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L’énigme Henri III

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Isabelle Haquet

Conclusion

Texte intégral

1Les chiffres du collier de l’ordre du Saint-Esprit nous révèlent qu’au 31 décembre 1578, la doctrine d’Henri III est définitivement fondée autour de ses grands axes de développement : Logos-Esprit-Saint et Psaumes pénitentiels. La première notion évoque l’incarnation divine à travers la troisième hypostase et la seconde, la voie – et la voix – de la nouvelle Église. Personnifiée ou émise, la Parole est au cœur du culte. Henri III modifie la forme de la religion et se présente à la fois comme une nouvelle référence et, directement mais de manière cachée, comme le nouvel objet de la foi. Il se met au centre de son Église et du culte nouveau. Tel est le message que nous délivrent, toutes ensemble ou individuellement, les images qu’Henri III a personnellement voulues.

2Cette année-là est justement celle de la transformation de l’effigie du dernier Valois, à travers l’abandon d’une ancienne tradition du portrait. Ce qui prouve que dans son intention même, le prototype en noir résulte d’un ajustement de celui de 1578, par la disparition des bijoux inutiles, le redressement du bonnet désormais distinct des autres coiffes, et la simplification de la coiffure qui permettent de mettre en exergue les symboles qui y apparaissent. Il est difficile de dire si cette dernière et définitive évolution s’est faite progressivement jusqu’à son aboutissement en 1580, comme l’indiquent les gravures datées, ou si la transformation est déjà accomplie en 1579.

3C’est encore en 1578 qu’Henri III fait ses premières tentatives de portraits gravés, avant d’engager la diffusion d’un modèle unique et de se porter au-devant de chacun de ses sujets. Jean II Rabel, vraisemblable portraitiste officieux du roi, paraît être au cœur de cette organisation d’un nouveau genre. Il est alors une exception par son rôle régulier auprès du monarque : ordinairement, pour ses décisions iconographiques et ses quêtes intellectuelles orientées, le Valois garde la main en diversifiant les hommes qu’il sollicite et en les laissant dans l’anonymat. Au contraire, il commande régulièrement au portraitiste-éditeur qui met au point une image modifiée du roi, où les symboles prennent une plus grande dimension grâce à des variantes subtiles et a priori insignifiantes si le portrait est vu isolément ; en 1580, il l’édite en taille-douce et en transmet un modèle pour son exécution sur bois l’année suivante ; en 1586, il supprime la superposition de la couronne d’épines sur le bonnet mais l’oreille reste une arabesque traitée en aplat et il donne à Henri III son titre d’Eoniæ Rex ; en 1587, sa peinture du roi en maître souverain de l’ordre du Saint-Esprit-peut-être issue du grand tableau de l’ordre-est éditée en gravure. Jean II Rabel est le seul personnage identifié dans l’iconographie parallèle que le monarque développe, sans doute parce qu’il possède des compétences uniques : il sait représenter fidèlement le modèle, parvient à traduire graphiquement les « détails » symboliques dictés par le roi et offre la possibilité de diffuser auprès de tous le portrait ainsi établi grâce à son atelier de gravure.

4Même si le système est en place dès l’instauration de l’ordre du Saint-Esprit, les créations artistiques qui se font jusqu’à l’assassinat des Guise dix ans plus tard viennent prolonger la fantasmagorie d’Henri III, apportant des indices supplémentaires ou, plus précisément, offrant de nouvelles voies d’accès à son univers. Elles rendent compte de sa conception des arts du dessin, compris au côté de la parole comme des branches de l’art de l’éloquence. Ses détournements des iconographies traditionnelles pour leur offrir un nouveau sens sont étonnants par leur finesse et leur précision sémantique. Ils auraient pu passer inaperçus, mais leur impression sur le public ne fait pas de doute : si les ligueurs n’ont jamais proféré des accusations directes en utilisant ces images, ils en ont reçu la teneur-les accusations d’hypocrisie, de sorcellerie à Vincennes ou d’idolâtrie en témoignent.

5Le formatage visuel et intellectuel d’une société élaborée ne permet pas facilement de sortir des schémas de pensée unique. La perpétuelle interprétation impérialiste de l’emblème ou les raisonnements univoques de l’Académie en témoignent, quand le monarque joue avec grande liberté de tous les savoirs que lui présentent ces intellectuels, dévoués à son service. Henri III isole les éléments d’une démonstration ou relit les textes de manière littérale, afin de développer ses propres idées et de dégager de nouvelles interprétations. Il conçoit le dessein des œuvres qui le touchent et donne des instructions extrêmement précises aux artistes – voire leur confie des patrons issus de sa main. Ainsi crée-t-il de manière autonome le système de pensée qui lui convient et que seules les images relaient. L’iconographie nouvelle est ainsi fondée sur un vocabulaire maîtrisé de tous mais détourné par l’invention personnelle d’Henri III. Le message qui s’en dégage est intimement ressenti, tout en restant inférieur au seuil de la conscience, ce qui n’est pas sans évoquer le fonctionnement des images subliminales. Sa maîtrise de telles constructions est remarquable. Est-ce ainsi qu’Henri III a conçu le pouvoir magique des images ? Qu’il a pensé le contrôle des émotions suscitées par elles ? Et qu’il a souhaité secrètement persuader ? Cet ensemble iconographique apparaîtrait alors comme un aboutissement personnel des recherches contemporaines sur le pouvoir discursif des images.

6La mise en lumière de la fantasmagorie offre des réponses à l’étrangeté du dernier Valois, situé à la lisière entre humilité religieuse et idolâtrie curiale, pugnacité pour supplanter Charles IX dans son rôle de roi de guerre et tolérance pacifique du même homme devenu Roi Très-Chrétien. Être le premier a un sens extraordinairement profond pour Henri III. Sa Majesté n’en a jamais fait mystère et tous les contemporains l’ont qualifié de royal. Seulement au fond de lui, il était divin, ce qu’il a exprimé à travers un langage codé. Il a consacré une énergie incroyable à rendre sensible aux autres son imaginaire, sans le dévoiler tout à fait, dans une période sombre de l’histoire où les consciences individuelles ne savent plus quels rêves porter.

7Sans doute, le mystère Henri III est-il en partie dévoilé, mais l’iconographie n’a pas fini de livrer tous ses secrets.

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