1La cuisson constitue une étape essentielle du processus de fabrication puisque c’est à cette étape que les récipients vont acquérir des propriétés physico-chimiques et des caractéristiques irréversibles : c’est à cette étape que la pâte perd sa plasticité, acquérant une cohésion nouvelle, ainsi qu’une porosité, une dureté et une couleur définitives. Les propriétés acquises au cours de la cuisson dépendent non seulement de la nature des argiles, mais également des paramètres de cuisson que sont les températures, la vitesse de chauffe, la durée de palier et l’atmosphère de cuisson. Ces différents paramètres sont présentés ci-après. Sont ensuite décrites et caractérisées les deux principales techniques de cuisson, cuissons où les pièces à cuire sont en contact direct avec le combustible et cuissons où les pièces à cuire sont séparées du combustible par une sole.

Les paramètres de cuisson

Les températures

2De manière générale, il y a transformation irréversible de la pâte en terre cuite à partir de 400°C, et cuisson complète à partir de 650°-700°C . On parle de basses températures lorsque les températures de cuisson sont inférieures à 900°C et de hautes températures lorsqu’elles sont supérieures à 900°C.

La vitesse de chauffe et la durée de palier

3Le résultat d’une cuisson dépend non seulement des températures, mais aussi de la vitesse de montée en température et de la durée du palier de cuisson. La montée en température correspond à l’étape de combustion durant laquelle le feu est alimenté. La durée du palier de cuisson correspond à la durée pendant laquelle la température est à son maximum avant de redescendre.

Les atmosphères de cuisson

4Dans une cuisson, deux atmosphères se succèdent, réductrice puis oxydante109. À l’atmosphère réductrice correspond la combustion, qui est consommatrice d’une grande partie de l’oxygène présente dans le foyer (mais non la totalité) et qui est riche en monoxyde de carbone, tandis qu’à l’atmosphère oxydante correspond la phase de post-combustion pendant laquelle l’atmosphère est à nouveau riche en oxygène et redevient donc oxydante.

5Dans le cadre de la cuisson des poteries, on dit qu’une cuisson est oxydante ou réductrice.

6Une cuisson oxydante est une cuisson où, en dépit de la phase de réduction lors de la montée en température pendant laquelle le combustible nécessite une grande quantité d’oxygène, l’oxygène libre de la post-combustion favorise l’oxydation de la pâte, notamment celle des matières organiques et des matériaux ferreux. Les céramiques cuites en atmosphère oxydante sont de couleur claire, grâce à une réoxydation et une décarburation par apport d’oxygène en post-combustion, les oxydes de fer se maintenant en oxydes ferriques110.

7Une cuisson réductrice est une cuisson « avec phase de réduction », c’est-à-dire avec privation partielle d’oxygène, non seulement lors de la montée en température, mais également en post-combustion. Une atmosphère réductrice peut être créée en post-combustion en réduisant l’apport d’oxygène, par exemple en bouchant les arrivées d’air dans la chambre de cuisson ou en rajoutant du combustible afin que celui-ci génère beaucoup de fumée et un excédent de carbone par insuffisance d’oxygène. Une cuisson réductrice peut être également obtenue en plaçant les récipients dans des contenants fermés (appelés casettes). Les céramiques cuites en atmosphère réductrice sont de couleur foncée, de grise à noire, les oxydes de fer se transformant en oxydes ferreux111.

8Cuissons oxydantes et réductrices peuvent être obtenues dans des cuissons ouvertes et en four. Par ailleurs, un même récipient peut faire l’objet d’une cuisson à la fois réductrice et oxydante. C’est le cas des récipients empilés les uns dans les autres, ouverture contre fond ; l’intérieur est privé d’oxygène et donc noir, tandis que l’extérieur est rouge.

Les techniques de cuisson

9Deux grandes familles de techniques de cuisson sont distinguées : les cuissons où les récipients sont au contact du combustible et les cuissons où les récipients ne sont pas au contact du combustible. Les basses températures sont souvent associées aux premières, et les hautes températures aux secondes. De même, les montées rapides de températures sont associées aux premières, et les montées lentes, assurant une meilleure cuisson des pâtes, aux secondes. Pour ces raisons, ces dernières ont longtemps été considérées comme un progrès dans la maîtrise du feu. Toutefois, des enquêtes ethnoarchéologiques ont permis de nuancer ces propos112.

Les cuissons avec contact entre récipients et combustible

10Ces cuissons comprennent les cuissons ouvertes et les cuissons à enceinte. Dans tous les cas, le principe général est le même. Les récipients sont au contact direct du combustible sur lequel ils reposent directement ou indirectement par le biais de petits supports (ex. des tessons). Une couche de combustible les recouvre partiellement ou complètement. Pour cette raison, la fabrication de pots glaçurés avec ce type de cuisson est très rare113.

Les cuissons ouvertes

11Les cuissons ouvertes sont encore très largement utilisées de nos jours (Amérique, Afrique, Asie), ce qui permet d’en décrire les permanences et les variantes principales. Ces cuissons sont utilisées aussi bien pour de très petites productions (une poterie), que pour de très grandes productions (plusieurs milliers de poteries).

12Les températures atteintes dans les cuissons ouvertes sont généralement comprises entre 600°C et 900°C. Dans certains cas, les températures atteignent les 1000°C.

13Les cuissons ouvertes incluent les cuissons sur des structures-combustibles (ex. clayonnages en bambou), en tas (sur sol horizontal), en dépression et en fosse [figures 1.52, 1.53 et 1.54]. Elles présentent de nombreuses variantes qui touchent aux combustibles utilisés, à l’arrangement des céramiques, à la présence d’une couverture pour maintenir la chaleur, à la nature des matériaux de couverture (tessons, matériau argileux, tôle métallique..), à l’atmosphère de cuisson, oxydante ou réductrice, aux modalités de mise à feu, qui peut se faire à partir d’un ou plusieurs foyers et préalablement ou postérieurement à l’agencement de la structure de cuisson114, aux modalités de circulation d’air qui sont déterminées par l’arrangement des récipients (circulation centrale, radiale, etc.) ou encore aux modalités d’alimentation du combustible (alimentation continue ou non). Selon ces variantes et la taille de la structure, la mise à feu s’étend rapidement ou lentement et la combustion dure entre quelques dizaines de minutes et plusieurs heures. À combustible et taille de structure égaux, d’après des données ethnographiques collectées en Afrique, la durée des cuissons sans couverture (de 20 à 40 mn) est plus rapide qu’avec couverture (de 60 à 114 mn), et la durée des cuisson en tas (de 20 à 60 mn) est plus rapide que celle des cuissons en fosse (de 40 à 114 mn)115 ; en ce qui concerne le combustible, toutes choses égales par ailleurs, une cuisson alimentée avec de la paille est nettement plus rapide qu’avec le recours à des bouses de vaches116, ces dernières présentant en outre l’avantage de garder à l’état de braises leur volume d’origine, protégeant ainsi les pièces cuites d’un refroidissement brutal.

14Les cuissons sont suivies d’un temps de refroidissement également variable, selon que les récipients sont retirés à froid ou à chaud. Lorsqu’ils sont retirés à froid, les temps de refroidissement sont compris entre 12 et 24 heures.

15Précisons qu’en cuisson ouverte, les récipients peuvent faire l’objet d’une pré-cuisson. L’objectif est de limiter les accidents de chauffe qui peuvent se produire lors de la montée en température. La pré-cuisson consiste à chauffer chaque récipient avant l’allumage de la cuisson en les exposant directement à une source de chaleur (par exemple, un morceau de bois enflammé déposé dans le récipient, ceci pendant environ 30 minutes). Elle est pratiquée dans le cadre de cuisson avec des combustibles qui se consument rapidement [figure 1.54]. Elle est également pratiquée pour accélérer le processus de séchage avant la cuisson.

Description d’une cuisson ouverte en fosse dans le Nord de l’Inde [figure 1.52]. La cuisson se déroule à Dibai (district de Bulandshar, Uttar Pradesh, 2008). Afin de s’assurer que les poteries reposeront sur un sol sec alors même que le sol a été récemment arrosé par la pluie (le mois de juillet est celui de la mousson), une bâche en plastique est tout d’abord disposée sur le sol et recouverte de paille. Une première couche de galettes de bouses de vache séchées mélangées à de la paille est ensuite aménagée. De la sciure de bois est saupoudrée sur les galettes. Au centre, quatre poteries déjà cuites sont disposées en carré. Des morceaux de galettes de bouses sont placés au centre du carré. Puis des céramiques non cuites sont empilées sur les quatre céramiques cuites afin de former une cheminée. Tout autour sont ensuite disposées des galettes de bouses de vache sur lesquelles est adossée une première rangée de céramiques empilées les unes sur les autres.

Figure 1.52 Cuisson ouverte en dépression :

Figure 1.53 Cuisson sur claies de bambou (Philippines, île de Leyte).

Celle-ci reçoit à son tour une rangée de galettes disposées verticalement sur champ. Selon ce schéma, où rangées de poteries alternent avec rangées de galettes, la fosse de cuisson se remplit progressivement, en partant du centre vers l’extérieur. La dernière rangée extérieure est constituée par les galettes de bouses de vache qui sont cette fois-ci empilées les unes sur les autres et non plus disposées sur champ. À ce stade, la partie supérieure du dôme formé par les poteries est laissée vide et saupoudrée de sciure de bois ; le combustible déposé au fond de la cheminée est allumé en y déposant des morceaux de galettes de bouses de vache incandescents. Le dôme supérieur est alors recouvert de galettes, et l’ensemble du tas par de la paille. Celle-ci est ensuite badigeonnée de matériau argileux humide.
En Inde, les cuissons en tas ou en fosse peuvent être constituées de plusieurs milliers de récipients. Elles durent environ six heures (temps pour atteindre la température maximale), sachant que les poteries sont retirées après 12h à 24h de refroidissement (exemple d’un début de cuisson vers 10h le matin, combustible incandescent vers 16h30 et retrait des poteries le lendemain matin vers 9h30).

Figure 1.54 Exemple de pré-chauffage et cuisson ouverte :

Les cuissons à enceinte

16Les cuissons à enceinte (appelées aussi fourneaux117) se distinguent des cuissons ouvertes par la présence d’une structure construite qui peut barrer un flanc de pente, ou être fermée (circulaire, rectangulaire) et entourer un espace plat ou une dépression peu profonde. Le mur peut être en terre crue, en pierres ou en briques [figure 1.55]. Il est pourvu d’une ouverture ou d’une série d’ouvertures au niveau du sol à partir desquelles se fait l’allumage. L’avantage de contenir la cuisson par une enceinte est, d’une part, de limiter les effets des coups de vent qui sont à l’origine de nombreux accidents de cuisson, d’autre part, de réduire la surface de couverture temporaire des récipients.

17Les cuissons à enceinte peuvent être ouvertes ou fermées, c’est-à-dire avec ou sans couverture permanente. Des exemples de cuisson à enceinte construites en adobe et fermées par un dôme sont observables de nos jours en Amérique du Sud (exemple en Equateur) et en Asie (exemples en Thaïlande et au Laos).

18Les variantes de combustible, de couvertures temporaires et de temps de cuisson sont les mêmes que celles décrites pour les cuissons ouvertes.

19La capacité des cuissons à enceinte peut varier considérablement, de 20 jusqu’à 1000 récipients (cas rencontré en Inde).

Les cuissons sans contact entre récipients et combustible

20Cette famille de cuisson regroupe l’ensemble des fours qui comprennent toujours une chambre de combustion, un lieu d’enfournement du combustible, et une chambre de cuisson où les récipients sont empilés. Les différents types de fours à poterie se répartissent en fonction du principe de répartition de la chaleur. On distingue entre les fours :

• à flamme directe ; les flammes traversent la chambre de cuisson ; c’est le cas des fours à tirage vertical ou horizontal.
• à flamme renversée : les flammes sont séparées de la chambre de cuisson par une cloison qui s’arrête à mi-hauteur ; elles sont ainsi guidées vers la voûte de la chambre de cuisson pour être ensuite rabattues grâce à une cheminée dont le départ est à la base de la chambre de cuisson ; les soles peuvent être temporaires, sous forme de barres céramiques en appui contre les parois qui se succèdent en hauteur. Les flammes ne traversant pas la chambre de cuisson, la cuisson est plus homogène que dans les fours à flamme directe118.
• à chaleur radiante : le contact direct avec les flammes est remplacé par une circulation de la chaleur dans des tubulures prises dans la maçonnerie du four, qui assurent ainsi une chaleur homogène au sein de la chambre de cuisson119.

Figure 1.55 Cuisson à enceinte :

Figure 1.56

21Seuls sont ici décrits les fours actuels à flamme directe et donc les fours à tirage vertical ou horizontal, ce type de four correspondant à ce que l’on connaît pour les périodes précédant l’Antiquité. Les températures atteintes dans ces types de four sont comprises entre 850°C et 1000°C. Les briques qui servent à l’utilisation des fours sont réfractaires, c’est-à-dire en mesure de résister à des températures supérieures à 1000°C sans modification notable de leurs propriétés physico-chimiques.

Le four à tirage vertical

22Le four à tirage vertical est aussi appelé four à sole à tirage ascendant. Il est composé d’une partie inférieure, la chambre de combustion, et d’une partie supérieure, la chambre de cuisson où sont empilés les pots [figure 1.56]. Ces deux chambres sont séparées par une sole perforée – à trous, à rayons, en arc –, faite en divers matériaux – terre, brique ou métal – qui peut reposer sur un ou deux piliers ou sur des consoles latérales. Le combustible est introduit dans la chambre de combustion par une ou plusieurs ouvertures. La chaleur monte à la verticale, de la chambre de combustion vers la chambre de cuisson.

23La chambre de cuisson présente un grand nombre de variantes. Elle peut être ouverte ou ceinte par un mur. Dans le premier cas, aucun mur n’est construit. Une sole en surface sépare la chambre de combustion qui est creusée dans le sol, tandis que les récipients sont empilés sur la sole et éventuellement protégés par un auvent. Dans le second cas, la chambre de cuisson est construite dans le prolongement de la chambre de combustion, les murs délimitant un espace de forme variable : rond, ovale, carré ou rectangulaire. La couverture des chambres de cuisson peut être temporaire ou permanente. Dans le premier cas, la couverture est formée le plus souvent de tessons céramiques, qui peuvent être ou non recouverts de végétaux badigeonnés ensuite de terre mouillée comme pour les cuissons ouvertes. Mais elle peut être aussi formée par des dômes temporaires en briques. Lorsqu’elle est permanente, elle présente une fenêtre d’enfournement amovible.

24Les modalités d’empilement des poteries au sein des fours sont variables. Afin de caler les pièces à cuire, des accots sont utilisés : petits morceaux en pâte céramique crue ou cuite de forme et taille variable120. Pour la céramique glaçurée, afin d’éviter que les poteries ne se touchent pendant la cuisson et risquent de se coller entre elles étant donné leur revêtement fusible, ce sont des pernettes qui sont utilisées en support, généralement en terre cuite de forme triangulaire ou en forme de tripode.

Le four à tirage horizontal

25À la différence du four à tirage vertical, le four à tirage horizontal se caractérise par la direction horizontale de la chaleur. La chambre de combustion se présente avec des ouvertures horizontales qui donnent sur une chambre de cuisson située au même niveau. La chambre de combustion peut être, à l’instar des fours à tirage vertical, ouverte ou construite. La couverture peut également être temporaire ou permanente.

Propriétés des cuissons ouvertes et des fours

26Des enquêtes ethnoarchéologiques, avec plusieurs dizaines d’enregistrements de températures à l’aide de thermocouples, ainsi que des expérimentations ont montré que les profils thermiques des cuissons ouvertes et des cuissons en four se chevauchent121 [tableau 1.4].

Tableau 1.4 : Données comparatives sur les cuissons ouvertes et sur les fours (d’après O. Gosselain 1992 et A. Livingstone-Smith 2001a).

27En effet, d’après ces enquêtes, les cuissons ouvertes peuvent durer de quelques dizaines de minutes à plusieurs heures et atteindre des températures comprises entre 550°C et 1000°C, avec une vitesse de montée en températures allant de quelques degrés par minute jusqu’à 120°C/mn. Les cuissons en four peuvent durer entre 1 heure et 6 heures, atteindre des températures comprises entre 650°C et 1000°C, avec une vitesse de montée en températures de moins de 20°C par minute. Quant à la durée de palier des températures supérieures à 700°C, elle est comparable dans les deux cas, aux alentours de 20 minutes.

28On pourrait ajouter que quelle que soit la cuisson, ouverte ou en four, la dureté des céramiques est comparable, dès lors qu’elles sont restées suffisamment longtemps exposées à la chaleur.

29Les différences techniques majeures entre cuisson ouverte (avec ou sans enceinte) et cuisson en four sont illustrées par les accidents de cuisson : les risques sont plus élevés avec les cuissons ouvertes en raison des intempéries (coups de vent, pluie) qui peuvent détruire à tout moment des chargements entiers [figure 1.57].

Figure 1.57 Cuisson en fosse et accident de cuisson dû à un fort coup de vent (Dibai, Uttar Pradesh, Inde).