. Ils ont été ensuite suivis d’une distension découpant par le travers les plis ainsi formés. Le Tertiaire ancien s’achève par l’établissement d’une topographie d’aplanissement qui n’a probablement pas laissé subsister de grands reliefs à l’W du Jalón. Nous la retrouvons en effet un peu partout, rasant non seulement les périphéries calcaires, mais aussi les noyaux quartzitiques du Moncayo ou de la Demanda, comme les conglomérats siliceux de l’Urbión. L’histoire purement géologique se finit ici. Elle lègue aux volumes qui surgissent ensuite des structures déjà complexes que saura exploiter l’érosion, par la mise en valeur des masses quartzitiques résistantes, des assises détritiques wealdiennes et des carbonates crétacés.

3La création des reliefs commence à la charnière oligo-miocène. Nous n’avons pu fixer avec beaucoup de précision la limite inférieure de la période de surrection, dont témoignent les conglomérats calcaires bien consolidés de Deza ou des Mallos. Mais nous en connaissons de façon très correcte la borne supérieure indiquée par les gisements de micromammifères d’Autol ou de Cetina. Quoiqu’il existe de légers décalages entre la bordure nord, plus tôt active que les régions méridionales, nous avons pu conclure que l’âge du soulèvement ibérique est agénien, ou si le lecteur préfère une référence à la chronologie générale, aquitanien. Cette tectonique différentielle déforme la vieille topographie aplanie oligocène et crée, il y a quelque vingt-cinq millions d’années, des volumes que l’érosion n’est jamais parvenue à effacer, au moins jusqu’à nos jours. Un large bourrelet se constitue alors, séparant la meseta du bassin de l’Ebre. Son altitude -un millier de mètres environne semble pas considérable et la dissymétrie morphologique entre S et N de la montagne -réelle- est sans doute moins accusée qu’aujourd’hui. C’est néanmoins, à bien des égards, un accident "majeur" : il décide en grande partie de la géographie actuelle et détermine le partage des eaux entre le bassin de l’Ebre et celui du Duero. Le Jalon oligo-miocène, seul, ne tient pas compte de la barrière qui s’érige. Il incise son cours épigénique dans la montagne -peut-être moins soulevée- qu’il traverse de part en part. Le soulèvement déclenche aussi le remplissage accéléré des bassins endoréiques : aux conglomérats des "Mallos" succèdent ceux, très grossiers qui viennent s’étaler sur les piémonts des reliefs nouvellement formés. Au N, nous les observons par exemple dans les serres des Navas de Rioja ; au S, sous l’Altroz ou les Pinares de Almazán.

4Cependant, le jeu de blocs n’est pas terminé puisque les dépôts entassés à l’Aquitanien sont flexurés, localement dans la région de Soria, plus largement sur la retombée septentrionale de la chaîne. En Rioja, cette récurrence de la dynamique verticale ajoute au maximum 500 m à la dénivellation entre montagne et dépression. Mais elle restreint sensiblement les aires de sédimentation : près d’Arnedo notamment, la bordure du bassin a été repoussée d’une bonne quinzaine de kilomètres vers le N. Par contre, dans l’original Aragon, les sierras de Ricla ne sont plus affectées : les mouvements ne touchent que le piémont "interne" de Morata. La datation de cette déformation flexurale est délicate, mais cette dernière ne paraît pas postérieure au Burdigalien des échelles géologiques "classiques". Il est clair que des décalages chronologiques existent entre les différentes parties de l’ensemble celtibérique occidental. Si nous n’avons pu les appréhender facilement entre l’E et l’W, nous avons prouvé, grâce aux travaux des paléontologues, leur réalité entre les piémonts nord et sud. Mais, au total, la période d’intense activité orogénétique est correctement encadrée : les mouvements différentiels ayant une expression géologique décisive se produisent au Miocène inférieur, en trois étapes successives. Les lecteurs hostiles à la stricte notion stilléenne de "phase tectonique" seront certainement ravis d’une telle conclusion. Ils conviendront pourtant qu’une histoire unique s’est jouée, même si elle s’est déroulée durant trois actes ; elle ne se renouvellera plus jusqu’aux temps actuels.

5Les volumes créés depuis si longtemps auraient dû, en bonne logique, être détruits par une érosion qui se révèle fort active au Néogène inférieur, comme le montre le déferlement des conglomérats très grossiers sur les piémonts. Mais la chaîne ibérique occidentale résiste à cette attaque car le décapage de zones de socle de plus en plus étendues multiplie la surface des affleurements les plus solides. De plus et surtout, les bassins de l’Ebre et du Duero restent endoréiques. Cela est capital car leur remplissage contrecarre l’action de l’érosion qui pourtant l’engendre. En effet, la base des reliefs, rapidement ennoyée par le matériel détritique, est protégée. La dénivellation totale induite par la surrection aquitanienne, déjà modérée pour une montagne, est corrélativement réduite. La démolition, pourtant bien entamée, rencontre des obstacles croissants. Cela est d’autant plus vrai qu’aucun mouvement différentiel majeur ne vient réanimer le système de pentes jusqu’à la fin du Miocène. Les conditions morphogénétiques sont donc réunies pour que se façonne le grand aplanissement composite vallésien.

6L’histoire morphologique miocène est celle des piémonts. L’atonie gagne le morphosystème, comme l’indiquent les vitesses de sédimentation que nous avons -approximativement- calculées à partir des données recueillies au centre des bassins, notamment près de Palencia, par les spécialistes des micromammifères. Dans l’ambiance assez sèche de l’Aragonien, c’est à dire au Langhien et surtout au Serravallien, l’évolution des piémonts semble encore polygénique, alternant les périodes de sédimentation fine et de récurages plus brusques. Mais les reliefs résiduels siliceux, qui n’atteignent plus guère que le millier de mètres, voire moins, sont presque épargnés. A leur base, les topographies aplanies sont déjà étendues, qu’elles résultent de l’érosion ou de l’accumulation. Seuls sont épargnés, pour des raisons structurales, les chaînons périphériques observés en Vieille-Castille. L’atonie n’est pas complète, puisque des phénomènes de regradation ont été constatés, ainsi que l’éloignement progressif des aires de dépôt des calcaires "terminaux" qui arment maintenant les muelas. Ces derniers se forment au Vallésien (Tortonien inférieur), sous un climat à nouveau plus humide. Les processus qui fonctionnent alors conduisent alors à l’élaboration d’un manteau d’altération. Celui-ci est non seulement rubéfié, mais encore, lorsque le substratum le permet, décarbonaté. Les transports vers l’ombilic des grandes cuvettes endoréiques se font alors sous forme de fines et de solutions. Notre terrain est en l’occurrence intéressant, parce qu’il permet de reconstituer une partie des mécanismes qui ont façonné l’aplanissement. Nous ne prétendons pas qu’il est un modèle général mais il contribue sans nul doute à la connaissance des dynamiques complexes susceptibles d’engendrer de telles formes.

7Le piémont ainsi sculpté subit d’infimes retouches sous un climat à nouveau beaucoup plus sec et chaud. Des croûtes et des travertins viennent indurer certaines parties de la topographie fini-miocène, favorisant la conservation ultérieure des modelés. Nous avons bien des difficultés pour évaluer la date de la fin de cette période d’atonie maximale. Autour des Celtibériques occidentaux, les calcaires scellant les muelas ont environ 11 MA ; vers Palencia, 9 MA. Il nous semble donc logique d’admettre que l’épisode d’inertie morphologique se situe ensuite, vers -8 MA. Mais il ne nous a pas été possible de mieux préciser l’âge de l’événement. Il s’avère pourtant très important, non pas à cause des formes créées, mais parce qu’il marque la fin d’une histoire morphologique conduisant à la réduction sensible des reliefs surgis au début du Miocène. Ceux-ci, toutefois, n’ont pas disparu et dominent encore, résiduels, de vastes piémonts à peu près plans.

8Une révolution se produit à la fin du Miocène et au début du Pliocène. Le piémont vallésien, qui est à quelques exceptions près celui de la surimposition des réseaux hydrographiques, subit d’abord une dégradation. Le matériel tertiaire est décapé en "encoches" larges et peu profondes avant d’être plus franchement incisé dans certains secteurs. La position des entailles doit beaucoup à l’organisation même des reliefs résiduels, et principalement à la position des vallées déjà creusées dans les sierras. La reprise d’érosion, elle, trouve vraisemblablement son origine dans une tectonique différentielle dont nous avons montré qu’elle était fort modeste même si elle a suffi à partager les eaux du bassin de Soria entre Duero et Jalon. Nous n’avons pu établir si le phénomène est favorisé par des prémices d’exoréisme ou s’il se déroule encore dans un régime endoréique en phase terminale. Quoi qu’il en soit, il s’inscrit aussi dans le contexte du soulèvement global de l’Ibérie. Naturellement, la démonstration de l’épeirogenèse par des arguments "géologiques" empruntés à notre seul terrain est quasiment impossible ; nos idées doivent donc beaucoup à l’ensemble des auteurs que nous avons pu consulter et aux cartographies établies grâce à leur concours. Il n’empêche que le fait paraît peu contestable.

9La déstabilisation induite par les mouvements d’ensemble s’accompagne de transformations assez sévères de l’environnement climatique, attestée par l’observation des microfaunes. Une nette aridification fini-miocène contribue à développer dans la région des conditions franchement rhexistasiques. Cette conjonction des facteurs tectoniques et climatiques explique le râclage des altérites grossières tachées de ferromanganèse formées sur les versants pendant le Vallésien, ou leur remaniement superficiel sur les vestiges de la surface d’altération miocène. Elles bouchent alors les premières incisions -les paléovallées- et s’étalent en de vastes épandages alluviaux sur les immédiates retombées des Monts Celtibériques Occidentaux. Nous avons pu écrire ce scénario en établissant des distinctions précises entre altérations conservées in situ et épandages. Les discriminations sont en particulier fondées sur la description des enduits ferromanganésiques et la présence ou l’absence des fantômes connus dans les formations en place. Ces critères se sont révélés dans l’ensemble fort efficaces. D’autres que nous peuvent utiliser les clés que nous avons tant bien que mal forgées. Nous serions plus heureux encore qu’elles puissent servir ailleurs, pour d’autres épandages. Nous laisserons juges leurs connaisseurs. En tout cas, un nouveau et original piémont d’accumulation se construit à la fin du Miocène et au début du Pliocène. Il est moins durable que celui qui s’était façonné pendant le Vallésien. En effet, son alimentation est uniquement liée à la libération rapide d’un matériel hérité. De plus, cette étape morphogénique est rompue par un renversement essentiel des mécanismes : à l’étouffement permanent issu du vieil et durable endoréisme succède une vidange des bassins dans des conditions climatiques en profonde mutation.

10Le Pliocène voit s’individualiser fortement les piémonts, même si certaines constantes se lisent de part et d’autre de la ligne de partage des eaux entre Atlantique et Méditerranée. L’épeirogenèse ibérique provoque la régénération des volumes et porte en altitude les vieux reliefs résiduels. Mais elle est inégalement intense. Les oppositions dynamiques majeures ne se manifestent plus entre versants nord et sud de la chaîne ibérique, mais entre l’Aragon central, moins soulevé, et le reste de notre terrain. Le lecteur rétorquera que les contrastes morphologiques sont pourtant bien plus vifs entre la dépression de l’Ebre tout entière, fort basse, et la meseta, perchée aux alentours d’un millier de mètres. Mais la variété des paysages résulte plus des modalités de l’évidement des bassins autrefois endoréiques, commencé dès le Pliocène inférieur, que de celles de l’épeirogenèse. Les causes sont en grande partie extérieures au terrain que nous avons étudié : la difficile incision de la barrière portugaise explique le lent affouillement de la Castille et la difficile exhumation des reliefs fossilisés durant le Miocène. Au contraire, le seuil catalan, facilement scié, n’a pas bloqué la remise en valeur des façades septentrionales de la Demanda et des Cameros. Très vite, les altitudes de la dépression de l’Ebre sont devenues faibles, que ce soit dans l’active Rioja ou le passif Aragon.

11Néanmoins, l’intensité variable de l’épeirogenèse s’est traduite dans les formes du relief ébrique. Le soulèvement de la Haute Rioja a permis que soient aisément dégagés des termes "anciens" de la sédimentation continentale. C’est toute la tranche des épais conglomérats du Miocène inférieur qui a été mise au jour, le long des zones de changement de faciès, avec des modelés propres à chaque type de conglomérat. Le plus ancien, bien consolidé, a été sculpté à Clavijo en Mallos spectaculaires. Le plus grossier, immédiatement supérieur, a donné les hautes Navas profondément ravinées comme le Serradero ou le Cabi Monteros ; la liste n’est pas exhaustive. Sur le piémont des pays du Jalón, à l’E de la masse du Moncayo, la situation est fort différente. Le creusement n’a pu être aussi considérable et les formes du relief s’avèrent infiniment moins vigoureuses.

12Le Pliocène inférieur n’est pas seulement le moment de la révolution exoréique qui met un terme à soixante millions d’années d’évolution confinée. Il marque un point final à l’environnement climatique "chaud" que la région connaissait depuis bien plus longtemps encore. Les signes du refroidissement apparaissent avec la déferruginisation superficielle des épandages ou des altérations rubéfiées in situ. La surface des galets, les matrices sablo-argileuses prennent une teinte claire grâce à un processus qui s’apparente à une "podzolisation" à grande échelle. Elle suppose un retour de précipitations conséquentes, quoiqu’il existe des nuances intra-régionales. Elle implique aussi une indiscutable péjoration thermique qui ne doit pas uniquement au soulèvement ibérique. Nous n’avons évidemment que des preuves indirectes de ce phénomène climatique, puisque le Pliocène inférieur est une période décisive de creusement dans les bassins : il n’a pas laissé -autant que nous le sachions- d’alluvions qui pourraient nous instruire de la baisse des températures. Dans les Celtibériques orientaux, qui sont plus tardivement exoréiques, l’humidité paraît notable dès -3.5 MA, Dans la partie occidentale de la chaîne, nous possédons un utile repère au Pliocène supérieur, à Villarroya. Un remblaiement, peut-être favorisé par de légers rejeux, s’opère sur la façade septentrionale de la montagne. Nous pensons, à partir d’indices ténus, que ce bref épisode détritique n’est pas unique sur le front nord ; mais seul le gisement de Villarroya -bien daté- apporte de claires indications grâce aux pollens qu’il renferme. Ils attestent de l’entrée du froid hivernal sur la scène géomorphologique. Considéré comme "prétiglien" par les spécialistes, il est suivi d’un réchauffement que laissent présager les macrofaunes à Hipparion, datées de 2.5 MA environ. Les formes et les milieux bioclimatiques sont alors proches des nôtres.

13Des ombres demeurent, que nous nous devons d’ajouter au tableau pour qu’il soit tout à fait honnête. L’usage -puisqu’d s’agit d’établir un bilan- aurait voulu que nous traitions en premier des points négatifs pour considérer ensuite ce que nous avons pu apporter à la connaissance des Monts Celtibériques Occidentaux. Nous adoptons la méthode inverse, non pas par masochisme, mais parce qu’il revient à d’autres de continuer cette recherche. Les problèmes qui subsistent appartiennent au futur plutôt qu’au passé. Il s’avère en conséquence indispensable d’en faire maintenant la synthèse, en souhaitant qu’elle facilite les travaux de nos éventuels successeurs.

14La compréhension exacte d’événements morphologiques importants n’est pas toujours suffisante et conduit à poser une première série de questions auxquelles nous avons imparfaitement répondu, faute d’arguments de terrain. L’histoire des reliefs actuels commence, certes, à la fin du Paléogène. Il n’empêche que l’évolution régionale est épiglyptique depuis la fin de l’ère Secondaire : elle intéresse donc le géographe, dans la mesure où elle peut aider à comprendre le bâti structural des plis périphériques, ainsi que le déroulement de l’accumulation miocène, qui lui ressemble fort. Nous n’avons pu établir une stratigraphie complète des couches paléogènes. Au pied des Montes de Cervera, nous en avons assurément la base, sans savoir quel étage est réellement atteint Le bassin de Soria, quant à lui, en montre le sommet Mais nous n’avons pu corréler les deux ensembles : sont-ils séparés par un hiatus sédimentaire ou ont-ils des assises communes que nous n’avons pu ou su mettre en évidence ? La question est d’importance, car un plissement logiquement lié à la surrection pyrénéenne, intervient durant le Paléogène : il serait utile de mieux comprendre comment les différents éléments s’articulent Si solution il y a, elle se trouve à notre avis dans le bassin de Soria et plus précisement sous l’anticlinal de Ribarroya-Zamajón qui éventre le matériel paléogène "supérieur". Cela suppose un forage bien hypothétique traversant la totalité de la série détritique... La tentative de reconstitution des paysages fini-paléogènes nous a également fait conclure à l’existence d’une topographie d’aplanissement oligocène, avec aux points bas des accumulations de calcaires clairs : une analyse très minutieuse -et fort longue- des couches blanches de Bordalba, recouvertes par les conglomérats de Deza, nous paraît nécessaire. Nous nous demandons en effet si la décharge détritique que ces derniers représentent ne correspond pas déjà à la liquidation d’un manteau altéré, à la façon des épandages fini-miocènes. La chimie, en raison de l’abondance des carbonates, en est différente, mais il devrait y avoir là matière à étude, pour mieux cerner les processus qui ont localement conduit au façonnement des surfaces composites. Nous n’aurions plus alors le seul exemple miocène pour guider notre appréciation des dynamiques tertiaires qui s’achèvent par le nivellement de tout ou partie des reliefs. D’une façon plus générale, de tels travaux pourraient contribuer à une meilleure analyse des aplanissements en roches carbonatées cohérentes, puisque les piémonts celtibériques occidentaux permettent d’examiner les termes complets de l’équation.

15Plus délicates sont les interrogations soulevées à propos de la géométrie des altérations vallésiennes en place et de leur remaniement dans les épandages fini-miocènes. Que sont par exemple devenus les matériaux emportés à l’occasion du creusement des "encoches" dans les strates miocènes et des paléovallées, ensuite colmatées par les apports siliceux ? Il n’est pas concevable de donner un début de réponse à partir de la région que nous avons parcourue. Il n’empêche qu’il y a là un problème pendant, dont la solution sera peut-être trouvée par les spécialistes des secteurs situés en aval. Pour les formations anciennement nommées rañas, nous pensons avoir fourni dans cet ouvrage une série de clefs. En Castille, les conditions d’un examen fructueux sont fréquemment réunies. La situation est bien différente en Rioja, puisque les zones intéressantes sont constituées par les hautes serres très végétalisées des Navas. Le Serradero -dont nous n’avons pu cartographier qu’un état de surface- reste une zone mal comprise où la part des différents phénomènes n’a pu être correctement déterminée. La grande incision visible sur son flanc nord, depuis Daroca de Riera, n’entaille pas les topographies les plus élevées, correspondant aux paléopiémonts fini-miocènes, dont nous aimerions savoir la nature exacte ; nous avons formulé les réponses plausibles. Pourtant, le dilemme demeure en ce lieu entre altération et épandage, entre tectonique simple ou inversée et phases morphoclimatiques. Nous pensons que les explications concernant cette zone cruciale ne doivent pas être manichéennes. En tout cas, elles ne pourront être données qu’à l’occasion de transformations -naturelles ou artificielles- du terrain. L’auteur de ces lignes espère simplement que la formulation des interrogations et des méthodes aidera des chercheurs plus chanceux dans leur quête d’une solution cohérente.

16Ils seront confrontés à des difficultés du même ordre s’ils désirent améliorer la perception des événements intra- pliocènes observés en quelques points du piémont septentrional des sierras, par exemple les remblaiements de fond de vallée auxquels s’assimilent les dépôts de Villarroya. Nous n’avons pu faire la part respective des paramètres de l’évolution, dont nous avons montré qu’ils étaient certainement tectoniques et climatiques. Les vestiges rencontrés sur notre terrain nous semblent insuffisants pour mieux résoudre la question ; nous suggérons donc de la reprendre dans un cadre élargi, puisque le niveau atteint par le creusement pliocène implique une étude géométrique plus poussée du bassin de l’Ebre anté-quaternaire. Existe-t-il ailleurs l’équivalent de ces remblaiements si particuliers ? La puissante incision de la cuvette ébrique, parce qu’elle a grandement déblayé les sédiments accumulés, peut inciter à un raisonnable pessismisme ; mais, en matière de recherche, faut-il être systématiquement raisonnable ?

17Les problèmes chronologiques restent ardus. Malgré nos recherches, nous n’avons pas repéré de gisements de micromammifères dans le Paléogène ; les prélèvements effectués dans des sites apparemment favorables n’ont pas été productifs. La datation des strates du bassin de Soria, immédiatemment situées sous les conglomérats de Deza, comme de celles affleurant dans le cœur éventré de l’anticlinal d’Arnedo, préciserait pourtant le début de la surrection ibérique. Nous pensons, malgré notre redécouverte du gisement agénien de Cetina, que les méthodes lourdes employées par les équipes hispano-hollandaises dans les bassin de Daroca et de Calatayud ont plus de chances d’aboutir que nos recherches artisanales. Il reste donc à souhaiter, pour améliorer cet exposé, que les micropaléontologues construisent une chronologie du matériel détritique plissé visible au S de Soria et près d’Arnedo. Nous pensons cela envisageable.

18Beaucoup plus délicate sera la datation précise des étapes de la morphogenèse fini-miocène. Un espoir subsiste, en ce qui concerne les zones scellées par les calcaires travertineux. Mais les grands épandages siliceux sont dépourvus de carbonates et azoïques. Alors qu’ils étaient considérés comme " villafranchiens ", c’est à dire plio-quaternaires, nous les tenons pour fini-miocènes. Mais cette affirmation repose sur des déductions et non sur des certitudes chronostratigraphiques : elle reste en conséquence soumise à une indispensable vérification. Cette dernière ne sera pas aisée, surtout si elle doit se faire sur nos piémonts. Ailleurs peut-être, les arguments manqueront moins, mais c’est alors la corrélation qui pourra se révéler sujette à caution. Quoi qu’il en soit, nous estimons qu’une comparaison des connaissances concernant les épandages siliceux de la péninsule ibérique, voire de ses confins, serait très profitable à la communauté scientifique. L’effort de synthèse enrichirait en retour -et beaucoup- les travaux préalablement réalisés. En matière de datation, le pire est à venir ; il concerne cette période décisive pour l’histoire morphologique qu’est le Pliocène. Dans les Celtibériques occidentaux, nous n’avons encore que le jalon fixé par les flores et les faunes de Villarroya. Cette rareté explique l’usage intensif des données, il est vrai fort riches, qui nous sont fournies par cet unique témoin. Elle peut toutefois se comprendre, puisque le phénomène principal est l’incision des sédiments tendres des bassins.

19Ces pistes seront parfois difficiles à explorer, car notre montagne et ses piémonts restent un ensemble géomorphologique de première complexité, dans lequel les ambiguïtés sont nombreuses. Pourtant, c’est bien là que les recherches ont des chances d’être fructueuses : dans les montagnes trop massives ou trop soulevées, les marques des épisodes passés sont peu nombreux en raison de l’unité générale ou détruits par l’érosion consécutive à un soulèvement trop violent. Au delà de faits de terrain à mieux appréhender, c’est même une réflexion globale qui peut être engagée. En en temps où le concept de mobilité permanente de l’écorce terrestre est partout réaffirmé, nous constatons que nos sierras se sont soulevées par saccades, coupées de longs répits : elles nous invitent à examiner à nouveau l’idée classique d’une discontinuité de la tectonique et à quantifier la vitesse de l’érosion qu’elles déclenchent. Le façonnement de l’aplanissement vallésien nous conduit à reconsidérer le rôle respectif des événements géochimiques et mécaniques dans la genèse des surfaces calcaires. Les données paléoaltérologiques poussent à la comparaison des évolutions miocènes des grands piémonts à couverture siliceuse d’Europe occidentale... La difficulté de l’étude est à la mesure de la richesse des découvertes encore possibles.

20Nous devons cela à l’originalité de cette montagne ibérique occidentale dont nous venons d’écrire, plutôt de tenter de raconter l’histoire. Classiquement rattachée aux ensembles alpins, elle intègre bien des héritages antérieurs. Peu soulevée, elle a évolué -à bien des titres-, comme un massif en roches anciennes. Globalement résiduelle et exhumée, elle ne doit sa hauteur actuelle qu’à l’épeirogènese ibérique. Proche des régions atlantiques et des vertes collines aquitaines, elle domine des piémonts bien peu "européens". Touchée par la sécheresse estivale, elle n’est pourtant pas vraiment méditerranéenne. Pourtant, loin de se contrarier et de créer des horizons atypiques, ces phénomènes ont induit l’existence et la conservation de riches séquences morphogénétiques qui lui confèrent un intérêt certain et une qualité de paysages exceptionnels. Au moment de prendre congé, nous voudrions formuler un vœu. Ce travail a essayé de repousser les limites des connaissances et de prouver -nous l’espérons- que tout n’a pas encore été écrit en matière de Géomorphologie historique. Nous la voudrions vivante, dépassant la pure géométrie, renouvelée par une approche des dynamiques successives qui commandent la mise en place des reliefs. Il nous semble que le vaste terrain ibérique occidental est encore riche de secrets qui pourraient être découverts par des études plus localisées, que nous n’avons pu mener dans un cadre si large. Nous aimerions -mais n’est-ce pas l’espoir des Hommes- que d’autres poursuivent l’aventure, en leur redisant les sages paroles du Zénon de Marguerite Yourcenar :

« J’envie ceux qui sauront davantage, mais je sais qu’Us auront tout comme moi à mesurer, à peser, déduire et se méfier des déductions produites, faire dans le faux la part du vrai, et tenir compte dans le vrai de l’éternelle admixtion du faux ».

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