Chapitre V. Retards narbonnais lenteurs et hésitations du redémarrage
p. 251-325
Texte intégral
11450 - 1460 est un moment crucial pour Narbonne. Ce n’est pas seulement, en effet, le moment où sa population, comme à peu près partout dans le royaume, atteint son niveau le plus bas. C’est aussi un point de rupture, la fin du système médiéval, d’une histoire méditerranéenne, d’une production, de réseaux de relations proches avec la campagne ou plus lointains, d’une société urbaine.
2Aussi, n’était-ce pas le retour de la croissance, l’augmentation du nombre des hommes et la reprise des échanges, une simple récupération, qui suffiraient à rétablir sa situation. Il fallait reconstruire, relancer les anciennes activités ou en implanter de nouvelles, retisser des liens afin de recomposer un espace autour de soi. Retrouver une société qui coïncide aussi parfaitement avec tout ce qui faisait la ville à la maturité du Moyen Âge, ce qui explique sa prospérité, serait difficile et long. La rupture était-elle bien consommée d’ailleurs ? Pas encore. Narbonne, à certains égards, achève son processus de déclin alors que souffle le vent du renouveau et rien ne paraît lui être favorable de quelque côté que l’on se tourne. Au sud, l’heure de la Catalogne, qui connaît de graves déchirements, est passée ; à l’ouest, l’essor pastelier toulousain se tourne d’abord vers l’Atlantique ; à l’est, l’ère lyonnaise commence, Marseille entre dans le royaume, l’axe rhodanien capte à son profit les nouveaux courants d’échanges. La monarchie qui a désormais les mains libres et s’est dégagée du long conflit avec les Anglais, s’intéresse au sud, aux péninsules méditerranéennes, redécouvre Narbonne, la ville la plus méridionale du royaume, et sa position. Être en première ligne au cours d’une longue confrontation entre États attire l’attention sur soi et des avantages momentanés. Ce n’est pas forcément, avec les alertes, les incertitudes, les interventions de tous ordres que cela suppose, la meilleure situation pour favoriser un développement économique et retrouver un équilibre.
3La seconde moitié du xve s. est traversée de courants contradictoires. On ne sera pas étonné que Narbonne renoue avec la croissance lentement, que le contraste soit grand entre la ville et les campagnes voisines. Elle ne reste pas à l’écart cependant. Les barques retrouvent le chemin du port, bien modestement d’abord. La consolidation se dessine insensiblement, ouvre la voie à un nouveau cycle de croissance urbaine. Au cours de la seconde moitié du xvie s., dans une conjoncture difficile, Narbonne connaît un premier épanouissement. Port à nouveau attractif, centre d’un réseau reconstitué de relations complexes, elle est même en passe d’attirer des fonctions nouvelles. Mais le siècle s’achève sans que ces virtualités se concrétisent. Le rétablissement narbonnais débouche-t-il donc sur un échec ? Ce sont les fondements, les caractères et les faiblesses de cette renaissance qu’il faut analyser.
A / NARBONNE RENOUE AVEC LA MER
4Vers 1460, tout semble perdu pour Narbonne. Son port reste à peu près désert alors que les signes de reprise économique et du trafic maritime se précisent ailleurs. Barcelone et le Principat, par exemple, sortent de la crise qui les avait très durement touchés entre 1430 et 1450. Les chantiers navals s’animent à nouveau, une réforme assainit la situation monétaire1.
5Narbonne que tant de liens unissent au centre catalan, ne serait-ce que par sa demande qui conditionne une partie importante de ses exportations, reste sans réaction. Le produit du robinage demeure aussi désespérément bas. On ne voit d’initiative capable de relancer le commerce venir d’aucun côté. Cette situation difficile ne lui est pas particulière. Les villes de la frange côtière du Languedoc paraissent en aussi mauvaise posture. Les instructions et mémoires qu’emporte Michel Teinturier, envoyé par Montpellier auprès du roi en 1460, dressent un tableau catastrophique de la ville. Celle-ci est dans un état lamentable : les murailles sont démolies, le pont Juvénal sur le Lez menace ruine. Une série de mortalités en 1450, 1456, 1459, 1460 aurait fait plus de 10 000 morts. Le commerce est au plus mal. De nombreux marchands ne trouvent pas à emprunter et ont fermé boutique. Les galées pourrissent au port car elles ne peuvent sortir à cause de la guerre de Naples. Quant à l’approvisionnement de la ville en grains, il n’est guère meilleur. On craint la pénurie. Le Velay, le Gévaudan, l’Auvergne, les régions de l’arrière-pays subissent de mauvaises récoltes et ne peuvent rien fournir ; les possibilités d’obtenir un complément à l’extérieur sont très aléatoires à cause de la guerre en Catalogne2.
6Il ne s’agissait pas simplement pour Narbonne de relancer des trafics devenus languissants mais bien de jeter les bases d’un nouveau système de production et d’échanges capable de remplacer celui qui venait de s’effondrer au cours de la première moitié du siècle. La tâche n’était pas simple. Il eût fallu, là, une vraie capacité d’innovation car les moyens grâce auxquels Narbonne avait fondé son essor aux xiiie et xive s. étaient très classiques : mêmes produits d’exportation et d’importation, mêmes circuits d’échanges, mêmes destinations que toutes les autres cités maritimes des rives du nord-ouest de la Méditerranée. La question est posée dès lors pour Narbonne de rétablir une production urbaine ou contrôlée par la ville qui puisse redevenir une source de commerce.
7Or, des lueurs apparaissent. Insensiblement, le trafic se rétablit. Les échanges demeurent bien modestes au début. Mais la reprise se confirme. Narbonne renaît à la vie maritime. Aussitôt, le produit du robinage, notre meilleur guide, quitte les niveaux quasi-symboliques où il se trouvait depuis 1420. Deux fois au moins, entre 1470 et 1480, il dépasse 200 livres. Les conditions de cette reprise restent encore un peu difficiles à apercevoir à cause de la pauvreté de nos sources qui se limitent pratiquement aux registres de recettes et dépenses de la ville que tenaient les clavaires. Le revenu du robinage n’apparaît pas toujours. Les consuls, très soucieux de se voir confirmer ce droit par la monarchie, ce qui est l’indice d’un intérêt nouveau, lui abandonnent un temps ce qu’il rapporte3. Quelques listes de cargaisons glanées au fil des registres laissent entrevoir sur quoi portent les trafics.
8Un fragment de compte de robinage de 1458 concerne une quinzaine de barques venues dans le port à la belle saison4. Un seul produit figure aux importations, le poisson : 30 à 40 barils de sardines pour 5 barques catalanes, 185 quintaux de tonnines -de thon- apportés par Berthomieu Carpelhe de Sigean. Les sorties sont fournies par du bois et du pastel : 150 rames de galère et 3 cargaisons de pastel de 75, 127, 390 sacs. Un seul transporteur, Fleury Daude, prend en charge ces marchandises. L’année suivante, le trafic s’étend sur une période plus large, de mars au mois de décembre. Une vingtaine de mouvements sont mentionnés5. Aucun ne concerne le pastel. Par contre, 20 carras sont expédiés en 7 chargements. De quoi se composait exactement un carras, littéralement un carré, c’est-à-dire un radeau que l’on conduisait par flottage de la haute vallée de l’Aude jusqu’à Narbonne ? Cela dépendait de la taille du radeau bien sûr6, davantage de la grosseur des principales pièces : gros majouriés -des poutres maîtresses- bastardes, filates, antennes de barques, rames de galères, et de ce qu’elles portaient. Sur les troncs débités et liés entre eux, on pouvait disposer des planches -les postes- comptées par douzaines et demie. Un carras se composait au moins de 6 poutres. Les vingt radeaux partent de Narbonne entre le 27 mars et le 4 juin. Les carrassiers les avaient mis à l’eau et manœuvrés sur l’Aude à la période des hautes eaux provenant de la fonte des neiges qui donnent un débit régulier et sans surprise. Anthony Gayraut, seigneur de Belvianes, procède lui-même à l’expédition de 6 carras, Pierre Acragas de Quillan fait charger 4 carras. Les gens de la haute vallée de l’Aude contrôlent le commerce du bois, de la coupe des arbres au chargement sur les bateaux. Une barque emporte 6 muids de vin en 1459 et 5 autres de froment. Mais ce n’étaient que des embarcations bien modestes : 199 setiers au total. Les importations ? Encore des barils de sardes amenés par des Catalans de La Selve, Palamos, Laussa, mais aussi une charge de riz, un pous de poivre et 00 oranges le 4 décembre. Déjà au xve s. on prisait fort les oranges qu’on achetait -la tradition demeurera jusqu’au début du xxe s.- en prévision des fêtes de la Noël, des saints patrons de la ville qui étaient jours chômés à Narbonne, du nouvel-an ou de carnaval7.
9On peut supposer avec toute vraisemblance que les registres des clavaires ne nous donnent qu’une partie des entrées et sorties du port de Narbonne. Il est impossible cependant de parler encore d’une véritable reprise de la vie maritime autour des berges de la robine et du grau de La Nouvelle. Des signes ne trompent pas. Le trafic, faible, porte sur des quantités limitées, sur quelques marchandises élémentaires : le pastel, le bois, le blé, le vin que Narbonne produit peu ou pas, et n’a pas contribué à élaborer. Ces modestes échanges sont orientés exclusivement vers la Catalogne et assurés en grande partie par les patrons des petits ports catalans.
10On ne sait quasiment rien du commerce narbonnais pendant la décennie 14608. Le port continue-t-il à n’être fréquenté que de loin en loin par de petites embarcations ? On n’a de certitude que sur le trafic du bois qui continue à descendre l’Aude9. Les consuls se préoccupent néanmoins de l’état du port et se transportent sur la côte pour visiter le ‘grau de Narbonne’, le 22 avril 1462. La décennie 1460 n’est pas favorable à Narbonne, ce qui ralentit le redémarrage du commerce maritime. Le rendement des droits perçus par la ville qui lui assuraient des ressources d’habitude très régulières, comme l’ajuda del mazel sur la vente au détail de la viande ou le banderage -le droit de pacage-, fléchit. La recette du banderage s’élève à 314 livres en 1466, à peine les trois quarts d’une année normale et la moitié des bonnes années du demi-siècle précédent.
11Au début des années 1470, les choses changent vraiment enfin. Du mois de juin 1470 au mois de février 1471, 188 bateaux entrent et sortent du port de Narbonne avec des marchandises. De mauvaises récoltes en Catalogne et une pénurie de blé sont la cause de ce brusque afflux de barques vers le grau de La Nouvelle. La situation était pressante. 48 bateaux chargent du froment au mois de juin, 34 en juillet, 20 en août. Le va-et-vient des embarcations se ralentit en automne : 9 barques en septembre, 6 en octobre, 5 en novembre. Il reprend dès novembre à un bon rythme malgré la mauvaise saison : 15 bateaux en décembre, 20 en janvier, 31 en février. Le blé est l’objet presque exclusif du trafic. Six bateaux sur sept n’emportent que des grains. La proportion des embarcations qui viennent sur lest à Narbonne montre encore mieux le caractère inhabituel du trafic de 1470. Quatre sur cinq arrivent à vide. Les inévitables barils de sardes et les oranges constituent presque toute la cargaison de ceux qui portent quelque chose10. Le reste est presque insignifiant : 3 quintaux de thon, une vingtaine de charges de poteries, 4 jarres de térébenthine, 2 quintaux de cire, 3 quintaux de riz, 5 quintaux de raisins secs, quelques centaines de cabas et d’objets en vannerie. Une misère par rapport au nombre de bateaux.
12Aucune grosse embarcation. La flottille qui passe le grau de Narbonne n’est constituée que de modestes caboteurs. 162 bateaux enlèvent 10 522 setiers de blé, 725 setiers d’avoine, 130 d’orge et 90 de farine, soit une moyenne de 70 setiers par bâtiment. Ce chiffre est tout à fait représentatif de la flottille qui fréquente alors le port de Narbonne. 20 barques chargent moins de 20 setiers, 43 de 20 à 49 setiers, 61 de 50 à 99. 38 emportent 100 setiers et plus. 4 seulement dépassent 200 setiers. La plus grosse cargaison est à l’actif de Augustin Rey de Sant-Féliu-de-Guixols qui le 13 juin enlève d’un coup 330 setiers. La médiocrité des volumes transportés à chaque voyage apparaît encore mieux quand on les compare aux cargaisons de la fin du xive s., de la traite du blé de 1390-139111. En moyenne, elles sont inférieures de près de moitié à ce qu’elles étaient un siècle plus tôt -128 setiers. Un bateau sur deux emportait 100 setiers ou davantage contre moins du quart en 1470. On pourrait supposer que cette différence tient aux quantités de grains achetées à Narbonne. Pas du tout. C’est bien la taille des bateaux qui est en cause. Dès qu’un marchand veut expédier plus de 100 ou 150 setiers de blé, il doit faire appel à deux barques. Le 23 juin 1472, Martin Mirande, un marchand de Narbonne, confie 125 setiers à deux patrons de Barcelone, Nicolas Ferré et Jordi Tulhan ; il faut deux bateaux de Barcelone encore pour 256 setiers au nom de Jean Azalbert de Narbonne, le 13 juillet ; deux bateaux de Palamos le 2 février pour 200 setiers ; trois bateaux de Collioure pour 510 setiers au nom de Johan Sort de Barcelone le 2 janvier 1471... La diminution de la taille des navires ne concerne pas uniquement au xve s. les plus grosses unités. La marine des petits transporteurs locaux suit le mouvement et s’adapte à un volume d’échanges considérablement réduit.
13L’évolution de la navigation ne se mesure pas seulement au tonnage. L’identité des transporteurs montre une transformation encore plus profonde, même si le port d’attache des patrons de barque ne nous est connu que dans deux bateaux sur trois (124 sur 188). Tous, sans exception, sont Catalans. Les Barcelonais l’emportent avec 44 cargaisons. Viennent ensuite les patrons de Sant-Féliu-de-Guixols (24), Blanès (13), Palamos (6), Lausa (5), Rosas (4), Cadaquès, Tousse, Castellon, Malgrat, Premia, Palafrugell (1)... Les Roussillonnais cherchent aussi à se ravitailler en blé. Les patrons de Collioure font vingt fois le voyage de Narbonne au cours de l’année et Jean Garranet de Sainte-Marie-la-Mer troque 100 barils de sardes contre 20 setiers de froment et 5 setiers d’avoine. À la fin de décembre, Peyre Parasol paie le droit de robinage pour l’entrée des marchandises qu’il porte de Valence. L’inventaire n’en est malheureusement pas fait. À l’occasion, donc, l’espace des relations dépassait le cadre étroit des côtes catalanes. Aucun bâtiment narbonnais, de Sigean ou de Gruissan, n’est affrété. Le contraste est total avec la fin du siècle précédent et le début du xve s. où les Gruissanais assuraient une part déterminante du trafic à partir de Narbonne. La destination du blé peut expliquer partiellement cet état de fait. Les marchands catalans ne sont pourtant pas seuls à venir faire des déclarations de sorties de marchandises. Les marchands narbonnais expédient en leur nom un quart des grains12. Or ils ne font jamais appel à des barques et des marins du Narbonnais. Jaume Canabier de Gruissan s’adresse à un patron de Collioure pour convoyer 71 setiers de blé.
14Le mouvement des bateaux de 1470-1471 ne doit pas faire conclure à la disparition totale d’une vie maritime en Narbonnais au cours de la première moitié du xve s. Ramon Griffe de Leucate charge à Narbonne 250 setiers de froment en 144913, Fleury Daude fait plusieurs voyages de pastel et de bois en 1458, Jean Alpleron de Pérignan amène à Agde 25 setiers de froment... Cela concerne quelques individus. On ne peut plus parler vraiment d’une marine narbonnaise. La dépression du xve s. a été fatale, en particulier, à la flottille gruissanaise. On a là, probablement, une des raisons de la faible réaction narbonnaise aux premiers signes d’une reprise des trafics maritimes et de la lenteur avec laquelle le port de Narbonne reprend un peu d’animation. Narbonne, sans marine, se trouvait dans une position de dépendance à l’égard de l’extérieur. Situation fort différente du siècle précédent où, au contraire, les barques pour le cabotage, les nefs du grand commerce et les marins du Narbonnais jouaient un rôle important dans le commerce languedocien. Pour l’heure, la pénurie alimentaire en Catalogne amenait un peu dans la précipitation les marchands barcelonais et les patrons de barque à Narbonne, le port le plus proche capable de leur livrer une partie de leurs besoins. C’était l’important. Les effets en seront durables. De cette impulsion extérieure date la reprise du trafic maritime narbonnais. En 1470-1471, le préposé à la perception du droit de robinage encaisse 176 l. 6 s. 9 d. Retenons ce montant et le trafic à quoi il correspond. Nous pourrons imaginer approximativement le mouvement du port en l’absence du détail des cargaisons car les droits sur les marchandises ne varient pas pendant cette période.
15Les échanges se poursuivent à un rythme très soutenu en 1471. Pour la première fois depuis bien longtemps, le droit de robinage fait l’objet d’enchères. Francès et Albert Belshom, deux marchands qui faisaient partie du groupe des dix principaux négociants de la ville, emportent la ferme qui devait courir du premier mars 1471 au dernier jour de février 1472 selon le rythme annuel de l’époque14. Les frères Belshom ne retirent pas de la ferme du robinage autant qu’ils espéraient et s’en plaignent. Le vet de la traite du blé prononcé le dernier jour d’août prohibe toute exportation de blé et leur enlève pendant un semestre le plus clair des droits sur lesquels ils comptaient. Ils déclarent un revenu du droit de robinage de 226 l. 2 s. 6 d. pour les six premiers mois, de mars à août 1471. C’était, pendant ces deux trimestres de printemps et d’été, un quart de plus qu’au cours de toute l’année précédente. À structure égale du trafic, de la taille des bateaux et de leur chargement, cela équivaudrait à 221 bâtiments et à 14 000 setiers de grains. Mais le vet de la traite du blé ne sera pas respecté à la lettre. Un peu de blé sort de Narbonne pendant la seconde moitié de l’année : 433 setiers en trois fois et pour 20 l. de droits de robinage, ce qui équivaut à 1 600 setiers15. Les frères Belshom déclarent encore 49 l. 11 s. 8 d. pour les entrées et sorties du second trimestre16. On connaît, à peu près, le chargement de la quarantaine de bateaux qui paient ces droits. Il est très banal : 1 345 setiers d’avoine17, 433 de froment, 62 d’orge, 622 barils et 180 quintaux de sardes, 50 quintaux de poisson, 32 000 oranges, une vingtaine de boutes d’huile, 3 quintaux de miel, 4 quintaux de panses, 52 charges de pastel, 172 quintaux de salicor, 22 quintaux de fer, 4 quintaux de laine surge, 8 quintaux de savon, 2 quintaux de poix, 8 quintaux 36 livres de cire, du bois -8 charges de fustes et d’ariscles18-, des ustensiles de terre -8 charges-, des cuirs de bœuf, 10 quintaux d’alquifoul, quelques draps enfin. Nos registres des clavaires ne détaillent probablement pas par le menu toutes les marchandises que transportaient les barques. Mais à une ou deux exceptions près, la liste des produits de 1471 correspond à celle de l’année précédente. Les échanges portaient sur un nombre limité d’articles19. La prééminence catalane est encore plus écrasante au cours des six derniers mois du bail des Belshom que précédemment. Une différence cependant : dans ce trafic les Roussillonnais de Collioure et de Perpignan l’emportent sur les marchands barcelonais et les patrons des ports au sud du cap de Creus.
16Le trafic encore peu fourni de cette demie-année, en baisse, est aussi important pour nous que les dizaines de bateaux qui affluent à Narbonne depuis la fin 1469 pour enlever du blé. Francès et Albert Belshom tentaient un peu le sort en pariant qu’aucun frein serait mis aux sorties de grains car la situation frumentaire se tendait dangereusement à Narbonne depuis le milieu de l’année 1469. La ville, de manière à se prémunir, avait même passé des conventions avec des particuliers pour faire des approvisionnements. Malgré deux ou trois années difficiles, Narbonne parvient à trouver 30 000 setiers de grains à exporter, ce qui montre à la fois des excédents de production et, pour transporter ces quantités jusqu’au port, tout un charroi et un commerce terrestre. La fonction de Narbonne port du blé en période de pénurie est consacrée dès la fin du xve s. Dans quelles zones prélevait-on ce surplus de grains ? Pas seulement à l’ouest. L’affermage de la ‘barre de Pontserme’ du côté de Cuxac est passé à 140 l. pour deux ans en 1470, en hausse par rapport aux baux précédents20. Le nord du Narbonnais contribue aux exportations en direction de la Catalogne. Mais lorsque le blé ne peut plus sortir, les barques continuent à venir à Narbonne malgré la situation difficile et les troubles qui agitent alors la Catalogne et tendent à donner au mouvement portuaire un rythme plus soutenu et régulier.
17Le registre du clavaire de 1472 manque. En 1473, le bail du robinage passé pour un an à compter du premier novembre s’élève à 210 livres. Encaissé en régie directe, le robinage produit 141 l. 10 s. du 25 février au premier août. Les deux marchands qui l’afferment l’année suivante versent 237 l. 2 s. 6 d. La recette qui revient à la ville s’élève encore à 186 l. 10 s. en 1478. Il est malaisé d’établir avec certitude, de manière fine, un mouvement conjoncturel car le mode de recouvrement du robinage -bail ou recette au vrai- et la durée des baux sont variables. L’important est qu’au cours de cette décennie 1470, le trafic ait repris et qu’une fois retombée la demande pressante de grains, il se soit maintenu à un niveau satisfaisant. La peste que subit Barcelone en 1476 ne le trouble pas, preuve qu’il est établi solidement maintenant.
18Les quelques bribes notées sur les registres des comptes consulaires à la rubrique du robinage ne donnent pas la composition exacte des cargaisons. Elles sont suffisantes néanmoins pour qu’on puisse discerner les bases sur lesquelles se rétablit une vie maritime autour de Narbonne. En 1473, des barils de sardes et des anchois mais aussi 4 000 arencades, du riz, des panses, de la farine et du froment, 90 quintaux de fer, une banaste de clous, du salicorn, du bois et 52 faiches de cuir de bœuf21. Les cargaisons se diversifient en 1475. Les arencades font une entrée massive et s’imposent aux sardes : 74 barils de sardes contre 10 boutes d’arencades pesant chacune 7 quintaux et contenant 8 à 10 000 harengs. Le blé, le bois, le salicorn, restent en bonne place ainsi que les cuirs de bœuf, de vache ou de cabris22. Les quantités de fer augmentent23. Plus significatif encore est le retour dans les cales des bateaux du pastel, de la roga, du tartas, de l’alun et des tissus24.
19Voici donc, bien minces et fragiles, les témoignages du renouveau maritime narbonnais25. La remontée du droit de robinage est indiscutable. Le sondage sur les cargaisons des navires est par contre très aléatoire. Mais ce sont toujours les mêmes marchandises qui reviennent. Le trafic porte sur un nombre étonnamment réduit de produits. Narbonne importe peu. Plus des trois quarts des bateaux arrivent à vide. Les autres sont rarement pleins. Le poisson salé ou fumé et les oranges ne donnent pas lieu à un mouvement commercial d’importance. Les grains, le blé surtout, car les autres céréales ne jouent d’abord qu’un rôle secondaire, le bois d’œuvre ou destiné à la construction navale - mâts et rames principalement - le pastel, la roga à un moindre degré, le fer, les peaux, les toiles et les draps fournissent au contraire à la sortie les bases d’un trafic régulier. Aucun de ces articles ne constitue vraiment une nouveauté. À des degrés divers, ils figuraient déjà dans les exportations médiévales. Étroitement associés dès que la reprise maritime se confirme aux trois quarts du xve s. ils vont donner sa spécificité au trafic narbonnais et son originalité en Méditerranée occidentale ainsi que, malgré la modestie des quantités échangées dans un premier temps, son importance économique.
20Port placé le plus au nord-ouest de la Méditerranée, Narbonne, par certains côtés, a un trafic qui représente des caractères nordiques, pour ne pas dire atlantiques. Narbonne a toujours été un des seuls points de cette zone qui puisse ravitailler en grains des régions voisines toujours à la limite de l’autosuffisance. On pense aussitôt aux grandes cités maritimes comme Barcelone dès la seconde moitié du xve s., Marseille et la Provence bientôt, dont les besoins excédaient les possibilités de leurs arrière-pays, ce qui les obligea à mettre très tôt en place une politique annonaire, sans compter le rôle de redistribution qu’ils assuraient à l’occasion. Les petits ports catalans qui s’égrènent sur la côte entre le cap de Creus et la capitale du Principat, sont aussi des clients assidus. L’exemple de 1470-1471 le montre parfaitement. Ces ports, Cadaquès en est le prototype, coincés entre le rivage et la montagne dénudée qui retombe à pic et forme une barrière autrement plus contraignante que la mer, sont de véritables îlots. Narbonne constituait le lieu d’approvisionnement le plus proche, le plus sûr et le plus régulier.
21Narbonne, au cours de son histoire, n’eut pas que des avantages à être établie sur les bords de l’Aude. Elle s’épuisa pendant deux siècles et demi à maintenir libre sa communication avec le fleuve. L’Aude présentait cependant un atout économique majeur, bien qu’elle ne soit guère navigable. Son cours n’est pas long, mais elle prend sa source à plus de 2 000 mètres d’altitude dans les Pyrénées proches. C’est un fleuve montagnard qui, une fois quitté le Capcir, plonge vers la plaine par la vallée dont les abords sont boisés d’arbres de haute futaie26. En temps normal, le débit suffit largement jusqu’au mois de juin pour faire descendre les carras formés de grumes, de pièces grossièrement équarries ou même déjà travaillées27. En dehors du Rhône, l’Aude est le seul fleuve aboutissant à la côte du nord-ouest de la Méditerranée à présenter ces caractéristiques.
22Le fer et le pastel sont déjà des produits élaborés qui nécessitent des installations, des techniques de fabrication, des capitaux, et une organisation commerciale complexe. Les zones de production sont plus éloignées encore. Le pastel de l’Albigeois est vite passé entre les mains des marchands toulousains28. À la fin du xve s., ils n’en dominaient pas encore bien le commerce. Une partie du pastel produit en Lauragais s’expédiait vers l’est et passait par Narbonne. Notons pour l’instant que les expéditions de pastel sont inscrites pour moitié au nom des marchands des villes et villages des régions productrices. Est-ce à cause de l’éloignement des zones où l’on récolte le pastel ou bien par insuffisance de moyens financiers car le cycle du pastel nécessite des capitaux importants ? Les Narbonnais ne contrôlent pas bien le commerce du pastel. Le fer arrivait de l’ouest aussi. Des martinets fonctionnaient déjà le long des torrents qui descendaient du plateau de Sault vers les gorges de l’Aude. Mais les plus grosses quantités de fer venaient de la haute Ariège, en amont de Foix29.
23Le blé, le bois, le pastel et le fer, les draps aussi produits dans la Montagne Noire et la région de Mirepoix, dessinent l’aire géographique orientée vers Narbonne. Mais la disproportion entre importations et exportations étonne au premier abord. Marseille ne participe pas à l’introduction de marchandises destinées à Narbonne et à sa région. Cette absence de relations s’explique et rend compte de la direction quasiment exclusive dans un premier temps du trafic vers la Catalogne.
24L’entrée de Marseille dans le royaume, l’essor de Lyon et le monopole de l’introduction des épices qu’elle reçoit, ne changent pas le chemin que celles-ci suivaient depuis la fondation d’Aigues-Mortes et le développement du commerce montpelliérain. Les épices empruntaient la vallée du Jaur, passaient par le col de Fenille et continuaient par Mazamet, Castres... Aux trois quarts du xve s., Narbonne n’est pas encore pour Toulouse la porte de la Méditerranée.
25L’aire d’influence de Narbonne est presque aussi limitée vers la mer que du côté de la terre. Les Catalans paraissent les seuls à fréquenter le port et à y être comme chez eux. Le nom des rues a conservé longtemps le souvenir de cette prééminence des marins, des bateaux et des marchands. La rue qui débouche sur les ‘Barques’ de Cité, entre les îles l’École et Saint-Cosme, s’appelle toujours rue Ancien Port des Catalans. Aucun navire ne vient de l’est. Nos listes ne nous signalent qu’un bateau marseillais. Géronymy Rosso de Marseille passe le grau de La Nouvelle en 1475. Mais il venait simplement au mouillage, sans décharger ou prendre des marchandises car il ne paie qu’un sol de robinage, ce qui était le tarif pour une barque. Il ne faut pas voir dans cette interruption des relations avec Marseille une conséquence directe de son entrée dans le royaume et l’avantage qui lui est aussitôt accordé. Narbonne a cessé tout commerce avec le Levant. Les Marseillais ne s’intéressent encore guère aux marchandises que le port languedocien peut lui offrir. L’alun par exemple est réexporté par Barcelone, non par Marseille.
26La position de Narbonne est quelque peu paradoxale. La voilà qui renaît à la vie maritime grâce aux échanges avec Barcelone et tous les ports qui se nichent le long de la côte jusqu’au Roussillon alors que montent les tensions entre la monarchie française et la péninsule ibérique. De partenaires privilégiés, Narbonnais et Catalans sont-ils voués à devenir adversaires ? C’est une des ambiguïtés de la reprise économique de Narbonne dans cette seconde moitié du xve s. On peut en voir une manifestation dans les courants migratoires. Alors que les Catalans, marins mais aussi marchands, font le voyage de Narbonne, très peu de méridionaux s’y établissent. C’est au contraire à ce moment là que se produit le renversement d’influence au profit du nord. Le courant méridional ne cesse pas. Celui qui vient de l’ouest et du nord commence à l’emporter nettement.
27À l’extrême fin du xve s., le regain du port commence à avoir un effet d’entraînement. Parmi les bateaux et les patrons catalans commencent à se glisser des marins du Narbonnais. En 1475, Jean Rigaut de Gruissan embarque 82 quintaux de fer ; François Quintaine, un autre Gruissanais, charge sur son linh 170 setiers de froment. En 1480, Guillem Puech de Narbonne fait deux voyages d’avoine. Est-ce là l’amorce de la reconstitution d’une marine narbonnaise ? Il est dommage que les notations discontinues mais combien précieuses des registres de taille s’interrompent. Mais c’est en soi une preuve supplémentaire que les trafics n’ont plus rien d’exceptionnel.
28Dernier point à régler : où les bateaux venaient-ils décharger leurs marchandises et prendre livraison de leur cargaison ? Il n’y a pas un débarcadère unique. Ce sera une des caractéristiques de Narbonne jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. Il faut davantage parler, en modérant la portée de l’expression étant donné la modestie des quantités de marchandises manipulées, de complexe portuaire. Celui-ci se modifiera au gré des transformations des étangs et des aménagements faits au cours inférieur de la robine, de l’évolution des trafics, du tonnage moyen des embarcations qui fréquentent le port. Les bateaux chargeaient aux abords du grau. Peu à la fin du xve s. Dans le trafic qu’il nous est donné de voir, les embarcations remontent jusqu’aux ‘barques’, les berges de la robine et les terre-pleins en aval du pont-vieux où elles prenaient livraison du bois qui descendait par l’Aude et du blé30. Mais la petitesse de tous ces bateaux et leur faible tirant d’eau leur permettaient d’accoster ailleurs sur les bords de l’étang, à Capelles notamment où le droit de robinage se prélevait31.
29La médiocrité du trafic narbonnais et les zones d’ombre qui l’entourent font hésiter à le comparer aux autres ports français. Essayons, prudemment, de le situer par rapport au Languedoc, au Midi méditerranéen et aux ports de l’Atlantique. Directement ou indirectement, la guerre avec l’Angleterre qui s’éternise, la guerre civile qui se déchaîne outre-Manche, ainsi que le conflit bourguignon, pèsent lourdement sur les échanges de la façade océanique. L’insuffisance de la production, le mauvais état des installations portuaires, les désordres monétaires, l’insécurité surtout sur mer, à son comble entre 1467 et 1470 au large de la Normandie, persistante près des côtes bretonnes, sont autant de facteurs qui freinent la reprise. Rouen, dont les échanges avec l’Angleterre et les Pays-Bas bourguignons sont déterminants, subit plus rudement le contrecoup de ces aléas. Malgré ces conditions détestables, l’expansion fragile, vite remise en question, est indéniable. Mais il faut attendre 1475 et la trêve de Picquigny pour que la relance des échanges soit vraiment assurée32.
30La côte méditerranéenne restée à l’écart de la guerre n’obéit pas à la même conjoncture, bien qu’elle ne soit pas épargnée elle aussi par la piraterie, car la course musulmane se fait de plus en plus pressante. À Marseille, le redressement serait perceptible dès 1443-144533, beaucoup plus précocement que du côté atlantique. Mais les effets ne se font guère sentir en Languedoc et le port phocéen reste en dehors du royaume. Ce qui caractérise les ports du golfe du Lion en cette seconde moitié du xve s., est l’extrême faiblesse de leur trafic. De quelque côté que l’on regarde on n’aperçoit pas ou peu de bateaux qui viennent du Languedoc, à Barcelone, dans le royaume de Valence comme à Marseille ou sur la côte ligure. Vue de l’extérieur, Aigues-Mortes tire seule son épingle du jeu. Sur 12 navires français qui abordent à Valence en 1488, 5 déclarent Aigues-Mortes comme lieu de provenance34. Agde se place au second rang. Le Languedoc est totalement dépendant des petits ports au nord de Barcelone -Sant-Féliu-de-Guixols, Blanès, Lloret-de-Mar...-, très entreprenants pour l’approvisionnement des produits agricoles exportés par le sud du royaume de Valence. Narbonne paraît ne pas exister.
31Ce qui renforce cette impression est la politique maritime et commerciale menée par Louis XI en Languedoc qui ne s’écarte guère de celle poursuivie depuis Saint Louis. Elle est bien connue. Le but est toujours le même : privilégier un site portuaire, contrôler l’entrée des épices par mer, et par la même occasion renouer avec le Levant35. La compagnie des galées de France de Guillaume de Varye d’abord, Pierre Doriole qui prend le relais à sa mort ensuite, continuent les entreprises de Jacques Cœur sans obtenir le succès escompté malgré le monopole dont ils jouissaient. Michel Gaillard, nouvel acquéreur des galées grâce aux subventions royales, ne fut pas plus heureux. Cela permettait au moins à Aigues-Mortes de se soutenir, même si la conviction manquait. Jean de Village, capitaine général de la compagnie de Varye, s’était installé à Marseille en effet, et l’on hésitait entre ce dernier port, dont on entrevoyait la captation par héritage, et Port-Vendres ou Collioure dans le Roussillon gardé en gage. La prééminence d’Aigues-Mortes reste donc largement artificielle malgré le renforcement de l’axe rhodanien avec le succès des foires de Lyon et la création, bien modeste au départ, des foires de Beaucaire. Dans ces circonstances, et si l’on tient compte de Toulouse dont l’économie pastelière est d’abord orientée vers le sud-ouest, l’Espagne et Bayonne, Narbonne obtient des résultats qui sont loin d’être médiocres. Certes, la table est rase, le port repart de rien, sans moyens, sans marine, ni matelots. Mais la reprise lente n’est pas heurtée. Il s’agit d’une vraie croissance qui s’effectue à partir des ressources locales, témoigne donc pour une zone relativement large du Languedoc, et se hisse à un niveau encourageant. Le frémissement au cours de la décennie 1460 est néanmoins tardif car la guerre n’entrave pas ici le mouvement des bateaux ni les courants d’échanges terrestres comme à l’ouest et au nord-ouest du royaume. Les autres ports languedociens connaissent-ils la même courbe ascendante ? On n’en sait rien malheureusement.
B / DÉCEPTIONS DE LA PRODUCTION
1. La draperie
32Le renouveau de la vie maritime annonçait-il le redressement narbonnais sur d’autres plans ? De quelque côté que l’on se tourne, ce n’est que déception jusqu’en 1490. La draperie s’était maintenue tant bien que mal jusqu’au milieu du siècle. Son déclin s’accélère. On manque de listes exhaustives d’artisans, de chiffres de production, mais à mesure que le siècle s’avance les registres d’imposition signalent de moins en moins d’artisans du textile. Aucun des quartiers de la ville n’est épargné. On peut même, un moment, se demander si la draperie n’est pas en train de disparaître de Narbonne. Bourg connaît à son tour le processus de désindustrialisation que l’on avait entrevu en Cité dans la première moitié du xive s. Le point fort de la draperie narbonnaise, l’apprêt des draps, s’effondre quasiment. En 1480, il n’y a plus qu’une poignée de pareurs en ville. Les quartiers Migean et Aude perdent leurs concentrations de spécialistes. La dispersion des pareurs dans la ville est un critère sans appel qui confirme l’affaiblissement du travail des draps. Entre 1450 et 1480, finit de se défaire une géographie économique et sociale, une organisation de l’espace urbain qui avait été la construction et la marque du Moyen Âge narbonnais.
33On mesure bien ces difficultés dans les compoix de 1490 et 1499. Les patrimoines des artisans qui parviennent à subsister apparaissent comme particulièrement modestes. La moitié d’entre eux possède des biens immobiliers ou fonciers en 1499, les autres sont inscrits seulement pour le moble et le cabal. Autant dire que leur fortune se limite aux outils professionnels. Ceux qui ont quelques biens au soleil disposent de peu de chose. Moins de un hectare pour la moitié d’entre eux. Un seul, Peyre Sanhas, pareur de l’île Peyre Sabatier, s’élève jusqu’à une honnête aisance. Le total de ses terres atteint 9,3 ha. La maison où il habite et dont il est propriétaire n’est pas de grande valeur. Les estimateurs l’évaluent 25 l. On ne lui connaît par ailleurs aucun cabal et la taxe de son moble -25 1.- le situe aux niveaux les plus médiocres. La position des pareurs ne peut plus se comparer avec celle de leurs devanciers du début du siècle. Ils ont perdu leurs effectifs, leur implantation dans la ville, leur patrimoine, leur force, une cohésion comme groupe social qui leur avait permis d’obtenir une place enviable dans les institutions urbaines.
34À l’extrême fin du siècle pourtant, alors que tout semble compromis, se produit un petit sursaut qui empêche la disparition à laquelle semblait promise la draperie. On l’aperçoit à l’œuvre dans les listes des nouveaux habitants de 1486 et 148736. On relève en effet, à côté de deux tailleurs, les noms de trois tisserands et d’un pareur. Quelques individus ne suffisent pas à rétablir l’activité d’une ville. Mais, à travers les qualifications, on a une première indication sur le caractère de la réaction. Les immigrants du textile, jusqu’en 1450, étaient en majorité des pareurs. Maintenant, les tisserands trouvent à s’employer davantage que les spécialistes de l’apprêt des draps. À la fin du siècle, les cardaires et les tisseires constituent la majorité des travailleurs du textile de Narbonne. On assiste donc à une perte de qualification. Les premières opérations de la fabrication des tissus, moins rémunératrices, tendent à prendre le pas sur les dernières, plus techniques et prestigieuses. Autre nouveauté, de taille, dans l’histoire de la géographie des activités urbaines : l’implantation des métiers du textile tend à se modifier. En 1499, 44 % des cardaires, tisseires et paraires sont inscrits dans le terson Lamourguier, traditionnellement le moins orienté vers l’artisanat. Une proportion importante d’entre eux sont des nouveaux venus, tel ce Pedro Fernandos, tisserand de tissus de soie37. La soie ne fait pas partie des savoir-faire narbonnais. La draperie narbonnaise prenait-elle un nouveau départ en migrant dans le quartier où ses positions étaient les plus faibles jusque-là ? Elle retrouvait sa liaison originelle avec le commerce. Mais ce sursaut restait fragile et d’un avenir incertain. Un exemple seulement : l’atelier de teinturerie changeait très souvent de responsable. Jean Salvador, un Perpignanais, le dirigeait en 1490 ; Peyre Pares quelques années plus tard, ce qui n’est pas un signe de solidité.
2. La terre
35Si l’on ouvre maintenant les compoix, l’impression est la même. La seconde moitié du xve s. est particulièrement contrastée, déroutante et paraît se conclure sur une quasi-stabilité. Le nombre des propriétaires fonciers et immobiliers s’élève à 713 en 1499 contre 688 un demi-siècle plus tôt38 (cf. annexe 5.1). 3,6 % de plus, la progression est dérisoire. En réalité, elle est encore inférieure à ce mince avantage car le consulat, les chapitres et les couvents, rabattant de leurs prétentions réciproques, parviennent enfin à un accord en 1492-93 qui termine un long conflit à propos de la participation au paiement des tailles39. Pour la première fois, les chapitres, les couvents et les fondations comme les chapelles ou les œuvres des confréries sont inscrites au compoix. Ce très léger gain d’une vingtaine de propriétaires est néanmoins un premier redressement. Dix ans plus tôt, en 1489-90, on en dénombrait 656, le chiffre le plus bas que nous connaissons à Narbonne en six siècles40. Le déclin s’est donc poursuivi après 1453. Jusqu’à quelle date ? Comparons avec la courbe des contribuables (cf. gr. n° 2). Il n’en restait plus que 644 en 1465, moins que de propriétaires douze ans plus tôt. La remontée qui s’effectue ensuite est largement due à l’accueil de nouveaux habitants qui n’ont pas encore eu le temps d’acquérir des biens en ville. En possédaient-ils tous les moyens et l’intention d’ailleurs ? En 1486, si on enlève des listes les 113 nouveaux habitants, il ne reste plus que 648 contribuables inscrits dans les tersons. Une partie d’entre eux payaient seulement le moble et le cabal. En 1490, ils étaient 57 dans ce cas pour 656 Narbonnais taxés au titre des biens fonciers et immobiliers.
36Entre 1455-1460 et 1490, le nombre des Narbonnais inscrits au compoix terrien est tombé au-dessous de 600. La dépression s’est poursuivie tard, jusqu’au début des années 1480 alors que la courbe des contribuables a inversé son mouvement et recommencé sa remontée. Narbonne se débat encore dans ses difficultés alors qu’un courant d’immigration se dessine, d’autant plus vif dans un premier temps que le décalage entre la reprise qui se confirme partout et la stagnation de Narbonne apparaît grand. La rareté des sources rend difficile l’enquête qui s’imposerait. Les arrivants se maintiennent-ils assez longtemps à Narbonne pour y faire souche ? Insuffisamment semble-t-il, car on ne retrouve que très peu de ces nouveaux habitants sur les listes d’imposition quelques années plus tard ou dans les compoix. Certains, on le verra, parviennent malgré tout à se faire une place enviable en peu de temps.
37Le mouvement de restauration qui marque les 15 dernières années du siècle paraît rapide d’abord. L’augmentation du nombre des possédants se fait à un rythme de 1 % par an41. Depuis 1453, ce sont surtout les détenteurs de biens immobiliers qui ont progressé car on en compte 85 contre 65 - + 30,8 %. À quelques unités près, par contre, si on met à part les communautés ecclésiastiques qui ne figuraient pas sur les compoix précédents, le nombre de propriétaires de terres ne bouge pas. On est loin des vigoureuses progressions signalées partout, des chiffres et des pourcentages tous plus impressionnants les uns que les autres en forme de record. Narbonne serait-elle un îlot de stagnation dans un monde qui bouge ?
38L’immobilité apparente cache d’importantes transformations cependant. Les superficies encadastrées augmentent de manière non négligeable : plus de 598,7 ha - + 18,5 %42. Une dizaine d’hectares ont été gagnés en moyenne chaque année. Ce n’est pas spectaculaire. Narbonne n’a cessé tout au long du xve s. d’élargir l’espace cultivé. La dépression n’est pas forcément synonyme de contraction. Aucune production ne reste à l’écart de cette extension. Les champs gagnent 14,75 %, ce qui est modéré et inférieur à la moyenne. Les plus fortes progressions vont à la vigne et à l’olivier, respectivement +21,2 % et + 47,9 %43. La préoccupation principale autour de Narbonne n’a pas été au cours de ce demi-siècle d’augmenter la production des grains. L’olivier a poursuivi sa résistible ascension. Il couvre maintenant 6,3 % du terroir44. Mais c’est la situation de la vigne, peut-être, qui est la plus étonnante. Sur 980 ha, près de 559, soit 57 %, sont en malheuls ! Le vignoble narbonnais connaît une phase de complète régénération. L’importance de cette reconstitution et son caractère très récent sont soulignés par la précision remarquable du compoix. Les estimateurs signalent soigneusement les malheuls jeunes plantés depuis 2 ou 3 ans. 723 sétérées en portent : 139,5 ha, 14,2 % de la superficie totale en vigne. Ces proportions sont surprenantes. Elles prennent encore davantage de relief lorsqu’on ouvre le compoix de 1489-1490. Pas une page où l’on ne trouve signalés des malheuls, des malheuls jeunes en particulier. 20,5 % des parcelles déclarées portent des malheuls, 6 % de plus sont inscrites comme ‘vignes et malheuls’. Le mouvement de reconstruction du vignoble est largement entamé, déjà, puisqu’un bon cinquième de sa superficie est concerné, sans avoir le caractère fulgurant qu’il prendra ultérieurement. La distinction entre malheul et malheul jove permet de dater les premières plantations de 1484 ou 1485. On peut décrire ainsi, approximativement, les étapes de la rénovation du vignoble narbonnais. Celle-ci débute vers 1485 à un rythme relativement lent d’abord par le remplacement des vieilles souches puis l’extension de parcelles déjà occupées. Le mouvement ne prend vraiment de l’ampleur qu’après 1494-1495, est à son apogée en 1500, se maintient encore une bonne dizaine d’années. À cette date-là, la presque totalité du vignoble aura été remplacée car sont replantées des parcelles déclarées encore vigne quand on procédait à la rédaction du compoix de 1490. On est confondu devant l’ampleur des bouleversements. Le xve s. nous avait habitués à des proportions considérables de malheuls, toujours supérieures à ce qui était nécessaire au renouvellement des ceps vieillissants. Là, il s’agit d’un autre phénomène. On pense aussitôt pour expliquer cette débâcle de la vigne aux terribles années 1480-1483 où les intempéries se succèdent : orages, inondations, froidure accompagnée d’un vent violent qui gèle les cours d’eau, neige... Les vignes n’y résistent pas45. Quelle est l’étendue des dégâts en Narbonnais ? Il nous manque des notations précises pour vérifier l’hypothèse de l’accident climatique46. Pendant 15 ans, les quantités de vin récoltées à Narbonne sont inférieures à celles du milieu du siècle. Il y a encore moins de vignes en pleine production en 1499 que 50 ans auparavant - -13,8 %. Mais la fureur des plantations s’empare de toutes les catégories sociales. Deux tiers des Narbonnais inscrits au compoix, trois quarts de ceux qui ont de la vigne possèdent des malheuls. Les gros propriétaires ne sont pas en reste et plantent au moins autant sinon davantage que les petits. Les hivers rudes de la dernière décennie du siècle, comme 1491 où les oliviers sont gelés, ou 1494, ne découragent pas47. Ceci montre indiscutablement que l’on parie massivement sur la vigne, que derrière cette ardeur à multiplier les plantiers se trouve une décision d’ordre économique. La progression est parfois spectaculaire comparée à 1453. Reprenons nos indices calculés précédemment48. L’augmentation la plus forte se situe entre 1 et 50 ha. On note un léger recul dans la micro-propriété, sans signification étant donné l’omnipotence des ceps au-dessous de 1 ha. Ce qui paraît essentiel est la progression de toutes les catégories au-dessus de ce seuil : + 30 % de 1 à 2,5 ha, + 44,8 % dans la catégorie 5-10 ha, + 23,8 % de 20 à 50 ha. La croissance du vignoble narbonnais s’effectue par un renforcement chez les moyens et les plus gros propriétaires. Évolution capitale qui ne lie plus la vigne et sa progression au destin des groupes les plus modestes.
Graphique n° 4 - La vigne à Narbonne (xive-xviie s.)
La vigne dans le terroir et les types de propriété
(Indice 100 = moyenne 1407-1453-1499)

39Si l’on calcule maintenant ce que représente la vigne dans les superficies en production chaque année, la progression est aussi marquée. Dans un système d’agriculture fondé sur l’assolement il faut, pour raisonner correctement, comparer non pas les hectares de champs, vignes ou olivettes, mais les terres qui portent une récolte : les vignes, donc, mais seulement la moitié des champs49. Voici les résultats par rapport à 1453.
Tableau n° 16 - La vigne à Narbonne (xive-xviie s.)
Évolution selon les types de propriété
(indice 100 = moyenne 1407-1453-1499)

Tableau n° 17 - Proportion de la vigne par rapport à la superficie portant récolte, par types de propriété

40La proportion de la vigne par rapport aux terres cultivées a augmenté. Mais moins qu’on aurait pu le penser. Est-ce une distorsion par rapport à nos résultats précédents ? Pas vraiment.
41La formation des grands domaines a tendance à réduire un peu la place de la vigne. Pendant cette seconde moitié du xve s., les transformations les plus significatives se déroulent en Bourg. Après une régression brutale dans les tènements les plus proches de la ville, on assiste à deux progressions spectaculaires au sud et à l’ouest du terroir. L’offensive des malheuls est la plus vive au sud, dans le secteur du Quatourze : 74,30 % de la superficie sont constitués de jeunes vignes50.
42La vigueur des plantations est si marquée qu’il faudrait expliquer l’unanimité de réaction de la société narbonnaise, cet engouement subit pour la vigne. Les autres secteurs languissent en effet et souffrent d’un manque d’initiatives. Les Narbonnais auraient-ils une perception particulièrement aiguë, prémonitoire du retournement de la conjoncture qui est en train de s’opérer alors ? Les conditions économiques jouent en faveur de la vigne51. Un peu partout, hors du Languedoc et du royaume, l’effort, au moment de la reconstruction, est porté en priorité sur les cultures qui offrent le meilleur profit. Mais la réaction narbonnaise serait d’une précocité remarquable. Car les premiers plants sont mis en terre avant que le redémarrage ne soit nettement affirmé. Le mouvement de plantation accompagne la reprise, il n’en est pas un des premiers effets. Ce qui se passe en Espagne et en Roussillon intéresse davantage les Narbonnais. La découverte de l’Amérique, la restitution du Roussillon à l’Espagne par Charles VIII, sont des événements contemporains de la restauration viticole. Les Narbonnais, aussitôt informés de tout ce qui se passe en Catalogne, ont été parmi les premiers à connaître le succès du voyage de Christophe Colomb. Le retour du Roussillon à l’Espagne avait des répercussions plus immédiates pour Narbonne. Le 8 octobre 1493, les consuls prêtaient serment à titre personnel, et au nom des habitants de la ville devenue place frontière. Aussitôt on s’activait pour concevoir et réaliser une ligne de défense et un réseau de fortifications52 : Narbonne forteresse, c’était la garantie d’avoir une garnison, des soldats en permanence, gouailleurs et indisciplinés mais grands buveurs de vin. Ces perspectives apportent-elles le stimulant qui engage les Narbonnais à remettre en état leur vignoble et à l’augmenter largement ? La fonction nouvelle dévolue à Narbonne convenait parfaitement à un vignoble urbain. La coïncidence des événements est frappante. Notons la, sans être persuadés qu’elle rend compte entièrement de l’enthousiasme viticole. Ce qui est remarquable en Narbonnais -ce caractère se retrouvera- est la mesure dans la progression. L’accroissement du vignoble est obtenu par augmentation des superficies dans les propriétés moyennes et grandes. Mais on ne voit pas, on ne verra jamais en Narbonnais jusqu’à l’époque contemporaine, comme en Italie, en Espagne ou en Provence, une spécialisation ou des hommes d’affaires développer le vignoble. La vigne, à l’orée du xvie s., constitue la principale réaction économique qu’il nous soit donné d’apercevoir. Peut-être, était-ce la plus facile à mettre en œuvre car elle demandait peu de moyens techniques et de capitaux. Cela confirme l’extrême sensibilité à son égard de la société narbonnaise. L’intérêt qu’on lui porte, ou le désintérêt, sont toujours parmi les meilleurs indicateurs de l’ambiance d’une époque.
43Le compoix de 1499, toujours très précis et attentif à traquer toutes les sources de revenus, permet de mieux préciser les conditions techniques de cette viticulture urbaine. Douze propriétaires terriens sont imposés pour treize presses à vendange53. Il y avait donc à Narbonne au début du xvie s., sans tenir compte des presses que pouvaient détenir les particuliers54, un pressoir pour 43 propriétaires environ, ou pour calculer différemment un pressoir pour 75 ha, ce qui avec les rendements que l’on connaît, peut donner une idée du travail à faire par « lo pressayre que an lo govern de las pressas per pressar la vendemia »55. Ces pressayres, tous gros propriétaires, ne devaient pas presser eux-mêmes56. Ces presses étaient dispersées aussi bien en Cité qu’en Bourg, à peu près également dans chaque quartier. À ce moment de la récolte, le pressage se faisait à Narbonne de la même manière que le décrira un siècle plus tard Thomas Platter57 à Montpellier, puisqu’il était prescrit aux pressayres de faire « menar (les pressoirs) davant las portas d’aquels de qui sera la vendemia, ayssi cum es stat acoutumat pel temp passat »58. On est devant un système viticole parfaitement organisé, capable de répondre à une augmentation massive des superficies.
44Mais la principale nouveauté, la plus lourde de conséquences, se situe au niveau des structures de la propriété. La seconde moitié du siècle rompt en partie avec les tendances qui s’étaient affirmées depuis le milieu du xive s. Un véritable retour en arrière se produit. Le phénomène est d’une lisibilité parfaite, car le nombre des propriétaires fonciers ne bouge pas de 1453 à 1499. Depuis un siècle, les petits propriétaires, de moins de 1 ha surtout, ne cessaient de voir leurs effectifs fondre alors que la propriété moyenne de 2,5 à 10 ha se renforçait (cf. tableau n° 13). Ce mouvement d’extension de la taille moyenne des propriétés, de lente aspiration de toutes les catégories vers le haut, de réduction des inégalités, s’interrompt. Pour la première fois depuis un siècle et demi, les catégories moyennes cessent de progresser. Il y a moins de propriétaires de 2,5 à 10 ha qu’en 1453. On aperçoit bien comment les ciseaux recommencent à s’ouvrir en mesurant le poids de chaque groupe en pourcentage59. Vingt propriétaires possédaient moins de 0,5 ha en 1453, ils sont 25 en 1499 ; 103 détenaient de 0,5 à 1 ha. Il y en a 119. La micro-propriété de moins de 1 ha représentait 17,9 % de l’ensemble des propriétaires narbonnais en 1453. La proportion passe à 20,2 %. Le mouvement n’est pas encore de très grande ampleur - +12,9 %. Mais le processus de division reprend, précoce, avant que ne se manifestent les premiers signes d’une reprise économique. À l’inverse, la poussée des catégories supérieures vers le haut se poursuit. Mais ne progressent plus que les grandes propriétés de plus de 20 ha. Le seuil de 50 ha est franchement dépassé cette fois. Francès Maury, avec les biens de M. d’Escales il est vrai, a 117,5 ha60. Trois autres Narbonnais possèdent entre 50 et 100 ha dans le terroir61. Le notaire Anthon Bonaric et Guillem Sallent s’approchent très près de 50 ha62. Autant de patrimoines fonciers qui équivalent ou dépassent les plus importants de 1453. Au milieu du siècle, les propriétés supérieures à 20 ha couvraient 765,7 ha, en 1499 1320,4 ha ; un tiers des terres encadastrées. L’augmentation de la superficie détenue par ces catégories supérieures - + 550,7 ha- est très proche de ce que l’espace cultivé a gagné dans la seconde moitié du xve s. Au-delà de l’énumération des hectares et du calcul des fractions d’indices, voilà mis en évidence le point important. L’extension de l’espace cultivé n’est pas due aux défrichements des médiocres qui arrondissent leurs parcelles, annexent quelques arpents en mordant sur la garrigue comme on aurait pu le penser avec l’intense mouvement de plantation des vignes.
45L’analyse détaillée des patrimoines immobiliers et fonciers montre un changement d’attitude des principales fortunes narbonnaises. Les maisons intéressent moins. En avoir plus de 10 en ville est devenu exceptionnel maintenant63. La phase de rassemblement d’un vaste parc immobilier entre les mains de quelques individus appartient au passé. L’attention se reporte hors des remparts vers la terre pour se constituer de grands domaines. Le nom de nouvelles bastides apparaît : Taraillan, Ricardelle, Roquette, Pontserme. Les structures agraires se modifient en profondeur ainsi que les liens qui unissent les différents éléments de l’espace narbonnais. De l’union intime de la ville avec son terroir, de propriétés exiguës aux parcelles dispersées, on passe, après le desserrement de la période de dépression, à un type d’agencement plus complexe, moins centré sur la ville. Autour des bastides appelées bientôt métairies, se forment des domaines compacts d’un seul tenant, véritables bourgeonnements de terroirs séparés, autonomes, au-delà de l’espace cultivé jusque-là. Ici, il n’y a donc pas dans un premier temps un regroupement de parcelles. Une nouvelle phase de l’histoire rurale de Narbonne commence avec la conquête de terres jusque-là négligées, mises en valeur avec des méthodes différentes. Les grands domaines ouvrent la voie aux fermiers qui prendront en main l’exploitation de ces grosses unités, aux valets... À la périphérie de l’espace communal se forme une nouvelle paysannerie dépendante des grands propriétaires citadins. Il s’agit bien d’une reconstruction sur un modèle neuf. Dans le type médiéval, à son apogée tel qu’il subsistait aux lendemains de la peste noire, au temps de Jacme Olivier, la ville ramassée sur elle-même vivait entourée de satellites ruraux populeux. La grande dépression leur avait été fatale avec les mortalités et plus encore l’immigration vers la ville. Ils subsistaient encore comme Védilhan, Saint-Martin-de-Toques, mais considérablement affaiblis, tombés du rang de communautés villageoises à celui de grandes exploitations. Comme pour compenser ce vide autour d’elle, la ville reforme un espace rural à sa périphérie qu’elle domine de manière plus étroite. Proximité ne veut pas dire symbiose. Les vastes bâtiments qui se construisent deviennent le siège de cellules de vie repliées sur elles-mêmes, qui entretiennent des relations très distendues avec les citadins, composées majoritairement de valets immigrés, venus parfois de loin, des Corbières ou de l’ouest quand ils s’occupent de bêtes à laine ou d’animaux à cornes. Le bétail caractérise ces vastes ensembles ruraux : des troupeaux de moutons de plusieurs centaines de bêtes, plus encore une puissante ménagerie grosse de dizaines de juments et de trois, quatre, voire davantage de paires de bœufs.
46À la fin du xve s., ceux qui détiennent la fortune à Narbonne, les héritiers des familles que l’on a pu suivre jusqu’ici, choisissent délibérément la terre. On l’aperçoit déjà, par une simple localisation en ville des plus grands propriétaires. Cité a rattrapé Bourg dans les patrimoines compris entre 10 et 20 ha. Mais Bourg qui était le centre du commerce et le lieu où jusqu’au milieu du siècle s’accumulait le capital, l’emporte de très loin au-dessus. Il y a deux fois plus de gens de Bourg que de Cité à détenir plus de 10 ha dans le terroir (cf. tableau n° 18).
Tableau n° 18 - Répartition des propriétaires par terson en 1499
(propriétaires ayant plus de 10 ha)

47Il nous faut à ce point, nous arrêter. Le terroir narbonnais est sous l’étroite dépendance de la ville. Il présente néanmoins un type d’évolution qui s’apparente à ce que l’on observe ailleurs dans les campagnes de l’espace français. L’extrême diversité de cet espace économique a été souvent soulignée ainsi que les écarts chronologiques d’une région à l’autre. Le relèvement ne s’effectue pas d’un seul élan. La reprise démographique s’amorce aux alentours de 1450. En une vingtaine d’années, une vigoureuse reconquête comble en partie les pertes accumulées. Les friches sont éliminées, la sécurité revient. La reconstruction serait précoce en Île-de-France, en Anjou, en Auvergne. Elle serait à l’œuvre dès avant 1440 en Auvergne, en Anjou. En Île-de-France, la reconstruction s’amorce dès 1445, stimulée par le marché parisien. Dans le Bassin parisien, la première restauration rurale qui concerne les anciens terroirs riches s’achève en 1475-1480. Dans le Vexin, le mouvement de reconquête se prolongerait jusque vers 1500. Un apogée serait atteint alors que les prix agricoles repartiraient à la hausse. À cette date-là, pour des régions très tôt touchées par le renouveau, le premier essor serait déjà passé. En Normandie, plus proche du théâtre de la guerre, plus cruellement éprouvée aussi, le redressement serait décalé d’une vingtaine d’années. Le rythme de croissance lent pendant la convalescence jusqu’en 1475, s’emballerait pendant le dernier quart du siècle. Vers 1480-90, la reconquête des bonnes terres serait achevée; vers 1500-1510, les plus médiocres seraient mises en culture à leur tour. D’une manière générale, la pression fiscale sur les ruraux, fortement accrue, puisque l’impôt triplerait de 1470 à 1484, contribuerait à freiner une progression qui tendrait à se ralentir. La Normandie n’y échapperait pas. Le volume du produit céréalier cesse d’augmenter vers 1500 et connaît une longue pause qui s’apparente à une période de stagnation. Il y aurait donc bien un plafonnement pendant les décennies suivantes. Le relais de la croissance se trouverait seulement dans la relance des échanges extérieurs grâce auxquels l’ascension pourrait se poursuivre jusque vers 1520-1540. Au ‘beau xvie s.’, expression employée naguère pour qualifier la phase qui succéderait aux désastres de la guerre de Cent Ans, il faudrait substituer un ‘beau xve s.’, de la seconde partie du siècle, contemporain ou immédiatement postérieur aux derniers soubresauts de la guerre anglaise64.
48Le cas narbonnais s’écarte sensiblement de cette périodisation. Le nombre de propriétaires ne cesse de se réduire, aucun signe de reprise ne se manifeste avant 1480. À cet égard, Narbonne appartient bien au Midi méditerranéen qui n’en finit pas de sortir de son engourdissement. Le réveil n’intervient en effet par endroit qu’à l’extrême fin du xve s., voire après 150065. Il faut cependant être précis, s’entendre sur les mots et les phénomènes que l’on décrit. Reprise, redressement, récupération, croissance sont-ils équivalents ? Les mouvements les plus ‘vifs’, ‘fougueux’, ne sont jamais que l’attaque contre les friches, la reconquête de terroirs qui avec la catastrophe démographique s’étaient fortement contractés. Les étapes de la reconstruction se distinguent d’ailleurs aisément. Les meilleures terres, qui donnent une productivité par exploitant remarquable, sont d’abord occupées, les médiocres le sont ensuite. La ‘croissance’ n’irait pas au-delà des terres cultivées au maximum de l’expansion des xiiie et xive s. dont les limites paraissent comme une frontière infranchissable. Lorsqu’elle est en passe d’être atteinte, l’avance s’arrête comme d’elle-même. Le terme restauration ou récupération convient mieux que croissance. Or, qu’avons-nous constaté à Narbonne ? Dans la pénombre de la dépression, alors que tout va de mal en pis, les superficies mises en culture augmentent. La ‘récupération’, au sens où elle est vécue, comme un sursaut, une lutte contre la contraction des terroirs et une reconquête, n’a pas de sens ici. Le mouvement d’extension de l’espace cultivé, très régulier et discret, enlève sa raison d’être à une ‘reprise’ ou une ‘restauration’. Un exemple unique ne suffit pas à fonder solidement une explication. Mais n’a-t-on pas là une des raisons du manque de réaction apparent des terroirs méditerranéens qui n’ont pas connu les destructions de la guerre ? Mieux, et paradoxe : c’est dans une zone en apparence totalement à l’écart du redressement rural que l’on aurait une vraie croissance66.
49On peut expliquer, par là, la différence avec ce que l’on observe ailleurs où la reprise des échanges extérieurs succède au redressement rural. Ici, le trafic portuaire redémarre avant que les campagnes ne s’animent. Mais là ne s’arrête pas l’originalité narbonnaise. La remarquable vitalité de la seigneurie éclate en toutes régions. La seigneurie est un des facteurs décisifs de la reconstruction des campagnes dans la seconde moitié du xve s. Autour de Narbonne, on n’en discerne pas de trace significative. Il n’y a pas de réserves seigneuriales dont les maîtres du sol s’occupent activement, de nobles rassembleurs de terre. Le processus à l’œuvre dans l’évolution des structures foncières est différent, on l’a vu. C’est lui qui pose problème, en fait. On aperçoit à Narbonne le triomphe de la propriété moyenne que favorise la nouvelle hiérarchie des prix et des salaires. La période très faste que connaissent les salaires paraît peu favorable aux vastes exploitations qui font appel à la main d’œuvre67. Malgré cela, s’affirme très fortement une tendance à la constitution de grandes propriétés qui sont des placements, le fruit de la politique de tout un groupe d’hommes dont le capital s’est accumulé initialement surtout dans le négoce et qui trouve comme emploi privilégié la terre. On ne peut parler de capitalisme agraire, car les profits qui permettent ces investissements ne sont pas dégagés de l’exploitation agricole et l’on n’aperçoit pas de phénomène d’élimination par rachat ou expropriation. De même, la gestation de ces grandes propriétés ne se fait pas par le processus de formation des métairies poitevines patiemment rassemblées en unités d’exploitation cohérentes68. Le mouvement va de la ville vers le terroir et s’effectue en dehors des tènements où la petite propriété est traditionnellement bien implantée. Le verdict des superficies et des structures agraires ne souffre pas d’ambiguïté. Ce que l’on observe en Narbonnais s’écarte donc des observations faites ailleurs, ne s’accorde pas avec la théorie des prix et des salaires pourtant brillamment exposée.
3. Le capital
50Les milieux enrichis dans le négoce n’ont pas déserté totalement le commerce. Le montant du cabal pour lequel ils sont imposés montre qu’ils ont réduit leurs affaires. Jean Trégoin, Raulin Seguier, ne paient rien pour le cabal par exemple. Le cas de Raulin Seguier est très éclairant. Son père, on se le rappelle, imposé très lourdement pour le cabal en 1453, possédait peu de biens immobiliers et fonciers : une maison et quelques terres. Raulin est à la tête de 5 maisons, 2 boutiques, 3 salines à Mandirac, 4 boutiques pour entreposer le sel, 1 table de boucherie au marché, 1 troupeau de 1600 moutons et brebis, 6 chars et 24 bœufs pour les tirer, 4 bêtes d’araire et leur charrette. Ceci à Narbonne. On ne compte pas ce qu’il a ailleurs dans les villages voisins69. Les Seguier n’ont pas mis longtemps à s’installer solidement à Narbonne, à investir massivement dans la terre, l’élevage et les salines, abandonnant pratiquement toute autre forme de commerce. Le retrait rapide de la marchandise explique en grande partie la lenteur de la reprise maritime narbonnaise.
51Un quartier de la ville, le terson Lamourguier, ne suit pas cette tendance et fait cavalier seul à la fin du xve s. Traditionnellement commerçant et peu orienté vers l’artisanat, il a attiré vers lui le peu de ce qui subsistait de l’activité drapière. Les familles possédant des biens ruraux ne se sont pas engagées dans une politique d’achats ou de défrichements. Les patrimoines fonciers restent relativement modestes dans ce coin de Bourg comparé à ceux que l’on voit se constituer à la même époque. Jean Trégoin, le plus grand propriétaire du quartier, ne possède, pourrait-on dire, que 28,66 ha. Aussi, la proportion de ceux qui ont plus de 20 ha est-elle notablement plus faible que dans les autres tersons : 12,5 % contre 26,5 % dans le terson Saint-Just ou 23,6 % dans le terson Migean.
52La faiblesse du foncier contraste avec l’importance du cabal, le capital à négocier. Je n’ai retenu que le capital égal ou supérieur à 100 livres, déjà significatif70. Au-dessous, le compoix ne distingue pas toujours le cabal du moble. 45,1 % des Narbonnais imposés pour plus de 100 l. de cabal habitent le terson Lamourguier. Plus significatif encore, 3/4 de ces détenteurs de cabal sont inscrits à l’île Pont-vieux, une île fictive car il n’y avait encore que des boutiques sur le pont qui reliait Cité à Bourg où l’on avait pris l’habitude de placer dans les listes d’imposition les contribuables taxés pour le meuble et le cabal qui ne possédaient pas de maisons ni de biens fonciers. Cela veut dire que tous ces gens étaient locataires. Ce sont en majorité de nouveaux venus arrivés simplement avec un avoir à employer, un peu comme Arnaud Seguier un demi-siècle plus tôt. Parmi eux, deux changeurs, Peyre d’Agen et Peyre Juer taxés pour 500 l. de cabal ; plusieurs marchands aussi, dont Peyre Creysels taxé pour un capital de 800 l. On reconnaît sans peine à leurs noms qu’ils ne sont pas Narbonnais d’origine et guère Languedociens. Parmi eux, on distingue un groupe de Catalans relativement important, assez hétérogène dans sa composition car il y a là des artisans du textile, le changeur Peyre Juer, de petits tâcherons et des muletiers. Ce flot subit contribue à l’augmentation du nombre d’habitants de ce quartier de la ville. Alors que ce terson comptait le moins de contribuables en 1485 (cf. gr. n° 3), il se retrouve en tête en 1500. Lamourguier est-il un quartier d’un dynamisme supérieur au reste de la ville ou sert-il de refuge ? Ce mouvement d’immigration catalane est original en effet par rapport à ce que l’on a observé depuis un siècle. La plupart des nouveaux venus logent à proximité les uns des autres et sont locataires. Jamais il n’y eut à Narbonne la présence d’une communauté étrangère aussi tassée dans un même endroit de la ville... excepté avant le xive s. dans les juiveries de Cité. L’arrivée des Catalans suit de très près l’expulsion des juifs d’Espagne71.
53Narbonne et le terson Lamourguier sont-ils un lieu d’accueil pour quelques fugitifs ? Les preuves formelles manquent. C’est tout à fait plausible. 1492 serait l’envers, beaucoup plus modestement, de 1306. Narbonne y gagne un surcroît de population, un apport de capital et quelques individus entreprenants qui sont les bienvenus au moment où se confirme la reprise. En tout cas, même si on n’en aperçoit pas encore parfaitement toutes les composantes, une colonie de négociants, de brasseurs d’affaires et de changeurs qui ne limitent pas leurs activités au commerce de l’argent s’est reformée à Narbonne. Leur présence a-t-elle un effet sur le reflux de la draperie vers le terson Lamourguier ? On vérifie une fois de plus comment draperie et négoce vont de pair.
Tableau n° 19 - Nombre de personnes imposées pour plus de 100 livres de cabal en 1499

54Lamourguier rappelle les caractères de la société narbonnaise à l’apogée du Moyen Âge : capital et négoce, draperie, faible investissement dans la terre. Sert-il de conservatoire de l’ancien système de production ou assiste-t-on à sa renaissance à partir du quartier qui s’est montré le plus ouvert à l’extérieur depuis 1350 et a gardé une capacité d’initiative ? Le contraste est grand avec le reste de la ville où les Narbonnais de vieille souche ont perdu le goût du risque, des vastes horizons, se sont presque entièrement repliés sur la terre et sur des activités rentières.
C/ OUVERTURE : DE NOUVEAUX FLUX MIGRATOIRES
55Il faut attendre 1465 pour que le nombre de contribuables cesse de chuter. Le clavaire ne parvient à inscrire cette année-là que 644 noms sur son registre. À peine la moitié du début du siècle et 40,6 % de moins qu’en 1420 ! La tendance s’inverse enfin (cf. gr. n° 2). C’est assez tard. Les premiers indices d’une augmentation de la population se perçoivent dans d’autres régions du royaume dès 145072. Le redressement paraît vif au début, avec un premier pic en 1475. Le registre d’imposition comporte 885 noms. Il tient en partie cependant à la progression du nombre des nouveaux habitants qui de 27 en 1469 passent à 51 en 1470, 89 en 1474 et 150 en 147673. Cette irruption de nouveaux inscrits est le fait d’une politique consulaire. Correspond-elle à un flux réel de population ? C’est indéniable. L’origine des immigrants nous le montrera. Le rythme de la reprise n’est pas régulier cependant. Un retour en arrière se produit entre 1476 et 149074. Les imposés augmentent en moyenne de 2 % par an au cours de la dernière décennie du xve s. En 1500 cependant, le chiffre de 1 000 contribuables n’est pas encore atteint. Narbonne ne parvient pas à récupérer son niveau du début du siècle. Il ne faut pourtant pas sous-estimer cette progression puisqu’elle atteint 51 % en 35 ans. La remontée s’effectue plus rapidement que ne s’était produite la régression des deux premiers tiers du siècle. Mais la marche en avant s’interrompt net. Pendant un tiers de siècle le nombre de contribuables cesse d’augmenter. La peste n’y est pas étrangère. Les assauts de l’épidémie reprennent, en 1502 d’abord, puis plus gravement en 1521-1523 et 1529-1531.
56Curieuse ville que Narbonne dans cette seconde moitié du xve s. cependant. La récupération, tardive, se fait lentement. Certes, on peut s’interroger sur la représentativité de la courbe du nombre des contribuables. Reflète-t-elle fidèlement le mouvement de la population ou simplement le décompte des possédants ? Dans ce cas, la population grossirait plus rapidement que ne le laisseraient supposer les listes de contribuables. Celles-ci traduisent néanmoins très bien la situation narbonnaise. Le nombre des propriétaires augmente peu. C’est bien le signe d’une certaine résistance au changement, d’une incapacité à repartir franchement de l’avant. Alors que la reprise économique s’amorce, que renaît le trafic maritime, les principales fortunes désertent la marchandise, se désintéressent de la draperie, se séparent des maisons que leurs prédécesseurs de la première moitié du xve s. avaient acquises avec boulimie, désinvestissent en ville, se tournent délibérément vers la terre. Le renouveau arriverait-il trop tardivement, quand tout ressort serait cassé ? Narbonne se fourvoierait et passerait à côté de la reprise ? Les marchands ne saisissent-ils pas la nouvelle donne économique, la recomposition des courants d’échanges ou bien ceux-ci leur paraissent-ils hors de portée et de leurs possibilités ? La direction du trafic maritime exclusivement catalane d’abord amène en effet à poser la question. Narbonne ne renoue de relations qu’avec le sud où elle commerçait traditionnellement. Rien n’est tenté vers les nouveaux pôles qui s’affirment, Lyon, l’axe rhodanien, Marseille.
57Contradiction supplémentaire de Narbonne à la fin du xve s. ? C’est précisément quand la ville paraît atone, manquer de dynamisme, d’hommes entreprenants, que le sang neuf arrive. Les courants migratoires saisis à travers les listes limitées et imparfaites des nouveaux habitants montrent des transformations radicales par rapport au début du xve s. L’espace où se recrutent les immigrants s’est singulièrement élargi (cf. carte n° 10). Moins de 10 % des nouveaux habitants sont originaires du Narbonnais. Les enregistre-t-on toujours avec autant d’exactitude ? Le Languedoc et les régions méridionales fournissent la moitié à peine de tous les immigrants. Mais, là aussi, les zones de recrutement se modifient quelque peu. C’est le Carcassonnais -Douzens, Villemoustoussou, Carcassonne même-, Montpellier et ses environs -Lattes...- qui donnent le plus, comme si quelques foyers de départ seulement étaient actifs. Dans l’intervalle, rien ou presque. Les sources de l’immigration ne sont pas diffuses encore. Cela vient en partie de ce que les centres urbains dont la population reste faible offrent d’intéressantes opportunités et absorbent tout l’excédent rural disponible qui est à leur portée. Des zones entières peu urbanisées n’apparaissent pas encore, comme la haute vallée de l’Aude, le diocèse d’Alet et les pays ariégeois75. Faiblesse du peuplement ou émigration orientée vers d’autres directions comme la région toulousaine ? Les courants migratoires vers la Méditerranée ne sont pas encore amorcés.
58Par contre, le nord proche, le diocèse de Saint-Pons, la haute vallée de l’Orb -Cessenon...- envoient des contingents fournis vers la plaine et la ville à la fin du xve s., plus particulièrement le premier balcon montagneux, et les gros villages des reliefs du Minervois -Azillanet, Siran.... Plus à l’intérieur, le Rouergue n’est plus seul concerné par les départs. Une vaste zone qui jusque vers 1450 restait orientée principalement vers le Toulousain à cause de relations économiques très étroites déborde l’écran de montagne qui le borde au sud. L’Albigeois76, les diocèses de Castres, de Vabre, procurent maintenant davantage de migrants que le Rouergue. Toute la bordure méridionale du Massif central est intéressée par ces courants migratoires, de Lavaur au Gévaudan. Mais, c’est nouveau, les hommes des hautes terres descendent de plus loin. Les Auvergnats du diocèse de Saint-Flour forment déjà des contingents significatifs. Des Limousins habitent Narbonne également77 .
59Le même processus s’observe dans toutes les directions. Les migrants viennent de régions beaucoup plus éloignées. Ainsi au sud, le courant migratoire ibérique ne s’est pas tari à la fin du xve s. En nombre d’individus, il est à peu près égal à lui-même, bien que, noyé dans le flot des nouveaux arrivants, il paraisse plus ténu. Les Perpignanais et les Roussillonnais sont toujours présents, mais on note des arrivées de l’Ampourdan, de Barcelone, de Tarragone78. On ne sait jamais les raisons qui poussent à quitter son pays et à venir s’installer à Narbonne. Mais on a reconnu ici l’aire catalane des troubles qui quinze ans après la cessation des hostilités contre Jean II, reste marquée par le chômage, l’émigration79. Un flux limité dans le temps destiné à s’éteindre avec la pacification ? Nos listes exploitables datent de la sentence de Guadalupe.
60L’aire d’où partent les migrants attirés par les bords de la Méditerranée s’élargit considérablement aussi vers l’ouest, du Piémont pyrénéen à la Bretagne. Il y a toujours des Béarnais de Lescar, Bayonne, grands voyageurs qui se fixent dans toutes les villes qui jalonnent les routes vers l’est, mais également des gens originaires du Comminges, du plateau gersois -Mirande-, de la lisière pyrénéenne -le diocèse de Tarbes. Ceux qui viennent des villes de la vallée de la Garonne -Montauban, Agen...-, des pays de la Loire -Loches, Angers80- ou de Bretagne -Nantes...- sont plus nombreux encore. Véritable nouveauté aussi, s’établissent à Narbonne des migrants de la vallée du Rhône -Saint-Paul, Valence...-, du Dauphiné, comme le notaire Claude de Labba natif de Grenoble qui sera chargé quelques années plus tard de la refonte des terriers du domaine royal dans tout le Narbonnais81, de Lyon, ainsi Jacques de Blays qui est apothicaire, Michel Johanès un chapelier, et de Bourgogne. On relève le nom d’au moins cinq Bourguignons sur la liste des nouveaux habitants de 1486 qui ne donne pas de manière exhaustive toutes les provenances. Les régions plus au nord que la Bretagne et la Bourgogne ne sont pas représentées excepté par deux individus, un de Chartres, un autre de Paris82. Cela ne veut pas dire qu’il n’en descendait jamais. Un Normand, Jean Danys, marchand ‘du pays de Normandie’ figure sur la liste de 1476. Mais on ne relève le nom d’aucun Flamand ou Allemand.
61Voici donc à partir de la liste des nouveaux habitants de 1486 le champ migratoire narbonnais à la fin du xve s. C’est un simple repérage, à nuancer et compléter car trop d’origines ne sont pas précisées et les listes qui précèdent ou suivent ne sont guère utilisables.
62Mais les rares provenances qui y sont mentionnées confirment la carte que l’on peut établir83. Les déplacements de population sont vifs, amples, concernent un nombre important d’individus. Le renouveau démographique, l’atténuation des difficultés, le redressement économique, sont autant de facteurs qui les encouragent. Dans quelle mesure les listes de nouveaux habitants reflètent-elles correctement les courants migratoires ? Il est difficile d’en juger. Sont mentionnés, là, seulement ceux qui se fixent à cas, l’assimilation de tous Narbonne pour une durée supérieure à plusieurs mois ou années, qui exercent une activité régulière, et des hommes84. Elles dégagent bien une tendance et traduisent une ambiance. Au cours de cette phase de reprise démographique les apports de proximité ne représentaient que fort peu de chose par rapport aux effectifs d’origine lointaine. En tout ces forains d’origine éloignée n’a guère causé de difficultés. Ils appartenaient en majorité déjà au monde de la ville.

Carte n° 10 - L’immigration à Narbonne à la fin du xve s.
Origine des nouveaux habitants en 1486
63La reprise très vive dans les campagnes, l’augmentation rapide du nombre des propriétaires, la facilité, donc, à pouvoir s’installer, rend la ville qui ne rétablit pas sa production artisanale beaucoup moins attractive. Narbonne apparaît à la fin du xve s. comme un carrefour de courants migratoires issus de toutes les directions. Les nouveaux habitants qui se fixent ne sont qu’une faible partie de la population passant à Narbonne. Si l’on en croit le compoix de 1499 qui détaille assez bien les sources de revenus, nombre de Narbonnais arrondissaient leurs ressources en faisant hôtellerie ou en aménageant une chambre de passage avec un lit ou deux qu’ils louaient85. Certes, Narbonne n’est pas une ville qui peut prétendre être un pôle d’attraction international. On a vu les limites du champ migratoire au nord. Il ne s’étend pas très loin vers l’est non plus. Aucun Provençal ne figure parmi les nouveaux habitants. Notons la présence de Jean Jacques, marchand de Lombardie, taxé 2 l. 10 s. en 1486, de Ospital de Praniga, marchand de Milan, en 1480. Les Italiens sont partout dans le midi de la France en cette fin du xve s., indicateurs sûrs de la reprise des affaires et de l’élargissement de l’horizon des relations économiques. Les Italiens avaient disparu de Narbonne depuis la fin du xive s.
64La vague de nouveaux habitants traduit un fait majeur. Il ne s’agit pas cette fois d’un volume augmenté de migrants. Les apports du nord vers le sud s’amplifient, submergent le courant méridional. Est-ce un renversement complet de tendance pour Narbonne ? Fondamentalement oui. Jusque-là les relations méditerranéennes vers le sud et la péninsule ibérique avaient été les plus régulières et les plus soutenues. Il faudrait d’ailleurs pouvoir préciser, encore mieux qu’il n’a été possible de le faire, les rapports ambigus qui lient Narbonne à la Catalogne. Bien qu’en difficulté elle-même, la ville ne tire-t-elle pas bénéfice du déclin catalan, de l’immigration des artisans ? L’immigration d’origine méridionale aurait donc une signification tout à fait différente des courants migratoires venus du nord qui sont en train de se former : immigration en provenance d’une société en crise contre émigration de régions qui se relèvent rapidement86. Le mouvement de descente vers l’Espagne, qui prendra une ampleur sans précédent au cours du xvie s., est-il amorcé avant la découverte de l’Amérique et de ses trésors ? Il en sera grandement facilité et pourra s’appuyer sur des courants migratoires déjà bien établis.
65Pour Narbonne, les conséquences sont décisives à terme. La seconde moitié du xve s. renouvelle profondément la population, peuple la ville et la région d’hommes venus de l’ouest et du nord. Contradiction là encore ? C’est au moment où le dynamisme et l’expansion se déplacent vers ces régions que les candidats au départ se dirigent en direction de la Méditerranée. Tout fonctionne déjà comme si une dénivellation de peuplement et de vigueur orientait les hommes vers un centre de basse pression à combler. Narbonne est solidaire des mutations économiques et sociales d’un vaste espace européen. Avec les hommes arrivaient aussi des savoir-faire, une langue, des pratiques culturelles.
66Autre nouveauté qui provient pour une large part de l’origine différente des migrants. Ceux-ci ne sont pas, en majorité, des ruraux, mais des citadins de petits centres urbains ou de villes dynamiques dont la taille est nettement supérieure à celle de Narbonne. Lyon en plein essor attire à elle une nombreuse population. Les Lyonnais partent aussi et vont s’installer ailleurs. Double mouvement qui renforce le rayonnement lyonnais et contribue à rattacher Narbonne et le Languedoc à l’axe rhodanien. Lyon vient autant à Narbonne que Narbonne se tourne vers la nouvelle place financière. Aussi, les métiers exercés par ces nouveaux venus sont-ils beaucoup plus divers que trois quarts de siècle plus tôt. 30 % environ sont des brassiers. Les ruraux descendus de la montagne proche arrivent de tous les villages. Aucun semble-t-il ne descend de masages -de mas-, de fermes ou de hameaux isolés. Les campagnes en pleine reconstruction et reconquête des terres perdues aux xive et xve s., prises dans les solidarités des frérèches, gardent les cadets des fermes isolées. 30 % des immigrants sont des artisans. Mais la nouveauté est dans l’installation des marchands venus d’un peu partout, de Perpignan, de Lombardie, de Normandie ; d’un notaire, d’un apothicaire... Un libraire s’établit aussi au même moment87. La société est donc relativement ouverte. Le tissu professionnel de Narbonne se rétablit. L’innovation vient de l’extérieur. La situation de la ville ne paraissait pas sans possibilités pour tenter des citadins originaires de régions où les hommes entreprenants disposaient de bonnes perspectives. À quelles affaires se livraient ces marchands ? À défaut de livres de comptes et de registres de notaires, on ne peut apporter de réponse argumentée. Mais on sait que dès la fin des troubles de Catalogne et le rétablissement de relations correctes avec la France les marchandises françaises, moins chères, reprennent le chemin du Principat et envahissent le marché barcelonais. Le nombre des hôtelleries, des Narbonnais imposés pour des ‘lits lucratifs’, suggère que Narbonne est en train d’acquérir une fonction de ville étape, au carrefour des routes du nord et de l’ouest, commence à jouer un rôle de point de passage obligé en direction du marché espagnol. La route terrestre s’anime plus rapidement que la voie maritime. On aperçoit cependant bien la différence avec la fin du xiiie s. et le début du xive s. : Narbonne était alors un centre de production et le point de départ des marchandises et des hommes vers l’Espagne. À la fin du xve s. la revitalisation s’effectue sous l’impulsion de l’extérieur. La ville en bénéficie, mais n’est plus qu’un point de passage de courants commerciaux qu’elle ne maîtrise pas.
D / LES CAMPAGNES
1. Une bonne résistance des campagnes narbonnaises d’abord
67Le dossier que l’on peut réunir sur les campagnes narbonnaises est peu consistant. Les fonds des grandes abbayes comme Fontfroide et Lagrasse, des chapitres narbonnais qui fournissaient l’essentiel de nos sources, sont quasiment vides pour cette période. Cette lacune documentaire a valeur de témoignage. La longue crise qui secoue l’Église n’est pas seulement spirituelle et morale. Ç’en est fini des donations qui gonflent le patrimoine des menses abbatiales, des acquisitions massives, des entreprises de conquête. Ayant perdu sa puissance d’attraction, son capital, sa capacité d’innovation, l’Église ne joue plus de rôle moteur dans la mise en valeur des terroirs et dans la vie des campagnes. La crise des vocations éclaircit les rangs des moines et des frères convers. Les abbayes connaissent précocement des difficultés à faire cultiver leurs granges et leurs domaines. La période n’incitait guère à l’offensive. Mais ce ne sont pas les seules raisons. Les legs faits aux communautés ecclésiastiques se raréfient puis disparaissent entre 1320 et 1350. Les tensions qui s’étaient multipliées avec les communautés d’habitants au moment où la population était à son maximum n’y sont pas étrangères, de même que le combat d’arrière-garde qu’elles menèrent contre la suppression des derniers vestiges du servage88. Mais lorsqu’avec la diminution du nombre des habitants cesse la pression sur les terroirs, et la cause profonde des conflits, le mouvement des donations en direction des abbayes ne se rétablit pas. Les fidèles réservent leurs dons aux œuvres paroissiales. On l’aperçoit bien à Ouveillan, où l’œuvre est le bénéficiaire exclusif des legs testamentaires pieux, particulièrement nombreux entre 1380 et 1420 et qui continuent à se diriger vers elle tout au long du xve s.89. Les biens laissés à l’église paroissiale restaient dans le giron de la communauté. C’est à elle tout autant qu’on les destinait, comme un capital mis en réserve où l’on pourrait puiser en cas de difficulté. L’effacement de l’Église clôt un chapitre de l’histoire rurale du Narbonnais.
68Les quelques lueurs que l’on peut avoir ici et là, à partir des sources indirectes et fragmentaires, vont dans le sens de ce que l’on a observé à Narbonne. Il n’y a pas effondrement dans un premier temps au cours de la seconde moitié du xive s. La résistance se prolonge au moins jusqu’au début du xve s. Les cinquante premières années de la dépression sont marquées par le repli et l’obligation de se défendre contre l’insécurité. Mais les registres de reconnaissances féodales et les levoirs d’usages qui suivent le milieu du xive s. ne donnent pas le spectacle d’une campagne dévastée ni de terroirs délaissés. Ouveillan, dernière localité que le prince de Galles emporte avant de s’arrêter devant les murs de Capestang et de faire demi-tour, est un bon exemple. Investi le 11 novembre et pris sans coup férir, car les nouveaux quartiers nés de la croissance des xie-xive s. n’avaient pas été ceints de murailles, le village avait été livré aux flammes, la campagne ravagée. Un demi-siècle après, des moulins brûlés n’avaient pas été relevés90. Les incursions des bandes de soldats devenant fréquentes, il fallut penser à se protéger efficacement. Ouveillan s’endetta lourdement pour enfermer entièrement le lieu dans une muraille et bâtir des portes solides. La communauté s’imposa de consacrer le vingtième de toutes les productions à l’ouvrage, en plus de la pierre, de la chaux, du sable et du charroi qu’elle fournirait91. En 1368, on y travaillait tandis que des bandes répandues dans la campagne entre Cruscades et Truilhas venaient inquiéter les ouvriers et commettaient des exactions sur les personnes et les biens. En quelques années, le Narbonnais se couvrait de forteresses. Assumées entièrement par les communautés, les dépenses pour la sécurité alourdissaient fortement le prélèvement. On peut estimer à 4 à 5 % les charges supplémentaires qui pesaient sur la production une fois ôtées les dîmes et les tasques92. Malgré cela, Ouveillan panse ses plaies. Il se trouve cinquante habitants pour approuver le bail d’adjudication des remparts. Les reconnaissances passées pour la rénovation du fief de l’œuvre en 1385 ne donnent pas une impression de désolation comme certaines descriptions pessimistes voire apocalyptiques pourraient le laisser penser93.
69Le fief comportait 143 articles: 16 maisons, 11 jardins, 116 parcelles dans le terroir. On a ainsi, parce que les biens sont dispersés sur tout le finage, concernent le centre, la ceinture horticole, la campagne, le bâti et le sol en culture, les éléments d’un excellent sondage. Or le vieux castrum originel est habité, les faubourgs sont occupés. Les maisons qui font partie du fief de l’œuvre sont en bon état. En dehors des fortifications, achevées maintenant, la couronne de jardins et de ferragals est toujours aux endroits où elle se trouvait au début du siècle. Quant aux parcelles dispersées dans les tènements, 23 sont en orge, 3 en olivettes, 23 champs, soit un quart d’entre eux, sont complantés d’oliviers. L’image est classique : à peine peut-on constater une augmentation des superficies arborées depuis deux ou trois générations. Mais on a reconnu tous les traits du village d’antan, de l’organisation de son terroir. Le fief ne comporte aucune friche ni des bâtiments en mauvais état. La description de cette fraction de territoire ne permet pas de dire si l’espace cultivé s’est réduit. L’impression qui se dégage est une remarquable résistance de l’organisation rurale. D’autres témoignages confirment la réaction vigoureuse et la remise en état rapide comme la vague de réfection de terriers se produit immédiatement après le passage du Prince Noir94.
70En 1404, lors de la célèbre visite pastorale de Jean Corsier, le vicaire général de l’archevêque, l’église desservie par deux vicaires était en bon état avec son maître-autel, les autels de ses cinq chapelles, des habits sacerdotaux en suffisance95. Tout à côté, le hameau de Toutous restait vivant, peuplé et pourvu d’un oratoire bien entretenu. Ouveillan comptait 300 communiants. Le chiffre est arrondi, manifestement. C’est un ordre de grandeur plus que le résultat d’un décompte rigoureux. L’effectif des communiants correspond à celui du corps paroissial ayant accompli sa douzième année environ. Il faut ajouter aux communiants pour avoir le total de la population un quart à un tiers, ce qui ferait environ 400 habitants. 400 habitants contre 400 feux en 1342-1344 ? Ouveillan aurait donc perdu trois quarts de ses habitants. La proportion paraît énorme alors que les biens et les cultures semblent presque épargnés. Il est difficile pourtant de récuser ces éléments chiffrés. On ne dispose d’aucun moyen pour en faire la critique. Les repousser reviendrait à rejeter en bloc les maigres renseignements sur lesquels nous pouvons nous appuyer. Acceptons donc ce que disent nos sources96. La lecture du compte-rendu de la visite ne laisse pas imaginer semblable chute du nombre des habitants. Il décrit en effet une vie paroissiale très ordonnée et active, un service parfaitement réglé, une confrérie du Saint Sacrement et une œuvre bien régies97. Ouveillan, ainsi que les villages voisins, ne sont pas au bord de l’effondrement et exsangues. Les seuls édifices détruits sont dans le terroir de Narbonne, et on a vu combien à cette date la ville fait preuve de ressources. Il faut relativiser en partie ces pertes ouveillanaises. 400 habitants est la moitié environ de ce que le village comptera à la fin du xviiie s. et guère moins qu’en 1700-1715.
71Ouveillan, à la veille de la peste noire, était un des lieux du Narbonnais parmi les plus peuplés, le plus populeux même si l’on excepte Capestang98. Aussi est-on en droit de se demander si Ouveillan est représentatif du Narbonnais ou le cas exceptionnel d’une communauté qui étouffait dans un terroir devenu trop petit pour elle. Sallèles qui jouxte le terroir d’Ouveillan, mais plus proche de Narbonne, offre un moyen de comparaison. Les listes de feux de 1342-1344 lui en donnent 92. Un beau compoix de 1415, complet, détaille les possessions de 106 propriétaires, 55 du lieu, 51 des communautés voisines dont 7 de Narbonne99. Il nous manque un élément important pour utiliser ces deux chiffres : la proportion de ceux qui en 1415 n’étaient pas dans le compoix. Supposons que tout le monde dispose d’au moins un lopin de terre et que les Sallélois inscrits au compoix donnent le nombre de feux en 1415. La chute de la population serait beaucoup moins sévère qu’à Ouveillan, nettement inférieure à 50 %. Peut-on voir là l’indice que les communautés de taille plus modeste ont payé un tribut moins lourd aux mortalités et se sont stabilisées au début du xve s. à un niveau inférieur de un cinquième à un tiers à celui qu’elles avaient avant la peste ?
2. L’âge d’or du gros bétail
72Il ne manque que la superficie des parcelles au compoix rural pour qu’il soit l’équivalent du livre de collecte narbonnais de 1407. On peut, malgré tout, se faire une bonne idée de la structure de la propriété et du paysage. On est à une encablure de Narbonne, sur la rive gauche de l’Aude près de la confluence du fleuve et de la Cesse. Les prés occupent une place considérable, presque égale aux champs. Les vignes, par contre, sont beaucoup moins nombreuses que dans le terroir urbain ainsi que les olivettes100. Elles n’étaient pas insignifiantes cependant car chaque propriétaire en avait une parcelle et demie en moyenne101, ce qui suffisait amplement à une consommation domestique assez copieuse. D’ailleurs, nombreux étaient les villageois à avoir une tina ou, comme P. Narbonne, de la vaisselle vinaire. Ils gardaient donc chez eux, comme les citadins, d’importantes quantités de vin. Les Sallélois du temps d’Azincourt vivaient à l’aise. Les structures de la propriété sont différentes de celles de la ville voisine. Ici, pas de micro-propriétaires qui n’ont qu’une maison et un lopin de terre. La plupart des familles disposent d’un ort. Les propriétaires moyens possèdent de 10 à 15 parcelles, ce qui les met à la tête d’une exploitation de 5 hectares environ102. Un seul est très au dessus des autres, Antoine Mondiat103. Énumérer ce qui est sur son compoix est faire l’inventaire des biens d’un gros notable de village : 3 maisons, 2 tinas, des dépendances, une trentaine de parcelles (15 champs, 6 prés, 3 vignes, 1 olivette, 3 ferragals, 1 verger), 1 charrette et du bétail. On l’impose aussi pour de la vaisselle et 10 livres d’argent. La composition de son patrimoine le rapproche des riches bourgeois de la ville. Il possède aussi le plus gros cheptel du village : 7 juments, 175 bestes lanudes. Peu de gens avaient des troupeaux de moutons, bien qu’il y ait assez d’herbe pour les nourrir104. Le bétail aratoire par contre ne manquait pas. Quatre cinquièmes des propriétaires de Sallèles au début du xve s. entretenaient une, deux juments, un attelage de bœufs, un gros bétail lourd, capable de tirer davantage que de modestes araires. Le nombre et la qualité de ce bétail de trait surprennent lorsqu’on le compare aux chétifs attelages que l’on découvrira plus tard, au xviie s. par exemple. Les ânes, les ânesses, les roussins n’étaient-ils pas imposés ? On est étonné de n’en rencontrer aucun car ils étaient nombreux à Narbonne en 1407105. L’abondance des animaux, le développement de l’élevage dans ce xve s. où l’homme est rare, est un phénomène général, bien attesté partout dès que les sources se font un peu précises. Mais à Sallèles, comme à Narbonne ou à Sérignan106, ce ne sont pas les troupeaux de moutons qui sont les plus envahissants et constituent une nouveauté, bien qu’à Narbonne ils paraissent en augmentation dans la première moitié du siècle.
73Au temps des fortes densités à la fin du xiiie s. et au début du xive s., c’est pour eux que les bergers se disputaient l’herbe rare sur les terminais. Beaucoup plus neuf et important apparaît l’accroissement du nombre des bovins, vaches et bœufs, et des juments. Nous sommes à Sallèles, Narbonne et Sérignan, à moins de 20 kilomètres de la Méditerranée, en pleine zone aride où la pluviosité est à la limite ou légèrement au-dessous de la frontière des 500 mm de pluie par an. Le xve s. apparaît comme une véritable phase bovine et eygatine originale107 qui se prolongera avec la formation des métairies jusqu’au début du xvie s. Bêtes grosses pour la boucherie, mais surtout pour le travail de la terre. À Narbonne, il y avait même un troupeau commun des egues que l’on faisait garder ensemble108. Ces juments sont également reproductrices car on compte aussi les poulains qui les accompagnent. Le courant d’importation des chevaux d’Espagne si important au xiiie s. et au xive s. ne s’est pas tari entièrement. Des chevaux de race sont encore introduits. Il s’est ralenti avec l’élevage sur place, la concurrence des bœufs et la crise de l’aristocratie109.
74Le bétail est même l’objet de spéculations pour de riches Narbonnais. En 1437, Jaume Lac entretient 373 bœufs ou vaches à Saint-Martin-de-Toques et à Saint-Pierre-la-Mer.
Tableau n° 20 - Les ovins à Narbonne dans la première moitié du xve s.

Note **
Note ****
Il y a aussi deux troupeaux de chèvres comptant 526 bêtes en 1536, 340 en 1537.
Tableau n° 21 - Bovins et ‘egas’ à Narbonne

Note **
Source : comptes des clavaires.
75Les lourds attelages d’animaux puissants, presque trop importants pour les superficies exploitées, étaient moins un moyen de différenciation sociale, puisque la majorité des propriétaires en possédait, qu’un facteur d’indépendance. Une population diminuée pouvait ainsi facilement continuer à cultiver autant de terres que précédemment. La conversion aux bovins et aux juments comme animaux de trait est précoce, achevée dès le début du xve s. Si les Sallélois ajoutaient à leurs animaux inscrits au compoix quelques mules et ânes non répertoriés, jamais il n’y aura eu autant d’animaux de trait par unité de surface qu’à cette époque : même au xixe s. où triomphe le cheval. Le xve s. serait donc une période assez originale de l’histoire de l’animal dans cette partie du Midi méditerranéen. Les troupeaux de moutons seraient relativement peu nombreux et de taille modeste110 ; le cheptel directement utilisé pour le travail des champs beaucoup plus important. La phase herbeuse par laquelle passe le Narbonnais facilitait le nourrissage des bœufs. Bien qu’on ne sache rien de l’évolution des outils à cette époque-là, on peut conclure, sans risque d’erreur, mais sans pouvoir la mesurer exactement, à une élévation des rendements et de la productivité.
3. La crise du milieu du xve s
76Sallèles et Ouveillan sont à quelques kilomètres de Narbonne. Peut-être en des régions plus éloignées observerait-on d’autres types de réaction. En dépit des atouts, de facteurs qui ne sont pas tous défavorables, la période la plus difficile pour ces communautés qui sont au milieu de terroirs riches et bien reliées aux voies de communications est à venir. Une génération après, en 1443, Sallèles ne compte plus que 79 propriétaires, 42 Sallélois, 37 forains111. La proportion sensiblement équivalente du recul chez les gens du cru et chez les forains donne une signification élargie à l’exemple sallélois, d’autant qu’elle est rigoureusement égale à ce qu’on avait pu mesurer à Narbonne entre les compoix de 1407 et de 1453. La diminution est supérieure en réalité à ce que l’on constate en ville. Ici, le nombre des propriétaires chute de 25 % en 28 ans alors qu’à Narbonne le même résultat est atteint en 46 ans. Pendant la première moitié du xve s., la population se retrouverait-elle ramenée à 50 % environ de ce qu’elle était un siècle plus tôt ? Mais les nombres et les densités ne suffisent pas à donner la mesure des bouleversements humains qui se sont produits dans l’intervalle. En 1415, on comptait 48 patronymes différents. Onze se retrouvent une génération plus tard. Leur disparition se fait au rythme de 1,3 par an. À cette allure-là, la population pourrait être entièrement renouvelée en un peu plus d’une génération ! Diminution et renouvellement des habitants vont de pair. Vingt-cinq nouveaux noms ont fait leur entrée dans le compoix de 1443 : un chaque année depuis 1415. Un renouvellement aussi profond pose une série de questions auxquelles il n’est pas aisé de répondre. La disparition des patronymes est infiniment plus rapide qu’à Narbonne au cours de la même période. Les familles de marchands, de notaires, d’artisans ou même de labradors de la ville font preuve de beaucoup plus de stabilité et de longévité que la population des villages. Les compoix prennent pourtant en compte seulement ceux qui ont du bien et sont en principe bien intégrés. Certes, on connaît les limites des investigations anthroponymiques pour cette période. La transmission des patronymes n’est imposée par une loi, peu respectée dans l’immédiat car l’usage seul prévaut, qu’en 1539. La différence entre la campagne et la ville peut tenir moins à la mobilité des hommes qu’à des pratiques culturelles différentes. Sallèles apparaît malgré tout comme un cas limite. À Ouveillan, si l’on en croit les listes des emphytéotes qui dépendent du fief de Saint-Just, le renouvellement des noms est moins rapide de 1433 à 1466, de l’ordre des 13 à 15 % par décennie environ112.
77Entre ces deux dates, le parcellaire reste comme immobile : aucune réunion, aucune fragmentation de pièces de terre. Question essentielle que l’on est incapable d’éclairer correctement : comment s’effectue la transmission des patrimoines ? La mobilité des hommes ouvre-t-elle la voie à un bouleversement de la répartition de la propriété ? Nullement. La fluidité de la société n’est pas mise à profit par d’ambitieux opportunistes. Peu de propriétés exiguës, pas de vastes ensembles fonciers, aucun regroupement de parcelles qui débouche sur la formation d’exploitations d’un seul tenant. Les moyens dominent : deux tiers des propriétaires ont entre 1 et 10 ha. La propriété de plus de 10 ha n’a fait aucun progrès en 30 ans. La nature des cultures et le paysage ont peu changé au cours de la première moitié du xve s. Les tendances aperçues dans le terroir narbonnais se retrouvent comme à l’identique. La vigne recule, malgré une proportion de malheuls importante (20,45 %). Les oliviers gagnent du terrain. Sallèles n’a pourtant pas le type de sol qu’on leur réservait jusque-là. Alors qu’en 1415 on dénombrait 18 parcelles arborées contre 78 en vignes et malheuls, on a 16,5 ha en olivettes et 7,5 ha complantés d’oliviers. Le quotient entre la superficie portant des oliviers et celle plantée de ceps est de 0,74. Retenons ce rapport pour suivre l’évolution de ces deux productions113.
78Les notations réunies en ville comme à la campagne convergent pour caractériser les structures foncières et la société du milieu du xve s. Premier point capital, qui confirme la conclusion tirée des compoix de Narbonne : les espaces cultivés régressent peu, ou même pas du tout, malgré la chute du nombre des propriétaires qui a continué à se poursuivre. Les friches n’envahissent pas le Narbonnais. Les hommes moins nombreux, équipés d’un bétail aratoire plus puissant, ne cèdent rien. Le type du propriétaire détenteur d’une petite vigne ou d’un unique champ se raréfie. L’extrême morcellement des terroirs tend à s’atténuer un peu, davantage autour de la ville qu’à la campagne. Moment privilégié que cette période sombre où l’on a affaire à une paysannerie aisée ou au moins proche de l’indépendance ? Il ne faudrait pas tomber d’un cliché dans un autre, substituer à une vision d’un monde plein conflictuel l’image de communautés clairsemées plus égalitaires mais davantage repliées sur elles-mêmes, préoccupées du bien commun à augmenter et administrer. La faiblesse du prix des produits agricoles et des débouchés ne favorise pas les politiques d’extension. Le manque de temps aussi empêche les stratégies à longue échéance.
4. Les droits seigneuriaux : quelques allégements
79À Sallèles, à Ouveillan, où l’on peut rassembler le plus d’informations, partout où il est possible d’avoir des indices, les caractères mis en évidence dans le terroir urbain se retrouvent. Il s’agit de traits fondamentaux des structures agraires et de la répartition des cultures du Narbonnais. Il y a bien quelques nuances ici ou là. À Sallèles, où la vigne a un peu moins d’importance, c’est l’association vigne-jardin qui l’emporte. Au milieu du xve s., les orts tiennent une place déterminante : 10 ha pour 42 propriétaires, soit une moyenne de 1/4 d’hectare pour chacun, de quoi fournir une part importante de la subsistance des habitants du village. La vigne recule mais les pertes rapportées au nombre de propriétaires sont insignifiantes. L’offensive de l’olivier débute bien dès la première moitié du xve s. La similitude des évolutions dans le domaine contrôlé par la ville et dans les villages, proches il est vrai, mais où les citadins n’ont que des possessions restreintes qui ne leur permettent pas d’orienter directement la production, est frappante. Toutes les catégories de propriétaires suivent le mouvement. Le terroir urbain témoigne pour la campagne et vice versa. Le repérage des transformations s’en trouve considérablement facilité. Autre exemple de la correspondance entre la ville et les communautés rurales au xve s., les nobles sont inscrits au compoix de 1443 à Sallèles : la noble Ramonda Margalous et le noble Ramond Margalous avec Bernard Narbonne, respectivement pour 27,6 ha et 15,15 ha, le noble Ramon Careda pour 4,1 ha et la noble Ramonde pour 1,2 ha. Les communautés en ce milieu du xve s. où la dépopulation fait disparaître les contribuables s’emploient à ce que personne n’échappe aux charges communes, au paiement de la taille, et y parviennent assez bien. En inscrivant les nobles au compoix, les Sallélois augmentaient la superficie encadastrée de 23,6 %. Ici les nobles, à Narbonne les ecclésiastiques. Le xve s. est le théâtre d’une longue épreuve de force entre les communautés et les privilégiés exemptés de taille. La victoire n’est pas immédiatement acquise et les passes d’armes se poursuivent jusqu’à la fin du siècle. Bernard de Narbonne, en compagnie des nobles propriétaires à Sallèles, refuse de payer les tailles royales et les autres impositions sur les terres et le bétail. Pour en finir avec les contestations, on s’en remettra à des arbitres, l’un et l’autre d’Ouveillan : Bernard Agel pour l’université, le marchand Raimond Goudail pour les nobles114. On ne connaît pas l’arbitrage qui fut rendu, mais en 1502 le nouveau compoix comprendra des nobles. À cette date, le principe est acquis partout définitivement. La réalité des tailles ne sera plus remise en cause en Languedoc. Seules resteront exemptes d’impôt des parcelles bien délimitées qui n’appartiennent pas forcément à des nobles115. La résistance se fait au coup par coup. Il n’y a pas, en Narbonnais, d’alliance entre les privilégiés pour s’opposer au paiement des tailles.
80Vigueur des communautés, appuyées par le pouvoir royal, notamment sous Louis XI ? C’est certain116. Leur cohésion n’y est pas étrangère ainsi que le faible poids de la grande propriété. Moindre résistance de la seigneurie ? Celle-ci n’a pas du tout la même puissance que dans le nord de la France. Le roi, bien lointain, et l’archevêque sont seigneurs de plusieurs villages. Mais la seigneurie ne peut en aucune manière se comparer à ce qui existe au nord de la Loire. Pas de présence physique, pas de réserve concédée ou mise en valeur directement qui occupe une part importante des terroirs, pas de pouvoir appuyé sur des banalités contraignantes. La seigneurie est constituée surtout de droits, censives et tasques, qui frappent la terre. Du poids réel qui pèse sur le pouvoir communal et des rapports avec les paysans on ne sait rien. La solution de quelques conflits montre néanmoins que les seigneurs ne font pas toujours la loi. Ils sont obligés de composer et d’accorder aux habitants de larges droits de dépaissance, de ramassage du bois117. Qu’en est-il des droits seigneuriaux, autre test de la vitalité de la seigneurie, de sa capacité à maintenir intacts sa prééminence et ses revenus ? On a noté l’originalité narbonnaise118. Les revenus tirés des droits seigneuriaux sont inscrits en compoix et fiscalisés selon le principe que la valeur d’une terre dépend de l’importance de la redevance qui la grève. L’estime du bien en tient compte. La perte imputable à cette moins-value se compense partiellement par l’imposition des revenus qu’elle procure.
81Malgré ces conditions en apparence idéales pour que ces redevances se conservent intactes, celles-ci parviennent mal à se maintenir entre le début et la fin du xve s. Dans le terroir de Narbonne en 1407, 90 % des biens doivent acquitter des droits. Les 10 % restants, déclarés alleu, en étaient exempts119. La tasque, en proportion de la récolte, les droits en nature, fixes, et les usages en argent se perçoivent dans le terroir de Narbonne. Mais très inégalement. En général les maisons devaient quelques sols d’usage. Il en restait encore chargées de redevances en orge120. Pour les parcelles rurales la proportion était de 10 % à la tasque121, 5 % en nature -cela concernait surtout les champs-, le reste en argent. La diversité la plus grande règne dans le montant des droits acquittés en monnaie. Telle moujade de vigne doit 2 sols ; 3 quartières au Quatourze sont taxés 20 sols122, ce qui revient à une quotité quinze fois plus élevée. La qualité de la terre n’explique pas de telles différences. La date de mise en culture initiale, davantage. D’une manière générale, les droits ne sont pas élevés et subissent l’érosion monétaire. Pendant la première moitié du xve s. les choses n’évoluent guère. On en reste au statu quo. La proportion des tasques reste stable123. À la fin du xve s. les changements sont nets, de trois ordres124. Les usages dus par les maisons sont devenus des deniers : 1 ou 2 parfois ; autant dire rien. La tasque a disparu semble-t-il. En tout cas, elle n’est plus mentionnée. Il y a un allégement par alignement sur les redevances les moins fortes. Mais la principale nouveauté est ailleurs. Alors qu’en 1407, ou en 1429, les droits dus par tous les biens inscrits en compoix sont scrupuleusement mentionnés, les ‘non sap’ sont légion125. De l’ordre on est passé à l’incertitude et au flou. Amnésie calculée, mauvaise volonté des emphytéotes à déclarer, auxquelles la ville pouvait trouver son compte ? Peut-être. Cela traduit aussi un changement d’attitude. Combien d’usages tomberont ainsi en désuétude ? Il est difficile de le savoir car les compoix se font ensuite avares de renseignements126. Les droits seigneuriaux ne sont pas, dès lors, une lourde charge pour les Narbonnais.
82Dans les campagnes, on aperçoit une évolution à un triple point de vue : par la conversion des droits en nature d’orge et de blé, par allégement des redevances, par l’introduction, en certains endroits, de l’incertitude des directes, du même flou seigneurial qu’à Narbonne ; indice sûr de la crise que connaissent les seigneuries. La conversion de l’orge en froment en Languedoc a été brillamment exposée127 . Il est inutile d’y revenir longuement. Les redevances seigneuriales, pourtant très conservatrices, enregistrent tout au long du xve s. les conquêtes du froment. Mais se jouait ainsi, par la même occasion, le poids des charges seigneuriales. Les fiefs de l’œuvre et de la charité d’Ouveillan en sont un excellent exemple, comme ceux de Loupian, de Bordavi et de Bedos128. En 1385, les redevances du fief de l’œuvre étaient toutes en argent ou en orge pour les maisons, en orge ou en huile pour les terres. La transformation des redevances d’orge en froment affecta tous les fiefs. Elle se produisit à partir du milieu du xve s., ce qui suppose une extension antérieure du froment. Jusque-là, l’orge reste roi dans le prélèvement seigneurial. À Sallèles en 1443, l’immense majorité des usages est en orge. Quelques pugnères de froment se glissent çà et là, mais comme à la dérobée, en complément de l’orge. Elle ne se fera pas d’un coup et ne sera pas totale. Pour les fiefs de l’œuvre, par exemple, elle toucha un peu plus de la moitié des parcelles. À la fin du xve s., près de la moitié des censives du fief de Bordavi étaient aussi en froment. Ces différents fiefs n’étaient pas de même nature. L’œuvre et la charité dépendaient de la communauté. Les fiefs de Loupian et de Bordavi appartenaient à des citadins. Noble Jean de Bordavi faisait fonction de lieutenant du viguier de Narbonne à la fin du xve s.129. L’étroite similitude de ces exemples leur donne une portée générale. Le passage au froment se poursuivra tout au long du xvie s. Pour le fief de Bordavi, par exemple, où aucune reconnaissance ne fut passée pendant le xvie s., la conversion eut lieu en 1613. Celles qui ne le furent pas alors passèrent de l’orge au froment en 1642 -à l’exception de rares parcelles130. Le fief de Bordavi rend bien compte du mouvement général : la transformation des redevances s’achève dans la première moitié du xviie s. Jusqu’à la fin de l’Ancien Régime ensuite la nature des redevances restera stable. Dans les modifications des redevances, on ne relève pour aucune parcelle la transformation des redevances de grains en argent. Ce type de conversion s’aperçoit peu en Narbonnais.
83Mais d’après quel rapport s’effectua le passage de l’orge au froment ? Interviennent, là, beaucoup de facteurs : l’évolution comparée des prix de l’orge et du froment, davantage encore les rapports de force entre les emphytéotes et les seigneurs. La conversion se fit en ordre dispersé et à première vue de manière très anarchique. Entre les fiefs, à l’intérieur même des fiefs, l’évolution est très disparate. On trouve selon les parcelles toutes les variables : du rapport 1-1 -1 pugnère de blé pour 1 pugnère d’orge- qui était une surcharge, au rapport 1-1/8 -1 pugnère de blé pour 2 quartières d’orge- qui, assurément, constituait un allégement des redevances seigneuriales. Pour les fiefs de l’œuvre et de la charité la conversion la plus générale fut de 1 pugnère de blé pour 1 quartière d’orge. Les emphytéotes étaient gagnants. On voit souvent le rapport 1-1/8 dans les fiefs laïques. Quand il s’agissait de l’intérêt commun les villageois pratiquaient une conversion de parité. Ils obtiennent des seigneurs laïques et forains des conditions qui leur étaient favorables. L’observation est intéressante. Elle aurait besoin d’autres confirmations.
84La réduction du taux de redevances autrement que par la conversion des usages d’orge en froment est difficile à suivre. Le courant d’allégement ne date pas de la période de dépression. Si le domaine royal produisait peu c’est qu’il était formé de fiefs venant de la vicomté au rendement déjà fortement réduit. Quand Amaury de Narbonne concédait des terres à nouvel achept au début du xive s., il le faisait non à la tasque, mais contre une redevance en nature131. En 1323, il concédait des réductions d’usages aux habitants de Pérignan sur les herbages. Les emphytéotes ne jouissaient pas partout de conditions aussi favorables. Le prélèvement seigneurial en nature restait très élevé. Des taux de 6 pour 1, voire de 5 pour 1, ou même 4 pour 1 n’étaient pas rares en Minervois, à Peyriac132. Dans cette zone, les livres de reconnaissances ne portent pas trace d’un bouleversement des droits seigneuriaux aux xive et xve s., voire au xvie s. Les taux les plus défavorables disparaissent. Mais le recul est lent. Tentons une chronologie. Les taux exhorbitants, supérieurs à l/7e -soit 15 % de la récolte au moins- ne se rencontrent plus après 1400. Il reste des tasques au l/8e, au l/9e133. Ces taux de 11 % ont la vie dure134. À la fin du xve s., la tasque au 1/11e -9 %- légèrement inférieure ou égale au prélèvement décimal s’est généralisée. Elle se stabilise autour de ce taux moyen135. Mais rien n’est uniforme. Aucun fief, même le plus exigu, ne comportera jamais un même type d’usage ou une seule quotité136. Les fiefs appartenant à l’Église résistent mieux que les fiefs des laïques. Ce n’est pas une règle générale. À la fin du xve s., au début du xvie, commencent à s’apercevoir des tasques à un taux moindre : l/13e, l/14e et des demi-tasques, ce qui équivaut à l/22e137. Globalement, on peut donc conclure à une diminution du prélèvement seigneurial. Dans quelle proportion ? Une enquête systématique est impossible. On doit se contenter d’approximation. De un tiers environ quand on passe de 1/11e à l/16e, de 50 % lorsque la demi-tasque est accordée, de 25 à 30 % au moins quand le rapport orge/blé est favorable. Il serait important aussi de savoir si la diminution touche toutes les communautés. Au début du xvie s., les droits les plus faibles s’aperçoivent autour de Narbonne. On y bénéficie d’une libération du servage plus précoce, de la faiblesse de la seigneurie vicomtale. Les droits restent lourds dans les communautés plus éloignées, comme dans les Corbières.
85Les paysans profitent de l’extrême division des fiefs autant que de la lente baisse des droits seigneuriaux qui ne fait que poursuivre un mouvement commencé plus tôt. L’émiettement favorise la diminution des usages. Ce qui est gagné ici pourra servir à revendiquer de meilleures conditions dans le fief voisin. De là, l’apparent ordre dispersé avec lequel se font les gains. L’enchevêtrement des directes parvient à produire ce résultat qu’on ne sait plus très bien d’où relève telle ou telle parcelle ; ce qui est le plus sûr moyen de ne rien payer. Reprenons encore le cas d’Ouveillan que sert l’abondance documentaire des reconnaissances et des plans de directes. L’imbrication des droits est singulière. Pour cinq sétérées d’un champ à Col d’Agaret dépendant du fief de la charité « la directe est indivise avec le fief de l’œuvre, celui du chapitre Saint-Just de Narbonne, Notre-Dame de Quarante et autres »138. On pourrait multiplier les exemples. À la fin du xve s., on hésitait sur la contenance de certaines directes. Ainsi beaucoup de parcelles reconnues en 1461 à l’œuvre le seront 35 ans plus tard au roi. La confusion ne sera pas dissipée puisque les mêmes parcelles seront reconnues successivement à divers fiefs. À la fin du xviiie s. encore, un certain nombre de terres resteront en ‘concours’, seront revendiquées par plusieurs seigneurs139. La faiblesse de la seigneurie ne saurait mieux se décrire. Si de nouveaux livres de reconnaissances sont refaits, on n’assiste pas à une restauration féodale, à une reprise en main et au rétablissement, même partiel, des anciens droits. Les exactions du notaire de Labba chargé de renouveler le terrier du domaine royal confirment cet état de fait. Depuis qu’Ouveillan était tombé dans le domaine royal jamais personne n’avait vraiment pris soin de son revenu. Aux trois quarts du xve s. on n’en tirait que « deux setiers d’orge, deux setiers de blé et vingt cinq setiers argent » à la fois à cause d’une perception peu rigoureuse et de multiples empiétements140. De Labba n’usa guère de ménagements. Il inscrivit d’autorité sur le nouveau livre terrier du roi des parcelles indivises avec plusieurs seigneurs, exigea sous la menace la reconnaissance de terres dépendant d’autres fiefs, convertit les censives payées en orge, en blé au taux de 1 pugnère de blé pour 2 pugnères d’orge, enleva de force le blé des habitants qui devaient des arrérages ainsi que les bœufs, les ânes et les mules qui étaient en train de labourer. Il emporta d’Ouveillan, dit-on, 400 setiers de blé141. Un procès s’ensuivit qu’intenta la communauté au feudiste installé depuis peu à Narbonne, pressé de faire fortune et aux manière expéditives. Sa tentative ne peut vraiment être considérée comme caractéristique d’une réaction féodale. Elle est isolée en Narbonnais142, vient après deux siècles de quasi absence seigneuriale, est autant l’exploitation de la faiblesse des autres seigneurs qu’une véritable preuve de force. Pour résister et contrer le feudiste trop zélé ce ne sont pas les seigneurs qui s’allient pour défendre leurs droits mais les habitants, en corps de communauté, qui intentent une action judiciaire rapidement couronnée de succès. Le Narbonnais reste donc totalement étranger à un regain de vigueur de la seigneurie comme on l’aperçoit dans toutes les régions situées au nord du Massif central.
5. Une reprise tardive et inégale
86Jusqu’à quelle date se poursuit la crise des campagnes qui est davantage celle du peuplement que des terroirs et de la condition des individus ? Tout dépend du nombre des hommes. Mais sur ce plan-là, on ne sait rien ou à peu près143. Vers le milieu du siècle pourtant s’annoncent des signes, ténus encore, de changement. À Ouveillan le morcellement reprend144. Le mouvement est lent à se manifester, à peine perceptible. Mais le nombre des reconnaissances ne laisse aucun doute sur la nature du phénomène. Les partages ont lieu lors de la transmission des terres par héritage. La remontée du peuplement serait donc antérieure à celle de la ville et les maigres indices des reconnaissances féodales laisseraient entrevoir un renouveau relativement précoce, à l’œuvre dès la décennie 1450 puisque les héritages sont partagés vers 1470, ou même avant, et s’effectue à partir du noyau de population existant. Les divisions de parcelles se font au bénéfice de descendants, non de gens arrivés de fraîche date.
87Jusqu’aux trois quarts du siècle, on ne peut parler d’un relèvement ou d’une reprise de la croissance qui entraînerait la campagne. De manière moins accentuée que la ville, celle-ci connaît le même décalage par rapport au nord du royaume, un retard d’environ une génération. L’abondance des sources conservées a déjà valeur d’indication : on refait les terriers ainsi que les compoix. On remet en ordre ; les communautés éprouvent le besoin de noter les changements rapides qui se produisent et bouleversent la répartition de la terre, la distribution de la richesse ainsi que la charge fiscale à supporter.
88Une précision d’ordre pratique, ici, sur la manière d’utiliser nos documents ; nécessaire pour la poursuite de nos investigations. Les magnifiques compoix languedociens ne forment pas les séries continues, sans failles, que l’on aimerait avoir. Les plus anciens, on l’a vu à Sallèles, n’apportent pas tous les renseignements que l’on attend, notamment les superficies, ce qui paraît leur enlever leur principal intérêt. On peut pallier dans une certaine mesure ces inconvénients. Les compoix donnent toujours le montant de l’évaluation des biens, même si les systèmes diffèrent selon les lieux et le moment : impôt à payer à la date du compoix, valeur réelle des biens telle que les évaluent les estimateurs, ‘livres de compoix’ plus tard qui jouent le rôle d’unités de compte, équivalentes dans la plupart des cas au 1/100e du prix de vente supposé des différentes catégories de biens145. En Languedoc, pays de taille réelle, l’assiette s’effectue par répartition ‘au sol la livre de compoix’146. Les consuls et ceux qui prennent en charge la levée des impôts demandent à chacun son dû sans soulever de contestations. Aussi, pour surmonter l’hétérogénéité et la discontinuité dans le temps, suffit-il d’être attentif aux proportions, de calculer la valeur moyenne des estimes et de suivre leur répartition par rapport à cette moyenne147. On rétablit ainsi les continuités et on intègre dans une même série compoix et livres de taille. La méthode n’est pas sans faiblesse. Celle-ci provient de la fonction même des compoix qui découle de l’assiette de l’impôt direct ‘départi’ communauté par communauté selon le barème du compoix diocésain. Tout le monde n’a pas l’ensemble de ses biens dans un seul terroir. On cerne bien les patrimoines des gens modestes. Les plus riches dont les biens se trouvent dispersés dans plusieurs communautés, même contiguës, apparaissent beaucoup moins bien. Les écarts auront tendance à être sous-estimés. Malgré cela, on atteint correctement et on place dans une perspective de longue durée un des problèmes fondamentaux de ce monde essentiellement terrien : le mouvement foncier et ses bénéficiaires, le renforcement ou l’affaiblissement des gros et des petits propriétaires, le nombre des riches et des pauvres et l’écart qui les sépare148. Le classement des propriétaires et la répartition des villageois en fonction de la moyenne d’imposition ne sont pas rigoureusement comparables. Surface et valeur de la terre sont deux notions différentes. Ces deux moyens pour déterminer des catégories sociales à l’intérieur des communautés se recoupent largement, sont complémentaires et aboutissent à des conclusions identiques. Mais pourquoi privilégier les compoix, compter et recompter les propriétaires, les parcelles, leur contenance, l’espace consacré à chaque culture ? Un compoix ne donne jamais que la photographie d’un seul terroir à la fois à une date donnée. Il est rarissime d’en posséder plusieurs de communautés géographiquement proches à des dates pas trop éloignées les unes des autres149. Les tentatives d’exploiter les séries de compoix, péniblement assemblées, risquent malgré la lourdeur des travaux d’approche de ne produire que des résultats médiocres, car beaucoup trop disparates. Au mieux, une juxtaposition de monographies. Malgré ces inconvénients dont il faut s’accommoder, les séries cadastrales ont une supériorité sur toutes les autres sources. On peut atteindre grâce à elles, en même temps, la société, les hommes, l’économie. Les séries décimales, les mercuriales, bien repérées, décrites et utilisées150, de mise en œuvre rapide, vite parlante, ne donnent pas cette triple dimension. Les aléas de la production, les difficultés qui emplissent la vie quotidienne se répercutent immédiatement sur la courbe des prix par de brusques accès de fièvre. C’est ce que retiennent les mémoires, les chroniques, les correspondances des administrateurs inquiets. Visions du temps court. La hausse inégale du prix des denrées finit, malgré la part quasiment incompressible consacrée à l’autoconsommation, par avantager telle ou telle culture et modeler le paysage. Tout aboutit aux finages où se déroule la vie de l’immense majorité de là population. Là est le résultat du mouvement économique, de la perception qu’en ont les hommes, de la position dans laquelle ils se trouvent à son égard, des contraintes de la production, des stratégies individuelles, familiales ou des catégories sociales. Il ne saurait être question de rabaisser les mérites des séries décimales151. Peut-être les a-t-on trop sollicitées, voulant en tirer des volumes de production, ou en déduire des rendements. L’expérience des terroirs narbonnais, la confrontation des superficies cadastrales et du mouvement décimal, incite à la plus grande prudence. À titre d’exemple, prenons deux cas de figure qui s’observent à propos des revenus du chapitre Saint-Just. Soit le cas d’une dîmerie au territoire bien délimité. Le chapitre prélève la dîme du blé. Une extension de l’olivier aura tendance à faire fléchir la courbe décimale. Ailleurs, une autre dîmerie où le chapitre prélève la dîme de tous les gros fruits. L’information plus sûre permettra de tenter un calcul des fluctuations du volume de la production ou d’apercevoir la bonne volonté ou la réticence des paroissiens à payer la part de récolte qu’ils doivent à l’église. Mais l’interprétation sera-t-elle sans reproche à propos de terroirs, on a commencé à l’apercevoir, qui ne cessent de s’arrondir152 ? C’est à une impasse que l’on risque d’aboutir.
89Aux trois quarts du siècle, l’ambiance change radicalement en Narbonnais. Deux compoix rédigés à cinq ans d’intervalle à Peyriac-Minervois traduisent bien la vivacité de la reprise qui est en train de se produire (cf. annexe n° 6, 1 et 2)153 . 162 propriétaires se partageaient les terres en 1471. Chiffre considérable déjà, à première vue, qui lui donnerait, alors que l’on sort à peine de la dépression, une taille respectable. Mais les forains sont majoritaires. On en compte 85, contre 77 résidants. Le phénomène attire l’attention immédiatement, d’autant que ceux-ci détiennent près d’un tiers de la valeur des biens encadastrés154. L’originalité du phénomène apparaît quand on s’intéresse à leur lieu de résidence et aux biens qu’ils possèdent. Il n’y a aucun grand propriétaire parmi eux, ni de citadins des principales villes du voisinage qui témoigneraient d’investissements nobles ou bourgeois. Ces forains ont quelques bâtiments, mais surtout des vignes ; beaucoup de vignes. Quelques-uns sont des voisins des communautés environnantes, comme Azille, Trausse, Pépieux... La majorité habite beaucoup plus loin, à dix, vingt, trente kilomètres ou même davantage. On observe rarement ce type d’appropriation d’une parcelle ou deux totalement isolées du corps principal des patrimoines. La représentation sur une carte de l’origine de ces forains montrerait qu’ils habitent tous, sans aucune exception, au nord de Peyriac155. Ce terroir de plaine, situé au sud de la Montagne Noire qui bloque les influences méditerranéennes, faisait figure pour les habitants du revers de la montagne, d’adret ensoleillé, de terre à vin. Davantage qu’un type de colonisation, on a là une forme de complémentarité entre la plaine lumineuse et la montagne brumeuse et arrosée, entre les sols calcaires et les terres froides. Les notables ou simplement les bons propriétaires de Castres, Saint-Amans4156, Saint-Amans-Valtoret, Esperausses, Pont-de-Larn, Castelnau-de-Brassac, Angles ou Lacaune, avaient ainsi la satisfaction de boire le vin de leur vigne157. Des courants d’échanges massifs existaient donc entre le piémont de la montagne et l’intérieur qui témoignent d’une forte organisation de l’économie à l’échelle régionale et d’une solide résistance de la structure des patrimoines.
90Peyriac-Minervois en 1471 pourrait apparaître comme un modèle de répartition de la propriété telle qu’on la décrit de manière idéale au terme de la dépression qui a clairsemé les populations et mis en position peu favorable la grande propriété à cause du niveau des prix agricoles et des salaires. Les écarts sont faibles, réduits au minimum. La valeur des biens de la majorité des propriétaires habitant Peyriac est en effet comprise entre la moitié et deux fois la moyenne des patrimoines inscrits au compoix - 55,8 %. 10 % à peine des possédants s’élèvent au-dessus de la barre 2 M158. Ce petit groupe est doué lui aussi d’une belle homogénéité puisque les biens de tous ses membres sont compris entre 2 M et 4 M. Une poignée de villageois seulement ont peu de choses. 13 % d’entre eux descendent au-dessous du quart du montant moyen des patrimoines. A-t-on là l’aboutissement du processus de formation de la propriété moyenne que l’on a vu à l’œuvre à Narbonne ? On peut le penser. Cinq ans plus tard on éprouve le besoin de refaire le compoix à Peyriac-Minervois. Le précédent est déjà caduc car 12 habitants supplémentaires ont accédé à la propriété : + 15,6 % ! La reprise est d’autant plus vive que l’immobilité s’est prolongée tard. Le caractère endogène de la croissance est bien marqué par la quasi stabilité des forains. Il ne s’en est ajouté que deux de 1471 à 1476 - + 2,3 %.
91Une entrée aussi massive de nouveaux possédants dans le village était de nature à bouleverser les structures foncières et sociales. Deux hypothèses s’offrent immédiatement à l’esprit : de nouveaux arrivants ou des brassiers sans terre tentent leur chance, défrichent ou achètent une parcelle ; des patrimoines déjà constitués sont partagés entre plusieurs fils. Or les équilibres entre les groupes de propriétaires restent à peu près intacts. On ne constate ni gonflement des micro-propriétaires -en proportion ils auraient même tendance à légèrement diminuer159-, ni affaiblissement des gros bataillons de propriétaires moyens. Au contraire, le trait dominant de cette reprise qui paraît s’emballer est de propulser la société villageoise vers le haut. Bernard Grasset passe la barre de 4 M, avec une estimation totale de ses biens sur le compoix égale à 288 l.160. Une ascension se dessine qui n’est pas uniquement une promotion individuelle. La catégorie des propriétaires aisés se renforce. Dix d’entre eux ont maintenant un patrimoine dont la valeur est supérieure à 2 M contre 8 cinq ans plus tôt161. La capacité d’intégration de la société villageoise apparaît comme tout à fait remarquable. À la fin du xve s., est en train de se produire, de manière accélérée, le même phénomène que l’on avait vu à l’œuvre à Narbonne à la fin du xive s. et au début du xve s., de réduction des patrimoines squelettiques et d’augmentation de la taille moyenne des propriétés. Mais, là est toute la différence, cela se produit en Minervois en phase de croissance alors qu’à la fin du xive s. et dans la première moitié du xve s. on était en période de dépression.
92Cette heureuse période a-t-elle pu se prolonger longtemps ? Deux nouveaux compoix de 1504 et 1521 permettent de serrer de près la réalité162. Le fait qu’ils soient rapprochés, que s’impose à la communauté la nécessité de se lancer à nouveau dans de coûteuses opérations d’arpentage du terroir et d’estimation des biens, est déjà un indice. Les structures foncières continuent à bouger à vive allure. 135 habitants du lieu sont inscrits au compoix de 1504 ; 186 en 1521. En un demi-siècle l’augmentation est de + 141,5 %. Autant que sa puissance étonnante, ce qui est remarquable dans cette progression, après l’éruption du début de la décennie 1470, est sa régularité : + 1,87 % de gain annuel entre 1476 et 1504, + 2,1 % par an au cours des deux premières décennies du xvie s. Chaque année, pendant cinquante ans, deux propriétaires supplémentaires se sont ajoutés à Peyriac-Minervois. Il ne s’agit plus là d’une simple récupération, mais d’une expansion longue. L’immigration reste forte. En témoigne le stock des anthroponymes. 44 noms de 1476 se retrouvent en 1504, 32 manquent, 40 font leur entrée dans le compoix. Le phénomène de substitution d’une population à une autre déjà entrevu à Sallèles dans la première moitié du xve s., en cours à Ouveillan au même moment, est à l’œuvre à Peyriac. L’immigration n’est pourtant pas le seul moteur de l’expansion. La lecture attentive du compoix, rédigé avec le plus grand soin et un luxe de détails par le notaire De la Vabre, apprend que des foyers fiscaux sont composés de plusieurs frères, ce qui n’était pas le cas aux trois quarts du xve s. Citons, presque au hasard, parmi la dizaine de cas recensés, Peyre Debretas et sas frayres, Jehan, Anton et Blase Tort frayres... On ne peut imaginer une expansion subite des frérèches. Cela s’accorderait mal avec un terroir de plaine, la reprise de l’expansion et un village où la construction va bon train. L’arrivée à l’âge adulte de classes d’âge plus nombreuses produit ses effets et se traduit dans un premier temps par la multiplication des cotes collectives où le patrimoine laissé par l’aïeul reste encore indivis. Le processus de division est déjà entamé et entre pour une part dans l’augmentation du nombre des compésiés. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, Berthomieu et Jehan Gleissas possèdent-ils chacun un ostal, un ort, une vinha situés dans le même tènement, côte à côte, évalués au sol près, de manière rigoureusement identique. On peut, sans trop s’aventurer, dater le moment de la reprise de la natalité à Peyriac de la décennie 1460. Notons la manière dont sont effectuées les successions : par un partage de stricte parité entre les frères. Pour peu que plusieurs frères atteignent l’âge adulte, c’est l’émiettement irréversible des patrimoines. L’accélération du phénomène est flagrante à l’extrême fin du xve s. Alors qu’en 1471 et en 1476 la parcelle de trois habitants seulement valait moins de M/8, il s’en trouve 16 dans ce cas en 1504. Le bel âge, bref, où l’on pouvait espérer sans trop de difficultés se tailler des exploitations correctes, est clos. Les patrimoines de peu de valeur qui correspondent à une petite maison ou à une seule pièce de terre, de vigne généralement, font un retour en force. Entre 1471 et 1521, la catégorie des habitants dont la valeur des biens ne dépasse pas M/4 voit ses effectifs multipliés par 4 - + 428 %. Les possédants modestes sont en passe de redevenir un groupe social qui compte à Peyriac163.
93Dans un premier temps, les habitants eurent-ils vraiment conscience de tous les bouleversements dont ils furent les acteurs et les témoins tant les choses allaient rapidement ? Le village ressemble à un chantier permanent. 102 maisons sont mentionnées sur le compoix de 1476. On en dénombre 162 en 1504. L’augmentation - + 58,6 %- est légèrement supérieure à celle des propriétaires. Indice que la population croît encore davantage que le nombre de ceux qui accèdent à la propriété ? Ce rythme de croissance du bâtiment, et de l’espace bâti, se maintient pendant près de 50 ans. 55 maisons supplémentaires sont construites entre 1504 et 1521. Que l’on mesure bien l’ampleur du phénomène et de la transformation de l’aspect du village en 17 ans : il se bâtit l’équivalent de la moitié des maisons qui existaient aux trois quarts du xve s. ! La construction se ralentit un peu ensuite dans le second quart du xvie s. Vers 1550, l’espace bâti couvre deux fois et demie la place qu’il occupait au moment où a commencé l’expansion.
94L’ardeur que l’on met à construire réclame des bras et soutient l’activité. Au tournant du siècle, Peyriac est aussi gagné par l’engouement viticole. Le mouvement des plantations est encore plus vif qu’à Narbonne. Que l’on en juge : à la Ginestière il y a 19 malheuls pour 17 vignes adultes, al Bousquet 17 malheuls pour 3 vignes, à la Banda 11 malheuls pour une vigne... La Bastide n’est plantée que de malheuls. La conquête viticole n’est pas aussi générale dans toutes les zones du terroir. Mais la densité des parcelles plantées de ceps et la proportion des malheuls dans les tènements que l’on a cités montrent à l’évidence que les gains s’effectuent par défrichement et spécialisation d’une partie de l’espace. 100 des 135 propriétaires possèdent au moins une vigne, 85 un ou plusieurs malheuls. Si l’on ajoute que 20 habitants de Peyriac n’ont comme parcelle de vigne qu’un malheul et que 47 d’entre eux ne possèdent pour tout bien qu’une vigne on aura tout dit de cette ‘folie de la vigne’ qui s’est emparée du Minervois et de son importance dans l’accession à la terre. Toute la population, ici aussi, participe à la phase viticole, les petits encore plus que les propriétaires aisés. Toute proportion gardée, on assiste à un phénomène identique à celui qui s’était produit vers 1340 entre Ouveillan et Capestang164. Les plus modestes se reportent-ils sur la vigne car ils manquent de moyens et d’attelages pour faire valoir leur bien ? Il ne semble pas encore. Les animaux de trait ou le bétail aratoire apparaissent nombreux et équitablement partagés. La différenciation n’est pas encore vraiment faite sur ce plan-là. Il y a autant de muols, mulas, ases, saumas, egas et rossins que de propriétaires, avec un avantage aux mules et mulets sur les ânes, sans compter quelques bovins.
Tableau n° 22 - Le bétail aratoire et de trait à Peyriac-Minervois en 1504

95Les écarts recommencent à se creuser. Autant la chute de la population et les conditions économiques qui l’accompagnent, avaient poussé au regroupement des patrimoines autour d’une honnête moyenne en atténuant les disparités, autant l’augmentation du nombre des propriétaires produit des effets inverses, joue comme un facteur centrifuge en dégarnissant les catégories intermédiaires si caractéristiques de la seconde moitié du xve s. Toutes les catégories de propriétaires voient leurs effectifs augmenter. L’important est de bien discerner celles qui progressent plus que les autres. Conservons, à cette fin, seulement deux seuils pour répartir les possédants, M/2 et 2 M, ce qui les distribuera en trois grands groupes. On s’aperçoit que seule la catégorie intermédiaire a une progression inférieure à celle du nombre des propriétaires : +76 % contre 109 %. Par rapport au taux moyen d’augmentation des possédants, la propriété moyenne est en retrait de 36 %, alors que les ‘petits’ et les ‘aisés’ progressent de plus de 35 %. Les ciseaux s’ouvrent. Tous les chiffres l’indiquent.
96En 1471, 41,5 % des habitants se situaient au-dessus de la valeur moyenne des patrimoines. En 1521, 33,3 % sont dans ce cas. Les plus gros avoirs qui constituaient l’échelon supérieur des fortunes en 1471, compris entre 2 et 4 M, sont largement dépassés. Les ‘aisés’, les riches peut-on dire pour certains d’entre eux maintenant, accaparent 43,9 % des biens immobiliers et fonciers de la communauté. Leur part a pratiquement doublé depuis 1471. Ils se hissent presque à la hauteur du capital détenu par les catégories moyennes alors que cinquante ans plus tôt ils en étaient à peine aux deux cinquièmes - 41,3 %. La belle époque des gains pour tous est révolue. Paupérisation et réussite brillante vont de pair et sont comme symétriques.
Tableau n° 23 - Évolution des patrimoines à Peyriac-Minervois de 1476 à 1521

97Peyriac, on le voit, est entraîné dans un mouvement de mutation intense qui bouleverse tout : l’habitat, le paysage rural, l’équilibre des groupes sociaux. Mais tout ceci s’efface cependant devant cette simple constatation : tous ces changements qui emportent la communauté ne sont pas commandés de l’extérieur. La propriété foraine stagne ; autrement dit, en nombre comme en superficie et en valeur, elle recule par rapport à la propriété villageoise. À Peyriac, il n’y a pas de biens importants appartenant à la noblesse ni de propriété ecclésiastique consistante165. On ne peut donc retenir ici le schéma d’incitations extérieures qui amorceraient le redressement rural, ou l’encourageraient fortement, et d’une vitalité retrouvée de la seigneurie qui entraînerait derrière elle la société paysanne.
98Le Minervois paraît privilégié. Toutes les communautés ne connaissent pas un tel essor. Plus tardive, la reprise est aussi de moindre ampleur à Sallèles, comme si la ville voisine lui communiquait sa langueur. En 1502, il n’y a que 21 % de propriétaires de plus qu’en 1443. Le chiffre de 1415 n’a pas encore été rattrapé. Moindre vivacité ne signifie pas immobilité. Le stock des anthroponymes se renouvelle une fois encore presque totalement dans la seconde moitié du siècle. Trois noms de famille présents à Sallèles en 1415 résistent jusqu’au début du xvie s., quatre seulement des vingt cinq noms de famille apparus en 1443 parviennent à se maintenir.
99Malgré la moindre pression démographique, les structures foncières se modifient au moins autant qu’en Minervois. Différemment. 30 % des Sallélois sont redevenus des propriétaires mono ou bi-parcellaires. Mais la reconquête ne s’effectue pas ici par le bas, comme à la dérobée, par l’ouverture de nouvelles terres par ces installés de fraîche date. À 2 ou 3 ha près, les superficies entre les mains des villageois sont identiques166. Les seuls chiffres des propriétaires pourraient donc nous induire en erreur et nous laisser croire à un redressement. On a affaire ici à une stagnation, à une fausse croissance. Les villageois jouissant de l’indépendance économique voient leur nombre se réduire. Très peu de Sallélois ont progressé de manière à passer le cap des 10 ha qui les aurait fait entrer dans le groupe des ‘aisés’. La dynamique a joué davantage vers le bas que vers le haut. Les promotions se sont-elles trouvées empêchées par l’arrivée des citadins ? Raulin Seguier de Narbonne est devenu le principal propriétaire foncier à Sallèles avec 53,3 ha. Cette explication ne rend pas compte de tout, car le territoire de la communauté ne manquait pas de terres de bonne qualité.
Tableau n° 24 - Évolution des structures foncières à Sallèles-d’Aude dans la seconde moitié du xve s.
Nombre de propriétaires, en %.

100Ouveillan présenterait un troisième type de restauration rurale qui allierait des caractères des deux modèles précédents. On a une assez bonne idée des structures foncières et sociales grâce à un répertoire des fiefs et des reconnaissances établi à l’extrême fin du xve s. à cause des contestations avec le notaire de Labba167. On dénombrait à Ouveillan 123 propriétaires. Ce répertoire n’établit pas très clairement la distinction entre les gens du lieu et les forains. Mais en reprenant, avec une garantie d’erreur minime, le nombre des habitants des villages voisins qui peu après ont des biens à Ouveillan, cela nous donnerait au mieux une population équivalente à celle du début du siècle. La récupération, perceptible depuis une génération, aurait mis du temps à produire ses effets. La répartition de la propriété ne réserve pas de surprise. Il y a un bon noyau de paysans indépendants qui ont de 12 à 15 parcelles portant des cultures diversifiées. Près de la moitié des Ouveillanais ne possèdent malgré tout qu’une parcelle ou deux. À l’autre extrémité de l’échelle, se dégagent trois propriétaires qui sont très au-dessus des autres : Jean Espardeiller, Raymond Agel et surtout Raimond Goudail, à la tête de 51 parcelles, qui est le type même d’une ascension au village réussie en période de difficultés. Lui aussi appartient à la génération de ces personnages entreprenants qui se livrent au commerce et réalisent en peu de temps des profits considérables. Il réinvestit tout dans la terre et, bien qu’il ait acquis un certain prestige aux alentours puisque les nobles propriétaires à Sallèles en délicatesse avec la communauté le choisissent comme leur arbitre, ne vient pas à la ville voisine tenter sa chance et chercher une consécration à son ascension. Le point commun de ces trois notables est d’appartenir à des familles dont on est sûr qu’elles sont installées à Ouveillan depuis près d’un siècle. En milieu rural la réussite ne vient qu’avec un minimum de durée.
Tableau n° 25 - Structures foncières à Ouveillan à la fin du xve s.
Nombre de parcelles détenues par les propriétaires (en %)

101Quelles conclusions dégagerons-nous de ces exemples, à défaut d’une étude d’ensemble impossible à faire faute de sources ? Le caractère tardif du redressement est certain. Au mieux, on peut le dater de 1470, du moment où les difficultés s’accumulent dans d’autres régions du royaume et se manifeste un ralentissement de la croissance. De même, le retour à la marche en avant se fait en ordre dispersé. Il n’y a pas de reprise générale et massive. Brutale et s’emballant littéralement à Peyriac-Minervois, elle est très lente à se mettre en route ailleurs. Dans l’ensemble, au moins pour ce qui est du nombre des propriétaires, les positions du début du xve s. ne sont pas encore reconquises en 1500. Mais s’en plaindrait-on puisque la dépression a eu le résultat d’atténuer les distances sociales, de favoriser la formation de groupes de paysans indépendants qui vivaient correctement de leur bien et avaient leur oustal garni d’une belle ménagerie. Il paraît acquis, également, que la campagne se met en branle avant la ville. Les citadins ne jouent à ce moment là aucun rôle significatif, d’incitation, dans l’orientation de la production agricole ou dans l’évolution de la société rurale. Cela ne donne que plus de force au mouvement de mutation des structures foncières qui s’amorce partout, addition de processus internes aux communautés, multiformes, mais qui vont tous dans le même sens. Le ‘beau temps de la reprise’ qui coïncide avec le moment où le rapport entre le salaire et les prix s’inverse, au détriment de la rémunération du travail, voit les écarts recommencer à se creuser entre ceux qui sont déjà bien pourvus et progressent fortement et les petits dont la troupe grossit. Le chiffre de la population n’est pas tel cependant que cela crée encore des difficultés.
Notes de bas de page
1 C. CARRERE, (1967) ; P. VILAR, (1962).
2 J. BAUMEL, (1972) p. 222-224. Les difficultés frumentaires sont générales en Languedoc. À Narbonne une ‘cherté extraordinaire’ du blé dure plusieurs mois jusqu’à la nouvelle récolte de 1459, cf. AA 103, f° 156 v°.
3 De 1480 à 1487 par exemple ; collecte des clavaires 1486, f° 90 v° : « ce robinage ne rend rien car il est resté à la main du roi ».
4 Collecte des clavaires, 1458, f° 89, mouvement des bateaux à partir du 20 juin. Mais une barque catalane était dans le port le 8 février.
5 Ibidem, 1459, f° 93, 1 en mars, 1 en avril, 5 en mai, 2 en juin, 5 en octobre, 3 en décembre, 1 le 15 janvier 1560.
6 Train de bois de flottage.
7 8 000 oranges aussi en 1469, collecte des clavaires, 1469, f° 109 v° ... etc.
8 La ville n’encaisse pas le droit de robinage dont le revenu est laissé au souverain ; elle perçoit seulement le droit de passage des carras à la paissière de Sallèles.
9 Collecte des clavaires, 1461, f° 12, un Perpignanais paie les droits de 1 carras, 1462, f° 111 ; 1468, f° 99 v° ...
10 25 bateaux amènent 1 652 barils de sardines ; quelques dizaines chacun. Anthony Pujol de Barcelone en amène 400 d’un coup fin juin. Il charge 90 setiers de blé. 59 000 oranges sont déchargées, ce qui représente entre 8 et 10 tonnes, en 5 fois.
11 Cf. supra, tableau n° 3.
12 26,25 % exactement : 2 764 setiers de blé, 180 d’avoine, 6 d’orge, 40 de farine.
13 Collecte des clavaires, 1449, f° 125 v°.
14 Ibidem, 1471, f° 91 v°.
15 En 1469 Ramon Griffe de Leucate paie 21 l. 1 s. 8 d. pour le droit de robinage de 250 setiers de froment soit 2 d. par setier. Le droit est porté à 3 d. par setier pendant la traite du blé. La variation du droit d’entrée selon les circonstances montre combien il est difficile de se fonder entièrement sur le montant du robinage pour évaluer le mouvement portuaire.
16 Ce qui, malgré le vet de la traite du blé, porte le revenu du droit de robinage à 295 l. 14 s. 2d.
17 20 chargements.
18 En principe, poutres et cerceaux.
19 En 1470, à la sortie : 19 carras de bois, 22 douzaines de rames et 9 antennes de barques, 55 quintaux de salicor, 6 quintaux de fer, une charge et demie de peaux de chèvre, 183 cuirs de bœuf, 185 cuirs de vache, 37 charges de pastel, 2 caisses de couvertures.
20 53 l. encaissés en 1468, 57 l. 4 s. en 1469.
21 Collecte des clavaires, 1473, f° 113 : 303 barils de sardes et d’anchois, 3 balles de riz, 4 qx de panses, 25 setiers de farine et de froment, 20 qx de salicor, 6 carras de bois.
22 Ibidem, 1475, f° 118 v° sq. : 412 setiers de blé, 41 setiers d’avoine, 8 setiers d’orge, 7 ballots de riz, 1 quintal de farine, 5 carras dont 2 de postes, 4 charges d’ariscles et cedasses, 79 qx de salicor, 22 balles de cuirs de bœuf, 24 douzaines de peaux de cabris.
23 267 quintaux de fer, des clous.
24 223 balles de pastel, 40 balles de pastel et roga, 8 sacs de roga, 7 balles de tartas, 55 ballots d’alun, 52 balles de draps de montagne.
25 Je me sépare ici de B. DOUMEC, (1994), p. 131 notamment, qui parle de la « lente agonie des ports du Midi, Narbonne, Montpellier et Marseille à la fin du xve et au début du xvie siècle ».
26 G. FRUHAUF, (1980).
27 Cf. infra, chap. VIII.
28 P. WOLFF, (1954) ; G. CASTER, (1962).
29 Confirmation de la poursuite de la production et de l’exportation de fer au creux de la dépression -cf. supra. Le redémarrage de la métallurgie au xvie s. en sera facilité. Celle-ci est à replacer dans le contexte de la production de fer catalane et pyrénéenne. Les forges du Vallespir, par exemple, ne cessent pas leur activité au xve s. À la fin du xve et au début du xvie s. des Lombards, des Génois et même des Byscaïens s’y intéressent, cf. A. D. Pyrénées-Orientales, 124 EDT 152, forges et moulins à fer, ex. 1493 : concession de la forge de Galdarès en faveur du Génois Balendo.
30 Expédition par Marin de Miranda de Narbonne de 110 setiers de froment sur un bateau de Collioure le 20 décembre 1470 ‘sous le pont-vieux’.
31 1471, f° 95 v°. Le droit était dû à Leucate aussi.
32 H. DUBOIS, dans La France de la fin du xve siècle (1985) p. 15-19 ; M. MOLLAT, (1952).
33 G. RAMBERT dir., (1951) t. 2.
34 J. GUIRAL-HADZIIOSSIF, (1986) p. 13-14.
35 R. GANDILHON, (1941) ; B. CHEVALIER, (1974) p. 283 sq. ; H. DUBOIS dans La France à la fin du xve siècle.
36 Cf. infra, C.
37 Compoix de 1499, f° 137.
38 A.M.N., compoix de 1499, non coté. La date du compoix inscrite sur le premier folio est quelque peu incertaine. Peut-être a-t-il été mis en chantier en 1499. L’état qu’il nous donne est postérieur de quelques années. Les rédacteurs ont noté un hostal bastit l’an mil cinq cens ung, f° 6 v ; une botica et un hostal bastit l’an mil cinq cens, f° 63 v° ; un ters de moly bladier et drapier entre 2 ponts... que es novellament bastit, f° 123 v°. On connaît par ailleurs la date de la construction de ce moulin, au moins approximativement. Le moulin dit ‘entre-deux-villes’ a été construit en 1503, cf. AA 112, f° 9 sq. Le compoix daterait donc du début du xvie s. et serait postérieur de quatre à cinq ans à la date indiquée.
39 Long problème dont toutes les péripéties ne sont encore pas connues dans le détail. Mais les chapitres ont toujours participé d’une manière ou d’une autre aux charges publiques. Ils financent, on se le rappelle, le barrage de Sallèles.
40 A.M.N., compoix non classé. Le compoix a été fait en 1489, cf. f° 53.
41 Plus de 14,6 % depuis 1489-90, mais on l’a vu, ce compoix est postérieur de quelques années à la date qu’il porte.
42 La progression est un peu plus faible en réalité ; en 1499 sont comptées les communautés ecclésiastiques on l’a vu. Les terres cultivées augmentent dans la même proportion : + 18,5 %.
43 Mais les champs, vignes, malheuls, terres vagues complantées d’oliviers ne progressent que de 13,5 %.
44 La progression est forte dans les catégories de propriétaires qui ont entre 5 et 50 ha.
45 R. GANDILHON, (1941) p. 153 ; E. LE ROY LADURIE, (1983) t. 2, p. 16-17.
46 En particulier on n’a pas les registres de clavaires.
47 E. LE ROY LADURIE, (1983) t. 2, p. 16-17.
48 Cf. tableau n° 16 et gr. n° 4, indice 100 = moyenne de 1407-1453-1499.
49 Il faut donc, pour avoir les surfaces qui portent une récolte chaque année, procéder au calcul suivant : superficie possédée - (terres vagues, hermes, prés...) - 1/2 des champs.
50 Recul par contre au Vilar-de-Fargues. Rotocas et le Peyrou ont des résultats divergents mais qui s’équilibrent.
51 P. LEON, (1977) t. I, p. 326 sq.
52 Cf. infra, chap. VI.
53 Un propriétaire, Bernard Blanquer, possède 2 presses à vendange. Ces propriétaires n’étaient pas imposés pour beaucoup, 4 l., ce qui dans l’échelle des impositions était peu, équivalait à une demie moujade de vigne ou à une moujade de champs.
54 Mais c’est assez peu probable car aucun propriétaire n’a assez de vigne pour avoir intérêt à posséder une presse.
55 A.M.N., AA 103, f° 131 v° sq., 1470.
56 Trois avaient entre 5 et 10 ha, 6 entre 10 et 20 ha, 2 entre 20 et 50 ha et un plus de 50 ha.
57 Félix et Thomas PLATTER, (1892) p. 199.
58 A.M.N., AA 103, f° 131 v° sq. Le texte fixe les tarifs des presses : 3 d. tournois par saumade au dessous de 20 saumades, 2 d. melgoriens de 20 à 40 saumades, 2 d. tournois au dessus de 40 saumades.
59 Cf. tableau n°13 a et b.
60 Compoix de 1499, f° 210-212 v° ; on le retrouvera sous le nom de François Maurin.
61 Peyre Raseyre, île Langel 65,72 ha ; Jean Fontiès, île Biaise Gor 51,24 ha ; Hoirs de Anton Passet, île Peyre Gentian 53,70 ha.
62 Anthon Bonaric 49,69 ha ; Guillem Sallent 49,79 ha.
63 Jean Trégoin en conserve 14 héritées de son père. Il a toujours la maison appelée le Bordel. Cinq ou six maisons sont un maximum désormais, même pour les plus gros propriétaires.
64 La France de la fin du xve s. ... (1985), contributions de P. Contamine, p. 1-12, de B. Chevalier, p. 325-334 ; Histoire de la France rurale (1975) t. 2 ; Histoire économique et sociale de la France t. 2 ; travaux de G. Bois, R. Boutruche, P. Charbonnier, J. Dupâquier, G. Fourquin, E. Le Roy Ladurie, M. Th. Lorcin, L. Merle, H. Neveux...
65 E. LE ROY LADURIE, (1966) p. 189 sq.
66 La contradiction entre dépression et extension de l’espace cultivé a déjà été évoquée à propos de l’Italie par J. HEERS (1971) p. 341 sq. Cherchant à dessiner ‘l’impossible conjoncture’ n’écrit-il pas : « comment concilier une contraction économique avec le mouvement de conquête du sol, à peu près général en Italie et même dans d’autres pays méditerranéens ».
67 G. BOIS, (1981) p. 309 sq.).
68 L. MERLE, (1958
69 Cf. infra, chap. V, D, 5.
70 Les évaluations correspondent-elles exactement au capital que chacun détient ? Il paraît difficile de l’imaginer. Faut-il le multiplier pour obtenir le capital réel. Mais par quel coefficient ? Le compoix ne comporte pas de table, c’est-à-dire de système d’évaluation des biens. Simplement peut-on faire quelques comparaisons. Les maisons sont évaluées en compoix entre 20 et 100 livres le plus souvent, la moujade de champ de 1 à 4 L, la moujade de vigne et de malheul de 4 à 10 l., la moujade d’olivier de 4 à 6 1., la moujade de pré de 3 à 5 1.
71 B. LEROY, (1990).
72 J. DUPAQUIER, (1989).
73 Les listes de nouveaux habitants comptent plus de 100 noms jusqu’en 1485, excepté en 1478 -96 noms.
74 La peste est à Barcelone. Les sources nous manquent pour dire si Narbonne est touchée et si le retournement de 1476 est à mettre en relation avec l’épidémie. Il est antérieur aux difficultés de la fin du règne de Louis XI.
75 Mais Berthomieu Vidal vient d’Alet et un migrant du diocèse de Mirepoix.
76 Albi même, Castres, Valence-d’Albigeois.
77 Pierre Espinasse est du diocèse de Tulle.
78 Pierre et Jean Sanjau natifs de Barcelone, Jean Sard de Tarragone, Anton Olivier de Palau dans l’Ampourdan... Quelle est l’origine de Bernard Olivier ‘natif de Valencie le Grand’, est-ce du port aragonais ou d’un des nombreux Valence du royaume ?
79 P. VILAR, (1962) t. I, p. 504. Les listes sont antérieures à l’édit d’expulsion des juifs.
On n’y aperçoit pas les groupes de Catalans dont nous avons parlé.
80 Un migrant est originaire du diocèse de Bourges.
81 G. LARGUIER, (1977) p. 40-41, 213.
82 On relève d’autres Parisiens dans le compoix de 1499 : Jean Moreau alias de Paris, barbier, f° 7 v° ; Jehan Sansoye alias de Paris, marchand, f° 47 v°.
83 Jean Marchand natif de Lyon en 1476, Jean Morier de Paris en 1480.
84 Aucune femme ne figure sur les listes. Cela tient à la nature de nos documents qui sont des listes fiscales.
85 Compoix de 1499, f° 8 v°, Jean Pascal alias lo Bourbonès, fustier, un lit lucratif, f° 121 v°, Peyre Jovert sabotier, un lit lucratif, f° 126 v°, Peyre Joffre rodier, deux lits lucratifs, f° 133 v°, Jean del Bosc alias Cambordan, deux lits lucratifs, f° 135, héritiers de Johan Cachier, barbier, un lit lucratif, f° 147, Loys Boysson sirvent real, deux lits lucratifs.
86 On ne peut vérifier si le décalage de la reprise économique entre Narbonne et les régions plus au nord a eu une influence.
87 Compoix de 1499, dans le terson de Lamourguier, île Peyre Portai, f° 60 v°, Jehan de Bonamont possède une boutique près de la poissonnerie de la place de la Cité.
88 G. LARGUIER, (1977) p. 175 sq.
89 Idem, note 43, p. 207.
90 Idem, p. 200-203.
91 Idem, p. 32.
92 La tasque en Narbonnais était alors au moins de 1/11e. Dîme et tasque ajoutées équivalaient à un prélèvement de 18 à 19 %.
93 Ouveillan aurait été déserté et laissé en friche pendant un siècle.
94 Le levoir du fief de l’œuvre brûlé avec tous ses papiers en 1355 est refait en 1358, puis renouvelé en 1385, celui de la Charité date de 1365... etc. Pour le fief de l’œuvre en 1358 : A. M. Ouveillan, GG 23, 47, en 1385 GG 24, 25, 38. Pour le fief de la Charité 1365, GG 32. Autres reconnaissances : en 1399, G. MOUYNES, (1877) p. 438.
95 G. LARGUIER, (1977) p. 36-37 ; B. M. Narbonne, Ms 314, Inventaire Rocque II, Privilèges pontificaux, f° 396 sq.
96 On pourrait se poser la question de savoir ce qui est pris en compte en 1342-44 et en 1404 : Ouveillan-centre, simplement, ou aussi les écarts de Toutous, Fontcalvy... ? Mais cela ne change pas fondamentalement les données du problème.
97 V. CHOMEL, (1947).
98 Capestang est inscrit en 1342-1344 pour 800 feux. On n’a pas le détail du Minervois. Caunes devait s’approcher ou dépasser peut-être Ouveillan.
99 A. M. Sallèles, G l. Parmi les Narbonnais propriétaires à Sallèles : Philippe de Molins, Jacques Yzarn, Arnaut Peyronne qui possède un hostal. En général, leurs biens sont très modestes.
100 78 vignes, dont 23 malheuls, 18 olivettes.
101 Mais avec une forte proportion de malheuls (29,5 %), ce qui laisse une parcelle en pleine production par propriétaire.
102 Estimation tirée de la comparaison avec le compoix de 1443 (cf. infra). La taille des parcelles ne peut se modifier radicalement en 30 ans.
103 Compoix de 1415, f° 12 v° - 13 v°.
104 Un autre propriétaire a un troupeau de 75 bêtes.
105 Ils ne sont pas comptabilisés là probablement. À Narbonne on l’a vu, le bétail fait l’objet d’un double compte : bêtes de selle, roussins, mulets, ânes et ânesses inscrits au compoix sont l’objet d’un impôt acquitté avec l’immobilier et le foncier. Juments, bêtes à laine et bovins sont l’objet d’une imposition spéciale du banderage : la distinction vient de la dépaissance et de la manière de garder ce bétail.
106 E. LE ROY LADURIE, (1966) p. 184, livre de taille de 1453 : 133 contribuables, 2 500 ovins, 378 vaches, 53 chevaux.
107 De ega, en occitan jument.
108 Collecte de clavaires de 1434, f° 130 v° sq., collecte de 1437. Le troupeau commun est formé du bétail de ceux qui possèdent une, deux, ou trois bêtes, qui n’avaient donc pas suffisamment de prés pour les nourrir toute l’année.
109 Cf. infra.
110 Mais ceux-ci dépendent alors de la grande propriété.
111 A. M. Sallèles, G 2. Le recul est sensiblement du même ordre de grandeur chez les gens du cru et chez les forains, respectivement 23,7 % et 27,5 %.
112 A.D.A., 3 J 295. Le stock des noms de famille est insuffisant pour que l’on aille au-delà de cette approximation.
113 Sur un point seulement ce compoix de 1443 présente une différence importante avec son prédécesseur : les prés n’occupent que 10,5 % de l’espace encadastré.
114 A. M. Sallèles, 1 S 17, 1474.
115 Pour ce qu’elles représentent, cf. infra, chap. VI.
116 L’exemple de Sallèles montre que l’effort pour faire payer les nobles est antérieur au règne de Louis XI.
117 A.D.A., 4 E 441, 1 S 5, sentence arbitrale entre noble Antoine de Salis seigneur de Vinassan et la communauté. Signent pour elle deux syndics, six conseillers, le prêtre et huit ‘singuliers habitants’.
118 Cf. supra.
119 Compoix de 1407, f° 52 v°.
120 Ibidem, f° 6 v°, P. Corneta paie pour 3 maisons une émine et une pugnère d’ordi.
121 Le montant n’est jamais indiqué.
122 Ibidem, f° 50, f° 51...
123 Si l’on en croit un compoix du terson Saint-Just de 1429, A.M.N., non coté.
124 D’après le compoix de 1490.
125 Idem, f° 54, 57 v°...
126 Les compoix indiquent jusqu’au milieu du xviie s. l’évaluation des droits encaissés, ce qui ne donne pas leur répartition et leur montant parcelle par parcelle.
127 E. LE ROY LADURIE, (1966) p. 179-184.
128 Fiefs de l’œuvre et de la charité, A.D.A., 3 J 299 ; fiefs de Loupian et de Bordavi 3 J 300-301 ; fief de Bedos 3 J 297.
129 A.M.N., collecte des clavaires, 1482, f° 112.
130 Il en reste aussi quelques-unes dans le fief du commandeur de Grezan à Peyriac-Minervois, reconnaissances de 1626, cf. A.D.A. 3 J 293. Des redevances en orge aussi dans le fief de l’archevêque à Saint-Marcel, cf. A. D. Aude 4 E 353.
131 A. N., T* 166/33, 2 des calendes de juin 1321 bail à nouvel achept d’une sétérée de l’étang de Tarailhan sous l’usage d’une émine de blé, d’une émine d’orge et d’un quintal de paille.
132 A.D.A., 3 J 293, reconnaissances du fief de Pierre Izard, 1395, f° 3 ; reconnaissances de noble Hugues, 1403, au tènement de Saint-Montilba beaucoup de tasques sont au 1/6e à côté d’autres tasques au 1/9e.
133 Ibidem, reconnaissances de Paulignan, 1518, tasques au 1/9e, f° 9... J.-M. MORICEAU, (1993) p. 121 signale aussi en Île-de-France des taux à la 11e gerbe pour le champart, équivalents aux taux du Narbonnais.
134 A.D.A., 3 J 293, encore dans les reconnaissances du commandeur de Douzens de 1626, f° 3, 7, f° 17 un champ est à la tasque 10 ; reconnaissances de 1653, f 15, 1 vigne de Pierre Estève, f 61, 1 olivette de Jean Sermet...
135 Le taux de 12/1 se rencontre aussi, ex. : fief de l’archevêque à Saint-Marcel, A. D. A., 4 E 353.
136 Autre exemple : reconnaissances de Ginestas, 1496, cf. A.D.A., 3 J 402, les redevances des maisons, toutes en argent, sont de quelques deniers, la plupart des terres doivent des usages fixes en nature, 1 pugnère de blé par sétérée constitue le taux moyen, une fraction du terroir reste quand même soumise à la tasque dont le montant n’est pas indiqué.
137 A.D.A., 3 J 293, reconnaissances de Paulignan, f 9 Jean Tort, tasque au 1/13e ; demi-tasque dans ce fief et dans celui de Bertrand de Seguier (1496).
138 A.D.A., 3 J 299, reconnaissance n° 45.
139 A.D.A., 3 J 297 à 301.
140 A. M. Ouveillan, GG 5.
141 G. LARGUIER, (1977) p. 40, la procédure confirme à l’occasion l’emploi à Ouveillan par les paysans de bœufs pour le labourage.
142 Les autres fiefs du roi sont reconnus à la même date, comme à Ginestas, cf. supra. Il faut mettre cette tentative rugueuse en relation avec un retour en force du pouvoir monarchique soucieux de consolider sa position à proximité du Roussillon.
143 ‘L’indigent xve s.’ que l’on déplore souvent n’est pas une vaine expression pour les campagnes narbonnaises. Le curé d’Ouveillan, le recteur Amadou, si méticuleux et précis, en a fait l’expérience. Accumulant toute la documentation qu’il pouvait réunir sur sa cure, il ne trouve que deux textes à citer sur trois quarts de siècle, donne le nom d’un vicaire, ne parvient pas à découvrir comment s’appelait le dignitaire du chapitre Saint-Just qui était recteur d’Ouveillan à la fin du siècle et se lance dans une digression à propos d’un hypothétique curé auquel les ossements trouvés sous le parvis de son église lui font penser, cf. G. LARGUIER, (1977) p. 39-40.
144 A.D.A., 3 J 299, reconnaissances n° 37, 38 (tènement des Corondes), n° 67 (Col d’Agaret) ; 3 J 300-301, fief de Bordavi, reconnaissance n° 69...
145 E. LE ROY LADURIE, (1966) p. 154-157. L’estime des biens se fait en fonction d’une table fixée au préalable de la qualité des terres, bon, moyen, faible (ou fort, faible...), échelle subdivisée en plusieurs degrés, selon la nature des cultures...
146 J. LE POTTIER dir., (1992) p. 31 sq.
147 Cela permet aussi d’éliminer la difficile question de la valeur des monnaies d’une période à l’autre.
148 La méthode ne va pas sans poser de difficiles problèmes quasiment insolubles à résoudre. Ainsi l’évaluation des types de biens n’est pas rigoureusement identique d’une période à l’autre. Aux xviie et xviiie s. par exemple les maisons sont estimées moins qu’elles ne l’étaient au xve et au xvie s. où l’on ne procédait pas à un abattement pour l’entretien et les réparations.
149 Le Narbonnais est encore une des régions du Languedoc les mieux partagées à cet égard. L’ouest des pays audois par exemple a laissé beaucoup moins de documents de ce type, ce qui ne rend pas toujours faciles les tentatives de comparaison.
150 On renvoie une fois pour toutes aux Paysans de Languedoc de E. Le Roy Ladurie qui a utilisé la série magnifique des contrats du chapitre Saint-Just de Narbonne pour l’analyse du produit décimal, de l’évolution de la rente.
151 J. GOY et E. LE ROY LADURIE, (1972).
152 Sans compter les erreurs de perspectives auxquelles on est exposé, ainsi à propos de la vigne en Narbonnais, cf. infra, chap. XII, C.
153 A. M. Peyriac-Minervois, 1 G 1 et 1 G 2. Le dépouillement et l’exploitation statistique de la très belle série des compoix de Peyriac-Minervois ont été faits par Jean Raffanel.
154 Le compoix ne donne que la valeur des biens décrits.
155 Un propriétaire de Carcassonne cependant.
156 Saint-Amans-Soult.
157 Dans le compoix de 1504, origine des forains: Saint-Amans vila mage 21, Saint-Amans vila mendre 16, La Salvetat 12, Lacaune-d’Albigeois 5, Castelnau-de-Brassac 22, Esperausses 6, Pont-de-l’Arn 5, La Cabarède 3, Cuxac-Cabardès 1, Caudebronde 1.
158 2 M pour deux fois la valeur moyenne des patrimoines ; M/2 = 1/2 de la valeur moyenne des patrimoines.
159 Les propriétaires dont la valeur des biens est inférieure à M/2 passent en effet de 33,76 % à 32,58 %.
160 4 M vaut 266,5 1.
161 11,23 % contre 10,39 % cinq ans plus tôt.
162 Compoix de 1504 : A.D.A., 3 J 196 ; compoix de 1521 : A. M. Peyriac-Minervois, 1 G 3.
163 Cf. annexe 6. 1 et gr. n° 6.
164 Cf. supra, chap. III. Seuls les forains ne sont pas gagnés par la fureur des plantations. Le nombre de vignes qu’ils détiennent augmente à peine : 101 en 1504 contre 94 en 1476, et le notaire de la Vabre, très méticuleux, ne signale aucun malheul dans la propriété foraine.
165 Il faut mettre à part les biens des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem.
166 3 ha de moins, mais les superficies cultivées sont très légèrement supérieures car il y a moins de prés.
167 A.D.A., 3 J 295.
Notes de fin
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