• Contenu principal
  • Menu
OpenEdition Books
  • Accueil
  • Catalogue de 15417 livres
  • Éditeurs
  • Auteurs
  • Facebook
  • X
  • Partager
    • Facebook

    • X

    • Accueil
    • Catalogue de 15417 livres
    • Éditeurs
    • Auteurs
  • Ressources numériques en sciences humaines et sociales

    • OpenEdition
  • Nos plateformes

    • OpenEdition Books
    • OpenEdition Journals
    • Hypothèses
    • Calenda
  • Bibliothèques

    • OpenEdition Freemium
  • Suivez-nous

  • Lettre d’information
OpenEdition Search

Redirection vers OpenEdition Search.

À quel endroit ?
  • Presses universitaires de Paris Nanterre
  • ›
  • Collège international de Philosophie
  • ›
  • La raison au singulier
  • ›
  • Convergences
  • ›
  • La cohérence de la logique de la situati...
  • Presses universitaires de Paris Nanterre
  • Presses universitaires de Paris Nanterre
    Presses universitaires de Paris Nanterre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Liens vers le livre
    Informations sur la couverture
    Table des matières
    Formats de lecture

    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Le soubassement anthropologique de la logique situationnelle La métaphore du jeu et la question du principe de rationalité Méthode zéro et logique situationnelle : la rationalité imparfaite La question des institutions comme problème central de la logique situationnelle L’idée d’une approche scientifique de l’histoire Le refus de l’historicisme Notes de bas de page

    La raison au singulier

    Ce livre est recensé par

    Précédent Suivant
    Table des matières

    La cohérence de la logique de la situation

    p. 61-97

    Texte intégral Le soubassement anthropologique de la logique situationnelle La métaphore du jeu et la question du principe de rationalité Méthode zéro et logique situationnelle : la rationalité imparfaite La question des institutions comme problème central de la logique situationnelle L’idée d’une approche scientifique de l’histoire Le refus de l’historicisme Notes de bas de page

    Texte intégral

    1Mais quelle est au juste l’épistémologie poppérienne des sciences humaines ? Boyer l’expose minutieusement dans son ouvrage sur L’Explication en histoire1, qui a le grand mérite de s’appuyer sur l’ensemble de la philosophie poppérienne, et d’en soumettre une présentation à la fois savante et critique2. La « logique situationnelle » élaborée par Popper pour les sciences humaines possède un soubassement anthropologique particulier, et incite à utiliser une certaine métaphore ludique de l’action sociale, en postulant une rationalité des agents qui n’est toutefois qu’imparfaite. Le problème crucial d’une telle logique des situations est celui des institutions, mais il ne remet toutefois pas en cause l’idée d’une approche scientifique de l’histoire, qui dissipe les fausses promesses de l’historicisme.

    Le soubassement anthropologique de la logique situationnelle

    2Pour Popper, qui se place dans un cadre néo-darwinien3, les êtres vivants sont des structures relativement « autarciques4 », autoproductives et surtout auto-transcendantes, créatrices d’un ordre qui les dépasse. Dans le cas de l’humain, cet ordre est celui du sens, que le scientisme confond avec celui de la force. Toute science humaine doit présupposer que les individus effectuent des donations de sens singulières, et que les structures de signification produites – par exemple, la science – se constituent en éléments de leur environnement. Une différence ontologique de ce type exige une orientation transcendantale particulière, dans la mesure où le mode d’appréhension de l’objet humain ne peut être un pur mécanisme. Manifestement, l’importance du fait scientifique conduit Popper à reconnaître une certaine spécificité ontologique à l’homme. C’est donc à partir d’une anthropologie philosophique, qui fait de l’homme un problem solver inventeur de sens, qu’il faut comprendre la « logique des situations » par laquelle Popper cherche à garantir une rigueur aux sciences sociales. Au-delà même de ce qui se présente comme une méthodologie générale, Boyer cherche à expliciter ce qui constitue un véritable « programme métaphysique de recherche5 », caractérisé par l’anti-historicisme, les propensions, l’analyse situationnelle et l’individualisme méthodologique, et même à le compléter en osant une confrontation avec l’historiographie. C’est à ce prix en effet que peut être ouverte la voie de ce que Boyer appelle une « histoire théorique », ni historiciste ni rhapsodique, et qu’on pourra montrer que l’historien est « dans le bateau de Neurath6 ».

    3L’analyse situationnelle de Popper a l’ambition d’être valide pour toutes les sciences humaines (économie, sociologie, anthropologie, sciences politiques, histoire sociale et politique)7– et même de servir d’instrument pour l’action publique8. En effet, telle qu’elle est exposée dans Misère de l’historicisme9, elle se fixe comme objectif l’explication du comportement humain comme ensemble de tentatives de solutions de problèmes, ou atteintes d’objectifs, ou encore poursuites de fins, avec des moyens limités, et sous certaines contraintes. Elle suppose l’individualisme méthodologique10, qui conduit, par méfiance envers un certain usage du holisme, à n’attribuer des buts qu’aux individus, sans pour autant conférer à ceux-ci une autonomie absolue (Popper parle de « quasi-autonomie »). L’analyse situationnelle consiste à dérouler les conséquences des interactions individuelles en vue d’en exhiber la logique11. Puisque les actions des individus sont conçues comme des tentatives de solutions de problèmes, ou encore de réalisation d’objectif dans certaines situations, la « situation » est déterminée en partie par l’objectif. De fait, les « contraintes » sont révélées à l’agent sous forme d’obstacles à vaincre ou à contourner pour que l’objectif soit réalisé et le problème résolu. Les agents élaborent des stratégies en vue de résoudre les problèmes posés, en particulier ils inventent des techniques par lesquelles les contraintes sont transformées en moyens. L’analyse a pour tâche de démêler l’interaction des objectifs et des divers types de contraintes, contraintes que chaque science décrit abstraitement sous forme de « lois », et qui limitent l’action possible des agents ou exercent un contrôle sur celle-ci.

    4Il est donc très clair que les objectifs font partie de la situation objective des agents et, à ce titre, fonctionnent comme contraintes ; mais pas seulement. Il faut en effet bien saisir qu’ils représentent plus que des contraintes. Dans cette optique, ajoute Boyer, l’analyse historique vise à faire comprendre un événement ou une institution comme résultant d’actions réalisées par les agents en vue de certains objectifs, dans des conditions données. Cette conception téléologique de la situation admet des degrés. De fait, les objectifs rendent plus ou moins nécessaires que soient réalisés certains événements, en vue de produire (maintenir, éviter) un état du monde. La mise en œuvre de ces actions devient elle-même un objectif (intermédiaire) pour les agents, puisqu’elles visent à rendre possible la réalisation du but malgré les contraintes qui s’y opposent ou ne la favorisent pas. Autrement dit, il convient d’éviter une double erreur dans la conception des rapports dialectiques des situations et des objectifs. La première consisterait à réduire complètement les objectifs à des contraintes « comme les autres », car cela serait un premier pas vers le déterminisme sociologique ou psychologique. La seconde coïnciderait au contraire avec leur complète opposition, qui risquerait de conduire à une sorte d’idéalisme des buts, comme si ceux-ci étaient « donnés » naturellement, ou encore laissés dans toute leur infinité possible au libre choix de l’individu. La perspective situationnelle est finalement actancielle : elle consiste à considérer les objectifs sous la forme des problèmes que se pose l’agent plutôt que sous la forme de solutions, et à considérer que les contraintes éthiques réduisent le nombre des solutions possibles. Mais comme ce qui est un but et un moyen est relatif au problème en question, ce qu’une analyse détermine comme objectif des agents peut être pris par une autre analyse comme contrainte à expliquer.

    La métaphore du jeu et la question du principe de rationalité

    5L’analyse des situations, dont on voit à quel point elle s’adosse à une anthropologie philosophique de type problématologique, se renforce et se complexifie au contact de la métaphore du « jeu ». Boyer qualifie celle-ci de « métaphore commode pour décrire les situations humaines », en précisant que Popper en a repris l’idée à la micro-économie (théorie de l’utilité marginale)12. Penser les situations comme des jeux, c’est supposer que les agents ont certains objets, qu’ils agissent dans le cadre de règles qui contraignent leurs actions possibles, et qu’ils peuvent adopter différentes stratégies pour atteindre leurs objectifs. Clifford Geertz souligne l’intérêt de cette métaphore pour penser la société13, et Jürgen Habermas lui reconnaît une certaine pertinence14. Mais la position de Popper est là encore nuancée : la métaphore du jeu a ses limites et elle n’épuise nullement le sens de la logique situationnelle. En fait, il est difficile d’individualiser différents « jeux » et, en outre, dans une situation historique donnée, les règles du jeu changent constamment. Ce sont d’ailleurs souvent les périodes de bouleversement rapide des règles qui sont les plus difficiles à analyser – d’où une tendance à jouer le nouveau jeu selon les anciennes règles. La (quasi) autonomie des sciences sociales est due au fait que les individus, d’une part, en agissant, adoptent des règles et créent des entités qui résistent à leurs subjectivité, et d’autre part, agissent toujours dans le cadre de ces constructions qui font partie de leur environnement. On voit donc que, en dépit de son inspiration puisée dans la théorie des jeux, ce qu’on peut appeler la « théorie poppérienne de l’action » ne peut être assimilée stricto sensu à l’une des formes téléologiques ou stratégiques d’action considérée par Habermas dans sa Théorie de l’agir communicationnel, encore qu’elle s’en rapproche par de nombreux aspects. En fait, la logique situationnelle et l’anthropologie problématologique viennent complexifier la théorie standard de l’individualisme méthodologique de l’économie marginaliste15. Il s’agit donc bien d’un modèle d’action à part, même si Popper cherche à penser l’interaction sans véritablement thématiser la question du langage comme medium de raccord des différents sujets, alors que c’est l’étude de cette dimension qui fait tout l’intérêt de la tentative habermassienne16.

    6Plutôt que comme une simple théorie des jeux, l’analyse situationnelle doit davantage être considérée, selon la très suggestive formule de Boyer, comme une « écologie sociale-historique », caractérisée par une théorie des décisions prises dans le cadre de ces situations et les transformant. En effet, l’analyse de la situation de problème des agents nécessite la prise en compte de tous les environnements pertinents, du climat ou du relief, aussi bien que des rapports de force et des traditions17. Les contraintes d’une situation sont d’un degré variable : certaines situations de problèmes sont telles qu’elle exercent des contraintes très fortes sur les décisions des agents. D’une manière générale, plus une situation est contraignante, plus l’agent doit, s’il veut continuer à jouer, en respecter les règles (sinon, il risque l’élimination), et plus le nombre de stratégies possibles est limité18. Il y a ainsi des situations contraignantes – qui comprennent les relations de pouvoir – dans lesquelles les stratégies quasi-imposées exigent de la part des auteurs certaines dispositions ou « capacités » sous peine d’élimination. Toujours est-il que c’est à partir de la « logique de la situation » que pourra être faite la déduction a priori des conditions physiques et psychologiques nécessaires ou favorables.

    7La différence ontologique due à la spécificité anthropologique problématologique ne se traduit pas, chez Popper par la reconnaissance d’une distinction de méthode, comme chez les théoriciens du Verstehen. Toutefois, Popper admet une différence – et une seule – de nature entre sciences naturelles et sciences sociales : le fait que ces dernières peuvent et doivent faire usage d’un principe de rationalité (au moins tacitement), sorte de loi générale triviale selon laquelle des personnes normales agissent en général à peu près rationnellement. D’un côté, certes, ce principe est trop vague pour fournir autre chose qu’un point de départ heuristique (Popper est le premier à le reconnaître). Mais, de l’autre, aux yeux du philosophe viennois, il confère aux sciences humaines un avantage insigne : celui de supporter a priori, contrairement aux sciences naturelles (ou aux approches behavioristes), le type d’hypothèse susceptible de rendre compte d’un comportement humain. Le principe de rationalité marque en cela l’autonomie épistémologique des sciences humaines, y compris de l’histoire, et peut-être, si on le généralise, des sciences biologiques par rapport à la physique.

    8Les formulations données par Popper au principe de rationalité furent, au départ, ambiguës – la distinction entre sa version forte et faible resta inaperçue19 – et les interprétations qu’en a données le philosophe ont varié20. La version la plus aboutie est la suivante. Distinguant, à la suite de Hempel, entre explication « en détail » (par subsomption d’un événement singulier sous des lois à l’aide de conditions initiales) et explication « de principe » (explication d’un événement par construction d’un modèle de « conditions initiales typiques »), Popper souligne que, à la différence de la physique, les sciences sociales font surtout usage du second principe d’explication21. Popper adopte en fait un principe de rationalité conforme à la conception réaliste de son modèle situationnel (où l’on décrit les éléments « extérieurs » à l’agent et entrant dans sa problématique, les informations qu’il possède sur cet environnement, ses intentions, etc.). Ce principe de rationalité énonce que les agents se comportent d’une manière adaptée à la situation, étant donné que leur appréciation fait partie de cette situation. Autrement dit, le modèle situationnel a pour but de reconstituer approximativement le « schéma de décision » des agents (problème, but, préférence, stratégie, etc.), et le principe de rationalité stipule que l’agent agit d’une manière appropriée aux buts dégagés par l’analyse situationnelle.

    9Boyer souligne à bon droit l’originalité de la conception poppérienne du principe de rationalité, qui ne correspond ni à celle de la tradition autrichienne ni à celle du positivisme logique. En effet, Menger, von Mises avaient soutenu une version rigoureusement a prioriste du principe de rationalité, selon laquelle il constituait une vérité irréfutable, un principe synthétique a priori, inanalysable et pourtant informatif22. Au contraire, les néo-positivistes, qui ont fondé leur doctrine sur le refus de la théorie kantienne, conçoivent un énoncé soit comme analytique, soit comme a posteriori, donc vérifiable. Mais, remarque Boyer, la position de Popper est encore différente : selon lui, les énoncés scientifiques sont informatifs, mais leur validité ne peut être justifiée ni a priori ni a posteriori, de sorte qu’un principe synthétique comme le principe de rationalité (non tautologique, informatif) ne saurait être considéré comme « a priori valide » : il doit être traité comme un énoncé empirique excluant certains états de choses23. De fait, Popper soutient que le principe de rationalité est, comme tout énoncé empirique à prétention scientifique, non seulement réfutable, mais en outre effectivement réfuté, dans de nombreux cas (réflexes, hypnose, drogue, crise de démence, énervement, passion, hystérie collective, etc.)24.

    10En toute rigueur, lorsque l’explication d’une situation par la combinaison d’un modèle et du principe de rationalité est réfutée, le résultat négatif peut être imputé aux deux termes (c’est le problème de Duhem). Mais l’idée de Popper consiste à engager le chercheur à ne jamais remettre en cause le principe de rationalité, tout en sachant qu’il n’est qu’une approximation. Le raisonnement semble être le suivant : on a davantage à apprendre de la critique du modèle puisqu’il contient toute l’information qui nous intéresse. A contrario, l’emploi d’un autre principe, comme par exemple un principe d’inadaptation de l’agent à la situation, conduirait à un arbitraire total dans les explications. En réalité, souligne Popper, plus une action semble irrationnelle, plus il est nécessaire d’expliquer en quoi les individus ont agi de manière adaptée à leur vision (inadaptée) de la situation. De sorte qu’on doit faire attention à bien distinguer deux orientations possibles de l’analyse, afin d’éviter un contresens : l’objet central de l’analyse situationnelle n’est pas la situation objective, mais la situation telle qu’elle est envisagée par l’agent. Toutefois, si un comportement résiste à l’analyse rationnelle, d’autres principes peuvent bien entendu être employés (par exemple dans les cas de folie), mais cette question est empirique. En fait, la thèse de Popper revient à demander au chercheur d’essayer le plus possible de construire des modèles rationnels25. On ne peut donc confondre la position de Popper touchant le principe de rationalité avec celle qui fait un usage illimité du principe d’indulgence. De fait, selon Popper, le modèle situationnel doit en principe être testable ; or c’est là un réquisit que ne remplit pas l’absolutisation du principe de charité26. En outre, Popper n’identifie pas le principe de rationalité à l’attribution d’une rationalité calculatrice et optimisatrice, dans la mesure où c’est l’analyse de chaque situation qui doit suggérer quel type de rationalité est en jeu.

    11Concevoir la vie sociale en termes de « jeux » plus ou moins contraignants, c’est supposer que les conduites rationnelles (au sens fort) le sont en fonction de règles de chaque jeu, et définir la rationalité comme l’adoption du comportement le mieux adapté possible au jeu en question. Cela ne signifie pas qu’on ne peut pas changer les règles, ni même qu’il soit « irrationnel » de vouloir le faire, mais simplement qu’on doit d’abord considérer les comportements inadaptés comme provenant de ce que l’agent croit jouer un autre jeu que celui qui se joue effectivement. Autrement dit, la rationalité varie en fonction de la contrainte de la situation. Si la situation est très contraignante et ne laisse à l’agent qu’une marge de décision très limitée, la réponse rationnelle peut presque être déterminée a priori par la théorie normative – c’est le sens du programme de recherche de l’économie néo-classique. En revanche, dans un jeu du type « dilemme des prisonniers », la situation est telle qu’elle contraint les individus à des solutions sous-optimales, quelles que soient leurs dispositions psychologiques. En ce sens, il s’agit bien d’un cas paradigmatique puisque, en faisant des hypothèses différentes sur la psychologie des individus, on montre que le résultat est en général identique, et néanmoins paradoxal. Boyer en conclut à raison que la logique situationnelle oblige à reconnaître une quasi-autonomie du social par rapport au psychologique. Reste que moins la situation est objectivement contraignante, plus l’analyse des dispositions individuelles est nécessaire27.

    12Selon Boyer, Popper a sans doute cherché à prémunir l’analyse situationnelle contre l’usage ad hoc des hypothèses psychologiques, du fait de leur testabilité relativement faible. C’est la raison pour laquelle, selon Popper, l’historien devrait accorder la priorité à la reconstruction des « schémas décisionnels » des agents selon un « système hiérarchique de dispositions », qui permet une plus grande objectivité. Par « disposition », Popper entend ce qu’un agent tend à réaliser s’il en a la possibilité. Ainsi, les dispositions constituant une « personnalité » comprennent à la fois des traits institutionnels et des traits privés ou psychologiques. Les dispositions institutionnelles (ou rôles) contraignent l’action de l’individu de telle manière que l’explication de son comportement requiert beaucoup moins l’analyse de ses dispositions individuelles que ne le fait l’explication de comportements non institutionnalisés. À la différence du holisme fonctionnaliste, toutefois, Popper ne conçoit pas ces rôles comme « imposés28 ». En réalité, expliquer une situation historique revient à en montrer les potentialités, et à expliquer pourquoi les dispositions des agents les ont conduits à agir d’une manière telle que certaines conséquences de ces actions ont transformé la situation d’une façon imprévisible. Or les préférences individuelles, quoiqu’en elles-mêmes explicables situationnellement (par l’histoire), sont en général trop vagues et peu explicitées pour que la situation puisse amener l’agent à les analyser et à décider quelles sont précisément ses préférences. L’important, on le voit, est que l’analyse situationnelle n’oblige pas à choisir entre l’attribution de dispositions institutionnelles rigides et celle de dispositions privées relevant de l’histoire individuelle. En fait, l’assignation de dispositions individuelles est d’autant plus nécessaire que la situation est moins contrainte. En ce sens, on ne saurait parler d’une transmission sociale univoque des préférences. C’est donc la diversité des situations et des dispositions des individus en leur sein qui est responsable de la plus ou moins grande pertinence de l’analyse « en détail » de leurs dispositions idiosyncrasiques29.

    13La subtilité de la notion d’analyse situationnelle oblige donc à une conclusion nuancée. Elle prend bien sa source dans la théorie économique et la philosophie utilitariste, dans la mesure où Popper a étudié la théorie de l’utilité marginale et s’est inspiré de ce mode d’explication qui fonctionne par assignation d’objectifs (la maximisation des profits), de situations (les conditions de production du marché) et des moyens les plus efficaces pour remplir les premiers dans le cadre des secondes. Mais l’analyse situationnelle relativise aussi l’élément décisionnel présent dans certaines présentations du modèle rationnel. Ainsi conçue, la logique situationnelle fournit un modèle à l’explication en sciences humaines, tout en évitant le psychologisme et le holisme30. Reste à éclaircir la rationalité imparfaite sur laquelle cette écologie sociale-historique repose.

    Méthode zéro et logique situationnelle : la rationalité imparfaite

    14Boyer insiste sur l’importance de différencier, chez Popper, méthode zéro et logique situationnelle – l’ambiguïté tenant au fait qu’il arrive à Popper de les faire coïncider l’une avec l’autre. La méthode zéro est une heuristique qui a pour but de révéler les obstacles, par exemple idéologiques, à l’action rationnelle, par la comparaison d’un modèle rationnel avec la réalité des comportements. Le comportement rationnel attendu de la logique pure du choix peut ainsi être comparé au comportement réel des acteurs économiques, pour faire apparaître les manques d’information ou les préférences réelles. Le but semble être en ajoutant ces éléments, d’arriver à montrer la rationalité des actions ; ainsi, par adjonction au schéma décisionnel des contraintes informationnelles et des dispositions, par exemple, l’action peut apparaître comme rationnelle. De cette manière, le type de réponse de l’agent peut être prédit (rétrodit) avec une haute probabilité. Cette méthode vise à mettre en valeur la rationalité relative des actions, i.e. leur caractère adapté au modèle situationnel des agents. Cette rationalité est certes normative, mais au sens situationnel du terme : elle décrit l’action comme adaptée à un modèle élaboré par un agent, possédant l’information maximale sur la situation « objective », et n’étant guidé que par un seul but, correspondant à la résolution du problème31. Des hypothèses concurrentes peuvent alors être débattues par les historiens concernant les éléments responsables des « déviations ». Autrement dit, si on disposait de théories pures du choix rationnel, la méthode-zéro serait, au moins en principe, généralement applicable. Jouant un rôle de schème, elle fournirait alors un lien élégant entre théories normatives et réalité historique, et donnerait une fonction claire aux idéaux-types. Mais en réalité, c’est seulement du point de vue heuristique que cette méthode demeure un outil intéressant, bien que faillible, comparable à l’histoire-fiction à la Weber. En effet, du fait de sa nature heuristique, son pouvoir explicatif est faible et ne vise qu’à faire valoir « en creux » les véritables facteurs causaux (d’ailleurs, il se peut que la méthode soit mal employée dès qu’on suppose a priori une trop grande stabilité des préférences ou des problèmes).

    15La méthode zéro ne peut donc coïncider avec la logique situationnelle. En effet, l’un des préceptes fondamentaux de l’analyse situationnelle consiste à rappeler la nécessité de distinguer fortement le problème de l’agent de celui du chercheur. Car la confusion des deux niveaux risque de faire oublier que l’assignation d’un problème à un agent est une conjecture qui, en tant que telle, relève d’un méta-niveau. La rationalité dont il est question n’est donc nullement absolue, mais au contraire relative à un niveau32. Or cette relativité de la rationalité rend à première vue difficile l’utilisation souhaitée par Popper de la méthode zéro pour faire le lien entre « théories pures » et explication historique33. Car cette explication, pour qu’elle soit comparable à ce qui se fait dans les sciences de la nature, devrait être fondée sur des théories satisfaisantes de la rationalité « pure ». Cette ambiguïté de la théorie poppérienne n’a pas échappé à ses épigones, qui se sont essayé à différentes réinterprétrations plus ou moins rectificatives34. Qu’en est-il exactement ? C’est ici que la très convaincante reconstruction de Boyer s’avère particulièrement précieuse.

    16Weber avait construit sa notion de rationalité sur le modèle instrumental, dans la mesure où être rationnel signifiait choisir le meilleur moyen d’obtenir une fin, étant donné certaines conditions. Elster reproche à cette conception son incapacité à prendre en compte les situations dans lesquelles l’environnement de l’agent est composé d’autres agents35. C’est la raison pour laquelle, selon lui, la conception téléologique instrumentale de Weber doit être dépassée dans une conception stratégique, à la von Neumann36, qui est beaucoup plus problématique et complexe37. Mais le problème principal provient surtout du caractère utopique des théories de la décision – c’est le débat désormais bien connu sur l’humanité d’homo oeconomicus, le fait de savoir s’il est bien doté des capacités et limites des « vrais » hommes38. C’est bien là, en effet, comme le voit Popper, la raison pour laquelle, dans le cadre de la théorie des jeux, indépendamment de ce que peut avoir d’instructif la description de situations idéales de conflit, coopérations ou menaces, la question du « profil psychologique » ne saurait être évacuée, dans la mesure où ce qui est rationnel pour un individu aimant le risque ne le sera pas pour un autre.

    17Le même problème se pose, en dehors de la théorie des jeux, quand sont abordées les théories normatives de l’optimisation, en particulier dans les conditions de risque et d’incertitude. La rationalité néo-classique, dans sa simplicité, est optimisatrice, et ne fait pas appel à la psychologie : elle suppose simplement que l’agent rationnel maximise ses gains. Or si la possibilité d’effectuer des maximisations globales existe toujours en théorie, les hommes n’en ont pas pour autant souvent la possibilité réelle quand ils sont en situation39. D’où la nécessité, là aussi, de compléter l’analyse situationnelle par le recours à la psychologie empirique, afin de ne pas attribuer à l’agent plus qu’il ne peut faire. Popper refuse de considérer comme Friedman que l’important n’est pas de tester les positions de la théorie, mais que tout « se passe comme si » les agents maximisaient. À l’évidence, ce serait là en effet prémunir la théorie contre toute critique en l’immunisant40, par exemple par un raisonnement sélectionniste, affirmant que l’intelligence de la situation dépend de la capacité d’adaptation aux problèmes et de changements « opportunistes » des règles d’action. En fait, pour Popper, la question de savoir si les agents sont des maximisateurs ou des hommes cherchant à se satisfaire est une question empirique.

    18L’insistance de Popper sur cette dimension « séquentielle » et « limitée » de la rationalité a une certaine incidence sur la « méthode zéro », puisqu’il devient possible d’envisager le comportement rationnel du modèle a priori (pur, formalisé) de plusieurs manières, en fonction des capacités et des limites réelles des individus41. C’est la raison pour laquelle, selon Boyer, les modèles idéaux-typiques de l’histoire sont d’autant plus informatifs qu’ils peuvent être considérés comme « représentatifs » d’hommes ayant effectivement existé, et non d’êtres abstraits42. De ce point de vue, et en dépit de certaines déclarations abruptes, il faut souligner que la défiance de Popper par rapport à la psychologie n’équivaut pas à un rejet radical, par lequel la rationalité poppérienne s’alignerait en fait sur celle de la définition néo-classique. Une telle assimilation serait trompeuse, souligne à raison Boyer, car la conception poppérienne de la rationalité est éloignée de la conception optimisatrice, pour quatre raisons. Elle est d’abord dépendante du problème, et donc relative à la situation ; elle est ensuite dynamique, puisque marquée essentiellement par le processus dialectique d’élimination de l’erreur ; elle est aussi pluraliste, dans la mesure où une tentative de solution critiquée conduit à de nouveaux problèmes, et qu’il faut favoriser les théories concurrentes ; elle est enfin non absolue, car il n’y a pas de critère de vérité, et que les théories sont en nombre infini43. Aussi, lorsque Popper parle de rationalité normative, il faut comprendre qu’il entend par là une démarche de résolution des problèmes caractérisée par son élément auto-correcteur et adaptatif, démarche qui comporte nécessairement une part d’imagination, d’aléatoire, de chance, et se rapproche d’une procédure opportuniste, bien que régulée par des idéaux (vérité, validité, contenu informatif, etc.). Autrement dit, Popper ne souscrit nullement à l’idée d’une rationalité absolue pour la construction de la méthode zéro44 ; son analyse situationnelle insiste au contraire sur la prise en compte de toutes les limites de l’action, et, en ce sens, part d’une image problématologique de l’homme qui ne le réduit pas à ses contraintes biologiques.

    19Boyer en conclut à la compatibilité de l’épistémologie poppérienne avec l’histoire. En effet, l’historien, en règle générale, ne peut faire qu’un tableau partiel des possibles, et il n’attribue donc pas aux agents des capacités de calcul infinies et une rationalité optimisatrice. En ce sens, remarque Boyer, la méfiance de beaucoup d’historiens, d’ethnologues, etc., par rapport au modèle économique de la rationalité est justifiée. Toutefois, cette prévention pourrait diminuer, à condition de lui substituer la « rationalité imparfaite » de Popper. Le risque serait en effet, à cause de ce refus d’une rationalité trop étroite, de tomber dans une conception radicalement irrationaliste de l’histoire, où les passions et la relativité des valeurs hypothèquent largement toute approche scientifique. En fait, la position de Popper est assez proche de celle d’Herbert Simon45, dont les hypothèses empiriques, en analysant le processus de décision à partir d’une théorie de la rationalité procédurale (de la satisfaction), permettent de comprendre pourquoi un agent ne choisit pas la voie optimale. C’est que la rationalité instrumentale (détermination du meilleur moyen en vue d’une fin précise) ne vaut que quand la situation « impose » une finalité extérieure à l’individu (quand on reçoit un ordre par exemple). Mais dans la plupart des situations, l’agent a le choix entre plusieurs scénarios, chacun d’entre eux favorisant l’obtention d’un certain gain au prix d’un certain coût. L’idée simonienne de « seuil de satisfaction » permet d’intégrer au sein de la rationalité la prise en compte des coûts par les agents46. En ce sens, complétée par la priorité logique, elle permet d’adapter la méthode zéro, en faisant partir son analyse de la situation non pas d’un être quelconque, mais du problem solver humain.

    20En fait, pour Popper, toute explication d’un phénomène humain présuppose que l’homme est cet être d’un type particulier, aux capacités aussi originales que limitées. C’est cette anthropologie problématologique qui doit permettre, selon Boyer, de sauvegarder ce qui fait l’essentiel de la théorie poppérienne – l’objectivité ou la quasi-autonomie des problèmes –, tout en reconnaissant que ces problèmes ne sont tels que pour un sujet contraint par ses limites, physiques ou intellectuelles. Partir de l’homme comme problem solver, c’est faire reposer les explications du changement social sur des individus en situation, qui cherchent à résoudre des difficultés en adaptant leurs actions à ce qu’ils croient être ces difficultés, et en apprenant par leurs erreurs. Selon cette optique, des agents historiques capables d’interpréter leurs problèmes à la lumière de leur expérience et d’élaborer des stratégies conformes à cet apprentissage seront considérés comme « rationnels » au sens fort, sans qu’on ait à supposer qu’ils ont sélectionné les meilleures réponses possibles. Dans le prolongement de cette logique situationnelle, et à titre complémentaire, Boyer confère à l’historien la tâche de décrire les enchaînements des actions, hasards, effets de composition, conflits, événements extérieurs ayant amené les individus agissant sur la base de leurs propres schémas de décision à transformer leur situation, et à transmettre par là même aux nouvelles générations des problèmes nouveaux47. Reste que ce phénomène de transmission des problèmes ne va pas sans difficulté. En effet, comment peut-on, dans le cadre de l’individualisme méthodologique, rendre compte du transfert trans-individuel de situations et de schémas décisionnels ? Autrement dit, la tradition est-elle susceptible d’une analyse situationnelle ?

    La question des institutions comme problème central de la logique situationnelle

    21Popper s’efforce de rendre compte des traditions en termes situationnels, en les introduisant dans sa définition de l’individualisme méthodologique48. En fait, au sein du schéma décisionnel des individus, la réponse possible des autres doit pouvoir être prévue. Or la tradition est parfaitement compatible avec ce réquisit, puisqu’elle permet l’action, en limitant les possibilités de réaction des agents. De fait, il n’est pas nécessaire d’imaginer l’individu se demandant constamment si la règle traditionnelle qu’il suit est ou non adaptée à ses problème : la tradition peut être comprise moins comme le résultat d’une délibération que, de façon plus wittgensteinienne, comme une manière de « suivre une règle49 » – à laquelle on peut vouloir adjoindre une analyse psychologique du mode de fixation des croyances.

    22Pour Boyer, cette conception est pleinement cohérente, et l’essentiel du travail de l’historien et de l’ethnologue consiste à expliciter les traditions qui contrôlent le comportement des individus d’une époque et d’une région donnée50. Ce faisant, l’analyse reste situationnelle, puisqu’elle vise à mettre en évidence le mode de résolution des problèmes d’une communauté, tout en ayant un but plus descriptif qu’explicatif – sans pour autant que l’exercice soit plus facile51. Selon une formule très heureuse et suggestive de Boyer, la situation peut-être dite analysable en termes écologiques, au sens où différentes strates de « réalité » doivent en être abstraites pour en rendre compte52. Ainsi, pour l’historien, l’explication du comportement revient à une analyse des différentes mentalités qui lui donnent sens, sans qu’il soit possible de rendre compte de ces mentalités en termes de solutions de problèmes. Ce qui caractérise donc son travail, pour Boyer, c’est beaucoup plus la description des situations (mentalités comprises) que l’explication des raisons (à la Dray), surtout depuis que l’histoire s’intéresse, sous l’écume politique des décisions individuelles, aux courants profonds de la longue durée53.

    23Dans ce cadre, la difficulté la plus épineuse consiste sans doute à différencier institutions et traditions. Popper oppose les deux termes sans véritablement donner de critère de distinction54, mais, selon Boyer, le contexte semble indiquer qu’il entend par « institutions » des règles codifiées ordonnant l’action des individus et susceptibles d’être abstraites, et par « traditions » des règles de comportement effectivement « intériorisées » par les individus et leur servant de schéma de décision personnelle – la différence principale étant qu’il est impossible de « décider » de la naissance d’une tradition. L’ambivalence des institutions tient à leur position, en quelque sorte à mi-distance des décisions individuelles et des traditions, et à leur statut de semi-transcendance et de quasi-autonomie, qui leur permet de servir des fins différentes de celles pour lesquelles elles ont été créées ou de celles qui les ont rendues nécessaires. Comme le résume Boyer, « les construits sociaux sont à la fois autonomes et ambigus » : ils ne se réduisent pas pour Popper à des croyances, mais n’existent que grâce à elles, ou du moins ne sont efficaces que soutenues par elles. Cette sorte d’inertie des institutions met donc aussi en échec une analyse strictement fonctionnaliste, puisque les institutions peuvent survivre à leur fonction55.

    24L’analyse de Popper vaut pour différents types d’institutions : pour le cas particulier de la science, mais aussi de façon générale. Popper, pour qui la science n’est pas un ensemble d’états mentaux, mais une institution sociale, ébauche une théorie institutionnelle du progrès scientifique56. Pour fonctionner, les institutions doivent s’appuyer sur la force d’inertie des traditions. On peut parler en ce sens d’une tradition scientifique, caractérisée par une orientation critique, la recherche du vrai, le goût des problèmes, l’insatisfaction devant les solutions. Boyer soutient que la méthodologie normative peut être considérée comme une « gardienne » faillible de la tradition critique, et qu’elle peut servir à constituer, avec la théorie des institutions, une écologie de la rationalité. Au-delà du cas de la science, comment penser, cette fois d’une manière générale, les institutions et leur ambivalence ? Une perspective non psychologiste et non essentialiste doit s’efforcer d’affronter la difficulté des effets inattendus. L’idée de Boyer, en reconstruisant une théorie de l’action poppérienne conséquente, est de considérer que le sens d’une institution ne repose pas dans son origine, mais dans l’usage ultérieur qui en est fait. Dans chaque cas, il s’agit de repérer les règles contraignant les individus, les traditions favorisant ou non la (relative) univocité de ces règles, les usages différents que certains groupes en font, etc. Boyer le souligne à bon droit, la difficulté qui intervient dans la compréhension du rapport entre tradition et institution est centrale et constitutive des sciences humaines en général, dans la mesure où ce n’est pas en fonction de leur condition véritable, mais de l’image qu’ils s’en font et qui n’en livre jamais exactement le reflet fidèle, que les hommes règlent leur conduite57. De plus, l’idée de « condition véritable » n’est pas très claire, puisque toute situation de problème dépend objectivement du sujet pour qui elle est un problème. Enfin, les « réalités matérielles » elles-mêmes, loin d’être des données constituées, sont essentiellement ambiguës. C’est dans ce cadre instable que l’analyse situationnelle a pour tâche d’élucider les relations inattendues que les hommes ont été amenés à découvrir entre les objets et leurs intentions, ainsi que les résistances que certaines traditions (des tropismes) ont pu opposer à l’innovation, en particulier à l’usage nouveau d’instruments et d’institutions58.

    L’idée d’une approche scientifique de l’histoire

    25Peut-on étendre cette analyse à l’histoire59 ? Pour Boyer, la difficulté principale reste le « magma événementiel », en attente d’une organisation. Or, l’analyse situationnelle est précisément ce qui permet cette mise en ordre, souple et rigoureuse, « multifactorielle60 ». Pour remplir sa fonction de taxis, elle a recours à des modèles, qui sont certes simplificateurs, mais toutefois assez riches pour prendre en compte à la fois les environnements et les agents, sans réduire l’explication des uns à l’action causale univoque des autres61. Ainsi, du point de vue situationnel, l’histoire des techniques n’est pas une histoire héroïque et linéaire des inventions, mais une histoire d’influences complexes diverses, que Bertrand Gille a cherché à penser au moyen du concept de « système technique62 ». L’un des mérites de l’analyse situationnelle est de conserver aux objets instrumentalisés leurs plurivocité, et notamment aux objets institutionnels, « systématiquement ambigus » et infiniment riches en usages et effets. D’autant plus complexes à reconstruire sont, corrélativement, les schémas décisionnels des agents qui prennent en compte ces objets. En effet, il n’est pas possible de considérer a priori que les agents leur attribuent le même sens, et il est difficile de distinguer le « vrai » sens d’une institution de ceux que lui accordent les individus.

    26Cette complexité institutionnelle de l’analyse situationnelle est en quelque sorte redoublée par la prise en compte des phénomènes d’anticipation. En effet, dans un jeu à plusieurs joueurs, les acteurs intègrent les anticipations qu’ils font du comportement des autres dans leurs décisions stratégiques. Beaucoup d’effets apparemment « pervers » peuvent ainsi être compris comme des prévisions autoréalisatrices, souvent à cause d’effets de composition63, de même que les situations « tragiques » observées par nombre d’historiens (les anticipations des agents provoquent la situation redoutée)64. Pour Boyer, la fécondité explicative de l’« anticipation » pose bien davantage problème au sociologue qu’à l’historien, dont le travail est facilité par sa visée toute rétrodictive65. C’est que l’interprétation des « expérimentations sociales66 » du sociologue, déjà délicate, est encore compliquée par la prise en considération des phénomènes de prévision67. L’anticipation introduit en effet une irrégularité qui défie toute prédiction déterministe. Reste que, pour Boyer, c’est un préjugé déterministe qui argue de la complexité des faits pour s’abstenir de toute prédiction ; au contraire, la véritable attitude scientifique consiste à essayer de construire des modèles indéterministes, à scénarios multiples, quitte à diminuer le degré de falsifiabilité de ses théories.

    27Que la rétrodiction soit plus aisée que la prédiction ne signifie donc pas qu’elle doive être plus déterministe. Car l’historien dégage des possibilités, il défatalise le passé68 et explique par exemple pourquoi il aurait été plus difficile à l’époque de prévoir l’enchaînement de certaines stratégies et de leurs effets. C’est ce que la description des schémas décisionnels de certains agents vise à montrer, en élucidant leurs calculs. Aucune théorie générale sur l’importance de tel acteur ou de tel type d’élément situationnel n’intervient alors, sauf à titre heuristique. Au contraire, ce sont les analyses concrètes de situations de problèmes qui informent sur le caractère déterminant de la situation d’un acteur, ou d’un groupe, ou encore d’un facteur matériel et institutionnel. On peut d’ailleurs arguer de la richesse des situations historiques pour justifier l’adhésion à un nominalisme radical, obstinément opposé à tout concept trans-historique, dans la mesure où la singularité fait obstacle à toute généralisation, et s’impose comme hapax69. Veyne souligne ainsi que certaines institutions doivent être comprises en fonction des modulations que leur imprime une pratique individuelle, comme le montre, au-delà de l’esprit des lois, l’influence des empereurs sur le sens de l’imperium romain et des combats de gladiateurs. Et on ne saurait dire que c’est une même « réalité » qui est « comprise » de manière idéologiquement diverse par les agents suivant leur situation, puisque, on l’a vu, c’est cette compréhension qui sélectionne une certaine pratique70.

    28Il n’y a donc pas de contradiction entre la perspective situationnelle, fortement singularisante, et l’idée d’une science de l’homme. Car l’écart entre la description positiviste des pratiques et des discours concrets et les théories pures de l’action économique n’est pas aussi infranchissable qu’il paraissait à Veyne71. Prenant ses distances avec l’auteur de Comment on écrit l’histoire, Boyer se rapproche du celui de L’inventaire des différences, dont la conception de la scientificité lui paraît plus souple72. Si on conçoit en effet le problème des sciences humaines précisément comme celui de la confrontation des théories pures à la réalité73, qui est par définition « historique », on peut revaloriser la pratique scientifique de l’historien, dont la difficulté consiste à résoudre des problèmes complexes d’imputations causales. En outre, il est parfaitement possible de constituer des modèles intermédiaires, décrivant des situations spécifiques idéalisées74. Il revient alors à l’historien de décider si un modèle abstrait lui permet d’améliorer l’intelligibilité d’une situation donnée. De sorte qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre les dispositions accordées aux agents par le modèle et celles que l’historien attribue aux agents réels dont il essaye de comprendre le comportement. Et si l’historien ne dispose pas de tels modèles grâce aux théoriciens, il peut toujours en construire lui-même. Boyer en conclut, de façon très poppérienne, que la question de savoir si un modèle de situation (plus ou moins contraignante) est utile pour comprendre une série d’événements est une question empirique.

    29Que dire, en conclusion, de l’épineuse question du degré de falsifiabilité des hypothèses historiques ? Pour Boyer, le constat s’impose : les conjectures que l’analyse situationnelle amène à faire sur le « fondement » de l’histoire, ou sur sa structure causale « essentielle », sont faibles, de sorte que la nature épistémologique des hypothèses concrètes qui résultent de cette analyse peut sembler décevante, surtout au vu de l’ambition globale des explications historicistes. En fait, pour Popper, la simplicité d’une hypothèse est (objectivement et a priori) proportionnelle au « degré de rigueur » qu’elle impose à la nature, de sorte qu’une hypothèse est d’autant plus testable qu’elle est falsifiable et a le moins de paramètres possibles. À cette aune, les hypothèses situationnelles sont clairement moins rigoureuses que les hypothèses déterministes, puisqu’elles requièrent pour leur formulation plus d’informations empiriques « données ». Or deux solutions sont possibles pour augmenter le degré de falsifiabilité, c’est-à-dire le contenu informatif d’une théorie : on peut soit élargir la taille de son domaine (progrès en généralité), soit affiner la précision de ses prédictions75. Popper considère que la science progresse plus ou moins selon les deux axes à la fois (en tout cas en physique, depuis Newton), mais, comme Boyer le souligne à bon droit, les deux axes ne sont pas logiquement liés. Il est parfaitement possible que deux théories concurrentes soient supérieures, l’une en généralité, l’autre en précision, chacune pouvant prétendre à un plus grand contenu que l’autre. Il est alors impossible de les ordonner en fonction de leur simplicité. Boyer y voit même la situation typique des sciences humaines : plus les hypothèses sont générales, moins elles sont précises. Selon lui, l’historien situationnaliste a tendance à favoriser la précision, sans pourtant être en mesure de prédire avec la même précision, étant donné ses manques d’informations et l’indétermination relative des choix des agents76.

    30Au sens strict, on peut donc dire que les hypothèses singulières de l’histoire sont testables. Aussi bien le critère de testabilité, dont la véritable nature est critique, est-il suffisamment souple pour autoriser une conception libérale de la science, comprise comme « toute tentative pour résoudre un ensemble, logiquement distinct, de problèmes77 ». Ce que montre cette définition problématologique de la science, c’est que la démarcation importante chez Popper n’est pas finalement celle qui distingue science et métaphysique, mais celle qui oppose discours rationnel (critiquable) et pseudo-science (caractérisée par l’irréfutabilité méthodologique)78. Ce par quoi la philosophie de Popper a d’ailleurs l’ambition d’être une véritable philosophie de la raison (de tradition critique) plutôt qu’une simple épistémologie79. Autrement dit, le critère de démarcation ne doit pas être appliqué de façon dogmatique contre tout savoir non théorique, mais au contraire servir à examiner de façon critique toute pratique de connaissance prétendant à la vérité. Puisque l’historien, souligne Boyer, procède en posant des problèmes et en tentant de les résoudre, l’étude de la pratique même de l’histoire et de sa prétention scientifique est parfaitement justifiée.

    31En fait, tout dépend du problème et du moyen utilisé afin de le résoudre. Il est parfaitement légitime de se poser le problème de l’intelligibilité d’un événement particulier, spatio-temporellement défini dans sa singularité. C’est là le problème de l’historien, mais aussi, souligne Boyer, du vulcanologue, de l’archéologue et du policier80. Le souci principal de Boyer est de montrer que la méthode utilisée, celle de l’enquête, n’est pas forcément incompatible avec une conception qu’il nomme « dialectique », procédant, à rebours de la chronique ou de l’anecdote, par problème, essai et erreur. Pour cela, il souligne à la suite de Popper que la méthode problématologique n’entre nullement en contradiction avec la vocation singularisante de l’histoire, puisqu’elle stipule que le schéma logique doit être interprété contextuellement, eu égard aux questions du chercheur81. De sorte que, si la distinction entre les termes « idiographique » et « nomothétique » a un sens, ce n’est assurément pas celle, méthodologique, entre deux types de science, que lui donne Windelband82. En fait, pour Popper, formulation de lois et description des individus sont des modes d’approche complémentaires du réel, dont le choix dépend du type de problème qu’on veut résoudre. C’est dans la mesure même où l’historien s’intéresse à l’événement unique (et non à l’événement considéré comme exemplaire théorique) qu’il ajoute à l’explication, toujours conjecturale, une description (ou une narration)83.

    32Comme Boyer le montre bien, si le mérite de Popper est d’avoir soutenu l’unité de la méthode scientifique y compris dans le domaine de l’histoire, c’est essentiellement grâce à la notion de « programme métaphysique de recherche84 ». Au fond, Popper n’a jamais strictement pensé l’unité de la science comme une unité de méthode (au sens strict de procédure), mais toujours comme une unité d’esprit critique.85 C’est la raison pour laquelle il a toujours douté du projet positiviste de l’élimination de la métaphysique par l’unification méthodologique. Au contraire, pour lui, la métaphysique est indispensable. C’est pourquoi il élabore dans les années cinquante cette notion de programme métaphysique de recherche (l’évolutionnisme en est un cas), qui permet de donner sens au pluralisme méthodologique, tout en soulignant le type d’explication qu’il est légitime de poser et les exigences qu’il est légitime d’avoir à l’égard de toute tentative d’explication. Il existe en quelque sorte une unité de la méthode scientifique, mais au sens faible où dans tout processus de recherche interviennent des contraintes communes : des règles formelles (règles logiques et certaines exigences réalistes) applicables à toute science empirique, et des règles matérielles, que le contenu des prémisses d’une théorie explicative doit satisfaire dans un champ empirique particulier. Ces dernières sont régulatrices, et non constitutives, parce que les différences dans les objets des sciences se traduisent par une certaine spécificité des principes matériels.

    33Si Popper souscrit, pour les sciences humaines, au programme métaphysique de recherche de l’individualisme méthodologique, ce n’est donc pas, comme Hayek et Von Mises, pour lutter contre le scientisme en revendiquant la spécificité d’une méthode alternative pour l’approche des phénomènes humains. C’est au contraire par souci d’intégration des sciences humaines au sein de la raison critique, par-delà une différence légitime de méthode. Comme tout programme métaphysique de recherche, l’individualisme méthodologique stipule les conditions nécessaires pour qu’une explication soit reçue comme satisfaisante, en décrivant la nature des concepts de l’explanans, touchant leur forme et leur référence – sans que cette référence aux individus implique nécessairement une ontologie moniste86. Ce programme s’efforce de rendre possible la recherche d’un passage entre décisions individuelles et effets collectifs, en faisant du social le système des conséquences et des interactions entre ces attitudes et décisions87. C’est donc un programme qui place les individus « en situation », sans les désocialiser, contrairement à certaines objections adressées par les critiques holistes88. Dans cette conception souple et libérale de la science, l’analyse épistémologique cherche à clarifier les limites et conditions négatives des méthodes, mais nullement à fournir une démarche a priori pour résoudre mécaniquement des difficultés. Popper, en cela conséquent avec son anthropologie problématologique, soutient qu’il existe autant de méthodes que de problèmes – même s’il n’y a qu’une seule raison critique.

    34Boyer en conclut que les phénomènes historiques se prêtent effectivement à une approche scientifique89, à condition que l’historien accepte l’idée d’une rationalité imparfaite. De ce point de vue, l’analyse situationnelle semble bien représenter l’ensemble des présupposés minimaux de toute explication historique. En outre, les conclusions plus générales et informatives qu’on pourra tirer de ces analyses situationnelles seront d’autant plus intéressantes qu’on ne les utilise pas subrepticement pour construire la théorie90 – la figure du cercle est ainsi évitée91.

    Le refus de l’historicisme

    35Non seulement cette logique situationnelle, dont Boyer s’efforce de reconstituer la cohérence, et montre la pertinence pour l’ensemble des sciences humaines, peut être étendue de façon conséquente à l’histoire, mais elle livre également la clé de la critique poppérienne de l’historicisme92. Ce point est d’autant plus important que Boyer reconnaît chez Popper, à la suite de Donagan, un certain amalgame fait dans Misère de l’historicisme entre des positions distinctes93. La question fondamentale porte en fait sur le statut des lois historiques. Boyer propose la distinction suivante : l’historicisme considère qu’il existe des lois de l’histoire94, tandis que Popper soutient qu’il existe seulement un usage des lois en histoire95. Pour lui, les lois manipulées par l’historien sont triviales et, à ce titre, non problématiques, ou empruntées aux sciences sociales ; mais l’historien, en tant précisément qu’historien, s’intéresse plus au déroulement précis des événements qu’à leur caractère général. Pour être tout à fait précis, les conceptions historicistes que critique Popper ont une double caractéristique : d’abord, d’un point de vue méthodologique, elles font de la prédiction historique le but principal des sciences sociales, et pensent que ce but peut être atteint par la découverte des rythmes, patterns, lois ou tendances générales de l’histoire96. Ensuite, d’un point de vue ontologique, elles reposent sur l’idée que l’histoire humaine possède une intrigue (plot) dont l’élucidation livre les clés de l’avenir97. En fait, l’historicisme élargit à l’histoire tout entière la recherche des intentions, au détriment des conséquences inattendues, qui constituent pourtant une des coordonnées indépassables de toute philosophie de l’action. Boyer le souligne bien : l’historicisme n’est pas une doctrine de l’explication historique mais une théorie (prévisionniste) « de la lecture de l’avenir dans le passé98 », et ce, quelle qu’en soit la forme : cyclique ou évolutionniste, optimiste ou pessimiste.

    36Popper rattache en fait l’historicisme à une double erreur : la vision « essentialiste » de l’explication (i) et l’indistinction entre lois et tendances (ii).

    37(i) Le premier paralogisme, qui remonte à Aristote99, se traduit par l’idée que des propriétés essentielles inhérentes à chaque individu peuvent être considérées comme expliquant son comportement. L’essentialisme conduit inévitablement à nier l’histoire et l’émergence de conséquences inattendues, incapable qu’il est de rendre compte du changement historique100.

    38(ii) Si Popper tient par ailleurs à marquer la différence entre lois et tendance, c’est parce que cette distinction lui permet de critiquer toute tentative de formulation des « lois irréversibles du mouvement de la société101 ». Les lois sont des énoncés universels réfutables qui n’énoncent aucune existence, mais l’impossibilité de telle ou telle chose ; tandis que les énoncés de tendances sont existentiels102. Par ailleurs, les lois sont inconditionnelles103 et universellement vraies, alors que les tendances ont lieu à certaines conditions, avec en général un début et une fin. De sorte que, si des prédictions scientifiques peuvent être fondées sur les lois, elles ne sauraient l’être simplement sur l’existence de tendances (puisqu’une tendance générale qui a persisté pendant des centaines d’années peut changer en une décade)104. On peut certes vouloir expliquer les tendances, mais il faut alors spécifier qu’elles dépendent du maintien de certaines conditions initiales – on met alors en évidence des « quasi-lois de succession », comme la périodicité saisonnière105 –, et que le concept de « tendance absolue » est inadmissible logiquement (celui de tendance générale est en revanche acceptable, parce qu’il reste ouvert à la contingence). Manifestement, Popper dénonce en fait dans l’historicisme (et son ambition prédictive) une confusion méthodologique qui consiste à traiter les tendances de l’histoire comme des lois inexorables106, en refusant d’accepter la possibilité de principe d’un « changement dans les conditions du changement107 ». Boyer le souligne avec force, c’est finalement l’irrationalisme de l’historicisme que Popper révoque, en lui opposant une approche rationnelle de l’histoire108, au sens critique du terme. Il est parfaitement possible de discerner une orientation ou une direction du processus historique, mais il faut alors formuler cette tendance relativement à des conditions, de façon à la rendre testable. Dans la mesure où les tendances absolues sont holistes, l’historiciste les présente comme des concomitants nécessaires et omniprésents de la vie sociale, et les immunise de la sorte contre toute réfutation possible. C’est la raison pour laquelle Popper oppose la rationalité des explications historiques au caractère métaphysique (et essentialiste) des prophéties historicistes109.

    39On trouve, dans Conjectures et Réfutations110, la même définition de l’historicisme comme confusion entre prédictions scientifiques et prophéties historiques inconditionnelles. Mais Popper ajoute un nouvel argument : les prophéties à long terme ne peuvent être dérivées de prédictions conditionnelles que si elles s’appliquent à des systèmes qui peuvent être décrits comme isolés111, stationnaires et récurrents. Or ces systèmes sont rares dans la nature et, en tout état de cause, la société moderne n’en est pas un112. Au contraire, seule une analyse déterminant dans la société des sous-systèmes relativement isolés peut effectuer sur eux des prédictions, si on suppose toutefois que leur isolement perdurera – il n’est pas nécessaire en revanche que ces systèmes soient récurrents. De ce point de vue, si Popper vise dans l’historicisme prophétique la transformation problématique de tendances en lois nécessaires, c’est parce que celle-ci correspond à un passage de l’analyse de systèmes dans la société à la conception de la société comme un système simple, et dont les déterminations sont réductibles à quelques types de variation – les théories historicistes sont globalement monistes, parce que déterministes113.

    40Au contraire, une prise en compte réelle des conditions empêche de considérer la société comme un système fermé, et oblige à considérer une multiplicité de sources narratives, du fait d’une caractéristique fondamentale d’ouverture. De ce point de vue, la distinction sophistique entre nature et convention joue le rôle d’un cran d’arrêt décisif contre toute vision systématique de la société, dans la mesure où elle introduit la possibilité de contestation des règles au nom de valeurs. Une société « ouverte » est une société d’individus, se posant des problèmes et par là capables d’innovations. La description de facteurs déterminants (de type holistique-historiciste) ne peut épuiser l’analyse de ce type de société, dont toute tentative de modélisation doit dès lors inclure des aspects décisionnels. Une des innovations les plus importantes d’une société, c’est la naissance d’un domaine d’objectivité scientifique, du fait d’une tradition critique. L’important est que, une fois les entités scientifiques créées (problèmes, théories, etc.), elles acquièrent une quasi-autonomie : on peut en découvrir des propriétés inattendues, et cette découverte peut conduire à modifier notre comportement ou notre environnement matériel ; elles sont réelles au sens où elles opposent une résistance à notre volonté (elles ne peuvent pas être interprétées n’importe comment). Le fait que le contenu informatif d’une théorie scientifique soit infini est pour Popper d’une portée considérable, puisque cette idée d’inachèvement constitutif du savoir scientifique fait obstacle à toute anticipation exhaustive et à toute prédiction déterministe. On peut donc y voir une véritable réfutation de l’historicisme conçu comme histoire totalement théorisée (sur le modèle de la physique théorique) : le cours de l’histoire dépend largement de la croissance des connaissances ; or cette croissance ne peut être scientifiquement prédite114 ; par suite, il n’est pas possible de prédire le cours futur de l’histoire humaine ; et il ne peut exister de théorie scientifique du développement historique sur laquelle puisse se fonder une prédiction historique ; donc l’historicisme s’effondre115. Les prédictions historiques peuvent donc toujours être réfutées par des avancées imprévisibles de la science, qui transforment les conditions initiales sur lesquelles elles sont fondées : « le fait même de l’existence de la science rend l’omniscience impossible116 », et toute explication doit être conçue comme incomplète, surtout concernant les phénomènes humains, qui font intervenir des raisons et des significations.

    41La thèse de l’ouverture est plus importante que celle de l’indéterminisme, au sens où elle l’implique sans pourtant coïncider avec lui117. Boyer y voit à bon droit un véritable programme métaphysique de recherche, articulé sur l’idée d’un univers ouvert118, une interprétation propensionniste des probabilités, et une théorie de la créativité de la matière et de l’évolution. Cette vision néo-darwinienne vaut a fortiori pour les sciences humaines : l’histoire, créatrice de toutes les normes sociales, est au-delà de toute loi119. C’est d’ailleurs en ce sens que Popper résiste à l’interprétation historiciste du paradigme darwinien : l’évolution n’est pas une loi universelle, mais une hypothèse historique singulière120. De même, l’évolution de la société ne peut être pensée par une loi121. Au sens strict, il n’y a donc pas de science de l’histoire, même si Boyer a raison d’insister sur le fait qu’une approche scientifique de l’histoire est possible : les deux affirmations ne sont nullement contradictoires pour Popper.

    Notes de bas de page

    1 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., chapitre 4 (« situations »), p. 169- 221. Voir également deux articles contemporains de l’ouvrage : « Problèmes dans les sciences sociales », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 251-278 (Boyer distingue les obstacles épistémologiques (scientisme, essentialisme, positivisme) et réels (expérimentation, mesure, indéterminisme, effets « Œdipe ») à la constitution des sciences de l’homme) ; et « Loi, rationalité et situation », ibid., p. 279-305.

    2 Boyer mentionne les nombreux débats auxquels ont donné lieu, surtout dans le monde anglo-saxon, la réception de l’œuvre et des thèses de Popper.

    3 Voir id., « L’épistémologie darwinienne de Karl Popper : instruction et sélection », in Philosophia Scientiae, 11-1, 2007, p. 150 : une théorie de la connaissance activiste, faillibiliste et réaliste ne peut qu’être évolutionniste ; du coup « ce qui va tenir lieu de transcendantal dans une perspective post-darwinienne, c’est la notion de “logique situationnelle” » (issue de la théorie économique).

    4 Popper Karl, La Théorie quantique et le schisme en physique, Paris, Hermann, 1996, §28, p. 206. Cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., conclusion, p. 268 (note 13).

    5 Ce programme a été élaboré par Popper et certains de ses épigones (Agassi, Jarvie, Watkins, Latsis, Donagan). Boyer présente donc véritablement la position de tout un courant intellectuel, tout en soulignant ses nuances.

    6 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., introduction, p. 14. On trouve chez W. Gorton le même effort pour replacer l’analyse situationnelle dans le cadre philosophique (et métaphysique) d’ensemble de la réflexion de Popper. Voir Gorton William, Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., chap. 1 et 2 (p. 5-40).

    7 Popper Karl, « Models, Instruments, and Truth », in The Myth of the Framework, edited by A. Notturno, Londres, Routledge, 1994, p. 170 et 173. Au contraire, pour Gorton, la méthode situationnelle ne saurait prétendre être l’unique méthode des sciences sociales (GORTONWilliam, Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., p. 99) : il faut lui adjoindre un complément psychologique pour expliquer la formation de certains désirs, normes et croyances (en particulier non intentionnels). La position de Passeron est différente : le complément doit être interprétatif, et la dimension psychologique n’en est qu’une des figures (internaliste, pourrait-on dire).

    8 Popper Karl, La Société ouverte et ses ennemis. 2 : Hegel et Marx, Paris, Éditions du Seuil, 1979, chap. 19-21 et 25.

    9 Popper Karl, Misère de l’historicisme, Paris, Payot, 1988, notamment §31. La logique situationnelle est exposée au chapitre IV du livre d’Alain Boyer : L’Explication en histoire, op. cit.

    10 Ibid., III, p. 115-166.

    11 Olson Mancur, La Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1978.

    12 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 1, p. 172. Popper a commencé à étudier l’économie en 1935 pour voir s’il pouvait y trouver un contre-exemple à sa théorie de la science, l’économie étant, selon lui, la plus développée des sciences sociales, en particulier du fait de l’emploi d’outils mathématiques (Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., § 20, p. 77 ; Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, p. 169). C’est la même intuition qui conduisit Granger à l’étude de l’économie et des mathématiques sociales de Condorcet, à peu près à la même époque (Voir La Mathématique sociale du marquis de Condorcet, Paris, PUF, 1956).

    13 Voir Lacour Philippe, « Interprétation, traduction et rationalité clinique dans l’anthropologie de Clifford Geertz », in Texto !, vol. XVIII, n° 4, 2013. Il n’est pas sûr toutefois que Boyer tire toutes les conséquences du statut « métaphorique » du ludique. Voir infra, « L’exténuation sémantique des métaphores comme technique de falsification », p. 139-143.

    14 Voir Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel 1, Paris, Fayard, 1987, p. 100-104. « Le modèle “stratégique” de l’action constitue une extrapolation du modèle “téléologique” ».

    15 La rationalité poppérienne est, de ce fait, « imparfaite » (voir infra, p. 73-79). W. Gorton souligne également l’écart séparant l’analyse situationnelle et la théorie de la rationalité économique (de l’utilité marginale ou du choix rationnel) : voir Gorton William A., Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., p. 59-79.

    16 On pourrait considérer que, chez Popper, la question du langage est implicite, de même que celle de la réflexivité, puisqu’il faut bien que les problem solvers humains se posent des questions et y répondent. Et on verra même que cette anthropologie, faiblement herméneutique, admet une dimension symbolique intéressante, encore que trop réduite. Mais dans la mesure où la prise en considération du langage pose des difficultés spécifiques, qui ne sont pas abordées par Popper, il est légitime de juger cette thématisation insuffisante. Voir infra, p. 157-161.

    17 On peut par exemple penser ici à La Méditerranée de Braudel (voir Braudel Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949), avec ses temporalités étagées, concourant à la description d’une même situation.

    18 Boyer mentionne les travaux de Latsis Spiros J. (Methods and Appraisal in Economics, Cambridge, Cambridge University Press, 1976), qui différencie les « single-exit » et les « multi-exit situations », selon une terminologie due à Watkins. Sans que Popper se soit vraiment clairement prononcé sur la question, Boyer précise que son analyse situationnelle ne s’identifie pas au paradigme « single exit » de l’économie néo-classique (concurrence parfaite). Cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 212, note 20.

    19 Ce sont Agassi et Jarvie qui, en distinguant action et croyance, ont insisté pour distinguer rationalité au sens fort (agir rationnellement sur la base de croyances rationnellement soutenues) et rationalité au sens faible (agir en vue d’une fin, de la solution d’un problème). La nécessité d’une présomption minimale de rationalité est un avis partagé par Dray William (Laws and Explanation in History, Oxford, Oxford University Press, 1957 ; Philosophy of History, Londres, Prentice Hall, 1964), souligne Boyer, et par Davidson. Pour une présentation en dégradée entre le modèle « fort » et ses différents modes affaiblis, voir Van Parijs Philippe, Le Modèle économique et ses rivaux, Paris, Droz, 1990, en particulier p. 29-37 et p. 67-70.

    20 À bien des égards, d’ailleurs, l’ambiguïté persiste toutefois – voir infra, « Méthode zéro et logique situationnelle : la rationalité imparfaite », p. 72 et suiv.

    21 Popper Karl, « La rationalité et le statut du principe de rationalité », in Les Fondements philosophiques des systèmes économiques, Hommage à Rueff, Paris, Payot, 1967. Boyer note que ces modèles typiques valent pour la prédiction, mais qu’il est possible d’utiliser des modèles singuliers sous la forme de rétrodictions, si on peut leur assigner des conditions initiales singulières – on verra que c’est ce dernier point qui fait problème pour Passeron (voir infra, « La contrainte déictique : les concepts typologiques comme semi noms propres », p. 107-114. Ces modèles sont les « hypothèses singulières (en principe testables) de l’histoire » (Popper Karl Raimund, La Quête inachevée, Paris, Calmann-Levy, 1981, p. 162-163). Sur la différence d’approche (qui ne contredit pas l’unité de méthode) entre sciences sociales et sciences de la nature, et la différence entre psychologisme et principe de rationalité, voir Misère de l’historicisme, op. cit., p. 177 et 198.

    22 Hayek F., Scientisme et sciences sociales : essai sur le mauvais usage de la raison, Paris, Plon 1991 ; Von Mises L., « The Science of Human Action », in L’Action humaine, traité d’économie, 1979, Hahn Frank et Hollis Martin, Paris, PUF, 1985.

    23 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., p. 177. D’où une difficulté touchant le caractère « idéal » du principe de rationalité. Voir Miller Boaz, The Rationality Principle Idealized », Social Epistemology 26 (1), 2012, p. 3-30 ; et la réponse de W. Gorton, « Popper’s Realism, the Rationality Principle and Rational Choice Theory : Discussion of “The Rationality Principle Idealized” by Boaz Miller », in Social Epistemology Review and Reply Collective 1 (3), 2012, pp.18-23.

    24 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 177.

    25 Ainsi le comportement de Hitler, privilégiant à la fin de la guerre l’utilisation des trains pour la déportation des juifs plutôt que pour la logistique du front oriental, peut être analysé rationnellement – ce qui ne revient pas à le justifier – par la mise en évidence des priorités de son schéma décisionnel ; et cette explication est beaucoup plus convaincante que celle qui postule d’emblée « l’irrationalité » de ses décisions.

    26 Elster a d’ailleurs souligné que, si le principe de charité est appliqué sans retenue, il risque de devenir tautologique et de servir de justification à la production systématique d’hypothèses ad hoc et de théories irréfutables, tout comportement pouvant être expliqué par les plus ou moins grands « coûts psychiques » que les agents sont supposés fixer à un changement d’attitude. On ne voit plus alors ce que l’explication apporte – voir Elster Jon, Leibniz et la formation de l’esprit capitaliste, Paris, Aubier-Montaigne, 1975, p. 23 et 70 ; cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 1, p. 178.

    27 Dans la mesure où les sociétés « ouvertes » favorisent ces situations, elles ne peuvent être étudiées sans psychologie.

    28 Selon Boyer, c’est le sens de la critique par Boudon de la « machinerie de l’habitus » bourdieusien. En fait : a) du point de vue symbolique, la sociologie de l’habitus est cohérente ; b) l’individualisme méthodologique n’est pas moins « machinique » (ou machinal) ; c) l’important n’est pas d’opposer un modèle à un autre (ni une « machine » à une autre), mais de comprendre qu’un modèle est requis par une certaine enquête, qui en constitue la norme singulière – voir infra, « Dialectique », p. 151-174.

    29 Popper, souligne Boyer, est manifestement réticent à faire intervenir des hypothèses psychologiques dans l’analyse situationnelle, d’autant plus qu’il n’accorde pas d’autonomie à la psychologie parmi les sciences sociales. Toutefois, il s’est intéressé à la théorie freudienne des névroses, en tentant d’en faire une analyse situationnelle, au sens où la production de symptômes peut être considérée comme la réponse adaptée d’un sujet à une situation pathogène. Voir Popper Karl, La Société ouverte et ses ennemis 2, op. cit., chap. 14. Boyer voit dans les travaux de l’école de Palo Alto la confirmation de la pertinence d’une approche situationnelle en psychologie (à partir d’une pragmatique, ou d’une logique de la communication, les événements pathologiques sont interprétés comme des réponses à des situations paradoxales, qui sont ensuite intégrées dans la structure décisionnelle de l’individu, lequel devient incapable de réponses adaptées à d’autres situations). Mais l’introduction de la pragmatique de la communication modifie alors en fait radicalement le concept d’action, comme Habermas l’a montré.

    30 L’attitude de Popper par rapport au holisme est là encore nuancée (voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 2, p. 184-198). En fait, Popper ne nie nullement que les individus soient contraints par des traditions ou des mentalités, mais il refuse de donner à ces concepts une interprétation holiste. D’une part, selon lui, les mentalités sont certes des dispositions communes transmises par les traditions, qui permettent à l’individu d’avoir affaire à un ordre social et non à un chaos. D’autre part, puisque étudier une situation historique passe par la description des problèmes des agents, et que ces problèmes sont en partie déterminés par les mentalités, il est impossible de les reléguer dans la superstructure en les considérant comme des effets qu’il est légitime de négliger. Boyer a ici raison d’insister sur le dépassement du déterminisme marxiste (infra- super- structure) et de ses problèmes afférents (la question de ce qui est déterminant en « dernière instance »). En effet, intégrée à sa juste place dans la logique situationnelle, l’histoire des mentalités n’est pas une histoire des résidus ou des reflets, mais une condition nécessaire de toute histoire, dans la mesure où le devenir humain est celui des problèmes humains et donc des types de rationalités pratiquées par les hommes. Selon Boyer, la thèse méthodologique impliquée par l’analyse situationnelle pourrait être formulée ainsi : toutes les fois qu’une analyse du type « main invisible » permet d’expliquer un phénomène en faisant des hypothèses minimales sur les dispositions des individus, elle est préférable à une hypothèse qui fait appel à des mentalités ad hoc. Les hypothèses « minimales » désignent le principe de rationalité et les dispositions de l’individu déjà connues et contrôlées indépendamment du phénomène étudié. Ces dispositions peuvent être collectives quand l’analyse est faite à partir d’individus anonymes mais concrètement situés, ou individuelles quand l’analyse est consacrée aux dispositions privées, elles-mêmes mixtes de traditions, de valeurs collectives, et de fantasmes et obsessions particulières.

    31 On peut le rapprocher en ce sens d’un modèle individuel, mais le symbolisme qui l’exprime ne fait pas vraiment l’objet d’une thématisation véritable (en particulier, Popper ne se demande pas si le modèle est formel ou en langue naturelle), alors que la question est centrale chez Granger et Pariente ; voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., troisième partie ; et « L’épistémologie au défi de la pensée clinique », art. cit.

    32 Voir Granger Gilles-Gaston, « Les trois aspects de la rationalité économique », in Varet Gérard et Passeron Jean-Claude, (éd.), Le Modèle et l’enquête, Paris, EHESS, 1995, p. 567-580. Granger préfère distinguer la dimension pratique (l’action elle-même, le contenu décrit ou expliqué), et la dimension épistémique (la description ou l’explication de l’action par le chercheur) ; la rationalité pratique peut être subdivisée en technique (efficacité des moyens) ou axiomatique (cohérence des fins), ou entre substantielle et procédurale – selon la distinction empruntée à Herbert Simon (Models of Discovery, Dordrecht, Reidel, 1977 ; « From Substantive to Procedural Rationality », in Philosophy and Economic Theory, Hahn Franck et Hollis Martin (ed.), Oxford, Oxford University Press, 1979 ; Models of Bounded Rationality, Cambridge, The MIT Press, 1982). Le comportement est substantiellement rationnel quand il est en mesure d’atteindre les buts donnés à l’intérieur des limites imposées par les conditions et les contraintes données ; il est rationnel de manière procédurale quand il est le résultat d’une réflexion appropriée. Dans l’acception « substantielle », seuls les buts de l’acteur définissent la rationalité ; tandis que la rationalité procédurale dépend du processus qui l’a généré. Sans ces distinctions des trois types de rationalité, l’analyse tombe dans d’inévitables confusions : typiquement, l’économie marginaliste confond rationalité épistémique et pratique, tandis que l’économie classique (et mercantiliste) neutralise la distinction technique/axiologique. C’est le premier amalgame que Passeron dénonce (Passeron Jean-Claude, Le Raisonnement sociologique, op. cit., p. 43). Or, en toute rigueur, la « logique situationnelle » de Popper n’implique pas nécessairement cette confusion, qui est celle du « positivisme » utilitariste de l’individualisme méthodologique (ibid., p. 41-49) : l’argument de Passeron ne vaut donc pas contre Popper. Reste que la position de ce dernier, comme Boyer le reconnaît lui-même, n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Ainsi, comme Boyer, il semble associer le substantiel à l’épistémique, là où Granger prends soin de les disjoindre clairement (voir infra, « convergence entre testabilité faible et contraintes de la logique naturelle », p. 147).

    33 Popper Karl, La Connaissance objective, Paris, Flammarion, 1998, chap. IV, p. 276-280.

    34 Ainsi, Watkins rapproche la thèse de Popper dans Misère de l’historicisme de celle de penseurs comme Savage, pour qui les théories de la décision optimale, bien qu’empiriquement fausses, peuvent cependant jouer un rôle normatif (voir Watkins John, « Towards a Unified Decision Theory : a Non-Bayesian Approach », in Foundational Problems in the Special Sciences, Hintikka Jaakko (ed.), Dordrecht-Holland, Reidel). Watkins soutient toutefois que, même en tant que normatives, de telles théories ne sont pas satisfaisantes.

    35 Elster, Jon, « Anomalies of rationality : some unresolved problems in theory of rational behavior » in Sociological Economics, Lévy-Garboua Louis (ed.), Londres, Sage, p. 65-85, 1979. Cette critique peut-être rapprochée de celle de Habermas, Théorie de l’agir communicationnel 2, Paris, Fayard, 1987.

    36 Sur le lien entre conception téléologique (solipsiste) et conception stratégique (pluraliste) de l’action, voir les remarques de Habermas (Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel 1, op. cit.). La fécondité de la rationalité du jeu stratégique en économie, et du concept d’équilibre qui lui est associé, a aussi retenu l’attention de Granger : voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 211.

    37 Boyer souligne à raison que l’un des résultats philosophiques les plus intéressants de la théorie des jeux est la découverte de problèmes de rationalité qui défient ses méthodes : jeux sans solution, à solutions multiples, jeux dans lesquels la stratégie (individuelle) rationnelle conduit à une solution sub-optimale (comme dans le célèbre dilemme des prisonniers, où l’action rationnelle n’est pas celle qui aboutit à la meilleure issue pour les joueurs).

    38 Ainsi posé, ce débat paraît sans fin, tant il est possible de rajouter des caractéristiques humaines pour rendre homo œconomicus plus réel : anticipations limitées, valeurs morales et culturelles, contraintes cognitives, voire, plus récemment, émotions. Cette accumulation ne semble pas capable de réduire l’écart entre une abstraction et une situation singulière, et Achille, là non plus, ne rattrapera jamais la tortue. En fait, le débat gagnerait à être abordé en termes d’abstraction/généralisation et de clinique, ce qui n’enlève nullement sa pertinence à la modélisation.

    39 Ainsi, pour Herbert Simon, comme le souligne Boyer, l’agent économique, même sans coût extérieur, a tendance à se satisfaire et non à optimiser, en particulier à cause des limites de ses capacités cognitives.

    40 C’est la critique qu’adresse Lakatos à la conception instrumentaliste de la théorie de Friedman. Voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 190 (et note 114 p. 216).

    41 On voit ici l’infléchissement clinique de la méthode zéro, qui la rapproche d’autres tentatives, comme celles de Pariente et de Granger. Voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit. ; et « L’épistémologie au risque de la pensée clinique », art. cit.

    42 C’est ainsi que Boyer interprète la recommandation de Weber d’exagérer certains traits pour obtenir non une moyenne mais un type. En fait, Boyer ne paraît pas tirer toutes les conséquences de la particularité de ce concept : il en reste à une lecture assez proche de celle que fait Pariente (qui rapproche l’idéal-type d’un modèle normé par une théorie universelle), alors qu’il convient de rendre à la démarche webérienne sa dimension pleinement casuistique (les concepts sont issus d’une stylisation à l’ambition seulement générale) – voir Lacour Philippe, « L’épistémologie au risque de la pensée clinique », art. cit. Passeron souligne bien, au contraire, l’irréductibilité de l’idéal-type wébérien au genre d’une classification, à une définition issue d’une opération formelle. Voir Passeron Jean-Claude, « Logique formelle, schématique et rhétorique », in De Fornel Michel et Passeron Jean-Claude (dir.), L’Argumentation : preuve et persuasion, Paris, EHESS, 2002), ou encore id., « Analogie, connaissance et poésie », in European Journal of Sciences, XXXVIII-117, 2000), p. 9 : « La série permet à la description de rapprocher des cas “analogues” afin d’en dégager un “type-idéal”, c’est-à-dire un nouveau concept descriptif qui permet de préciser et d’interroger la série dont il est issu ». Le type-idéal est ainsi une clé qui ouvre plusieurs serrures, mais jamais un passe-partout.

    43 Du fait de cette infinité, il ne saurait être question, a priori, de dresser la liste complète de toutes les solutions possibles, ni tenter une allocation complète des gains dans chaque solution (puisqu’on ne sait ce que vaut une théorie qu’après l’avoir testé), ni enfin inventer un appareil mathématique pour inventer le risque et l’incertitude.

    44 Jean-Yves Grenier semble commettre cette erreur dans la conclusion de son article, où il s’inspire du livre de Boyer. Voir Grenier Jean-Yves, « Du bon usage du modèle en histoire », in Le Modèle et le récit, Grenier Jean-Yves, Grignon Claude, Menger Pierre-Michel (dir.), Paris, Éditions de la MSH, 2001, p. 71-101, p. 99.

    45 Comme le souligne Boyer, la position de Popper ne se confond cependant pas complètement avec celle de Simon, du fait d’une différence dans la priorité accordée à la psychologie. Popper reconnaît en effet l’utilité d’une étude empirique des processus cognitifs pour une définition plus ajustée de la rationalité des acteurs, quoiqu’il pense qu’elle doive être précédée par une analyse de la situation logique (puisque ce qui est logiquement impossible (l’induction) ne saurait être la base d’une procédure cognitive rationnelle). Sur la proximité et la différence de Popper et Simon, voir Boyer Alain, « D’où viennent les idées justes ? Herbert Simon, Karl Popper et l’heuristique », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 159-173.

    46 Cette reconstruction du principe poppérien de « rationalité imparfaite » par Watkins est rapprochée, par Boyer, de la recherche par Hayek d’une rationalité limitée, où la concurrence intervient comme procédure de découverte de l’information. Voir la contribution de Watkins John à Borger Robert et Cioffi Frank (ed.), Explanation in the Behavioral Sciences, Cambridge University Press, 1970 ; cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 2), note 137.

    47 Le problème est que Boyer ne s’attarde guère sur le caractère problématique de la formulation de cette description (son logos), même s’il en souligne la difficulté. Sur ce point, voir infra, « L’idée d’une approche scientifique de l’histoire », p. 83-91.

    48 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §29.

    49 Boyer cite l’article sur « l’animal cérémoniel » (Bouveresse Jacques, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 16, Paris, 1977). Mais c’est aussi la position de Peter Winch dans The Idea of a Social Science (1958). Descombes a défendu une position similaire, sous la forme d’un holisme culturel (Descombes Vincent, Les Institutions du sens, Paris, Les Éditions de Minuit, 1996).

    50 La réflexion de Boyer est manifestement très marquée par le renouveau de l’histoire des mentalités et l’orientation vers l’histoire-problème des années 70. Voir par exemple Ariès Philippe, Essai sur l’histoire de la mort en Occident, Paris, Éditions du Seuil, 1975 ; Ariès Philippe, L’Homme devant la mort, Paris, Éditions du Seuil, 1977 et Furet François, « De l’histoire-récit à l’histoire-problème », Paris, Flammarion, 1975.

    51 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 2, note 144, reconnaît, contre un empirisme « naïf », que « décrire » est une démarche analytique et conceptuelle qui, en ce sens, est aussi risquée qu’expliquer. Reste qu’il ne semble pas tirer toutes les conséquences interprétatives de cette remarque.

    52 Boyer ne prolonge toutefois pas cette intuition dans la direction d’une écologie symbolique, qui lui donnerait tout son sens.

    53 La description des cadres institutionnels et des mentalités, précise Boyer, n’a rien d’une récollection passive d’information. Sur l’explication par les raisons, voir Dray William (Laws and Explanation in History, op. cit. ; et Philosophy of History, op. cit.).

    54 Voir Popper Karl, Conjectures et réfutations, Paris, Payot et Rivages, 2006, chap. 17, 3) (5), p. 512. Popper signale que les traditions sont nécessaires pour « former un lien entre les institutions et les intentions et valeurs des individus ».

    55 Ce point est souligné par Agassi Joseph, « Methodological individualism », in O’Neill (ed.), Modes of Individualism and Collectivism, Londres, HEB, p. 185-212, 1973.

    56 Il ne fait qu’en tracer le programme : voir Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §32 ; et sur l’impossibilité de la science d’un Robinson Crusoë, voir La Société ouverte et ses ennemis 2 : Hegel et Marx, op. cit., p. 148-152.

    57 À noter que cette notion d’image introduit dans la philosophie poppérienne de l’action comme « logique situationnelle » une certaine réflexivité, encore que sous une forme non symbolique et toute représentationnelle. On trouve une considération similaire chez Granger Gilles-Gaston, La Vérification, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 185 et suiv.

    58 Boyer voit chez Ernst Gombrich (L’Art et l’illusion, Paris, Gallimard, 1971), une application de la « méthode zéro », qui permet de dépasser les doctrines historicistes et organicistes en histoire de l’art. Voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit, p. 200.

    59 Voir Ruelland Jacques, De l’épistémologie à la politique. La philosophie de l’histoire de Karl Popper, Paris, PUF, 1991, 3e partie.

    60 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 3, p. 200-201.

    61 Il est regrettable que cette affirmation ne soit accompagnée d’aucune précision touchant les caractéristiques du concept de causalité utilisé. Dans la conclusion toutefois Boyer semble souscrire à la conception davidsonienne. Pour une présentation du monisme anomal, voir Engel Pascal, Philosophie et psychologie, Paris, Gallimard, 1996, p. 183-206. Pour une critique de sa pertinence, concernant les sciences sociales, voir Lacour Philippe, « Pourquoi cela est-il arrivé ? L’explication causale de l’événement chez Paul Ricœur », in Methodos, vol. 17, 2017 (« La critique de l’opposition raison-cause »).

    62 Gille Bertrand, Histoire des techniques, Paris, Gallimard, 1978. L’idée de « système technique » permet d’exhiber les relations complexes entre les différents facteurs, et d’en suivre la cohérence, les conséquences inattendues, d’évaluer les causes de blocage, voire de changement de système. Pour un rapprochement et un contraste des deux démarches, voir également : Boyer Alain, « Les dieux sont aussi dans la machine. Karl Popper et Bertrand Gille », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 271-278.

    63 Pour Popper, l’« effet-Œdipe », ou influence de la prédiction sur l’effet prédit, est spécifique des structures susceptibles de résoudre des problèmes, sans pour autant constituer une particularité des seules sciences humaines (voir Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §5, p. 18).

    64 Par exemple, dans une situation historique comme celle de la crise de 1929, les analyses situationnelles peuvent rendre compte non seulement des raisons des prévisions des agents, mais aussi de leurs conséquences catastrophiques telles que, à un moment précis, les anticipations se retournent en chaîne. Les explications par anticipations rationnelles permettent ainsi d’éviter certaines tendances « historicistes » – voir infra, « Le refus de l’historicisme », p. 92-97.

    65 Boyer reprend ici l’idée poppérienne d’une vocation prédictive (même limitée, sous forme de tendance) des sciences sociales (et de la science en général), qui est fortement discutable.

    66 On le comprend à l’usage de cette expression, Popper ne remet pas du tout en question le caractère expérimental des sciences humaines, sans doute parce qu’il reprend ce critère aux sciences de la nature. Sur ce point, les remarques de Passeron semblent justifiées. Dans Misère de l’Historicisme, Popper condamne ainsi les expérimentations totales (§24 : « La théorie totaliste des expérimentations sociales »), mais valorise l’expérimentation (§ 26 : « Variabilité des conditions de l’expérimentation ») ; voir aussi le §29 (sur « l’unité de la méthode » entre sciences de la nature et sciences sociales).

    67 Cette complexité semble requérir une refonte des théories économiques dans une optique stratégique, mais à l’époque les théories de l’auto-organisation paraissent à Boyer encore loin de pouvoir en rendre compte – il cite les travaux de Jean-Pierre Dupuy (Ordres et Désordres, Paris, Éditions du Seuil, 1982). Il faudrait évidemment penser ici aussi aux réflexions de Niklas Luhmann (Zweckbegriff und Systemrationalität, Tübingen, 1968), et à la critique qu’en fait Habermas dans son œuvre (Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel 2, op. cit., et Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1996).

    68 Boyer rapproche ici Popper d’Aron. Voir Aron Raymond, Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique, Paris, Gallimard, 1986.

    69 C’est en ce sens que Veyne faisait de la « rareté » l’intuition centrale de Foucault (Veyne Paul, « Foucault révolutionne l’histoire », in Comment on écrit l’histoire, rééd, p. 386). Passeron reprend cette méditation dans un article en insistant sur le « principe d’inquiétude » au cœur de la pensée (Passeron Jean-Claude, « La peur de “l’impensable” dans l’histoire des sciences », in Revue européenne de sciences sociales, t. 38, n° 119, 1996, p. 14).

    70 Veyne Paul, Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 204-212.

    71 Veyne y voyait l’écart définitif entre sublunaire et supralunaire (ibid.). Michel de Certeau avait à cette occasion exprimé son scepticisme face à l’aristotélisme de cette épistémologie ambigüe. Voir Certeau Michel de, « Une épistémologie de transition », in Annales ESC, 1972, t. 27, p. 1317-1327.

    72 Veyne Paul, L’Inventaire des différences, Paris, Éditions du Seuil, 1976. L’autre différence essentielle entre les deux ouvrages tient à la disparition relative de l’intérêt pour « l’intrigue ».

    73 De ce point de vue, la position de Boyer est très proche de celle de Granger, en dépit de la critique qu’il lui adresse. Pour une explicitation de l’impossibilité apparente de la connaissance historique chez Granger, et une exposition du caractère « paradoxal » de ce savoir, voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 216-225.

    74 Cette conception, comme celle de Veyne (Veyne Paul, L’Inventaire des différences, op. cit.), est très proche de celle développée par Jean-Claude Pariente dans Le Langage et l’individuel (Paris, Armand Colin, 1973) – Lacour Philippe, « L’épistémologie au risque de la pensée clinique », art. cit. Il faut également rapprocher cette idée de modèle intermédiaire de la conception grangérienne du modèle « sémantique » – id., La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 179-182 et 188-210.

    75 Popper Karl, La Logique de la découverte scientifique, op. cit., §36, p. 122-124. Le progrès optimum en généralité est, on l’a dit, assuré par la formalisation.

    76 Boyer s’appuie ici sur une conception probabilitaire des lois en sciences humaines, tirée de Labrousse (Labrousse Alain, in Zazzo R. et al., Structuralisme et marxisme, Paris, UGE, 1970). À noter que le déterministe ne propose qu’en apparence des hypothèses plus rigoureuses, puisque le vague de ses assertions lui permet d’interpréter presque tout ce qui arrive comme confirmant sa théorie – son attitude est métaphysique, au sens pseudo-scientifique du terme. Par ailleurs, le déterminisme métaphysique doit toujours admettre la possibilité d’un recours aux hypothèses contrefactuelles (puisque les actions des individus ne sont compréhensibles que comme poursuite d’objectifs).

    77 Adorno Theodor et Popper Karl, De Vienne à Francfort. La querelle allemande des sciences sociales, Bruxelles, Complexe, 1979, p. 86.

    78 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., conclusion, p. 269. Boyer reprend ici une remarque de W. Bartley dans sa contribution au collectif dirigé par Lakatos Imre et Musgrave A., Problems in the Philosophy of Science, Amsterdam, North-Holland, 1968.

    79 Comme le souligne Hans Albert, le critère de démarcation ne vise pas à donner une définition de la « science » mais sert d’idée régulatrice devant fournir une « technologie » de la science théorique – voir Albert Hans, « Science and the Search for Truth. Critical Rationalism and the Methodology of Science » in Radnitzki Gerard, Progress and Rationality in Science, Dordrecht, Reidel, 1978, p. 181 ; cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 1), p. 59.

    80 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., 1992, II, 1), p. 60-61.

    81 Boyer remarque que toute explication causale, puisqu’elle fait intervenir des conditions initiales singulières, est historique. Sur ce trait remarquable de la causalité, voir Lacour Philippe, « Pourquoi cela est-il arrivé ? L’explication causale de l’événement chez Paul Ricœur », art. cit.

    82 Windelband, discours de Strasbourg (Windelband Wilhem, « Histoire et sciences de la nature », in Les Études philosophiques, no 1, Philosophie allemande (Janvier-Mars 2000), p. 1-16. Contrairement à ce que soutient Boyer (Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., 1992, p. 63), cette opposition méthodologique ne repose pas elle-même sur un partage ontologique, classique dans la philosophie allemande du xixe siècle, entre nature et esprit, mais oppose plutôt deux approches, qu’on peut trouver tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société. Collingwood remarquait d’ailleurs que le jugement « ceci est un cas de fièvre typhoïde » n’est pas de l’histoire, mais relève de la science, bien qu’il s’agisse de la description d’un fait individuel, et que l’énoncé « la monnaie romaine au IIIe siècle était dépréciée » n’appartient pas à la science (naturelle), mais à l’histoire, tout en étant une généralisation – Collingwood Robin George, The Idea of History, Oxford, Clarendon Press, p. 165, cité par : Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, p. 61, note 11.

    83 En fait, le fait même que l’explication soit incomplète, parce que conjecturale, n’implique pas qu’on doive renoncer à l’explication du cas individuel. Boyer suggère de rapprocher cette idée de l’interprétation poppérienne des probabilités en terme de propensions et non de fréquences (l’interprétation fréquentiste, fondée sur la répétition, reste insensible à l’individuel). Voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 83 ; Popper Karl, L’Univers irrésolu, op. cit., § 29-30, p. 83-89 ; et id., Le Réalisme et la science, Paris, Hermann, 1990, §34-40 et §53-61. De façon assez similaire, Granger explique l’écart entre probabilité et fréquence par la différence ontologique entre l’actuel et le non-actuel (tout en distinguant le probable du possible) – voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 96-97, 123 et 157.

    84 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 116 ; et « Problèmes des sciences sociales », art. cit., p. 265-269.

    85 Comme le remarque William Gorton (Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., p. 55), cette position qui fait de la science une résolution de problème est un peu trop confortable, puisqu’elle inclut également les arts, les comportements sportifs, voire la réparation automobile. C’est une manière commode de ne pas approfondir la question de la spécificité des sciences humaines.

    86 Il y a bien une dimension nominaliste dans cette approche, souligne Boyer à raison, mais on ne saurait y voir un anti-holisme : il s’agit plus simplement d’un souci d’analyse critique des concepts collectifs.

    87 Boyer insiste à bon droit sur le fait qu’un tel programme n’est pas réductionniste : il ne dit pas que le social n’est rien d’autre que l’ensemble des dispositions individuelles, mais qu’il n’est que l’ensemble des conséquences des actions des individus, elles-mêmes fondées sur leurs dispositions à agir dans certaines situations, qui sont toujours sociales.

    88 Boyer pense ici à Bourdieu. Il n’est pas sûr toutefois que ce souci situationnel rende parfaitement justice à la complexité symbolique de la dite situation – complexité sur laquelle, Bourdieu insiste à juste titre, même si c’est peut-être de façon trop univoque (comme capital et domination).

    89 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., conclusion, p. 267. C’est aussi la lecture d’Albert Hans dans « Le rationalisme critique, la controverse positiviste et le problème de l’unité des sciences sociales », art. cit., p. 288-296.

    90 Ainsi, l’idée commune à Weber, Schumpeter et Lange, que le capitalisme exprimerait une tendance historique à la « rationalisation » de la vie sociale doit être nettement distinguée du principe formel de rationalité, y compris au sens normatif.

    91 En apparence seulement. Car, en insistant sur les présupposés sémantiques de l’analyse situationnelle, Passeron montre qu’elle n’échappe pas à la circularité constitutive des sciences de la culture. Voir infra, « Dialectique », p. 151-174.

    92 Sur ce thème, voir également : Ruelland Jacques, De l’épistémologie à la politique. La philosophie de l’histoire de Karl Popper, art. cit., 1re partie.

    93 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 5, p. 85. Voir Donagan (Donagan Alan, « Popper’s Examination of Historicism » in Schilpp 1974, p. 909) – Popper accepte cette objection, comme le souligne Boyer. Cette ambiguïté est relevée par la plupart des commentateurs, notamment Aron (Aron, Raymond, Introduction à la philosophie de l’histoire, op. cit.) et bien entendu Passeron.

    94 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., p. 7.

    95 William Gorton (Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., chap. 3, p. 41-58) souligne également que le but de Popper n’est pas de dégager de prétendues « lois » du social. Mais, en ajoutant que le propos de l’épistémologue est plutôt d’élucider la complexité de l’écheveau des interactions humaines, à la faveur de modèles qui oscillent entre les théories universelles et la fascination idiographique, Gorton tire l’analyse situationnelle du côté des théories « middle range » (se concentrer sur une partie limitée de la réalité sociale, en s’appuyant sur une théorie à ambition limitée), en oubliant que Merton ne concevait celles-ci que de façon « temporaire », en attendant une théorie enfin unifiée, semblable à celle des sciences empirico-formelles. Il prête donc le flanc aux critiques que Passeron adresse à « l’illusion de Merton » (la sociologie doit affirmer sa scientificité dans « l’oubli de ses fondateurs »). Voir Merton Robert, Eléments de théorie et de méthode sociologiques, Paris, Armand Colin, 1997, p. 10. De même, dénoncer la prétention d’explication « causale » des sciences sociales, c’est confondre la causalité avec sa version exclusivement nomologique. Pour une position similaire, voir Di Iorio Francesco, « L’Espace poppérien du raisonnement historique : trois critiques contre le dualisme méthodologique de Jean-Claude Passeron », art. cit., p. 14.

    96 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §5, p. 18. La critique des prédictions en histoire est un cas particulier de la critique du déterminisme en général. Voir Boyer Alain, « Déterminisme et prédiction », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 221-230.

    97 Id., Conjectures et Réfutations, op. cit., p. 490-505.

    98 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 5, p. 84.

    99 Popper Karl, La Société ouverte 2 : Hegel et Marx, op. cit., chap. 11.

    100 Pour Popper, Marx considère le devenir historique à la fois comme le développement d’une nécessité essentielle et comme production de nouveautés radicales. Sa solution à ce problème consiste à concevoir les lois de l’histoire comme reliant les différentes périodes, c’est-à-dire comme les lois du développement qui déterminent la transition d’une période à l’autre. Voir Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., § 14, p. 53.

    101 Ibid., §27, 146.

    102 Sur la réinterprétation de cette différence par Granger en termes d’actuel et de non-actuel, voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., par exemple : chap. 6, « Le résidu clinique ou le paradoxe de l’histoire ».

    103 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §28, p. 158 : « la formulation d’une loi universelle doit envelopper toutes les conditions de sa validité pour que nous puissions l’énoncer inconditionnellement ».

    104 Popper retrouve ici ses arguments contre l’induction.

    105 Ibid., §27, p. 147-148.

    106 Ibid., §28, p. 161-162.

    107 Ibid., §28, p. 164.

    108 Ibid., p. 18.

    109 L’opposition de Popper au marxisme « scientifique » et prophétique est célèbre. Encore faut-il préciser qu’il s’agit surtout pour lui de critiquer une certaine vulgate. Une analyse plus fine permettrait de révéler une certaine influence de Marx (son anti-psychologisme, par exemple, ou encore sa conception de l’enquête sociale), qui rapproche paradoxalement Popper du marxisme « analytique », comme celui de Jon Elster (Elster Jon, Making Sense of Marx et An introduction do Karl Marx, Cambridge, Cambridge University Press, 1985 et 1986). Voir Gorton William A., Karl Popper et les sciences sociales, op. cit., chap. 5, p. 88-98.

    110 Popper Karl, Conjectures et réfutations, op. cit., chap. 16, p. 494-496.

    111 La notion de système isolé est d’une grande importance, puisqu’elle ruine la distinction classique entre systèmes statiques (sans mouvement, ou avec un mouvement répétitif, comme les astres) et systèmes dynamiques (le changement social). Si le paradigme astronomique ne saurait être indûment extrapolé à la société, ce n’est pas parce qu’il serait statique, donc inadapté à la dynamique sociale, mais parce qu’il conduit à concevoir la société comme un tout.

    112 Il suffit de considérer le phénomène de l’explosion démographique. Le système social ne peut être considéré comme isolé, car une augmentation ou une baisse de la population peut en changer sensiblement les conditions mêmes de fonctionnement.

    113 Passeron adresse une critique similaire à Hegel : l’importance de Cournot tient à ce qu’il permet de défaire l’univocité de la logique hégélienne (déterminisme mono-causal se déployant aux dimensions exhaustives d’un système unique), en valorisant les déterminations séquentielles à l’intérieur de sous-systèmes (Passeron Jean-Claude, Le Raisonnement sociologique, op. cit., p. 169-171).

    114 Cette critique peut être rapprochée de celle que Granger adresse à l’intelligence artificielle, en se demandant s’il est possible de concevoir des modèles abstraits de l’acte de symbolisation. Voir Granger Gilles-Gaston, (« Must a Science of Artificial Intelligence be Necessary Reductionnist ? », in Agazzi Evandro (ed.), The Problem of Reductionism in Science, Kluwer Academic Publishers, Netherlands, 1991, p. 173-182).

    115 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., préface, p. II (point 4).

    116 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 6), p. 96.

    117 L’ouverture est le « maître mot de la philosophie poppérienne », y compris l’ouverture dialogique à l’autre, par opposition à la « clôture » d’une raison moderne volontiers dominatrice ; la rationalité, en continuité (biologique) et en rupture (symbolique) avec le naturel, articule ainsi de façon souple problème, conjecture et élimination critique de l’erreur : voir Boyer Alain, « La rationalité ouverte », in Philosophia Scientiae, 11-1 (2007), p. 3.

    118 Popper Karl, L’Univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Paris, Hermann, 1984.

    119 Id., Misère de l’historicisme, op. cit., p. 10.

    120 En réalité, la position de Popper sur l’évolution n’est pas sans ambiguïté. Dans La Quête inachevée (op. cit., p. 237 et suiv.), Popper affirme que la théorie darwinienne est métaphysique parce qu’elle ne peut être testée, mais il s’efforce en même temps de lui donner une présentation « presque testable ». En fait, dans la mesure où la sélection naturelle procède par essais et erreurs et se rapproche de sa propre anthropologie problématologique de la connaissance (il considère le darwinisme comme une application de la logique des situations), Popper confère au programme métaphysique de recherche darwinien un statut privilégié.

    121 Id., Misère de l’historicisme, op. cit., p. 136-137 (§27) et 147 (§27).

    Précédent Suivant
    Table des matières

    Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

    Voir plus de livres
    Le Rapport bleu

    Le Rapport bleu

    Les sources historiques et théoriques du Collège international de philosophie

    François Châtelet, Jacques Derrida, Jean-Pierre Faye et al.

    2019

    La raison au singulier

    La raison au singulier

    Réflexions sur l’épistémologie de Jean-Claude Passeron

    Philippe Lacour

    2020

    La politique des poètes

    La politique des poètes

    Jacques Rancière (dir.)

    2018

    L’art comme jeu

    L’art comme jeu

    François Zourabichvili

    2018

    Voir plus de livres
    1 / 4
    Le Rapport bleu

    Le Rapport bleu

    Les sources historiques et théoriques du Collège international de philosophie

    François Châtelet, Jacques Derrida, Jean-Pierre Faye et al.

    2019

    La raison au singulier

    La raison au singulier

    Réflexions sur l’épistémologie de Jean-Claude Passeron

    Philippe Lacour

    2020

    La politique des poètes

    La politique des poètes

    Jacques Rancière (dir.)

    2018

    L’art comme jeu

    L’art comme jeu

    François Zourabichvili

    2018

    Accès ouvert

    Accès ouvert freemium

    ePub

    PDF

    PDF du chapitre

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque

    Acheter

    Édition imprimée

    • amazon.fr
    • decitre.fr
    • mollat.com
    • leslibraires.fr
    • placedeslibraires.fr
    • lcdpu.fr
    ePub / PDF

    1 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., chapitre 4 (« situations »), p. 169- 221. Voir également deux articles contemporains de l’ouvrage : « Problèmes dans les sciences sociales », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 251-278 (Boyer distingue les obstacles épistémologiques (scientisme, essentialisme, positivisme) et réels (expérimentation, mesure, indéterminisme, effets « Œdipe ») à la constitution des sciences de l’homme) ; et « Loi, rationalité et situation », ibid., p. 279-305.

    2 Boyer mentionne les nombreux débats auxquels ont donné lieu, surtout dans le monde anglo-saxon, la réception de l’œuvre et des thèses de Popper.

    3 Voir id., « L’épistémologie darwinienne de Karl Popper : instruction et sélection », in Philosophia Scientiae, 11-1, 2007, p. 150 : une théorie de la connaissance activiste, faillibiliste et réaliste ne peut qu’être évolutionniste ; du coup « ce qui va tenir lieu de transcendantal dans une perspective post-darwinienne, c’est la notion de “logique situationnelle” » (issue de la théorie économique).

    4 Popper Karl, La Théorie quantique et le schisme en physique, Paris, Hermann, 1996, §28, p. 206. Cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., conclusion, p. 268 (note 13).

    5 Ce programme a été élaboré par Popper et certains de ses épigones (Agassi, Jarvie, Watkins, Latsis, Donagan). Boyer présente donc véritablement la position de tout un courant intellectuel, tout en soulignant ses nuances.

    6 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., introduction, p. 14. On trouve chez W. Gorton le même effort pour replacer l’analyse situationnelle dans le cadre philosophique (et métaphysique) d’ensemble de la réflexion de Popper. Voir Gorton William, Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., chap. 1 et 2 (p. 5-40).

    7 Popper Karl, « Models, Instruments, and Truth », in The Myth of the Framework, edited by A. Notturno, Londres, Routledge, 1994, p. 170 et 173. Au contraire, pour Gorton, la méthode situationnelle ne saurait prétendre être l’unique méthode des sciences sociales (GORTONWilliam, Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., p. 99) : il faut lui adjoindre un complément psychologique pour expliquer la formation de certains désirs, normes et croyances (en particulier non intentionnels). La position de Passeron est différente : le complément doit être interprétatif, et la dimension psychologique n’en est qu’une des figures (internaliste, pourrait-on dire).

    8 Popper Karl, La Société ouverte et ses ennemis. 2 : Hegel et Marx, Paris, Éditions du Seuil, 1979, chap. 19-21 et 25.

    9 Popper Karl, Misère de l’historicisme, Paris, Payot, 1988, notamment §31. La logique situationnelle est exposée au chapitre IV du livre d’Alain Boyer : L’Explication en histoire, op. cit.

    10 Ibid., III, p. 115-166.

    11 Olson Mancur, La Logique de l’action collective, Paris, PUF, 1978.

    12 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 1, p. 172. Popper a commencé à étudier l’économie en 1935 pour voir s’il pouvait y trouver un contre-exemple à sa théorie de la science, l’économie étant, selon lui, la plus développée des sciences sociales, en particulier du fait de l’emploi d’outils mathématiques (Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., § 20, p. 77 ; Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, p. 169). C’est la même intuition qui conduisit Granger à l’étude de l’économie et des mathématiques sociales de Condorcet, à peu près à la même époque (Voir La Mathématique sociale du marquis de Condorcet, Paris, PUF, 1956).

    13 Voir Lacour Philippe, « Interprétation, traduction et rationalité clinique dans l’anthropologie de Clifford Geertz », in Texto !, vol. XVIII, n° 4, 2013. Il n’est pas sûr toutefois que Boyer tire toutes les conséquences du statut « métaphorique » du ludique. Voir infra, « L’exténuation sémantique des métaphores comme technique de falsification », p. 139-143.

    14 Voir Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel 1, Paris, Fayard, 1987, p. 100-104. « Le modèle “stratégique” de l’action constitue une extrapolation du modèle “téléologique” ».

    15 La rationalité poppérienne est, de ce fait, « imparfaite » (voir infra, p. 73-79). W. Gorton souligne également l’écart séparant l’analyse situationnelle et la théorie de la rationalité économique (de l’utilité marginale ou du choix rationnel) : voir Gorton William A., Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., p. 59-79.

    16 On pourrait considérer que, chez Popper, la question du langage est implicite, de même que celle de la réflexivité, puisqu’il faut bien que les problem solvers humains se posent des questions et y répondent. Et on verra même que cette anthropologie, faiblement herméneutique, admet une dimension symbolique intéressante, encore que trop réduite. Mais dans la mesure où la prise en considération du langage pose des difficultés spécifiques, qui ne sont pas abordées par Popper, il est légitime de juger cette thématisation insuffisante. Voir infra, p. 157-161.

    17 On peut par exemple penser ici à La Méditerranée de Braudel (voir Braudel Fernand, La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, Armand Colin, 1949), avec ses temporalités étagées, concourant à la description d’une même situation.

    18 Boyer mentionne les travaux de Latsis Spiros J. (Methods and Appraisal in Economics, Cambridge, Cambridge University Press, 1976), qui différencie les « single-exit » et les « multi-exit situations », selon une terminologie due à Watkins. Sans que Popper se soit vraiment clairement prononcé sur la question, Boyer précise que son analyse situationnelle ne s’identifie pas au paradigme « single exit » de l’économie néo-classique (concurrence parfaite). Cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 212, note 20.

    19 Ce sont Agassi et Jarvie qui, en distinguant action et croyance, ont insisté pour distinguer rationalité au sens fort (agir rationnellement sur la base de croyances rationnellement soutenues) et rationalité au sens faible (agir en vue d’une fin, de la solution d’un problème). La nécessité d’une présomption minimale de rationalité est un avis partagé par Dray William (Laws and Explanation in History, Oxford, Oxford University Press, 1957 ; Philosophy of History, Londres, Prentice Hall, 1964), souligne Boyer, et par Davidson. Pour une présentation en dégradée entre le modèle « fort » et ses différents modes affaiblis, voir Van Parijs Philippe, Le Modèle économique et ses rivaux, Paris, Droz, 1990, en particulier p. 29-37 et p. 67-70.

    20 À bien des égards, d’ailleurs, l’ambiguïté persiste toutefois – voir infra, « Méthode zéro et logique situationnelle : la rationalité imparfaite », p. 72 et suiv.

    21 Popper Karl, « La rationalité et le statut du principe de rationalité », in Les Fondements philosophiques des systèmes économiques, Hommage à Rueff, Paris, Payot, 1967. Boyer note que ces modèles typiques valent pour la prédiction, mais qu’il est possible d’utiliser des modèles singuliers sous la forme de rétrodictions, si on peut leur assigner des conditions initiales singulières – on verra que c’est ce dernier point qui fait problème pour Passeron (voir infra, « La contrainte déictique : les concepts typologiques comme semi noms propres », p. 107-114. Ces modèles sont les « hypothèses singulières (en principe testables) de l’histoire » (Popper Karl Raimund, La Quête inachevée, Paris, Calmann-Levy, 1981, p. 162-163). Sur la différence d’approche (qui ne contredit pas l’unité de méthode) entre sciences sociales et sciences de la nature, et la différence entre psychologisme et principe de rationalité, voir Misère de l’historicisme, op. cit., p. 177 et 198.

    22 Hayek F., Scientisme et sciences sociales : essai sur le mauvais usage de la raison, Paris, Plon 1991 ; Von Mises L., « The Science of Human Action », in L’Action humaine, traité d’économie, 1979, Hahn Frank et Hollis Martin, Paris, PUF, 1985.

    23 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., p. 177. D’où une difficulté touchant le caractère « idéal » du principe de rationalité. Voir Miller Boaz, The Rationality Principle Idealized », Social Epistemology 26 (1), 2012, p. 3-30 ; et la réponse de W. Gorton, « Popper’s Realism, the Rationality Principle and Rational Choice Theory : Discussion of “The Rationality Principle Idealized” by Boaz Miller », in Social Epistemology Review and Reply Collective 1 (3), 2012, pp.18-23.

    24 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 177.

    25 Ainsi le comportement de Hitler, privilégiant à la fin de la guerre l’utilisation des trains pour la déportation des juifs plutôt que pour la logistique du front oriental, peut être analysé rationnellement – ce qui ne revient pas à le justifier – par la mise en évidence des priorités de son schéma décisionnel ; et cette explication est beaucoup plus convaincante que celle qui postule d’emblée « l’irrationalité » de ses décisions.

    26 Elster a d’ailleurs souligné que, si le principe de charité est appliqué sans retenue, il risque de devenir tautologique et de servir de justification à la production systématique d’hypothèses ad hoc et de théories irréfutables, tout comportement pouvant être expliqué par les plus ou moins grands « coûts psychiques » que les agents sont supposés fixer à un changement d’attitude. On ne voit plus alors ce que l’explication apporte – voir Elster Jon, Leibniz et la formation de l’esprit capitaliste, Paris, Aubier-Montaigne, 1975, p. 23 et 70 ; cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 1, p. 178.

    27 Dans la mesure où les sociétés « ouvertes » favorisent ces situations, elles ne peuvent être étudiées sans psychologie.

    28 Selon Boyer, c’est le sens de la critique par Boudon de la « machinerie de l’habitus » bourdieusien. En fait : a) du point de vue symbolique, la sociologie de l’habitus est cohérente ; b) l’individualisme méthodologique n’est pas moins « machinique » (ou machinal) ; c) l’important n’est pas d’opposer un modèle à un autre (ni une « machine » à une autre), mais de comprendre qu’un modèle est requis par une certaine enquête, qui en constitue la norme singulière – voir infra, « Dialectique », p. 151-174.

    29 Popper, souligne Boyer, est manifestement réticent à faire intervenir des hypothèses psychologiques dans l’analyse situationnelle, d’autant plus qu’il n’accorde pas d’autonomie à la psychologie parmi les sciences sociales. Toutefois, il s’est intéressé à la théorie freudienne des névroses, en tentant d’en faire une analyse situationnelle, au sens où la production de symptômes peut être considérée comme la réponse adaptée d’un sujet à une situation pathogène. Voir Popper Karl, La Société ouverte et ses ennemis 2, op. cit., chap. 14. Boyer voit dans les travaux de l’école de Palo Alto la confirmation de la pertinence d’une approche situationnelle en psychologie (à partir d’une pragmatique, ou d’une logique de la communication, les événements pathologiques sont interprétés comme des réponses à des situations paradoxales, qui sont ensuite intégrées dans la structure décisionnelle de l’individu, lequel devient incapable de réponses adaptées à d’autres situations). Mais l’introduction de la pragmatique de la communication modifie alors en fait radicalement le concept d’action, comme Habermas l’a montré.

    30 L’attitude de Popper par rapport au holisme est là encore nuancée (voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 2, p. 184-198). En fait, Popper ne nie nullement que les individus soient contraints par des traditions ou des mentalités, mais il refuse de donner à ces concepts une interprétation holiste. D’une part, selon lui, les mentalités sont certes des dispositions communes transmises par les traditions, qui permettent à l’individu d’avoir affaire à un ordre social et non à un chaos. D’autre part, puisque étudier une situation historique passe par la description des problèmes des agents, et que ces problèmes sont en partie déterminés par les mentalités, il est impossible de les reléguer dans la superstructure en les considérant comme des effets qu’il est légitime de négliger. Boyer a ici raison d’insister sur le dépassement du déterminisme marxiste (infra- super- structure) et de ses problèmes afférents (la question de ce qui est déterminant en « dernière instance »). En effet, intégrée à sa juste place dans la logique situationnelle, l’histoire des mentalités n’est pas une histoire des résidus ou des reflets, mais une condition nécessaire de toute histoire, dans la mesure où le devenir humain est celui des problèmes humains et donc des types de rationalités pratiquées par les hommes. Selon Boyer, la thèse méthodologique impliquée par l’analyse situationnelle pourrait être formulée ainsi : toutes les fois qu’une analyse du type « main invisible » permet d’expliquer un phénomène en faisant des hypothèses minimales sur les dispositions des individus, elle est préférable à une hypothèse qui fait appel à des mentalités ad hoc. Les hypothèses « minimales » désignent le principe de rationalité et les dispositions de l’individu déjà connues et contrôlées indépendamment du phénomène étudié. Ces dispositions peuvent être collectives quand l’analyse est faite à partir d’individus anonymes mais concrètement situés, ou individuelles quand l’analyse est consacrée aux dispositions privées, elles-mêmes mixtes de traditions, de valeurs collectives, et de fantasmes et obsessions particulières.

    31 On peut le rapprocher en ce sens d’un modèle individuel, mais le symbolisme qui l’exprime ne fait pas vraiment l’objet d’une thématisation véritable (en particulier, Popper ne se demande pas si le modèle est formel ou en langue naturelle), alors que la question est centrale chez Granger et Pariente ; voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., troisième partie ; et « L’épistémologie au défi de la pensée clinique », art. cit.

    32 Voir Granger Gilles-Gaston, « Les trois aspects de la rationalité économique », in Varet Gérard et Passeron Jean-Claude, (éd.), Le Modèle et l’enquête, Paris, EHESS, 1995, p. 567-580. Granger préfère distinguer la dimension pratique (l’action elle-même, le contenu décrit ou expliqué), et la dimension épistémique (la description ou l’explication de l’action par le chercheur) ; la rationalité pratique peut être subdivisée en technique (efficacité des moyens) ou axiomatique (cohérence des fins), ou entre substantielle et procédurale – selon la distinction empruntée à Herbert Simon (Models of Discovery, Dordrecht, Reidel, 1977 ; « From Substantive to Procedural Rationality », in Philosophy and Economic Theory, Hahn Franck et Hollis Martin (ed.), Oxford, Oxford University Press, 1979 ; Models of Bounded Rationality, Cambridge, The MIT Press, 1982). Le comportement est substantiellement rationnel quand il est en mesure d’atteindre les buts donnés à l’intérieur des limites imposées par les conditions et les contraintes données ; il est rationnel de manière procédurale quand il est le résultat d’une réflexion appropriée. Dans l’acception « substantielle », seuls les buts de l’acteur définissent la rationalité ; tandis que la rationalité procédurale dépend du processus qui l’a généré. Sans ces distinctions des trois types de rationalité, l’analyse tombe dans d’inévitables confusions : typiquement, l’économie marginaliste confond rationalité épistémique et pratique, tandis que l’économie classique (et mercantiliste) neutralise la distinction technique/axiologique. C’est le premier amalgame que Passeron dénonce (Passeron Jean-Claude, Le Raisonnement sociologique, op. cit., p. 43). Or, en toute rigueur, la « logique situationnelle » de Popper n’implique pas nécessairement cette confusion, qui est celle du « positivisme » utilitariste de l’individualisme méthodologique (ibid., p. 41-49) : l’argument de Passeron ne vaut donc pas contre Popper. Reste que la position de ce dernier, comme Boyer le reconnaît lui-même, n’est pas dépourvue d’ambiguïté. Ainsi, comme Boyer, il semble associer le substantiel à l’épistémique, là où Granger prends soin de les disjoindre clairement (voir infra, « convergence entre testabilité faible et contraintes de la logique naturelle », p. 147).

    33 Popper Karl, La Connaissance objective, Paris, Flammarion, 1998, chap. IV, p. 276-280.

    34 Ainsi, Watkins rapproche la thèse de Popper dans Misère de l’historicisme de celle de penseurs comme Savage, pour qui les théories de la décision optimale, bien qu’empiriquement fausses, peuvent cependant jouer un rôle normatif (voir Watkins John, « Towards a Unified Decision Theory : a Non-Bayesian Approach », in Foundational Problems in the Special Sciences, Hintikka Jaakko (ed.), Dordrecht-Holland, Reidel). Watkins soutient toutefois que, même en tant que normatives, de telles théories ne sont pas satisfaisantes.

    35 Elster, Jon, « Anomalies of rationality : some unresolved problems in theory of rational behavior » in Sociological Economics, Lévy-Garboua Louis (ed.), Londres, Sage, p. 65-85, 1979. Cette critique peut-être rapprochée de celle de Habermas, Théorie de l’agir communicationnel 2, Paris, Fayard, 1987.

    36 Sur le lien entre conception téléologique (solipsiste) et conception stratégique (pluraliste) de l’action, voir les remarques de Habermas (Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel 1, op. cit.). La fécondité de la rationalité du jeu stratégique en économie, et du concept d’équilibre qui lui est associé, a aussi retenu l’attention de Granger : voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 211.

    37 Boyer souligne à raison que l’un des résultats philosophiques les plus intéressants de la théorie des jeux est la découverte de problèmes de rationalité qui défient ses méthodes : jeux sans solution, à solutions multiples, jeux dans lesquels la stratégie (individuelle) rationnelle conduit à une solution sub-optimale (comme dans le célèbre dilemme des prisonniers, où l’action rationnelle n’est pas celle qui aboutit à la meilleure issue pour les joueurs).

    38 Ainsi posé, ce débat paraît sans fin, tant il est possible de rajouter des caractéristiques humaines pour rendre homo œconomicus plus réel : anticipations limitées, valeurs morales et culturelles, contraintes cognitives, voire, plus récemment, émotions. Cette accumulation ne semble pas capable de réduire l’écart entre une abstraction et une situation singulière, et Achille, là non plus, ne rattrapera jamais la tortue. En fait, le débat gagnerait à être abordé en termes d’abstraction/généralisation et de clinique, ce qui n’enlève nullement sa pertinence à la modélisation.

    39 Ainsi, pour Herbert Simon, comme le souligne Boyer, l’agent économique, même sans coût extérieur, a tendance à se satisfaire et non à optimiser, en particulier à cause des limites de ses capacités cognitives.

    40 C’est la critique qu’adresse Lakatos à la conception instrumentaliste de la théorie de Friedman. Voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 190 (et note 114 p. 216).

    41 On voit ici l’infléchissement clinique de la méthode zéro, qui la rapproche d’autres tentatives, comme celles de Pariente et de Granger. Voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit. ; et « L’épistémologie au risque de la pensée clinique », art. cit.

    42 C’est ainsi que Boyer interprète la recommandation de Weber d’exagérer certains traits pour obtenir non une moyenne mais un type. En fait, Boyer ne paraît pas tirer toutes les conséquences de la particularité de ce concept : il en reste à une lecture assez proche de celle que fait Pariente (qui rapproche l’idéal-type d’un modèle normé par une théorie universelle), alors qu’il convient de rendre à la démarche webérienne sa dimension pleinement casuistique (les concepts sont issus d’une stylisation à l’ambition seulement générale) – voir Lacour Philippe, « L’épistémologie au risque de la pensée clinique », art. cit. Passeron souligne bien, au contraire, l’irréductibilité de l’idéal-type wébérien au genre d’une classification, à une définition issue d’une opération formelle. Voir Passeron Jean-Claude, « Logique formelle, schématique et rhétorique », in De Fornel Michel et Passeron Jean-Claude (dir.), L’Argumentation : preuve et persuasion, Paris, EHESS, 2002), ou encore id., « Analogie, connaissance et poésie », in European Journal of Sciences, XXXVIII-117, 2000), p. 9 : « La série permet à la description de rapprocher des cas “analogues” afin d’en dégager un “type-idéal”, c’est-à-dire un nouveau concept descriptif qui permet de préciser et d’interroger la série dont il est issu ». Le type-idéal est ainsi une clé qui ouvre plusieurs serrures, mais jamais un passe-partout.

    43 Du fait de cette infinité, il ne saurait être question, a priori, de dresser la liste complète de toutes les solutions possibles, ni tenter une allocation complète des gains dans chaque solution (puisqu’on ne sait ce que vaut une théorie qu’après l’avoir testé), ni enfin inventer un appareil mathématique pour inventer le risque et l’incertitude.

    44 Jean-Yves Grenier semble commettre cette erreur dans la conclusion de son article, où il s’inspire du livre de Boyer. Voir Grenier Jean-Yves, « Du bon usage du modèle en histoire », in Le Modèle et le récit, Grenier Jean-Yves, Grignon Claude, Menger Pierre-Michel (dir.), Paris, Éditions de la MSH, 2001, p. 71-101, p. 99.

    45 Comme le souligne Boyer, la position de Popper ne se confond cependant pas complètement avec celle de Simon, du fait d’une différence dans la priorité accordée à la psychologie. Popper reconnaît en effet l’utilité d’une étude empirique des processus cognitifs pour une définition plus ajustée de la rationalité des acteurs, quoiqu’il pense qu’elle doive être précédée par une analyse de la situation logique (puisque ce qui est logiquement impossible (l’induction) ne saurait être la base d’une procédure cognitive rationnelle). Sur la proximité et la différence de Popper et Simon, voir Boyer Alain, « D’où viennent les idées justes ? Herbert Simon, Karl Popper et l’heuristique », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 159-173.

    46 Cette reconstruction du principe poppérien de « rationalité imparfaite » par Watkins est rapprochée, par Boyer, de la recherche par Hayek d’une rationalité limitée, où la concurrence intervient comme procédure de découverte de l’information. Voir la contribution de Watkins John à Borger Robert et Cioffi Frank (ed.), Explanation in the Behavioral Sciences, Cambridge University Press, 1970 ; cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 2), note 137.

    47 Le problème est que Boyer ne s’attarde guère sur le caractère problématique de la formulation de cette description (son logos), même s’il en souligne la difficulté. Sur ce point, voir infra, « L’idée d’une approche scientifique de l’histoire », p. 83-91.

    48 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §29.

    49 Boyer cite l’article sur « l’animal cérémoniel » (Bouveresse Jacques, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 16, Paris, 1977). Mais c’est aussi la position de Peter Winch dans The Idea of a Social Science (1958). Descombes a défendu une position similaire, sous la forme d’un holisme culturel (Descombes Vincent, Les Institutions du sens, Paris, Les Éditions de Minuit, 1996).

    50 La réflexion de Boyer est manifestement très marquée par le renouveau de l’histoire des mentalités et l’orientation vers l’histoire-problème des années 70. Voir par exemple Ariès Philippe, Essai sur l’histoire de la mort en Occident, Paris, Éditions du Seuil, 1975 ; Ariès Philippe, L’Homme devant la mort, Paris, Éditions du Seuil, 1977 et Furet François, « De l’histoire-récit à l’histoire-problème », Paris, Flammarion, 1975.

    51 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 2, note 144, reconnaît, contre un empirisme « naïf », que « décrire » est une démarche analytique et conceptuelle qui, en ce sens, est aussi risquée qu’expliquer. Reste qu’il ne semble pas tirer toutes les conséquences interprétatives de cette remarque.

    52 Boyer ne prolonge toutefois pas cette intuition dans la direction d’une écologie symbolique, qui lui donnerait tout son sens.

    53 La description des cadres institutionnels et des mentalités, précise Boyer, n’a rien d’une récollection passive d’information. Sur l’explication par les raisons, voir Dray William (Laws and Explanation in History, op. cit. ; et Philosophy of History, op. cit.).

    54 Voir Popper Karl, Conjectures et réfutations, Paris, Payot et Rivages, 2006, chap. 17, 3) (5), p. 512. Popper signale que les traditions sont nécessaires pour « former un lien entre les institutions et les intentions et valeurs des individus ».

    55 Ce point est souligné par Agassi Joseph, « Methodological individualism », in O’Neill (ed.), Modes of Individualism and Collectivism, Londres, HEB, p. 185-212, 1973.

    56 Il ne fait qu’en tracer le programme : voir Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §32 ; et sur l’impossibilité de la science d’un Robinson Crusoë, voir La Société ouverte et ses ennemis 2 : Hegel et Marx, op. cit., p. 148-152.

    57 À noter que cette notion d’image introduit dans la philosophie poppérienne de l’action comme « logique situationnelle » une certaine réflexivité, encore que sous une forme non symbolique et toute représentationnelle. On trouve une considération similaire chez Granger Gilles-Gaston, La Vérification, Paris, Odile Jacob, 1992, p. 185 et suiv.

    58 Boyer voit chez Ernst Gombrich (L’Art et l’illusion, Paris, Gallimard, 1971), une application de la « méthode zéro », qui permet de dépasser les doctrines historicistes et organicistes en histoire de l’art. Voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit, p. 200.

    59 Voir Ruelland Jacques, De l’épistémologie à la politique. La philosophie de l’histoire de Karl Popper, Paris, PUF, 1991, 3e partie.

    60 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., IV, 3, p. 200-201.

    61 Il est regrettable que cette affirmation ne soit accompagnée d’aucune précision touchant les caractéristiques du concept de causalité utilisé. Dans la conclusion toutefois Boyer semble souscrire à la conception davidsonienne. Pour une présentation du monisme anomal, voir Engel Pascal, Philosophie et psychologie, Paris, Gallimard, 1996, p. 183-206. Pour une critique de sa pertinence, concernant les sciences sociales, voir Lacour Philippe, « Pourquoi cela est-il arrivé ? L’explication causale de l’événement chez Paul Ricœur », in Methodos, vol. 17, 2017 (« La critique de l’opposition raison-cause »).

    62 Gille Bertrand, Histoire des techniques, Paris, Gallimard, 1978. L’idée de « système technique » permet d’exhiber les relations complexes entre les différents facteurs, et d’en suivre la cohérence, les conséquences inattendues, d’évaluer les causes de blocage, voire de changement de système. Pour un rapprochement et un contraste des deux démarches, voir également : Boyer Alain, « Les dieux sont aussi dans la machine. Karl Popper et Bertrand Gille », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 271-278.

    63 Pour Popper, l’« effet-Œdipe », ou influence de la prédiction sur l’effet prédit, est spécifique des structures susceptibles de résoudre des problèmes, sans pour autant constituer une particularité des seules sciences humaines (voir Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §5, p. 18).

    64 Par exemple, dans une situation historique comme celle de la crise de 1929, les analyses situationnelles peuvent rendre compte non seulement des raisons des prévisions des agents, mais aussi de leurs conséquences catastrophiques telles que, à un moment précis, les anticipations se retournent en chaîne. Les explications par anticipations rationnelles permettent ainsi d’éviter certaines tendances « historicistes » – voir infra, « Le refus de l’historicisme », p. 92-97.

    65 Boyer reprend ici l’idée poppérienne d’une vocation prédictive (même limitée, sous forme de tendance) des sciences sociales (et de la science en général), qui est fortement discutable.

    66 On le comprend à l’usage de cette expression, Popper ne remet pas du tout en question le caractère expérimental des sciences humaines, sans doute parce qu’il reprend ce critère aux sciences de la nature. Sur ce point, les remarques de Passeron semblent justifiées. Dans Misère de l’Historicisme, Popper condamne ainsi les expérimentations totales (§24 : « La théorie totaliste des expérimentations sociales »), mais valorise l’expérimentation (§ 26 : « Variabilité des conditions de l’expérimentation ») ; voir aussi le §29 (sur « l’unité de la méthode » entre sciences de la nature et sciences sociales).

    67 Cette complexité semble requérir une refonte des théories économiques dans une optique stratégique, mais à l’époque les théories de l’auto-organisation paraissent à Boyer encore loin de pouvoir en rendre compte – il cite les travaux de Jean-Pierre Dupuy (Ordres et Désordres, Paris, Éditions du Seuil, 1982). Il faudrait évidemment penser ici aussi aux réflexions de Niklas Luhmann (Zweckbegriff und Systemrationalität, Tübingen, 1968), et à la critique qu’en fait Habermas dans son œuvre (Habermas Jürgen, Théorie de l’agir communicationnel 2, op. cit., et Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1996).

    68 Boyer rapproche ici Popper d’Aron. Voir Aron Raymond, Introduction à la philosophie de l’histoire. Essai sur les limites de l’objectivité historique, Paris, Gallimard, 1986.

    69 C’est en ce sens que Veyne faisait de la « rareté » l’intuition centrale de Foucault (Veyne Paul, « Foucault révolutionne l’histoire », in Comment on écrit l’histoire, rééd, p. 386). Passeron reprend cette méditation dans un article en insistant sur le « principe d’inquiétude » au cœur de la pensée (Passeron Jean-Claude, « La peur de “l’impensable” dans l’histoire des sciences », in Revue européenne de sciences sociales, t. 38, n° 119, 1996, p. 14).

    70 Veyne Paul, Comment on écrit l’histoire, op. cit., p. 204-212.

    71 Veyne y voyait l’écart définitif entre sublunaire et supralunaire (ibid.). Michel de Certeau avait à cette occasion exprimé son scepticisme face à l’aristotélisme de cette épistémologie ambigüe. Voir Certeau Michel de, « Une épistémologie de transition », in Annales ESC, 1972, t. 27, p. 1317-1327.

    72 Veyne Paul, L’Inventaire des différences, Paris, Éditions du Seuil, 1976. L’autre différence essentielle entre les deux ouvrages tient à la disparition relative de l’intérêt pour « l’intrigue ».

    73 De ce point de vue, la position de Boyer est très proche de celle de Granger, en dépit de la critique qu’il lui adresse. Pour une explicitation de l’impossibilité apparente de la connaissance historique chez Granger, et une exposition du caractère « paradoxal » de ce savoir, voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 216-225.

    74 Cette conception, comme celle de Veyne (Veyne Paul, L’Inventaire des différences, op. cit.), est très proche de celle développée par Jean-Claude Pariente dans Le Langage et l’individuel (Paris, Armand Colin, 1973) – Lacour Philippe, « L’épistémologie au risque de la pensée clinique », art. cit. Il faut également rapprocher cette idée de modèle intermédiaire de la conception grangérienne du modèle « sémantique » – id., La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 179-182 et 188-210.

    75 Popper Karl, La Logique de la découverte scientifique, op. cit., §36, p. 122-124. Le progrès optimum en généralité est, on l’a dit, assuré par la formalisation.

    76 Boyer s’appuie ici sur une conception probabilitaire des lois en sciences humaines, tirée de Labrousse (Labrousse Alain, in Zazzo R. et al., Structuralisme et marxisme, Paris, UGE, 1970). À noter que le déterministe ne propose qu’en apparence des hypothèses plus rigoureuses, puisque le vague de ses assertions lui permet d’interpréter presque tout ce qui arrive comme confirmant sa théorie – son attitude est métaphysique, au sens pseudo-scientifique du terme. Par ailleurs, le déterminisme métaphysique doit toujours admettre la possibilité d’un recours aux hypothèses contrefactuelles (puisque les actions des individus ne sont compréhensibles que comme poursuite d’objectifs).

    77 Adorno Theodor et Popper Karl, De Vienne à Francfort. La querelle allemande des sciences sociales, Bruxelles, Complexe, 1979, p. 86.

    78 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., conclusion, p. 269. Boyer reprend ici une remarque de W. Bartley dans sa contribution au collectif dirigé par Lakatos Imre et Musgrave A., Problems in the Philosophy of Science, Amsterdam, North-Holland, 1968.

    79 Comme le souligne Hans Albert, le critère de démarcation ne vise pas à donner une définition de la « science » mais sert d’idée régulatrice devant fournir une « technologie » de la science théorique – voir Albert Hans, « Science and the Search for Truth. Critical Rationalism and the Methodology of Science » in Radnitzki Gerard, Progress and Rationality in Science, Dordrecht, Reidel, 1978, p. 181 ; cité par Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 1), p. 59.

    80 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., 1992, II, 1), p. 60-61.

    81 Boyer remarque que toute explication causale, puisqu’elle fait intervenir des conditions initiales singulières, est historique. Sur ce trait remarquable de la causalité, voir Lacour Philippe, « Pourquoi cela est-il arrivé ? L’explication causale de l’événement chez Paul Ricœur », art. cit.

    82 Windelband, discours de Strasbourg (Windelband Wilhem, « Histoire et sciences de la nature », in Les Études philosophiques, no 1, Philosophie allemande (Janvier-Mars 2000), p. 1-16. Contrairement à ce que soutient Boyer (Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., 1992, p. 63), cette opposition méthodologique ne repose pas elle-même sur un partage ontologique, classique dans la philosophie allemande du xixe siècle, entre nature et esprit, mais oppose plutôt deux approches, qu’on peut trouver tant dans les sciences de la nature que dans celles de la société. Collingwood remarquait d’ailleurs que le jugement « ceci est un cas de fièvre typhoïde » n’est pas de l’histoire, mais relève de la science, bien qu’il s’agisse de la description d’un fait individuel, et que l’énoncé « la monnaie romaine au IIIe siècle était dépréciée » n’appartient pas à la science (naturelle), mais à l’histoire, tout en étant une généralisation – Collingwood Robin George, The Idea of History, Oxford, Clarendon Press, p. 165, cité par : Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, p. 61, note 11.

    83 En fait, le fait même que l’explication soit incomplète, parce que conjecturale, n’implique pas qu’on doive renoncer à l’explication du cas individuel. Boyer suggère de rapprocher cette idée de l’interprétation poppérienne des probabilités en terme de propensions et non de fréquences (l’interprétation fréquentiste, fondée sur la répétition, reste insensible à l’individuel). Voir Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 83 ; Popper Karl, L’Univers irrésolu, op. cit., § 29-30, p. 83-89 ; et id., Le Réalisme et la science, Paris, Hermann, 1990, §34-40 et §53-61. De façon assez similaire, Granger explique l’écart entre probabilité et fréquence par la différence ontologique entre l’actuel et le non-actuel (tout en distinguant le probable du possible) – voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., p. 96-97, 123 et 157.

    84 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., p. 116 ; et « Problèmes des sciences sociales », art. cit., p. 265-269.

    85 Comme le remarque William Gorton (Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., p. 55), cette position qui fait de la science une résolution de problème est un peu trop confortable, puisqu’elle inclut également les arts, les comportements sportifs, voire la réparation automobile. C’est une manière commode de ne pas approfondir la question de la spécificité des sciences humaines.

    86 Il y a bien une dimension nominaliste dans cette approche, souligne Boyer à raison, mais on ne saurait y voir un anti-holisme : il s’agit plus simplement d’un souci d’analyse critique des concepts collectifs.

    87 Boyer insiste à bon droit sur le fait qu’un tel programme n’est pas réductionniste : il ne dit pas que le social n’est rien d’autre que l’ensemble des dispositions individuelles, mais qu’il n’est que l’ensemble des conséquences des actions des individus, elles-mêmes fondées sur leurs dispositions à agir dans certaines situations, qui sont toujours sociales.

    88 Boyer pense ici à Bourdieu. Il n’est pas sûr toutefois que ce souci situationnel rende parfaitement justice à la complexité symbolique de la dite situation – complexité sur laquelle, Bourdieu insiste à juste titre, même si c’est peut-être de façon trop univoque (comme capital et domination).

    89 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., conclusion, p. 267. C’est aussi la lecture d’Albert Hans dans « Le rationalisme critique, la controverse positiviste et le problème de l’unité des sciences sociales », art. cit., p. 288-296.

    90 Ainsi, l’idée commune à Weber, Schumpeter et Lange, que le capitalisme exprimerait une tendance historique à la « rationalisation » de la vie sociale doit être nettement distinguée du principe formel de rationalité, y compris au sens normatif.

    91 En apparence seulement. Car, en insistant sur les présupposés sémantiques de l’analyse situationnelle, Passeron montre qu’elle n’échappe pas à la circularité constitutive des sciences de la culture. Voir infra, « Dialectique », p. 151-174.

    92 Sur ce thème, voir également : Ruelland Jacques, De l’épistémologie à la politique. La philosophie de l’histoire de Karl Popper, art. cit., 1re partie.

    93 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 5, p. 85. Voir Donagan (Donagan Alan, « Popper’s Examination of Historicism » in Schilpp 1974, p. 909) – Popper accepte cette objection, comme le souligne Boyer. Cette ambiguïté est relevée par la plupart des commentateurs, notamment Aron (Aron, Raymond, Introduction à la philosophie de l’histoire, op. cit.) et bien entendu Passeron.

    94 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., p. 7.

    95 William Gorton (Karl Popper and the Social Sciences, op. cit., chap. 3, p. 41-58) souligne également que le but de Popper n’est pas de dégager de prétendues « lois » du social. Mais, en ajoutant que le propos de l’épistémologue est plutôt d’élucider la complexité de l’écheveau des interactions humaines, à la faveur de modèles qui oscillent entre les théories universelles et la fascination idiographique, Gorton tire l’analyse situationnelle du côté des théories « middle range » (se concentrer sur une partie limitée de la réalité sociale, en s’appuyant sur une théorie à ambition limitée), en oubliant que Merton ne concevait celles-ci que de façon « temporaire », en attendant une théorie enfin unifiée, semblable à celle des sciences empirico-formelles. Il prête donc le flanc aux critiques que Passeron adresse à « l’illusion de Merton » (la sociologie doit affirmer sa scientificité dans « l’oubli de ses fondateurs »). Voir Merton Robert, Eléments de théorie et de méthode sociologiques, Paris, Armand Colin, 1997, p. 10. De même, dénoncer la prétention d’explication « causale » des sciences sociales, c’est confondre la causalité avec sa version exclusivement nomologique. Pour une position similaire, voir Di Iorio Francesco, « L’Espace poppérien du raisonnement historique : trois critiques contre le dualisme méthodologique de Jean-Claude Passeron », art. cit., p. 14.

    96 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §5, p. 18. La critique des prédictions en histoire est un cas particulier de la critique du déterminisme en général. Voir Boyer Alain, « Déterminisme et prédiction », in Introduction à la lecture de Karl Popper, op. cit., p. 221-230.

    97 Id., Conjectures et Réfutations, op. cit., p. 490-505.

    98 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 5, p. 84.

    99 Popper Karl, La Société ouverte 2 : Hegel et Marx, op. cit., chap. 11.

    100 Pour Popper, Marx considère le devenir historique à la fois comme le développement d’une nécessité essentielle et comme production de nouveautés radicales. Sa solution à ce problème consiste à concevoir les lois de l’histoire comme reliant les différentes périodes, c’est-à-dire comme les lois du développement qui déterminent la transition d’une période à l’autre. Voir Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., § 14, p. 53.

    101 Ibid., §27, 146.

    102 Sur la réinterprétation de cette différence par Granger en termes d’actuel et de non-actuel, voir Lacour Philippe, La Nostalgie de l’individuel, op. cit., par exemple : chap. 6, « Le résidu clinique ou le paradoxe de l’histoire ».

    103 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., §28, p. 158 : « la formulation d’une loi universelle doit envelopper toutes les conditions de sa validité pour que nous puissions l’énoncer inconditionnellement ».

    104 Popper retrouve ici ses arguments contre l’induction.

    105 Ibid., §27, p. 147-148.

    106 Ibid., §28, p. 161-162.

    107 Ibid., §28, p. 164.

    108 Ibid., p. 18.

    109 L’opposition de Popper au marxisme « scientifique » et prophétique est célèbre. Encore faut-il préciser qu’il s’agit surtout pour lui de critiquer une certaine vulgate. Une analyse plus fine permettrait de révéler une certaine influence de Marx (son anti-psychologisme, par exemple, ou encore sa conception de l’enquête sociale), qui rapproche paradoxalement Popper du marxisme « analytique », comme celui de Jon Elster (Elster Jon, Making Sense of Marx et An introduction do Karl Marx, Cambridge, Cambridge University Press, 1985 et 1986). Voir Gorton William A., Karl Popper et les sciences sociales, op. cit., chap. 5, p. 88-98.

    110 Popper Karl, Conjectures et réfutations, op. cit., chap. 16, p. 494-496.

    111 La notion de système isolé est d’une grande importance, puisqu’elle ruine la distinction classique entre systèmes statiques (sans mouvement, ou avec un mouvement répétitif, comme les astres) et systèmes dynamiques (le changement social). Si le paradigme astronomique ne saurait être indûment extrapolé à la société, ce n’est pas parce qu’il serait statique, donc inadapté à la dynamique sociale, mais parce qu’il conduit à concevoir la société comme un tout.

    112 Il suffit de considérer le phénomène de l’explosion démographique. Le système social ne peut être considéré comme isolé, car une augmentation ou une baisse de la population peut en changer sensiblement les conditions mêmes de fonctionnement.

    113 Passeron adresse une critique similaire à Hegel : l’importance de Cournot tient à ce qu’il permet de défaire l’univocité de la logique hégélienne (déterminisme mono-causal se déployant aux dimensions exhaustives d’un système unique), en valorisant les déterminations séquentielles à l’intérieur de sous-systèmes (Passeron Jean-Claude, Le Raisonnement sociologique, op. cit., p. 169-171).

    114 Cette critique peut être rapprochée de celle que Granger adresse à l’intelligence artificielle, en se demandant s’il est possible de concevoir des modèles abstraits de l’acte de symbolisation. Voir Granger Gilles-Gaston, (« Must a Science of Artificial Intelligence be Necessary Reductionnist ? », in Agazzi Evandro (ed.), The Problem of Reductionism in Science, Kluwer Academic Publishers, Netherlands, 1991, p. 173-182).

    115 Popper Karl, Misère de l’historicisme, op. cit., préface, p. II (point 4).

    116 Boyer Alain, L’Explication en histoire, op. cit., II, 6), p. 96.

    117 L’ouverture est le « maître mot de la philosophie poppérienne », y compris l’ouverture dialogique à l’autre, par opposition à la « clôture » d’une raison moderne volontiers dominatrice ; la rationalité, en continuité (biologique) et en rupture (symbolique) avec le naturel, articule ainsi de façon souple problème, conjecture et élimination critique de l’erreur : voir Boyer Alain, « La rationalité ouverte », in Philosophia Scientiae, 11-1 (2007), p. 3.

    118 Popper Karl, L’Univers irrésolu. Plaidoyer pour l’indéterminisme, Paris, Hermann, 1984.

    119 Id., Misère de l’historicisme, op. cit., p. 10.

    120 En réalité, la position de Popper sur l’évolution n’est pas sans ambiguïté. Dans La Quête inachevée (op. cit., p. 237 et suiv.), Popper affirme que la théorie darwinienne est métaphysique parce qu’elle ne peut être testée, mais il s’efforce en même temps de lui donner une présentation « presque testable ». En fait, dans la mesure où la sélection naturelle procède par essais et erreurs et se rapproche de sa propre anthropologie problématologique de la connaissance (il considère le darwinisme comme une application de la logique des situations), Popper confère au programme métaphysique de recherche darwinien un statut privilégié.

    121 Id., Misère de l’historicisme, op. cit., p. 136-137 (§27) et 147 (§27).

    La raison au singulier

    X Facebook Email

    La raison au singulier

    Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://freemium.openedition.org/oebooks

    Suggérer l’acquisition à votre bibliothèque Acheter ce livre aux formats PDF et ePub

    Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org

    La raison au singulier

    Vérifiez si votre bibliothèque a déjà acquis ce livre : authentifiez-vous à OpenEdition Freemium for Books.

    Vous pouvez suggérer à votre bibliothèque d’acquérir un ou plusieurs livres publiés sur OpenEdition Books. N’hésitez pas à lui indiquer nos coordonnées : access[at]openedition.org

    Vous pouvez également nous indiquer, à l’aide du formulaire suivant, les coordonnées de votre bibliothèque afin que nous la contactions pour lui suggérer l’achat de ce livre. Les champs suivis de (*) sont obligatoires.

    Veuillez, s’il vous plaît, remplir tous les champs.

    La syntaxe de l’email est incorrecte.

    Référence numérique du chapitre

    Format

    Lacour, P. (2020). La cohérence de la logique de la situation. In La raison au singulier (1‑). Presses universitaires de Paris Nanterre. https://doi.org/10.4000/books.pupo.8820
    Lacour, Philippe. « La cohérence de la logique de la situation ». In La raison au singulier. Nanterre: Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020. https://doi.org/10.4000/books.pupo.8820.
    Lacour, Philippe. « La cohérence de la logique de la situation ». La raison au singulier, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020, https://doi.org/10.4000/books.pupo.8820.

    Référence numérique du livre

    Format

    Lacour, P. (2020). La raison au singulier (1‑). Presses universitaires de Paris Nanterre. https://doi.org/10.4000/books.pupo.8750
    Lacour, Philippe. La raison au singulier. Nanterre: Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020. https://doi.org/10.4000/books.pupo.8750.
    Lacour, Philippe. La raison au singulier. Presses universitaires de Paris Nanterre, 2020, https://doi.org/10.4000/books.pupo.8750.
    Compatible avec Zotero Zotero

    1 / 3

    Presses universitaires de Paris Nanterre

    Presses universitaires de Paris Nanterre

    • Mentions légales
    • Plan du site
    • Se connecter

    Suivez-nous

    • Facebook
    • LinkedIn
    • Instagram
    • X
    • Flux RSS

    URL : http://presses.parisnanterre.fr

    Email : lpatarit@parisnanterre.fr

    Adresse :

    200 avenue de la République

    Bat A bureau 320

    92001

    Nanterre

    France

    OpenEdition
    • Candidater à OpenEdition Books
    • Connaître le programme OpenEdition Freemium
    • Commander des livres
    • S’abonner à la lettre d’OpenEdition
    • CGU d’OpenEdition Books
    • Accessibilité : partiellement conforme
    • Données personnelles
    • Gestion des cookies
    • Système de signalement