Mandat de smartness
p. 273-274
Texte intégral
1Orit Halpern, Robert Mitchell et Bernard Dionysius Geoghegan ont baptisé the smartness mandate une « injonction d’intelligence » visant « l’idéal d’une gamme infinie d’existences expérimentales, basées toutes sur des échanges adaptatifs en temps réel entre utilisateur·rices, environnements et machines ». Cette injonction se décline en quatre dimensions.
- « Le territoire propre de la smartness est la zone », c’est-à-dire un espace extraterritorial suspendu dans un régime d’exception permanente, échappant à toute souveraineté traditionnelle et instaurant ses propres règles minimales d’interaction, au titre d’une oasis de libre-échange.
- « Les (quasi-) agents de la smartness sont des populations », c’est-à-dire des mouvements browniens de molécules grégaires, gouvernés par leurs comportements statistiques, sans que ni leurs volontés individuelles ni leurs éventuels efforts d’organisation collective consciente n’aient de pertinence dans l’observation auxquelles on les soumet.
- « L’opération cruciale de la smartness est l’optimisation » : tout est fait, tracé, collecté, computé, cybernétisé, pour maximiser une productivité ou une fluidité dont les prémisses et les conséquences plus larges restent généralement implicites et irréfléchies. Selon la logique des paradis fiscaux, l’optimum est calculé en termes de gains purement locaux et courts-termistes, sans souci des pertes induites pour les collectivités mitoyennes ou plus lointaines, dans l’espace ou le temps. La visée est de faire mieux, c’est-à-dire plus efficacement, plus rapidement, à moindres frais, sans questionner pour quoi ni pour qui.
- « La smartness produit de la résilience » : sans qu’il soit généralement précisé par quoi, les populations dont les interactions sont optimisées dans la zone concernée sont présupposées soumises à des risques environnants, dont la menace implicite constitue sans doute le retour de tout ce que l’on a refoulé sous le tapis et hors des murs du parc si intelligemment aménagé. La communication instantanée des données captées par des senseurs et computées par des réseaux de neurones est alors chargée de générer automatiquement les réponses les plus adéquates à des crises dont la complexité ne peut qu’échapper aux limitations des décisions humaines, toujours trop humaines. (Halpern, 2017, p. 112)
2Reconsidérer les références aux objets qualifiés de smart (phone, city, switch, box, etc.) à la lumière de cette caractérisation du mandat de smartness peut nous aider à en repérer les attentes implicites, les dynamiques occultes, les écueils, les limites. (Voir Smartness)
Bibliographie
Référence
Halpern, O., Mitchell, R., Geoghegan, B.D. (2017). « The Smartness Mandate : Notes toward a Critique », Grey Room, 68.
Auteur
Étudie et enseigne la littérature et les media à l’université Paris 8. Il co-dirige la revue Multitudes et a publié Médiarchie (2017), Pour une écologie de l’attention (2014), Zazirocratie (2011). Ses articles sont accessibles en ligne sur www.yvescitton.net.
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