Avant-propos

Il y a en eux tout ce qu’il faudrait, après avoir été une des forces de salut du monde, pour faire le malheur de l’univers et le leur […].
Mais il y a en eux aussi tout ce qu’il faut pour nourrir leur grandeur et notre espérance.
Claude Roy, Clefs pour l’Amérique

1Les textes des écrivains voyageurs ou écrivains-reporters sur les États-Unis, de la prospérité triomphante en 1927 à la Dépression, constituent un phénomène essentiel non seulement pour la découverte de l’Amérique mais aussi pour la pensée intellectuelle de l’entre-deux-guerres : ils sont à la fois les causes et les symptômes de la place croissante occupée par la démocratie américaine dans le monde et dans l’imaginaire des écrivains français. Par-delà les divergences idéologiques – que la perspective soit révolutionnaire ou humaniste, démythificatrice ou idéaliste – ces œuvres témoignent que l’enjeu du voyage d’Amérique dépasse de loin la seule cause des États-Unis. Elles précisent les enjeux culturels que représente le modèle de société outre-Atlantique, et enrichissent les représentations des États-Unis en éclairant des facettes jusque-là méconnues. Suivant une volonté référentielle, ces auteurs contribuent à la rendre plurielle, polyphonique, quand bien même ils ne sont pas à l’abri de produire de nouveaux stéréotypes. Enfin, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, ces écrivains, répondant à leur intention démythificatrice, n’auront pas toujours échappé eux-mêmes à l’élaboration de (contre-) mythes, de manière consciente ou non, montrant par là même que l’Amérique s’affirme comme un objet fantasmatique qui, tout en renvoyant au réel, est tenté de s’en affranchir au gré d’imaginaires particuliers.

2 Aussi faut-il prendre soin de distinguer ceux qui, comme Luc Durtain, Magdeleine Paz et Vladimir Pozner, ont manifesté, dès la fin des années vingt, leur volonté de révéler une autre Amérique, celle des minorités opprimées, et d’une contre-culture alors en germe, en somme l’envers de l’Amérique prospère des années vingt puis du New Deal, de ceux qui, comme Jules Romains, Pierre Hamp ou Jean Prévost, inquiets face à la montée des fascismes en Europe, cherchent dans les États-Unis de Roosevelt un nouveau modèle démocratique, un gage pour l’avenir, en somme une utopie. Ce n’est peut-être pas un hasard que ces deux perspectives antagonistes recoupent des colorations politiques sensiblement différentes : les premiers, marxistes, sympathisants du communisme, ou à tout le moins sensibles aux espérances révolutionnaires, les seconds socialistes réformistes ou radicaux-socialistes.

3Toutefois, tous se rejoignent dans un imaginaire de l’espoir, révolutionnaire ou non. Si chez les premiers, les critiques à l’égard de la société américaine se font plus insistantes, c’est que leur sensibilité les attache à une exploration attentive de l’histoire des vaincus, des marginaux, des minorités opprimées ou des laissés pour compte du rêve américain. Quant aux seconds, le modèle américain leur apparaît comme un viatique à l’Europe vaincue par les nationalismes, les fascismes et le nazisme.