Mot-clé
p. 279-280
Texte intégral
1En 2005, dans le contexte des émeutes, l’UMP avait payé Google pour que les internautes vissent une pub de soutien à Nicolas Sarkozy à chaque recherche comprenant les mots-clés « violence », « banlieue », « voitures brûlées », mais aussi « racaille », « gauchiste » ou « voyou ». La pratique a été réglementée depuis en France, mais le principe du mot-clé demeure, et nous a fait entrer dans un nouvel état du langage.
2Avec la numérisation des mots, et leur mise sur le marché, le langage est soumis à deux logiques divergentes : la logique du sens, dans laquelle les mots façonnent un monde commun, une culture, à travers des longs processus de jeu et de sédimentation ; et la nouvelle logique monétaire d’exploitation des mots sous forme de mots-clés, en vue d’en tirer de la valeur, en actionnant leurs différences de potentiel, ou encore pour brouiller leur signification.
3Pour les spectateur·rices resté·es à l’ancienne logique, le débat public prend parfois une tournure déconcertante du fait que les adversaires échangent des éléments de langage choisis non pas selon le sens commun, mais en fonction de leur capacité d’impact, en fonction de qui en est la ou le propriétaire et/ou parce que l’algorithme en a décidé ainsi. Ces joutes se déroulent dans une réalité virtuelle du langage, elles sont en partie encryptées. Cette logique monétaire d’exploitation des mots-clés reste souvent un angle mort de nos débats publics, qui s’accrochent aveuglément (désespérément ?) à la logique du sens.
4On aimerait décoder ces joutes de mots-clés, mais une fois en clair, quel sens délivreraient-elles ? L’effet resterait probablement comparable à celui d’une drogue hallucinogène, qui présente à notre esprit des fragments de réalité distribués de manière fortuite. Si les moteurs de recherche vendent les mots, c’est comme acteurs du marché de l’information. Cependant d’autres buts guident leurs choix, car ils nourrissent aussi une ambition autrement plus radicale : celle d’abolir le hasard, d’être l’envers du hasard.
Auteur
Fait des films de fiction et des performances conférences. Il a publié L’échelle 1 : 1, pour les performances conférences et autres live, un livre qui mélange théorie et petites histoires, et expose tout en la pratiquant une démarche artistique jouable dans un monde ravalé par l’informatique en réseau.
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