Au carrefour du droit et de l’anthropologie
p. 73-74
Texte intégral
1Un colloque présidé par le doyen Carbonnier s’est tenu, à la Faculté de droit de l’Université d’Auvergne, en mars 1995 avec le concours du CNRS et de l’AFAD dont le titre était « Dot, femme et mariage » et dont l’objectif était de comparer, historiquement et géographiquement, les différentes formes de transactions financières qui accompagnaient les mariages. Ce colloque, dont j’avais eu l’idée, m’a permis de mieux cerner la nécessité mais aussi la difficulté de faire coopérer juristes et anthropologues sur un tel thème. La remarque n’est pas nouvelle : déjà l’Afrique coloniale, fréquentée alors par les tenants des deux disciplines, avait été le théâtre d’un premier affrontement à l’occasion de la rédaction des « coutumiers » par les administrateurs de la France d’outre-mer, démarche et résultat unanimement décriés (voire considérés comme sacrilège) par tous les anthropologues.
2J’avais du mérite à organiser cette rencontre (le premier colloque d’anthropologie juridique d’après Raymond Verdier) où divers collègues de spécialité différente allaient se côtoyer et où les inévitables frictions ressurgiraient peut-être. L’encouragement et le patronage du doyen Carbonnier suffiraient-ils à pacifier les esprits ? Une raison supplémentaire d’inquiétude tenait au thème même du colloque : on allait, bien sûr, aborder la compensation matrimoniale, devenue chasse gardée des ethnologues africanistes, et la rapprocher de son équivalent européen au Haut Moyen âge que les historiens du droit ont parfaitement étudié (travaux insuffisamment exploités en anthropologie). N’allait-on pas à nouveau nous coiffer du casque colonial ?
3Grâce à l’esprit de conciliation de Raymond Verdier et d’autres, la rencontre ne dégénéra pas en combat et fut extrêmement fructueuse. Elle me permit aussi de mesurer les différences de méthode des deux disciplines, peut-être la racine du malentendu. Sans bien sûr postuler une quelconque supériorité ou avantage de rigueur des juristes, j’emprunte à Alain Testart, anthropologue ayant participé au colloque et ayant fourni de magistrales clés de compréhension du sujet, la première remarque : pour lui des définitions précises et dès lors une typologie font trop souvent défaut (parfois volontairement) dans sa discipline et ceci nuit à la rigueur du travail théorique (la réticence à définir les différentes formes de dot ou de transaction en est un exemple). Ma seconde remarque intéresse un penchant que j’avais repéré chez les collègues anthropologues (et que certains reconnaissent), à savoir une tendance à ramener presque tout au symbolique négligeant, en l’occurrence, la charge économique des échanges financiers et l’analyse des droits transmis via ces paiements (lors des mariages mais peut-être aussi en d’autres occasions). Poursuivant la critique dans cette direction, notre éminent collègue Testart va jusqu’à suggérer que l’idée d’un achat des femmes, que suggère la compensation matrimoniale, met mal à l’aise l’observateur (comme les sacrifices humains et d’autres pratiques) et qu’il s’efforce de présenter cela sous un jour aimable afin de ne pas horrifier un public non averti (ou de gêner les futurs travaux de terrain). On se souvient des protestations qui avaient suivi l’exposé des thèses de Morand sur le mariage-achat en Algérie. On se souvient moins que le premier auteur qui, à ma connaissance, a protesté contre la hausse insensée des compensations matrimoniales en Afrique fut notre collègue Solus que les hasards des concours avaient conduit à enseigner le droit au Cameroun.
4Souhaitons que des rencontres de ce genre se poursuivent (voir les colloques organisés à Paris XI) et remercions le doyen Carbonnier d’avoir contribué au décloisonnement et au dialogue de ces humanismes que sont le droit et l’anthropologie.
Auteur
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Florence Laroche-Gisserot
Juriste
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