Extractivisme attentionnel
p. 173-174
Texte intégral
1L’extractivisme peut se définir comme une attitude caractérisée par trois cécités ; elle consiste à :
- réduire un environnement à ce qui nous en apparaît comme constituant une ressource pour nos pratiques intéressées actuelles ;
- à exploiter ces ressources sans se soucier de leur renouvellement ;
- à exploiter ces ressources sans se soucier des conséquences plus lointaines (dans l’espace ou le temps) de cette exploitation.
2Typiquement, le capitalisme fossile :
- a réduit des régions entières à n’être que des mines de charbon et des puits de pétrole ;
- a extrait ces ressources à un rythme infiniment plus rapide que celui qui leur aurait permis de se renouveler, conduisant ainsi fatalement à l’épuisement de ces ressources à relativement court terme ;
- continue à consommer ces ressources énergétiques sans se soucier (suffisamment) de l’émission de gaz à effet de serre que cause leur consommation et qui menace de rendre inhabitables des régions entières de la planète en conséquence du changement climatique.
3 Outre le fait que les appareils électroniques sur lesquels reposent nos communications numériques poursuivent dans la voie d’un consumérisme écocidaire, le capitalisme de plateforme surajoute une couche d’extractivisme attentionnel à cette première couche d’extractivisme biophysique. La marchandisation de l’attention – qui avait commencé de façon marginale vers 1830 lorsque quelques propriétaires de journaux ont eu l’idée de vendre leur quotidien à moitié des coûts de production pour faire payer l’autre moitié par des annonceurs auxquels ils vendaient de fait l’attention de leurs lecteurs et lectrices – est devenue aujourd’hui le mode de financement prévalent dans nos systèmes de communication.
4Dès lors que les médias de toutes sortes (presse, radio, télévision, médias sociaux) tirent l’essentiel de leurs revenus de la vente de l’attention de leurs utilisateur·rices, ils sont poussés à recourir à tous les moyens possibles (de « captologie ») pour attirer, retenir et monétariser les quantités d’attention qu’ils parviendront à extraire de leur audience. Ici aussi, ils commencent par :
- réduire l’attention humaine à une ressource commercialisable, ils s’affairent pour l’extraire en quantité maximale,
- sans se soucier de ses capacités de renouvellement (d’où les effets d’épuisement psychique fréquemment déplorés aujourd’hui),
- sans se préoccuper des conséquences sociales de cette extraction, avec pour résultat des agendas médiatiques biaisés en faveur de certains événements-chocs (terrorisme, frasque de stars) aux dépens des problèmes incomparablement plus importants (sociaux, écologiques), dont la confrontation est sans cesse repoussée à une date ultérieure.
5Cet extractivisme attentionnel quasi ubiquitaire constitue un angle mort central de nos discours sur l’écologie, la politique, la vérité, l’avenir.
Bibliographie
Références
Citton, Y. (2014). Pour une écologie de l’attention. Le Seuil.
Wu, T. (2016). The Attention Merchants. Alfred Knopf.
Auteur
-
Yves Citton
Étudie et enseigne la littérature et les media à l’université Paris 8. Il co-dirige la revue Multitudes et a publié Médiarchie (2017), Pour une écologie de l’attention (2014), Zazirocratie (2011). Ses articles sont accessibles en ligne sur www.yvescitton.net.
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