Carrière(s) es-sexualité
p. 57-73
Texte intégral
À mon avis, Foucault ne tente pas de réduire le corps à ce qu’on croit qu’il est. Le corps est pour lui un insaisissable qui fait discourir. C’est toujours un effet de discours, un semblant de corps. Donc tour à tour un secret postulé et un secret produit. On a chez Foucault une théorie du corps comme condition illisible des fictions, et une théorie des fictions de corps. Reste, après ces théories, à se demander pourquoi ces fictions se produisent – question qui a également habité Freud et Nietzsche1.
1La sexualité, de ses mises en pratiques directes et indirectes à ses représentations, ne serait-elle pas devenue ce nouvel objet non-identifié qu’était autrefois le corps pour Marcel Mauss2, un objet propice aux batailles rangées du sérail académique ? Contrefaire la citation de Michel de Certeau placée en exergue en remplaçant le mot « corps » par le mot « sexualité » permet une mesure du vertige. Ce chapitre3 en espérant éviter les pièges de la justification et en se fondant pourtant en partie sur mon itinéraire dans la recherche, se veut un éclairage sur différentes approches de la sexualité, et sur les inscriptions que ces approches encouragent, facilitent ou empêchent. L’objet sexualité a encore peu produit de sédimentations conceptuelles communément admises, en dépit de l’augmentation quantitative des travaux qui lui sont consacrés depuis le sida. Or c’est bien dans cette relative (et parfois apparente) absence de prêt-à-penser institutionnalisé que la sexualité dessine et entrecroise des possibilités tant individuelles que collectives de carrière.
2Ce chapitre outre décrire un parcours à rebondissements, entremêle des descriptions de mon évolution dans différents champs de rattachement possibles de la sexualité, avec des questionnements de tendances collectives dans le traitement et l’acceptation de cet objet par-delà mon cas particulier. Avare en données ethnographiques issues de mes recherches in situ, il vise in fine un repositionnement et marque un temps de pause personnelle dans la pratique du terrain. Le début de recul que mes collègues et moi-même commençons à acquérir depuis le renouveau des travaux sur la sexualité dans les années 1980 est vu comme une « occasion » de redéfinir ma manière d’appréhender cet objet. Ce début de recul suppose que nombre des pistes proposées, d’autres restant forcloses, gardent un caractère intuitif.
Liaisons et ruptures disciplinaires : lire ou écouter ?
3Ma formation n’a pas été linéaire mais elle est significative de la difficulté à cerner l’objet sexualité qui, lui, m’occupe de longue date. C’est en licence d’histoire que j’ai formé le projet de m’y intéresser. Nous étions au tout début des années 1990 et, à Paris, les visages émaciés et les jambes maigres des jeunes hommes atteints du VIH, virus pour lequel la médecine n’avait alors aucune parade réellement opérante, ont sensiblement marqué mon imaginaire. Ce ne sont pas tant les morts qui m’ont frappée que la présence spectaculaire et quotidienne dans la ville et dans ses cénacles d’esprits vigoureux et de corps affaiblis. C’était la sexualité qui, indirectement – et tout particulièrement pour qui était familier des espaces politiques et de sociabilité gais –, tout à la fois aiguisait leur sens critique et les tuait à petit feu. Par delà le sida, la métaphore d’une sexualité toujours ambiguë et aux conséquences tentaculaires trouvait à s’exprimer – métaphore, réalités et causalités dans lesquelles je continue de situer l’intérêt de faire de la sexualité un objet pour la science sociale. Mais j’étais étudiante à la vieille Sorbonne, où les enseignants arrêtaient la possibilité d’une compréhension scientifique de l’histoire à la guerre froide et où la sexualité contemporaine n’était pas un objet légitime.
4C’est en histoire dite moderne4 que Jean-Pierre Poussou a accepté de diriger mon mémoire de maîtrise. J’avais souhaité qu’il porte sur les maladies vénériennes au xixe siècle à Paris et mon directeur m’a renvoyée sur les archives de l’assistance publique, en l’occurrence sur des registres d’entrée et de sortie de l’hôpital Saint-Louis de la première moitié des années 1800. Là, nouvelle déconvenue, davantage révélatrice de mon immaturité dans la compréhension de ce que pouvait être la discipline historique telle qu’enseignée à l’Université Paris-IV que d’une résistance de mes maîtres à adopter mon point de vue. Alors que je découvrais avec enthousiasme la lecture de Michel Foucault et que j’étais parallèlement dépitée que mes archives évoquent essentiellement des maladies dermatologiques, Jean-Pierre Poussou me mettait doublement en garde : contre les séductions faciles qu’opèrent sur des apprentis chercheurs des auteurs qui, selon lui, manquent de rigueur ; contre ma tentation de préférer le thème aux sources. Autrement dit, les archives de première main étaient centrales en histoire ; elles devaient dicter nos problématiques et la définition de nos objets d’étude, et non l’inverse. J’ai fini mon mémoire, mais j’en ai nourri une aversion momentanée à la fois pour les lieux de consultation des archives écrites, et pour une histoire qui s’en tient aux textes passés et classés. Par des tours et détours, j’en suis venue en 1994 à commencer un doctorat d’anthropologie sociale sur les déclarations de pratiques et d’identité bisexuelles et la gestion des risques VIH en Île-de-France.
5Que j’ai choisi, lors de ce doctorat soutenu fin 1999, d’aborder la sexualité via la plus contemporaine des maladies vénériennes peut s’interpréter après coup comme le symptôme de mon reste de rejet pour les sources de prédilection des historiens. Précisément, le sida, par sa nouveauté, ne faisait encore que très peu l’objet d’une accumulation archivistique ordonnée. Je pouvais me penser libérée des cartons poussiéreux et des vagues odeurs de moisissure, des salles silencieuses et des atmosphères confinées. Voire, en sur-interprétant cette fois, peut-être espérais-je pouvoir me passer des sources écrites ? Ce n’est qu’au milieu de la première décennie des années 2000, et encore grâce à une opportunité rare5, que je prenais à nouveau la peine de recueillir des sources écrites de première main et que j’en mesurais a posteriori à la fois la richesse et la pertinence méthodologique. Certes, et là sans discontinuer, peut-être avais-je retenu de mon passage par l’histoire l’importance des sources uniques : même les mots que je n’ai cessé d’entendre ou d’enregistrer depuis mon DEA de sciences sociales à l’ENS en 1994, les gestes que j’ai vus, étaient inédits. Mais de même que la nouveauté du sida peut se comprendre comme une condition excusatoire de l’oubli des archives écrites, ce goût pour la consignation de traces inédites et volatiles était sans doute aussi la conséquence d’un sentiment d’urgence avant que la mort ne frappe les esprits vifs dans les corps faibles. En effet, le recours à la « première main » – qui se fait archive puisqu’elle est forcément unique (à la différence des sources, l’incluant) –, a été fréquente dans les premiers travaux sur la sexualité conduits après l’apparition du VIH. Le spicilège de cette archive-là, orale ou imagière mais transformée en écrit par les chercheurs eux-mêmes, répondait probablement à une intuition de devoir de constituer la mémoire de vies éphémères. Ce sentiment de devoir, tant émotionnel que circonstanciel, doit aujourd’hui pouvoir être analysé pour ses répercussions : quels sont les effets de la préférence pour une méthode qui part des individus sur la construction et la compréhension de l’objet sexualité ? J’y reviendrai en fin de chapitre. Et comment l’expression d’un dû des chercheurs vis-à-vis des séropositifs a rendu certains travaux suspects d’être pris dans le maelstrom de l’urgence, du militantisme et de la sidération ?
Liaisons dangereuses et manne financière : sexualité et VIH
6Après ma maîtrise, le VIH a presque toujours constitué la toile de fond de mes travaux. Et c’est bel et bien l’épidémie de sida qui explique le renouveau des travaux sur la sexualité en sciences sociales, et leur visibilité accrue. L’existence de financements abondants liés à des préoccupations de santé publique et au sentiment d’urgence crée une situation paradoxale pour certains des travaux sur la sexualité – j’évoque ici tout particulièrement les travaux, nombreux, pour lesquels la gestion des risques sanitaires a pu être un questionnement effectif mais non exclusif6 : encore souvent regardés de travers par l’institution académique, ils bénéficient pourtant de soutiens fréquents, sous forme de bourses, de post-doctorats7, etc, de sorte que les chercheurs qui les conduisent peuvent se maintenir dans la recherche et voir leur nom recensé dans les équipes d’accueil (EA) ou les unités mixtes de recherche (UMR), alors même qu’ils n’obtiennent que rarement des postes de titulaires, ou alors passée la quarantaine. Dans la tension fréquente entre exclusion du système officiel et inclusion via des financements renouvelés, voire justification et valorisation dans « l’entresoi » des chercheurs « déviants », on est tenté de prendre le terme de « carrière » à la fois dans le sens qui est le sien en sociologie du travail, et dans l’acception que lui donne Howard S. Becker dans Outsiders8. De facto, il m’a fallu attendre dix ans entre l’obtention de mon doctorat et ma titularisation sur un poste de sociologie et anthropologie urbaines à l’École nationale supérieure d’architecture de Paris-Val-de-Seine – et encore, dois-je ce poste au recentrage de mes travaux sur la sexualité autour des champs de l’urbain et de l’espace ; j’en reparlerai. Se pose alors la question de ce que font des objets nouveaux (le sida), ou les renouveaux qu’ils produisent sur des objets plus anciens (la sexualité), sur les disciplines qui les traitent et les carrières qu’ils permettent. Or par certains aspects, le VIH a produit davantage qu’un renouveau des travaux sur la sexualité : si ce n’est une césure d’avec ce qu’étaient la sociologie et l’anthropologie dans leur ensemble, en tout cas un engouement relativement massif et souvent tardif pour ces disciplines. À l’exception de quelques personnes qui étaient déjà sociologues ou anthropologues avant son apparition et qui ont redirigé leur carrière vers ce nouvel objet – pensons à Patrice Pinell, Michael Pollak, Brigitte Lhomond, André Béjin ou, en psychosociologie, Alain Giami9 –, il a créé de toutes pièces des vocations pour ces disciplines et, conséquemment, a conduit ses nouveaux adeptes – dont je faisais partie puisque j’ai quitté l’histoire – à sauter des étapes. Cette sorte de frénésie inaugurale – couplée à la controverse toujours irrésolue de la spécificité des biais lorsque des liens sont supposés voire déclarés entre engagement personnel et prétention scientifique10 – doit incontestablement expliquer une partie des méfiances venues du corps des sociologues ou des anthropologues anciennement établis face à cette rupture générationnelle. Elle s’est parfois manifestée par une connaissance partielle et instrumentaliste des grandes théories par beaucoup des nouveaux arrivants, du moins à leurs débuts, mais elle s’est aussi traduite par une traque de leur moindre faille par les sceptiques.
7Il est un autre effet de renforcement de l’exclusion institutionnelle lié à l’existence d’une manne financière pour qui, ayant la sexualité pour objet, l’aborde par l’angle de la santé (ou, plus généralement, pour qui, ayant un objet peu légitime, l’appréhende à l’aune d’une perspective qui crée des sentiments de nécessité ou d’utilité immédiate) : comme mes collègues es-sexualité et moi-même sommes payés pour faire de la recherche (certes pour des périodes ne dépassant que rarement les trois années consécutives, mais avec des salaires parfois équivalents ou supérieurs à ceux des maîtres de conférence en début de carrière), passer les concours de l’enseignement supérieur ou de la recherche n’est pas toujours inscrit comme un impératif dans nos agendas. Du moins, est-ce la logique dans laquelle je me suis longtemps laissé glisser. Outre l’illusion de liberté, je pourrais alors évoquer les dangers d’une double réassurance : par la succession des contrats, celle, bien fragile avec le vieillissement et l’usure des semelles, de continuer à être « choisie » ; par le tissage de liens d’amitié forts et l’existence d’espaces informels de discussions vives avec des « coreligionnaires » hors-les-murs, celle, naïve et trompeuse, de constituer une sorte d’élite injustement incomprise. Cette morgue, tellement imbriquée à la classique inversion du stigmate chère à Erving Goffman11, a pour effet que, lorsqu’il lui prend de postuler aux concours, « l’armée des sans grades » peut faire peur : trop de temps passé à se maintenir coûte que coûte dans la recherche après le doctorat, trop de publications souvent, d’interventions, d’activités ; les convocations aux auditions ou les classements à ces auditions sont rares quand les curriculum vitae sont dits « argentins », c’est-à-dire d’une longueur suspecte12. La méfiance est renforcée par des adhésions militantes supposées et présumées absolues : Act Up-Paris ou Aides ont pour père fondateur le célèbre auteur de L’histoire de la sexualité, mais ont aussi vu s’asseoir à leurs meetings, notamment lors des réunions hebdomadaires du mardi à l’École des Beaux-Arts, nombre de ceux qui deviendraient ensuite chercheurs es-sida.
Liaisons solubles et acceptations de l’objet sexualité
8Les deux associations qui viennent d’être citées ont pour raison d’être la lutte contre le VIH. Elles peuvent donc servir des questionnements qui, ayant la sexualité pour objet, portent sur la santé. Leur observation favorise également des problématiques qui associent la sexualité au politique : Act Up s’y prête singulièrement qui, lors de sa création, présentait un sens de la performance inédit en France. Mais les liens entre recherche et activisme demeurent ambigües. L’étude d’une structure militante unique – ou l’observation de plusieurs associations mais ayant une raison commune – continue de rendre le chercheur qui la mène suspect d’une adhésion au propos idéologique de la structure. En sociologie des mobilisations, l’attention portée à plusieurs organisations militantes aux objets politiques différents peut faire tomber les soupçons : pensons aux travaux d’Olivier Fillieule13. Il a travaillé sur les deux plus grosses associations françaises de lutte contre le sida, mais aussi sur des associations altermondialistes, des partis populistes suisses, etc. Il est aujourd’hui directeur de recherche au CNRS et professeur à l’Université de Lausanne ; il connaît donc, au regard de son âge, une carrière exemplaire. En dépit du constat que son nom revient souvent dans les bibliographies de travaux portant sur la sexualité et le VIH, ces derniers ont été pour lui des objets périphériques et ponctuels. À l’inverse, Christophe Broqua, qui a aussi travaillé à Paris sur Act Up et sur Aides14, puis à Bamako, Abidjan et Dakar sur les mobilisations liées au sida et à la sexualité des hommes entre eux, a dû attendre 2018 et la cinquantaine pour avoir un poste de chargé de recherche au CNRS, alors même que la qualité de ses publications est reconnue depuis près de vingt ans. Multiplier les aires géographiques ne semble pas suffire à lever les doutes, du moins quand les mobilisations observées ont un objectif unique et alors que l’homosexualité masculine est suspectée n’intéresser que ceux qui « en sont », renforçant les craintes qu’engagement personnel et intérêts scientifiques se télescopent. Pourtant, comme l’écrit Christophe Broqua, « on ne décide pas seul de la distance à l’objet15 », et des comptes sont à rendre quant à cette distance aussi bien aux militants qu’aux collègues, plaçant le chercheur au centre d’un trio où ne cesse de se discuter la définition de la juste place. Entré plus récemment dans l’arène, David Paternotte fait également d’abord porter ses travaux sur les mobilisations gays en Europe16, avant d’élargir ses questionnements à la mondialisation et l’ONGisation du militantisme, notamment autour du féminisme et du genre. Le sida ne fait que peu partie de ses préoccupations scientifiques et il a récemment obtenu un poste de professeur assistant à l’Université Libre de Bruxelles. À noter que David Paternotte, comme avant lui Olivier Fillieule, est docteur en sciences politiques et non en sociologie ou en anthropologie. Or certaines disciplines proches des sciences sociales ont peut-être mieux accepté, et depuis plus longtemps, les travaux sur la sexualité. À titre d’exemple, Thémis Apostolidis17, qui a soutenu un doctorat de psychologie-sociale sur la sexualité des jeunes et le sida, trouvait rapidement un poste de chargé de recherche à l’INSERM après sa thèse. L’écart entre le nombre de postes de titulaire et le nombre de candidats est en outre moins élevé en psychosociologie qu’en sociologie et, a fortiori, en anthropologie.
9Mais insistons encore sur les soupçons de trop grande proximité à l’objet qui peuvent peser sur des chercheurs travaillant sur la sexualité à certains moments de leur carrière. On ne m’a jamais, à ma connaissance, reproché de m’intéresser à la prostitution parce que j’en connaitrais dans ma chair les tenants et les aboutissants18 ; je ne me suis jamais ni expliquée ni justifiée à ce propos, sauf de rares fois auprès de personnes proposant des services sexuels, lorsqu’elles affirmaient qu’à ne pas « le faire19 » je ne pouvais pas comprendre. C’est lors de cette recherche postdoctorale que j’ai commencé à m’intéresser concrètement au corps, certes un corps d’exception, et aux espaces publics, donc à une branche de la sociologie urbaine. C’est encore à partir de cette époque que j’ai été sollicitée dans des cercles institutionnels qui dépassaient ceux du Laboratoire d’anthropologie sociale où j’avais fait mon doctorat20. Cette conjonction de changement n’est pas le seul fruit d’une plus grande maturité de ma part face aux rouages de la recherche. Y aurait-il alors une hiérarchie dans les angles d’approche susceptibles de couvrir la sexualité et de permettre sa construction en objet légitime ? La socio-anthropologie urbaine et du corps ne sont pas ou plus suspectes de nourrir des connivences inappropriées entre recherche et militantisme, comme ce peut être le cas de la socio-anthropologie des mobilisations ou de minorités dont on estime, à tort ou à raison, qu’elles peuvent personnellement concerner des chercheurs et détériorer leurs capacités d’objectivation. Mais comment expliquer que la socio-anthropologie de la santé, qui bénéficie pourtant d’une reconnaissance forte et d’une histoire longue, ne soit pas apte à procéder au même tour de passe-passe que la sociologie ou l’anthropologie urbaine21 dès lors que la sexualité non seulement s’en mêle mais prétend jouer le premier rôle ? Encore faut-il découper le champ de la santé : le VIH n’est pas le cancer ou la boulimie ; il faut observer ses effets au regard de la nouveauté, de l’urgence et des ruptures générationnelles qu’il a représenté avant l’arrivée des thérapies antirétrovirales. Par contraste avec la prostitution, mes questionnements, les questionnements de collègues et ceux d’enquêtés ont été nombreux quant à ma proximité au groupe lorsque j’étudiais la bisexualité dans une volonté non exclusive de comprendre la gestion des risques VIH. Par ailleurs, pendant toute une première partie de ma carrière, les titres de mes publications ou de mes interventions publiques portaient explicitement la trace de mon intérêt pour les minorités sexuelles et pour le sida22. Cette exposition immédiate de mes objets d’étude pouvait constituer un obstacle pour qui se montrait dubitatif quant à leur pertinence. Car si la sexualité entretient des liaisons dangereuses avec la santé, si elle semble à l’inverse soluble dans d’autres domaines anciennement établis des sciences sociales23, elle peine toujours à se constituer comme champ autonome et autoréférentiel24. Ce qui n’est pas dire que des constantes ne soient pas repérables dans son traitement, par exemple la préférence pour une approche qui part des individus plutôt que des structures. Or ces constantes sont sans doute d’autant plus labiles au premier abord que, tout à la fois, en dépit et avec la manne financière évoquée au paragraphe précédent, en dépit et avec des champs de rattachement plus ou moins propices à permettre l’éclosion de carrières es-sexualité, les petits travaux ont été nombreux sans pour autant produire la reconnaissance d’une sédimentation conceptuelle qui les fassent discuter dans les plus hautes sphères du sérail sociologique ou anthropologique.
Les impensés de l’attention aux individus
10Quel que soit l’angle par lequel j’ai tourné autour de la sexualité (la santé, la déviance, l’urbain), tout concourait à me renvoyer vers l’interactionnisme. Cette filiation est partagée avec le plus gros du bataillon des chercheurs qui s’est découvert un goût pour la sociologie qualitative ou l’anthropologie impulsé par la plus contemporaine des maladies vénériennes. Un dépouillement que j’ai réalisé fin 2011 des seuls travaux publiés en français sur la sexualité et le VIH à la documentation du Centre régional d’intervention et de prévention du sida de Paris en atteste. Quel retour réflexif proposer à cet engouement ?
11Dans les années 1960, la bataille des fonctionnalistes contre les interactionnistes était surtout une bataille présente au sein de la sociologie américaine. Coïncidence des dates ou, plus probablement, contexte propice, Jean-Michel Chapoulie contribue à faire connaître en France cette école de pensée sociologique à peu près en même temps qu’un nouveau virus mortel se propage. Progressivement et sous l’influence de cette tradition, le terrain explose, ou ré-explose, non seulement autour du sida ou de la sexualité. Mais parce que les premières recherches sur la sexualité conduites dans le nouveau contexte épidémique portent, en Europe et en Amérique du Nord, sur les minorités sexuelles, les interactionnistes sont d’autant plus appréciés que certains ont travaillé sur la déviance. Le lien peut devenir encore plus serré que la plupart des enquêtes sur les minorités sexuelles ont été conduites en ville et que l’Université de Chicago est vue comme ayant fondé puis renforcé la sociologie urbaine. Or que préconise l’approche interactionniste, en rupture avec d’autres traditions anciennement installées, si ce n’est de rendre sa place au sujet25 ? Dès lors : en quoi l’attention au sujet s’inscrit-elle dans des contextes idéologiques dépassant des questions de sexualité et de santé ? Et, avec plus d’audace : le néolibéralisme comme marché s’articule-t-il à la subjectivation comme philosophie ? Si tel est le cas, des conditions particulières sont-elles réunies dans les travaux sur la sexualité et le sida qui renforcent un modèle économique et social global ? Ai-je été, suis-je, un agent de ce néolibéralisme ? Tout dépend bien sûr de la définition retenue. Celle de Michel Foucault dans Naissance de la biopolitique26 me guide, reprise par des post-foucaldiens anglo-saxons qui ont écrit sur la santé. Pour eux, il y a dans le néolibéralisme une diffusion de la raison économique à l’ensemble du corps social. Pour étendre son aire d’influence, il requiert la complicité invisible de l’ensemble des agents, physiques, moraux, intellectuels et institutionnels, dont les gouvernements. Alors que le libéralisme se cantonnait à être une doctrine économique, le néolibéralisme annexe le social, le politique et il implique toute la société.
12Le concept de « responsabilité individuelle » est central pour comprendre les facteurs de son émergence. Un lien fort s’esquisse alors entre le néolibéralisme de marché et les processus sociaux (et méthodologiques) d’individuation : le premier a besoin des seconds pour créer des connivences globales, volontaires ou non, comme le montrent Christian Laval et Olivier Dardot27. D’où mon hypothèse que les chercheurs, lorsqu’ils remettent au goût du jour les interactionnistes, participent aussi d’un dispositif qu’à certains égards ils ne maîtrisent pas, qu’en tout cas j’ai mis du temps à saisir concernant mes propres travaux. Mais allons plus loin : voyons comment le profil des personnes séropositives et des associations qui les ont soutenues ont non seulement favorisé une adhésion silencieuse au néolibéralisme mais, davantage encore, ont produit un certain aveuglement des chercheurs, dont j’ai fait partie, qui se sont engouffrés dans une méthodologie faisant implicitement écho à une idéologie. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de nier les apports d’une sociologie ou d’une anthropologie qui part des sujets et de l’observation des relations interindividuelles, mais de comprendre leurs impensés et leurs effets pervers. Car si mon potentiel de complicité avec des visées néolibérales m’apparaît aujourd’hui avec plus de clarté, ce n’est pas dire qu’un autre modèle vienne se substituer, qui me satisfasse pleinement – Michel Foucault lui-même, observant la mise en place d’un dispositif néolibéral, semblait y adhérer à la fin de sa vie. Mais réalisant ce dans quoi j’ai été prise, je vis des temps de doute, alors que vingt ans auparavant, un sentiment d’urgence face au VIH m’incitait au terrain plutôt qu’à l’épistémologie.
13J’ai déjà dit combien les corps amaigris et les esprits forts des malades du sida des années 1980 et de la première moitié des années 1990 ont sidéré des apprentis chercheurs et créé des vocations pour les sciences sociales. Cette sidération, fondée sur la présence de personnages usés mais remarquables au sein des associations de lutte contre le VIH et dans la sphère publique, a eu pour première conséquence que le regard s’est porté sur eux plutôt qu’elle n’a encouragé l’observation de mécanismes et d’institutions de santé davantage surplombants. C’est aussi parce que dans les premiers temps de l’épidémie, les séropositifs apprennent quasiment au même rythme que les professionnels de santé qu’ils se sont approprié du pouvoir : le mystère initial qu’a représenté le virus explique que les premiers séropositifs aient d’emblée été responsabilisés, qu’ils soient devenus des collaborateurs de soin, voire des « patients éducateurs » pour reprendre Daniel Defert28, philosophe, sociologue et compagnon de Michel Foucault. Les séropositifs sont dès lors devenus, sans doute à leur corps défendant, les agents parfaits de processus de responsabilisation. Or la responsabilisation se transforme facilement en principe de culpabilisation et d’individuation de la santé. Quelles qu’aient été les bonnes intentions de départ et les acquis effectifs, les thèmes défendus par les associations de lutte contre le sida sont eux-mêmes pris dans le dispositif : la promotion de l’empowerment par des malades chroniques est aujourd’hui analysée par des chercheurs post-foucaldiens tels Rose Galvin29 comme ayant réalisé le passage d’une santé accessible à tous et garantie par les États à une santé due par les individus à leur société. Un encouragement involontaire au néolibéralisme peut également se lire dans les travaux qui portent sur le genre et les rapports sociaux de sexe : on retrouve de plus en plus souvent l’agency comme maître-mot des publications sur ces thèmes. Or comme l’empowerment, l’agency affirme un pouvoir d’agir des individus, que les systèmes de domination ne suffiraient jamais à totalement annihiler. Alors que je travaillais sur la prostitution de rue30, j’ai été attentive à rendre compte des capacités de négociation des personnes qui vendent des services sexuels, négociations entre elles, avec les associations, pour satisfaire, inverser ou instrumentaliser une image…
14J’ai choisi dans ce chapitre de ne pas m’attarder sur les gender studies, alors même que les travaux sur la sexualité peuvent y être associés. Mais comme le sida, le genre a créé ces vingt dernières années des vocations pour les sciences sociales et des formes de ruptures générationnelles au sein de l’académie. Reste alors à comprendre de manière plus complète de quel dispositif idéologique souterrain participent les nouveaux objets ou les nouvelles façons d’aborder des objets anciens. Par rapport au sida et dans les pays occidentaux, les années 2010 se situent dans un moment charnière : les thérapies antirétrovirales ont fait leurs preuves (réduction sensible du nombre de morts, maintien dans une santé correct de la plupart des séropositifs), mais pour autant aucun vaccin ou sérum n’a encore été mis sur le marché et les nouvelles contaminations vont bon train. Nous sommes sortis de l’urgence sans être dans la résolution du problème. Une fenêtre temporelle propice à une épistémologie engagée, les braises couvant encore, est à mon sens ouverte. Mais puisque le sida a permis un renouveau des travaux sur la sexualité, le début de recul sur le VIH entraine une mise à distance des écrits récents sur la sexualité, mise à distance que j’applique à mes propres recherches.
Le fait sexuel31
15Est-ce alors que je coupe la branche qui m’a nourrie ? Car j’encourage aujourd’hui à revenir à une manière d’aborder la sexualité qui serait peut-être advenue si le sida n’avait perturbé les choses. Plutôt, puisque des résistances existaient pour en faire un objet, il est temps de voir le sida non plus comme ayant créé une urgence, mais comme une condition qui fut peut-être nécessaire pour des travaux sur la sexualité qui, en le dépassant, gagnent en universalité.
16Un élément de terrain d’abord, prolongeant cette hypothèse du VIH comme condition de changements dans l’appréhension de la sexualité, qui détourne des questions de santé. John Gagnon32 a raison d’évoquer les biais de l’association de la sexualité aux risques, renforcés par le sida. Dans une réflexion commune avec Philippe Combessie, nous incitons à ce que ce constat ne nous empêche pas de voir que la gestion actuelle du virus porte aussi sui generis un éloignement de la peur de la contamination. Concrètement, un changement s’est opéré pour les femmes pluripartenaires sur lesquelles nous travaillons chacun de notre côté. Dans les années 1990 et sans doute depuis plus longtemps, des prostituées étaient parmi les rares femmes à identifier une valeur symbolique à la prévention indépendante des risques sanitaires : l’usage de préservatifs, outre éviter les maladies sexuellement transmissibles, met le client à distance de peau et éloigne les sentiments de souillure. Ce type d’instrumentalisation s’est répandu ensuite, chez des femmes développant de façon chronique des pratiques de pluripartenariat donc, sans doute aussi chez des hommes qui ont des pratiques homosexuelles : les protections peuvent être utilisées pour signifier sans le verbe que la relation sexuelle est sans lendemain, à tout le moins qu’un engagement affectif durable ne l’accompagne pas. Ainsi le sida – qui certes modifie le regard sur la sexualité dans les travaux pour lesquels il est un alibi – participe aujourd’hui aussi d’un processus de sexualité et de redéfinition des mœurs sexuelles qui surpassent une gestion des risques sanitaires. Son intendance transpire des hiérarchies implicites, sexuelles et sociales.
17Mais ce changement lent et subreptice dit peu de l’ouverture qu’à ce moment de ma carrière j’appelle de mes vœux. Le VIH a eu pour effet, dans les pays occidentaux, de favoriser les recherches sur les groupes les plus touchés par le virus, ou sur ceux représentés à tort ou à raison comme les vecteurs du passage de l’épidémie vers la population générale : les hommes homosexuels au premier chef et massivement ; les femmes, les transgenres et les hommes prostitués ; les personnes bisexuelles à la marge ; les personnes multipartenaires et notamment les femmes plus récemment ; les migrants venant de zones à forte prévalence. Différentes populations spectaculaires et que l’on isole souvent les unes des autres. Les travaux sur les personnes les plus fragilisées par l’épidémie sont justifiés en sociologie ou en anthropologie de la santé ; leur exclusivité est par contre handicapante si l’on veut augmenter nos savoirs sur la sexualité elle-même et consolider l’objet qu’elle peut représenter.
18L’ethnographie que j’ai conduite sur la prostitution de rue m’a incitée à m’intéresser à ce que les concepts de la sociologie urbaine et de l’anthropologie de l’espace modifiaient du regard sur la sexualité. Ma dernière observation des femmes multipartenaires continue de questionner le rapport à la ville et aux déplacements urbains. Je revisite également mes travaux passés à l’aune des systèmes de dettes et de contre-dettes33 qui se mettent en place autour d’une sexualité qui n’est pas toujours un but mais parfois le moyen d’une autre finalité sociale34. Ce faisant, je conseille aujourd’hui d’être attentif à ce qui rassemble dans la sexualité, quelles que soient les orientations sexuelles, les pratiques et les zones géoculturelles concernées. C’est ce à quoi encourageait Émile Durkheim35, trop oublié depuis le renouveau des travaux sur la sexualité, sans doute en raison de son conflit avec Max Weber36 à propos de la sociologie compréhensive, dont les interactionnistes se sont inspirés. C’est aussi ce que préconise Georges Balandier, lorsqu’il voit la sexualité comme un « phénomène social total », où « tout se joue et s’exprime » quelles que soient les sociétés37. Cette nouvelle direction n’entend ni faire table rase des recherches conduites depuis que le VIH est entré dans l’arène ni bannir une approche qui part des sujets. Elle oblige en revanche à les revisiter, pour que la sexualité ait une chance de se constituer en objet légitime de recherche. Elle oblige aussi à tenter de réarticuler entre elles des écoles de pensée de la sociologie et de l’anthropologie qui peuvent être moins antagonistes qu’il n’y paraît, susceptibles de se corriger l’une l’autre et de faire rempart, maigre rempart sans doute, à des collusions idéologiques parfois involontaires.
19Les temporalités sont une piste pour une conclusion provisoire. Elles sont multiples. Certaines concernent les rythmes sociaux et politiques par-delà les milieux académiques : sociologues ou anthropologues sont toujours aussi pris dans les paradigmes dominants d’une époque et d’un lieu. Pour en réduire les biais, ils ont alors à tenter une épistémé de la manière dont leur discipline s’inscrit dans un temps et un espace social qui les englobent : les questionnements précédents sur la confortation possible d’un modèle néolibéral compris dans une préférence pour certaines méthodes (l’ethnographie), certaines écoles de pensée (les interactionnistes) et certains concepts (l’agency) est un exemple parmi d’autres que les travaux sur la sexualité à la fois comprennent un potentiel de questionnement par-delà un objet, et sont le reflet d’allant-de-sois idéologiques contemporains – ils entrent peut-être dans la science sociale, sans certitude de spécificité. Une autre temporalité affecte les objets de recherche en particulier : les travaux les plus actuels sur la sexualité, notamment en Europe et Amérique du Nord, sont sortis de l’urgence des premiers temps du sida. Paradoxalement, bénéficiant moins de la manne financière que cette urgence avait libérée, ils sont pourtant mieux installés dans les universités et les laboratoires de recherche ; ils se sont parfois quasiment institutionnalisés, a minima normalisés, du moins pour les candidats au doctorat. La dernière temporalité touche les chercheurs eux-mêmes, dans la progression dans la carrière mais aussi en âge : difficile de dire si mon goût récent pour ce que je nomme le Fait sexuel n’est pas simplement l’écho conjoint de ma titularisation et de mon vieillissement. L’intérêt pour les montées en généralité et, surtout, pour la possibilité de l’abstraction – donc le reflux du terrain in situ et au plus près – s’observent en effet plus souvent chez les chercheurs « en poste » (ils n’ont plus nécessairement à répondre à une commande sociale précise pour vivre) et qui montent en âge comme on monte en grade (les capacités de théorisation étant davantage valorisées que les descriptions situées). Comme les anthropologues ou sociologues ayant commencé à travailler sur la sexualité dans les années 1980 et 1990 sont assez nombreux et commencent à être quarantenaires, voire cinquantenaires ou sexagénaires, il est à penser que leur vieillissement pourrait accompagner une montée en généralité autour de l’objet sexualité.
Bibliographie
Des DOI sont automatiquement ajoutés aux références bibliographiques par Bilbo, l’outil d’annotation bibliographique d’OpenEdition. Ces références bibliographiques peuvent être téléchargées dans les formats APA, Chicago et MLA.
Format
- APA
- Chicago
- MLA
Apostolidis Thémis, Penser le rapport au sexuel à l’époque du sida, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2001.
Balandier Georges, « Le sexuel et le social. Lecture anthropologique », in Cahiers internationaux de sociologie, vol. 76, 1984, p. 5-19.
Becker Howard S., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985.
10.3917/meta.becke.2020.01 :Bozon Michel, Sociologie de la sexualité, Paris, Armand Colin, 2013.
Broqua Christophe, « L’ethnographie comme engagement : enquêter en terrain militant », in Genèses, n° 75, 2009, p. 109-124.
10.3917/gen.075.0109 :Broqua Christophe et Deschamps Catherine (dir.), L’Échange économico-sexuel, Paris, Éditions de l’EHESS, 2014.
Broqua Christophe et Fillieule Olivier, Trajectoires d’engagement. AIDES et Act Up, Paris, Textuel, 2001.
Certeau Michel de, « L’histoire, une passion nouvelle », in Le Magazine littéraire, n° 123, 1977, p. 22-23.
Chapoulie Jean-Michel, « À propos de la tradition interactionniste », in Recherches qualitatives, vol. 30 (1), 2011, p. i-vi.
10.7202/1085476ar :Combessie Philippe, « Le partage de l’intimité sexuelle. Pistes pour une analyse du pluripartenariat au féminin », in Identités et genres de vie. Chroniques d’une autre France, Le Gall Didier (dir.), Paris, L’Harmattan, 2008, p. 261-290.
Dardot Olivier et Laval Christian, La Nouvelle Raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.
10.3917/dec.dardo.2010.01 :Defert Daniel, « Le malade réformateur », in SIDA 89, 1989, p. 14-17.
Deschamps Catherine, Le Sexe et l’argent des trottoirs, Paris, Hachette Littératures, 2006.
Deschamps Catherine, « Dits publics et écrits privés. Représentations, médiatisations et confidences sexuelles », in Sociologie et Sociétés, vol. XL (2), 2009, p. 131-146.
Deschamps Catherine, « Le sexe et l’argent : deux monstres sacrés ? », in Revue du MAUSS, n° 37, 2011 – éditions en ligne : http://www.revuedumauss.com.fr/media/P37.pdf
10.3917/rdm.037.0385 :Deschamps Catherine, Le Fait sexuel, HDR, Combessie Philippe (garant), université Paris Nanterre, 2012.
Devereux Georges, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion, 1980.
Durkheim émile, « Débat sur l’éducation sexuelle », in Bulletin de la Société française de philosophie, n° 11, 1911, p. 33-47.
Fillieule Olivier et Roux Patricia, Le Sexe du militantisme, Paris, Presses universitaires de Sciences Politiques, 2009.
10.3917/scpo.fille.2009.01 :Foucault Michel, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Éditions de l’EHESS/Gallimard/Seuil, 2004.
Gagnon John, Les Scripts de la sexualité. Essais sur les origines culturelles du désir, Paris, Payot, 2008.
Gaissad Laurent, Une forme notoire de sexualité secrète : chroniques territoriales du désir entre hommes du sud de la France, thèse de doctorat, TarriusAlain (dir.), université Toulouse Le Mirail, 2006.
Galvin Rose, « Disturbing Notions of Chronic Illness and Individual Responsability : Towards a Genealogy of Morals », in Health, vol. 6 (2), 2002, p. 107-137.
Goffman Erving, Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975.
Mauss Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1973 [1923-1924], p. 149-279.
Mauss Marcel, « Les techniques du corps », in Journal de psychologie, XXXII (3-4), 1936.
10.1522/cla.mam.tec :Paternotte David, Revendiquer le « mariage gay ». Belgique, France, Espagne, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2011.
Pinell Patrice (dir.), Une épidémie politique. La lutte contre le sida en France 1981-1996, Paris, PUF, 2002.
10.3917/puf.comit.2002.01 :Roux Sébastien, No money, no honey. Economies intimes du tourisme sexuel en Thaïlande, Paris, La Découverte, 2011.
10.3917/dec.rouxs.2011.01 :Schelsky Helmut, Sociologie de la sexualité, Paris, Gallimard, 1966 [1955].
Weber Max, Économie et Société, Paris, Pocket, 1995 [posthume 1921].
Notes de bas de page
1 Certeau Michel de, « L’histoire, une passion nouvelle », in Le Magazine littéraire, n° 123, 1977, p. 22-23.
2 Mauss Marcel, « Les techniques du corps », in Journal de psychologie, XXXII (3-4), 1936.
3 Tous mes remerciements à Christophe Broqua et Anne Monjaret pour leurs critiques de versions antérieures de ce chapitre. J’espère avoir fait bon usage de leurs conseils.
4 L’histoire moderne concerne les périodes qui vont de la découverte des Amériques à la révolution française. Elle mord parfois sur l’étude du xixe siècle, mais on parle en principe alors d’histoire contemporaine.
5 Voir Deschamps Catherine, « Dits publics et écrits privés. Représentations, médiatisations et confidences sexuelles », in Sociologie et Sociétés, vol. XL (2), 2009, p. 131-146.
6 Ces travaux ont pu s’intéresser à la sexualité de certains segments de la population sans que le statut sérologique des enquêtés ne soit un critère de sélection. Ils sont pour partie à distinguer des travaux qui concernent les personnes devenues séropositives suite à une exposition sexuelle. Dans le premier cas, la sexualité est l’objet, dans le second, c’est la séropositivité. Les chercheurs qui ont opté pour une approche qui part de la séropositivité ont a priori obtenu plus vite et plus fréquemment une titularisation. Quant à ceux qui ont travaillé sur le sida en excluant la sexualité de leurs préoccupations scientifiques, leur taux de titularisation juste après le doctorat est peut-être particulièrement élevé. Un recensement exhaustif de l’ensemble des carrières de chercheurs en sciences sociales ayant travaillé, en France, sur la sexualité et/ou le sida reste à faire.
7 J’ai bénéficié d’une bourse de doctorat pendant trois ans de l’Agence nationale de recherche sur le sida, puis de deux bourses de post-doctorat de deux ans chacune de Sidaction – sans parler de financements plus courts de l’Inserm ou d’autres organismes de santé.
8 Becker Howard S., Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985.
9 Parmi les chercheurs qui ont traité de sexualité avant le sida (et parfois après), tous n’ont pas considéré qu’elle puisse être érigée au rang d’objet. En 1955 par exemple, Helmut Schelsky écrivait Soziologie der Sexualität en estimant que, faute de définition précise et d’outils méthodologiques aptes à en saisir la complexité (difficulté de l’observation directe notamment), la sexualité ne pouvait pas être un objet pour la sociologie. Cette idée a été largement reprise par Michel Bozon, notamment : Bozon Michel, Sociologie de la sexualité, Paris, Armand Colin, 2013.
10 À l’instar de Georges Devereux, je postule que des biais existent quelle que soit la distance à l’objet et que le questionnement de l’incidence de ces biais a toujours à être partie prenante de la recherche. Devereux Georges, De l’angoisse à la méthode dans les sciences du comportement, Paris, Flammarion, 1980.
11 Goffman Erving, Stigmates. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les Éditions de Minuit, 1975.
12 C’est ce qui m’a conduite à former le projet de rédiger un mémoire pour l’HDR alors que je n’étais pas encore titulaire. Je l’ai toutefois soutenu un an et demi après avoir obtenu mon poste.
13 Voir notamment : Fillieule Olivier et Roux Patricia, Le Sexe du militantisme, Paris, Presses Universitaires de Sciences Politiques, 2009.
14 Mentionnons son livre en collaboration avec Olivier Fillieule : Broqua Christophe et Fillieule Olivier, Trajectoires d’engagement. AIDES et Act Up, Paris, Textuel, 2001.
15 Broqua Christophe, « L’ethnographie comme engagement : enquêter en terrain militant », in Genèses, n° 75, 2009, p. 113.
16 Paternotte David, Revendiquer le « mariage gay ». Belgique, France, Espagne, Bruxelles, Éditions de l’université de Bruxelles, 2011.
17 Apostolidis Thémis, Penser le rapport au sexuel à l’époque du sida, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2001.
18 Des violences académiques ont existé lorsque je travaillais sur la prostitution, parce qu’autour de cet objet, certains chercheurs, qui parfois ne le connaissent pas, veulent le réduire à l’abolitionnisme ou au réglementarisme. Ce que font les controverses à la recherche et aux carrières est un sujet en soi, mais c’est ici précisément les soupçons de collusion entre vie personnelle et sujet d’étude que j’évoque.
19 À l’inverse de certaines minorités sexuelles, dont on dit « en être » ou « ne pas en être » – ce qui suppose donc, dans la forme du moins, une dimension essentialiste –, les personnes prostituées utilisent souvent des verbes d’action pour se qualifier, comme « faire le trottoir », « tapiner » ou encore « faire la pute ».
20 Sébastien Roux, qui a soutenu une thèse d’anthropologie sur le commerce du sexe des femmes en Thaïlande en 2009 a très vite obtenu un poste de chargé de recherche au CNRS. En plus de travailler sur la prostitution, peut-être son aire géographique d’investigation a-telle aussi joué en sa faveur. Roux Sébastien, No money, no honey. Économies intimes du tourisme sexuel en Thaïlande, Paris, La Découverte, 2011.
21 Laurent Gaissad, qui a articulé sociologie urbaine et minorités sexuelles, reste toutefois sans poste depuis sa thèse, en dépit de la reconnaissance de ses pairs. Gaissad Laurent, Une forme notoire de sexualité secrète : chroniques territoriales du désir entre hommes du sud de la France, thèse de doctorat, Tarrius Alain (dir.), université Toulouse Le Mirail, 2006. Un ouvrage développé à partir de cette recherche sera publié dans la collection « Ethnographies plurielles », en 2020, sous le titre Hommes en chasse.
22 C’est également le cas, entre autres, des articles et des livres de Rommel Mendès-Leite. Il a attendu un âge avancé pour obtenir un poste de maître de conférences, en psychologie, alors qu’il venait de la sociologie et de l’anthropologie. Parmi les autres raisons susceptibles d’expliquer son attente, il ne faut peut-être pas exclure l’effet de sa nationalité brésilienne.
23 En ayant la sexualité pour objet, les facteurs de progression dans une carrière institutionnelle sont plus nombreux que ceux que j’évoque : par exemple, adosser une recherche anthropologique à une enquête statistique, ou associer directement le quantitatif au qualitatif, peut favoriser une titularisation ; s’intéresser aux migrants semble également « porteur » depuis une dizaine d’années. À l’inverse, les problèmes de réception sont accrus si le terrain choisi heurte trop de sensibilités (drague et sexualité en extérieur ; bareback ; etc.).
24 Au début des années 2000, les travaux de Philippe Combessie sur les femmes pluripartenaires paraissent faire de la sexualité un objet autonome. Mais alors qu’il commençait à être reconnu pour cette spécialité, les doctorants venant vers lui ont eu des bourses de recherche émanant majoritairement d’organismes de santé : il s’est donc de facto fait rattraper par l’association de la sexualité à la santé. De ce sociologue, voir notamment : Combessie Philippe, « Le partage de l’intimité sexuelle. Pistes pour une analyse du pluripartenariat au féminin », in Identités et genres de vie. Chroniques d’une autre France, Le Gall Didier (dir.), Paris, L’Harmattan, 2008, p. 261-290.
25 Certes, l’interactionnisme n’est pas réductible à son attention au sujet, mais elle préfère toujours partir de l’observation des relations interindividuelles et des rapports de l’individu à son environnement pour faire sens, plutôt que de supposer l’existence de méta-organisations sociales.
26 Foucault Michel, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Éditions de l’EHESS/Gallimard/Seuil, 2004.
27 Dardot Olivier et Laval Christian, La Nouvelle Raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.
28 Defert Daniel, « Le malade réformateur », in SIDA 89, 1989, p. 14-17.
29 Galvin Rose, « Disturbing Notions of Chronic Illness and Individual Responsability : Towards a Genealogy of Morals », in Health, vol. 6 (2), 2002, p. 107-137.
30 Deschamps Catherine, Le Sexe et l’argent des trottoirs, Paris, Hachette Littératures, 2006.
31 Deschamps Catherine, Le Fait sexuel, HDR, Combessie Philippe (garant), université Paris Nanterre, 2012.
32 Gagnon John, Les Scripts de la sexualité. Essais sur les origines culturelles du désir, Paris, Payot, 2008.
33 En référence au don et contre-don de Marcel Mauss, mais en préférant poser la dette comme pivot d’analyse et en mettant en lumière les formes de pouvoir détenues par l’endetté. Mauss Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in Sociologie et anthropologie, Paris, PUF, 1973 [1923-1924], p. 149-279.
34 Voir Deschamps Catherine, « Le sexe et l’argent : deux monstres sacrés ? », in Revue du MAUSS, n° 37, 2011, – éditions en ligne. Voir aussi Broqua Christophe et Deschamps Catherine (dir.), L’Échange économico-sexuel, Paris, Éditions de l’EHESS, 2014.
35 Durkheim Émile, « Débat sur l’éducation sexuelle », in Bulletin de la Société française de philosophie, n° 11, 1911, p. 33-47.
36 Weber Max, Économie et Société, Paris, Pocket, 1995 [posthume 1921].
37 Balandier Georges, « Le sexuel et le social. Lecture anthropologique », in Cahiers internationaux de sociologie, vol. 76, 1984, p. 5-19.
Auteur
-
Catherine Deschamps
Maîtresse de conférences en anthropologie et sociologie urbaines,
ENS d’Architecture de Paris-Val-de-Seine
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.