Communs
p. 71-72
Texte intégral
1Malgré tous les discours qui les entourent, les communs restent encore l’un des principaux angles morts de nos calculs économiques lorsqu’il s’agit d’évaluer où vont et d’où proviennent les véritables richesses qui circulent sur Internet. Même si les modélisations des comportements individuels, interindividuels et en essaims ont beaucoup progressé, les modes de constitution et de renouvellement de ce qui constitue un « commun » (langue, confiance, protection sociale) restent encore largement inexplorés par nos usages de la computation.
2Les réflexions récentes d’Emmanuel Bonnet, Diego Landivar et Alexandre Monnin sur les « communs négatifs » invitent par ailleurs à se demander dans quelle mesure les discours « de gauche » sur les bienfaits d’Internet comme lieu de partage gratuit des connaissances méritent d’être réévalués à la lumière des nuisances (environnementales, mentales, organisationnelles) qu’Internet laissera en héritage aux générations à venir. Les communs négatifs, dans leur définition, sont des infrastructures qui nourrissent nos vies (et dont nous sommes donc dépendant·es), en même temps qu’elles pourrissent nos milieux de vie. L’exemple emblématique en est une centrale nucléaire, qui nous alimente en électricité tout en produisant des déchets radioactifs dont les menaces viendront hanter les générations à venir. On ne peut pas simplement « fermer » (abolir, dynamiter, oublier) un commun négatif comme une centrale nucléaire : il faut le démanteler, prudemment, patiemment.
3 On peut se demander s’il n’en va pas de même de certains dispositifs numériques qui, simultanément, nourissent nos attentions et pourrissent nos milieux attentionnels – du fait des surcharges informationnelles dont ils nous accablent ou du fait des ouragans affectifs auxquels ils donnent lieu. Les communs négatifs pourraient bien être l’angle mort des discours utopistes tenus sur les communs au début d’Internet – de même que les évidents bienfaits (communs parce que communicationnels) d’Internet constituent l’angle mort de nombre de discours unilatéralement dystopiques tenus aujourd’hui sur le numérique.
Bibliographie
Références
Aigrain, P. (2005). Cause commune. L’information entre bien commun et propriété. Fayard.
Bonnet, E., Landivar, D., Monnin, A. (2021). Héritage et fermeture. Pour une écologie du démantèlement. Éditions Divergences.
Casilli, A. (2019). En attendant les robots. Le Seuil.
Quessada, D. (2011). « Du commun au comme-un », Multitudes, 56.
Auteur
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Yves Citton
Étudie et enseigne la littérature et les media à l’université Paris 8. Il co-dirige la revue Multitudes et a publié Médiarchie (2017), Pour une écologie de l’attention (2014), Zazirocratie (2011). Ses articles sont accessibles en ligne sur www.yvescitton.net.
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