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    Plan détaillé Texte intégral Le modèle domestique de l’habitation dans l’abri de loisirs Le refus du modèle domestique pour l’abri de loisirs Les paradoxes du confort Notes de bas de page Auteur

    Anthropologie des abris de loisirs

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Le « confort inconfortable » du voilier de plaisance habitable, entre architectes navals et plaisanciers

    Stéphanie Brulé-Josso

    p. 127-139

    Texte intégral Le modèle domestique de l’habitation dans l’abri de loisirs De l'abri à l'habitation Le refus du modèle domestique pour l’abri de loisirs Les représentations des architectes Le modèle de l’habitation domestique comme archaïsme « Sentir le programme » en architecture navale Le modèle légitime du voilier : la course au large Le rejet d’un modèle féminin ? Les représentations des plaisanciers « Faire de l’habitable » : un abri en mouvement Le risque sédentaire Les paradoxes du confort Le confort pensé comme normes d’habitation domestique Des normes toutes-puissantes Des voiliers qui ne navigueraient pas Le confort pensé comme adaptation à l’usage Le « confort inconfortable » Le « confort marin » ou la réinvention des normes Des normes de confort au corps à corps avec l’objet Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Le voilier de plaisance est « un objet construit pour les loisirs1 ». À la fois véhicule et habitation, c’est un lieu dont l’analyse de la « mise en architecture » fait apparaître des modèles différents du « bon voilier ». Le travail de conception fait par les architectes navals, en amont de la chaîne opératoire, met en valeur un modèle de référence du bateau comme véhicule performant. Toutefois, les architectes ne peuvent gommer la dimension d’habitation du voilier quand il est dit « habitable ». Il convient alors de s’interroger sur la façon dont les aménagements intérieurs sont intégrés à la conception du bateau. En aval de la chaîne opératoire, les plaisanciers, qui dans leur très large majorité pratiquent une navigation de cabotage saisonnière, acquièrent pour leur part un voilier produit en série. Or les aménagements dont ce dernier est pourvu sont conçus sur le modèle domestique et ne sont pas adaptés à la vie en mer. Il s’agit alors de s’interroger sur la façon dont les usagers s’approprient leur voilier et l’adaptent aux caractéristiques de l’équipage et au programme de navigation. Le bateau devient un lieu où la notion de confort apparaît comme un mot-clé. Le « bon confort » est redéfini de façon permanente, à chaque navigation, par le corps à corps avec le voilier.

    Le modèle domestique de l’habitation dans l’abri de loisirs

    2L’abri de loisirs ne s’est pas « incarné » dans un objet particulier. Par contre, les abris décrits par les chercheurs désignent un lieu, un espace construit où, pour certains, se retrouvent des caractéristiques de la navigation de plaisance : pratique très réglementée et issue des classes sociales supérieures anglo-saxonnes, lieu d'un regard réflexif sur la société urbaine, dialectique de l'abri en mouvement et de son territoire et enfin modèle domestique de l'habitation.

    De l'abri à l'habitation

    3Le modèle de l'habitation domestique s'impose pour les navires de plaisance. En effet, les aménagements intérieurs reproduisent, dès le début de la pratique au xixe siècle, le modèle des logements urbains bourgeois. L'étude de plans présentés dans Le Yacht (hebdomadaire publié à partir de 1878), montre une distribution de l'espace intérieur en pièces séparées par des cloisons et des portes.

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    I Fig. 1 : Plan du Yawl « Trident » construit à Bordeaux en 1892 sur les plans de M. J. Guédon, indiquant les emménagements : chambres, wc, débarras, salon, office, cuisine et poste sont séparés par des cloisons et des portes. Le Yacht, 1892, n°753, p. 286.

    4Observons les aménagements d'un voilier contemporain : au centre se tient le carré, lieu de convivialité où l'on se réunit pour prendre les repas, en prenant place sur des banquettes latérales disposées autour de la table centrale. De part et d'autre se distribuent des cabines, associées ou non à un cabinet de toilette avec WC et lavabo. La cabine la plus valorisée se trouve à l'arrière : il y a 100 ans, c'était celle « des dames », aujourd'hui, c'est celle « du propriétaire ». Les enfants se partagent la couchette avant, appelée aussi « lit breton » ; jadis, « le poste avant » était le lieu de vie et de travail des matelots qui y préparaient les repas. Le coin cuisine est dorénavant situé près du carré, sur le côté de la descente (escalier reliant le pont à l'intérieur du voilier), et comporte au minimum un réchaud, au mieux un four, une glacière ou un réfrigérateur et un évier. Le coin navigation lui fait généralement pendant, avec une table à carte qui tend à se réduire, la pointe sèche et le compas de relèvement laissant place à un matériel électronique perfectionné que sont le GPS et l'ordinateur portable. Le pont est également aménagé : on y trouve, à l'arrière, le cockpit, lieu protégé qui comporte des banquettes moulées. Depuis quelques années on peut observer des « salons de pont » : une table amovible permet de prendre des repas, à table, dehors. Des barbecues sont parfois fixés sur le balcon arrière. La comparaison avec le développement récent du mobilier de jardin en France est significative. Dès le dernier quart du xixe siècle, on trouve à bord des éléments du mobilier urbain bourgeois : banquettes capitonnées, tables, armoires, bibliothèques, W.C., penderies... Sur les plans des bateaux, le vocabulaire maritime (cabine, couchette, soute, cambuse) est associé à celui des habitations (salon, chambre, lit, niche à chien !)

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    Fig. 2 : Plan en coupe figurant les aménagements de La Marguerite lors de sa I croisière en Marmara. Dessin issu du magazine Le Yacht, 1878, n° 13, p. 97.

    5Ainsi, depuis le début de la plaisance, les aménagements sont calqués sur ceux utilisés à terre, et suivent les modes en vigueur.

    Le refus du modèle domestique pour l’abri de loisirs

    Les représentations des architectes

    Le modèle de l’habitation domestique comme archaïsme

    6Une tension entre le modèle de l’abri et celui de la maison apparaît dans le décalage existant entre les ambitions des architectes qui conçoivent l’objet et sa réception par le public. L’opposition entre le modèle technique à la pointe du progrès et celui de l’habitation ou de la cabane archaïque existe aussi dans la plaisance. Lors de mon enquête, il est apparu que pour les architectes rencontrés, la conception des formes du bateau, ou sa mise en dessin, est plus valorisée que celle des aménagements intérieurs. La conception de ces derniers est réservée à quelques spécialistes peu nombreux : les architectes navals d’intérieur. Actuellement, les aménagements sont de plus en plus souvent signés par un designer spécialiste d’aménagement domestique. Les aménagements intérieurs ne sont pas intégrés au modèle dominant du véhicule bénéficiant des techniques de pointe. Ils appartiendraient plutôt à un modèle domestique archaïque qu’il s’agirait de dépasser2. En effet, les architectes rencontrés déplorent chez les plaisanciers l’usage du « bateau caravane ». L’un d’eux précise :

    […] c’est ceux dont le bateau est une caravane et un moyen de transport. C’est une façon de se déplacer. Ils naviguent en vacances, en périodes favorables, dans les pays chauds. C’est la majorité.

    7L’usage du « bateau caravane » est clairement dévalorisé par rapport à d’autres usages comme celui de la régate en habitable, valorisant la vitesse, ou celui du voilier comme résidence principale, dont la fonction domestique trouve alors une légitimité rejetée pour le « voilier caravane ».

    « Sentir le programme » en architecture navale

    8Pour les architectes navals, la conception d’un bateau doit se faire en accord avec leurs propres représentations du « bon » voilier. Cet engagement professionnel à travers des valeurs transparaît dans la « Charte de l’architecture navale » consultable sur le site de l’Institut Français des Architectes Navals (IFAN). Le client définit d’abord son programme dans un « cahier des charges » et le soumet à l’architecte naval. Ce dernier doit alors clairement se situer par rapport à la demande du client :

    il […] peut aussi ne pas souhaiter entreprendre une telle conception, soit […], soit qu’elle ne correspond pas à l’image que l’Architecte Naval se fait de son travail personnel [.]. Cette décision est très importante, car il est éminemment souhaitable que l’Architecte Naval « sente » ce programme, qu’il le fasse sien et s’y implique comme s’il allait en être lui-même l’utilisateur, c’est le meilleur gage pour une étude réussie, d’où l’importance du choix de l’Architecte Naval, de sa personnalité, sa sensibilité, et bien entendue sa disponibilité.

    9La mise en architecture d’un lieu n’est jamais neutre, des modèles de société sous-tendant chaque mise en architecture. La Charte de l’Architecte Naval insiste sur l’engagement personnel de l’architecte dans le projet qu’il doit « sentir », c’est-à-dire correspondre aux valeurs qui sous-tendent sa conception du « bon » voilier. Un accord peut être conclu si les conceptions du client et de l’architecte s’accordent. Sinon, la Charte de l’Architecte Naval stipule que le professionnel doit apprendre à refuser la demande du client. Les bateaux doivent être :

    […] efficaces, c’est-à-dire rapides et solides, car garants de la sécurité des équipages et des passagers, faciles à fabriquer, d’un prix abordable, et élégants.

    10L’efficacité n’est pas envisagée du point de vue des usagers. Ainsi, les pratiques et les représentations des architectes eux-mêmes sont à l’origine de la conception des bateaux. Comme les premiers campeurs qui étaient aussi concepteurs de matériel de camping innovant3, les architectes navals sont, depuis 150 ans, d’abord des pratiquants de la plaisance.

    Le modèle légitime du voilier : la course au large

    11Le modèle de bateau dominant en architecture navale est celui du voilier de la course au large dont des travaux sociologiques montrent comment il a structuré le champ de la plaisance4. La course au large allie deux pratiques aux imaginaires valorisés dans le monde la voile : la régate et le « grand voyage », la coupe de l’América et le tour du monde en constituant respectivement les références ultimes.

    12Ces modèles de navigation sont très éloignés des pratiques de la plaisance de cabotage. La lutte pour le modèle dominant et légitime de la « bonne » pratique est ancienne. Elle s’observe dès les débuts de la pratique où les amateurs de « cruising » rivalisent d’arguments avec ceux du « racing » dans les colonnes du Yacht pour légitimer leur pratique ; le temps donnera l’avantage institutionnel aux adeptes de la course.

    Le rejet d’un modèle féminin ?

    13La prise en compte de la dimension d’habitation dans la conception des voiliers est vécue comme un « sacrifice » au regard de la conception d’un bateau idéalement conçu pour aller vite. L’intégration des paramètres d’habitation concernant le voilier est faite en termes de normes de confort domestique pensées comme attribut féminin. Un architecte naval déplore les pratiques des plaisanciers qui « veulent jouer à la dînette à bord ». La surenchère d’aménagements du coin cuisine est interprétée comme une réponse à une demande féminine à laquelle les concepteurs doivent se plier : « c’est le marché ». De même, la conception des lits doubles dans la cabine principale sur le modèle du lit conjugal est stigmatisée : le fait de « vouloir jouer au papa et à la maman à bord » est jugé comme peu conciliable avec la navigation. Le voilier perd alors son statut pour devenir une « caravane » où les plaisanciers ne naviguent plus mais « jouent » à reproduire le modèle de la vie domestique.

    14Les architectes navals sont en très large majorité des hommes. La voile est une activité genrée, pratiquée très majoritairement par des hommes. J’ai pu observer que le rôle du chef de bord d’un équipage de croisière est invariablement tenu par un homme. En régate sur voiliers habitables, les femmes sont minoritaires et l’observation sociologique5 montre qu’elles n’accèdent pas aux postes les plus valorisés comme celui du barreur ou du navigateur. La problématique de la place des femmes dans le monde de la voile dépasse le cadre de cet article. La femme est en effet considérée comme tabou à bord des marines de travail6.

    Les représentations des plaisanciers

    « Faire de l’habitable » : un abri en mouvement

    15L’aménagement du voilier en fonction de l’équipage et du programme de navigation est une activité importante dans la pratique de la croisière. Cependant, malgré les soins apportés au voilier par les plaisanciers pour qu’il remplisse au mieux sa fonction d’habitation (installation de toiles anti-roulis, de cale-pieds, de rideaux, etc.), ce dernier n’est pas considéré comme un habitat. En effet, il renvoie à d’autres représentations que celle de stabilité attribuée à une habitation terrestre. Naviguer est de l’ordre du faire, de l’action. Ainsi, « on fait du bateau », « on sort en mer ». La dimension d’habitation n’est considérée que comme une potentialité : on peut habiter le voilier. D’ailleurs, dans les discours et la législation, on distingue les bateaux « habitables » de ceux « non habitables ». Les critères d’habitabilité d’un voilier se définissent par des aménagements permettant d’y dormir et d’y préparer un repas chaud. À la question : « Que fais-tu comme [type de] bateau », les pratiquants répondent : « Je fais de l’habitable ». La réponse n’indique pas comment le bateau est habité pendant les temps de navigation. Pourtant, habiter un bateau n’est pas simple. Petit, humide, en mouvement, le voilier complique les tâches de la vie quotidienne : manger, boire, préparer la cuisine, dormir, aller aux toilettes, se laver, se réchauffer. Un savoir-faire est nécessaire pour mener à bien ces activités quotidiennes. Une sortie, même courte, pour être réussie nécessite une maîtrise de ces savoir-vivre à bord. Cependant, les plaisanciers échangent peu autour de ces questions. Les différentes revues nautiques ne proposent pas non plus de dossiers sur ces thèmes. De même, mon intérêt lors de l’enquête de terrain pour les questions de la vie à bord n’était pas bien compris : les plaisanciers parlent facilement de la navigation, mais beaucoup moins des pratiques de la vie quotidienne à bord.

    Le risque sédentaire

    16Ainsi, parler de la vie à bord avec les mots de la vie à terre apparaît risqué. En effet, assimilé à une maison sur l’eau, le bateau perdrait sa caractéristique essentielle qui est celle du mouvement, du départ, du voyage. Pour les plaisanciers rencontrés, l’important est de maintenir le bateau dans un état qui leur permette d’appareiller en quelques minutes. Ceux qui font le choix de vivre plusieurs mois à bord veillent à ce que les objets de la vie quotidienne puissent être fixés (par exemple les bibelots sont maintenus par du velcro) ou calés rapidement afin de ne pas gêner la navigation. Si le bateau n’est plus en état de sortir du port, s’il est par exemple relié par un câble de télévision ou bien submergé par les objets de la vie quotidienne qui empêchent d’accéder aux voiles, il perd son statut. Il est désigné alors avec mépris, ici encore, comme « une caravane » ou « un bateau-ventouse ». Faire du bateau, c’est être ailleurs, en mer. Il s’agit pour les plaisanciers de quitter la vie urbaine, de rompre avec les références de la vie quotidienne, et notamment celles de l’habitation.

    Les paradoxes du confort

    17L’utilisation de cette notion peut surprendre pour des abris associés à l’idée de précarité. Cependant, les paradoxes du confort s’effacent lorsque les normes sociales et culturelles qui le sous-tendent sont mises en évidence.

    Le confort pensé comme normes d’habitation domestique

    Des normes toutes-puissantes

    18Un architecte déplore, dans l’exercice de son travail, « de sacrifier la vitesse à l’autel du confort7 ». Ce sacrifice apparaît cependant nécessaire pour se plier aux exigences du marché. Le désir des usagers, intégré en termes de « marché », est pensé comme désir de confort. Celui-ci est supposé être la reproduction du confort domestique de la maison :

    Le bateau de 12,2 mètres, est rapide, plus élégant et offre une meilleure stabilité aux grands angles. Mais le bon bateau, celui qui correspond au marché actuel d’appropriation du littoral, est le bateau de 10,6 mètres. En effet, les critères dominants ne sont pas liés à la performance du vecteur bateau mais au volume de la « maison-bateau8 ».

    19En effet, l’observation des bateaux présentés chaque année dans les salons nautiques montre un transfert des modes d’aménagement domestique aux voiliers. Un architecte interviewé par des journalistes au Salon Nautique de Paris en décembre 2006 déplore la monotonie des plans d’aménagements des bateaux qui sont « des appartements flottants ». Cet architecte propose une conception nouvelle d’un bateau qui permet « de ne pas s’enfermer dans un appartement ». Il propose « un bateau à sortir », qui ne soit pas « un faux appartement ». Pourtant, aujourd’hui, les chantiers proposent toujours des aménagements calqués sur le modèle domestique. Cette conception du voilier a du succès et s’exporte à l’étranger : les chantiers français figurent parmi les leaders mondiaux.

    Des voiliers qui ne navigueraient pas

    20Les architectes adhèrent à une représentation des usages des voiliers minimisant leur utilisation en mer en affirmant que « Les statistiques montrent que les plaisanciers ne sortent pas en mer. Ils utilisent leur bateau en moyenne trois jours par an ». Si les bateaux ne naviguent pas, il n’est pas nécessaire de concevoir des aménagements adaptés à la vie en mer. Pourtant, peu d’études ont été faites à ce sujet. L’une d’elle montre que l’utilisation des bateaux est nettement supérieure à trois jours par an : la moyenne est de 48 jours9. Cependant, dans la conclusion générale, les auteurs émettent des doutes sur « la qualité des réponses » : les plaisanciers qui ont répondu à ce questionnaire ne seraient pas représentatifs de la communauté plaisancière et sont suspectés d’avoir surestimé leurs jours de navigation. L’observation que j’ai pu mener en Bretagne depuis plusieurs années montre que les sorties à la journée sont nombreuses. Cette forme de navigation, qui certes, s’écarte de l’imaginaire de la traversée des océans, suppose pourtant un savoir-faire de navigation et une vie quotidienne à bord (repas, toilette, sieste pour les enfants en bas âge) nécessitant des aménagements au confort « marin ».

    21La statistique des « trois jours par an » n’affecte pas les plaisanciers. Au contraire, ceux qui naviguent se sentent valorisés. Leur pratique de navigation étant largement supérieure à la moyenne supposée, ils peuvent ainsi se considérer comme de « vrais marins ».

    Le confort pensé comme adaptation à l’usage

    Le « confort inconfortable »

    22Les plaisanciers interrogés s’étonnent de ces aménagements dont les caractéristiques de confort domestique ne sont pas adaptées à la navigation. Ainsi, la nouvelle disposition de la cuisine en long dans les bateaux apparaît comme peu compatible avec les exigences de sécurité en mer, le risque étant de se brûler.

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    Fig. 3 : Aménagement de la cuisine en long : l’espace consacré à la cuisine se situe dans la partie centrale du bateau, en pendant du carré. Plan d’un Harmony 34, issu de la revue Voile magazine, décembre 2006, n ° 132 s, Spécial Salon, p. 156.

    23Le plan traditionnel de la cuisine d'angle permet de mieux se caler à la gîte [fig. 4]. Une gravure du xixe siècle suggère avec humour le paradoxe du confort inconfortable [fig. 6].

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    Fig. 4 : Aménagement de la cuisine en angle : l'espace cuisine est situé en arrière du carré. Cette disposition permet de se caler contre l'escalier de la descente. Plan d'un Elan 340, issu de la revue Voile magazine, décembre 2006, n°132 s, Spécial Salon, p. 160.

    Peyton Mike, 1995, Mike Peyton, Volume 1, Vannes, Ed. Bord à Bord, s. p.

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    Fig. 5 : Gravure extraite de l'ouvrage humoristique de l'auteur anglais Mike Peyton consacré à la plaisance au Royaume-Uni. Le plaisancier cuisine sur un réchaud à cardan en se calant contre les cloisons.

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    Fig. 6 : La prise du repas à bord d'un yacht. La table du carré n'est pas montée sur cardan : l'équipage prend son repas dans un espace au confort domestique bien inconfortable à la gîte. Gravure extraite du magazine Le Yacht, 1895, n° 928, p. 594 : « La croisière du Saint-René ».

    24Pour les plaisanciers, la notion de confort est repensée en termes d'adaptation à la vie en mer. Ainsi, l'un d'eux, propriétaire d'un voilier de conception ancienne, précise que le cockpit profond et étroit de son bateau, aux angles vifs, est « confortable ». Ce qualificatif est argumenté par le fait que le cockpit ainsi conçu permet de bien se caler à la gîte. Ce plaisancier oppose cette norme de confort à celle en vigueur aujourd'hui qui met en valeur des cockpits larges et spacieux permettant à plusieurs personnes de s'y tenir, assis ou même allongés, sans se « gêner ». Le large cockpit « confortable » peut s'avérer très inconfortable quand le bateau gîte lors de ses remontées au vent. Cette recherche du « confortable » à bord ou recherche de l'adaptation optimale de l'objet au loisir, ici la navigation, apparaît comme une constante depuis les débuts de la pratique.

    Le « confort marin » ou la réinvention des normes

    25Pour vivre en mer, ne serait-ce qu’une journée, les plaisanciers ont donc recours à des bricolages et ne cessent d’amariner leur voilier à l’équipage dont les besoins changent d’une année sur l’autre. La construction de l’abri en tant qu’aménagement permettant son utilisation en mer est donc entreprise par les plaisanciers eux-mêmes. Cette appropriation du voilier et sa construction et reconstruction perpétuelle en tant qu’abri navigant peut ainsi être considérée comme le cour même de la pratique plaisancière de croisière.

    26La mise en architecture du voilier habitable permettrait de concilier sensations nouvelles et habituelles dans un « espace intermédiaire » qui serait propice au dépaysement, au loisir.

    Des normes de confort au corps à corps avec l’objet

    27La notion de confort est propice aux malentendus car elle parle du corps. Parler de confort c’est se référer à des sensations corporelles qui restent la plupart du temps hors du champ de la parole et donc difficilement repérables par l’ethnologue qui s’intéresse aux discours et qui observe. Seule l’observation participante peut ouvrir des pistes car le chercheur éprouve sensoriellement l’objet10 et peut construire ensuite une connaissance du rapport à l’objet.

    28La problématique posée s’articule autour de la notion d’objet que constitue l’abri de loisirs. Etudier le voilier de plaisance comme tel a le mérite d’être en accord avec les représentations des plaisanciers. En effet, le voilier habitable se transporte comme un vulgaire objet : on peut en observer un certain nombre, en hiver, dans les jardins des maisons des communes littorales de Bretagne. Cela interroge aussi le traitement théorique de l’objet dans les sciences sociales et en particulier en anthropologie. Dans cette discipline, les avancées théoriques qui traitent de la « culture matérielle11 » suivent deux courants principaux. Une première approche, structuraliste, s’intéresse aux représentations associées aux objets. Ceux-ci apparaissent comme des signes prenant place dans un système. Ce courant a permis dans cet article de poser la question de la femme à bord et des rapports de domination dans le champ de la plaisance pour la définition légitime du « bon voilier ». Une seconde approche, technologique, décrit les opérations de fabrication de l’objet. Celle-ci nécessite des gestes techniques qui agissent sur une matière. Le concept de la chaîne opératoire évoqué en introduction permet de mettre en évidence différents acteurs dans le processus de fabrication du voilier : des architectes navals, concepteurs, aux plaisanciers, usagers consommateurs. Le rôle des chantiers et des commerciaux a été laissé dans l’ombre, faute de terrain. Jean-Pierre Warnier12 montre qu’en France, l’étude des pratiques de consommation des objets a été délaissée au profit de celles de distribution et de fabrication. Il propose de redéfinir la notion de technique du corps de Marcel Mauss en réintroduisant l’objet comme inséparable des techniques du corps. Cette approche introduit, du point de vue du sujet, le rapport corporel avec l’objet. « Faire de l’habitable » c’est littéralement habiter l’objet-bateau où le corps est à la recherche d’un équilibre toujours précaire.

    29Le paradoxe du « confort inconfortable » prend alors une signification précise. Naviguer, c’est aussi vivre à bord d’une « mise en architecture13 » qui met le corps à l’épreuve des normes de confort domestique. C’est à bord que s’éprouvent physiquement, pour le plaisancier, les normes du confort de la société à terre, à travers les contacts qu’il a avec les objets domestiques. La grande table de salon du carré est-elle toujours aussi confortable quand on s’y cogne en la longeant pour rejoindre la cabine avant ? La recherche de l’équilibre à bord, dont le symptôme est le mal de mer, serait comme une métaphore de la remise en cause des valeurs de confort proposées par la société urbaine bourgeoise occidentale. La pratique du voilier habitable en croisière serait alors à classer parmi les pratiques alternatives. Le voilier, conçu par les architectes et habité par les plaisanciers, discute les normes de confort. C’est dans l’action et dans le corps à corps avec le voilier et ses objets que les plaisanciers éprouvent un sentiment de dépaysement propre aux abris de loisirs.

    Notes de bas de page

    1 Raveneau Gilles et Sirost Olivier, Texte de cadrage du colloque, Actes du colloque Anthropologie des abris de loisirs, Nanterre, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 25-27 octobre 2006.

    2 Charles Daniel, De l’histoire du yachting comme modèle fonctionnel du progrès, Thèse de doctorat d’Histoire, Université de La Rochelle, 2003.

    3 Poulain France et Poulain Elisabeth, L’Esprit du camping, Bron, Cheminements, 2005.

    4 Creac’h Cécile, Les Usages sociaux des voiliers : enjeux culturels des modes d’appropriation de la navigation, Thèse de Doctorat en Droit et Science sociales, Université de Nantes, 2003.

    5 Pelletier Marc, La Voile en habitable : « un » sport ? Étude comparée des entraînements d’hiver à La Trinité-sur-mer et au Crouesty, Mémoire de DEA de sociologie, Université de Nantes, 2003.

    6 Delisle Maryse, « Le tabou du lapin dans une communauté de pêcheurs de la région de Saint-Malo », in Anthropologie Maritime, Cahier n ° 3, 1988, 113-145 ; Houseman Mickaël, « Le tabou du lapin chez les marins. Une spéculation structurale », in Ethnologie française, n ° 20, 1990, p. 125-142.

    7 Thomé Philippe, Plaisances, Sans éditeur. Extrait d’un enseignement donné à l’Ecole d’Architecture de Nantes, 2001.

    8 Ibid.

    9 Fédération des Industries Nautiques (FIN), Enquête sur le parc français. Synthèse globale. Bateaux de plus et moins 6 mètres. s. l., s. ed., 2001.

    10 Laplantine François, La Description ethnographique, Paris, Nathan, 2002

    11 Julien Marie-Pierre et Rosselin Céline, La Culture matérielle, Paris, La Découverte, 2005.

    12 Warnier Jean-Pierre, Construire la culture matérielle. L’homme qui pensait avec ses doigts, Paris, PUF, 2005.

    13 Raveneau Gilles et Sirost Olivier, Texte de cadrage du colloque, Actes du colloque Anthropologie des abris de loisirs, Nanterre, Université de Paris Ouest Nanterre La défense, 25-27 octobre 2006.

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    • Stéphanie Brulé-Josso
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    1 Raveneau Gilles et Sirost Olivier, Texte de cadrage du colloque, Actes du colloque Anthropologie des abris de loisirs, Nanterre, Université de Paris Ouest Nanterre La Défense, 25-27 octobre 2006.

    2 Charles Daniel, De l’histoire du yachting comme modèle fonctionnel du progrès, Thèse de doctorat d’Histoire, Université de La Rochelle, 2003.

    3 Poulain France et Poulain Elisabeth, L’Esprit du camping, Bron, Cheminements, 2005.

    4 Creac’h Cécile, Les Usages sociaux des voiliers : enjeux culturels des modes d’appropriation de la navigation, Thèse de Doctorat en Droit et Science sociales, Université de Nantes, 2003.

    5 Pelletier Marc, La Voile en habitable : « un » sport ? Étude comparée des entraînements d’hiver à La Trinité-sur-mer et au Crouesty, Mémoire de DEA de sociologie, Université de Nantes, 2003.

    6 Delisle Maryse, « Le tabou du lapin dans une communauté de pêcheurs de la région de Saint-Malo », in Anthropologie Maritime, Cahier n ° 3, 1988, 113-145 ; Houseman Mickaël, « Le tabou du lapin chez les marins. Une spéculation structurale », in Ethnologie française, n ° 20, 1990, p. 125-142.

    7 Thomé Philippe, Plaisances, Sans éditeur. Extrait d’un enseignement donné à l’Ecole d’Architecture de Nantes, 2001.

    8 Ibid.

    9 Fédération des Industries Nautiques (FIN), Enquête sur le parc français. Synthèse globale. Bateaux de plus et moins 6 mètres. s. l., s. ed., 2001.

    10 Laplantine François, La Description ethnographique, Paris, Nathan, 2002

    11 Julien Marie-Pierre et Rosselin Céline, La Culture matérielle, Paris, La Découverte, 2005.

    12 Warnier Jean-Pierre, Construire la culture matérielle. L’homme qui pensait avec ses doigts, Paris, PUF, 2005.

    13 Raveneau Gilles et Sirost Olivier, Texte de cadrage du colloque, Actes du colloque Anthropologie des abris de loisirs, Nanterre, Université de Paris Ouest Nanterre La défense, 25-27 octobre 2006.

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    Ce livre est cité par

    • Machemehl, Charly. Sirost, Olivier. Roult, Romain. (2017) The concept of ‘dwelling’ through leisure sport / L’habiter par les loisirs sportifs. Leisure/Loisir, 41. DOI: 10.1080/14927713.2017.1339998
    • Griffet, Jean. (2017) Habiter la mer. Leisure/Loisir, 41. DOI: 10.1080/14927713.2017.1336937
    • Sirost, Olivier. (2017) L’avènement du camping en France (1900-1970) : essai de généalogie de l’habitat de plein air. Leisure/Loisir, 41. DOI: 10.1080/14927713.2017.1338533
    • Andrieu, Bernard. Richard, Guillaume. (2013) Quelle expérience corporelle en STAPS ?. Staps, n°98. DOI: 10.3917/sta.098.0007
    • Féménias, Damien. Évrard, Barbara. Sirost, Olivier. (2011) Les loisirs sportifs dans l’estuaire de la Seine : natures périurbaines et cadre de vie. Loisir et Société / Society and Leisure, 34. DOI: 10.1080/07053436.2011.10707817

    Ce chapitre est cité par

    • Brulé-Josso, Stéphanie. (2012) Les plaisanciers et le vrai marin. Ethnologie française, Vol. 42. DOI: 10.3917/ethn.124.0733
    • Regnault, Madina. (2021) Vivre sur l’eau. Modes de vie mobiles : enquête ethnographique en milieu marin. Anthropologie et Sociétés, 44. DOI: 10.7202/1075680ar

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    Brulé-Josso, S. (2011). Le « confort inconfortable » du voilier de plaisance habitable, entre architectes navals et plaisanciers. In G. Raveneau & O. Sirost (éds.), Anthropologie des abris de loisirs (1‑). Presses universitaires de Paris Nanterre. https://doi.org/10.4000/books.pupo.3706
    Brulé-Josso, Stéphanie. « Le “confort inconfortable” du voilier de plaisance habitable, entre architectes navals et plaisanciers ». In Anthropologie des abris de loisirs, édité par Gilles Raveneau et Olivier Sirost. Nanterre: Presses universitaires de Paris Nanterre, 2011. https://doi.org/10.4000/books.pupo.3706.
    Brulé-Josso, Stéphanie. « Le “confort inconfortable” du voilier de plaisance habitable, entre architectes navals et plaisanciers ». Anthropologie des abris de loisirs, édité par Gilles Raveneau et Olivier Sirost, Presses universitaires de Paris Nanterre, 2011, https://doi.org/10.4000/books.pupo.3706.

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    Raveneau, G., & Sirost, O. (éds.). (2011). Anthropologie des abris de loisirs (1‑). Presses universitaires de Paris Nanterre. https://doi.org/10.4000/books.pupo.3681
    Raveneau, Gilles, et Olivier Sirost, éd. Anthropologie des abris de loisirs. Nanterre: Presses universitaires de Paris Nanterre, 2011. https://doi.org/10.4000/books.pupo.3681.
    Raveneau, Gilles, et Olivier Sirost, éditeurs. Anthropologie des abris de loisirs. Presses universitaires de Paris Nanterre, 2011, https://doi.org/10.4000/books.pupo.3681.
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