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    Plan détaillé Texte intégral Les associations d’encadrement de la jeunesse des cités : un terreau militant fertileLa mobilisation du réseau associatif et des éducateurs de cité pour la MarcheL’engagement pour la seconde marche de « Convergence 84 »La résistance des éducateurs au militantisme partisan Notes de bas de page Auteur

    La marche de 1983

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Une politisation a posteriori. La réception de la Marche au Blanc-Mesnil et ses effets

    Samir Hadj Belgacem

    p. 130-148

    Texte intégral Les associations d’encadrement de la jeunesse des cités : un terreau militant fertileLa mobilisation du réseau associatif et des éducateurs de cité pour la MarcheL’engagement pour la seconde marche de « Convergence 84 »La résistance des éducateurs au militantisme partisan Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    Pancarte en hommage aux victimes à l’arrivée de la Marche à Paris.

    Image 100000000000029200000248D12FE08EF631FE41.jpg

    1La Marche pour l’égalité et contre le racisme, au même titre que d’autres mouvements sociaux, peut être envisagée comme un vecteur de politisation contribuant à l’émergence d’une « conscience spécifique1 ». La Marche de 1983 a favorisé la découverte d’une communauté d’expérience et de destin des enfants des familles ouvrières et immigrées (notamment des pays du Maghreb et des anciennes colonies) et a pu être à l’origine de différentes formes d’engagement. Cependant, la Marche n’a pas pour autant touché l’ensemble des habitants des banlieues françaises, bien au contraire. La mémoire de l’évènement est longtemps restée confidentielle et n’a pas encore trouvé une véritable place dans la mémoire collective. Un sondage réalisé à l’occasion des trente ans de la Marche montrait que seulement 19 % des personnes interrogées se souvenaient de cet évènement2. Il existe donc un net décalage entre la mémoire militante de l’évènement et sa réception à l’échelle plus large des populations immigrées ou des habitants des cités. Si l’on veut mesurer la portée de l’évènement, il n’est pas possible de s’en tenir aux témoignages des seuls marcheurs et des groupes militants structurés et mobilisés antérieurement à la Marche. Pour comprendre quels en ont été les effets à une plus large échelle, il est nécessaire d’enquêter dans des contextes locaux et auprès d’acteurs plus ordinaires. Les travaux sur les effets de la Marche ont surtout considéré ses conséquences sur le plan national en s’appuyant sur les évolutions de la dynamique associative3 comme en analysant ses transformations à l’échelle locale4. La Marche a fait également l’objet d’analyses plus générales en tant que vecteur de socialisation générationnelle5, mais rarement dans un cadre localisé. Si la participation à la Marche a contribué sans conteste à l’entrée en politique des marcheurs6, elle a également eu des effets sur les participants aux différentes étapes comme sur ceux de la manifestation parisienne du 3 décembre. Pour autant, peu de travaux ont cherché à étudier les répercussions de l’évènement dans les configurations locales. La Marche a-t-elle rayonné au-delà des cercles militants et parisiens ? A-t-elle eu un réel impact localement ? Si oui, quels ont été ses effets ? Comment cet évènement est-il devenu un vecteur de socialisation politique ?

    2Pour envisager ces questions, je m’appuierai sur une enquête menée dans la ville du Blanc-Mesnil, située à la limite de la deuxième couronne parisienne (soit à moins de 15 kilomètres de Paris). Dans cette ville, qui n’a pas été une étape de la Marche de 1983, l’évènement a eu des répercussions locales. C’est en étudiant les premières associations de jeunes qui se créent sur la ville entre la fin des années 1970 et le début des années 1980 et en rencontrant leurs anciens responsables que j’ai pu analyser sa place dans les récits de vie comme dans les carrières militantes. La Marche a fait l’objet de plusieurs témoignages, circonstanciés et parfois plus allusifs, intégrés ou non dans une série d’autres évènements historiques. Ces récits offrent un moyen pour saisir la résonance de l’évènement à l’échelle tant individuelle que locale. La Marche n’a pas été évoquée par tous les militants comme étant le marqueur ou le déclic de leur engagement. Néanmoins, l’évènement est souvent inclus dans une généalogie des expériences militantes. Les récits militants font par ailleurs émerger de nouvelles questions. Comment s’est opérée la mobilisation pour participer à la Marche ? Quels ont été ses relais et ses effets sur la dynamique associative locale ? Dans un premier temps, il s’agira d’envisager comment de jeunes éducateurs d’une association de quartier dans le sud du Blanc-Mesnil sont sollicités pour participer à l’arrivée de la Marche, le 3 décembre à Paris. Ensuite, je montrerai comment l’évènement a pu influer sur les engagements associatifs et les trajectoires militantes7. Enfin, je tâcherai de montrer les effets de politisation induits avec l’accueil de « rouleurs » de Convergence 848 et l’entrée en conflit progressive de l’association avec la municipalité de gauche et les militants communistes.

    Les associations d’encadrement de la jeunesse des cités : un terreau militant fertile

    3Au début des années 1980, il existe déjà un tissu associatif dans les cités de la ville du Blanc-Mesnil, même s’il est encore peu développé. Parmi les associations qui touchent une partie de la jeunesse, il est possible d’identifier des mouvements de jeunesse et en particulier, dans les quartiers nord, la section de l’Union nationale des jeunes algériens (UNJA), créée en 1979, et qui rayonne à l’échelle de la ville. Cette organisation de jeunesse proche de l’Amicale des Algériens d’Europe fonctionne sur des logiques proches d’autres mouvements de jeunesse comme la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) ou la Jeunesse chrétienne (JC). L’UNJA, si elle rencontre ponctuellement des difficultés pour la mise à disposition de locaux ou lors d’initiatives cultuelles et de fêtes, est globalement reconnue comme un interlocuteur par les élus et responsables municipaux. À ce titre, elle se distingue des associations et clubs de jeunes qui sont émergents au début des années 1980, en restant en marge des réseaux municipaux.

    4L’Association Loisirs Sud (ALS) est un des premiers clubs de jeunes à voir le jour en 1982, dans le sud de la ville. L’association propose une activité d’animation globale et se compose principalement d’enfants d’immigrés algériens des grands ensembles des quartiers Montillet et des 4 Tours. Les objectifs de l’association prévoient « de favoriser les rencontres des jeunes du Blanc-Mesnil Sud à travers des activités de loisirs, afin de permettre aux jeunes de se distraire, de limiter l’ennui9 ». Rachid, qui est né dans les quartiers sud du Blanc-Mesnil en 1966 et a été le secrétaire de l’ALS entre ses 18 et 23 ans, se souvient d’une association de jeunes lycéens et étudiants, qui proposait initialement des activités de loisirs aux enfants et adolescents du quartier.

    Rachid : « C’était une association de potes, du quartier, pas du lycée… On était tous de la même génération. Peut-être certains étaient plus âgés d’un an ou deux […]. Il y avait Djamel, qui était au lycée, c’était le trésorier. Après il y avait Rater, le président, il était aussi au lycée, mais il était dans la partie BEP du lycée. Ouais, c’étaient des lycéens scolarisés. Kamel, il a fait beaucoup de théâtre après. Il était déscolarisé, il est retourné à la fac faire des études dans le théâtre et le cinéma. Les autres ont poursuivi une scolarité plus ou moins chaotique, mais ce n’était pas des bêtes à l’école… Donc au départ, ça s’est passé comme ça. On a commencé par faire un peu de théâtre et puis on a fini par monter une association10. »

    5Ce sont d’abord les sociabilités locales et territoriales qui structurent le groupe des membres fondateurs de l’association ainsi que le goût pour le théâtre, qui va permettre de fédérer d’autres jeunes comme Rachid. La création de l’association bénéficie du soutien d’une enseignante qui a initié les ateliers de théâtre avec une partie des jeunes des quartiers sud, mais aussi d’anciens militants communistes qui vont aider les membres fondateurs de l’association pour les formalités administratives. Omar fait partie des jeunes qui ont connu l’association en tant qu’usager, à ses débuts. À l’époque où l’ALS est créée, il a environ 13 ans et garde un bon souvenir du rôle de l’association dans le quartier.

    Omar : « C’était des jeunes du quartier, que des sudistes ! Il y avait Rachid, mais il ne l’a pas monté. Dans le sud, on n’avait rien et il y avait quand même une centaine d’adhérents. Il y avait Bernard qui était un père de famille qui était le plus âgé avec 40 ans, mais après, il n’y avait que des jeunes de 20 ans. Kamel, Aziz. Il y’avait Affid et Djamel, son frère. Il y avait Abdoul, Taieb. En moyenne, ils avaient 20 ans, pour les plus grands […]. À l’époque, c’était : “Ouais, on n’a pas de local, on ne sait pas où se retrouver”. Donc, il n’y avait rien d’extraordinaire. Il y avait ce lieu, c’était un lieu que jamais personne n’avait eu puisque la municipalité avait décidé qu’on ne pouvait pas l’avoir. À part, les Portugais qui faisaient deux, trois fois par an, des fêtes dans ce lieu-là. C’était une salle polyvalente qui n’était pas très grande, mais qui était suffisante pour les besoins de l’époque. Donc ils avaient mis un babyfoot. Il y avait une télé. Ils avaient aménagé aussi pour des après-midi dansantes à l’époque. Parce qu’ils faisaient des boums le week-end. Il y avait des projections de films. Des besoins qui étaient minimalistes, en réalité. Mais quand tu es jeune et qu’il fait froid dehors et que tu galères dans une cité. Ben, c’était de se retrouver au Mille-clubs11, parce que pendant les vacances scolaires, on ne bougeait pas. Tout le monde ne partait pas en vacances et n’allait pas en colo. Et puis il y a un âge où tu ne peux plus aller en colo de toute façon. À 15-16 ans, la colo, c’est terminé. Et à l’époque, il n’y avait pas encore un service Jeunesse qui proposait des trucs pour les adolescents12 ».

    6Selon Omar, l’association vient répondre aux carences du service Jeunesse encore balbutiant. Les colonies de vacances ne touchent qu’une petite partie des enfants des cités et les adolescents appartiennent à une tranche d’âge, qui est encore dans l’angle mort de la politique municipale. La zone sud de la ville est par ailleurs, coupée du centre-ville et des principales institutions municipales. Elle est restée pendant longtemps le parent pauvre en termes d’activités en direction de la jeunesse. Rachid évoque aussi une certaine défiance concernant ce nouveau service municipal. Par ailleurs, cette initiative est rendue possible, car plusieurs des membres de l’association ont arrêté leurs études. Rachid donne des cours de judo au club municipal au moment où l’association est créée. Il prend donc en charge l’animation sportive. L’ALS se développe et parvient à toucher un public plus large lors de projections de films, d’après-midi dansants et de boums, qui connaissent un fort succès. Cette association généraliste offre ainsi une variété d’activités répondant aux attentes d’une partie des jeunes des quartiers de la ville.

    Rachid : « On avait une association à nous, avec l’Atelier Loisirs Sud. J’avais complètement lâché scolairement, ça s’est fait vers la première… Tout coïncidait. C’était notre fierté de tenir l’association. Après on y était tous les jours, on mangeait dans le local. On n’a peut-être pas dormi dedans, mais on a passé de bons moments de la nuit. On est resté des fois jusqu’à pas d’heure...[…] L’ALS s’est arrêtée vers 1986-87, 88 peut-être. Je ne peux pas te donner les dates exactes. C’était largement après la Marche de 1983 parce qu’on n’a pas fait la Marche avec l’ALS. Donc ça devait être en 1984, puisqu’on a participé à l’accueil de Convergences […]. Après, ça s’est arrêté, mais justement ça nous politisait ce truc, de manière conflictuelle parce que la municipalité, elle n’en voulait pas de ce truc-là. Une fois qu’on marchait bien. ».

    7Au cours de son récit, Rachid lie l’histoire de l’association à celle de la Marche pour l’égalité et contre le racisme de 1983 et à la seconde marche Convergence 1984, l’année suivante. La Marche est ici un repère qui permet de se situer dans le temps. Elle est identifiée comme un moment de rupture marquant un avant et un après. C’est au cours de cette période que l’activité associative se transforme en expérience militante et devient plus politique. Initialement, l’ALS propose une offre de loisir tout en permettant à des jeunes en rupture avec le monde scolaire d’exister positivement. Les rétributions symboliques offertes par l’activité associative renforcent l’investissement des jeunes animateurs du club. Plusieurs d’entre eux, comme Rachid, sont déjà passés par l’animation municipale comme vacataires au service enfance dans les centres de loisirs. Les services qu’ils rendent aux jeunes et à leurs familles les maintiennent du côté de la jeunesse vertueuse et légitime13. Le groupe de jeunes qui constitue le noyau dur de l’association participe du pôle de référent légitime face au pôle des jeunes « déviants », en difficulté scolaire et familiale, qui sont plus prédisposés à intégrer le monde des bandes14. Ces éducateurs de cité dans le cadre associatif ou au sein du service municipal ont constitué le premier public de la Marche de 1983.

    La mobilisation du réseau associatif et des éducateurs de cité pour la Marche

    8Au Blanc-Mesnil, la mobilisation pour la Marche est partie de certains animateurs et animatrices du Service Jeunesse de la ville, en contact avec d’autres cercles militants, qui ont pu appeler à participer et qui étaient à la manifestation parisienne du 3 décembre 1983. Tessadit, native d’Aulnay-sous-Bois et âgée d’une vingtaine d’années au moment de la Marche, se souvient, lors de son passage comme animatrice au service municipal, que l’équipe se mobilisait pour différentes causes tout en se tenant à distance de tout investissement politique dans un cadre partisan.

    Tessadit : « On avait l’impression qu’ils (les élus communistes) voulaient faire le maximum pour la jeunesse, mais il fallait rentrer dans le moule. C’est-à-dire qu’ils étaient prêts à mettre les moyens, mais il fallait qu’on soit d’accord, qu’entre guillemets, on vote pour la ville. Si on était dans le truc, ils faisaient tout, ils mettaient les moyens […]. Ma politique, à moi en tant que personnel (municipal), c’était d’être autonome. Je suis toujours restée à l’extérieur, parce que quand on rentre dans un truc, on ne voit pas ce qui passe. On est embrigadé. On n’est plus performant. On n’est pas critique. Enfin, moi, c’est mon expérience. J’ai toujours pu faire avancer les choses en étant à l’extérieur, même dans un syndicat ou autre. S’il y avait une campagne ou une manifestation à faire, même si je n’étais pas de ce parti ou quoi, j’y allais. J’ai fait toutes les manifestations de la ville de Blanc-Mesnil sur Paris. Toutes les semaines, on était en manif. Pratiquement, une fois par semaine, j’étais en manif sur Paris, pour défendre tout. Tous les problèmes. On était d’accord. On avait fait la Marche pour l’égalité et les mobylettes (de Convergence 84). […] Si tu veux, toute la banlieue s’était rassemblée à Paris. Il y avait des gens de Colombes, de Nanterre, qui sont actuellement au MIB. On avait des contacts avec “Laaraj” à Aulnay, “SOS Ça bouge” à Bondy, donc ils ont participé. On avait contacté toutes les associations qui existaient et elles avaient répondu positivement15 ».

    9Dans les souvenirs de Tessadit, la Marche faisait partie des mobilisations soutenues par les animateurs de la ville au même titre que d’autres. En même temps, il apparaît que la mobilisation pour la Marche s’est appuyée sur le service Jeunesse et les clubs de jeunes des villes limitrophes et sur le réseau d’interconnaissance des animateurs. Tessadit, alors étudiante en psychologie à Paris 13, a été en contact précoce avec les préparatifs de la Marche, grâce à sa fréquentation des ateliers théâtre de l’Association de culture berbère (ACB) à Ménilmontant et sa connaissance de membres du Collectif jeunes parisiens (CJP), dont son neveu Farid Taalba16. Tessadit n’attribue pas à la Marche de 1983 une grande spécificité et l’intègre à une série d’autres manifestations du début des années 1980. La mobilisation pour la Marche apparaît cependant avoir donné lieu à un plus grand investissement associatif que partisan et syndical dans la ville. De fait, cet évènement touche de manière inégale les différentes générations d’éducateurs, selon qu’elle sert de déclencheur ou qu’elle est une simple étape dans la carrière militante. Pour la génération de Rachid comme pour les autres membres de l’ALS, la Marche a permis d’entrer en contact avec un réseau militant local, mais aussi avec une réalité qu’ils n’avaient jusqu’alors perçue que de manière diffuse.

    Rachid : « On n’a pas eu de bavures policières, on n’a pas eu toutes ces histoires du genre : “un voisin excédé par le bruit qui tire avec son fusil de chasse…” Dans des villes avoisinantes, oui, c’est arrivé. À Livry-Gargan, il y a eu une affaire au Radar (supermarché) avec un vigile17. On était allée à la manif. Moi, ça m’avait marqué le petit Toufik à La Courneuve18. Et après on a été approchés par une association d’Aulnay en 1983 pour participer à la Marche pour l’égalité. [...] Pour rejoindre l’arrivée de la Marche à Paris, le 3 décembre 1983, c’était seulement quelques mecs de l’association. On n’a pas fait des tracts en disant “Rendez-vous à Paris…” Et puis on était... On ne comprenait pas bien, c’est quoi la Marche ? Tout ça, ce n’était pas (clair)… À la limite, il ne fallait peut-être pas y aller. On n’a pas été mobilisés. On savait que la Marche, elle arrivait par les infos et tout ça, mais on y est allé, comme des curieux. On y allait comme un truc extérieur, on n’est pas concerné. Hamdoullah, il n’y a pas eu de crimes racistes chez nous, on a une assoc’, on a des locaux, ça va. On y allait, pour voir qu’est-ce qu’il se passe, comment c’est… en spectateur ».

    10La Marche, par sa portée nationale, contribue à la prise de conscience d’une réalité collective qui s’inscrivait auparavant dans un cadre local, voire régional. Elle se traduit par une montée en généralité19 et, comme l’évoque Rachid, par un changement d’échelle. La rencontre des membres du Collectif jeunes parisiens et d’autres jeunes des différentes banlieues françaises contribue à faire converger plusieurs réalités, dont celles des « violences policières » et des « crimes racistes ». Les logiques de mobilisation passent aussi par la publicisation du nom des victimes et de leurs familles en mettant en avant certaines affaires emblématiques, à l’initiative du Collectif jeunes parisiens, mais aussi par la présence de certaines personnalités.

    Rachid : « C’est anecdotique, j’ai le souvenir d’avoir serré la main au chanteur Renaud. Mais, j’ai surtout le souvenir des portraits. J’ai dit : “Tous ces gens-là…” Pour moi, les gens qui étaient morts, c’est des gens qui étaient morts pendant la guerre... Je ne savais pas qu’on avait tué des gens à Lille. Pour moi, le truc de la Marche, c’est comme si c’était hier. J’ai vu des gens qui portaient des pancartes avec des gens qui étaient décédés. Et à chaque fois, je lisais sur tous les trucs : “Abdennbi, tué à Nanterre, à telle date”. Je disais : “Merde, ils tuent des gens !” Déjà je me demandais : “Mais pourquoi on ne savait pas ?” Tu ne sais pas à l’époque. Aux informations, ils passent ce qu’ils ont envie et à l’époque, il n’y avait pas d’Internet, pas de portable. Il y a rien […]. On a eu une prise de conscience. On a découvert qu’on était tous dans la même merde. Donc nous on tirait bien notre épingle du jeu, on avait notre assoc’. On avait notre local, on faisait nos boums. L’association a même généré un peu de sous. On n’est pas mal loti même géographiquement, nous on était à côté de Paris, quand tu rencontres des gens de Saint-Étienne, tu commences à te dire, c’est chaud où ils habitent. On avait commencé tous à plus ou moins bouger à découvrir un peu ce pays. Après il y a eu la prise de conscience avec l’aide de certaines personnes de l’extérieur plus expérimentées que nous, plus conscientes que nous. […] C’est à cette époque aussi que j’ai entendu parler du 17 octobre 1961. Je suis rentré chez moi, je lui ai dit : “Papa, vas-y raconte-moi”. Il m’a raconté. Mon père, il nous a tout raconté. Il venait aux réunions et tout ça. En 61, il s’est fait arrêter à la porte de Pantin. Il a été au gymnase à la porte de Versailles, mais il n’a pas été jeté dans l’eau, grâce à Dieu ! Ce qui est sûr c’est qu’il a été arrêté à la porte de Pantin comme il travaillait aux Grands Moulins. […] Quand il me l’a raconté, j’y pense maintenant comme ça, mais pas à l’époque. C’était pour me dire “fais attention ici, tu n’es pas dans un pays où les gens t’aiment” et non pour me dire : “Ouais, on a bougé en 1961” ».

    11Rachid reste marqué par les panneaux de victimes de violences et de crimes concernant des jeunes habitants des grands ensembles. La mémoire du 17 octobre 1961 contribue également à éveiller Rachid et d’autres à une histoire occultée dont le sens est d’autant plus fort qu’il fait écho à une histoire familiale. La Marche a eu des conséquences a posteriori permettant de prendre conscience d’une histoire et d’une condition sociale communes, mais aussi de tisser un réseau relationnel qui est réactivé l’année suivante pour la participation à Convergence 84, dont l’objectif est de réunir à Paris plusieurs groupes de jeunes de cités, venus à mobylette des quatre coins de la France.

    L’engagement pour la seconde marche de « Convergence 84 »

    12Cette fois, les membres de l’ALS sont partie prenante et vont organiser l’accueil de certains « rouleurs » de Convergence 84, avant l’ultime étape parisienne. La politisation opérée par l’évènement transforme la vision du monde d’une partie des éducateurs en les incitant à réagir face à des injustices jusqu’alors passées sous silence ou banalisées. Avec la Marche, ils vont entrer en contact avec plusieurs militants notamment Djamel Kelfaoui20, des membres du Collectif jeunes parisiens et des d’associations et collectifs sur l’ensemble du territoire. La Marche participe aussi à la prise de conscience d’une force collective et des possibilités offertes pour agir et changer un ensemble de réalités sociales.

    Rachid : « Avant la Marche, on n’est pas politisé… Pour aller vite avant la Marche, Roubaix, c’est un autre pays, Marseille, c’est super loin. Avant la Marche, on ne fait pas de politique. Avant la marche, on pense que le pouvoir, c’est les communistes et que nous, c’est nous. On ne sait pas que… Avant la Marche, on ne fait pas de politique. Personne n’est là pour faire de la politique. Avant la Marche, on n’a jamais été à une manif. Personne n’a contesté quoi que ce soit. Avant la Marche, la politique, c’est pas pour nous. […] La politique, c’était pas un truc pour nous et il n’y avait aucun interlocuteur à l’époque. Les premières personnes qui sont venues nous dire, il faut faire de la politique, c’est paix à son âme, Djamel de Bondy. C’est l’association Laaraj d’Aulnay avec Farid Taalba. Djamel nous avait bien secoués. Moi, j’en ai encore des souvenirs… Lui, Djamel, c’est lui qui avait entendu parler de nous. C’est lui qui avait monté le festival à Bondy : “Y’a de la Banlieue dans l’air”. C’était un festival musical, mais il avait d’autres trucs en tête, il ne faisait pas que de la musique. Il était venu nous bousculer un peu. Il faut bouger, il faut s’occuper de ça… Parce qu’il y avait eu quelques ratonnades et ça avait touché Blanc-Mesnil, des groupes de skinhead, des fachos qui voulaient en découdre, c’était des violents. Ils se sont attaqués à des jeunes et même à des parents à Bondy, au Blanc-Mesnil. Ils avaient poursuivi une petite fille à la cité des 4 Tours. Et ça avait fait un peu monter la sauce et ils étaient venus nous voir en disant : “Il faut bouger votre cul. Vous n’allez pas faire que des boums, que regarder des films à la TV même si c’est bien de le faire !”. Il nous avait un peu réveillés… Et parmi nous, il y en a qui ont dit : “Il va falloir qu’on bouge un peu notre cul… qu’on fasse de…” Pas qu’on fasse de la politique parce que ce n’est pas un truc que tu décrètes. Tu ne te dis pas demain tu te lèves à partir de 8h, tu vas faire de la politique, mais après, on gambergeait autrement. L’implication, elle s’est faite au moment de Convergence 84 ».

    13L’évènement opère des rapprochements entre militants des différentes villes des banlieues françaises, qui échangent sur la situation des différentes associations. Si la Marche joue comme un évènement fondateur pour Rachid dans sa socialisation politique et dans la conduite de son activité associative, c’est aussi en lien avec le contexte de l’émigration familiale, et la naissance sur le sol français d’enfants d’émigrés qui deviennent français sur demande à la majorité. Ils acquièrent ainsi un ensemble de droits attachés à la nationalité française21. Leur mobilisation citoyenne est ainsi un enjeu encore balbutiant, mais qui va se formaliser les années suivantes22. L’acquisition de la nationalité rend compte des différences et des liens entre parents et enfants. Par ailleurs, la Marche participe à la prise de conscience du droit et de la légitimité à se revendiquer comme citoyen français à part entière. Les obligations envers le pays d’origine des enfants (service militaire) ou envers le pays de naissance ou d’accueil créent dans certaines familles de véritables dilemmes d’allégeance.

    Rachid : « Certains d’entre nous n’ont pas leur nationalité française parce qu’à la maison, on dit : “Tu ne fais pas ta carte d’identité !” On est dans ce contexte-là. Avant la Marche, on a des potes qui vont faire l’armée en Algérie. Par exemple, avec des potes, on va ensemble à la visite médicale au consulat. C’est cette ambiance. Moi, j’ai la double nationalité, mais c’était dramatique ! J’ai eu ma première carte d’identité en 1986. Je l’ai eue à l’âge de 20 ans. Pour mon père, c’était un drame de demander la nationalité française, c’était mettre fin au mythe du retour. Ma carte d’identité m’a été délivrée en avril 1986. Avant, je n’avais pas de carte d’identité… »

    14La Marche de 1983 pose donc la question de l’égalité des droits et du sens de la citoyenneté française alors que ces enjeux ne se posaient pas, ou différemment, pour les parents ayant souvent conservé la nationalité algérienne ou celle des pays d’émigration. La prise de conscience des injustices spécifiques subies par les habitants des cités conduit à la transformation des formes d’investissement dans la vie publique. La politisation des parents se réalisait souvent par l’intermédiaire des institutions du pays d’origine (FLN, amicales, etc.)23 et du pays d’accueil (police, préfecture) régissant leur séjour sur le territoire et leur vie au travail (structure de gestion de la main-d’œuvre, syndicat). Le passage de l’animation au militantisme associatif s’est opéré pour Rachid par l’intermédiaire de la Marche et de ses répercussions. Si les membres de l’ALS ont rencontré quelques difficultés lors de leur création autour de l’accès au local du Mille-Clubs, ses activités de loisirs ne l’ont pas amené à se confronter directement à la municipalité. La demande de locaux à la municipalité pour héberger les « rouleurs » de Convergence 84 révèle, à ce titre, le peu de soutien de la municipalité communiste pour cette mobilisation, mais aussi le changement d’attitude des éducateurs de l’ALS par rapport aux élus.

    Rachid : « Donc d’y être allé (à la Marche), ça m’a permis en 1984 quand l’association d’Aulnay nous a sollicités de dire : “Ok, ouais c’est vrai, c’est important, il faut qu’on bouge”. Et là, à Convergence 84, on a bien bougé. On a hébergé des mecs à mobylette, les convergeurs… On a eu un dortoir pour qu’ils viennent dormir avec leurs mobylettes. On a obtenu une école maternelle à Blanc-Mesnil sud, où ils font dormir les mômes en maternelle. Donc nous, ouais, ça a été de la réquisition… Ils nous ont pas dit : “On vous donne les clés de l’école, mais par contre vous vous mettez en partenariat avec la municipalité.” C’était : “On vous la donne parce que vous faites du bruit, que vous criez.” En l’occurrence, j’ai bien crié. […] Pour Convergence 84, c’est passé par le service Jeunesse. On avait besoin de ce dortoir et nous, on n’avait pas les [bons] réflexes… On ne s’est pas dit : “Il faut aller aux services enseignement parce que c’est eux qui gèrent les écoles.” Non, pour nous c’était : la Mairie, c’est le service Jeunesse. À l’époque, le service Jeunesse, il était dans l’enceinte de la Mairie. La réflexion, elle est peut-être venue de là, de dégager le service Jeunesse de la Mairie. C’est pas le hasard s’ils ont déménagé même longtemps après ».

    15Avec l’organisation de Convergence 84, les membres de l’ALS s’aperçoivent que leurs demandes n’aboutissent pas sans engager un rapport de force avec les services municipaux et les élus. Si Rachid déplore devoir passer « en force » ainsi que de devoir s’adresser au service Jeunesse pour obtenir un dortoir scolaire, il évoque aussi la faible connaissance du fonctionnement municipal que les membres de l’association avaient à cette époque. Par ailleurs, si le service Jeunesse joue le rôle d’intermédiaire, cela s’explique aussi par le fait que plusieurs animateurs du service s’étaient fortement mobilisés pour la Marche de 1983. Pour l’accueil de l’évènement, le service Jeunesse a pu apparaître comme l’interlocuteur le plus approprié pour traduire la demande de l’ALS. Le refus initial a conduit les éducateurs à protester vigoureusement et à obtenir gain de cause. Si la débrouille des éducateurs malgré des moyens dérisoires a permis de faire vivre l’association, ses membres commencent à considérer son absence de subvention comme une situation anormale, alors qu’ils se démènent pour proposer des activités aux jeunes de leur quartier.

    Rachid : « Après très vite, on est arrivé à une situation où on ne leur demandait plus rien [au service Jeunesse]. On leur demandait seulement de nous foutre la paix. On ne demandait plus : “On a besoin ça ou de ça.” Ils disaient : “On veut plus vous voir. Laissez-nous tranquilles !” Tu vois… À la fois, la municipalité, ça a fini par payer la volonté de casser l’association… Elle s’est cassée… Bon, il y a eu un concours de circonstances. Voilà l’association, elle s’est arrêtée. Elle a été reprise par d’autres gens du quartier, mais ça n’a pas tenu. Et puis nous, voilà, on avait d’autres aspirations. Entrer dans le monde adulte, on va dire. Et puis voilà, on bossait, y’en avait un qui partait en formation, d’autres sont partis à l’armée. Après moi, j’ai bossé en même temps que l’association. J’ai travaillé sur les marchés. J’ai travaillé dans l’animation… »

    16Au début des années 1980, le service Jeunesse apparaît comme l’interlocuteur privilégié des clubs de jeunes et de la jeunesse populaire des cités et qui centralise les demandes. Avec l’animation de quartier, le service Jeunesse est supposé apporter des conseils et une aide au développement des associations. Cependant, à l’occasion de plusieurs déconvenues, les membres de l’ALS se coupent du service municipal, perçu comme un interlocuteur illégitime. L’arrêt de l’association n’est pas attribué uniquement à l’action municipale, mais Rachid affirme qu’indirectement l’absence de soutien, de moyens, a eu raison des bénévoles de l’association, qui n’ont pas réussi à se renouveler et à passer le relais. Le fait de se couper du service Jeunesse a aussi isolé l’association et les conflits ont fini par miner les efforts des éducateurs. L’usure des militants associatifs rend les coûts plus élevés et les rétributions d’autant plus maigres que, dans le même temps, la plupart essayent de trouver des emplois plus pérennes, dans d’autres secteurs.

    La résistance des éducateurs au militantisme partisan

    17La fin des années 1980 et le début des années 1990 sont des années difficiles marquées par la progression du chômage et, surtout, l’arrivée du commerce des drogues dures24, qui font de nouveaux ravages. Cette période marque un moment de reflux pour les différents acteurs associatifs de la ville. Rachid connaît une période difficile avec la dissolution de l’association liée à la fin de la disponibilité biographique de ses membres25.

    Rachid : « Quand l’association s’est dissoute, pour ma part, j’ai décroché, mais complètement. Après la création de SOS Racisme, les gens (militants) se sont un peu dispersés et puis il n’y avait pas de réseau (national) à l’époque. On ne savait pas qui faisait quoi et à quel endroit. On était dans une merde… Enfin, chacun était dans sa merde. Après là, tu payes la déscolarisation. Tu cherches du boulot, tu fais quelques conneries. J’ai passé 4-5 ans, je logeais heureusement chez mes parents. Après ça devenait dur… Tu as droit au discours : “Ça y est, tu vois je te l’avais dit. Tu ne m’as pas écouté.” Après tu te dis : “Il faut que je parte, que je prenne un appart.” Mais après pour prendre un appart, c’est pareil… Tu t’adresses à la municipalité, que tu as envoyé chier pendant des années. Tu te dis : “C’est pas grave, je m’en fous de leur gueule, je vais aller à la préfecture…” Mais à la préfecture, ils te disent : “Allez voir à la municipalité dont vous dépendez.” Et c’est pareil… Et là, tu te dis : “Tout est politique !” Donc, je vais me débrouiller, je veux faire tout seul. Tu fais un peu des conneries… J’appelle ça un petit trou noir… 1986-88, c’était des années de battement ».

    18Le passage à vide que rencontre Rachid peut s’expliquer comme le contrecoup de son fort investissement au profit de l’association et des conséquences de ses relations conflictuelles avec la municipalité. Les difficultés professionnelles de Rachid trouvent aussi une part d’explication dans le choix de ne pas reconvertir son militantisme associatif dans le secteur éducatif. Le durcissement des conditions d’entrée sur le marché du travail a accéléré l’éviction des détenteurs d’un faible capital scolaire. Il rompt avec le travail social et enchaîne plusieurs petits boulots. Par ailleurs, Rachid est rattrapé par ses relations conflictuelles avec la municipalité lors de sa recherche de logement. Il n’est d’ailleurs pas le seul à rencontrer ce type de déboires. Les difficultés de logement des éducateurs en conflit avec la municipalité ne sont pas qu’anecdotiques et montrent comment se superposent les dimensions individuelles et collectives de l’engagement militant. Le cycle observé par Hirschman entre sphère privée et publique26 démontre, pour le cas des éducateurs, un fort investissement militant, voire un surengagement, qui provoque en retour une frustration et des conflits avec le pouvoir municipal. Dans les années consécutives à la Marche de 1983, les animateurs ont fait l’objet de sollicitations par les différents partis politiques. Les tensions avec le pouvoir municipal naissent aussi des refus de plusieurs éducateurs d’être promus socialement au titre de leur statut de porte-parole pour servir les intérêts de partis dans lesquels ils ne se reconnaissent pas. Il y a aussi la volonté de ne pas être dans une relation de dépendance et de ne pas devoir sa place au bon vouloir d’élus « bienveillants » ou encore de monnayer sa liberté de parole et de critique. Rachid évoque ainsi cette période à la fin de l’ALS où ses difficultés professionnelles et de logement sont aussi liées au maintien d’une ligne d’autonomie vis-à-vis du pouvoir municipal.

    Rachid : « Après cette période, on était tous un peu paranos… Ça aussi pareil, je l’ai payé. Si tu veux, il y avait cette putain d’expression “beur de service”. Un jour, tu avais des chaussures neuves, tu étais un beur de service si tu avais réussi à t’acheter des pompes… Voilà, tu as sucé pour t’acheter des pompes, tu es un beur de service ! C’était un peu… Tu avais une dégaine pas comme les autres, tu avais des lunettes d’intello, ça y est, tu es un beur de service. Il y avait le soupçon sur tout le monde. “Tu es un vendu, tout ça !” Donc par automatisme, on refusait presque tout ce qui nous était proposé. Parce qu’on était hyper sollicité après. Et moi, j’ai été… mais je faisais partie des gens paranos… J’ai été sollicité par la municipalité, par les pouvoirs publics pour avoir des postes, des postes de merde, mais voilà en même temps ! […] On était sollicité sur des postes d’animateur pour passer de vacataire à permanent, ce qui était déjà… c’était un truc agréable. On était sollicité pour adhérer au PC, par exemple… Bon, avec tout ce qui en découle, tu adhérais au PC, tu acceptais de faire une photo… Bon voilà, il y avait le truc du beur de service. Voilà, tu avais un appartement. [...] Tu vois, il y avait des trucs… Voilà, tu savais que ça valait le coup. Et puis, si tu adhérais au PC, tu côtoyais ton chef de service… Tout le monde était au PC… Ce genre de chose ».

    19La crainte de se faire « acheter » et de trahir son groupe social pour ses intérêts personnels est symptomatique des résistances opposées par les éducateurs militants aux tentatives de division du groupe ayant cours à cette période27. L’expression de « beur de service » traduit bien cette accusation de « jouer contre son camp », de faire de la « figuration ». Elle est employée à de nombreuses reprises par les éducateurs dans différents contextes28. L’entrée en politique des membres minoritaires des classes populaires à la fin des années 1980 concerne principalement les fractions les plus proches des classes moyennes, les plus dotées scolairement, culturellement, et répondant aux injonctions normatives de « l’intégration29 ». Le militantisme partisan est disqualifié comme participant d’un embourgeoisement aux dépens du groupe représenté. Cette délégitimation du militantisme partisan contribue à éloigner des militants comme Rachid en décourageant par avance toute rétribution positive et individuelle acquise par l’intermédiaire du militantisme. Ainsi la période de la fin de l’ALS est-elle brutale pour Rachid et sa reconversion professionnelle compliquée par des dilemmes permanents, où sa mobilité sociale et son confort matériel sont conditionnés à l’adhésion au PCF (entre autres) et à un militantisme partisan.

    20Le passage du militantisme associatif à un militantisme partisan est fortement dévalué et déconsidéré. Ainsi Rachid dit-il souffrir d’une situation où le soupçon est généralisé, notamment pour les personnes qui sont courtisées par les pouvoirs locaux et les élus. Les élections municipales de 1989 ont exacerbé ce sentiment, notamment pour les jeunes de familles émigrés du Maghreb, qui vont être sollicités par les forces de gauche, en particulier le PS, mais aussi le PCF. Rachid explique renoncer ainsi à plusieurs propositions qui auraient pu lui assurer une stabilité professionnelle et un petit confort matériel. C’est aussi le sens social que prend le terme de « beurgeoisie30 », pour désigner ceux qui connaissent une promotion sociale et quittent leur groupe social d’origine pour rejoindre les classes moyennes (souvent petite bourgeoisie culturelle et économique) et, plus rarement, les classes supérieures. Ainsi les accusations de « beur de service » ou de « beurgeois » renvoient-elles au fait d’avoir renoncé à une ascension sociale collective et de s’être détourné du groupe d’origine pour une ascension individuelle. Ce climat dissuade Rachid comme d’autres militants de répondre à toute sollicitation pouvant contribuer à des formes de clientélisme. Ces pressions à l’intégrité militante et à la fidélité au groupe se traduisent, pour certains éducateurs, par l’entrée dans une certaine marginalité et par une intransigeance croissante vis-à-vis de ceux qui se jouent des rappels à l’ordre et des mises en garde quant à la trahison du groupe. Le retrait de la vie publique de plusieurs éducateurs, à la fin des années 1980, pour se concentrer sur la sphère privée (pour des causes d’indisponibilités biographiques) aboutit néanmoins, quelques années plus tard, à un retour dans la sphère publique et à la création d’une nouvelle association Jeunes et Citoyens (J & C), qui participera aux élections municipales de 1995.

    21L’étude du cas du club de jeunes de l’ALS et, en particulier, de la trajectoire de Rachid permet d’éclairer plusieurs éléments concernant les effets qu’a pu avoir la Marche de 1983. La Marche a d’abord contribué à la conversion militante d’éducateurs de cité. Cependant, cette politisation a eu lieu a posteriori par la rencontre de réseaux militants et la prise de conscience d’un ensemble de réalités auparavant méconnues ou peu questionnées. En ce sens, ce sont davantage les micro-mobilisations, soit les contacts directs avec des militants plus aguerris31, qui ont joué un rôle que la Marche en elle-même. Elle n’a concerné à l’échelle locale que certains acteurs, notamment ceux qui étaient investis dans l’encadrement de la jeunesse. La mobilisation des associations s’est réalisée localement par l’intermédiaire du service Jeunesse et s’est diffusée au sein d’un réseau associatif préexistant entre certaines villes. Les soutiens partisans (notamment du PCF) n’ont que peu participé à la mobilisation.

    22Les rencontres militantes initiées par l’évènement ont également eu des effets sur la dynamique associative locale en participant à la politisation des acteurs associatifs. Ainsi, alors que l’ALS concentrait son activité sur une offre de loisirs à destination des jeunes du quartier, ses membres se mobilisent l’année suivante pour héberger des rouleurs de Convergence 84. Les membres de l’ALS, s’ils avaient déjà pu éprouver certaines difficultés avec la municipalité avant la Marche (pour obtenir un local ou des subventions lors du lancement de l’association), sont d’autant plus critiques après l’évènement. L’échange entre militants associatifs a conduit les animateurs à réévaluer la situation matérielle de l’association (sans subvention ni vrai local) comme étant anormale. Ce processus de recadrage (reframing) de leur expérience associative comme relevant d’une injustice32 a joué un rôle central dans l’histoire militante de certains membres de l’ALS, à l’image de Rachid. L’adoption d’un « cadre d’injustice » associé au manque de reconnaissance de leur engagement dans l’encadrement de la jeunesse a été un facteur supplémentaire nourrissant le contentieux avec la municipalité. Si l’association opère un tournant plus critique à partir de 1984, à plus long terme, certains militants intériorisent une méfiance à l’égard des partis de gauche et des différentes formes d’institutionnalisation ou d’instrumentalisation. Ainsi, ce n’est pas tant la Marche de 1983 en tant que telle que la séquence post-Marche qui a joué un rôle décisif, se poursuivant dans certains cas par un engagement électoral et, dans d’autres, par le renforcement de leur résistance à tout militantisme partisan.

    Notes de bas de page

    1  Ihl Olivier, « Socialisation et évènements politiques », in Revue française de science politique, 2002, Vol. 52, no 2, p. 126.

    2  Sondage réalisé par l’institut OpinionWay, intitulé « Les Français et le racisme : 30 ans après la marche pour l’égalité » en octobre 2013, pour le compte de la LICRA. Le taux de réponse positive est de 23 % pour les plus de 40 ans (et de 27 % pour les 65 ans et plus) et de 11 % pour les moins de 40 ans à la question : « Avez-vous déjà entendu parler de la Marche pour l’égalité de 1983, dite “Marche des Beurs” ? » Le souvenir de la Marche est plus présent en Île-de-France (31 %) que dans les autres régions (16 %). Pour ce type de méthode par quotas représentatifs, les taux peuvent varier de 2 à 3 points dans un sens comme dans l’autre.

    3  Belorgey Jean-Michel, « Le foisonnement associatif », in Annales de la recherche urbaine, n° 89, 2001, p. 166-167 ; Wihtol De Wenden Catherine et Leveau Remy, La Beurgeoisie, op. cit.

    4  Dazi-Heni Fatiha et Polac Catherine, « Chroniques de “la vraie base”. La constitution et les transformations du réseau associatif immigré à Nanterre », in Politix, op. cit. Baillet Dominique, « Militants associatifs issus de l’immigration : De la vocation au métier », in Hommes & Migrations, 2001, no 1229, p. 54-63.

    5  Beaud Stéphane, « Paroles de militants “beurs”. Notes sur quelques contradictions d’une mobilisation politique », in Genèses, vol. 40, no 1, 2000, p. 131-143. Beaud Stéphane et Masclet Olivier, « Des “marcheurs” de 1983 aux “émeutiers” de 2005. Deux générations sociales d’enfants d’immigrés », in Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 61, 2006, p. 809-843.

    6  Kara Bouzid et L’Haoua Farid, La marche. Traversée de la France profonde, Arles, Sindbad, 2013, 158 p. Mahé Marilaure, « Marcher avec mes frères », in Migrance, 2013, no 41, p. 19-28.

    7  Leclercq Catherine et Pagis Julie, « Les incidences biographiques de l’engagement », in Sociétés contemporaines, 2011, n° 84, no 4, p. 5-23.

    8  La seconde « Marche », appelée « Convergence 84 pour l’égalité », proposait plusieurs itinéraires qui devaient converger vers Paris. Le parcours se faisant cette fois-ci à mobylette et non plus à pied, les « marcheurs » sont devenus les « rouleurs ».

    9  Extrait de l’objet de l’association, Journal Officiel des Associations (JOA) du 08/02/1983 p. 1570. Selon le JOA, l’association est créée le 19/01/1983 et son siège se trouve au domicile de son président à la cité Guy-Môquet, bâtiment C3.

    10  Entretien enregistré de Rachid A., le 27/10/2009, dans son pavillon à proximité du quartier des Tilleuls. Sauf mention contraire, toutes les citations sont extraites du même entretien.

    11  La construction de ces clubs a été initiée par Jacques Missoffe dans une perspective de rupture avec les MJC lancées par Maurice Herzog. Arrivé en 1966, Missoffe ouvre un concours de construction de clubs par les jeunes eux-mêmes. La circulaire ministérielle du 20 juillet 1967 précise le double but de l’opération « mille clubs de jeunes » à savoir « créer un équipement léger destiné à un nombre limité de jeunes et donner aux jeunes un sentiment de communauté et d’appropriation en leur faisant monter eux-mêmes leur local ». Voir Besse Laurent, Les MJC, 1959-1981 : de l’été des blousons noirs à l’été des Minguettes, Rennes, PUR, 2008.

    12  Entretien enregistré d’Omar M., le 31/03/08, en début d’après-midi, à son domicile.

    13  Hadj Belgacem Samir et Beaud Stéphane, « Compréhension et distanciation. Parole de jeunes sur les émeutes de novembre 2005 », in Les Nouvelles Frontières de la société française, Fassin Didier (dir.), Paris, La Découverte, « Bibliothèque de l’Iris », 2010, p. 523-542.

    14  Mohammed Marwan, La Formation des bandes. Entre la famille, l’école et la rue, Paris, PUF, « Le lien social », 2011.

    15  Entretien enregistré de Tessadit A.K., l’après-midi du 25/11/11.

    16  Concernant la trajectoire de Farid Taalba, qui a habité dans le centre du Blanc-Mesnil et était alors étudiant au moment de la Marche, voir le chapitre « La transmission d’une mémoire des luttes. Parcours d’un militant ».

    17  Le 17 juin 1983, un jeune de Sevran, Moussa Mezzogh, 19 ans, algérien, est assassiné par un vigile du supermarché Radar de Livry-Gargan. Accompagné d’un copain, tous deux s’étaient fait repérer, soupçonnés d’avoir volé un blouson. Après une altercation avec les vigiles du magasin, les policiers arrivent rapidement sur les lieux, et c’est les menottes aux poignets que Moussa est abattu à bout touchant d’un coup de pistolet à grenaille par un des vigiles qui voulait se venger d’avoir pris des coups. La ville avait déjà connu quelques mois auparavant (27 octobre 1982) le décès d’Abdelkrim Haouette, 21 ans, assassiné devant le local du journal 93. Le supermarché sera occupé par le Collectif jeunes parisiens en signe de protestation. « L’été meurtrier », in Différences, n° 26, septembre 1983, p. 8.

    18  Le 9 juillet 1983, Toufik Ouanès, un jeune garçon de 10 ans a été tué par balles dans la cité des 4000 de La Courneuve parce qu’il faisait trop de bruit en jouant avec des pétards avec ses camarades de jeu en bas de l’immeuble. « L’effet Toufik », in Différences, n° 26, septembre 1983, p. 11-13.

    19  La montée en généralité et la conflictualisation constituent deux critères participant de la politisation selon Braconnier Céline, Hamidi Camille, Lefébure Pierre, Maurer Sophie et Scherrervanessa, « Politisation et conflictualisation : de la compétence à l’implication », in Le Désenchantement démocratique, Perrineau Pascal (dir.), La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2003, p. 107-129.

    20  Djamel Kelfaoui, appelé « Djamel de Bondy » est né en 1961 à la cité De Lattre de Tassigny de Bondy. Il crée l’association SOS Ça bouge et lance le festival culturel « Y’a de la Banlieue dans l’air » à Bondy, mêlant musique, théâtre, cinéma, sports. Il mène aux débuts des années 1980 des études de sociologie et de communication à l’université Paris Nanterre. Il organise de nombreux concerts avec des artistes renommés (Youssou N’Dour, Cheb Mami, Mano Negra, Khaled, Zebda). « Il participe ainsi à l’effervescence politique et culturelle des Marches pour l’égalité, tisse des liens à travers le pays, de Mantes-la-Jolie à Toulouse en passant par Saint-Étienne et ailleurs. La figure de “Djamel de Bondy” marque alors de son charisme les milieux associatifs par son franc-parler, cru, direct, et son refus des compromissions. Il a en lui une grande colère contre la hagra, l’injustice et les passe-droits. » Il est décédé le vendredi 22 mai 2009 à Laghouat (Algérie), suite à une agression par un officier de l’armée algérienne. Source : « Disparition violente de Djamel Kelfaoui, le grand frère de Bondy », in Bellacio.org, 27 mai 2009, consulté le 15 octobre 2016 et « Affaire Djamel Kelfaoui : Verdict très attendu au tribunal de Béchar », in El Watan, 6 décembre 2009.

    21  Weil Patrick, « Immigration, nation et nationalité : regards comparatifs et croisés », in Revue française de science politique, 1994, vol. 44, no 2, p. 308-326.

    22  Bouamama Saïd, De la galère à la citoyenneté : Les jeunes, la cité, la société, Desclée de Brouwer, 1992, 172 p. Bouamama Saïd, Cordeiro Albano et Roux Michel, La Citoyenneté dans tous ses états : de l’immigration à la nouvelle citoyenneté, Paris, CIEMI - L’Harmattan, 1992.

    23  Voir entre autres Carlier Omar, « Créativité associative et contrainte politique : la dynamique de l’immigration algérienne en France dans l’entre-deux guerres », Institut du Monde Arabe, in Migrance, 2001 ; Simon Jacques, La Fédération de France de l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA) : FLN contre USTA, Paris, L’Harmattan, « CREAC-Histoire », 2002, 235 p. ; Mcmaster Neil, House Jim, « La Fédération de France du FLN et l’organisation du 17 octobre 1961 », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2004, vol. 83, no 3, p. 145.

    24  Duprez Dominique et Kokoreff Michel, Les Mondes de la drogue : usages et trafics dans les quartiers, Paris, Odile Jacob, 2000, 393 p. ; Mauger Gérard, « L’apparition et la diffusion des drogues en France », in Contradictions, 1984, no 40.

    25  Mcadamdoug, Paulsen Ronnelle, « Specifying the Relationship Between Social Ties and Activism », in American Journal of Sociology, 1993, vol. 99, no 3, p. 640-667.

    26  Hirschman Albert O., Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, « Pluriel », 2013, 258 p.

    27  Aux élections municipales de 1989 et 1995, les candidats et membres de partis d’origine maghrébine ont intégré le PS à partir de SOS Racisme ou via la sollicitation de militants locaux, et ont parfois rejoint des formations de droite comme le RPR à partir de l’association France Plus (créée en 1985). Bouamama Saïd, Dix ans de marche des beurs : chronique d’un mouvement avorté, Paris, Desclée de Brouwer, « Épi/ Habiter », 1994, p. 113-151.

    28  Saïd Bouamama, sociologue, a participé à la Marche de 1983 et à celles consécutives. Il a été éducateur de cité à Roubaix et évoque également l’importance de réussir « sans trahir ». Philippe Bernard, La Crème des beurs. De l’immigration à l’intégration, Paris, Éditions du Seuil, « Essais », 2004, p. 311.

    29  Geisser Vincent, Ethnicité républicaine, op. cit., p. 60-62.

    30  Remy Levau et Catherine Wihtol de Wenden ne mettent pas en perspective le sens sociologique que revêt ce terme notamment vis-à-vis des relations que cela suppose entre les différents groupes et fractions de groupe en présence et des coûts que représente la participation aux modes légitimes de la représentation politique d’un groupe social. Wihtol Dewenden Catherine, Leveau Remy « La beurgeoisie », in Empan, 2008, n° 71, no 3, p. 69.
    Wihtol De Wenden Catherine, « Naissance d’une “beurgeoisie”, l’évolution du mouvement associatif issu de l’immigration de culture musulmane », in Migration Société, vol. 2, no 8, 1990, p. 10-11.

    31  Snowdavid A., Rochford Burke E., Wordensteven K. et Benford Robert D. B., « Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement Participation », American Sociological Review, 1986, vol. 51, no 4, p. 464-481.

    32  Gamson William A., The Strategy of Social Protest, 1re edition, Homewood, Ill, Dorsey Pr, 1975.

    Auteur

    • Samir Hadj Belgacem

      Université de Paris Nanterre (Sophiapol)
      ENS, EHESS (Centre Maurice Halbwachs)

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    1  Ihl Olivier, « Socialisation et évènements politiques », in Revue française de science politique, 2002, Vol. 52, no 2, p. 126.

    2  Sondage réalisé par l’institut OpinionWay, intitulé « Les Français et le racisme : 30 ans après la marche pour l’égalité » en octobre 2013, pour le compte de la LICRA. Le taux de réponse positive est de 23 % pour les plus de 40 ans (et de 27 % pour les 65 ans et plus) et de 11 % pour les moins de 40 ans à la question : « Avez-vous déjà entendu parler de la Marche pour l’égalité de 1983, dite “Marche des Beurs” ? » Le souvenir de la Marche est plus présent en Île-de-France (31 %) que dans les autres régions (16 %). Pour ce type de méthode par quotas représentatifs, les taux peuvent varier de 2 à 3 points dans un sens comme dans l’autre.

    3  Belorgey Jean-Michel, « Le foisonnement associatif », in Annales de la recherche urbaine, n° 89, 2001, p. 166-167 ; Wihtol De Wenden Catherine et Leveau Remy, La Beurgeoisie, op. cit.

    4  Dazi-Heni Fatiha et Polac Catherine, « Chroniques de “la vraie base”. La constitution et les transformations du réseau associatif immigré à Nanterre », in Politix, op. cit. Baillet Dominique, « Militants associatifs issus de l’immigration : De la vocation au métier », in Hommes & Migrations, 2001, no 1229, p. 54-63.

    5  Beaud Stéphane, « Paroles de militants “beurs”. Notes sur quelques contradictions d’une mobilisation politique », in Genèses, vol. 40, no 1, 2000, p. 131-143. Beaud Stéphane et Masclet Olivier, « Des “marcheurs” de 1983 aux “émeutiers” de 2005. Deux générations sociales d’enfants d’immigrés », in Annales. Histoire, sciences sociales, vol. 61, 2006, p. 809-843.

    6  Kara Bouzid et L’Haoua Farid, La marche. Traversée de la France profonde, Arles, Sindbad, 2013, 158 p. Mahé Marilaure, « Marcher avec mes frères », in Migrance, 2013, no 41, p. 19-28.

    7  Leclercq Catherine et Pagis Julie, « Les incidences biographiques de l’engagement », in Sociétés contemporaines, 2011, n° 84, no 4, p. 5-23.

    8  La seconde « Marche », appelée « Convergence 84 pour l’égalité », proposait plusieurs itinéraires qui devaient converger vers Paris. Le parcours se faisant cette fois-ci à mobylette et non plus à pied, les « marcheurs » sont devenus les « rouleurs ».

    9  Extrait de l’objet de l’association, Journal Officiel des Associations (JOA) du 08/02/1983 p. 1570. Selon le JOA, l’association est créée le 19/01/1983 et son siège se trouve au domicile de son président à la cité Guy-Môquet, bâtiment C3.

    10  Entretien enregistré de Rachid A., le 27/10/2009, dans son pavillon à proximité du quartier des Tilleuls. Sauf mention contraire, toutes les citations sont extraites du même entretien.

    11  La construction de ces clubs a été initiée par Jacques Missoffe dans une perspective de rupture avec les MJC lancées par Maurice Herzog. Arrivé en 1966, Missoffe ouvre un concours de construction de clubs par les jeunes eux-mêmes. La circulaire ministérielle du 20 juillet 1967 précise le double but de l’opération « mille clubs de jeunes » à savoir « créer un équipement léger destiné à un nombre limité de jeunes et donner aux jeunes un sentiment de communauté et d’appropriation en leur faisant monter eux-mêmes leur local ». Voir Besse Laurent, Les MJC, 1959-1981 : de l’été des blousons noirs à l’été des Minguettes, Rennes, PUR, 2008.

    12  Entretien enregistré d’Omar M., le 31/03/08, en début d’après-midi, à son domicile.

    13  Hadj Belgacem Samir et Beaud Stéphane, « Compréhension et distanciation. Parole de jeunes sur les émeutes de novembre 2005 », in Les Nouvelles Frontières de la société française, Fassin Didier (dir.), Paris, La Découverte, « Bibliothèque de l’Iris », 2010, p. 523-542.

    14  Mohammed Marwan, La Formation des bandes. Entre la famille, l’école et la rue, Paris, PUF, « Le lien social », 2011.

    15  Entretien enregistré de Tessadit A.K., l’après-midi du 25/11/11.

    16  Concernant la trajectoire de Farid Taalba, qui a habité dans le centre du Blanc-Mesnil et était alors étudiant au moment de la Marche, voir le chapitre « La transmission d’une mémoire des luttes. Parcours d’un militant ».

    17  Le 17 juin 1983, un jeune de Sevran, Moussa Mezzogh, 19 ans, algérien, est assassiné par un vigile du supermarché Radar de Livry-Gargan. Accompagné d’un copain, tous deux s’étaient fait repérer, soupçonnés d’avoir volé un blouson. Après une altercation avec les vigiles du magasin, les policiers arrivent rapidement sur les lieux, et c’est les menottes aux poignets que Moussa est abattu à bout touchant d’un coup de pistolet à grenaille par un des vigiles qui voulait se venger d’avoir pris des coups. La ville avait déjà connu quelques mois auparavant (27 octobre 1982) le décès d’Abdelkrim Haouette, 21 ans, assassiné devant le local du journal 93. Le supermarché sera occupé par le Collectif jeunes parisiens en signe de protestation. « L’été meurtrier », in Différences, n° 26, septembre 1983, p. 8.

    18  Le 9 juillet 1983, Toufik Ouanès, un jeune garçon de 10 ans a été tué par balles dans la cité des 4000 de La Courneuve parce qu’il faisait trop de bruit en jouant avec des pétards avec ses camarades de jeu en bas de l’immeuble. « L’effet Toufik », in Différences, n° 26, septembre 1983, p. 11-13.

    19  La montée en généralité et la conflictualisation constituent deux critères participant de la politisation selon Braconnier Céline, Hamidi Camille, Lefébure Pierre, Maurer Sophie et Scherrervanessa, « Politisation et conflictualisation : de la compétence à l’implication », in Le Désenchantement démocratique, Perrineau Pascal (dir.), La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2003, p. 107-129.

    20  Djamel Kelfaoui, appelé « Djamel de Bondy » est né en 1961 à la cité De Lattre de Tassigny de Bondy. Il crée l’association SOS Ça bouge et lance le festival culturel « Y’a de la Banlieue dans l’air » à Bondy, mêlant musique, théâtre, cinéma, sports. Il mène aux débuts des années 1980 des études de sociologie et de communication à l’université Paris Nanterre. Il organise de nombreux concerts avec des artistes renommés (Youssou N’Dour, Cheb Mami, Mano Negra, Khaled, Zebda). « Il participe ainsi à l’effervescence politique et culturelle des Marches pour l’égalité, tisse des liens à travers le pays, de Mantes-la-Jolie à Toulouse en passant par Saint-Étienne et ailleurs. La figure de “Djamel de Bondy” marque alors de son charisme les milieux associatifs par son franc-parler, cru, direct, et son refus des compromissions. Il a en lui une grande colère contre la hagra, l’injustice et les passe-droits. » Il est décédé le vendredi 22 mai 2009 à Laghouat (Algérie), suite à une agression par un officier de l’armée algérienne. Source : « Disparition violente de Djamel Kelfaoui, le grand frère de Bondy », in Bellacio.org, 27 mai 2009, consulté le 15 octobre 2016 et « Affaire Djamel Kelfaoui : Verdict très attendu au tribunal de Béchar », in El Watan, 6 décembre 2009.

    21  Weil Patrick, « Immigration, nation et nationalité : regards comparatifs et croisés », in Revue française de science politique, 1994, vol. 44, no 2, p. 308-326.

    22  Bouamama Saïd, De la galère à la citoyenneté : Les jeunes, la cité, la société, Desclée de Brouwer, 1992, 172 p. Bouamama Saïd, Cordeiro Albano et Roux Michel, La Citoyenneté dans tous ses états : de l’immigration à la nouvelle citoyenneté, Paris, CIEMI - L’Harmattan, 1992.

    23  Voir entre autres Carlier Omar, « Créativité associative et contrainte politique : la dynamique de l’immigration algérienne en France dans l’entre-deux guerres », Institut du Monde Arabe, in Migrance, 2001 ; Simon Jacques, La Fédération de France de l’Union syndicale des travailleurs algériens (USTA) : FLN contre USTA, Paris, L’Harmattan, « CREAC-Histoire », 2002, 235 p. ; Mcmaster Neil, House Jim, « La Fédération de France du FLN et l’organisation du 17 octobre 1961 », in Vingtième siècle. Revue d’histoire, 2004, vol. 83, no 3, p. 145.

    24  Duprez Dominique et Kokoreff Michel, Les Mondes de la drogue : usages et trafics dans les quartiers, Paris, Odile Jacob, 2000, 393 p. ; Mauger Gérard, « L’apparition et la diffusion des drogues en France », in Contradictions, 1984, no 40.

    25  Mcadamdoug, Paulsen Ronnelle, « Specifying the Relationship Between Social Ties and Activism », in American Journal of Sociology, 1993, vol. 99, no 3, p. 640-667.

    26  Hirschman Albert O., Bonheur privé, action publique, Paris, Fayard, « Pluriel », 2013, 258 p.

    27  Aux élections municipales de 1989 et 1995, les candidats et membres de partis d’origine maghrébine ont intégré le PS à partir de SOS Racisme ou via la sollicitation de militants locaux, et ont parfois rejoint des formations de droite comme le RPR à partir de l’association France Plus (créée en 1985). Bouamama Saïd, Dix ans de marche des beurs : chronique d’un mouvement avorté, Paris, Desclée de Brouwer, « Épi/ Habiter », 1994, p. 113-151.

    28  Saïd Bouamama, sociologue, a participé à la Marche de 1983 et à celles consécutives. Il a été éducateur de cité à Roubaix et évoque également l’importance de réussir « sans trahir ». Philippe Bernard, La Crème des beurs. De l’immigration à l’intégration, Paris, Éditions du Seuil, « Essais », 2004, p. 311.

    29  Geisser Vincent, Ethnicité républicaine, op. cit., p. 60-62.

    30  Remy Levau et Catherine Wihtol de Wenden ne mettent pas en perspective le sens sociologique que revêt ce terme notamment vis-à-vis des relations que cela suppose entre les différents groupes et fractions de groupe en présence et des coûts que représente la participation aux modes légitimes de la représentation politique d’un groupe social. Wihtol Dewenden Catherine, Leveau Remy « La beurgeoisie », in Empan, 2008, n° 71, no 3, p. 69.
    Wihtol De Wenden Catherine, « Naissance d’une “beurgeoisie”, l’évolution du mouvement associatif issu de l’immigration de culture musulmane », in Migration Société, vol. 2, no 8, 1990, p. 10-11.

    31  Snowdavid A., Rochford Burke E., Wordensteven K. et Benford Robert D. B., « Frame Alignment Processes, Micromobilization, and Movement Participation », American Sociological Review, 1986, vol. 51, no 4, p. 464-481.

    32  Gamson William A., The Strategy of Social Protest, 1re edition, Homewood, Ill, Dorsey Pr, 1975.

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    Hadj-Belgacem, S., & Nasri, F. (éds.). (2018). La marche de 1983 (1‑). Presses universitaires de Paris Nanterre. https://doi.org/10.4000/books.pupo.22752
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    Hadj-Belgacem, Samir, et Foued Nasri, éditeurs. La marche de 1983. Presses universitaires de Paris Nanterre, 2018, https://doi.org/10.4000/books.pupo.22752.
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