L’acquisition des volumes entre Ebre et Meseta

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Texte intégral

1La compréhension de la mise en place des volumes montagneux est le premier but que nous devons nous assigner pour parvenir à retracer l’histoire morphologique des Monts Ibériques Occidentaux. Dans l’absolu, il nous suffit de fixer enfin, grâce aux progrès de la micropaléontologie, l’âge des conglomérats corrélatifs visibles dans les bassins. Pourtant, la tâche ne se réduit pas au bilan chronostratigraphique que suggère d’établir la précédente constatation. L’observation du terrain oblige à considérer d’autres faits, en particulier des formes du relief ou même des paléoformes, qui nous sont plus familières et doivent prendre leur place dans un schéma évolutif global. L’existence de lambeaux d’une haute surface ou les topographies disséquées enfouies sous des dépôts miocènes ne peuvent être écartées du raisonnement au prétexte que l’argument paléontologique se suffit à lui-même. La cohérence des événements, et leur chronologie, supposent donc l’intégration de la totalité des données en notre possession et l’appréciation de leur validité réciproque. Cela est plus complexe que de se contenter de renvoyer le lecteur à des datations tirées des nombreuses échelles biostratigraphiques publiées depuis quelques années. Mais la démarche nous a paru plus enrichissante et surtout bien plus géographique.

2Avant d’examiner les modalités et l’âge de la tectonique qui a créé nos sierras, il importe de dresser d’abord un état des lieux au début du Néogène. L’étude de la discordance oligo-miocène est ensuite le passage obligé qui nous permettra de comprendre un moment décisif de l’évolution morphologique. La dernière partie de ce chapitre tentera enfin d’évaluer les volumes acquis au début du Néogène. Les orientations de recherche qui se dégagent de la volonté du géographe de ne pas s’en tenir aux seules informations de la chronostratigraphie des sédiments corrélatifs semblent a priori pouvoir enrichir le débat scientifique. Il est clair qu’il y a un risque réel à s’attaquer de front à une masse de problèmes apparemment fort variés. Chacune des pièces du puzzle, décrite par une discipline indépendante, ne représente certes pas la même chose. Mais toutes participent d’un unique géosystème, de paléotopographies qui furent un long moment fonctionnelles et sont l’objet de notre étude. Ce risque, nous le prenons donc.

I. UN HÉRITAGE DU PALÉOGÈNE ?

1. La signification du matériel paléogène

A. Des conglomérats, témoins de vieux mouvements ?

3Autour du rameau sud-aragonais de la montagne ibérique, repose en concordance sur le Crétacé un vieux conglomérat calcaire. Il est conservé en pincée le long de la faille qui fait entrer en contact les chaînons calcaires et les formations tertiaires de la région d’Embid de Ariza et de Deza, sur la rive gauche de la vallée du Henar. On ne l’observe facilement qu’au N d’Embid où il est, avec les strates mésozoïques, plissé en un synclinal dont les flancs redressés à la verticale sont découpés en barres et chevrons. Le matériel, puissant d’une centaine de m, -mais l’avons-nous en entier ? - en est fort grossier. Des boules calcaires d’une trentaine de cm de diamètre, des blocs, sont scellés dans un ciment calcaréo-pélitique très dur. La modeste extension des affleurements et le manque de datation limitent les possibilités d’interprétation morphologique. On peut néanmoins penser que ces conglomérats concordants correspondent aux premiers mouvements de la zone orientale de notre terrain. Il est délicat de localiser ces derniers, car l’aspect grossier de l’assise détritique paraît en contradiction avec la continuité sédimentaire, qui suggère un relatif éloignement des déformations. Sur place, celles-ci ont été assez restreintes. En tout cas, l’absence de galets de quartzites montre que le secteur en surrection reste doté de sa couverture secondaire, ce qui incite, avec d’autres arguments évoqués plus loin, à fixer un âge assez ancien à ces premiers signes de tectonique.

4À l’extrémité occidentale de notre terrain, existent aussi des formations continentales concordantes sur les couches du Crétacé supérieur, conservées dans le synclinal de Santo Domingo de Silos. Sur un calcaire beige presque lithographique, reposent des conglomérats que la carte au 1 : 50 000 classe dans le Paléocène. Puis on trouve, toujours en concordance, des séries calcaires roses. Au cœur du pli on voit des grès gris compacts qui emballent quelques gros galets de calcaire beige et -fait plus original- des granules de quartz et de quartzite de quelques millimètres. Ces grès, les auteurs du 1 :50 000 géologique les attribuent à l’Oligocène sur la seule justification qu’ils sont "clairement antétectoniques", alors que M. Floquet (1979) se contente de faire de l’ensemble sédimentaire un complexe Crétacé terminal-Paléocène. Les conglomérats montrent en tout cas des événements tectoniques nettement paléogènes, accompagnés ici d’une contradiction entre la concordance des dépôts et la faible usure des galets qui tend à témoigner de la proximité des déformations. Les données de terrain nous autorisent-elles à établir un parallélisme entre les conglomérats orientaux et ceux-ci ? La réponse est positive, car le même dépôt concordant se repère au N de Calatañazor, sur un méridien intermédiaire. Même si les épaisseurs semblent plus faibles près d’Embid, la géométrie et la nature des premières accumulations continentales post-crétacées nous incitent à penser que la tectonique se manifeste dès l’émersion de la région, et probablement avec elle. Il serait maladroit d’en exagérer les effets locaux en raison de l’empilement régulier des couches. Mais des reliefs sont déjà en cours de façonnement, en prélude à une évolution ultérieure dont témoigne la stratigraphie du piémont de la Sierra de Miñana.

B. Les enseignements des séries du Henar

5Il existe à l’E du bassin de Soria et d’Almazán une deuxième famille de dépôts que nous savons paléogènes, puisqu’ils passent sous les marnes agéniennes datées (Daams, 1976) au S d’Embid de Ariza (gisement dit de Cetina). Ces sédiments sont très épais comme le prouve l’anticlinal arasé du Rituerto et ses bords méridionaux, entre Castil de Tierra et Bliecos. Une coupe menée sur une douzaine de km nous a permis de lire une épaisseur d’environ 2 km, mais nous ne connaissons pas la puissance des termes supérieurs (conglomérats visibles au-dessus de Deza et de Castil de Tierra) et inférieurs (pélites rouges affleurant au N de Tapiela). Dans la mesure où la base n’est pas visible dans les secteurs de large affleurement, il est difficile d’affirmer le mode d’appui de ces couches orientales sur leur substratum. Mais les assises grossières supérieures reposent en discordance sur le matériel secondaire, comme on peut par exemple le constater en plusieurs endroits près de Cihuela, village situé entre Embid et Deza. On peut d’abord le vérifier au S, dans la décharge de la localité. Le conglomérat incliné d’une vingtaine de degrés vers l’WSW s’appuie sur un pli de calcaire crétacé démantelé. Cela peut être confirmé au NE de Cihuela, où le conglomérat qui pend de 30° à N 30 ennoie le Crétacé en contrebas du lieu-dit Valestepar. Plus à l’W, les conglomérats jaunâtres à galets gréseux de Venta Nueva (km 181 de la N 122), ont été fournis par le Wealdien et sont chronologiquement calés plus bas, puisqu’ils prolongent les dépôts du cœur de l’anticlinal du Rituerto. Ils sont encore discordants sur le Crétacé sénonien de la Sierra de Cabrejas et recouvrent aussi des structures plissées décapées jusqu’au grès et sables wealdiens, notamment à l’W de Villabuena (fig. 5). Dans la dépression de Calatayud, les conglomérats paléogènes plissés de Villalengua recouvrent en discordance le Muschelkalk. La concordance régulière des couches, du haut vers le bas, doit-elle nous faire conclure à une discordance basale ? Dans les bassins de Soria et de Calatayud, il paraît logique de répondre affirmativement. Au pied des Montes de Cervera, les arguments s’avèrent insuffisants, puisque rien ne vient s’intercaler entre le matériel concordant et les marnes miocènes horizontales. Les implications morphologiques de la série paléogène sud-orientale généralement discordante sont néanmoins intéressantes. Après un hiatus issu d’une période d’orogenèse et d’érosion -les enveloppes crétacées ont été très entamées-, se sont étalés des matériels parfois conglomératiques, mais de plus en plus fins jusqu’aux calcaires et marnes blancs pulvérulents dans lesquels s’ouvre la large combe de Bordalba, à l’E de Deza. Les sédiments ont donc été piégés dans une dépression lentement subsidente, sous des reliefs de moins en moins importants, puisqu’ils ont livré des alluvions de plus en plus fines aux points bas des topographies. Il est d’ailleurs surprenant de constater la forte analogie de faciès entre les calcaires de Bordalba et ceux des muelas miocènes des bassins de l’Ebre et du Duero. Elle a conduit les rédacteurs du 1 :200 000 géologique de Soria à classer à tort les premiers dans le Miocène supérieur.

6Le calme se rompt à la fin de la série paléogène. En effet, les marno-calcaires blancs de Bordalba sont surmontés par un conglomérat à galets gris calcaires, d’une vingtaine de cm de diamètre. Ils sont roulés et pris dans un ciment pélitique ocre-rose. La calcite prend aussi la forme de cristaux roses comblant les vides et la fracturation ultérieure des galets (crêt de la Cerradilla, à l’W du km 16 de la route Cetina-Deza). Le matériel est issu des couches secondaires et la concordance avec les marno-calcaires blancs pose un problème certain. Une première possibilité est une érosion syntectonique du pli en genou, ce qui expliquerait la composition exclusivement calcaire des conglomérats et leur localisation en une bande parallèle à l’accident, puis sa déchirure le long de la zone amincie. Une deuxième hypothèse est que dans un premier temps, la déformation ne se soit pas opérée à proximité immédiate et que la faille qui borde la Sierra de Miñana ait fonctionné postérieurement. Elle s’est en effet produite un peu plus tard, car elle affecte ces mêmes conglomérats à boules de calcaire. Il n’est pas facile de choisir un scénario plus que l’autre. Il semble cependant que la géométrie et la masse importante des dépôts grossiers conduisent à envisager une érosion d’une large zone, plus que la démolition d’un flanc de pli : ces conglomérats racontent un démantèlement important des enveloppes calcaires, puisque la puissance visible de ces sédiments détritiques est de l’ordre de 300 m. Il s’associe à l’amont, avec un début de mise en place des sierras. Cette vieille histoire des bassins mérite évidemment d’être comparée avec celle des structures bordières, c’est à dire des plis affectant les chaînons de calcaire crétacé.

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Fig. 5 : Vieux dépôts et vieilles structures paléogènes

2. Originalité et ancienneté des plis de la bordure calcaire méridionale

A. Des plis tronçonnés par des failles nivelées

7Au SE, dans la Sierra de Miñana, les calcaires sont coffrés par le socle schisteux sous-jacent, comme le montre la petite route qui va de La Alameda, au NE de Deza, au sommet de l’Alto Cruz. L’axe des voûtes suit une direction N 110. Elles sont recoupées par des failles distensives parallèles aux plis, qui ne se manifestent morphologiquement que par érosion différentielle. On le voit en suivant l’accident N 120 qui met bord à bord les schistes du Cambrien supérieur et les calcaires crétacés (vallon situé entre l’Estrepal et l’Alto del Calvario, au NW de la Alameda). On l’observe encore à l’W de Reznos où le mont dérivé armé par le Trias qui porte le village entre au contact du socle par une faille, ici composée avec une autre, orientée à N 15. Le río Vigas, affluent du Carabán, exploite cette ligne de fragilité. Ces accidents sont antérieurs au Miocène qui les ennoie à l’E d’Almazul et postérieurs à la compression initiale qui a induit le début du plissement. Cette constatation géologique se double d’un fait géomorphologique. La faille de La Alameda est nivelée dans sa traversée du sommet aplani de l’Alto del Calvario (1 220 m), ce qui veut dire qu’elle n’a pas rejoué depuis le processus d’arasion.

8La situation est plus parlante encore à l’W de Soria, sous la Sierra de Cabrejas. Le dispositif tectonique est différent, puisque les axes tectoniques de la Sierra Llana sont W-E alors que les failles qui les hachent gardent une direction N 135 proche de celles de la Sierra de Miñana. L’une d’entre elles coupe tous les chaînons, depuis les formations paléogènes du bassin de Soria au SE, qu’elle détaille localement, jusqu’à la retombée de la Sierra Llana sur la dépression d’Abejar, au NW. Elle n’a pas plus d’expression morphologique que les précédentes, et son nivellement apparaît sur de plus grandes distances. Elle touche un matériel paléogène plissé discordant sur le Crétacé ennoyé par les argiles rouges subhorizontales de Camparañon, très vraisemblablement miocènes. Tout à fait à l’W de notre terrain, les plis ESE-WNW des Montes de Cervera sont toujours coupés par des failles, ici N 165, qui décalent le Crétacé et le conglomérat paléogène concordant de Santo Domingo de Silos. Mais le sommet des plis, pourtant traversé par certains de ces accidents, comme à l’Alto de la Cabeza, sont arasés, et ne laissent topographiquement plus rien apparaître du rejet qui s’avère pourtant visible dans l’épaisseur de roches bien litées d’origine marine. Enfin, dans la région de Los Ausines, au SE de Burgos, le Miocène masque ce même type de fracturation nivelée dans les calcaires crétacés (Gutierrez, 1969). La libération des tensions postérieures a rarement réutilisé ces lignes de faiblesse pourtant faciles à exploiter. Le phénomène est donc général et significatif : il est temps de faire un bilan des faits recensés.

B. Âge relatif des structures et évolution

9Les failles qui tronçonnent les plis sont antérieures à l’arasion des voûtes anticlinales et des berceaux synclinaux, encore repérable aujourd’hui sur les sommets des chaînons calcaires du piémont méridional des Monts Ibériques Occidentaux. Elles sont anté-miocènes, car elles disparaissent sous les dépôts de cet âge. Par contre, elles découpent de temps à autre les sédiments paléogènes, concordants ou discordants. De plus, ceux-ci ont recouvert, comme on l’a vu à Villabuena, des calcaires déjà plissés et éventrés par l’érosion. On est donc conduit à admettre l’évolution paléogène suivante : le matériel crétacé et les conglomérats concordants sont une première fois ployés puis érodés ; les dépôts du Tertiaire inférieur épais du bassin de Soria-Almazán viennent ennoyer les points les plus bas de paléotopographies alors existantes. Cela explique très bien qu’ils suivent, par exemple entre la Sierra de Cabrejas et la Sierra de San Marcos, les directions structurales des plis qui ondulent les calcaires crétacés, sans toutefois être concordants. Dans la cuenca, une subsidence prolongée permet l’empilement des sédiments analysés plus haut. L’ensemble est affecté par des failles verticales modestes qui semblent correspondre à une distension et les reliefs progressivement arasés, nivellent les escarpements créés. Ce n’est qu’ensuite que les dépôts paléogènes sont plissés, en même temps qu’est replissé le soubassement mésozoïque (fig. 6) selon des lignes les plus faibles de la structure, c’est à dire les axes tectoniques prédéfinis par les épisodes antérieurs.

10Pouvons-nous pousser un peu plus loin l’examen ? Il faudrait d’abord essayer de passer d’une chronologie relative des déformations à une chronologie absolue. Faute de datation précise des conglomérats paléogènes, il est illusoire d’apporter plus que des idées, dont on devra pour l’instant se contenter. On sait par exemple qu’en Méditerranée occidentale et en Europe de l’Ouest (Aubouin, 1973 ; Tapponnier, 1977), l’Oligocène inférieur se caractérise par des processus distensifs qui ont donné lieu à des failles jamais réactivées. Cela peut être un indice pour caler nos failles arasées et fossilisées, même si celles-ci paraissent bien médiocres et peu à l’échelle de mouvements continentaux. On ne saurait de toute façon les vieillir beaucoup plus, puisqu’il est nécessaire de disposer d’une longue période préalable, pour plisser le calcaire crétacé, éroder les reliefs et faire se déposer les épais sédiments paléogènes. Il existe donc de fortes présomptions pour que les premières structures ait été acquises à la faveur du plissement pyrénéen, sans que l’on parvienne, dans les Celtibériques Occidentaux, à des connaissances plus fines. Cela est comparable aux événements que décrit P. Viallard (1973) dans la chaîne Ibérique méridionale, à l’W de Valence. Il estime que l’expression de la tectonique majeure "savique" y a été conditionnée par l’ébauche de plis à l’Eocène moyen. Ces derniers ont ensuite localisé par effet morphotectonique les efforts compressifs postérieurs. Cette histoire orientale s’accorde très bien avec ce que nous avons observé sur la retombée méridionale de nos Celtibériques ; on se propose donc de les mettre en parallèle. Il nous reste maintenant à étudier ces crêtes arasées qui couronnent les mêmes chaînons et nivellent les failles mortes probablement oligocènes.

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Fig. 6 : L’évolution paléogène : essai de synthèse

3. Une vieille surface d’érosion

A. Un plan anté-miocène sur les chaînons sorians

11Lorsque ces derniers ne sont pas réduits à des arêtes par l’érosion postérieure, on observe que subsistent, plus ou moins déformés, des lambeaux de surface plane. Les exemples, jamais très étendus, s’avèrent cependant nombreux. Dans la Sierra de Miñana, ce sont l’Alto del Calvario, la crête de Peñalcazar et, plus au N, la Sierra de la Pica et du Cortado. À l’W de Soria, la Sierra Llana, la Llana de la Sierra de Cabrejas surtout, qui atteint la dimension respectable de 1.5 km du N au S et 4 km d’E en W illustrent bien notre propos. Encore plus à l’W, les sommets des Montes de Cervera sont inscrits dans un plan, même si la dissection les a touchés. La crête de Peñalara, au-dessus du village de Lara, n’en porte plus qu’un étroit lambeau, comme les hauteurs de la Sierra de Covarrubias, mais la Meseta de San Carazo est bien plus vaste. Le plan est de belle venue, avec 0.75 km de large pour 3 km de long. La dénivellation entre l’aplanissement majeur et ces formes sommitales varie, mais s’inscrit dans une fourchette limitée qui va de 120 m dans la Sierra de Miñana, valeur minimale, à 250 m dans les Montes de Cervera et il s’agit là d’un maximum. Les chaînons qui les portent sont des reliefs résiduels et non des horsts fragmentant une unique surface d’érosion : aucun système de faille complexe ne les encadre, ce que laisse d’ailleurs supposer l’organisation des topographies. Il y a donc en Castille deux plans étagés, et non un seul aplanissement "pontien" découpé par un jeu de blocs. Cela signifie que le plus élevé, SO, est anté-miocène, mais il ne peut pas être rattaché à un vieux paléogène, puisqu’il nivelle les failles qui tranchent les épais dépôts du Tertiaire ancien du bassin de Soria. On le dira donc "oligocène", sans autre détail. La recherche de placages karstiques à sa surface, susceptibles d’inclure des micromammifères a été vaine.

12On y a par contre trouvé la preuve que l’aplanissement est une surface de transit et d’érosion. On pouvait en effet hésiter sur sa réalité, en raison du coffrage des plis qui confère aux voûtes et aux berceaux un aspect assez plan, faisant peu se différencier surfaces structurales et plans topographiques. C’est le cas sur la Meseta de San Carazo, dont nous avions hésité dans un premier temps à faire un élément de la haute surface. Mais on y a échantillonné des galets de quartzite gris, en provenance du Cambrien moyen du Mencilla ou de la Demanda, logés dans les lapiés peu profonds. De la taille d’un poing, bien roulés, ils ne sont pas abondants, mais indiquent à coup sûr l’existence d’un plan morphologiquement fonctionnel. Ils offrent aussi la certitude que des reliefs d’amont, dont la Meseta de San Carazo s’avère totalement isolée dès le démantèlement de la surface oligocène, étaient déjà édifiés dans le socle primaire. On ne saurait néanmoins dire sur ces seules bases l’étendue de la dénudation. Sur la Sierra Llana, au-dessus de Villaciervos, c’est au contraire la relative intensité de la déformation de la surface d’érosion qui nous faisait douter. On y repère, là aussi en quantités modestes, des galets de quartz de quelques centimètres de diamètre, en provenance des conglomérats de l’Urbión ou des grès à passées caillouteuses du Crétacé inférieur, que l’amont local très réduit n’est plus en mesure de lui fournir. La patine rosée, leur aspect roulé ne signifient pas grand-chose ici, car ces traits sont déjà présents dans les roches de départ. Sur les plans supérieurs des sierras sud-orientales, nous n’avons rien trouvé, mais les lambeaux de vieille surface sont de taille réduite. Le problème se pose, de son extension vers les amonts actuels, et à l’opposé, vers les avals.

B. Sa position vers les amonts et les avals

13Quand, depuis les chaînons calcaires méridionaux, on observe la montagne celtibérique, on ne voit pas, a priori, de prolongements du haut aplanissement. Depuis les sommets, l’impression est fort différente. Les crêtes de dissection paraissent peu ou prou inscrites dans un même plan. Cela ne suffit pas à constituer un argument en faveur de l’existence de SO à l’intérieur des sierras, puisque nous pourrions y voir un Gipfelflur étendu. Il existe aussi de rares replats, plutôt en contrebas des points culminants, mais situés dans le prolongement du niveau de crête, et localisés sur la ligne de partage des eaux entre l’Atlantique et la Méditerranée. Cela nous a incité, malgré leur faible extension, à les étudier dans le détail. Le premier, peu étendu, se trouve sous le Trigaza. Le deuxième, le plus vaste (2 km sur 0.75 km), se nomme la Mesa, la Table, et forme une large frontière entre les torrents dépendant, au N, de l’Iregua et au S, du Duero, semée de galets de quartzite cambrien très rubéfiés. Le dernier, enfin, c’est le plan inscrit quelques dizaines de mètres sous le sommet du Moncayo. Ces trois replats d’altitude sont installés aux dépens de roches différentes : quartzites cambriens pour le Trigaza, permiens et/ou triasiques pour le Moncayo et conglomérats de l’Urbión pour la Mesa. Dans ce dernier cas, on peut éliminer le risque d’être confronté à une surface dérivée de la prétriasique, puisque celle-ci est en profondeur. Il semble aussi que ce ne puisse être l’équivalent du plan majeur "pontien". Il faudrait en effet que la montagne ait été presque complètement arasée entre l’orogenèse "savique" et la fin du Miocène, ce qui paraît court, au vu de l’extrême résistance des matériaux et des volumes à détruire. Cela suppose aussi une forte surrection récente, peu compatible avec la faible torsion de la surface miocène du piémont castillan. Cette dernière, enfin, bute sur les quartzites au pied de la Sierra Mencilla qu’elle n’entame que sur quelques centaines de mètres près de San Millán de Lara. Quant à l’action du froid parfois évoquée pour expliquer la planation d’altitude, elle ne semble pas capable de créer de telles formes et de justifier leur position originale à l’intersection de deux bassins hydrographiques. On s’attendrait à trouver plus de débris dans des creux remblayés. On ne voit d’ailleurs pas la cryoplanation parvenir à niveler les failles affectant les conglomérats siliceux du type Urbión qui arment la Mesa. Il y a donc de fortes probabilités pour que ces formes soient les derniers témoins d’une SO qui s’étendait à une très grande partie de la chaîne ibérique occidentale.

14Sur les bordures des bassins tertiaires castillans, nous ne disposons d’aucune forme analysable, puisque les sédiments miocènes ont envahi les cuvettes qui se sont à nouveau dessinées lors du soulèvement "savique". Nous n’avons pas de surface plane d’érosion nivelant les conglomérats paléogènes et enfouie sous des sédiments discordants miocènes. La seule chose que nous puissions prendre en compte est la discontinuité sédimentaire observée entre le sommet du remblaiement fin montré par les marno-calcaires blancs de Bordalba et la progradation très brutale des conglomérats gris à boules calcaires visibles au SW de Deza. Mais au km 1 de la route Deza-Bordalba, le passage de l’un à l’autre se fait en quelques mètres, sans qu’il y ait de discordance notable. Les mesures précises de pendage ne montrent pas de variations significatives entre série blanche et conglomérats, malgré la rupture évolutive majeure. Le toit de ces derniers, recoupé dans le secteur par la surface d’érosion miocène, a disparu. Aucune information complémentaire n’est donc ici disponible. Vers le S, dans la région d’Almazán, le contact probable entre Paléogène et Néogène est a priori mieux perceptible, mais la difficulté de son identification, en raison de la concordance de fait, ne permet guère de conclure. Il est donc nécessaire de se tourner vers le bassin de l’Ebre pour essayer d’en tirer les renseignements qui nous manquent ici.

C. Les données du bassin de l’Ebre

15Sur le piémont septentrional riojano, aucun élément topographique ne peut être rattaché à SO. Le rebord de la montagne est brusquement disséqué par les affluents de l’Ebre et le remblaiement du bassin, miocène, ne peut laisser espérer que la constatation d’un contact purement géologique. Le plan arasé de la Turquilla, à l’amont du Serradero, ne doit pas lui être rapporté. D’une part, il bute au pied des versants de la Demanda au-dessus d’Anguiano : on imagine mal que la Demanda dans son entier soit un relief résiduel anté-oligocène ; de plus cela s’accorderait mal avec la présence des hauts lambeaux de surface de la Mesa ou du San Millán. D’autre part, il nivelle aussi bien les calcaires jurassiques que les conglomérats bordiers miocènes, ce qui implique pour lui un âge postérieur. En Rioja, les conditions de l’évolution morphologique ne nous permettent donc aucune observation valable.

16Il en va différemment au N du Moncayo. Le piémont de San Martin del Moncayo est bâti sur des calcaires secondaires plissés, faillés, mais surtout rabotés par une surface d’érosion scellée par les conglomérats rutilants de Tarazona. Les vallons, comme ceux de Veruela ou du Queiles, montrent un matériel mésozoïque tectonisé. À l’amont de Veruela, on observe ainsi des failles normales à N 130 découpant en blocs affaissés vers le N les calcaires beiges et les marnes bleutées synclinales. Mais il s’y mêle des signes de compression. Sur les structures nivelées s’étale une formation détritique ocre-rouge, couverte elle-même par les rañas. Le ciment pélitique, avec de rares passées argileuses, emballe de gros galets de calcaire et de quartzite. La discordance est bien visible dans la vallée du Queiles, depuis le parking situé au droit du carrefour de la route de Valverde et de la N 122. Le blanc des couches wealdiennes, avec un fort pendage de 30° à N 225 contraste avec la couleur vive du Tertiaire à faible pendage. Celui-ci plonge vers le N et forme la base du Miocène. Le mur s’appuie sur un plan qui, sans être parfait, n’en est pas moins régulier et étendu. Il s’élève progressivement vers l’W, puisqu’à Veruela, il ne dépasse pas 700 m, alors qu’à Débanos, 20 km plus au NW, il atteint déjà 900 m (fig. 7). Dans ce secteur, on peut même voir l’état de la surface d’érosion sur les calcaires jurassiques inclinés de 35° à N 60, car sa couverture conglomératique est en cours de récurage. Elle est très karstifiée et les lapiés contiennent une argile rouge, sans galets, qui est peut-être antérieure au matériel détritique. Il faut cependant être prudent, car le plan miocène est ici altitudinalement très proche de la vieille surface. Mais il ne peut génétiquement se confondre avec elle. On se propose donc de reconnaître dans cet ancien aplanissement ennoyé un élément de SO, conservé en position basse. Il semble bien qu’il en subsiste dans la région du Moncayo deux fragments, haut et bas, vivement dénivelés : l’intérêt morphologique en est considérable, maintenant en termes d’analyse, et plus tard, de bilan, quand il faudra déterminer l’intensité de l’orogenèse "savique" dans les Celtibériques Occidentaux. Au total, l’héritage paléogène dans nos montagnes et sur leur pourtour est important lorsque interviennent les premiers effets de l’orogenèse "savique", qui vont gondoler la surface, mais aussi provoquer sa dissection dans les zones soulevées.

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Fig. 7 : Une vieille surface d’érosion

II. LE SENS MORPHOLOGIQUE DE LA DISCORDANCE OLIGO-MIOCÈNE

1. La bordure complexe des confins aragonais

A. Structures compressives de Cetina à Almazul

17Le long de la faille inverse du Henar, qui borde au SW la Sierra de Miñana, les dépôts éogènes, y compris les conglomérats grossiers de Deza à boules de calcaires gris, ont été plissés. La compression n’est violente qu’à proximité de l’accident, où les couches tendres redressées à la verticale affleurent en barres, notamment au N de Deza (fig. 8a). Vers le SW et la dépression de Bordalba, les pendages diminuent ; une forte flexure assure l’amortissement. À l’ermitage de la Virgen de los Santos (1 km au NE de Bordalba), le pendage des strates blanches n’est plus que de 10° à N 210. Vers Almazul, la compression est moins marquée et la vallée du Henar coupe en biais les dépôts paléogènes. Au NE de Gómara, ce matériel est à nouveau un peu plus vigoureusement plissé puisque les pendages du crêt sur lequel s’appuie le village de Buberos dépassent 40° à N 220. Dans ce secteur, le raccourcissement, opéré selon un axe moyen de N 210-N 220, a été de l’ordre de 15 % dans le bassin tertiaire. Il n’a pas été possible de l’évaluer dans la zone des chaînons crétacés, faute de conglomérats éogènes reposant en discordance sur les calcaires secondaires, mais une tentative de quantification sera possible au S de la Sierra de Cabrejas, dans le secteur de La Venta.

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Fig. 8 : La bordure complexe de la Sierra de Cetina

18Les structures ainsi créées sont d’abord disséquées puis ennoyées par un matériel miocène complètement discordant. La base des dépôts montre des apports initiaux fins et rutilants, -marnes et argiles- comme on peut en voir au S d’Embid de Ariza, directement appuyés sur les paléoformes sculptées dans les plis des sédiments paléogènes (fig. 8b). Celles-ci sont actuellement en voie d’exhumation au N de Deza et au S d’Embid, notamment à proximité du gisement agénien dit de Cetina. Dans la combe du Barranco de las Abeceras et sous le crêt de la Cerradilla, le Miocène discordant subhorizontal s’adosse au crêt méridional (P=20° à N 220) généré par les calcaires sous-jacents. D’abord ocre et argileux, puis jaune et gréseux, il se charge ensuite de galets de taille croissante. Le chemin de la Cañada de la Cosa montre la progression granulométrique. Jusqu’à 800 m d’altitude (km 2 du chemin), le matériel reste modérément grossier. Au-dessus, on observe un conglomérat à blocs calcaires et quartzitiques de plus en plus gros ; d’une trentaine de cm de diamètre à sa base on passe à des blocs énormes, métriques, vers 930 m, au sommet de l’Altroz. Un nouveau conglomérat, néogène, recouvre donc les premières assises discordantes, dont il faut maintenant dégager la signification du point de vue de l’histoire des formes.

B. Interprétation morphologique et chronologique

19Les mouvements qui avaient provoqué la mise en place de conglomérats à boules de calcaire gris de Deza, et leur déformation ultérieure sous l’effet de la compression, créaient des reliefs. Dès les prémices de l’orogenèse, SO est déformée, soulevée vers l’amont ibérique, et participe au jeu de blocs qui se produit au niveau de la faille bordière. La bordure des bassins tertiaires est plissée sous l’effet d’une compression de direction N 220. Cette création de volumes induit une reprise d’érosion qui démantèle les axes des anticlinaux en cours de façonnement ou nouvellement élaborés. Le piémont immédiat des sierras de Cetina-Miñana est affouillé, laissant subsister au SW une échine de sédiments paléogènes, sur la rive droite de la vallée actuelle du Henar. Cette dernière est donc l’héritière d’une longue histoire géomorphologique car elle a été recreusée dans les sédiments qui ont fossilisé ces dépressions. L’importance moyenne de l’incision peut s’y apprécier, puisqu’ont été emportés les conglomérats de Deza, plus une partie des couches blanches de Bordalba : dans le secteur, elle est de l’ordre de 200 m. La paléoforme a été bien ouverte par cette ancienne phase érosive : ce n’est pas une étroite vallée, mais un large couloir éventrant le matériel tendre et respectant chaque banc résistant. Cela est net à Almazul, où des sables jaunes à ocres discordants envahissent les topographies antérieures. On peut s’étonner de la fine granulométrie des premiers dépôts horizontaux, qui semble peu en accord avec l’ampleur des entailles réalisées. Cela incite à penser que les mouvements qui déclenchent cette phase de remblaiement ont été assez amortis pour ne provoquer qu’une érosion modérée de fines superficielles entraînées par un réseau hydrographique de faible pente. Les reliefs ne pouvaient fournir un matériel grossier au début du colmatage des dépressions bordant la Sierra de Miñana. Mais tout change très vite après le dépôt des lignites qui contiennent le gisement de micromammifères de Cetina : moins de 20 m plus haut dans la série se produisent les arrivées massives de blocs énormes. Il est donc nécessaire de préciser la chronologie des événements grâce aux indications qu’il fournit.

20Les fossiles sortent d’une carrière située au S du Barranco Lobero. La faune à Eucricetodon cetinensis est classée par J.P. Aguilar dans sa superzone A d’âge aquitanien (Aguilar, 1982), et plus exactement en A4, correspondant à la zone MN 2b, ou encore Y de Daams et Freudenthal (Daams, 1976 ; Daams et Freudenthal, 1981 ; Daams et Van der Meulen, 1984 ; Agustí, 1987). La révision faite en 1990 pour notre compte a confirmé ces données relatives : selon la terminologie adoptée à Munich en 1976, la strate ligniteuse est agé-nienne et contemporaine du gisement français de Lespignan. L’âge absolu est moins certain, puisque J.P. Aguilar a eu tendance à le "rajeunir" de -23.5 MA (Aguilar, 1982) vers -21 MA (Aguilar et Michaux, 1987) ; et cela ne tient pas compte des visions plus restrictives de l’Aquitanien adoptées par Y. Gourinard. Pour l’instant, on peut donc estimer que les premières déformations régionales conséquentes sont antérieures à une date qui n’est pas inférieure à -23.5 MA et pas supérieure à -21 MA, étant entendu qu’il a fallu le temps de disséquer les bords sud-orientaux du bassin de Soria avant que ne puisse se faire le remblaiement. Le dispositif général rappelle assez nettement ce qu’E. Moissenet (Adrover et al., 1982) décrit un peu plus à l’E, avec plus de précisions chronologiques, sur les bords septentrionaux de la dépression de Daroca-Montalbán. Les grès et marnes rouges de Fuenferrada et Montalbán (Oligocène moyen à Pseudocricetodon montalbanensis ; niveau standard MP 23 : Itardies, sommet du Stampien) sont recouverts par des gypses et des intercalations marneuses. La formation conglomératique à blocs de quartzites de la Sierra Pelarda « s’interstratifie dans les dépôts lacustres du synclinal » qui, à Vivel del Río contiennent une abondante faune de Rongeurs de la base de l’Oligocène supérieur, équivalant à celle du niveau standard MP 28 du Pech du Fraysse à Archaeomys intermedius, Chattien (Symposium..., 1987). Cet ensemble plissé est envahi par « une épaisse formation détritique subhorizontale de couleur ocre », dont la base discordante est datée de l’Agénien terminal MN 2b par le gisement de Navarrete 1. Les auteurs précisent donc « l’âge du plissement principal qui se place dans cette région après l’Oligocène supérieur ». Il semble au total logique d’établir un parallèle évolutif entre l’histoire de la dépression avec les couches blanches de Bordalba, les conglomérats de Deza, les mouvements compressifs qui les ployent, et l’accumulation subhorizontale de Cetina, témoin dune phase tectonique majeure postérieure à MN 2b.

21Mais tous nos problèmes ne s’avèrent pas résolus par cette ressemblance troublante des aspects sédimentologiques et géométriques des deux régions. Nous n’avons pas encore de données chronologiques précises sur les sédiments éogènes du bassin de Soria et la durée du hiatus érosif. Le manque d’encadrement par le bas est pour nous dommageable et la prudence nous commande de ne pas nous engager trop vite sur la voie dune stricte corrélation entre des dépôts éloignés d’une trentaine de km à vol d’oiseau. Certes, les positions vis-à-vis de la chaîne ibérique sont comparables. Les variations de faciès, des boules de calcaires aux blocs de quartzite de Bâmbola peuvent se comprendre : le conglomérat de Villalengua, dans le bassin de Calatayud, est dans la situation de celui de Deza, sous-jacent au Miocène horizontal. Or, il contient un mélange de blocs de calcaires secondaires et de quartzites clairs à passées roses bien roulés témoignant dune alimentation déjà différente, d’un type plus proche de celui de la Sierra Pelarda. Il n’est donc pas difficile d’imaginer les modifications d’aspect d’un secteur à l’autre. Mais un problème d’analyse géomorphologique rend délicate la comparaison des situations. À l’E du Jalón, les auteurs n’évoquent jamais la présence d’une surface SO ; si E. Moissenet (1983) a observé un aplanissement sommital dans la Sierra de San Just, il le considérait comme un panneau de surface miocène dénivelé. La chronologie intra-oligocène très serrée rend apparemment difficile le développement dune SO. Pour nous aussi, la question est complexe. Il nous paraît pourtant impossible de contourner la réalité représentée par une vieille surface haute. Mais ses rapports avec le remplissage du bassin de Soria nous restent obscurs et les faits de terrain, on l’a vu, ne nous autorisent qu’à des hypothèses. Peut-être doit-on imaginer que l’essentiel du plan SO était réalisé avant l’épandage des conglomérats de Deza sur une région encore peu mobile, ceci expliquant sa concordance basale sur les couches blanches de Bordalba. Cela laisserait ensuite le temps, à la fin du Paléogène ou au début du Néogène, des déformations compressives, du creusement et, enfin, du remblaiement. Mais il nous manque des arguments, pour ici confirmer ou infirmer cette idée. On a bien cherché à savoir si les failles nivelées se prolongeaient sous les conglomérats de Deza, sans les affecter, ce qui aurait prouvé l’antériorité de SO, mais en vain. Il s’avère donc utile de voir comment le dispositif que nous avons décrit se prolonge vers l’W, jusqu’à la terminaison occidentale des Monts Ibériques, représentée par les Montes de Cervera.

2. Charnière tectonique et bassin, de la Sierra de la Pica aux Montes de Cervera

A. Une bordure très tectonisée

22Entre la Sierra de la Pica et Soria, le contact entre la montagne -qui est ici bien plus élevée que les modestes chaînons sud-orientaux- et le bassin de Soria n’est pas facile à lire. Il n’y a pas de longue dépression bordière et une formation grossière discordante altérée, qui rappelle vivement, malgré sa tectonisation, celle de l’Alto de las Hoyas à Embid de Ariza, masque souvent le substratum. L’existence dune faille continue, qui prend ici une orientation au N 100, ne fait cependant aucun doute, même si elle ne figure pas sur le 1 : 200 000 de synthèse. En effet, au Crucifijo (chemin des Majadas del Alto à Omeñaca), sous la Sierra de la Pica, les grès jaunes à rares galets bien roulés, observés plus au S dans le Paléogène de Tapiela (cœur de l’anticlinal du Rituerto) remontent à nouveau au contact des calcaires jurassiques. L’absence de coupe dans ce secteur ne permet pas de toucher in situ le miroir de faille, mais les blocs levés dans les talus d’épierrement montrent des marques de tectonisation intense avec des stries qui ne doivent rien au travail de l’homme. Vers le S, les conglomérats paléogènes, qui prolongent ceux de Buberos et de Deza, affleurent et plongent vers le bassin : de 20° à N 220 à Peroniel del Campo, on passe même à 50° à N 210 dans les crêts flexurés situés juste au N du village de Mazalvete. Vers l’W, le contact entre calcaires secondaires et Tertiaire ancien apparaît, notamment autour de la N 122 (km 141). Ce dernier, rouge et très carbonaté, est broyé et comprimé par le matériel marin mésozoïque pendant à 20° N 0 sur lequel il est discordant. Vers Soria, le conglomérat éogène à bancs gréseux roses (P= 80° à N 330) est engagé dans des structures compressives complexes (à l’W du km 149-150 de la N 122), mais aussi pincé (route d’Almajano) dans le jeu des panneaux de calcaire secondaire. Le pendage s’amortit assez vite vers le S : en face de la Venta Valcorba, les couches gréseuses jaunes s’inclinent encore de 45° à N 210. Au-delà du pont de chemin de fer, il n’est plus que de 15° à N 180 et les conglomérats, mêlant calcaires et matériel siliceux, gisent en discordance sur le Crétacé (40° à N 180) faillé à N 180, avec des stries à 45°. La poussée a été maximale au SW de Soria, ou le contact devient N-S et localement décrochant. Sous le viaduc du chemin de fer de Fuente la Teja, le conglomérat voisin de celui de Deza, moins grossier et bien cimenté, contenant beaucoup de galets calcaires, mais aussi des quartzites lie-de-vin et noires, est redressé à la verticale. Ensuite, la compression se fait à nouveau moins violente, et les pendages dépassent rarement 30° jusqu’à Calatañazor. Le raccourcissement peut ici être mesuré dans les secteurs de calcaire secondaire, puisqu’à La Venta, les conglomérats paléogènes ont subi un serrage avec leur substratum crétacé : il est de l’ordre de 10 %. La valeur est un peu plus faible, mais cohérente avec celle que nous avons établie dans le bassin, de Gómara à Bliecos. Plus à l’W encore, au pied de la Sierra de Nafría, le contact avec le Tertiaire est assuré par des failles inverses en relais, révélant des dépôts qui s’apparentent aux strates concordantes du synclinal de Santo Domingo de Silos, et non plus aux grès et conglomérats du bassin de Soria-Almazán. Mais les relations stratigraphiques avec ce dernier ensemble n’ont pu être examinées, à cause des solutions de continuité induites par le matériel subhorizontal et discordant qui ennoie les structures plissées et faillées.

23Au NE de Soria, un conglomérat très grossier à ciment carbonaté, équivalent latéral de la série miocène de l’Altroz d’Embid, les recouvre largement en discordance, même si, vers le SW, il devient vite concordant sur les conglomérats couronnant le matériel paléogène. Très fracturé, il présente près de Soria (pont du contournement de Soria sur la route d’Almajano) des pendages notables. À Camparañon, au SW de Soria, le tout est ennoyé sous des dépôts rouge sombre, argileux et subhorizontaux. Par endroits, des lentilles de galets sont consolidées par un ciment carbonaté compact. À Calatañazor aussi, les plis sont scellés par un matériel commençant par des lits de galets et de blocs de quartzites, de grès et de calcaire. Par contre, il devient moins grossier vers la table de calcaires clairs et massifs qui porte le village, située dans le plan de la surface d’érosion majeure. D’une manière générale, le dispositif, quoiqu’il s’articule toujours de la même façon, semble être décalé dans le temps par rapport à ce que nous avons observé sous la Sierra de Miñana. Les conglomérats fini-paléogènes sont moins épais, et le conglomérat très grossier n’est pas aussi calme. Autour du bassin de Soria, nous conclurons donc à une histoire morphologique parallèle à celle que nous avons antérieurement relatée, biphasée, mais le premier épisode a été moins marqué, alors que le deuxième s’est poursuivi jusqu’à la tectonisation du Miocène à gros blocs. Elle reste cependant assez ancienne, antérieure aux couches subhorizontales datées au plus tard du Miocène moyen par le gisement d’Escobosa de Calatañazor. Les conclusions sont peu précises en ce qui concerne la borne supérieure, car les strates fossilifères d’Escobosa sont déjà bien hautes dans le remblaiement. Tout à fait à l’W, il en va de même, puisque le Miocène envahissant des topographies différenciées n’est que très a posteriori calé par les grands fossiles "vindoboniens" de La Abadesa. De plus, les formations tertiaires paléogènes sont aussi plus anciennes, par exemple au pied des Montes de Cervera, et plus rares que celles de la bordure sud-orientale de la Sierra de Miñana, ce qui ajoute à l’incertitude chronologique. Seule la vallée de l’Arlanza semble avoir piégé la séquence classique des conglomérats rutilants et de la formation grossière, mais l’observation est trop discontinue et trop troublée par les remaniements qui ont suivi. Néanmoins, l’évolution des formes semble partout répondre à des modalités relativement proches.

B. La concordance progressive au centre du bassin

24Les structures caractéristiques de la bordure celtibérique s’amortissent vers le S, comme le prouvent deux coupes méridiennes menées de part et d’autre de Soria. À l’E, les ondulations SE-NW sont encore vigoureuses au droit de Bliecos, où les conglomérats ont un pendage de 20° à N 220. Elles s’éteignent par une ultime flexure sous le Cerro de San Cristobal. On le voit à l’W de cette haute butte. Les dépôts anté-miocènes, suivis depuis Sauquillo de Bonices, n’ont plus qu’un pendage doux et régulier de 5° à N 220 jusqu’à Morón de Almazán. Il n’est alors plus possible d’observer une discordance, alors que nous montons dans les séries, y compris dans le Néogène. La preuve en est que l’on arrive, toujours en poursuivant vers le SSW, à la muela de calcaires blancs de Hontalbilla (fig. 9). À l’W, la coupe naturelle du río Izana montre aussi l’amortissement très rapide des plis sous le Miocène moyen. Au S de Quintana Redonda, dans la tranchée de route du bois des Muñecas (km 19), des sables légèrement grésifiés ont un pendage de 20° à N 180. À Tardelcuende, il n’y a plus qu’un léger pendage vers le S, de moins de 5°. Au S du Duero, les grès vacuolaires font place à des argiles rouges riches en carbonates, avec des intercalations progressives de calcaires blancs à Cobertelada, puis aux carbonates clairs.

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Fig. 9 : La concordance progressive dans le bassin de Soria-Almazán

25Les structures du bassin sorian méridional n’ont donc pas été affectées par la tectonique celtibérique fini-oligocène, qui se cantonne à ses marges septentrionales. L’évolution subsidente paléogène s’est poursuivie au Miocène et l’ombilic, mis en évidence par l’épaisse dalle de calcaires clairs de la Sierra de Hontalbilla, s’est alors localisé très au S. Il est difficile d’évaluer d’éventuelles migrations des points bas entre le Tertiaire ancien et le Néogène. Les couches blanches de Bordalba, qui témoignent sans doute de la position du fond de la cuvette paléogène, sont à peu près sur le parallèle de la Sierra de Hontalbilla, mais les strates anté-miocènes, organisées en un large sillon SE-NW, diminuent d’épaisseur vers l’W. Elles disparaissent sur la transversale du Duero, où les assises datées du Vallésien reposent directement sur le Crétacé. Le sondage de Quintana Redonda, au SW de Soria, confirme cette organisation puisqu’il n’y a plus que 420 m de matériel conglomératique plissé -moins si les couches sont remises à plat-, reposant sur 660 m de roches d’âge secondaire. Il est impossible d’expliquer la faible épaisseur du Paléogène ou son absence par un décapage du matériel supérieur lié à un fort soulèvement différentiel de cette seule zone. Nous admettrons donc une sédimentation moins épaisse, pendant le Tertiaire ancien, au SW des sierras de Cabrejas et de Nafrîa. La présence de Miocène progradant dans cette direction correspond donc à un décalage sud-occidental de l’ombilic, sans doute commandé par l’orogenèse antéagénienne, et peut-être poursuivi ensuite. Ce schéma ne peut naturellement pas être directement transposé sur la bordure du bassin de l’Ebre, où la base du Néogène présente des caractères sensiblement différents.

3. Concordance et discordance en Rioja et en Aragon

A. Concordance des séries datées d’Autol

26La région d’Arnedo (fig. 10), c’est à dire la Basse Rioja, montre mieux qu’ailleurs la nature des rapports entre les séries du piémont. On n’y observe pas de discordance intratertiaire assimilable à celle du bassin de Soria-Almazán, sinon localement au Cascón, sous la Peña Isasa. La situation générale est celle dune boutonnière ouverte sur des grès et pélites d’un rouge orangé intense. Cette série inférieure est épaisse : 400 m sont visibles au S du Cidacos, mais le forage d’Arnedo 1 (Bomer, 1978) montre que sa puissance réelle est au moins kilométrique, témoignant d’une longue et lente subsidence du bassin. Elle repose sur le Jurassique inférieur. Ce dernier trait prouve sa discordance sur les calcaires secondaires, puisqu’ici, la sédimentation mésozoïque a duré jusqu’au Crétacé. Le sommet de la formation gréseuse est congloméradque au bord de la montagne, notamment à l’W de Préjano et bien cimenté par de la calcite rose. Il est recouvert en locale discordance au Cascón, mais ailleurs en concordance, par un conglomérat grossier jaunâtre partout présent autour du brachyanticlinal. Il est facilement observable dans les ravins qui entaillent le versant sud de la crête de Bergasa. À l’W d’Arnedo, le Barranco de Eliguere en fournit une bonne coupe. Il contient des calcaires gris et beige de provenance très locale, mais surtout des grès de couleur variée issus du Weald situé en amont. Certains blocs viennent même de fort loin, puisque sont présents des microconglomérats de type Urbión. Le ciment est sableux et calcitique, avec de petites géodes de calcite rose. Le matériel est localement très tectonisé, avec des pendages identiques à ceux des grès et pétites inférieurs sur lesquels ils reposent. Celle-ci peut aussi être mise en évidence dans la récente tranchée de route ouverte au-dessus d’Arnedo qui prouve le passage graduel des dépôts conglomératiques aux marnes vertes, ocres et roses gypseuses du bassin (km 4 de la N 123). L’âge maximal de ce matériel nous est connu : les gisements de micromammifères d’Autol et de Quel se trouvent dans les premières couches fines concordantes annonçant la fin de l’épisode détritique. Il est agénien (Cuenca, 1985 ; Agustí et al., 1987 a,b), avec une forte population de Pseudodryomys aljaphi, à’Ebromys autolensis et de Rhodanomys schlosseri, plus rarement d’Heteroxerus paulhiacensis et d’Eucricetodon collatus. Ces faunes rendent le gisement d’Autol, calé dans la zone MN 2a (A2 d’Aguilar ou X de Daams), un peu plus vieux (fig. 11) que celui de Cetina. Les conglomérats sont donc aquitaniens, et si leur toit appartient à la base du Miocène, leur mur descend peut-être dans l’Oligocène. La fin de l’accumulation grossière sur le piémont septentrional se termine donc quand commence le colmatage de la vallée méridionale du Henar, après la période de creusement qui y a suivi le dépôt des conglomérats de Deza, mais avant ceux de l’Altroz dEmbid de Ariza. On doit en conclure que les événements "saviques", encore biphasés, sont plus précoces au NE de la chaîne qu’au SE et plus encore, qu’au SW. Cela paraît logique. En effet, la bordure nord-est s’avère fragile depuis le Trias : la présence d’ophites dans le Keuper témoigne d’une distension précoce de la croûte continentale. La compression liée à la rotation anti-horaire de l’Ibérie tertiaire y semble donc plus vite et plus nettement ressentie qu’au S de la chaîne.

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Fig. 10 : Les formations corrélatives de la région d’Arnedo

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Fig. 11 : La position de la tectonique "majeure"

27Les conglomérats rutilants qui couronnent la bordure de la série gréseuse d’Arnedo peuvent à la rigueur s’expliquer par la liquidation d’un manteau d’altération. Mais les accumulations grossières supérieures se terminant au gisement d’Autol ne présentent pas un faciès rubéfié qui évoquerait ce processus. On ne croit guère à la crise climatique -un "climat beaucoup plus froid" évoqué par F. Perez Lorente (1984, p. 111). Elles sont, plus logiquement, l’indication d’une tectonique de la fin de l’Oligocène ou des débuts du Miocène affectant un amont qui s’est mis à fournir de grandes quantités de matériel détritique. Celui-ci provient de l’aire "wealdienne" des Cameros, en raison de la composition pétrographique du matériel grossier, mais le soulèvement initial semble s’être opéré en arrière du front montagneux actuel, Cabí Monteros et crêts de Bergasa, dans la mesure où aucune rupture stratigraphique n’apparaît à Arnedo même, ni entre la formation gréso-pélitique rouge orangé et le matériel surincombant, ni dans celui-ci. Certes, il n’est pas aisé de lire les contacts intraconglomératiques, mais le parallélisme à peu près respecté du mur au toit, d’Arnedillo à Autol, ne laisse pas beaucoup de chances à des discordances intraformationnelles. On peut cependant constater une augmentation d’épaisseur du dépôt et surtout de sa grossièreté au contact méridional avec la montagne gréso-calcaire : ainsi, au Romeral (N de Villarroya) et dans la Sierra de Yerga, on repère des blocs d’une taille considérable au sommet plus qu’à la base, certains atteignant 50 ou 60 cm de long. On imagine donc une orogenèse progressivement accélérée ou rapprochée, si ce n’est les deux à la fois, pendant la durée de l’accumulation. Cela semble confirmé par la flexuration du conglomérat inférieur rutilant, sa dissection et la discordance locale du Cascón. Le moins étonnant n’est pas l’arrêt très brutal de la sédimentation détritique à proximité d’Arnedo, remplacée dès le milieu de l’Aquitanien par un dépôt de calcaires marneux blancs et de gypses, ce que montre bien le revers du crêt conglomératique vers le Barranco del Carretil, au N d’Autol, et mieux encore celui de Valhondo, emprunté par la piste qui monte à l’Alto Nevera. En une trentaine de m, les conglomérats gréseux mal consolidés se chargent de calcaires gris bien roulés pris dans un ciment jaune et passent à une marne gris-vert fossilifère (comparable à Autol), des argiles violacées ou roses puis à un marno-calcaire blanc. On n’envisage pas une réduction quasi instantanée de la montagne qui s’est alors formée pour expliquer cette rupture sédimentaire. D’autres hypothèses doivent donc être formulées, par exemple liées à des modifications du dispositif topographique ou à un arrêt de la tectonique. Mais les environs d’Arnedo, pour intéressants qu’ils soient, ne suffisent pas à éclairer notre analyse de la mise en place des reliefs à la charnière aquitanienne. Il nous faut voir comment évoluent vers l’Aragon les appuis du conglomérat corrélatif de l’orogenèse sur les séries antérieures.

B. Continuité et synchronisme vers l’Aragon ?

28Les grès et pélites inférieurs d’Arnedo disparaissent un moment vers l’E, mais on peut sans difficulté suivre les conglomérats agéniens à blocs énormes dans la Sierra de Yerga, les Navillas de Fitero et de la Muga. Au N de Baños de Fitero (route d’Alfaro), ils reposent indifféremment sur le Trias et le Wealdien séparés par la faille bordière. Cela reste vrai au S du village, à proximité de la route de Valverde, aux Degollados. À Cabretón, le contact entre les Cameros et le bassin est largement couvert par des conglomérats rutilants cimentés équivalant à ceux de Préjano, et par le matériel grossier des Navillas, prolongeant celui de Yerga. Le contact n’est donc discordant qu’avec le Secondaire, et l’accident N-S qui limite le Trias et les calcaires crétacés est ancien. Il était bien effacé lorsque les ultimes conglomérats rutilants et les apports grossiers du même type que ceux situés sous le gisement d’Autol se sont étalés. La subsidence du bassin paraît alors n’être plus suffisante pour localiser les dépôts rutilants qui deviennent aussi moins fins et s’étalent sur le bord des Cameros antérieurement plissés et encore aplanis. Cette situation remet en perspective deux idées que nous avons développées antérieurement. La première est celle d’une vieille surface d’érosion enfouie sous les conglomérats rutilants au pied du Moncayo, qui prolongent ceux de Fitero ; leur position dans l’échelle stratigraphique du 1 : 50 000 géologique de Tarazona est donc à revoir. La deuxième est qu’autour du Yerga le front montagneux ne s’est pas immédiatement dessiné sur son emplacement actuel lors des premiers mouvements "saviques", mais en arrière de celui-ci, par exemple au niveau de la faille du Moncayo qui fragmente SO, alors même que des contacts tectoniques anciens étaient susceptibles de rejouer. Nous ne pouvons être sûrs d’un parfait synchronisme des dépôts entre la Basse-Rioja et cette partie de l’Aragon, mais nous sommes certains, en raison de leur continuité, qu’ils témoignent tous d’un même épisode morphogénétique situé à la base du Miocène.

29Nous avons en effet quelques indications chronologiques complémentaires. Vers l’E, à Monteagudo, un gisement de grands vertébrés contenant notamment Anchiterium aurelianense et Gomphoterium angustidens (Agustí et al., 1987a) est inclus dans une série gypseuse, sous laquelle passent des calcaires grumeleux beiges alternant avec des argiles vertes ou rouge violacé en lits minces. Vers l’W, ce matériel se charge de galets et devient conglomératique vers Los Caldereros, à l’W du lac-réservoir de la Dehesa. Au-delà sont les conglomérats qui arment la Muga. Ceux-ci semblent donc antérieurs au Miocène moyen basai de Monteagudo, rapporté à la zone MN 4a (-18 MA), par les auteurs (Agustí et al., 1987b). La frontière est moins précise qu’à Autol, d’autant que les faunes sont extraites à plusieurs kilomètres des assises grossières. On voit qu’il y a cependant une possibilité pour que l’apport des conglomérats de la Muga ait duré plus longtemps qu’à Arnedo. Mais la borne est supérieure ; la base, elle, n’est pas plus datée qu’à Arnedo et n’affleure plus vers le centre du bassin actuel, au moins sur notre terrain. On a cependant cherché dans les publications ce qu’il pouvait en advenir au N de l’Ebre, où l’érosion a mis au jour des formations plus anciennes.

C. Vers le N, la discordance "de Barbarín"

30Les cartes géologiques (Logroño et Tudela au 1 : 200 000) et les auteurs, B. Bomer (1978) en particulier, estiment que les couches néogènes, avec à leur base des strates encore oligocènes, reposent en discordance majeure sur le matériel inférieur détritique qui pourrait comprendre le Ludien et une partie de l’Oligocène. Dans l’anticlinal de Sorlada (Bomer, 1978), face à Arnedo, les conglomérats du Montejurra, dont le mur se situe entre les villages de Luquín et de Barbarin, ennoient un paléopiémont. Les plus récents des gypses sous-jacents dateraient du Stampien, selon l’estimation de P. Jodot, avancée à partir de l’examen d’une faune de Gastéropodes. B. Bomer écrit donc que « la discordance de Luquín-Barbarín intervient dans la partie supérieure du Stampien à 600 m environ sous le niveau-repère NR 1. Comme la série discordante atteint 900 à 1 000 m d’épaisseur, il est certain que ses niveaux les plus élevés appartiennent déjà à l’Aquitanien ». Plus à l’E, vers Gozopano, la discordance est progressive, mais existe encore et les conglomérats supérieurs sont alimentés par les grès inférieurs très épais. Il n’est pas en notre pouvoir de juger des aspects chronostratigraphiques des exposés, d’autant que la synthèse du Symposium de Mayence consacré au Paléogène, pourtant récente (1987), ne fait aucune référence à cette région navarraise. Mais il est néanmoins intéressant de comparer l’organisation respective des dépôts, au S et au N de l’Ebre.

31Il est net que le bassin de l’Ebre présente un dispositif différent de celui de Soria. Dans ce dernier, nous avions constaté l’existence d’une nette discordance sur le bord méridional des Celtibériques Occidentaux, et d’une concordance progressive vers le SW de la cuenca de Soria. Ici, les couches bordières du fossé tertiaire ne présentent pas, sinon très localement, de discordance étendue correspondant à un épisode tectonique "savique", alors que l’existence de ce dernier est prouvée par les apports de conglomérats. Il est évidemment possible que la discontinuité majeure se trouve en profondeur, sous les conglomérats bordiers de la série d’Arnedo et qu’elle n’ait point encore été mise en évidence par l’érosion. En tout cas, la grosse masse des conglomérats s’est déposée bien plus "à plat" que celle visible sous le piémont pyrénéen, apparemment affectée d’importantes discordances successives racontant une surrection locale régulière. La coupe transversale de la vallée de l’Ebre se signale donc par une discordance progressive vers le N, à partir de nos sierras ibériques. Cette divergence évolutive des piémonts opposés traduit en réalité une même polarité du dispositif stratigraphique, que ce soit dans le bassin de l’Ebre ou dans celui du Duero : discordance au N, concordance au S. La discordance du Cascón a trop peu d’ampleur pour être érigée en fait général ; celle constatée au pied du Moncayo n’altère pas le schéma d’ensemble puisqu’elle se fait, non plus dans le bassin détritique, mais sur une surface d’érosion rasant de vieux plis ondulant les calcaires wealdiens. Cette dernière peut constituer un élément d’une forme plane composite préalable à la déformation fini-oligocène ou aquitanienne : cela expliquerait que la forme d’érosion ne se prolonge pas dans les bassins et que seule s’y repère une paléosurface de remblaiement, peut-être entretenue par la subsidence, et difficile à identifier lorsque les débuts de la surrection se sont produits en arrière de la limite de bassin. Cependant, et malgré des différences qui peuvent se comprendre à cause de l’éloignement des zones étudiées -près de 90 km à vol d’oiseau-, la discordance et ses avatars restent le fait structural le plus visible. Cela a valu à l’orogenèse dont elle témoigne le qualificatif de "majeure". Il est donc indispensable de tenter un bilan des volumes acquis aux débuts du Néogène, à l’occasion de cet événement.

III. LES VOLUMES ACQUIS AU DÉBUT DU NÉOGÈNE

1. Peut-on se fonder sur une surface enveloppe ?

A. La déformation de SO en Castille

32Les lambeaux de SO perchés sur les chaînons calcaires externes s’y avèrent fort étroits, trop en tout cas pour analyser leur torsion sous l’effet de la tectonique, et les modalités des déformations locales. Il n’est pas possible d’en inférer l’aspect précis des formes intermédiaires. Le danger d’une reconstitution en pointillés laisse une trop grande part à l’imagination -P. Birot aurait dit à la "géopoésie". On s’en tiendra donc à des descriptions restreintes aux seuls éléments connus. Au SE de Soria, les résidus de SO, par exemple sur la Sierra de la Pica, quoique nets, sont trop peu étendus pour se prêter à l’étude. Entre Soria et les Montes de Cervera, les zones conservées sont plus souvent légèrement concaves, comme la Sierra Llana, le Valdosa, ou la Meseta de San Carazo, que convexes. Sur leur seul témoignage, on est tenté de dire que les déformations ont été peu amples, mais elles correspondent à des zones synclinales plus rigides parce que conservant en leur axe des roches résistantes. Les surfaces nivelant les anticlinaux amincis ont pu se déchirer et s’exhausser de façon plus importante, sans que nous n’en sachions rien. Un argument peut appuyer cette idée : le raccourcissement de SO semble inférieur à celui mesuré dans les sédiments paléogènes. On ne doit pas exagérer non plus l’éjection des anticlinaux : leurs structures nous l’interdisent.

33Nous pouvons donc calculer l’intensité des déformations au niveau des chaînons en nous fondant sur la dénivellation qui existe entre un point de SO et l’aplanissement majeur postérieur situé en contrebas, peu déformé sur le piémont castillan. La valeur obtenue est à la fois minimale -surtout mesurée aux points bas des gondolements-et maximale, car elle intègre d’éventuels rejeux différentiels intramiocènes. Malgré ces restrictions et les correctifs que nous tenterons ensuite d’apporter, les résultats sont un utile indicateur de l’importance des volumes existant pendant le Néogène, puisque c’est à leur détriment que s’est développé le plan d’érosion miocène. D’une manière générale, le déboîtement est modéré sur le parallèle de Soria. Il varie entre 120 m, par exemple à Peñalcazar dans la Sierra de Miñana, et 250 m à la Meseta de San Carazo. Mais point n’est besoin d’aller aux extrêmes géographiques pour observer des écarts notables : ils se rencontrent à peu de distance dans une Sierra Llana assez déformée. La modestie du volume créé se comprend bien ici, car nous sommes à proximité de l’articulation entre le bassin tertiaire et les sierras. Il s’agit, encore maintenant, d’un piémont, certes ancien, plus que de la montagne proprement dite. La présence de cette dernière implique une surrection plus considérable, que nous pouvons peut-être mesurer en nous aidant des lambeaux internes de SO.

B. Y-at-il une SO Interne analysable ?

34On a vu l’étendue réduite des éléments plans presque sommitaux situés à l’intérieur des masses montagneuses. On ne reprendra pas ici la discussion relative à leur calage chronologique, qui nous pousse à en faire l’équivalent de SO, même si aucun dépôt ne vient géologiquement confirmer la datation. Le problème est plutôt de savoir si ces restes sont représentatifs des altitudes maximales atteintes par le plan SO, et si donc ils traduisent bien l’intensité globale du soulèvement. D’autres zones de la montagne auraient pu culminer plus haut, et n’être plus visibles pour cause de destruction ultérieure. Il nous paraît cependant que cette dernière hypothèse est peu solide. Une surface-enveloppe au faîte différemment placé aurait organisé un réseau hydrographique différemment distribué. C’est en effet la première mise en place d’une chaîne qui a, depuis, toujours existé qui a conditionné la répartition initiale des eaux. Dans les Monts Celtibériques, l’inégalité de potentiel régressif, aujourd’hui importante, n’est pas très ancienne -au mieux plioquaternaire- et ne peut laisser penser à des modifications radicales du drainage entre l’Atlantique et la Méditerranée, surtout dans des roches qui peuvent s’avérer très résistantes. Nous avons de plus déjà constaté -les faits sont convergents- que les lambeaux de SO dont nous avons hérité se situent sur la ligne de partage des eaux entre les deux mers. Ils s’y comportent sans doute comme une peau de chagrin ; mais ils sont présents, ce qui nous incite à croire qu’ils indiquent effectivement la valeur maximale de la surrection.

35À l’W, le lambeau de SO du Trigaza (2 030 m) domine de plus de 900 m la surface miocène dans le secteur de Lara de los Infantes. Au centre, dans la Cebollera, la Mesa (2 100 m) se hisse à près de 1 000 m au-dessus de de l’aplanissement néogène castillan. Au S du Moncayo (2 300 m), le déboîtement est de plus de 1 000 m. La déformation totale par rapport au piémont méridional et à la lisière du bassin tertiaire, régulière d’W en E, est de l’ordre du km. Sur la retombée septentrionale, déjà aragonaise, le calcul n’est possible qu’au pied du Moncayo. Il peut être effectué à partir de deux panneaux de SO situés de part et d’autre de la grande faille qui les a décalés, le plus bas étant en partie couvert par le matériel conglomératique néogène. La valeur est supérieure, atteignant de 1 200 à 1 400 m, en raison d’un jeu transversal du bloc affaissé. Celui-ci monte en effet du SE vers le NW, avec une pente qui s’accentue légèrement De Vera à Débanos, le plan d’érosion SO passe de 700 à 900 m en une vingtaine de km à vol d’oiseau. Si cet angle de montée était ensuite constant, la Mesa, située un peu plus de 60 km à l’W de Débanos, devrait se trouver vers 1 800 m, plus bas qu’elle n’est en réalité (2 160 m). Cela prouve que ces valeurs ponctuelles sont indicatives. La surface SO n’était ni parfaitement plane, ni parfaitement horizontale et nous sommes sûrs qu’elle était dominée par des reliefs résiduels. Néanmoins, ces chiffres s’inscrivent dans un ensemble de données qui ne présentent pas d’aberrations majeures pouvant faire douter de leur signification : la déformation différentielle de SO, de l’immédiat piémont aux sommets, est de l’ordre du kilomètre. Le bilan des déformations est pourtant incomplet, puisqu’il ne prend pas en compte la subsidence des bassins. Or elle a contribué à définir l’ampleur des volumes créés, en particulier du côté de la gouttière de l’Ebre, très sujette à la subsidence. Le piémont nord du Moncayo, que nous venons d’évoquer, est un cas peu typique de la situation qui prévaut dans le bassin de l’Ebre et ne nous exonère pas d’un examen plus détaillé.

2. Leçons tirées de l’épaisseur des dépôts ultérieurs

A. Une puissance modérée en Castille

36Si nous ne considérons plus les épaisses accumulations paléogènes fines, mais seulement les ultimes dépôts détritiques et le Miocène authentifié par les faunes, on constate que ces dépôts représentent en volume une tranche assez limitée de la sédimentation castillane, au moins dans cette région. À l’E du bassin de Soria, les conglomérats de Deza (300 m) représentent l’essentiel du remblaiement et le Miocène moitié moins, malgré le gisement agénien de Cetina. Mais en raison des processus d’érosion intermédiaires, ils n’y sont pas strictement superposés, et leur plancher reste assez élevé. Au pied des sierras de Cabrejas et de Nafría, les paléoformes plissées du substratum crétacé sont visibles jusqu’au Burgo de Osma et même au niveau du Duero. L’épaisseur du Néogène ne dépasse pas 200 m. Celle-ci n’est plus conséquente que sous la Sierra de Hontalbilla, alors en position d’ombilic, où elle atteint 250 m. Ici, nous n’ajouterons donc pas grandchose, au mieux 250 m, au millier de mètres de déformation totale de la Sierra Cebollera calculée à partir de son piémont immédiat sorian. Plus à l’W, la puissance du Miocène est croissante, même si elle reste limitée sur notre terrain à des valeurs de 100 à 220 m (notices des 1 : 50 000 géologiques Santo Domingo de Silos et Salas ; Garcia del Cura, 1974, 1976). Mais on s’éloigne trop du domaine celtibérique pour que cela puisse être intégré à notre propos. Le bilan global de la surrection différentielle des Celtibériques occidentaux par rapport à la proche Meseta ne doit pas dépasser des valeurs approchant les 1 200 m. Encore une fois, il faut accepter l’idée d’écarts, ici majorés par les incertitudes concernant la position de SO dans les bassins

37Cette estimation semble raisonnable si l’on fait le rapport de ce qui s’est accumulé dans le haut-bassin du Duero, presque fermé, et de la tranche de roches qu’il est possible d’enlever à la montagne, de la surface-enveloppe SO au plan d’érosion inscrit en contrebas. Les sédiments concernés couvrent environ 4 300 km2, de la montagne à l’ombilic de la Sierra de Hontalbilla. Les amonts montagnards, en y intégrant les zones aplanies, représentent aux alentours de 3 400 km2. Pour une épaisseur moyenne de 250 m sédimentée et un coefficient de réduction du foisonnement de 0.80 (la roche de départ, détritique, est légèrement moins dense que d’ordinaire), il suffit d’arracher 252 m aux versants du plan SO déformé. Naturellement, l’érosion n’a pas agi également partout, puisque des lambeaux de SO existent. Pour essayer d’apprécier ce qui a été enlevé, on a calculé sur un même transect, à intervalles serrés, la différence d’altitude entre les formes situées sur et au-dessus du plan miocène et une SO en pente régulière, évidemment théorique, mais ancrée sur les repères connus dans les paysages. Le travail est ici facilité par la forme homogène des grands versants descendant vers le bassin. La moyenne trouvée a été de 248 m. La cohérence est surprenante et procède en partie du hasard. Elle semble néanmoins confirmer ce que nous écrivions de la déformation totale à prendre en compte sur cette façade celtibérique. Nous voudrions être bien compris : il s’agit d’une approximation fondée sur un dessin préalable de la surface-enveloppe, et non d’un calcul précis. La méthode, pour empirique qu’elle soit, a pourtant une certaine valeur, malgré la - trop ? - bonne corrélation résultante. En lui donnant des formes extrêmes, on peut faire varier la moyenne obtenue. Mais on pense, en raison de la structure, qu’elle n’a pu s’élever brusquement pour atteindre son altitude maximale au droit des lambeaux rasant les chaînons périphériques, pas plus qu’elle n’a eu une forme creuse, tangente à tous les points hauts des formes actuelles. Par contre, sur la façade du bassin de l’Ebre, on peut se trouver confronté à de brusques ruptures de SO.

B. De plus grandes épaisseurs vers l’Ebre

38La puissance des sédiments miocènes de l’Ebre est supérieure à celle mesurée en Castille : il suffit de regarder la haute muela de Borja pour s’en convaincre. Cela veut dire que la déformation différentielle y a été plus marquée. La première difficulté est de savoir où se trouve la base de la série miocène. On peut admettre, sur la base de ce que nous observons au pied du Moncayo, qu’elle est constituée par les conglomérats rutilants qui y ennoient le plan d’érosion SO en position basse. Peut-être sont-ils en partie oligocènes ; la question n’est pas ici un découpage stratigraphique, mais l’évaluation globale du relief alors mis en place : on les ajoutera donc au Miocène attesté à partir de l’Aquitanien par les faunes d’Autol ou de Tudela, là où leur limite inférieure n’est pas visible. Leur épaisseur (350 m) peut être localement calculée à Viguera, dans la vallée de l’Iregua, puisque la base probable de la masse consolidée, près du village (714 m), est remontée par le diapir qui fournit les carrières de gypse plâtrier. Mais nous sommes là dans une zone de fort pendage -25° à N 330- qui ne correspond pas à l’altitude minimale de leur plancher, qu’il faut aller chercher dans le bassin. En les suivant jusqu’au débouché des ríos sur la dépression, on peut donc juger partiellement de l’abaissement de la base de ce matériel grossier cohérent et donc du volume créé différentiellement. Plus à l’W, au pied de la Demanda, le mur des conglomérats rutilants n’affleure plus, et nous ne nous risquerons pas à un calcul.

39Sous l’escarpement montagneux, à Nalda par exemple, lorsque le pendage des strates tertiaires se rapproche de l’horizontale, la dénivellation avec une SO perchée à 2 100 m est de 1 600 m. Ce chiffre est du même ordre de grandeur que celui relevé dans le secteur du Moncayo. À Logroño (400 m), le fond de la dépression actuelle n’est sans doute guère éloigné du plancher des formations de nos conglomérats rutilants s’il ne s’épaississent pas -mais rien dans le matériel fin nous pousse à croire le contraire-, et se trouve à peu près sur l’axe du fossé. La déformation atteindrait ici sa plus forte valeur avec quelque 1 700 ou 1 800 m ; elle s’avère presque de moitié plus vive qu’en Castille. Les rejeux mio-plio-quaternaires sont compris dans cette analyse, et nous tenterons ensuite d’en faire la part. En réalisant le même calcul que précédemment, avec l’épaisseur maximale des sédiments miocènes (850 m), un coefficient de réduction de 0.80 et une surface de bassin limitée à l’axe des muelas (2 800 km2), on obtient une tranche à éroder sur les sierras (4 500 km2) de 423 m en moyenne. Cette quantification appelle une comparaison avec celle réalisée autrefois par B. Bomer (1978, p. 195). Il estimait à 2 570 m la masse montagneuse érodée pendant l’Oligocène et le Miocène sur les marges méridionales. Ces résultats pouvaient surprendre car ils cadrent mal avec ce que nous savons de notre secteur. Autour de la Demanda par exemple, les dépôts secondaires ne dépassent pas 1 600 m d’épaisseur et il y a de grandes chances que celle-ci ait été inférieure sur la sierra. Or le Trias est conservé un peu partout, jusqu’aux Peñas de Oro au S de Tobia, vers 1 500 m d’altitude. On voit donc mal comment l’érosion oligo-miocène a pu, ici, emporter 2 570 m de roches sans en faire disparaître toute trace, sauf à supposer qu’il y avait un puissant Eocène surincombant, ce qui semble difficile à admettre quand on considère la paléogéographie de cette série (Dercourt et al., 1985). B. Bomer a d’ailleurs reconsidéré depuis ses calculs. Il est certain que le volume du Paléogène contenu dans la fosse de l’Ebre est important, et plus encore selon les conceptions de J. Guimerà et al. (1990), qui le font passer sous la Demanda en un biseau de 30 km de flèche. Mais il ne nous semble pas possible de l’emprunter massivement à nos montagnes. L’orogène "majeur" est nécessairement assez modeste, surtout lorsqu’il faut défalquer les mouvements postérieurs pour l’apprécier, enfin, à sa juste mesure.

3. Un orogène "majeur" assez modeste

A. La soustraction des orogenèses ultérieures

40Nous ne chercherons pas ici à traiter de leur rythme ou de leur modalité, pas plus que nous n’avons fait d’analyse complète des strates miocènes. Il s’agit seulement de les soustraire aux valeurs globales obtenues jusqu’ici. L’examen se fonde sur l’existence d’éventuelles discordances intraformationnelles ou de déformations du matériel néogène. L’état des topographies -surfaces d’aplanissement ou de remblaiement-nous a également servi. Il est naturellement délicat d’identifier des déformations amont-aval, sinon en cas de contrepente, puisque les surfaces ont une pente initiale. Mais les torsions transverses sont moins ambiguës. Tout cela permet d’éliminer du bilan "savique" les mouvements différentiels localisés, à petit ou moyen rayon de courbure, mais laisse subsister un doute quant à l’impact des événements épeirogéniques, dont la perception est plus aléatoire. Ils participent en effet à la définition des volumes, ne serait-ce dans notre cas qu’en permettant le dégagement des noyaux résistants, sans laisser des marques sûres dans les structures.

41En Castille, le calme de l’accumulation néogène post-conglomératique, l’aspect tendu et plan des formes quaternaires ne nous incitent pas à soustraire grand-chose à notre estimation première. Les structures nous prouvent que le rameau sud-oriental de Cetina est une branche de la montagne pratiquement morte dès l’Aquitanien. Près de Soria et dans le haut-bassin du Duero, on peut néanmoins voir la tectonisation du conglomérat à blocs. On enregistre aussi, en planimétrant la surface miocène, des déformations plus récentes. Mais ces phénomènes n’impliquent que des déboîtements limités, et n’expriment pas un abaissement global du bassin par rapport à la montagne. Us n’autorisent donc pas à conclure à une exagération des paramètres de l’orogène "majeur" et le millier de mètres de dénivellation de la base des sédiments miocènes à la SO intramontagnarde lui sont presque tout entier imputables.

42Il n’en va pas de même sur la retombée du bassin de l’Ebre. Certes, près du Jalón, les conglomérats discordants de Calatorao restent peu plissés. Ceux du piémont septentrional du Moncayo sont assez peu bousculés, et les rejeux locaux s’avèrent en apparence faibles. Il faut cependant observer une certaine prudence, car la tectonique s’y caractérise par un jeu vertical de blocs rigides qui peuvent coulisser sans subir de grandes torsions et les muelas de Borja et de Tierga ont manifestement subi des contraintes postérieures à la sédimentation des couches sommitales. Leur modération nous pousse sans doute à attribuer une part importante de la surrection à la phase "savique". Mais nous avons vu aussi, plus au NW, le conglomérat grossier jaunâtre d’Autol déformé en brachyanticlinal. Son bord nord est marqué par une forte flexure, très bien mise en évidence par la tranchée de la route d’Arnedo à Calahorra. C’est elle qui remonte le plancher des conglomérats au-dessus de la dépression. Près d’Arnedo, au contact du bassin où les strates perdent leur pendage, le toit est à 600 m d’altitude et la base doit donc se situer à 300 m. Au plus haut, sous le Romeral, au S de Villarroya, ou la Peña Isasa, elle se trouve, à nouveau subhorizontale, à près de 800 m. La flexure post-"savique" est ici de l’ordre de 500 m. Au S de Logroño, elle existe encore, entre Nalda, Viguera et le Castillo de Viguera, et se mesure à la base des conglomérats rutilants. Au bord de la dépression de l’Ebre, le mur est à 500 m. Sous le Castillo, il se hisse à près de 800 m, par l’intermédiaire de la flexure de Viguera que nous avons évoquée plus haut. Il faut donc diminuer de quelque 300 m la tectonique totale -aux alentours de 1 600 m- estimée au droit de Nalda et ramener à un peu moins d’1.5 km la part "savique" du mouvement différentiel. Plus à l’W, sous la Demanda, le calcul devient impossible, faute de faits de terrain solides. Les différentes parties de la chaîne semblent avoir connu des sorts point trop éloignés, mais toutefois divers. Il est enfin possible d’établir un solde de tout compte.

B. Essai de bilan et constat de dissymétries

43Etablir un bilan reste un exercice fort délicat parce qu’il est fondé sur un nombre et surtout des types de données restreints. Les héritages structuraux sont plus nombreux qu’il n’y paraît au premier abord. Sans même parler des effets des mouvements hercyniens qui plissent le socle, d’autres accidents sont intervenus avant la mise en place des reliefs que nous avons sous les yeux aujourd’hui. Le Paléogène n’est pas exempt de mouvements induits par la mobilité pyrénéenne ; ils déforment le matériel secondaire avant que ne commence la surrection principale. La compréhension de l’orogenèse "savique" est donc entravée par l’existence de cette charpente préalable, parce qu’il est n’est pas facile de distinguer ce qui revient à chaque phase. Les dépôts miocènes syn- et post-tectoniques, corrélatifs du mouvement puis de la dégradation des volumes acquis, ne sont pas toujours bien connus. Nous avons maintenant des éléments de datation en principe précis -aquitaniens moyen à supérieur- à Cetina ou à Autol, mais il serait souhaitable de fixer mieux que nous ne l’avons fait l’âge de leur base, celle des conglomérats rutilants d’Arnedo. Les sondages et la sismique-réflexion ne donnent que des renseignements lacunaires. Enfin, l’impact de l’épeirogenèse est a priori mal cerné. Voilà pour le passif du bilan.

44Il nous semble néanmoins que les actifs sont loin d’être négligeables. Il est maintenant certain que la part des reliefs qui revient à la tectonique différentielle a été majoritairement acquise au tout début du Néogène, mais que les volumes sont restés relativement modestes. Majeure, dans nos sierras, n’a pas pour signification unique, notamment sur la bordure du bassin de l’Ebre : en Rioja, le dévers "savique" ne représente que les deux-tiers environ de la déformation totale. Majeure, ici, ne veut pas dire non plus considérable et ne doit pas être compris comme le comparatif de supériorité de grand, sens pourtant admis au dictionnaire : le soulèvement kilométrique par rapport à la Castille l’interdit Les chiffres rappellent que la mise en place des reliefs n’a pas été uniforme, ni dans le temps, ni dans l’espace. Dans l’E, et jusqu’aux Cameros orientaux, la zone d’abord soulevée paraît éloignée, tant de la bordure de Deza, ensuite stérilisée, que de celle d’Arnedo. On pense donc que l’axe du Moncayo est la zone en voie de surrection tandis que son piémont nord reste affaissé. Celui-ci s’élève néanmoins transversalement vers les Cameros centraux -qui alimentent en partie le secteur d’Arnedo encore peu mobile- et, plus à l’W, vers l’Urbión et la Demanda. La situation y est différente, car une région plus vaste est soulevée et les débuts de la tectonique sont peut-être plus tardifs. Les lambeaux de SO de la Mesa et du Trigaza, vers lesquels montent assez lentement les pentes castillanes, dominent de peu vers le N une série de crêtes qui demeurent longtemps fort élevées et presque dans un même plan en longue descente vers le N. Les panneaux de SO, aujourd’hui disséqués, devaient donc se trouver longtemps en position haute. Cette idée est renforcée par le fait que les conglomérats rutilants de Clavijo, près de l’Iregua, ennoient des calcaires secondaires déjà fortement redressés. Il faut toutefois penser qu’une part des dénivelées est postphase "majeure" sur cette retombée septentrionale. L’altitude de la partie nord de cette zone de la sierra traduit aussi un mouvement différentiel plus tardif, par exemple un affaissement du bassin expliquant l’aspect de la bordure, plus vigoureuse qu’en Castille. La dissymétrie initiale n’était pas celle de la réunion en un faîte tectonique situé près de l’Ebre d’un flanc court et d’un long : le schéma classique des montagnes-blocs bâties dans des socles indurés -comme le Massif Central- n’est pas ici de mise, ce que confirme l’examen des réseaux hydrographiques. L’essentiel des produits de destruction de la montagne a d’ailleurs été dirigé vers l’Ebre. De plus la chaîne n’est pas monobloc, puisque la faille du Moncayo introduit des dissymétries transversales entre ses différentes parties, chacune douée d’un comportement original. Enfin, le contraste N-S des dénivellations est faible, lorsque s’achève cette phase "savique", puisque les déformations, corrigées de leurs variations ultérieures, sont presque équivalentes de part et d’autre. Mais les Monts Celtibériques Occidentaux sont déjà un lourd et large bourrelet enveloppé par une SO montant régulièrement d’une zone déjà passive qui est maintenant la Meseta, et retombant sur un fossé activement subsident.

CONCLUSION

45L’acquisition des volumes des Monts Ibériques Occidentaux résulte donc de déformations différentielles largement imputables à l’orogène "savique", selon l’expression consacrée, même si la réalité est chronologiquement moins étroite. Il y a néanmoins un avant, comme il y aura un après. Certes, la plupart des épisodes de cette vie antérieure n’a pas d’expression morphologique directe. Mais les traces en sont nombreuses, qui jouent un rôle parfois décisif dans la préparation du cadre structural exploité par la tectonique "savique". Ce sont des plis liés aux mouvements pyrénéens, dont les voûtes amincies ont pu localiser les contraintes exercées par la phase majeure. Ce sont les épais dépôts du bassin de Soria. C’est surtout la vaste surface d’aplanissement SO, qui s’étendait sur le piémont mais aussi sur la montagne actuels. Les lanières de la SO sont un témoignage lacunaire sans doute, mais irremplaçable de ce qu’était la région au moment des premières déformations "saviques" : une zone de molles topographies substituées aux plis pyrénéens détruits et ne fournissant plus que des alluvions calcaires fines et pâles au bassin de Soria. Ensuite intervient la création des volumes, dont le témoin le plus caractéristique se trouve être, selon les géologues, la discordance oligo-miocène. Le réexamen et les enseignements de cette coupure "classique" causent à vrai dire quelques surprises. On ne saurait douter de sa réalité sur les bords de la Sierra de Cetina, que ce soit à Villalengua, dans le bassin de Calatayud, ou à Cetina et Deza, dans celui de Soria. Mais elle est postérieure aux conglomérats de Deza qui signalent le début des mouvements, et se perd graduellement vers le SW, vers l’ombilic du bassin. La discordance résulte de la destruction des voûtes des plis nés de la compression bordière, avant que ne se produise le remblaiement des paléotopographies entamé à l’Aquitanien supérieur. Le long de la bordure méridionale du bassin de l’Ebre, nous n’avons pas mis en évidence, sinon localement, la discordance du Néogène sur le Paléogène. Elle est pourtant connue au N du fleuve en raison de conditions géodynamiques différentes. Dans notre domaine et pour un temps, les bordures ont été calmes, servant d’abord de plan d’accumulation aux produits grossiers issus de la montagne en cours de soulèvement On peut donc concevoir une discordance sur les zones arasées ou le bord du bourrelet déformé et une concordance dans les secteurs de sédimentation, encore peu dérangés par la tectonique. La situation n’est guère propice à l’élaboration de cas d’école et les phénomènes mis en évidence sont d’abord morphologiques. Le dépôt du matériel grossier finit à Autol à l’Aquitanien moyen, ce qui nous indique bien, confirmant les données de Cetina, l’âge miocène inférieur de la déformation principale. La chronologie de la phase tectonique est cependant imparfaite en raison de notre ignorance de sa borne inférieure. Nous ne savons dater, ni les conglomérats de Deza, ni ceux, rutilants, d’Arnedo. Le bilan des mouvements différentiels est maintenant assez bien cerné. La chaîne en formation n’est qu’une moyenne montagne. À la fin de l’Aquitanien, elle ne dépasse probablement pas les 1 200 à 1 300 m de dénivelée et sa dissymétrie N-S paraît moins nette qu’aujourd’hui. Il existe cependant des disparités SE-NW, sans doute favorisées par le jeu des blocs autour de la faille du Moncayo. Le caractère hybride de la chaîne en formation fait beaucoup pour son originalité, qui se renforcera au cours du temps. Les formes lourdes, l’altitude modérée, la rapprochent d’un massif en roches anciennes né des contrecoups de l’activité orogénétique d’une chaîne voisine. Le matériel qui l’arme, la relative souplesse de sa mise en place sont des traits plutôt alpins. La remise en vigueur de vieilles structures sur ses franges méridionales lui donnent de francs airs appalachiens. Ni Massif Central, ni Alpes, elle occupe une place peu banale dans la typologie des reliefs, d’autant que son âge vénérable la classe parmi les plus vieilles formes en Europe. Dans ce chapitre, nous avons abordé l’histoire des débuts du remblaiement miocène, et des accidents qui l’affectent avec l’intention de mieux comprendre ce moment crucial où les sierras celtibériques que nous connaissons s’élèvent pour la première fois. Le moment est maintenant venu de mieux appréhender comment se déroule ce processus miocène qui ennoie le pied des sierras, malgré les mouvements différentiels qui achèvent la mise en place des structures des Monts Celtibériques Occidentaux.


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