Techno-féodalisme
p. 362-363
Texte intégral
1Le numérique fait généralement rimer innovation et individualisation, capitalisme et néolibéralisme. Que se passe-t-il si on le fait rimer plutôt avec prédation et féodalisme ? C’est un angle mort féodal que Cédric Durand s’efforce de mettre en lumière dans sa Critique de l’économie numérique. Ce que des économistes néolibéraux comme Jean Tirole appellent « la manne numérique » mérite surtout d’être analysé en termes de rente. Cette rente s’explique par le rôle dominant que l’économie actuelle du numérique fait jouer aux effets de réseau (voir Effet de réseau) et aux intangibles (c’est-à-dire à des phénomènes de réputation comme la marque, la confiance, la visibilité).
La dynamique du capitalisme est animée en son cœur par un impératif d’investissement lié à la concurrence et à la dépendance du marché. Or l’essor des intangibles bouscule cette logique classique. Les actifs numériques et leurs utilisateurs devenant indissociables, la mobilité des individus et des associations est entravée. Cet attachement casse la dynamique concurrentielle est offre à ceux qui contrôlent les intangibles une capacité sans pareille de s’approprier la valeur sans véritablement s’engager dans la production. Ce qui prend alors le pas, c’est une relation de capture. Dans cette configuration, l’investissement n’est plus orienté vers le développement des forces de production mais des forces de prédation. […] Les grands services numériques sont des fiefs dont on ne s’échappe pas. Cette situation de dépendance des sujets subalternes vis-à-vis de la glèbe numérique est essentielle, car elle détermine la capacité des dominants à capter le surplus numérique. […] Dans cette perspective, la maximisation des revenus du capital ne dépend pas de la maximisation de la production, mais plutôt de la maximisation du contrôle sur la collectivité en général. (Durand, 2020, p. 210, 218 et 222)
2L’hypothèse techno-féodale invite ainsi à envisager le capitalisme de plateforme comme un régime de pouvoir basé sur l’appropriation d’un fief numérique (loi du premier occupant), sur la rente de monopole (permise par le caractère prohibitif des coûts de fuite), sur la domination prédatrice (de forces de travail attachées à la glèbe numérique) et sur la défense du territoire (par la destruction ou l’achat préventif de tout concurrent potentiel).
Bibliographie
Référence
Durand, C. (2020). Technoféodalisme. Critique de l’économie numérique. La Découverte.
Auteur
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