Reféodalisation d’internet

Dir. de l’ouvrage

p. 327-328


Texte intégral

1Dans son « archéologie de l’espace public » publiée en 1962, le philosophe Jürgen Habermas décrivait l’émergence, à partir du xviiie siècle, de nouvelles pratiques politiques dans différents espaces sociaux – clubs, salons, journaux – dédiées à l’usage public de la raison et à la critique du pouvoir, pratiques qui étaient parties prenantes d’un processus de démocratisation. Cependant, à partir du second xixe siècle, l’arrivée de la publicité, l’industrialisation, la massification de médias désormais adossés à de grands groupes privés, puis plus tard l’exercice d’un monopole d’État sur les nouveaux moyens de télécommunication audiovisuelle allaient conduire à saper les conditions mêmes d’un espace de critique autonome et pluriel. De nouveau soumis aux intérêts privés et au contrôle politique de l’État, l’espace public se trouvait reféodalisé.

2Cette analyse peut être transposée à Internet. Alors qu’il était présenté dans les années 1990 comme le vecteur d’un renouveau démocratique de l’espace public médiatique, et comme une technologie propice à la multiplication d’espaces publics alternatifs libérés de la tutelle des médias de masse, Internet aura à son tour connu une forme de reféodalisation, au gré des mutations de son économie politique et des stratégies de pouvoir des États. L’émergence, à partir du début des années 2000, d’un capitalisme de surveillance fondé sur la publicité ciblée, la mise au point d’algorithmes conçus pour maximiser les émotions négatives et le temps passé sur les écrans, de même que les alliances toujours plus poussées entre les États et les grandes plateformes pour surveiller et réguler les communications auront à leur tour marqué un retour en force de logiques propagandistes et manipulatoires, obérant en partie les potentialités critiques et démocratiques d’Internet (voir Techno-féodalisme et Capitalisme de surveillance)).


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