Quarantaine (de chacun et perpétuelle)
p. 305-306
Texte intégral
1Il y aurait beaucoup à dire des implications sociétales et psychologiques globales nouvelles de la compression du lieu de l’humain par l’automatisation, de la mécanisation dans le cadre d’une division spatiale humaine/machinique exagérée par le confinement. Et sur ce que l’état d’exception reconfigure dans la société numérique. Mais la complexité de notre situation ne tient-elle pas d’abord dans ce qu’il y a une habituation plus sournoise à la surveillance ? Il y a une quarantaine primaire, celle « de chacun·e » désormais de l’intérieur d’appareils portant le potentiel d’une société d’un contrôle au-delà du total et fondé sur d’inédits moyens de la prescience. Potentiel activé seulement lors de la quarantaine sanitaire !
2Car, que vous l’ayez eu cocon ou précaire, votre cloître – en un petit lieu avec un trop-plein de présence ou dans un trop grand espace avec beaucoup de solitude – est acquis pour l’époque qu’il ne serait un fardeau réellement que si vous y étiez privé de communication et d’interactions virtuelles. « Tant qu’il y a Internet, cela va encore ! » On y va dès lors, à Internet, ainsi qu’à de l’inspiration bonne en temps apocalyptique de pénurie et de trafic d’air pur !
3Il y a ainsi des clôtures dont nous avons appris à ne plus nous passer. Par là aussi de l’assignation. En ce moyen inédit de dispositifs de l’addiction savamment élaborés et prescrits dont l’objectif est l’isolement, et l’effet qu’on se trouve fixé virtuellement (même en mobilité donc), inscrit dans la formidable nouvelle machine panoptique générale.
4Ces mécanismes subtils des R & D, par lesquels sont désormais réalisées les fausses réalité, liberté et détermination, sont d’abord la marque d’environnements d’exploitation de la virtualité, directement greffés sur une production du capital dont le commun n’a pas conscience. Par là donc, nous étions individuellement déjà en quarantaine avant que n’advienne le confinement. Ce dernier révèle un angle mort plus profond, qui lui pré-existait, celui d’une quarantaine à vocation durable.
5C’est encore ce premier enfermement qui empêche d’atteindre le vrai potentiel de l’actuelle situation virologique. Un potentiel dans le soin notamment (de nous, des autres) et le retour d’un réel sur lequel ouvrir ou lever les yeux. On pourrait d’ailleurs se demander si le confinement est épanouissant intellectuellement et si, le corps étant en cage, l’esprit déborde. On découvrirait dans la situation actuelle le ronron assourdissant de ce dernier. C’est l’œuvre du technique et des canaux de l’autre quarantaine. C’est aussi par ce biais que nous ne sommes pas souverain·es à l’intérieur même de notre confinement. Le numérique et la numérisation ne se prétendent pas seulement ubiquitaires : leur vocation les appelle aussi à s’installer pour toujours après leur premier déploiement.
6Devenue écranique, la civilisation capitaliste distribue ainsi sa névrose. La quarantaine de partout, de toute circonstance ou condition, celle de chacun par lequel il se met sous l’« œil du pouvoir », est paradoxalement l’étalon du degré d’ouverture de notre époque. Traduit par l’appétence à des appareils dont la singularité est qu’ils sont le même moyen d’exploiter et de surveiller ! C’est cette démocratie de la névrose, le potentiel d’une société du contrôle généralisé et volontaire, que Foucault n’aurait pu imaginer – et le capitalisme ne peut se trouver que tenté de prolonger cela par l’agenda d’une « quarantaine perpétuelle ».
Auteur
Architecte et anthropologue togolais, créateur de L’Africaine d’architecture, une plateforme de recherche et d’expérimentation sur les questions d’architecture et d’urbanisme en Afrique, et des WoeLabs, un réseau de tech-hubs togolais, dont l’ambition est de « rendre tout le monde égal en face de la technologie ».
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