Protection ou circulation (des données de santé)
p. 303-304
Texte intégral
1La numérisation de la santé semble aujourd’hui inévitable. Elle vise l’intégration des technologies de l’information et de la télécommunication dans le champ de la santé et repose en grande partie sur la collecte de données personnelles auprès des patient·es, de leurs médecins et d’organismes investis dans le parcours de soin. Les données alors recueillies sont utiles au fonctionnement de divers services, à l’image de la téléconsultation ou du remboursement des soins. Permettant de retracer les trajectoires personnelles de santé, ces données sont aussi d’intérêt pour la recherche scientifique afin d’évaluer les soins ou l’impact de nos comportements et habitudes de vie sur notre santé. Dès lors, la circulation et l’accès à ces données personnelles sont cruciaux.
2Pourtant, ils sont souvent jugés comme étant contraints en raison de l’application du droit relatif à la protection des données personnelles. En vertu de ce dernier, les données de santé ne doivent pas, en principe, faire l’objet d’un traitement informatisé (collecte, analyse, agrégation, etc.). Seules des dérogations limitativement énumérées permettent de lever cette interdiction. Il s’agira notamment du soin des personnes, de la prise en charge assurantielle des patient·es, de la vigilance face au risque infectieux, ou encore de la recherche statistique et scientifique dans un intérêt public.
3Dans ce cadre, la personne concernée doit être informée de l’utilisation de ses données de santé ainsi que de leur réutilisation à d’autres fins, ce qui lui permet ensuite de faire valoir les droits qui lui sont reconnus par le RGPD. Ceux-ci incluent le droit d’accès aux données, à la rectification, à l’effacement, à la limitation du traitement, à la portabilité des données, le droit d’opposition ou encore dans certains cas le droit de ne pas faire l’objet d’une décision automatisée ou d’un profilage21. Partant, la donnée de santé fait l’objet de protections importantes en droit.
4Voilà ce que nous voyons d’habitude du déploiement du numérique : des données sont collectées et transmises (par des réseaux numériques sécurisés), pour notre plus grand bien ; le législateur protège notre vie privée, en instaurant des protections légales qui limitent cette circulation de façon à la soumettre régulièrement à notre consentement individuel afin de prévenir toute intrusion excessive.
5Cette lecture, majoritaire dans l’opinion, masque toutefois de nombreux angles morts dans une réalité beaucoup plus nuancée, au sein de laquelle les protections accordées par le droit positif n’entravent pas autant qu’on le croit la circulation des données. Tout au contraire, le droit soutient parfois cette circulation et se met résolument de son côté, en s’avisant de limiter les protections accordées ! Pour preuve, l’intitulé complet du RGPD, qui fait explicitement référence à l’impératif de circulation : règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation.
6Cette attraction pour la circulation des données est également mise en évidence par la volonté de la législation française de soutenir la numérisation des données de santé, volonté traduite au sein de la Feuille de route du numérique en santé et déclinée par la création d’outils variés. Dans cette perspective, les législateur·rices ont récemment voté l’ouverture automatique, c’est-à-dire sans le consentement des individus, du dossier médical partagé (2020), mais aussi de l’espace numérique de santé (2019), portail individuel en ligne comprenant nos données de santé (dossier médical, remboursement des soins, prescriptions médicamenteuses, données de vie réelle). La numérisation et la centralisation de ces informations doit précisément permettre la circulation de ces données entre professionnel·les de santé pour assurer la continuité des soins des patient·es, mais aussi avec des chercheur·ses public·ques ou privé·es, lesquel·les apprendront de nos trajectoires de soin.
7Par conséquent, entre protection et circulation, les législateurs européen et français ont choisi un système hybride laissant une large place au second face au premier.
Bibliographie
Références
Ministère des Solidarités et de la Santé. (2019). Feuille de route stratégique du numérique en santé (Accélérer le virage numérique).
Netter, E. (2019). Regards sur le nouveau droit des données personnelles. CEPRISCA.
Rochfeld, J., Martial-Braz, N. (2019). Droit des données personnelles les spécificités du droit français au regard du RGPD. Dalloz.
Notes de bas de page
21 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).
Auteur
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Margo Bernelin
Docteure en droit privé et sciences criminelles, chargée de recherche au CNRS au sein du laboratoire Droit et changement social (UMR 6297, Nantes université), chercheuse associée à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (UMR 8103, CNRS-Paris 1).
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