Relation humain·e-machine (de la cohabitation au développement)
p. 328-330
Texte intégral
1En règle générale, les prévisions quant aux impacts de l’introduction de l’IA sur le travail humain sont pensées en termes de substitution de l’humain·e par la machine, que ce soit pour le meilleur ou le pire. Parmi le meilleur, citons ainsi la réduction des erreurs ou l’amélioration de la rapidité d’exécution des tâches. Parmi les pires, la disparition des emplois (matérialisée par le site internet Will robots take my job ? – Les robots vont-ils prendre mon emploi ?) ou la perte d’expertise humaine.
2Les interactions entre l’humain·e et la machine gagnent cependant à être envisagées autour d’une pluralité de modes, dépendant notamment du degré de maîtrise de l’humain·e sur l’IA dans l’exécution des tâches, mais également des métiers et de la nature même des tâches accomplies (Chalon & Watelet, 2019). Dans un mode dit « de cohabitation », l’interaction avec l’IA correspond à la substitution, par une machine, d’un type de tâche qui était auparavant effectué par les humain·es. On peut par exemple penser aux métiers de la relation client·e (tels que les agentes d’accueil, les conseillers clientèle) dans lesquels une série de tâches administratives ont été récemment automatisées à travers l’utilisation d’algorithmes de réponses intelligents.
3Le mode dit « de collaboration » avec la machine englobe les situations dans lesquelles l’humain·e et la machine travaillent ensemble à l’accomplissement d’une tâche. Dans une relation d’optimisation ou d’augmentation, l’expertise humaine et le système d’IA se combinent pour aboutir à des résultats à plus haute valeur ajoutée (car plus pertinents, plus précis, plus rapidement atteints). Un mode dit « de contribution » se retrouve lorsque les travailleur·ses, par l’exécution de leurs tâches, contribuent activement à la formation des applications basées sur l’IA, dans une relation d’entraînement ou d’apprentissage.
4Ces deux derniers modes se retrouvent au cœur de nombreux métiers, selon les tâches réalisées. Une collaboration avec les systèmes d’IA peut par exemple être mise en place dans le cas d’exécution d’un diagnostic technique assisté par algorithmes. Cette relation se transforme ensuite en apprentissage lorsque la ou le travailleur encode, via un feedback, des données sur la pertinence et l’adéquation des diagnostics suggérés par la machine.
5Enfin, dans le mode dit « de développement » de l’IA, la relation s’envisage sous l’angle de la production et de la conception des systèmes d’IA. Cette relation est actuellement l’apanage des métiers digitaux, tels que les data scientists ou les développeur·ses.
6Penser les interactions entre l’humain·e et la machine à l’aide de ces variables met en lumière un angle mort des visions superficielles de l’IA, en permettant de sortir d’une vision purement soutenue par le déterminisme technologique, par lequel les possibilités offertes par les algorithmes sont obligatoirement transformées en réalités organisationnelles. Les quatre modes de configurations détaillés ci-dessus sont certes en partie influencés par des hypothèses technologiques et matérielles. Cependant, leur concrétisation dépend avant tout des choix organisationnels posés par l’entreprise en termes de processus de travail et de gestion des ressources humaines. Les choix stratégiques relatifs à l’IA présentent donc un caractère structurant. C’est au cœur de chaque entreprise que se définissent les types de relations souhaitées entre l’humain·e et la machine (c’est-à-dire la définition a priori du partage des tâches entre l’humain·e et la machine) et, partant, la réflexion associée sur l’enrichissement des tâches des travailleur·ses.
Bibliographie
Référence
Chalon, J.-C., Watelet, W. (2019). Métiers d’avenir : les métiers de l’intelligence artificielle (IA). Le Forem.
Auteurs
Sociologue, est professeur à HEC-École de gestion de l’université de Liège (Belgique), ainsi qu’en gestion des ressources humaines à l’ESCP-Europe.
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