URL originale : https://books.openedition.org/pupo/36734

Dronification
p. 134-135
Texte intégral
1Le cas particulier des drones militaires manifeste une logique d’expérience et d’action qui dépasse considérablement le seul domaine militaire des armements. Il faut y voir une tendance générale à la dronification qui reste largement un angle mort de nos débats sur le numérique. Les drones militaires ne peuvent voler, surveiller, transmettre et recevoir des données – et finalement assassiner des corps humains – que s’ils sont constamment soutenus en l’air, non seulement par des carburants fossiles, mais tout autant par des millions de capteurs, de serveurs, d’algorithmes moulinant 24 h/24 et 7 j/7 pour entretenir un mixte de « sensibilité mondaine » et de « computation à l’échelle planétaire », mixte dont toute notre logistique existentielle se trouve aujourd’hui dépendre. La dronification illustre en réalité notre vie dans et par les réseaux numériques – ces réseaux qui la moni-torent, l’accompagnent, la facilitent, l’alimentent en informations, l’anticipent et la préemptent, sur la base d’un fond sous-jacent d’informatisation auquel nous ne prêtons pas davantage attention qu’à l’air que nous respirons, mais qui est devenu non moins nécessaire que lui à notre existence.
2Mark Andrejevic décrit cette logique de dronification par quatre traits, qui se retrouvent aujourd’hui un peu partout dans nos vies, bien loin des terrains de guerre – si ce n’est que la logique du drone pourrait avoir pour effet de transformer tout champ social en un champ de bataille. Le drone armé :
- « étend, multiplie et automatise le travail opéré par nos sens et par nos différents capteurs sensoriels ;
- sature le temps et l’espace au sein desquels ce travail de sensibilité est exécuté (des villes entières peuvent être photographiées 24 h/24) ;
- automatise le processus d’interprétation de signification ;
- automatise la réponse » (Andrejevic, 2015).
- Un dernier trait caractérise la dronification par le fait que s’y accentue une déconnexion entre l’action opérée (à distance) et la situation effective et affective de l’opérateur humain (la ou le militaire bombarde un village afghan à 17 h 32 avant de venir embrasser ses enfants de retour dans son pavillon de banlieue à 18 h 05).
3Davantage encore qu’un angle mort de l’automation numérique, la dronification en est l’angle de mort.
Bibliographie
Référence
Andrejevic, M. (2015). « The Droning of Experience », FibreCultureJournal, 187 (25). Andrejevic, M. (2020). Automated Media, Routledge.
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Angles morts du numérique ubiquitaire
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