À propos de quelques concepts relatifs à la ville dans l’Antiquité et à Rome en particulier
p. 347-352
Résumé
Dans la présente synthèse, Brice GRUET confronte deux archétypes antinomiques d’agencements urbains : d’un côté, la ville régulière, aérée et réputée propre ; d’autre part l’agglomération tortueuse, sombre, classée malsaine par la médecine hippocratique.
Brice GRUET choisit d’ancrer son analyse dans l’histoire de la voirie romaine, d’abord parce que Rome est la Ville éternelle, avec une fondation située vers 733 avant J.C. ; également parce que la rue constitue l’axe fédérateur de la société urbaine, même si le rêve urbanistique tend à la négliger avant 1430.
De fait, l’imaginaire de la ville pensée à partir de la rue large et perspectivée ne naît qu’avec la peinture flamande ou italienne du Quattrocento. L’urbanisme basé sur la « veduta délia strada » n’émerge qu’avec la redécouverte renaissante de Vitruve, à travers des architectes scénographes comme Filippo Brunelleschi.
Admirateur du peintre perspectiviste Tommaso Masacio, Brunelleschi entreprend vers 1430 de relier les monuments de Florence par une symétrie de rues aérées : il programme ainsi la « Citta nuova », la ville conçue comme un réseau théâtral, et non plus comme une juxtaposition de merveilles monumentales.
Pour Brice GRUET, la rupture de 1430 n’est pas aussi spectaculaire qu’il n’y paraît. Le vocabulaire de l’urbanisme manie lui-même des catégories contradictoires qu’il réutilise, réinterprète ou remarie au gré des époques.
Dans son raisonnement, Brice GRUET prolonge ainsi les enseignements d’Augustin BERQUE et d’Antoine PICON. Pour ces deux auteurs, le jugement paysager des architectes et des usagers forme d’abord une représentation, laquelle mêle des stimuli extérieurs et une culture personnelle. Cette dernière réinvestit fréquemment des concepts anciens, mais elle les emploie avec des connotations qui varient avec l’émotion du moment.
Autrement dit, l’architecture fonctionne sur l’impression de « déjà vu », mais elle ne se baigne jamais deux fois dans la même rivière. Voilà pourquoi Brice GRUET se livre à une archéologie de la représentation urbaine. Il utilise la rue comme support privilégié parce que celle-ci reste longtemps à la périphérie de l’esthétique urbaine : le désordre des passions piège donc moins l’anthropologie des voies de circulation que celle des ensembles monumentaux. La réputation anodine et populaire de la rue permet d’examiner le fantasme citadin plus en profondeur, sans être sans cesse retenu par les polémiques de l’académisme architectural.
Fort d’une telle problématique, Brice GRUET explique que l’opposition entre la cité aérée et la ville resserrée était présente dès l’origine de l’art urbain, mais qu’elle y est toujours prépondérante, au milieu des sentimentalités différentes.
La ville au plan géométrique, avec des rues aérées où les zéphyrs chassent les miasmes, remonte d’après la tradition à la migration des Ioniens de Grèce vers l’Asie mineure, aux environs de 800 avant J.C. Ce déplacement aurait généré le type de la ville coloniale à trame orthogonale.
La transformation aurait été formalisée vers 475 avant J.C., avec le modèle imaginé par Hippodamos de Milet. Influencé par le géomètre Thalès, Hippodamos aurait servi de référence aux théories d’Hippocrate et d’Aristote sur l’aération des rues droites, mais faiblement coudées pour freiner les mauvais courants d’air (vers 400 avant J.C. et 300 avant J.C.).
L’hippodamisme aurait ensuite perduré à travers les villes fondées ou remaniées par les rois hellénistiques. Il serait ensuite parvenu aux agrimensores romains, via la transmission des Étrusques ou des Grecs du Sud italien.
Ensuite, le christianisme aurait introduit un brouillage, en valorisant une autre tendance romaine : celle qui consistait à admirer un monument pris pour lui-même, cela en vénérant à la fois le mécène et le dieu tutélaire de l’ouvrage. Renforcée par la Rome impériale, cette attitude sélective aurait été encouragée par Constantin et par saint Augustin, les deux personnages ayant privilégié l’élévation de l’âme par les « manteaux d’églises » et ayant favorisé la Cité de Dieu par rapport à la commodité du citadin (vers 300 et vers 400 après J.C.).
Par la suite, le schéma augustinien semble imprégner les villes médiévales ou baroques, le repérage spatial se focalisant en priorité sur les lieux de culte et sur les institutions religieuses. La Renaissance viendrait ensuite contester cette atomisation par le sacré, les Lumières et l’Haussmanisme redécouvrant pleinement l’urbanisme global, tel que pouvaient le souhaiter les architectes de Trajan (Traité des anciens maîtres de l’arpentage, vers 100 après J.C.).
En réalité, Brice GRUET doute fortement de ce genre d’enchaînement logique. Il montre qu’Aristote lui-même hésite entre les vertus des rues droites ou sinueuses. Il explique que le plan hippodamien n’est régulier qu’en vue d’oiseau, mais qu’il est fantaisiste, difforme et foisonnant en perspective cavalière. Enfin, Brice GRUET peut facilement prouver que la ville de l’an 2000 oppose toujours des disciples d’Hippocrate – admirateurs du plan orthogonal et des adeptes de Celse -épicuriens désireux d’art de vivre et de recoins conviviaux.
De fait, l’urbanisme industriel juxtapose deux idéalisations : celle du socialiste anglais John Ruskin, avec la ville aux cent villages ; et celle du Castillan Ildefonso Cerda, avec les agrandissements de Barcelone et la publication d’une Théorie générale de l’urbanisation (vers 1850 et 1865).
L’héritage des cerdiens et des mskiniens traverse toujours l’urbanisme de l’horizon 2000, avec les néo-corbuséens qui aspirent à la fluidité par le tracé droit, et les post-modernes qui recherchent l’humanisation par les ralentisseurs sinusoïdaux.
C’est la permanence de ces deux polarités qui incite Brice GRUET à redéfinir la valeur d’antinomies comme le droit et le courbe, le régulier et l’irrégulier, le clair et le sombre, le salubre et l’insalubre. Pour Brice GRUET, ces bi-valences doivent être sorties de la mythologie historique des architectes, pour être recomposées dans les aspirations de chaque époque étudiée.
Texte intégral
1Cette présentation concerne notre travail de thèse actuel ; il s’agit donc d’un ouvrage en cours de réalisation, et c’est pourquoi nous nous bornerons ici à en donner les directions majeures, en attente de résultats plus tangibles. Nous nous excusons donc pour le caractère quelque peu abstrait que cet article, par ailleurs bien court, pourrait revêtir.
2Notre thèse porte sur l’étude de la rue à Rome, mais nous nous intéressons, par ce biais, au problème plus général de la rue droite et de l’idée de régularité dans la ville occidentale. Pour comprendre les enjeux liés à ce questionnement, reprenons les différents éléments qui le motivent et le constituent.
I. La question de l’urbanité et son actualité
3Si le mot urbanitas peut avoir plusieurs acceptions en latin, il a donné ce mot si difficile à saisir en français, urbanité, mélange de politesse, savoir-vivre et civilisation des mœurs1. Mais cette urbanité est bien entendu liée à la ville elle-même, l’urbs. Et ce qui nous intéresse, c’est le concept d’urbanité en tant que sentiment d’être urbain, de se sentir urbain. Nous entrons donc dans le vaste champ des émotions, du ressenti, domaine mouvant par excellence, mais riche de sens et de nuances ; en effet, que signifie se sentir urbain ? De quelles représentations cela procède-t-il ? Pourquoi un tel sentiment ? Quelle est son histoire ? En partant de ce que l’on ressent à propos de la ville, nous espérons bien descendre jusqu’à ce qui serait la racine de notre urbanité moderne2. Et d’évaluer les conséquences spatiales engendrées par ces émotions, ces représentations3, ces comportements.
II. Pourquoi rome ?
4Rome apparaît comme la ville toute désignée pour mener ce genre d’étude : en effet, la longévité unique de la ville rend possible l’établissement d’une série documentaire quasi ininterrompue depuis la fondation de la ville jusqu’à nos jours. Cette profondeur chronologique autorise des comparaisons fructueuses, des rapprochements entre périodes, des similitudes ou des dissonances remarquables dans l’évolution de la ville. Rome est un exemple d’autant plus intéressant qu’elle correspond à un espace urbain où les monuments ont pris une importance énorme, sans doute disproportionnée, dans la documentation et l’historiographie, et où la ville a connu des dilatations et des rétractions de son espace extraordinaires au cours du temps. Ces deux éléments spécifiques rendent l’étude de l’urbanité romaine à travers de la rue passionnante.
5La rue plutôt que l’espace urbain dans son ensemble parce que la rue est à la fois un élément structurant fondamental de la ville et de son paysage, et aussi parce qu’elle est étrangement absente des témoignages des contemporains pendant une bonne partie de la période4. Elle l’est aussi parce que les chercheurs se sont peu intéressés à la rue, en raison peut être de l’apparente trivialité de la rue ? Pourtant elle est un moyen d’accéder à toutes sortes de discours implicites sur la ville qui, s’ils ne sont pas apparents, n’en ont pas moins une forte prégnance.
6La question de la norme et du devoir-être de la ville apparaît donc comme l’un des thèmes majeurs de notre étude : car à travers les témoignages, qu’ils soient graphiques ou écrits, apparaît comme en arrière-plan toute une conception de la ville, conception normative plus ou moins forte, mais presque toujours présente. La ville doit être ceci, non cela, une vraie ville ne saurait être cela, etc. Mais ce discours tout en filigrane est parfois si ténu, si peu visible qu’il faut mettre au point une véritable herméneutique afin de rendre compte de façon satisfaisante des nuances et des significations de ces discours.
7À ce titre, l’approche de la ville en tant que texte5 permet d’abolir la distinction classique entre le cadre bâti d’une part et les représentations de cette ville de l’autre : en effet, les thèses d’Augustin Berque et surtout le concept de médiance6 mis au point par ce dernier permettent de rendre compte de la complexité des rapports entretenus par une population donnée et son cadre de vie. À ce point de notre propos, nous voudrions procéder de très simple manière en reprenant des couples antinomiques susceptibles de mettre en valeur quelques oppositions idéologiques fortes.
III. Quelques couples antinomiques
8Rue régulière, rue irrégulière : Ce couple, pour simple qu’il soit, soulève cependant quantité de problèmes. De surcroît, l’ancienneté de l’opposition montre bien son importance et sa prégnance dans le discours tenu sur la ville. Pour certains, la vraie ville, la bonne ville ou encore la belle ville est la ville régulière, aux rues droites, équilibrées. Inversement, les rues considérées comme étroites, irrégulières, tortueuses, sont considérées souvent comme laides, indésirables, et entraînent des condamnations fortes : une ville ne saurait être constituée de telles voies de communication. Mais ces deux prises de position peuvent être renversées : la rue droite peut apparaître comme froide, rigide, sans âme, tandis que la rue courbe peut, elle, apparaître parée de toutes les vertus. L’enjeu sous-jacent, c’est bien la question de savoir ce que la ville doit ou devrait être : et déjà, on trouve chez Tacite7 ou Tite Live8 des opinions qui nous renseignent sur les représentations de la ville dans l’antiquité. À partir de l’opposition fondamentale rue régulière/rue irrégulière, se bâtit tout un réseau de connotations d’un grand intérêt.
9Le droit et le courbe. Cette opposition apparaît comme en dessous de la première opposition régulier/irrégulier : elle peut correspondre à une volonté de mettre en ordre la ville selon des critères formels constitués a priori. Cette opposition correspond davantage à l’époque actuelle, qui semble se méfier des tracés jugés trop brutaux. Cette opposition est réitérée par le Corbusier : « La rue courbe est le chemin des ânes, la rue droite le chemin des hommes »9. Faire ainsi rejouer une opposition déjà énoncée si longtemps auparavant ne peut manquer d’attirer notre attention.
10Le large et l’étroit. Ici aussi, comme le large est lié au rectiligne ou au régulier, l’étroit est souvent associé à l’irrégulier. On l’aura compris, ces espèces de dyades ne sont pas dénuées de systématisme. Elles organisent surtout deux univers discursifs distincts, qui peuvent tour à tour, selon les auteurs, correspondre soit à la « vraie » ville, soit au contraire à la « mauvaise » ville.
11Le sombre et le lumineux. Encore une fois, l’opposition entre deux univers urbains différents passe par la lumière, et sa rareté ou son abondance. Là aussi, les oppositions, les vœux de clarté contre les rues sales et obscures reviennent sous différentes plumes, à différentes époques. Cependant, les rapports entre la rue et la lumière méritent d’être davantage explorés. Le salubre et l’insalubre. Cette opposition clôt la série d’opposition que nous venons d’évoquer : ainsi trouve-t-on les termes régulier (ou droit), large, lumineux, salubre, et irrégulier (ou courbe), étroit, sombre, insalubre. Mais méfions-nous encore d’assimilations abusives : est-ce que le salubre a le même sens pour Vitruve, par exemple, et un hygiéniste du XIXe siècle, ou un médecin du XXe ? Certainement pas, et la notion même d’insalubrité a bien entendu une histoire. Lier forme urbaine et santé, c’est spéculer sur le bien-être de ses habitants. C’est ce à quoi s’exerce Aristote, dans la Politique, puisqu’il passe plusieurs chapitres à estimer et comparer les caractéristiques des différents sites en fonction de leur salubrité. Préoccupation qui traverse les siècles, et que l’on retrouve à Rome. Mais il faut bien comprendre la dimension fantasmatique de cette recherche de la salubrité, dans la mesure où celle-ci comprend un versant symbolique non négligeable. Est salubre ce qui peut engendrer des conditions de vie acceptables. Mais que sont des conditions de vie acceptables ?10 Voilà un autre problème qui renvoie à ce devoir être de la ville et de ses habitants : la forme d’habitat et la forme de la vie sociale se trouvent interrogées par ces considérations. Étudier leur lien revient à s’intéresser aux représentations qui motivent et structurent les discours sur la ville dans son ensemble. Ainsi la rue n’est que la petite partie de tout un réseau de représentations fondateur des pratiques de la ville.
12Plan régulier, plan irrégulier : à une échelle plus générale, on trouve l’opposition entre plans ; en ce cas, la ville est prise comme un ensemble, son plan est considéré de façon homogène si possible, et l’on pourra évoquer par exemple le fameux « plan hippodaméen » qui, s’il est connu en tant que modèle, a des origines pour le moins obscures, ce qui ne manque pas de poser des problèmes difficiles à résoudre. Dans cette opposition, comme dans celle entre rues régulière et irrégulière, c’est bien le concept même de régularité qui s’avère instable et remarquablement flou. C’est pourtant ce concept qui structure la plupart des ouvrages d’histoire de l’urbanisme, d’histoire urbaine, etc. On comprend dès lors qu’un lent travail de clarification est nécessaire si l’on veut éviter de dire n’importe quoi dans un domaine aussi important. Il s’agit là des problèmes des catégories de généralisation des discours, où de proche en proche, ce qui est à peine régulier devient, au fil de la démonstration, absolument régulier.
13Paysage, composition, perspective : à un autre niveau encore, on trouve non pas de simples oppositions, mais trois concepts articulés les uns aux autres de façon complexe. Tout d’abord, la notion de paysage, notion toute chargée d’historicité11, peut-elle être appliquée de façon pertinente à la façon dont les anciens percevaient leur environnement, et en particulier leur environnement urbain ? Parler de paysage rural ne soulève pas de difficulté particulière, mais parler de paysage urbain pour l’antiquité peut apparaître comme un anachronisme certes commode, mais faux. Cependant, c’est bien connu, les différents empereurs ont eu à cœur de marquer l’espace urbain de Rome, perçu comme le cœur concret et symbolique de l’empire, en l’aménageant par la construction d’édifices monumentaux glorifiés par bien des écrivains. Ne pourrait-on pas alors parler de composition urbaine, plutôt que de paysage ? Le débat reste ouvert, mais une fois encore il s’agit de pistes nouvelles, qui n’ont pas encore abouti.
14Le monument, l’environnement. La plupart des études sur Rome privilégient une approche par monument, ce que reflètent bien les monographies consacrées à la période antique12 ; ceci s’explique par la rareté des sources relatives à la rue, ou encore par le type de recherche archéologique. Toutefois, comme nous l’avons dit, le côté trivial ou banal de la rue aura pu en rebuter plus d’un sans doute. L’absence, ou la faible représentation de la rue dans les études urbaines est un fait qu’il est intéressant de relever en tant que tel. Mais surtout, notre point de vue est différent de celui qui consiste à considérer la ville comme une juxtaposition d’îlots séparés par une sorte de néant spatial : la ville peut et doit être considérée comme un environnement à part entière : il faut prendre en considération le cadre urbain en général. Cela peut sembler évident, mais jusqu’à présent c’est une démarche qui a encore été peu privilégiée. Elle suppose de ne pas faire de « tri » quant à l’usage social fait de l’espace. Ainsi, plutôt que de se focaliser sur la genèse des discours spatiaux engendrés par les puissants, nous essayons de comprendre le point de rencontre entre ces idéologies et discours spatialisés d’une part, en tenant compte de leur destin, ou de leur réception par le reste de la population, riche ou pauvre, éduquée ou non, etc.), de l’autre, l’usage courant, quotidien de la rue.
15La ville doit donc être considérée comme un tout. Cette remarque vaut pour une conclusion, car elle est le résultat de toute la démarche énoncée jusqu’ici. Cela signifie que cette idée de régularité si lancinante dans la culture urbaine européenne rejaillit sur l’ensemble des conceptions de l’urbain. Qu’elle touche, enfin, toutes sortes de domaines et qu’elle doit donc être envisagée sous tous ses aspects13. Nous espérons ainsi, à travers ce réexamen critique des représentations de la rue, mieux comprendre les fondements de notre urbanité.
Notes de bas de page
1 Augustin Berque, dans son récent ouvrage Ecoumène, Belin, 2000, donne une définition bien particulière du concept en question. Voir les pp.213 et suiv., chapitre 8, « Cité ».
2 Autrement dit, notre démarche est rétrospective : nous partons de problèmes actuels pour en retrouver la généalogie précise. En ce cas, on peut également parler d’une archéologie des représentations, puisque les représentations que nous cherchons à mettre au jour sont très rarement explicites. Notre chronologie part donc de l’actuel et « retourne » vers le passé, c’est à dire jusqu’au VIIIe siècle av. J.C. environ.
3 Nous tenons à distinguer perception et représentation, qui sont pour nous deux notions différentes. La perception est l’ensemble des stimuli sensoriels ressentis par une personne plongée dans un environnement donné. Il y a donc médiation sensorielle, et un premier tri s’effectue dans l’ensemble touffu des stimuli possibles. La représentation, elle, est une construction médiate faite à partir de ces perceptions, (qui apparaissent donc comme la première étape rendant possible la représentation). Cette représentation est médiate en ce sens qu’elle passe par un filtre culturel constitué des valeurs, des affects personnels de chaque individu, mais aussi valeurs collectives ou communes. Les représentations spatiales peuvent donc être constituées de plusieurs niveaux de signification structurés entre eux. Ces niveaux peuvent varier en nombre, en qualité, en richesse de signification. L’historicité de ces représentation peut parfois poser problème, dans la mesure où leur évolution peut être très lente. On touche là au domaine complexe de l’anthropologie culturelle, mais ce n’est guère le lieu d’en discuter. Disons simplement que le concept d’influence et le thème de la mémoire collective doivent être minutieusement auscultés pour éviter tout contre sens ou anachronisme. C’est l’orientation actuelle de nos recherches.
4 Apparemment, c’est à l’orée du quattrocento que la rue apparaît comme un élément distinct du paysage. Auparavant, hormis son existence dans les textes législatifs (ce qui n’est pas rien !), elle est surtout une sorte de négatif, c’est son absence-même qui la fait exister, alors que toutes les descriptions de la ville doivent bien se faire de quelque part, et ce quelque part était bien souvent la rue elle-même. Mais ce qui rend le point de vue possible n’a pas forcément d’existence propre à l’intérieur de ce point de vue...
5 Je reprends ici les approches de James Duncan, The City as Text : the Politics of Landscape Interprétation in the Kandyan Kingdom, Cambridge University Press, 1990, et de F. Choay, L’urbanisme, utopies et réalités. Une anthologie, le Seuil, 1965. On pourra également se référer à l’ouvrage de A.P. Lagopoulos, Urbanisme et Sémiotique dans les sociétés pré-industrielles, Anthropos, 1995.
6 L’auteur a abordé le problème dans un ouvrage du même nom, mais son dernier livre rend avantageusement compte de la mise au point de ce concept, en fait adapté du japonais fudôsei.
7 Ann. XV, 43.
8 Hist. Rom., V, 55.
9 Cité par Françoise Choay, op. cit., p. 240.
10 Nous renvoyons à notre mémoire de DEA, Roma Imaginata, Paris IV-Sorbonne, 1996, pp.56 et suiv.
11 Voir l’ouvrage d’Alain Roger, Court Traité du Paysage, Gallimard, 1999. L’auteur y élabore une théorie du paysage basée sur ce qu’il nomme (en l’empruntant à Montaigne, selon ses dires) la double artialisation. Op. cit., pp.11-30.
12 Voir, par exemple, la bibliographie dans Emilio RODRIGUEZ-ALMEIDA, Forma Urbis Marmorea. Aggiornamento generale 1980, Rome, 1980, où l’intérêt pour la topographie romaine ancienne va préférentiellement aux monuments.
13 En termes de méthode, cela implique la constitution d’un corpus multiforme, puisque l’on y rencontre aussi bien des matériaux textuels, iconographiques, audiovisuels... Mais l’ensemble de ces documents fait sens et s’organise de manière cohérente. D’où la nécessité de les aborder dans une perspective (si l’on peut dire) unitaire.
Auteur
Laboratoire Espace & Cultures, Université Paris IV- Sorbonne. Pensionnaire fondation
Thiers.
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