Les Soldats de la mémoire
|La Section photographique de l’armée, une machine politique
Photographie et nécessité d’État
Texte intégral
- 1 Veray Laurent, L’Armée française et l’utilisation des images durant la Grande Guerre, mémo (...)
- 2 Denoyelle Françoise, Les Lumières de Paris, Le marché de la photographie 1919-1939, t. 1, (...)
- 3 Pascal Dominique, « Les débuts du service photographique de l’armée », in Prestige de la p (...)
La réaction française face à la propagande par l’image ennemie se fait attendre. Les consciences politique et militaire ne s’éveillent qu’en 1915, date à laquelle l’utilité d’un service photographique devient évidente. Il semblerait que la mise en place d’une section photographique revienne à l’initiative de diverses personnalités, auxquelles il n’est jamais fait référence dans les rapports officiels. Les avis sur le sujet sont nombreux et dissemblables. Laurent Véray1 avance le nom de Pierre-Marcel Lévi, professeur aux Beaux-Arts et futur chef du service, qui aurait convaincu Pierre Sarraut, le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, de la nécessité du service photographique. Par deux fois, c’est à Louis Meurisse que l’on en attribue l’initiative. Cité par Françoise Denoyelle2 et Dominique Pascal3, ce photographe à la tête de l’agence Rapid, fait entendre sa voix auprès du ministre de la Guerre :
- 4 Archives non répertoriées de la SPA conservées à la BDIC, correspondance de Louis Meurisse (...)
Monsieur le Ministre, Je viens solliciter de votre bienveillance, l’autorisation de prendre des photographies de la Guerre. En relations avec de nombreux journaux Français et neutres, il devient de toute urgence, surtout pour ses derniers, de leur faire parvenir des documents photographiques français. En effet les journaux neutres sont inondés de photographies allemandes et la place donnée à nos informations devient nulle étant donné la pénurie des photographies que nous pouvons obtenir4.
1Cette initiative reste sans suite, comme celle présentée, dès 1914, par l’écrivain Maurice Bérard proposant un plan de propagande par l’image photographique et cinématographique.
- 5 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la Section Photographiqu (...)
2Finalement, la mise en place du service photographique est le résultat d’un consensus politique entre le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, le ministre des Affaires étrangères et enfin le ministre de la Guerre. Consignée dans le rapport du contrôleur adjoint de l’armée Jaillet5, le 10 octobre 1917, rapport adressé au ministre de la Guerre, la création de la SPA ne fait aucune référence aux noms cités ci-dessus. Il n’y est évidemment question que de Pierre-Marcel Lévi, mais en tant que chef de la SPA.
3C’est par un échange de lettres, engagé le 10 mars 1915, entre le ministre des Affaires étrangères Delcassé et le sous-secrétaire aux Beaux-Arts Dalimier, que la mise en route de la création de ce qui va devenir la SPA est lancée. Le ministre des Affaires étrangères s’adresse à son collègue en ces termes :
- 6 Ibid., p. 21.
Les services de propagande de mon Ministère sont constamment sollicités par nos agents et amis à l’étranger qui demandent que nous leur fournissions des documents photographiques sur la guerre et notamment sur les dévastations artistiques. La publication ou l’exposition de tels documents est jugée désirable pour agir sur l’opinion des neutres.
Votre administration s’est déjà préoccupée de prendre un certain nombre de clichés photographiques de cette nature et vous avez bien voulu me les communiquer. Ils ne concernent toutefois que les dommages causés à des monuments classés.
J’ai été amené à me demander s’il n’y aurait pas intérêt à étendre cette enquête photographique dans la mesure où le Ministère de la Guerre pourrait l’autoriser, et si votre administration, qui est parfaitement outillée à cet effet, ne pourrait pas faire recueillir des scènes de dévastation de guerre. Sans parler de l’intérêt documentaire et peut-être scolaire que pourrait avoir une telle collection, elle serait très utile pour la diffusion à l’étranger des preuves les plus intéressantes ou les plus saisissantes et je serais disposé à en faciliter la reproduction dans les journaux, revues, cartes postales, etc. […] et les expositions dans les librairies à l’étranger6.
4La réponse du sous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts est éloquente :
- 7 Ibid., p. 22. Réponse s.d.
Cette collection constituerait un efficace instrument de propagande vis-à-vis des pays neutres. […]. J’ai en conséquence l’honneur de vous prier de me faire connaître d’urgence le programme à suivre. Muni de ce renseignement j’étudierai rapidement l’organisation pratique et la mise en train de l’affaire. […]. Le moment venu, je vous demanderai de vous joindre à moi à l’effet d’obtenir de notre collègue, M. le ministre de la Guerre pour les agents d’exécution, les moyens de transport nécessaires et les plus larges facilités de circulation7.
5La première préoccupation est donc de fournir des images de propagande aux pays neutres submergés de photographies provenant d’Allemagne ou d’Autriche-Hongrie.
6C’est donc en réaction à la production ennemie que l’État français finit par prendre conscience du pouvoir des images et, qu’à l’instar du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, il confère à la création d’un service photographique français un caractère d’urgence. Étonnamment, ces deux lettres mentionnent l’existence d’un service photographique d’enquête aux monuments historiques, chargé de prendre des clichés des monuments classés et endommagés par la guerre, vraisemblablement depuis le début des hostilités. Ces reportages avaient pour vocation de mettre en place, un inventaire des destructions et non de contrer ou de diffuser les preuves des dommages causés par le camp adverse. Le sous-secrétariat aux Beaux-Arts est qualifié « d’outillé » pour la situation. Il est sans doute fait référence à son usage maîtrisé des photographies, mais aussi à ses photographes ainsi qu’à leurs ateliers.
7À la fin du mois d’avril 1915, le ministre de l’Instruction publique, Pierre Sarraut, se rend au Grand Quartier général et réussit à convaincre les autorités militaires de ce qu’elles pourraient tirer de ce service photographique. Chacun des trois ministères trouve un intérêt dans la création de la SPA et la participation de chacun est nécessaire à son bon fonctionnement, comme l’explique le journaliste du Petit Parisien, Paul Ginisty :
- 8 Ginisty Paul, « La bataille devant l’objectif », in Le Petit Parisien, 11 juin 1915.
Le ministre de l’Instruction Publique, M. Pierre Sarraut, souhaitait qu’on recueillît, pour les musées régionaux et pour les écoles − quel enseignement vaut mieux que celui des yeux ? − des vues des ravages causés par l’ennemi. Lesous-secrétaire d’État aux Beaux-Arts, M. Dalimier, se préoccupait des monuments historiques, des édifices classés dont quelques-uns, hélas, blessés à mort, ne laisseront plus que le souvenir de leur beauté détruite par le vandalisme allemand. La commission des affaires extérieures réclamait d’irrécusables documents à opposer aux mensonges allemands. La commission des dommages avait besoin de ces témoignages douloureux des dévastations de l’ennemi. Enfin, les archives de la Guerre, préparant l’histoire, avaient besoin de toutes les évocations de la vie de l’armée8.
- 9 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la section [Section] Pho (...)
8La seule condition mise par l’armée est que « dans l’intérêt tout à la fois de la discipline, de la surveillance à exercer sur les documents recueillis et du bon fonctionnement même du service, il convenait de n’y admettre que du personnel militaire9 ».
- 10 Le bureau des informations à la presse change de nom et devient, par la suite, le bureau m (...)
- 11 La SPA est rattachée au sous-secrétariat des Beaux-Arts.
- 12 Gouzi Christine, « Pierre Marcel », Dictionnaire critique des historiens de l’art actifs e (...)
9Le 24 avril 1915, le cabinet du ministre de la Guerre convoque Pierre-Marcel Lévi, pour lui confier la direction du nouveau service rattaché du point de vue militaire au cabinet du ministre et plus précisément au bureau des informations à la presse. Le 8 mai, par note officielle du bureau des informations à la presse10, l’organisation projetée dans les correspondances prend forme et une section militaire ainsi qu’un laboratoire militaire de photographie sont créés. Ils comptent sept personnels dont trois aux ateliers. Tous sont placés sous les ordres de Pierre-Marcel Lévi, professeur à l’École des beaux-arts, en service auxiliaire, appartenant à la 22e section du corps des ouvriers militaires d’administration (COA). Nommé au grade de sous-lieutenant, il devient chef du service photographique militaire au sous-secrétariat aux Beaux-Arts11. Le parcours intellectuel de ce jeune officier mobilisé explique clairement sa nomination à la tête de la section12.
- 13 Pierre-Marcel Levi est l’auteur de quelques dizaines de publications sur les mêmes thèmes. (...)
10Docteur en histoire de l’art depuis 1903, Pierre-Marcel Lévi est vers 1905 et jusqu’en 1911, secrétaire de l’École des hautes-études sociales, collaborateur à la revue Athéna et chargé d’un cours libre d’histoire du dessin à la Sorbonne. Avant 1910, il est aussi directeur de la publication de la collection « Art et esthétique » aux éditions F. Alcan. Après le vol de La Joconde, en août 1911, une partie du personnel du Louvre est renouvelé. Il est alors nommé à un emploi temporaire et entreprend l’inventaire des dessins du Louvre et de Versailles. Professeur d’histoire générale à l’École des beaux-arts à partir de juillet 1912, il est également membre de la Société d’Histoire de l’Art français de 1911 à 1913 et est, par ailleurs, président du conseil supérieur de l’enseignement des Beaux-Arts. Ses sujets d’études sont l’art au xviiie siècle, le dessin français et les arts décoratifs13. Pierre-Marcel Lévi est donc bien connu de l’administration des Beaux-Arts. Cette nomination révèle, si ce n’est l’opportunité offerte au secrétariat aux Beaux-Arts de placer l’un de ses hommes à la tête de la SPA, l’attention particulière portée au support photographique en tant qu’objet artistique requérant, a priori, un traitement adéquat et relevant de spécialistes.
11Les accords se concrétisent par la note no 3527 du 9 mai 1915 du général commandant en chef qui annonce la création officielle de la SPA. Le laboratoire militaire et la section militaire cités précédemment sont alors réunis en une section mais la gestion administrative et financière relève entièrement du sous-secrétariat aux Beaux-Arts. Le ministère de la Guerre reste le commanditaire des reportages et le donneur d’ordre de missions. Issues d’une volonté interministérielle, la mise en place et l’existence de la SPA gardent la triple empreinte de ses fondateurs. Les personnels sont militaires, les locaux et le financement viennent du ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts et les ordres sont reçus du ministère de la Guerre, qui sert la propagande extérieure orchestrée par le ministère des Affaires étrangères.
- 14 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la section photographiqu (...)
- 15 Lévi Pierre-Marcel, « L’Histoire de la Grande Guerre, des archives, des documents, des pre (...)
- 16 Ibid.
- 17 Holzer Anton, Die andere Front, Fotografie und Propaganda im Ersten Weltkrieg, Primus Verl (...)
- 18 Ibid.
12D’après la note du 9 mai 1915, la mission des opérateurs de la SPA est de prendre des clichés intéressants « au point de vue historique, au point de vue de la propagande par l’image dans les pays neutres, au point de vue des opérations militaires, pour la constitution des archives documentaires du ministère de la guerre14 ». Au sujet de ces trois missions clairement définies, Pierre-Marcel Lévi apporte des explications supplémentaires dans un article paru dans les Annales politiques et littéraires le 18 juillet 1915. Pour lui, la SPA doit « assurer une propagande loyale à l’aide de documents authentiques, constituer des archives dont la sincérité est irrécusable pour l’historien soucieux d’un travail impartial15 ». Il profite également de cet article pour revenir sur la genèse du service. S’il l’attribue à « des manœuvres ennemies16 », ce qui attesterait également de l’efficacité de la propagande par l’image allemande, il qualifie paradoxalement la SPA d’« organisme nouveau de guerre ». Effectivement, la SPA est le premier organisme officiel de cette ampleur, et c’est aussi alors le seul à avoir cette forme. Les Autrichiens mettent en place un service similaire très peu après, en juin 191517. Toutefois, dès 1914, des Kriegsberichter ou reporters de guerre officient au service du Kriegpressequartier (KPQ). Ils sont civils et ne constituent pas réellement une équipe, mais ils parcourent le front avec le consentement de l’armée qui voit là un bon moyen de contrôler la presse illustrée18. En 1916, les Britanniques, les Russes, les Italiens et les Serbes envoient leurs premiers photographes sur le front, et il faut attendre 1917 pour voir arriver les Américains du Signal Corps. La double vocation de la SPA, archiver et diffuser, pose aussi la question de la volonté d’établir une représentation exhaustive de la guerre. À court terme, l’archivage est nécessaire pour permettre une diffusion rapide des documents. Répertoriés par thèmes, lieux ou personnalités, mais aussi par référence, les documents bien classés sont faciles à retrouver. À long terme, l’objectif est d’emblée mémoriel : les photographies archivées sont des témoins pour les générations futures.
13La photographie s’est vue longtemps décriée car on lui reprochait d’être incapable de fournir autre chose que des images posées, beaucoup moins évocatrices que le dessin. Elle a acquis avec le temps, les progrès techniques aidant, un caractère réaliste qui lui donne, quel que soit le sujet représenté, force de preuve même si les contemporains savent qu’elle n’est pas irréfutable. Cette propension à représenter la réalité est largement mise en avant par les autorités. Plus généralement, les photographies de la SPA vont rendre compte, de façon assez large, de tout ce qui évoque la guerre, en le présentant comme preuve :
- 19 Ibid
[La SPA] ne se bornera pas, en effet, à enregistrer des actions militaires, à constater les dommages dans les régions envahies, à fixer les faits de guerre dans leur beauté ou leur violence ; elle montrera encore l’effort industriel sans précédent dont la France offre le spectacle, l’activité de nos arsenaux, la production intensive de nos chantiers, de nos ateliers.
[…]. Puisse le monument que ses archives constitueront perpétuer pour nous, qui les avons connues et admirées avec tendresse, le souvenir des merveilles anéanties par le barbare, et fixer pour le monde, dans le temps, le vestige de tant de trésors souillés et bouleversés19 !
- 20 Ibid.
- 21 Pour Foucault Michel, « L’histoire, c’est ce qui transforme les documents en monument », i (...)
14Les photographies de la SPA ont alors un double objectif : attester la barbarie et le mensonge allemand, et montrer que la France est un grand pays, combatif et travailleur. Il est intéressant de s’attarder quelques instants sur la manière dont Pierre-Marcel Lévi perçoit les archives. Il parle du « monument20 », que les archives sont appelées à bâtir21. Il faut garder à l’esprit que l’un des objectifs de la création de la SPA est la constitution d’un fonds d’archives photographiques, et pas seulement la production de matériel de propagande. Aussi, consciente des lacunes occasionnées par sa création tardive, la SPA lance-telle un appel au don par l’intermédiaire de la presse, une sorte de grande collecte :
- 22 Ginisty Paul, « La bataille devant l’objectif », op. cit.
Mais dix mois se sont passés depuis le commencement de la guerre. Il y a là une longue période dont il faut faire l’histoire photographique. Le service a demandé et demande dans un but d’intérêt public, des épreuves de toutes les scènes militaires qu’ont reproduites ces fervents du kodak22.
15Un article paru dans Le Temps reprend l’appel :
- 23 « La Section photographique de l’armée », in Le Temps, 30 avril 1915.
Le reproche que l’on fera à tout cela, c’est d’être venu dix mois trop tard. Il en résulte que pour compléter ces nouvelles archives, il faut s’adresser aux particuliers. Dès le principe, un appel a été fait dans la presse à tous les possesseurs d’épreuves photographiques relatives à la guerre23…
- 24 Bloch Camille, « Rapport d’inspection sur la SPCA », 20 mai 1918, p. 3. Archives non réper (...)
- 25 Outre, les mentions laissées dans les registres d’entrée, seule, la BDIC garde une trace d (...)
16En 1918, pas moins de 28 00024 clichés sont répertoriés dans les dons, représentant ainsi 1777 dons répertoriés dans les registres de la SPA25. Les relevés faits dans les cahiers d’entrées permettent de différencier deux grands groupes de donateurs : les particuliers et les personnels dits de « l’institution », c’est-à-dire du ministère de la Guerre. La majeure partie des donateurs sont des militaires, officiers pour la plupart. Pourtant, les cahiers d’entrées comportent aussi des dons effectués par des civils, ainsi que par des institutions, entreprises ou organismes étrangers. Par exemple, parmi les donateurs se trouvent le service photographique de l’armée belge, l’American press association, le bureau des renseignements aux familles, la Croix-Rouge et même l’Illustration.
- 26 « La Section photographique de l’armée », in Le Temps, 30 avril 1915.
17Les bases de l’édifice enfin fixées, la SPA est installée assez rapidement dans les locaux du sous-secrétariat aux Beaux-Arts, au sous-sol du 3 de la rue de Valois dans le 1er arrondissement de Paris. C’est Paul Léon, chef des services d’architecture, qui en assure l’installation : « Les paperasses encombraient encore tous les locaux le 1er mai ; quinze jours après, cabines de développement, salle d’agrandissement fonctionnaient26. »
18Pierre-Marcel Lévi est épaulé par Gaston Jougla, pharmacien aide major de IIe classe, transfuge du service de santé qui doit assurer la direction des laboratoires équipés par le sous-secrétariat des Beaux-Arts. Dès le début, le financement est, semble-t-il, insuffisant puisque Pierre-Marcel Lévi lui-même est obligé d’engager ses propres fonds comme il le dit dans une interview publiée dans Le Petit Parisien, dix mois après la création.
- 27 Ginisty Paul, « La bataille devant l’objectif », op. cit.
Nous travaillons de bon cœur, mais tout officiers que nous soyons, nous ne sommes pas riches, et le problème des ressources nécessaires ne laisse pas que de se poser pour nous… Mes collaborateurs et moi, nous avons commencé un peu témérairement, fut-ce en nous engageant de nos propres deniers… que voulez-vous ? L’agent du Trésor doit être consacré à la défense et nous le comprenons bien… Il ajoute en souriant : vous ne connaissez pas par hasard quelques Mécènes27…
- 28 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la Section photographiqu (...)
19Cette information est confirmée dans le rapport du contrôleur Jaillet, chiffrant le montant de l’investissement de Pierre-Marcel Lévi à 1 842.90 francs. Ce rapport précise également que le même Pierre-Marcel Lévi, chef de la SPA, reçoit des allocations du sous-secrétariat aux Beaux-Arts pour les missions effectuées et bénéficie du produit de la vente de ses clichés28, initiée, par ailleurs, par Pierre-Marcel Lévi lui-même, avec l’autorisation de l’administration des Beaux-Arts. Une proposition définitive de mise en vente des clichés au public est faite le 23 juillet 1915 au ministère des Finances par le sous-secrétaire d’État afin que la SPA soit inscrite au budget et reçoive un financement, sachant que la totalité de ses recettes sont reversées au Trésor public.
20Si une grande partie des moyens dépend du sous-secrétariat d’État aux Beaux-Arts, la SPA est néanmoins placée dans l’organigramme du ministère de la Guerre. Elle dépend du Bureau militaire d’informations (BMI) créé en février 1915 sur la demande du général commandant en chef, le général Joffre, et par le ministre de la Guerre dans les termes suivants :
- 29 Note du cabinet du ministre de la Guerre, [janvier 1917], SHD/GR 5 N 550.
La création répond aux besoins de la prolongation de la guerre. Depuis les débuts des hostilités, la presse ne s’était trouvée en contact avec le ministère de la Guerre et le haut commandement que par l’intermédiaire de la censure.
Le nouveau service avait donc pour mission de réaliser un contact permanent avec la presse française et étrangère afin de la renseigner au jour le jour, le plus rapidement possible et de la guider dans l’interprétation des faits militaires29.
21Le BMI se compose d’un premier bureau (la direction), d’un deuxième bureau (la traduction), d’une troisième section (SPA) et d’une quatrième section (Section cinématographique de l’armée – SCA). Il s’inscrit dans la structure plus large de la Maison de la presse, organe interministériel puisqu’elle regroupe des personnels du ministère de la Guerre et du ministère des Affaires étrangères, au même titre que le Bureau d’études et de traduction de presse étrangère et la Direction générale de la presse pour le ministère de la Guerre. Le Bureau d’informations diplomatiques et le Bureau de la propagande dépendent, quant à eux, du ministère des Affaire étrangères. En outre, le BMI ne reçoit ses ordres que du ministère de la Guerre ou du Grand Quartier général (GQG).
22Le ton est donné : la SPA est un moyen mis à disposition du BMI afin de produire les images officielles de la guerre. Enfin opérationnelle, elle est constituée d’un service d’archives, de laboratoires et d’une section administrative pour répondre à une nécessité d’État.
- 30 Au mois de mars 1917, le Parlement accorde les crédits à la SPCA, ce qui marque définitive (...)
23Jusqu’en mars 1917, la SPA reste indépendante de la SCA (Section cinématographique de l’armée) et se situe au même niveau dans l’organigramme du ministère de la Guerre30. Le général Lyautey annonce, dans une lettre datée du 6 février 1917 et adressée au général commandant les armées du Nord et du Nord-Est, que les deux sections fusionnent. Il explique son choix en des termes qui insistent une fois de plus sur les objectifs immédiats de l’utilisation de l’image et sur sa finalité :
- 31 Correspondance du cabinet du ministre, SHD/GR 5 N 550.
J’attire tout particulièrement votre attention sur le rôle de la Section Photographique et Cinématographique de l’Armée, ce rôle est avant tout de permettre la réunion d’archives aussi complètes que possible concernant toutes les opérations militaires (préparation, exécution, chefs qui les dirigent, officiers et corps de troupe). En outre, et dans la mesure où l’utilité est reconnue, la SPCA doit rassembler pour la propagande française à l’étranger, des clichés et des films susceptibles de montrer la bonne tenue des troupes, leur entrain et les actions héroïques qu’elles accomplissent.
L’intérêt que j’attache à la réalisation de ce programme ne vous échappera certainement pas. Il est indispensable, d’une part et avant tout, de rassembler une documentation aussi méthodique et aussi complète que possible des événements et des incidents militaires. De cette façon l’Histoire conservera un souvenir authentique et indiscutable du développement de la guerre, des méthodes et des moyens techniques, à l’aide desquels l’armée française est parvenue à atteindre un haut degré d’instruction militaire. D’autre part, une partie de cette documentation permet de faire connaître, dès maintenant aux nations neutres, quelles difficultés rencontrent nos soldats dans l’accomplissement de leur tâche et quel héroïsme ils déploient pour en venir à bout31.
- 32 SHD/GR 6 Ye 7490.
- 33 « Livre d’ordres de la SPCA », 23 juin 1917-22 juillet 1919, médiathèque de l’architecture (...)
24D’un point de vue général, l’image animée, comme l’image fixe, possèdent, sans aucune ambiguïté, des analogies avec la réalité permettant de considérer ce fonds iconographique comme un fonds d’archives témoin de l’Histoire. La propagande est, certes, la raison principale de la mise en place d’une telle structure au sein de l’armée, mais le besoin de témoigner des événements devant l’Histoire est tout aussi patent. La SPA a des objectifs à court et à long termes. Les deux sections réunies changent de nom une nouvelle fois, sur décision politique du président du Conseil, ministre de la Guerre, Clemenceau, et du ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts Lafferre, publiée dans le Journal officiel no 224 du 19 août 1918. Elles constituent dorénavant le Service photographique et cinématographique de la Guerre (SPCG), nom conservé jusqu’à sa suppression par décision ministérielle le 10 septembre 1919. Une autre décision ministérielle, du 17 août 1918, désigne le commandant Chaix, directeur du service, relevant directement du cabinet de Clemenceau. D’après son dossier personnel32, Pierre-Marcel Lévi reste affecté à la section photographique jusqu’en avril 1919 et, plus précisément, est nommé, en août 1918, chef de la section administrative et technique du SPCG. Dans les faits, il signe son dernier ordre le 23 juin 191933 (ordre no 119 concernant les sténodactylos). Sa dernière notation, datée de septembre 1919, est signée du chef d’escadron Tournassoud, chef du SPCG du 30 octobre 1918 au 30 septembre 1919.
Notes
1 Veray Laurent, L’Armée française et l’utilisation des images durant la Grande Guerre, mémoire de diplôme, Institut français de presse, université Paris 2, 1989, p. 8.
2 Denoyelle Françoise, Les Lumières de Paris, Le marché de la photographie 1919-1939, t. 1, Paris, L’Harmattan, « Champs Visuels », 1997, p. 18.
3 Pascal Dominique, « Les débuts du service photographique de l’armée », in Prestige de la photographie, n° 2, septembre 1997, p. 60.
4 Archives non répertoriées de la SPA conservées à la BDIC, correspondance de Louis Meurisse adressée au ministre de la Guerre, le 22 avril 1915.
5 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la Section Photographique de l’Armée », 10 octobre 1917, médiathèque de l’architecture et du patrimoine, ministère de la Culture.
6 Ibid., p. 21.
7 Ibid., p. 22. Réponse s.d.
8 Ginisty Paul, « La bataille devant l’objectif », in Le Petit Parisien, 11 juin 1915.
9 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la section [Section] Photographique de l’Armée », op. cit., p. 3.
10 Le bureau des informations à la presse change de nom et devient, par la suite, le bureau militaire d’informations dont dépend la SPA.
11 La SPA est rattachée au sous-secrétariat des Beaux-Arts.
12 Gouzi Christine, « Pierre Marcel », Dictionnaire critique des historiens de l’art actifs en France de la Révolution à la Première Guerre mondiale, Sénéchal Philippe, Barbillon Claire (dir.), Paris, site web de l’INHA, 2009.
13 Pierre-Marcel Levi est l’auteur de quelques dizaines de publications sur les mêmes thèmes. Par la suite, il fonde, en 1921, les Presses universitaires de France avec Maurice Caullery, et en devient codirecteur avec Edmond Schneider. Il est écarté en 1937 de la tête des PUF mais reste chargé de la coopération universitaire et coopérative des éditions. Les lois raciales du régime de Vichy le forcent à abandonner définitivement ses fonctions aux PUF et il ne peut plus enseigner. Il part à Lyon et participe au journal interdit Le Patriote lyonnais. En 1945, il devient secrétaire générale de l’Entraide française (ancien secours national). Il meurt en 1953.
14 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la section photographique de l’armée », op. cit., p. 4.
15 Lévi Pierre-Marcel, « L’Histoire de la Grande Guerre, des archives, des documents, des preuves », Les Annales politiques et littéraires, n° 1673, 1915, p. 72.
16 Ibid.
17 Holzer Anton, Die andere Front, Fotografie und Propaganda im Ersten Weltkrieg, Primus Verlag, 2007, 368 p.
18 Ibid.
19 Ibid
20 Ibid.
21 Pour Foucault Michel, « L’histoire, c’est ce qui transforme les documents en monument », in Foucault Michel, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p. 15.
22 Ginisty Paul, « La bataille devant l’objectif », op. cit.
23 « La Section photographique de l’armée », in Le Temps, 30 avril 1915.
24 Bloch Camille, « Rapport d’inspection sur la SPCA », 20 mai 1918, p. 3. Archives non répertoriées de l’ECPAD.
25 Outre, les mentions laissées dans les registres d’entrée, seule, la BDIC garde une trace de ces dons. Les photographies ont été mêlées aux photos officielles dans les albums d’origine de la salle de lecture ouverte au public.
26 « La Section photographique de l’armée », in Le Temps, 30 avril 1915.
27 Ginisty Paul, « La bataille devant l’objectif », op. cit.
28 « Rapport sur la création, le fonctionnement, et les résultats de la Section photographique de l’armée », op. cit., p. 12.
29 Note du cabinet du ministre de la Guerre, [janvier 1917], SHD/GR 5 N 550.
30 Au mois de mars 1917, le Parlement accorde les crédits à la SPCA, ce qui marque définitivement la fusion des deux sections alors annoncée en février 1917 par le général Lyautey.
31 Correspondance du cabinet du ministre, SHD/GR 5 N 550.
32 SHD/GR 6 Ye 7490.
33 « Livre d’ordres de la SPCA », 23 juin 1917-22 juillet 1919, médiathèque de l’architecture et du patrimoine, ministère de la Culture, p. 169.
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