Version classiqueVersion mobile

Transports

 | 
Mireille Courrént
, 
Thierry Eloi
, 
Ghislaine Jay-Robert

– I – A propos de Joël Thomas

Lettre à Joël et Arlette

Jean-Pierre Landry

Texte intégral

1Après 45 ans d’amitié avec Joël et Arlette Thomas, et au moment où je m’apprête à quitter ce monde, j’ai pensé qu’il était nécessaire de leur expliquer pourquoi j’avais décidé de consacrer l’essentiel de mes travaux à l’étude du XVIIe siècle. C’est en somme une justification d’outre-tombe que je leur adresse et que je leur dois, depuis tant d’années qu’ils me voient plongé dans ces grimoires.

2En effet, pendant longtemps, on a vécu sur l’image d’un XVIIe siècle certes prestigieux mais aussi austère, ennuyeux et pompeux : c’était le Grand Siècle dominé par le Grand Roi et caractérisé par de Grands Auteurs, tellement grands qu’on n’osait à peine s’approcher de leurs œuvres et qu’on oubliait même parfois de les lire. Corneille, Bossuet, Fénelon, entre autres, pourraient parfaitement illustrer ce propos. Puis, à la suite de Michel Foucault, on a substitué à cette image grandiose et glacée la légende d’un âge de la mort de l’homme.

3Il m’a semblé que le temps était venu d’oublier ces visions par trop sommaires et partisanes. Les récentes découvertes de l’historiographie moderne, de l’histoire de l’art et de la littérature m’incitèrent irrésistiblement à réévaluer ce siècle, à relire ses œuvres avec des informations plus sûres et une sérénité nouvelle, loin de tout panégyrique comme de tout dénigrement systématique. Tout d’abord, il faut bien comprendre que le XVIIe siècle n’est pas un bloc monolithique : la pensée, les mentalités et les mouvements artistiques et littéraires évoluent de façon moins linéaire que l’histoire littéraire classique, trop rivée sans doute à la chronologie, ne se l’était imaginé. Ces mouvements s’enchaînent et s’imbriquent : le classicisme se nourrit largement du baroque, qu’il assimile et qu’il maîtrise sans le renier complètement. De même, la crise de la conscience française, qui annonce les Lumières, que l’on présente souvent comme une réaction contre les valeurs du Grand Siècle, se déroule en fait sur un fond de vénération à l’égard de l’art et de la pensée classiques. Dans Le siècle de Louis XIV en 1751, Voltaire les célèbre encore avec enthousiasme, admiration et respect.

4A partir de là, il était facile de voir se dégager les lignes de force de cette période. La religion est au centre de la vie sociale et individuelle. Les arts et la peinture trouvent en elle leurs sources d’inspiration les plus hautes. De sa naissance à sa mort, la vie de l’homme est imprégnée par une spiritualité omniprésente – tellement abondante qu’elle déborde parfois en conflits d’une violence surprenante entre jansénistes, jésuites, quiétistes...

5Plus surprenant, pour le lecteur peu informé, est que cette quête de Dieu s’accompagne toujours d’une quête de l’homme. La littérature du XVIIe siècle est en fait une vaste enquête sur la nature humaine, sur ses passions, ses peurs, ses désirs, ses secrets... C’est le sens principal du mot « moraliste » attribué à la plupart des écrivains classiques.

6Je peux dire, au terme de ces années d’étude, que deux valeurs président à toute création littéraire ou artistique de cette époque : la quête de la vérité et la recherche de la beauté. En fait, la devise de Jean-Jacques Rousseau Vitam impendere vero (« consacrer sa vie à la vérité ») pourrait être celle de chaque auteur du XVIIe siècle, du comique Molière au tragique Racine, du philosophe Descartes au poète La Fontaine. Mais le plus remarquable est qu’ils n’oublient jamais les exigences de l’esthétique. Même Pascal, dans ses brouillons inachevés que sont Les Pensées, a des fulgurances d’une splendeur inégalable : « Le nez de Cléopâtre s’il eût été plus court toute la face de la terre aurait changé » (éd. Ph. Sellier, fr.32).

7En vérité, l’essentiel est de savoir que la beauté classique n’est ni froide ni rigide ni compassée. Elle est toujours animée d’une énergie, d’une passion de communiquer et de convaincre, d’une volonté d’émouvoir ou de faire rire.

8N’oublions pas, en effet, que la première exigence de l’esthétique classique est de ne pas ennuyer. Au XVIIe siècle, cette exigence s’appelle « l’esprit », mélange subtil d’intelligence et d’humour.

9Cette littérature variée par ses genres, ses tons, ses thèmes, l’est aussi par ses idéaux qu’incarnent trois grandes figures : le héros, le sage (l’honnête homme) et le saint. Les morales et les valeurs de références sont d’une très grande variété : la raison cartésienne, la gravité augustinienne, le jeu précieux, l’esprit mondain et la dévotion humaniste se côtoient et se mêlent.

10Mais par-delà cette diversité règne un principe unificateur : la volonté d’exposer avec clarté le résultat de toutes les recherches esthétiques, philosophiques, spirituelles ou artistiques. L’idéal classique est une communion dans la transparence.

11Voilà donc en quelques mots, chers Joël et Arlette, les rares certitudes que je me suis forgées en passant toute une partie de ma vie dans ces œuvres du siècle classique. Je vous promettais une « justification d’outre-tombe » ; en fait, vous voyez que ce ne sont que des impressions d’un témoin qui a voulu vous dire qu’il avait trouvé un trésor de sagesse, de savoir, mais surtout de saveur.

12Avec ma fidèle amitié.

Auteur

Professeur émérite, Université Jean Moulin-Lyon.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search