La femme futuriste
|Chapitre VII. Femmes, Futurisme et politique (1918-1919)
Texte intégral
1. Le débat dans Roma futurista1
- 1 Ce chapitre reprend, de façon très remaniée, une partie de notre étude « Les femmes futuristes et (...)
- 2 E. Settimelli, « La donna riveduta e corretta », (extrait du livre à paraître Nuovo modo di amare (...)
1Après l’arrêt de L’Italia Futurista en janvier 1918, le débat sur la question féminine se prolonge dans Roma futurista, la revue du parti politique futuriste fondé en septembre 1918 par Marinetti, Carli et Settimelli. Dans l’intervalle, c’est Lo specchio dell’ora qui revient sur le sujet en publiant un article d’Emilio Settimelli au titre encore une fois emblématique, « La femme revue et corrigée »2, et au contenu encore plus significatif. Le texte, qui visiblement s’adresse aux femmes, commence par une interpellation :
2Si la transition directe du thème de la séduction au thème de l’émancipation par le travail est un indice de l’amalgame conceptuel touchant la question féminine, le fait que Settimelli encourage les femmes à gagner leur vie est le reflet de la situation économique d’un pays dont les hommes sont en guerre depuis trois ans. Au lieu de développer les thèmes annoncés concernant le rôle social de la femme, l’auteur poursuit en décrivant sur environ six pages, dans un style anecdotique et sentencieux, la jalousie des hommes, provoquée et aguichée, selon lui, par des femmes aussi illogiques qu’affectées d’une bêtise puissante et innée, assoiffées d’argent, insensibles, insidieuses et de mauvaise foi :
- 4 « Marinetti dice che la donna ha il cervello forzato e sgangherato dall’utero, realmente il cervel (...)
Marinetti dit que la femme a le cerveau forcé et détruit par l’utérus, vraiment le cerveau féminin, même le plus intelligent, est illogique et irréductible. Cela sans en arriver à la conclusion d’un sceptique qui me disait : « Dans l’amour comme dans la discorde on convainc les femmes parfois avec le raisonnement toujours avec les mains » [...]. Le cher et grand Boccioni estimait que la femme l’emporte – en tant qu’estomac – sur l’autruche la plus saine4.
3À la fin de ce long réquisitoire, où il a cité à l’appui de ses propos, entre autres futuristes, ses amis Marinetti et Boccioni, Settimelli explique aux femmes comment elles devraient s’améliorer pour plaire aux hommes futuristes, tout en précisant qu’il ne prend pas en compte les suffragettes, car celles-ci
- 6 « Tutto ciò senza mettere occhiali, odiare gli uomini, tagliarsi i capelli, vestirsi male » ; ibid(...)
4De toute évidence, les comportements des femmes voulant l’égalité avec les hommes suscitent chez Settimelli un sentiment de refus. La femme idéale qu’il décrit doit être forte, ne pas pleurnicher, ressentir le charme de l’héroïsme militaire, et connaître en même temps « l’ivresse du travail » (« l’ebbrezza del lavoro ») ; tout cela sans renoncer à sa sensualité, « sans mettre des lunettes, haïr les hommes, couper ses cheveux, s’habiller mal »6. Settimelli explique encore que la femme idéale est certes travailleuse mais belle, séduisante et parfumée ; c’est la compagne parfaite du soldat, lequel ne rêve que de pouvoir combattre à ses côtés, de « s’éclipser avec elle après l’immense frisson du danger et l’aimer ». À ces exigences érotiques très concrètes, Settimelli ajoute, et c’est le mot de la fin, un autre souhait, qui ressemble à un nouvel avatar du rêve de virginité perpétuelle :
5Cet article revêt une certaine importance parce qu’on y voit distinctement apparaître, outre quelques concepts futuristes connus, des motifs nouveaux engendrés par le contexte. D’une part, la situation exceptionnellement grave – une guerre lourde et longue qui arrive péniblement à son terme, une crise économique et des conflits sociaux qui se profilent à l’horizon – incite le mouvement futuriste à avoir des ambitions plus politiques ; d’autre part, une nouvelle condition féminine s’est instaurée de fait et il est impossible de ne pas en tenir compte.
6Ce sont ces facteurs nouveaux qui influencent le débat sur la femme qui va s’ouvrir dans une revue à la ligne éditoriale plus idéologique et plus engagée, Roma futurista, qui publiera par ailleurs deux des textes politiques majeurs de Marinetti, le Manifeste du parti futuriste et Démocratie futuriste, où il aborde aussi la question féminine. Dans le débat, des thèmes habituels, comme l’amour libre et le divorce, le soutien de la femme à l’homme héroïque, ou encore le modèle idéal de femme futuriste, vont donc assumer une connotation bien plus politique.
- 8 « Per il 2e Numero : aprire la polemica sul voto alla donna » ; lettre adressée par Marinetti à Ma (...)
7Soulignons d’emblée que la reprise du débat n’a rien de spontané. C’est Marinetti lui-même qui décide de le lancer dans les tout premiers numéros de Roma futurista. Dans un courrier adressé à Mario Carli, fondateur et directeur de la revue, parmi d’autres indications qu’il donne pour la rédaction du deuxième numéro, il incite à « ouvrir la polémique sur le suffrage féminin »8.
8À quelques mois de la fin de la guerre, dans les colonnes du numéro 2, on peut lire un article de Settimelli, résonnant comme un véritable appel aux femmes. Il commence ainsi :
- 9 « La guerra ha dato la sensazione delle capacità femminili rispetto alla nazione. E sarà per la gu (...)
La guerre a donné la preuve des capacités des femmes à l’égard de la nation. Ce sera par la guerre qu’un féminisme vaste et bien organisé pourra se constituer en Italie. Nous, les futuristes, ennemis de toutes les prisons, nous prônons l’égalité des droits pour les hommes et les femmes9.
9Settimelli, comme Marinetti, semble avoir saisi l’importance des femmes dans cette phase délicate de transition. Aux oubliettes, les remontrances et les conseils : Marinetti demande désormais aux femmes de collaborer à la fondation du parti futuriste, de s’engager politiquement et de mener une lutte solidaire. Le parti reconnaît leur apport, leurs qualités ; il se battra pour leurs droits, car leurs objectifs politiques sont les mêmes.
10Toute trace de malentendu, toute opposition entre les hommes et les femmes doivent être effacées :
- 10 « Il nostro disprezzo per la donna non è per la donna cervello anima e sensi, ma per la donna anim (...)
Notre mépris pour la femme n’est pas pour la femme cerveau, âme et sensualité, mais pour la femme animal insidieux, hypocrite et astucieux que nous avons l’habitude de considérer comme autre que la vérité. Notre mépris est donc contre une conception de la femme et non contre la femme. Une conception due au sentimentalisme des hommes et à l’insurmontable fausseté féminine10.
- 11 Sur les femmes ayant collaboré à Roma futurista et sur leur rôle, cf. C. Salaris, Le Futuriste, op (...)
11Plusieurs femmes collaborent effectivement à la revue romaine ; certaines d’entre elles écrivaient déjà dans L’Italia futurista. Claudia Salaris les a surnommées les ardite, en raison de leur proximité avec les Arditi, ces soldats faisant partie des divisions d’assaut considérées comme des avant-gardes militaires, véritables héros et vainqueurs de la guerre. Ces ardite, toutefois, se montrent bien plus sensibles aux idéaux patriotiques et nationalistes qu’à une défense spécifique du monde féminin11. Leurs textes passionnés et emphatiques reposent sur une rhétorique de l’héroïsme qui n’a rien à envier aux écrits de propagande des hommes.
- 12 « Li saluto con l’ammirazione sinceramente appassionata per il loro impeto coraggioso [...] loro – (...)
- 13 « Ora, io vorrei con tutta l’anima che i nostri meravigliosi “Arditi” [...] gli sputassero italian (...)
- 14 « Noi donne, e credo di potervi parlare per tutte le donne italiane, noi amiamo gli italiani [...] (...)
12La différence est sans doute que ces femmes ne sont pas descendues dans les tranchées. Ainsi, dans leurs interventions, la guerre n’est ni racontée, ni décrite, ni analysée ; elle est présentée d’une manière indirecte : les femmes saluent avec admiration les courageux soldats « jeunes, forts, sains, exubérants, merveilleux »12 ; elles insultent les lâches et les embusqués en invitant les soldats à les rosser et à leur cracher dessus13 ; elles louent les femmes patriotes qui aiment les combattants14. En revanche, elles ne s’expriment pas vraiment sur l’émancipation que les femmes connaissent après trois ans et plus de guerre, comme si cela ne les concernait pas. Il n’est pas étonnant que le premier appel de Settimelli à une participation plus active tombe dans le vide.
- 15 Vianello, « Donne : a voi », Roma futurista, n° 2, II, 5 janvier 1919.
13Un second appel aux femmes, intitulé « Femmes : c’est à vous », et signé cette fois par l’ardito Vianello15, sort en janvier 1919, quelques mois après la fin de la guerre. Il vise le même but que le précédent : impliquer les femmes, en tant que force complémentaire, dans l’hypothèse d’un parti politique futuriste. Autrement dit, pour réussir leur difficile reconversion de la vie militaire à la vie civile, mais aussi pour imposer leur vision politique, les hommes comptent sur l’apport des femmes. Ils leur demandent de passer à l’action, de s’investir dans la propagande, de soutenir les Arditi, de stimuler un militantisme féminin, et surtout de constituer un mouvement féminin fort. D’autant que, maintenant que la guerre est finie, remarque Vianello, les femmes n’auront plus de travail : les hommes reprendront leurs postes, elles devront rentrer au foyer. Une fois à la maison, plutôt que de s’intéresser à la mode et autres frivolités, les femmes pourront poursuivre la lutte en adhérant au parti futuriste.
14Après ce second appel, les femmes futuristes se sentent obligées de prendre position, et quelques-unes vont répondre. Comme ce fut le cas pour le débat dans L’Italia futurista, les femmes interviennent donc en réaction à une demande et elles se confrontent sur des thèmes imposés. Cependant, cette fois le débat ne concerne pas l’identité féminine, ni le rôle de la femme dans la famille et la société ; il prend dès le départ une connotation politique et idéologique. Au lieu d’être invitées à dire ce qu’elles sont ou ce qu’elles veulent obtenir, les femmes sont encouragées à agir en se lançant dans le conflit politique ; il ne leur est pas demandé de s’exprimer sur le programme du parti, élaboré sans tenir compte de leur avis, mais de soutenir Marinetti et les Arditi, en réunissant les femmes pour qu’elles réalisent leurs objectifs.
- 16 « Sono molto scettica, pur troppo ! sulla cooperazione femminile nella grande missione di ristabil (...)
15Les quatre ou cinq réponses publiées ne sont pas univoques ; c’est là un signe du manque de cohésion des femmes qui ne prennent pas une position en tant que groupe homogène et parlent chacune pour elle-même. Leurs réponses, surtout, restent très prudentes, elles sont symptomatiques d’une certaine perplexité devant l’invitation pressante à participer davantage à la lutte. Ainsi, Anna Questa Bonfadini se dit sceptique quant à la collaboration générale des femmes en vue de constituer une société plus forte et saine, les femmes étant par nature faibles, irrésolues et dépendantes des hommes. D’après elle, seules quelques pionnières pourront partager le chemin des Arditi16.
16La futuriste Vetta est encore plus claire :
Je suis jeune, je suis femme, j’aime la patrie plus que tout être au monde, j’ai beaucoup envié ceux qui l’ont défendue.
17dit-elle, avant de s’adresser aux Arditi par ces mots enflammés :
- 17 « La patria l’avete fatta voi, gli austriaci li avete vinti voi, uomini combattenti. Ma siete stat (...)
La patrie, c’est vous qui l’avez faite, les Autrichiens, c’est vous, les hommes combattants, qui les avez battus, mais vous avez toujours été suivis par un petit nombre de femmes [...]. Nous voulons vous suivre en rangs serrés dans votre œuvre. À vous le commandement, les combattants17 !
- 18 « Pretendete che un esiguo manipolo di donne sia pure elette affronti così di botto una lunga teor (...)
- 19 « Non tanta fretta [...] abbiamo un dovere da compiere, un atto di somma giustizia da eseguire. Gr (...)
18Sa camarade Fulvia renchérit : les hommes ne peuvent pas exiger des femmes que, tout à coup, elles mènent seules des luttes politiques et qu’elles parviennent à convaincre les autres femmes ; les hommes doivent les conseiller et les aider dans une lutte commune18. Quant à Futurluce, elle est aussi sceptique, car elle croit que les femmes ne sont pas prêtes pour une lutte autonome ; leur tâche doit se limiter, pour l’instant, à poursuivre les embusqués, les défaitistes, les traîtres, pour les gifler et les fouetter jusqu’au sang19- Quelques mois plus tard, toutefois, dans un article de soutien au droit de vote, la même Futurluce aborde la spécificité de la condition féminine. Elle affirmera alors que les changements apportés par la guerre doivent permettre de fixer les acquis sociaux. L’« hygiénique » révolution française a admis l’égalité des sexes, proclame-t-elle, la guerre actuelle a été
- 20 « La guerra attuale [...] è stata la principale forza motrice del progresso femminile. Il sesso de (...)
la principale force motrice du progrès féminin. Le sexe faible a su être fort. Et des foyers où régnaient les femmes-poupées, sont sorties (les cheveux tirés sur la nuque, et si nécessaire un pantalon au lieu de la jupe) les femmes ouvrières, traminottes, charretières, balayeuses, infirmières, fermières, cheminottes, employées20.
19Si Futurluce évoque ici ces femmes travailleuses et autonomes dont Rosa Rosà avait déjà annoncé l’apparition, ce début d’analyse reste sans suite, tout comme les appels à la lutte politique, qui ne suscitent pas d’autres réactions. Le débat sur la femme futuriste semble se terminer ici.
- 21 Volt, « Matrimonio, adulterio, divorzio amore libero », Roma Futurista, n° 29, II, 20 juillet 1919 (...)
20Il est relancé quelques mois plus tard par quatre articles consécutifs de Volt, intitulés respectivement : « Mariage, adultère, divorce amour libre », « Mariage, divorce, amour libre », « Prostitution amour libre », « Féminisme et amour libre »21. Dans ces interventions, qui font écho aux manifestes politiques que Marinetti lance à la même époque, Volt remet en jeu la question de la femme, tout en la focalisant sur les thèmes du divorce et de l’amour libre. Toute la problématique tourne ainsi à nouveau autour du rôle de la femme dans la famille et de son rapport à l’homme, comme si toute ambition de la voir s’activer dans le domaine politique était finalement abandonnée et que la sphère politique redevenait subordonnée à la sphère privée.
21Bien qu’il reprenne certains préceptes chers aux futuristes dès les premières années du mouvement, tels que l’abolition de la famille ou l’exaltation de la polygamie naturelle de l’homme, Volt propose toutefois des variantes significatives : dans la société qu’il envisage, chacun s’accouplera quand et avec qui il voudra ; la femme travaillera pour ne plus être dépendante d’un seul homme et pour pouvoir aussi en changer à sa guise ; les enfants qu’elle fera seront le bien de la patrie, et l’État s’en chargera. Ce sont des idées qu’il ne développe pas ; il en laisse le soin à Marinetti.
- 22 « La vera futurista è solo quella che preferisce piuttosto morire di fame che di farsi mantenere d (...)
22Seule une voix anonyme de femme, une voix solitaire, celle d’une « femme futuriste depuis presque sept ans », s’élève pour lui répondre. Sans se prononcer sur les différents points du programme dessiné par Volt, elle remarque que la femme futuriste préfère certes mourir de faim plutôt que de se faire entretenir par un homme. Le problème est que cette femme qui vivra de ses moyens ne gagnera pas assez d’argent pour fréquenter les instituts de beauté et s’offrir des toilettes ; elle n’aura pas non plus le temps de soigner sa personne comme seules les femmes entretenues peuvent le faire ; elle ne pourra pas passer des après-midi dans les salons et les cafés, ni passer de longues vacances à la plage ; elle n’aura non plus de temps pour des « flirts » ou des « tête-à-tête ». Les hommes futuristes sauront-ils modifier leur goût et préférer cette femme, plus pauvre, plus virile, plus fatiguée, à la demi-mondaine et à la bourgeoise22 ?
- 23 « Nessuna morale al mondo può fare il miracolo di eccitare il mio desiderio allo spettacolo di una (...)
23La réponse de Volt ne se fait pas attendre : non, on ne peut pas demander aux hommes d’aimer une femme qui ne serait pas séduisante et féminine23.
24Ainsi, dès que les futuristes quittent le terrain idéologique, les slogans et les discours de propagande, dès qu’ils se confrontent au terrain concret du mode de vie, l’opposition homme-femme revient sur le devant de la scène et les contradictions éclatent.
2. Le parti futuriste italien
- 24 F.T. Marinetti, Manifesto del partito futurista italiano, aujourd’hui in Teoria e Invenzione futur (...)
25Au-delà des conditions matérielles de la vie des femmes, ce sont tous les équilibres économiques et sociaux qui se trouvent de facto bousculés par le conflit mondial. L’ayant compris, Marinetti est persuadé qu’il faut profiter des turbulences et des remous qui suivront inévitablement la fin d’une guerre aussi longue et meurtrière pour réaliser les objectifs du programme futuriste. Sa stratégie vise à convertir le mouvement en parti ; la première étape est la publication, en février 1918, du Manifeste du parti futuriste italien24.
26Plus exactement, Marinetti voudrait que le parti futuriste (qui sera fondé aussitôt mais qui sera mieux organisé après la fin de la guerre) soit clairement distinct du mouvement artistique futuriste. Car le mouvement artistique restera à l’avant-garde et dans sa perspective d’anticipation du futur poursuivra son œuvre de rajeunissement de l’art et de la culture, se situant par là-même en décalage par rapport à la sensibilité du peuple, qui est peu réceptif aux découvertes et au génie futuristes. En même temps, le parti agira résolument dans le présent immédiat et à contact du peuple. C’est l’amorce d’une division entre la sphère artistique et la sphère politique, d’une fracture du principe de totalité « art-vie ». En fait, c’est le renoncement à l’un des fondements du Futurisme originel.
27Les raisons de ce revirement sont claires : l’avant-garde peut être représentée et soutenue par une élite, mais un parti politique a besoin du soutien et de l’adhésion des masses. Le Futurisme accepte donc de se mesurer avec les exigences du présent, de se confronter avec le réel et de renoncer ainsi, du moins sur le plan politique, à toute dimension visionnaire ou utopique. La conception d’un monde à venir, d’un homme nouveau, reste confiée à l’art, domaine aristocratique réservé à quelques élus, pendant que la politique s’attaquera à la vie concrète et matérielle du grand nombre.
28La contrainte du réel est déjà visible dans le langage de ce manifeste, qui n’a pas recours aux symboles, aux descriptions visionnaires, pas de lyrisme ni de registre élevé, juste des revendications exposées de manière claire et compréhensible par tous. Parce que tous, les hommes comme les femmes, quels que soient leur classe sociale et leur âge, sont invités à adhérer à ce nouveau parti, spécifie Marinetti. Alors que le Manifeste de fondation du Futurisme, acte de création du mouvement artistique, s’était distingué par la formule « mépris de la femme », le manifeste programmatique du parti politique prévoit désormais de façon explicite la présence des femmes.
29Les promesses faites aux femmes sont donc à lire dans cette perspective d’attrait politique et électoral. Car en 1918 il est encore possible que les femmes obtiennent le droit de vote ; elles représentent alors une imposante réserve de voix.
30Le parti futuriste a l’ambition de s’exprimer et d’agir dans tous les domaines de la vie politique et sociale ; dans ce souci, le manifeste traite d’éducation, de religion, des institutions politiques, de la fonction publique, de la propriété privée, de l’industrie, du droit de grève et d’autres libertés individuelles et collectives, du travail et de la protection sociale, de la justice, de la police et de l’armée, de la diplomatie. La femme et la famille ne sauraient être oubliées ; elles ont même droit à quelques égards, une preuve supplémentaire des changements sensibles engendrés par la guerre.
31Les revendications concernant la femme peuvent se grouper en trois catégories. Faut-il s’en étonner, cela recoupe la plupart des points au programme des mouvements féministes socialistes du début du siècle, désormais pratiquement inactifs. Sur le plan des droits civiques, le Manifeste du parti futuriste prévoit le suffrage universel pour tous les citoyens hommes et femmes, de même que l’abolition de l’autorité maritale. Sur le plan social, il demande qu’à travail égal un salaire égal soit versé aux femmes, revendication tout à fait nouvelle pour le Futurisme. Enfin, sur le plan du droit de la famille, à côté de l’ancienne revendication sur l’instauration du divorce, suivie toujours du slogan sur l’abolition de la famille et l’amour libre, fait son apparition un concept nouveau : « l’enfant d’État ». Marinetti ne s’y attarde pas ; il y reviendra dans Démocratie futuriste.
32Le premier texte politique du nouveau parti se montre donc tout à fait réceptif aux exigences émancipatrices. La formulation du programme politique, très claire, ne prête à aucune ambiguïté. La comparaison avec d’autres textes est frappante ; il suffit de relire le manifeste Contre l’amour et le parlementarisme, publié d’abord en 1910, puis en 1917 dans L’Italia futurista, puis à nouveau en 1918 dans Guerre seule hygiène du monde. Le langage, les analyses et les motivations de ce manifeste sont provocatrices, et son propos de fond vise à établir un lien de cause à effet entre l’émancipation voulue par les féministes et le bouleversement des institutions politiques, de la structure familiale et de la vie professionnelle. Les femmes y sont montrées comme des fauteuses de troubles, et non comme des sujets politiques. Avec le Manifeste du parti futuriste italien elles accèdent à un statut tout à fait nouveau qui ne durera que le temps d’une aventure électorale malheureuse.
3. La démocratie futuriste
- 25 F.T. Marinetti, Democrazia futurista, Milano, Facchi, 1919, aujourd’hui in Teoria e invenzione fut (...)
33Dans la droite ligne de la fondation du parti futuriste, Marinetti publie en 1919 Démocratie futuriste25, un recueil de textes politiques, pour la plupart publiés aussi dans des revues telles que Roma futurista ou L’ardito. Il s’agit donc d’un ouvrage éminemment idéologique, dans lequel Marinetti aborde, entre autres points au programme du parti, différents aspects de la question féminine. Il les aborde cependant d’une manière désordonnée et peu claire.
34Dès le premier chapitre, « Un mouvement artistique crée un Parti Politique », il précise une fois de plus que le parti futuriste doit être distingué du mouvement artistique, et que le parti est ouvert à tous les Italiens, hommes et femmes, sans distinction de classe et d’âge, sans disposition artistique particulière. Il s’adresse donc au peuple tout entier, ni aux seuls hommes, ni aux seuls futuristes.
- 26 Voici la citation en entier : « Il Partito Politico Futurista, avendo per obiettivo la massima lib (...)
35Parmi les divers et nombreux objectifs qu’il énumère, figure « le divorce très facile, le suffrage des femmes et leur participation à l’activité nationale ». Si l’objet de cette « activité nationale » reste indéfini, on suppose qu’il s’agit d’une activité professionnelle, car la phrase précédente explique que le but des revendications futuristes est « la plus grande liberté, le plus grand bien-être et la plus grande puissance de production »26. En somme, les trois points juridiques de la question féminine figurant déjà dans le précédent programme du parti, c’est-à-dire le divorce, le droit de vote et le droit au travail, restent à peu près inchangés. Soulignons qu’ils sont énoncés pêle-mêle, au même niveau, comme pour signifier que l’indépendance économique et la participation des femmes à la vie politique sont liées à leur autonomie sexuelle et sentimentale. Remarquons aussi que l’émancipation des femmes est posée comme un objectif collectif et commun ; cela revient à dire qu’elle devrait apporter à tous une amélioration des conditions de vie, pas seulement aux femmes.
36Le pragmatisme du langage et des concepts de ce chapitre introductif va toutefois disparaître lorsque le manifeste passe à des élaborations plus idéologiques. Ainsi, dans le chapitre « Idéologies ruinées par le conflit », Marinetti propose une analyse singulière des conséquences de la guerre. Par le biais d’une série d’analogies et d’oppositions, il présente le Droit, l’Amour et le Pacifisme comme les produits dégénérés de l’intellectualisme, en conflit avec les instincts brutaux et vitaux de l’homme, c’est-à-dire la Force, le Coït et la Guerre. Cela produit les antinomies Droit – Force, Amour – Coït, Pacifisme – Guerre et met en corrélation trois champs conceptuels distincts. Un simple glissement sémantique d’un champ à l’autre permet à Marinetti d’utiliser une symbolique sexuelle dans un discours éminemment idéologique ; ce qui donne ce genre de phrases :
37Marinetti analyse ensuite les conséquences de la guerre sur l’Amour, à partir du postulat que le conflit a contraint l’humanité (hommes et femmes) à des formes d’amour libres, rapides et sans lendemain. D’après lui, de nouveaux comportements sexuels se sont instaurés ; la suprématie de la « chair-instinct » sur le « cœur-marécage » (« cuore-pantano ») a entraîné la déliquescence du mariage, de la famille et des liens sentimentaux, ce dont il se réjouit. Il constate, sans manifester ni son approbation ni son hostilité, que les soldats au front sont désormais indifférents au fait que leur femme les trompe. Il ajoute enfin que de nombreux « mâles » de races différentes s’unissent dans des coïts aussi imprévus que rapides avec « une seule femme ». Or, il faut remarquer que ce type d’accouplement, qui suggère à la fois la prostitution et le viol, en véhiculant une image de la femme soumise à la brutalité, est le parfait contrepoids du comportement sexuel évoqué auparavant, qui proposait un modèle, tout aussi traditionnel, de femme infidèle et menteuse. Dans les deux cas, l’hostilité entre les sexes demeure.
- 28 F.T. Marinetti, « Contro il matrimonio », et « Orgoglio italiano rivoluzionario e libero amore », (...)
- 29 « Tutti soffrono, si deprimono, si esauriscono, incretiniscono, in nome di una divinità spaventosa (...)
38Les passages consacrés plus spécifiquement à la question de la femme se trouvent au chapitre 7, « Contre le mariage », et surtout au chapitre 8, « Orgueil italien révolutionnaire et amour libre »28. Le premier chapitre contient une description très négative de la vie en famille, sorte de prison où règnent la promiscuité, l’ennui, les préjugés et la mauvaise humeur, et où tout le monde souffre et s’abrutit « au nom d’une divinité épouvantable à renverser : le sentiment »29.
39Marinetti repropose aussi la critique, élaborée de longue date, de l’institution familiale comme marchandage et façade légale d’une forme de prostitution, avant de passer en revue les rôles familiaux : les femmes (la mère et la fille) sont jalouses l’une de l’autre, frivoles, élégantes et coquettes ; les hommes (le père et le fils) s’opposent sur des questions d’argent, l’un trop avare, l’autre trop prodigue. Il est intéressant de remarquer que Marinetti use de stéréotypes propres à la seule famille bourgeoise. Il importe surtout de souligner que, pour justifier son refus du mariage « bourgeois », Marinetti s’appuie sur deux motivations antinomiques : la famille est bâtie sur, et soudée par, des sentiments d’amour abominables ; la famille est le résultat d’une froide négociation commerciale dont la femme est l’objet.
- 30 « La donna non appartiene a un uomo, ma bensì all’avvenire e allo sviluppo della razza » (« La fem (...)
- 31 « Noi vogliamo che una donna ami un uomo e gli si conceda per il tempo che vuole » ; ibid., p. 370
- 32 En affirmant qu’une seule femme peut s’occuper de 100 petits enfants, Marinetti se montre d’un tot (...)
40Marinetti se penche ensuite sur la liberté du couple. L’homme, en effet, ne saurait revendiquer la propriété d’une femme comme l’on revendique la propriété d’une terre, car la femme ne lui appartient pas ; elle appartient... à la régénération de la race30. Et dans la mesure où la femme n’appartient pas à elle-même, il est logique que son enfant ne lui appartienne pas non plus. Ainsi, pour qu’elle puisse se donner à un homme en obéissant à la volonté futuriste (« Nous voulons qu’une femme aime un homme et se donne à lui pour le temps qu’elle veut »31), la société va se charger de l’éducation de ses enfants. Pour la dégager de ses obligations familiales, on la séparera donc de ses enfants, qui seront néanmoins toujours confiés à une femme, une éducatrice. Une éducatrice pouvant s’occuper de 100 enfants, trente femmes seront ainsi libérées de leurs obligations maternelles et pourront se consacrer à leurs devoirs charnels32.
41Tous les éléments sont réunis pour que Marinetti puisse développer le concept d’enfant d’État, ce qu’il fera plus largement dans le chapitre suivant, en s’inspirant explicitement d’un manifeste d’Arturo Blangino. Pour l’instant, il préfère se borner à souligner l’un des avantages de ce système éducatif : les garçons, dûment séparés des filles dès la petite enfance, grandiront sans mollesse ni délicatesse et sauront ainsi se soustraire au charme et à la séduction des femmes. Dix ans après son Mafarka le futuriste, Marinetti réitère ainsi sa crainte de la contamination par le féminin. La séparation des genres qu’il réclame n’est pas sans rappeler la guerre des sexes qui semblait avoir été mise aux oubliettes pour un temps. En effet, « Contre le mariage » se clôt précisément sur un scénario belliqueux. Après une description de la réalité du moment en des termes apocalyptiques, Marinetti s’inquiète du renversement des rôles sexuels et prévoit une conflictualité accrue entre la femme et l’homme, débouchant sur la défaite de ce dernier :
- 33 « La vasta partecipazione delle donne al lavoro nazionale prodotto dalla guerra, ha creato un tipi (...)
La vaste participation des femmes au travail national produit par la guerre a créé un type de mariage grotesque : le mari possédait de l’argent ou en gagnait, désormais il l’a perdu et peine à en gagner. Sa femme travaille et trouve comment gagner un argent abondant [...]. Par son travail même, elle a la nécessité d’une vie peu casanière, alors que son mari, ne travaillant pas, concentre toute son activité dans un absurde souci du foyer. Renversement complet d’une famille où le mari est devenu une femme inutile avec de l’arrogance masculine alors que la femme a doublé sa valeur humaine et sociale. Choc inévitable entre les deux associés, conflit et défaite de l’homme33.
42En dessinant ce scénario alarmant, Marinetti exprime une fois de plus sa conviction de toujours selon laquelle les rapports sexuels ne peuvent pas être conçus en termes de parité, de complicité ou d’affection réciproque. L’un ou l’autre des deux sexes devra nécessairement conquérir une position dominante. Cependant, on remarque qu’en se penchant sur les bouleversements engendrés par la guerre, Marinetti reconnaît implicitement que les rôles sexuels sont déterminés par les activités sociales et non par la nature, si bien que la prédominance masculine peut être remise en cause. Il apparaît clairement que l’homme craint l’indépendance de la femme et sa valorisation parce qu’il se rend compte que cela peut mettre en danger son pouvoir et son rôle ; l’homme craint de pouvoir être ramené au statut de « femme », c’est-à-dire d’individu socialement et humainement dévalorisé. L’angoisse et les hésitations des futuristes devant l’émancipation des femmes deviennent compréhensibles.
- 34 « perniciosa promiscuità sessuale », F.T. Marinetti, « Orgoglio italiano rivoluzionario e libero a (...)
43Marinetti reprend sa réflexion sur le refus du mariage dans le chapitre suivant, où il tente d’aller jusqu’au bout de sa logique en envisageant l’avenir sexuel du pays. Après que les femmes auront obtenu des facilités pour divorcer, le droit de vote et la participation à l’activité nationale – émancipation qui entraînera la fin du mariage et la pratique de l’amour libre –, après la réalisation de la maternité d’État et la disparition de tout sentiment, suivra inévitablement une période de « dangereuse promiscuité sexuelle »34 ; après, la femme, plus cérébrale et moins sentimentale, saura enfin mieux choisir (son homme).
44Malgré son habituel optimisme de la volonté, Marinetti laisse pointer une crainte sur les conséquences de la libération (sexuelle) des femmes, qui pourrait induire un déchaînement général très perturbant. N’est-il pas curieux de voir Marinetti s’inquiéter des perturbations de l’ordre social et moral ? La politique a ses exigences, certes, et Marinetti est condamné à un certain réalisme. Mais cela n’explique pas tout. En ébauchant le scénario d’une sorte de révolution sexuelle, Marinetti prend conscience qu’un monde est possible où des femmes autonomes et actives choisiraient leurs hommes, en changeraient à l’envie. Ce monde n’est pas fait pour lui plaire. Il s’en alarme et commence à reculer. Premier revirement : l’« amour libre » ne doit pas s’entendre comme un accès infini à une multiplicité de partenaires, une promiscuité définie comme dangereuse, mais il doit aboutir au choix conscient d’un seul homme (et d’une seule femme ? il ne le précise pas...), un choix guidé moins par l’amour ou par la chair que par l’esprit. Plus de mariage, donc, mais une sorte de monogamie féminine, conséquence d’une libre expression de la volonté.
4. L’enfant d’État
45Marinetti affirme que toutes les prescriptions futuristes en matière de rapports entre les sexes se trouvent résumées dans le manifeste d’Arturo Blangino, qu’il retranscrit donc intégralement dans Démocratie futuriste. Le raisonnement de Blangino toutefois se différencie de ses propos à plusieurs égards, y compris sur le plan linguistique, son registre étant à la fois plus trivial et plus méprisant vis-à-vis des femmes.
- 35 « primo deposito e fabbrica di munizioni umane » ; ibid., p. 374.
- 36 « utilizzare tutte le forze produttrici del sesso femmina » ; ibid.
46Le point de départ de Blangino est le constat de la crise démographique du pays, que Marinetti n’a jamais vraiment pris en compte. Pour Blangino, beaucoup d’hommes ayant été tués au front, le pays manquerait de « matériel humain habile » ; en revanche les femmes, « premier dépôt et usine de munitions humaines »35, seraient en nombre excessif. De surcroît, à cause de la guerre, les femmes auraient arrêté de faire des enfants, alors que le pays, pour être victorieux lors d’une prochaine guerre (inévitable, voire souhaitable), a besoin d’« utiliser toutes les forces productives du sexe femelle »36, c’est-à-dire qu’il devrait constituer une réserve importante de combattants et d’ouvriers.
- 37 « godere carnalmente la donna amata [...] covi ributtanti di insidiose malattie veneree » ; ibid., (...)
47C’est dans le but d’augmenter le taux de natalité qu’il faut abolir le mariage. Quelle absurdité, serait-on tenté de dire ! Mais Blangino s’en explique en proposant une description, aussi réaliste que conventionnelle, des comportements sociaux : la femme, craignant le déshonneur ou l’abandon, ne consent aux rapports sexuels que dans un cadre légal ; l’homme, désirant « jouir charnellement de la femme aimée », doit par conséquent s’unir à elle dans le mariage ; toutefois, n’ayant pas les moyens d’entretenir une famille nombreuse, il évitera de mettre au monde trop d’enfants. Par la suite, ayant suffisamment joui de sa femme, il sera lassé d’elle et ira chercher hors de son foyer d’autres sources de jouissance. Il atterrira dans des maisons closes, « repaires de maladies vénériennes insidieuses », avec des dégâts moraux et matériels incalculables37. La faute de cette perversion qu’est la prostitution, précise encore Blangino, n’est pas imputable à l’homme, mais à la société qui l’oblige à limiter son instinct sexuel multiple à une seule femme. Il rappelle au passage que le Futurisme glorifie la guerre, ses pulsions de rénovation, donc aussi le viol et la fin de la virginité.
- 38 « solo se è madre essa può degnamente chiamarsi donna, se è sterile essa è una femmina ignobile me (...)
48Après avoir livré cette vision des mœurs sexuelles, immuables et conflictuelles, Blangino théorise qu’afin de rendre l’homme et la femme libres de tout lien sans pour autant priver la race de sa régénération, il faut que la femme puisse rester enceinte sans être culpabilisée. Au contraire : seule la mère est une femme digne de ce nom, la femme stérile n’étant qu’une « marchande de plaisir »38. Le concept de « l’enfant d’État » s’enracine précisément dans ce double désengagement de l’homme vis-à-vis de ses enfants et de la mère de ses enfants. Le but n’est pas de venir en aide aux femmes, mais de trouver une solution au conflit entre maternité et amour libre.
- 39 « nessuno ricuserà di pagare una somma annuale anche elevata sapendo che egli è completamente libe (...)
49Blangino détaille aussi les modalités de mise en place. La femme, désormais indépendante sur le plan économique, puisque vivant de ses propres moyens, sera prise en charge par l’État en cas de maternité. Elle ne perdra pas son travail, et l’État compensera ses salaires perdus. Pour financer sa prise en charge, tous les hommes entre 18 et 50 ans seront redevables d’un nouvel impôt, qu’ils paieront sans rechigner, conscients que moyennant finances ils pourront aimer à leur gré, sans l’angoisse et l’ennui des conséquences de leur acte39. Dans chaque ville il y aura des établissements aptes à accueillir les femmes sur le point d’accoucher, puis leurs enfants, auxquels un numéro de matricule sera attribué. Après une première période de soins maternels, l’enfant sera élevé très librement, sans religion, avec une attention particulière aussi bien à son développement physique qu’à ses talents et à ses capacités. Une fois majeur, il n’aura aucune obligation ni envers l’institution, ni envers ses parents (puisqu’il ne les connaîtra pas...).
50Les « conclusions futuristes » du manifeste récapitulent le tout : la guerre ayant épuisé le matériel humain, les parents pauvres ne pouvant supporter la charge des enfants, les enfants ne voulant s’acquitter d’aucune dette de reconnaissance vis-à-vis de leurs parents, il faudra, pour éviter le dépeuplement, abolir tout d’abord le mariage ; puis :
51Il faudra aussi : donner à la femme les moyens de ne plus se faire entretenir ; l’assister et la glorifier lorsqu’elle devient mère ; créer un impôt pour fonder des instituts où élever et éduquer les enfants ; interdire les bordels.
52Ces différents points posés en conclusion sous l’égide du Futurisme appellent quelques remarques. Les points 2 et 3, dont la redondance saute aux yeux, sont une confirmation, s’il en fallait une, que Blangino envisage les relations entre l’homme et la femme comme étant de nature purement sexuelle. Le concept originel d’« amour libre » est renommé « accouplement libre ». Toutefois, la formulation du point 2 fait apparaître que l’auteur s’inquiète d’abord des besoins de l’homme, la réciprocité figurant comme un rajout opportuniste. Par ailleurs, il importe de souligner que les filles comme les garçons, les enfants légitimes comme les bâtards, auront tous droit à la même éducation et, plus tard, à la même indépendance. Ayant perdu tout lien et toute identité familiale, ils formeront ainsi une masse d’individus que leurs numéros de matricule distingueront à peine les uns des autres.
53Pour mieux marquer son adhésion au Futurisme, Blangino achève ses conclusions en évoquant en vrac, au point 9, différents mots d’ordre futuristes, tels que le refus du passéisme, de la tradition, de la sagesse, de la chasteté, de l’amour, des sentiments, de la jalousie et de la poésie. Pourtant, au point 8, il s’était exprimé en porte-à-faux sur l’un des fondements du mouvement d’avant-garde, la prostitution, dont il prône l’abolition. Ces contradictions ne l’embarrassent pas : derrière les proclamations de principe, son manifeste doit se lire comme la réaction à des problèmes très concrets et urgents, bien qu’apparemment inconciliables : d’une part, la dénatalité d’un pays épuisé par quatre ans de guerre ; de l’autre, la difficulté de fonder une famille ; de l’autre encore, la difficulté d’assouvir ses besoins sexuels en dehors du mariage. Ce dernier problème pourrait bien sûr trouver son aboutissement classique dans la prostitution, si celle-ci ne se révélait pas un défouloir trop coûteux. De plus, elle n’apporte pas de solution au problème démographique. Le plaidoyer d’Italo Tavolato en faveur des filles de joie disparaît donc au profit d’une position abolitionniste compatible avec les nouvelles nécessités du pays. Dans tout cela, la femme est prise en compte comme objet sexuel et comme corps reproducteur.
- 41 C’est pourquoi il s’exilera aux États-Unis en 1925. Cf. sur ce point C. Salaris, Marinetti. Arte e (...)
- 42 E. Robert, « Maternità et economia » (« Maternité et économie »), lettre publiée dans L’Impero, 6 (...)
- 43 L’ouvrage de M. Goretti, La Donna e il futurismo, op. cit., sur lequel nous reviendrons rapidement (...)
54Le raisonnement de Blangino, dans sa laborieuse cohérence, tente donc de résoudre des apories, de recomposer des dissociations. À maintes reprises il répète que la femme se réalise en tant que mère, alors qu’il ne spécifie jamais que l’homme doit s’accoupler en vue de la reproduction et qu’il n’évoque jamais le concept de paternité. Nous voilà devant un couple dissymétrique, constitué d’une mère, mais pas d’un père, d’une mère fière de l’être, cependant prête à abandonner son enfant. Remarquons aussi qu’en séparant le rôle reproducteur de la fonction maternelle et affective, on transforme la femme en une sorte de « mère porteuse », sa vocation s’arrêtant au moment de l’accouchement. Cette étrange figure de femme-mère à durée limitée ne ressemble pas à l’idéal de femme totalement et exclusivement mère qui sera bientôt exalté par le Fascisme. Blangino sera d’ailleurs farouchement antifasciste41. Quant au Futurisme, il semble bien que son ralliement aux positions fascistes en la matière ne se soit pas fait sans heurts et atermoiements : à la fin des années Vingt, la proposition d’établir la procréation obligatoire opposera encore Enif Robert à Mario Carli42. Cela étant, le Futurisme se désengagera progressivement et laissera le Fascisme gérer la question à sa manière ; si bien qu’au début des années Quarante le processus d’identification entre la femme futuriste, la femme fasciste et la femme mère semble accompli43.
55Revenons à Blangino et à l’année 1919, à l’époque où les futuristes sont loin d’établir une identification systématique de la femme avec la mère. Blangino se rend vite compte que si les femmes doivent être travailleuses et mères simultanément, quelqu’un devra s’occuper d’elles et surtout de leurs enfants. Ce sera l’État : la prise en charge, normalement dévolue aux maris, relèvera de ses attributions. Les hommes seront alors dégagés de toute responsabilité, morale, affective et financière, vis-à-vis des femmes enceintes et ayant accouché, ainsi que vis-à-vis des enfants. L’État sera ainsi mari et père, mais aussi mère par substitution, car les femmes lui auront cédé leurs enfants.
56Conçu comme une réponse immédiate et concrète à une situation sociale et économique pressante, le manifeste de Blangino enferme l’élan utopique futuriste dans une vision rigide, institutionnelle et réglementaire des rapports de genre. La maternité devient une fonction sociale totalement dissociée de la question féminine, les femmes n’étant plus considérées qu’en vertu de leur utilité procréatrice : leurs exigences, même celles qui sont exprimées par les femmes futuristes, ne sont nullement prises en compte. Est-il nécessaire de souligner qu’aucune femme n’a jamais proposé que l’État s’approprie ses enfants, alors que les mouvements de femmes avaient imaginé que les institutions, mais aussi les pères, se portent en aide des femmes travailleuses et mères. D’ailleurs, quelles améliorations de leur condition les femmes obtiendraient-elles si le programme de Blangino devait se mettre en place ? Autrefois reléguées au foyer, elles auraient maintenant le devoir de travailler, doublé du devoir de mettre au monde des enfants, et sans avoir le droit de les garder.
57Cependant, ce manifeste offre une solution originale au vieux problème du pouvoir d’enfantement, auquel se sont confrontés Marinetti et d’autres futuristes. Ainsi, lorsque Marinetti affirme qu’il partage les propositions de Blangino, on l’imagine intrigué à la fois par la rupture de la chaîne génétique qui s’opère en confiant les enfants à l’État, et par la dépossession des femmes de leur pouvoir de procréation. La procréation masculine que lui-même avait envisagée autrefois trouverait un avatar dans l’idée de paternité-maternité d’État.
- 44 On ne peut se passer de mentionner la pièce RUR de Karel Capek (1920). L’écrivain tchèque imagine (...)
58Bien sûr, Blangino n’est pas le premier à s’interroger sur la responsabilité sociale et collective en matière d’éducation et formation des nouvelles générations. La spécificité de ses propositions tient à cela : la prise en charge de l’État aurait comme effet la désagrégation de la famille et du couple tant souhaitée par les futuristes ; mais, dans la mesure où elle aurait un caractère obligatoire, général et indistinct, et où elle interviendrait dès le plus jeune âge des enfants, elle produirait aussi le nivellement des diversités et des individualités. En fait, la primauté de l’État sur l’individu, son pouvoir d’interférence dans la sphère privée sont une anticipation des théories et des pratiques totalitaires, car ils jettent les bases de l’exercice du contrôle social sur des masses composées indistinctement d’hommes et femmes. Conçus de façon utilitaire, hommes et femmes, en fonction de leur sexe, seront destinés à devenir de la chair à canons ou des usines de fabrication de « munitions humaines ». Ils seront des corps guerriers, des corps productifs ou des corps reproductifs. La prédominance de la fonction sociale des corps se fera plus explicite dans certains textes futuristes des années Vingt, comme ceux de Pino Masnata. Cette vision totalitaire et mécanique ébauchée par l’Italien Blangino trouvera son développement dans des œuvres de science-fiction d’auteurs étrangers44 ; chez Capek ou Huxley, comme chez Blangino, la brisure de la relation entre la mère et l’enfant est à la base d’une hypothèse de société déshumanisée.
- 45 Cf. notamment le texte « Contro il papato e la mentalité cattolica » (« Contre la Papauté et la me (...)
59Dans les chapitres suivants de Démocratie futuriste, Marinetti semble avoir oublié l’extrémisme du manifeste de Blangino ; s’il martèle plusieurs fois encore les mots d’ordre futuristes contre la famille et le mariage, ses motivations restent assez sensées dans la mesure où il se borne à réaffirmer que l’amour n’est pas éternel et qu’un mariage sans amour est une hypocrisie45. L’enfant d’État n’aurait donc été qu’une brève étape, certes significative, dans le long et complexe processus de réflexion sur la femme et sur le rapport de l’homme à la femme.
5. Paroles de femmes – paroles d’hommes
60La parole futuriste s’enracine dans les mythes de la modernité, de la destruction du passé et de la guerre ; la parole des femmes futuristes, tout au long de ces années de guerre, se situe dans une perspective différente. Certes, quelques voix féminines, vers la fin du conflit, se sont élevées pour célébrer le nationalisme ou l’héroïsme des soldats, mais sans glorifier la guerre en tant que telle, ni idéologiquement, ni concrètement. Les femmes futuristes ne livrent pas de récits de bataille, ni de témoignages d’épouse ou de mère de soldats morts ou blessés. La guerre n’est pas une présence douloureuse tangible, sa dimension matérielle, sanglante et mortelle, reste à l’arrière-plan.
- 46 L. Abensour, très engagé dans le combat pour l’émancipation des femmes, affirmait en 1927 : « La g (...)
61En revanche, l’importance de la guerre est pleinement saisie dans ses conséquences socio-économiques. La question de la femme, ainsi que la question spécifique de la femme futuriste occupent un espace significatif dans le discours des femmes futuristes, d’abord dans les années 1916-1917 (relayées par L’Italia futurista), ensuite dans les années 1918-1919 (relayées par Roma futurista). D’une année sur l’autre, au fur et à mesure que la réalité s’impose, les discussions et les propositions se modifient. Les femmes commencent à s’exprimer en partant de leur vécu et de leurs exigences, leur approche devient plus concrète. Entre autres bouleversements, la guerre a sorti du foyer de nombreuses femmes. Cela signifie-t-il que la guerre joue un rôle majeur dans l’émancipation ? Rosa Rosà en est persuadée. Elle n’était pas la seule, l’idée d’une guerre « émancipatrice » s’est répandue dans de nombreux pays et dans différents milieux intellectuels46.
62Il est certain que la prise de parole des femmes futuristes se situe dans un contexte particulier, car pendant la durée du conflit les modèles traditionnels de femme et d’homme sont remis en cause. Leur parole s’insère ainsi dans les fluctuations d’un débat qui trouve sa raison d’être dans la guerre, qui dure le temps que dure la guerre. Leur intervention est sollicitée et encadrée par les hommes, les femmes interviennent, essentiellement, pour répondre aux hommes, à leurs attaques, en réagissant sur des thèmes qu’elles n’ont pas choisis. C’est pourquoi il faut nuancer le rôle joué par la parole féminine au sein du Futurisme, une parole qui reste circonscrite et peu audible, qui sera toujours ignorée des instances décisionnelles. En ces années de guerre, les futuristes ont poussé les femmes à s’exprimer, par nécessité ou par utilité, mais ils ne les ont pas écoutées, éludant systématiquement les exigences qu’elles ont exprimées.
63Si les contributions théoriques des femmes souffrent de ces limites, leurs propos sont loin d’être univoques, tiraillés entre le patriotisme, la dépendance à l’homme, le culte de la virilité d’une part, les exigences spécifiques des femmes de l’autre. À l’exception notable de deux ou trois personnalités singulières, et en premier lieu de Rosa Rosà, les femmes ne se distinguent pas par l’autonomie, ni par l’originalité de leur pensée. La plupart d’entre elles se bornent à condamner l’arrogance et le « machisme » de leurs camarades. Devant les insultes dont elles font l’objet, elles ne demandent que plus de respect. Devant les appels à la coopération et à l’action, elles se dérobent en se cantonnant dans un rôle subordonné.
- 47 C’est également la thèse d’E. Santarelli, op. cit, p. 75-107.
64Cependant, cette attitude peu combative pourrait masquer un certain pragmatisme. Après tout, les femmes ont dû se rendre compte que leurs intérêts ne correspondent pas exactement aux intérêts des hommes futuristes, tels qu’ils sont exposés dans les différents programmes. La plupart des propositions portent sur la sphère privée, noyau par ailleurs des contradictions et des conflits, réservant peu de place au domaine de l’égalité des droits. Les grands mots d’ordre qui concernent les femmes, à savoir le divorce comme première étape vers l’abolition du mariage, l’amour libre comme possibilité d’avoir de nombreux partenaires, la maternité d’État, etc., sont finalement des propositions élaborées par des hommes soucieux de leurs propres exigences. Ainsi, les futuristes ne promettent aux femmes qu’une sorte de liberté sexuelle taillée sur mesure à leur bénéfice47.
65Nous avons vu aussi que les femmes futuristes ne sont pas forcément solidaires entre elles et que le masculin reste la valeur-phare. Toutefois, leur adhésion de principe à la parole masculine ne masque pas le décalage dans la perception des effets de la guerre sur les rôles sexuels. Si les hommes réagissent négativement aux bouleversements engendrés par la guerre dans le domaine social et familial, les femmes accueillent avec beaucoup plus d’enthousiasme les changements de la vie quotidienne et la remise en cause des éléments traditionnels de l’identité féminine. En fait, leur adhésion au Futurisme s’accompagne souvent de l’espoir de l’avènement d’un nouveau monde, où seront intégrées les mutations apportées par la guerre. Elles veulent croire que la femme nouvelle se dessine à l’horizon ; elles constatent avec surprise que leurs camarades sont conservateurs quand il s’agit de modifier le statut de la femme.
66Les hommes et les femmes futuristes s’opposent ainsi dans un premier temps sur l’élaboration conceptuelle de l’identité de la femme du futur. Ensuite, la confrontation avec la réalité et la nécessité de formuler des propositions concrètes mettront en lumière d’autres points de dissension. Le débat, qui avait été lancé sur un ton badin dans L’Italia futurista, s’anime et s’envenime ; il repart dans Roma futurista, il se politise, puis il cesse. Il se termine précisément sur l’opposition entre Volt et la « femme futuriste depuis sept ans », qui proposent deux images de femme très éloignées. Ce sera le mot de la fin. Les élections et la défaite électorale du parti futuriste vont mettre un terme à son ambition politique. La revue Roma futurista et le mouvement futuriste se désengagent de la politique pour se concentrer sur la création et la théorisation artistiques. La question de la femme n’aura plus de suite.
- 48 Tout récemment, le rapport entre la guerre et les revendications égalitaires des femmes a été abor (...)
67Quant aux avancées que les femmes avaient obtenues pendant la guerre, elles vont vite se révéler éphémères. La guerre hygiénique et mirifique qui aurait dû donner naissance à un monde nouveau, n’a pas réussi à révolutionner le statut des femmes, rapidement et exclusivement ramenées à leur fonction reproductrice. Ils auraient donc bien raison, ces historiens qui affirment qu’il est illusoire et trompeur de voir dans la guerre un facteur de transformation sociale et culturelle, car la guerre n’a aucune influence sur les conquêtes majeures en matière d’égalité, la violence n’émancipant aucune de ses victimes48.
Notes
1 Ce chapitre reprend, de façon très remaniée, une partie de notre étude « Les femmes futuristes et la Grande Guerre », in Paroles de Femmes dans la Guerre (1914-1918), Actes du colloque international de Nantes (février 2001), Nantes, Éditions du CRINI, 2005, p. 177-191.
2 E. Settimelli, « La donna riveduta e corretta », (extrait du livre à paraître Nuovo modo di amare (Nouvelle manière d’aimer), in Lo Specchio dell’ora, I, 1, 30 mai 1918. Ce numéro de la revue, auquel ont collaboré entre autres auteurs Maria Ginanni, Remo Chiti, Bruno Corra et Arnaldo Ginna, a été réédité dans la revue ES, n° 3, février-mai 1975, p. 43-49, d’où nous tirons les citations. Toutes les citations sont traduites par nous.
3 « Chiediamo alla donna una civetteria più intelligente [...] una maggiore vastità d’orizzonti, un’autonomia finanziaria per mezzo di un guadagno lecito » ; ibid., p. 43.
4 « Marinetti dice che la donna ha il cervello forzato e sgangherato dall’utero, realmente il cervello femminile anche il più intelligente è illogico e irrioucibile. Questo senza arrivare alla conclusione di uno scettico che mi diceva : “In amore e in discordia le donne qualche volta si persuadono col ragionamento, sempre con le mani” [...]. Il caro e grande Boccioni sosteneva che la donna vince – come stomaco – lo struzzo più sano » ; ibid., p. 45-46.
5 « Le suffragiste [...] non sono donne ma ermafroditi. Esse basano la loro elevazione nella rinuncia alla femminilità » ; ibid., p. 48.
6 « Tutto ciò senza mettere occhiali, odiare gli uomini, tagliarsi i capelli, vestirsi male » ; ibid, p. 48.
7 « E averla ancora fiore, e averla ancora corne una piccola cosa di velluto dopo che ha saputo chi sei dopo che hai saputo chi è ! » ; ibid., p. 49.
8 « Per il 2e Numero : aprire la polemica sul voto alla donna » ; lettre adressée par Marinetti à Mario Carli, datée 26 septembre 1918 ; in M. Carli, F. T. Marinetti, Lettere futuriste tra arte e politica, préface de C. Salaris, Roma, Officina edizioni, 1989, p. 57.
9 « La guerra ha dato la sensazione delle capacità femminili rispetto alla nazione. E sarà per la guerra che potrà costituirsi in Italia un femminismo vasto e bene organizzato. Noi futuristi, nemici di tutte le prigioni, siamo propugnatori della uguaglianza di diritti per gli uomini e le donne » ; E. Settimelli, « Il disprezzo della donna » (« Le mépris de la femme »), Roma futurista, n° 2, 1,30 septembre 1918.
10 « Il nostro disprezzo per la donna non è per la donna cervello anima e sensi, ma per la donna animale insidioso, ipocrita e astuto che noi siamo soliti considerare diverso dalla verità. Il nostro disprezzo è dunque contre una concezione della donna e non contro la donna. Concezione dovuta al sentimentalismo degli uomini e all’insuperabile finzione femminile » ; E. Settimelli, « Il futurismo e la donna » (« Le futurisme et la femme »), in Roma Futurista, n° 2,I, 30 septembre 1918.
11 Sur les femmes ayant collaboré à Roma futurista et sur leur rôle, cf. C. Salaris, Le Futuriste, op. cit., p. 127-132. Du même auteur, « Le ardite di‘Roma futurista” », Memoria, 4, juin 1982, p. 133-139.
12 « Li saluto con l’ammirazione sinceramente appassionata per il loro impeto coraggioso [...] loro – forti – sani – giovani – esuberanti – meravigliosi » ; M. Della Pergola, « Saluto di una donna agli Arditi d’Italia » (« Salut d’une femme aux Hardis d’Italie »), Roma futurista, n° 6, I, 10 novembre 1918.
13 « Ora, io vorrei con tutta l’anima che i nostri meravigliosi “Arditi” [...] gli sputassero italianamente in faccia », (« Maintenant, je voudrais de toute mon âme que nos merveilleux Arditi leur crachent à la figure en vrais Italiens ») ; F. Dini, « L’imboscato e la paura » (« L’embusqué et la peur »), Roma futurista, n° 7,I, 20 novembre 1918. « imboscati, disfattisti, germanofili e imbecilli non contano. Se seccheranno li bastonerete ; se daranno noia li bastonerete più forte » (« embusqués, défaitistes, germanophiles et imbéciles ne comptent pas. S’ils embêtent, vous les rosserez ; s’ils gênent, vous les rosserez plus fort ») ; F. Dini, « A chi ha combattuto non mancherà il sorriso delle donne » (« À ceux qui se sont battus ne manquera pas le sourire des femmes »), Roma futurista, n° 8,I, 30 novembre 1918.
14 « Noi donne, e credo di potervi parlare per tutte le donne italiane, noi amiamo gli italiani [...] quelli che hanno combattuto sorridendo e ruggendo » (« Nous les femmes, et je crois pouvoir vous parler au nom de toutes les femmes italiennes, nous aimons les Italiens [...] ceux qui se sont battus en souriant et en rugissant ») ; F. Dini, « A chi ha combattuto non mancherà il sorriso delle donne », ibid.
15 Vianello, « Donne : a voi », Roma futurista, n° 2, II, 5 janvier 1919.
16 « Sono molto scettica, pur troppo ! sulla cooperazione femminile nella grande missione di ristabilire la società su basi più sane e più forti [...] la donna è per sua natura timida e conservatrice ; a fatica sa emanciparsi dalle consuetudini imparate nella casa paterna, dalle idee penetrate nel suo cervello nell’età delle bambole. Debole, schiva, fin che può, la lotta, la discussione, le iniziative ; irresoluta, è molle strumento in mano di chi si impone al suo spirito » (« Je suis très sceptique, hélas ! sur la coopération féminine à la grande mission de rétablissement de la société sur des bases plus saines et plus fortes [...] la femme est par nature timide et conservatrice ; elle sait à peine s’émanciper des conventions apprises dans la maison paternelle, des idées inscrites dans son cerveau à l’âge des poupées. Faible, elle esquive, tant qu’elle peut, la lutte, la discussion et les initiatives ; indécise, elle est un instrument souple entre les mains de celui qui s’impose à son esprit ») ; A. Questa Bonfadini, « Le donne e il futurismo. Risposte a Vianello » (« Les femmes et le futurisme. Réponses à Vianello »), Roma futurista, n° 6, II, 9 février 1919.
17 « La patria l’avete fatta voi, gli austriaci li avete vinti voi, uomini combattenti. Ma siete stati sempre seguiti da un numero di donne, da un piccolo, è vero numero di donne [...]. Vogliamo seguirvi compatte nell’opera vostra. A voi il comando, o combattenti ! » ; Vetta, « La donna e il futurismo – Continua la discussione con Vianello » (« La femme et le futurisme – La discussion avec Vianello continue »), Roma futurista, n° 10, II, 9 mars 1919.
18 « Pretendete che un esiguo manipolo di donne sia pure elette affronti così di botto una lunga teoria di femmine, di anatre starnazzanti [...]. Noi non vi chiediamo che ci comandiate, ma che ci consigliate, ci aiutate » (« Vous exigez qu’un petit groupe de femmes, bien que d’exception, affronte tout d’un coup un long cortège de femelles, de poules caqueteuses [...]. Nous ne vous demandons pas de nous commander, mais de nous conseiller et de nous aider ») ; Fulvia (Giuliani), « Continua la polemica femminile con Vianello » (« La polémique avec Vianello continue »), Roma futurista, n° 13, II, 30 mars 1919.
19 « Non tanta fretta [...] abbiamo un dovere da compiere, un atto di somma giustizia da eseguire. Gridare la loro infamia sulla faccia degli imboscati, degli innocui cittadini disfattisti, i peggiori traditori, i peggiori nemici, schiaffeggiarli fortemente, violentemente che rimanga il segno ad attestare altrui la loro vigliaccheria. Frustare a sangue... », (« Pas si vite [...] nous avons un devoir à accomplir, un acte de grande justice à poser. Crier leur infamie à la figure des embusqués, des citoyens défaitistes inoffensifs, les pires traîtres, les pires ennemis, les gifler fortement, si violemment que la marque reste pour montrer aux autres leur lâcheté ») ; Futurluce, « Le donne e il futurismo – Risposte a Vianello » (« Les femmes et le futurisme – Réponses à Vianello »), Roma futurista, n° 6, II, 9 février 1919.
20 « La guerra attuale [...] è stata la principale forza motrice del progresso femminile. Il sesso debole ha saputo essere forte. E dalle case dove regnavano le donne-bambole sono balzate fuori (chiusi i capelli sulla nuca e sostituiti quando occorreva, i calzoni alle gonne) le donne-operaie, donne-tramviere, donne-carrettiere, donne-spazzine, donne-infermiere, donne-contadine, donne-ferroviere, donne-impiegate » ; E. Norchi (Futurluce), M. Scaparro, « Il voto alla donna » (« Le vote à la femme »), Roma futurista, n° 13, II, 30 mars 1919.
21 Volt, « Matrimonio, adulterio, divorzio amore libero », Roma Futurista, n° 29, II, 20 juillet 1919 ; « Matrimonio, divorzio, amore libero », Roma futurista, n° 32, II, 10 août 1919 ; « Prostituzione amore libero », Roma futurista, n° 34, II, 17 août 1919 ; « Femminismo e amore libero », Roma Futurista, n° 40, II, 29 septembre 1919.
22 « La vera futurista è solo quella che preferisce piuttosto morire di fame che di farsi mantenere da un uomo [...]. Questa somma se deve bastare per la sua abitazione e per il suo nutrimento e forse anche per il figlio non potrà permetterle né le ultime mode, né scarpine eleganti, nè visite all’Institut de beauté. La donna che deve mantenersi da sé non avrà molto tempo libero per i flirt, per i tête-à-tête, nè avrà il salottino con rispettivi sofà e cuscini [...] e rimane il dubbio se vi sarà il compagno che, scelto dalla donna con vera libertà, vorrà lasciare per lei la schiera delle belle donne mantenute... » (« La véritable femme futuriste est seulement celle qui préfère mourir de faim que se faire entretenir par un homme [...]. Cette somme, si elle doit suffire pour son habitation et pour sa nourriture et peut-être aussi pour son enfant, ne pourra pas lui permettre ni les dernières modes, ni des escarpins élégants, ni des visites aux salons de beauté. La femme qui doit s’entretenir toute seule n’aura pas beaucoup de temps libre pour les flirts, pour les tête-à-tête, elle n’aura pas non plus un salon avec ses canapés et ses coussins [...]. On doute qu’il y aura un compagnon qui, choisi par la femme avec une vraie liberté, voudra laisser pour elle la cohue de belles femmes entretenues... ») ; Una donna futurista da quasi sette anni, « Una lettera a Volt » (« Une lettre à Volt »), Roma futurista, n° 36, II, 31 août 1919. D’après C. Salaris, in « Le ardite di Roma futurista », op. cit., p. 137, l’anonymat cacherait Rosà. Si le ton de la lettre et le type de revendication rendent l’hypothèse crédible, il reste à comprendre pourquoi Rosà n’aurait pas voulu signer de son nom.
23 « Nessuna morale al mondo può fare il miracolo di eccitare il mio desiderio allo spettacolo di una femmina scalcagnata ed inelegante » (« Aucune morale au monde ne peut accomplir le miracle d’exciter mon désir devant le spectacle d’une femme débraillée et mal habillée ») ; Volt, « Femminismo e amore libero » (« Féminisme et amour libre »), Roma Futurista, n° 40, II, 29 septembre 1919.
24 F.T. Marinetti, Manifesto del partito futurista italiano, aujourd’hui in Teoria e Invenzione futurista, op. cit., p. 130-135. Ce manifeste fut publié d’abord dans L’Italia futurista (n° 39, III, 11 février 1918), puis à nouveau dans le premier numéro de Roma futurista (n° 1,I, 20 septembre 1918), comme pour souligner le caractère politique de la revue.
25 F.T. Marinetti, Democrazia futurista, Milano, Facchi, 1919, aujourd’hui in Teoria e invenzione futurista, op. cit., p. 345-387.
26 Voici la citation en entier : « Il Partito Politico Futurista, avendo per obiettivo la massima libertà, il massimo benessere e la massima potenza di produzione, tutti portati al loro massimo valore, vuole l’abolizione graduale del matrimonio mediante il divorzio facilissimo, il voto alle donne e la loro partecipazione all’attività nazionale » (« Le Parti Politique Futuriste, ayant pour but la plus grande des libertés, le plus grand des bien-être et la plus grande des puissances de production, tous amenés à leur plus grande valeur, veut l’abolition progressive du mariage par le divorce très facile, le vote des femmes et leur participation à l’activité nationale ») ; F.T. Marinetti, « Un movimento artistico crea un Partito Politico », ibid., p. 351.
27 « La Forza doveva sverginare il Diritto, fecondarlo di nuova forza e morire perché nascesse un Diritto più forte » ; F.T. Marinetti, « Ideologie sfasciate dalla conflagrazione », ibid., p. 355.
28 F.T. Marinetti, « Contro il matrimonio », et « Orgoglio italiano rivoluzionario e libero amore », ibid., respectivement p. 368-371 et p. 372-379. Le premier texte a paru aussi dans Roma futurista, n° 21, II, 25 mai 1919, une partie du second dans L’Ardito, n° 20, I, 21 septembre 1919.
29 « Tutti soffrono, si deprimono, si esauriscono, incretiniscono, in nome di una divinità spaventosa da rovesciare : il sentimento » ; F.T. Marinetti, « Contre il matrimonio », op. cit., p. 368.
30 « La donna non appartiene a un uomo, ma bensì all’avvenire e allo sviluppo della razza » (« La femme n’appartient pas à un homme, mais à l’avenir et au développement de la race ») ; ibid., p. 370.
31 « Noi vogliamo che una donna ami un uomo e gli si conceda per il tempo che vuole » ; ibid., p. 370.
32 En affirmant qu’une seule femme peut s’occuper de 100 petits enfants, Marinetti se montre d’un total manque de réalisme. Dans le chapitre suivant, il précise aussi que 30 mères seront ainsi libérées. Cela suppose un taux de natalité d’environ 3,3 enfants par femme.
33 « La vasta partecipazione delle donne al lavoro nazionale prodotto dalla guerra, ha creato un tipico grottesco matrimoniale : Il marito possedeva del denaro o ne guadagnava, ora l’ha perduto e stenta a riguadagnarne. Sua moglie lavora e trova il modo di guadagnare un denaro abbondante [...]. La moglie ha per il suo lavoro stesso la necessità di una vita poco casalinga, il marito invece non lavorando concentra tutta la sua attività in una assurda preoccupazione di ordine casalingo. Rovesciamento completo di una famiglia dove il marito è diventato una donna inutile con prepotenze maschili e la moglie ha raddoppiato il suo valore umano e sociale. Urto inevitabile tra i due soci, conflitto e sconfitta dell’uomo » ; F.T. Marinetti, « Contro il matrimonio », op. cit., p. 371.
34 « perniciosa promiscuità sessuale », F.T. Marinetti, « Orgoglio italiano rivoluzionario e libero amore », op. cit., p. 372.
35 « primo deposito e fabbrica di munizioni umane » ; ibid., p. 374.
36 « utilizzare tutte le forze produttrici del sesso femmina » ; ibid.
37 « godere carnalmente la donna amata [...] covi ributtanti di insidiose malattie veneree » ; ibid., p. 375.
38 « solo se è madre essa può degnamente chiamarsi donna, se è sterile essa è una femmina ignobile mercantessa di piacere » (« seulement si elle est mère, elle peut dignement être appelée femme, si elle est stérile, elle est une femelle ignoble marchande de plaisir ») ; ibid., p. 376.
39 « nessuno ricuserà di pagare una somma annuale anche elevata sapendo che egli è completamente libero di amare a suo piacimento, senza il torturante assillo delle conseguenze dei suoi atti, sapendo che con taie piccolo sacrificio pecuniario resta liberato dalle noie della famiglia e dei figli » (« personne ne refusera de payer une somme annuelle même importante sachant qu’il est complètement libre d’aimer à son gré, sans l’inquiétude torturante des conséquences de ses actes, sachant que par ce petit sacrifice pécuniaire il sera délivré de tout souci de famille et d’enfants ») ; ibid.
40 « 2. Permettere all’uomo maschio il possesso di più femmine e viceversa. 3. Favorire il libero amplesso » ; ibid., p. 378.
41 C’est pourquoi il s’exilera aux États-Unis en 1925. Cf. sur ce point C. Salaris, Marinetti. Arte e vita futurista, op. cit., p. 255.
42 E. Robert, « Maternità et economia » (« Maternité et économie »), lettre publiée dans L’Impero, 6 février 1929.
43 L’ouvrage de M. Goretti, La Donna e il futurismo, op. cit., sur lequel nous reviendrons rapidement plus loin, est exemplaire en ce sens. Le rôle de la maternité dans le processus d’évolution de la femme futuriste vers le fascisme mériterait d’être attentivement étudié.
44 On ne peut se passer de mentionner la pièce RUR de Karel Capek (1920). L’écrivain tchèque imagine la révolte et la victoire des hommes-robots contre les hommes qui les ont inventés et asservis ; mais dans un monde déshumanisé, les robots ne savent plus comment se reproduire ; l’amour redonnera l’espoir d’une régénération. Une dizaine d’années plus tard est publié le roman d’Aldous Huxley Le Meilleur des mondes (1932), où la question de la maternité et de l’enfantement joue un rôle central dans la constitution d’un monde prétendument parfait, mais qui échoue précisément dans la tentative de supprimer la maternité féminine, biologique et affective.
45 Cf. notamment le texte « Contro il papato e la mentalité cattolica » (« Contre la Papauté et la mentalité catholique »), in F.T. Marinetti, Democrazia futurista, op. cit., p. 383-385.
46 L. Abensour, très engagé dans le combat pour l’émancipation des femmes, affirmait en 1927 : « La guerre mondiale a hâté, dans la plupart des pays du monde, la solution du problème féministe. Jamais encore, à aucune époque, on n’avait vu presque toute la population masculine de l’Europe accaparée par la guerre... » ; Le Problème féministe, op. cit., p. 135. Quant à l’historienne F. Thébaud, elle constate que « L’idée que la Grande Guerre a bouleversé les rapports de sexe et émancipé les femmes bien plus que des années ou même des siècles de combat antérieurs est très répandue pendant et au lendemain du conflit. C’est un lieu commun de la littérature et du discours politique, que la rupture soit saluée ou dénoncée, mesurée avec rigueur ou amplifiée jusqu’aux fantasmes », « La Grande Guerre : Le triomphe de la division sexuelle », in G. Duby, M. Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, op. cit., p. 31-32.
47 C’est également la thèse d’E. Santarelli, op. cit, p. 75-107.
48 Tout récemment, le rapport entre la guerre et les revendications égalitaires des femmes a été abordé par divers historiens qui en concluent tous à la nécessité de paix sociale pour l’avancement des droits ; cf. notamment M. Van Creveld, Les Femmes et la guerre, Paris, Rocher, 2002 ; C. Dauphin et A. Farge (dir.), De la violence et des femmes, Paris, Albin Michel, 1997 ; M. Gagnon, Anna, Jeanne, Samia, Paris, Fayard, 2001.
49 « En définitive, plutôt que de parler de bilan contradictoire, ou d’opposer les années vingt (émancipation) aux années trente (réaction), je préfère souligner, outre le rôle essentiel du genre dans le système de la guerre, le caractère profondément conservateur de la guerre en matière de rapport entre les sexes. Dans cette perspective, on comprend mieux que notre XXème siècle, si longtemps fait de guerres, d’après-guerres et d’entre-deux-guerres, n’ait connu que tardivement, pas avant les années soixante, un réel bouleversement des rapports masculin-féminin » ; F. Thébaud, « La grande guerre. Le triomphe de la division sexuelle », op. cit., p. 74. Pour un avis contraire, cf. L. Re, Scrittura della metamorfosi e metamorfosi della scrittura, op. cit., p. 320, qui affirme notamment que la Première Guerre mondiale « a abattu les structures, les conventions et les images qui réglaient le genre », en citant l’historienne Mary Louise Roberts, , 1917-1927, Chicago, The University of Chicago Press, 1994.
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