1 Pour achever ce parcours à travers l’imaginaire français de l’Amérique, nous nous intéresserons aux mythobiographes qui, comme Giraudoux, Kessel, Delteil ou Cendrars, font des États-Unis un élément essentiel de leur mythe autobiographique. Ce type de relations ne constituant pas un moment de l’histoire des idées – sans échapper pour autant à l’Histoire – nous avons pris le parti de les traiter séparément. Nous y retrouverons quelques tendances déjà esquissées par ailleurs, la marque de leur époque, mais surtout des voix originales pour qui l’Amérique-fiction doit s’entendre comme vecteur possible de l’invention de soi. Le voyage, sous ses multiples avatars (récits ou poèmes, réel ou fantasmatique), devient alors avant tout un récit de soi, et la (re)découverte de l’Amérique, une (ré) invention de soi. C’est leur identité d’auteur qui est en jeu, mais aussi leur identité d’être humain : Jean Giraudoux, désensibilisé par la guerre, retrouve le bonheur d’écrire en Amérique, le jeune Joseph Kessel fait de la Californie une étape essentielle de son apprentissage de la vie d’homme, Joseph Delteil, depuis l’Europe, se rêve en Américain, et Frédéric Louis Sauser, on le sait, parti en Amérique à la recherche de la richesse revient avec un nouveau nom : Blaise Cendrars. On ne saurait toutefois être exhaustif, et il nous a fallu écarter des cas aussi intéressants que ceux de Bernard Faÿ qui lie la révélation de son homosexualité refoulée à son désir d’Amérique, de René Étiemble faisant la découverte paradoxale de l’altérité et du Japon outre-Atlantique1, ou de René Crevel qui, malade, fait de l’Amérique, une anti-Suisse fantasmatique, lieu d’évasion de ce pays où il « purge » ses mois de guérison. La liste n’est pas close.

2 Les mythobiographes font coïncider l’actualité américaine à leur actualité propre, à leur histoire personnelle. L’Amérique constitue pour eux un tremplin à la fabrication de leur idiosyncrasie. Cela ne signifie pas pour autant que leur relation aux États-Unis soit exclusivement bénéfique et utopique. Le lien peut être problématique, comme l’est tout avènement identitaire, qui plus est fantasmatique. À travers l’analyse de leurs œuvres, ces auteurs nous permettront de répondre plus particulièrement à deux questions. D’une part, quel rôle l’imaginaire américain joue-t-il dans la construction de soi ? Et d’autre part, comment l’expérience intime de l’Amérique, directe ou médiatisée, et la mythification autobiographique s’articulent-elles ?

3Les mythobiographes annexent à leur propre idiosyncrasie l’imaginaire de l’Amérique qui, dès lors, constitue moins une réserve de choses vues et vécues qu’un élément mobile, le déclencheur d’une fiction de soi complexe, entre fantasme, projection et (re)construction identitaire. Chacun à leur tour, ils découvrent l’Amérique, au propre comme au figuré, confirmant par là même la formule de Delteil : « Découvrir l’Amérique, c’est ouvrir les yeux, c’est devenir soi, c’est être2. » Toutefois, la confrontation de leurs expériences de l’Amérique fait apparaître des différences de nature importantes, mais elle fait aussi naître des rapprochements inédits entre ces écrivains, éclairant leur œuvre d’un jour nouveau. Elle nous permet entre autres de mieux comprendre comment le rapport intime à l’Amérique peut se jouer tour à tour sur le plan de l’intellect, des affects, ou du langage, sans pour autant que ces prédilections soient exclusives les unes des autres.