Introduction

1Instaurés en 2006 pour la première fois au Cameroun, et en particulier dans la ville de Yaoundé par la Communauté urbaine de Yaoundé (CUY)1, les parkings publics payants sont un nouvel outil de régulation des pratiques urbaines. Matérialisés dans la plupart des cas sur la chaussée, parfois sur les trottoirs, ou à cheval entre le trottoir et la chaussée, les parkings publics à Yaoundé ne sont pas utilisés uniquement pour le stationnement des véhicules. Certains citadins se les approprient pour des activités commerciales. Dans les rues du centre-ville, l’usage des places de stationnement produit de nombreuses interactions entre commerçants de rue, agents de la voirie municipale, automobilistes et piétons. Au-delà des sanctions et des antagonismes qui s’observent autour des parkings, quelques consensus se tissent pour aider les commerçants de rue à préserver leur droit à la survie en tant que citadins ordinaires. Les parkings publics apparaissent en effet comme un nouvel outil de contrôle de l’espace public et de la ville. Ce chapitre postule que le rapport des commerçants de rue aux parkings publics ne s’explique pas par leur incapacité à s’adapter à de nouvelles règles, mais par la contradiction entre l’ordre promu par l’autorité de la ville (la CUY) et les droits de citadins qui se considèrent comme mis à l’écart dans la prise de décision au sujet des projets urbains. Ce chapitre propose alors de répondre à la question suivante : quelles sont les logiques qui sous-tendent l’appropriation des parkings publics par les commerçants de rue de Yaoundé et qu’est-ce que cela révèle en termes de droit à la ville ? Dans quelle mesure les parkings publics de Yaoundé constituent-ils un outil d’intégration économique et socio-spatiale, et l’expression de revendication d’un droit à la ville pour les commerçants de rue ?

2D’un point de vue méthodologique, l’étude cible quelques rues du centre-ville de Yaoundé : Mokolo, Melen, Mvog-bi, Avenue Kennedy, Avenue Mgr Vogt, Avenue du Président Ahmadou Ahidjo et de Narvick. Ce choix porté sur le centre-ville s’explique doublement. D’une part, ce sont les seules rues où les parkings publics sont matérialisés. D’autre part, le centre-ville est le lieu par excellence de l’expression des différences sociales et économiques. Des observations directes y ont été menées entre octobre 2014 et juillet 2015 puis entre juillet et septembre 2017. Parallèlement, 33 entretiens semi-directifs ont permis de collecter des informations auprès de 11 commerçants de rue, 5 automobilistes, 6 parc-maîtres, 4 agents de la voirie municipale, 2 agents de la Fourrière municipale de Yaoundé et 5 responsables de la CUY. Le parc-maître est un agent de collecte des droits de stationnement au nom de la CUY, mais plutôt employé par l’une des sociétés concessionnaires (SITRAM, PARKING SARL ou SOPAL) qui ont la charge de collecter les fonds des parkings publics. Ceci dit, chaque société concessionnaire reverse officiellement à la CUY 50 % du montant collecté sur le terrain.

3Dans ce chapitre, le droit à la ville est entendu comme l’ensemble des règles que chaque catégorie de citadin fait valoir pour contrôler la ville et y prendre place en tant que citadin, même lorsque ces règles vont à l’encontre des normes institutionnelles.

Du choix de la modernité à la régulation de l’espace public : instauration des parkings publics à Yaoundé

4En tant qu’autorité de la ville, la CUY prend des décisions qui concernent le contrôle des espaces publics de la ville de Yaoundé. Ce sont dans les marges de ce pouvoir décisionnaire que s’inscrit l’instauration des parkings publics.

Yaoundé et la quête de son identité de ville moderne

5Au lendemain de sa nomination à la tête de la CUY en 2005, Gilbert Tsimi Evouna a souligné à plusieurs reprises son ambition de faire de Yaoundé « une ville comme Paris2 ». Ce projet exprime sa volonté de faire de Yaoundé une ville à l’image d’autres villes dites modernes. À son sens, la modernité passe par le choix d’une stratégie de gestion du stationnement qui permettrait de sortir du désordre lié au stationnement pour embrasser les « nouvelles » manières de faire d’ailleurs. C’est ainsi qu’en 2006, l’Arrêté n° 057/CUY/06 institue les parkings payants dans la ville de Yaoundé.

6À la suite de cette décision, certains citadins ordinaires ont été fascinés par la possibilité de « voir ailleurs et faire chez soi », en nourrissant leur fantasme d’une ville aux lendemains qui chantent. À ce sujet, un taximan déclare : « Monsieur le Délégué nous a dit que bientôt, pour nous qui ne sommes jamais allés à Paris, nous verrons Paris chez nous3 ». Un tenancier d’une cabine téléphonique de rue renchérit : « les autorités ont vu qu’il y avait trop de désordre dans le stationnement. Ils ont donc vu bon de créer les parkings, puisque ça existe en Europe depuis. Ils ont dit que si ça existe en Occident pourquoi pas ici4 ». Il ressort que l’instauration des parkings publics a pour but de s’arrimer aux mécanismes de régulation de l’espace public dans les villes dites modernes5.

Vaincre les difficultés liées à la mobilité

7L’instauration des parkings publics traduit aussi le souci de la CUY de réguler le stationnement dans la ville. Cette considération provient de la hausse de la motorisation des citadins et de difficultés de stationnement croissantes. Les parkings publics apparaissent donc comme un outil de régulation de la mobilité, mais aussi comme une stratégie de taxation de l’espace public urbain. Pour cela, les parc-maîtres contrôlent les places payantes du lundi au samedi, de 7 h 30 à 17 heures, en appliquant aux automobilistes le tarif de 100 FCFA par heure de stationnement.

8Afin de mettre fin aux stationnements gênants et non réglementaires sur les trottoirs, la chaussée et les terre-pleins centraux, la CUY emploie des équipes de la fourrière municipale. Ces dernières ont pour mission de patrouiller dans la ville pour dissuader ou sanctionner les automobilistes afin de libérer la voie publique des véhicules encombrant la circulation. Les automobilistes en infraction doivent payer une contravention dont le montant s’élève à 25 000 FCFA pour les véhicules légers, 50 000 FCFA pour les véhicules moyens et 100 000 FCFA pour les véhicules lourds.

9Aux côtés de la fourrière municipale, les agents de la voirie municipale ont pour principale mission de déguerpir les commerçants de rue6. Les marchandises saisies sont emportées pour être brûlées ou récupérées après le paiement d’amendes à coûts variables et inégaux. Malgré cela, les commerçants de rue continuent de s’installer le long des routes, sur les trottoirs, sur des parties de la chaussée ou sur les emplacements prévus pour les parkings publics. Pour faire montre d’ingéniosité, leurs étals sont le plus souvent fabriqués avec des cordes aux extrémités, pour faciliter le transport rapide de leurs marchandises à l’arrivée des agents de la voirie municipale. Ces derniers sont ainsi appelés « Awara7 ».

Conquête des parkings par les commerçants de rue à Yaoundé

10Les commerçants de rue détournent les parkings publics de leurs fonctions originelles. Cette pratique trouve son fondement dans les différentes conceptions de l’espace public en présence.

Du détournement des trottoirs à l’empiétement sur les parkings publics

11D’après l’Institut national de la statistique du Cameroun, dans sa récente étude en date sur le secteur informel8, la possession d’un diplôme ne garantit aucunement l’accès à un emploi. Le tissu économique est très faible. Les individus au chômage se tournent fréquemment vers le secteur informel. À Yaoundé (2 767 568 habitants9), le taux d’emploi officiel est de l’ordre de 51,5 %. Pour de nombreux citadins, le commerce de rue constitue alors une ressource indispensable à la survie10, vu que l’État, qui est le principal employeur, a des limites. Leka Essomba traite de parades commerciales11 l’occupation de la voie publique par de nombreux commerçants qui souhaitent se rapprocher au mieux de la clientèle. Les efforts ainsi consentis permettent à ces derniers non seulement de (sur) vivre, mais aussi de subvenir aux besoins des proches restés à la campagne, et pour qui ils sont souvent des « ambassadeurs économiques ». Gagner de l’argent à Yaoundé devient ainsi une double obligation.

12Parallèlement, la construction des routes à Yaoundé n’avait jamais intégré les possibilités de matérialisation de parkings publics. Quand ces derniers ont été instaurés, les routes n’ont pas été agrandies. La CUY a en effet opté pour une politique de stationnement qui empiète à la fois sur les trottoirs et la chaussée, malgré les plaintes de certains habitants. Pourtant, ce qui ressemblait à première vue à un urbanisme du tâtonnement, c’est-à-dire un projet urbain improvisé, a été justifié par deux principales raisons. D’abord, du point de vue des Loi n° 2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun et Loi n° 2009/019 du 15 décembre portant fiscalité locale, la CUY doit créer des recettes fiscales et communales et mettre en valeur ses sols pour assumer certaines charges financières. Ensuite, chaque communauté urbaine au Cameroun est dirigée par un natif de la ville. Ainsi, le nouveau magistrat municipal considère que « sa ville » est avant tout un patrimoine ethnique où il a le droit d’impulser une dynamique particulière, en n’ayant à rendre de compte qu’au président de la République.

13Par ailleurs, Yaoundé est confronté à un problème ancien : le détournement des trottoirs à des fins commerciales. Mbouombouo écrit que c’est le lieu où l’on retrouve « des vendeurs à la sauvette, de revendeuses de denrée alimentaire encore appelées “buyam sellam”, etc.12 ». Autrement dit, les piétons partagent les trottoirs avec les commerçants de rue. À certains endroits, les trottoirs sont entièrement confisqués par les commerçants de rue. Dans ce cas, les piétons sont contraints de circuler ailleurs : soit sur les aires de stationnement, soit sur la chaussée où les véhicules circulent. Se faufiler entre les marchandises est devenu une pratique courante pour les piétons. D’un autre côté, les commerçants estiment que leur statut de citadins socialement vulnérables leur donne le droit d’exploiter des espaces qui ne leur sont pas a priori réservés. Certains commerçants natifs de la ville estiment par ailleurs qu’ils sont des ayants droit de l’espace urbain, plus spécifiquement des espaces situés dans leurs quartiers d’origine. C’est le cas avec certains commerçants de Mvog-bi, pour qui Yaoundé est d’abord leur village avant d’être la capitale du pays. Ces éléments expliquent l’encombrement des trottoirs et le détournement des parkings publics dans leur prolongement par les commerçants de rue. L’image ci-dessous donne une illustration de cette situation.

Encombrement des trottoirs et des places de stationnement par le commerce de rue à Yaoundé

14Le lieu ci-dessus est surnommé « Ancien marché Melen » parce qu’il n’est plus officiellement un marché. Malgré les multiples interdictions de la CUY, le marché continue toutefois de prospérer, de jour comme de nuit. Dans plusieurs autres rues, les parkings publics servent également de lieux d’exposition des marchandises. À l’unanimité, les commerçants justifient leur choix par leur droit à travailler en ville. C’est ce qu’affirme par exemple Salomon, commerçant rencontré au lieu-dit Poste centrale : « nous, on veut aussi vivre à Yaoundé. On veut vivre. Yaoundé n’appartient pas seulement aux fonctionnaires. C’est aussi pour nous, nous qui n’avons rien […]. C’est pourquoi nous sommes là. Nous avons refusé le vol. C’est pourquoi on se bat tous les jours13 ».

15Malgré la proportion que prend le commerce sur les parkings publics, la CUY est souvent contrainte de fléchir ses sanctions et d’adopter un certain laisser-faire. Car pour l’État, la présence de citadins comme commerçants dans la rue pose avant tout un problème de droits et devoirs. Les citadins revendiquent le droit à produire des ressources face à un État qui est conscient d’avoir failli à ses devoirs. Le commerce de rue devient alors une activité tolérée en raison de sa capacité à endiguer l’implosion sociale. C’est pourquoi les parkings publics sont donc détournés pour des usages variés par des commerçants, avec l’accord tacite des automobilistes, des parc-maîtres et des équipes de fourrière et de voirie municipale.

Appropriation des parkings publics à Yaoundé : trait d’union entre acteurs autorisés et non autorisés

16D’après la CUY, les parkings publics sont exclusivement destinés au stationnement des véhicules. Cependant, l’usage détourné par le commerce de rue perdure depuis 2006 et tend à s’inscrire dans l’ordre urbain, voire dans l’habitus des citadins de Yaoundé. De nombreux automobilistes ont ainsi intériorisé l’idée selon laquelle l’espace de stationnement est partagé avec les commerçants de rue. Ces pratiques déviantes par rapport aux normes imposées par la CUY sont certainement acceptées par les automobilistes en raison de la compassion face à ceux qu’ils considèrent comme le produit de la mal-gouvernance au Cameroun. C’est ainsi qu’à Mokolo et Melen, par exemple, certains automobilistes propriétaires de boutiques le long des rues entretiennent des accords financiers avec les commerçants de rue afin que ces derniers puissent bénéficier des espaces libérés lors du stationnement de leurs véhicules. Ces espaces libérés sont octroyés aux commerçants de rue les plus offrants. Malgré la précarité, chaque commerçant a une place spécifique et régulière connue des autres commerçants et automobilistes sous-traitant la zone. Généralement, ce sont les parc-maîtres qui servent d’intermédiaire. Les sommes ainsi récoltées permettent de compléter leur salaire mensuel qui se situe en dessous du SMIG (36 270 FCFA, soit environ 55 euros). Finalement, même s’ils travaillent officiellement pour le compte de la CUY, leur condition socio-économique est proche de celle des commerçants de rue. Le tableau ci-dessous fait état des salaires mensuels et niveaux d’étude de parc-maîtres enquêtés.

17Il ressort de ce tableau que la moyenne salariale des parc-maîtres est de 29 400 FCFA (soit environ 45 euros). Sous la pression des commerçants de rue, certains parc-maîtres finissent souvent par leur vendre des tickets de stationnement, au même titre que les automobilistes. À ce moment-là, ces tickets confèrent les mêmes droits que les tickets de place de marché. Au marché Mfoundi par exemple, la réaction d’une vendeuse de friperies à la demande d’accès à une place de stationnement par un automobiliste donne une idée de l’ambiance qui règne dans les aires de stationnement des marchés : « tu veux garer où ? Tu vas d’abord monter sur moi. Je te rappelle que je suis là parce que j’ai payé. Voici mon ticket, hein ! Donc, va ailleurs loin15 ». Dans ce cas, certains automobilistes sont donc bien obligés de stationner ailleurs. Un parc-maître relate ses relations avec les commerçants de rue en ces termes :

Quand vous arrivez au niveau de Mokolo-sapeur là, il y a un secteur où les femmes posent les ongles, vendent les fruits, les pyjamas […]. À certains moments, il y a toute une affluence là-bas. Directement les gars vous imposent. Ils vous disent que, soit ils payent, soit ils n’enlèvent pas leurs marchandises. Vous voyez que vous êtes contrarié. Maintenant, vous êtes supposé faire votre quota en fin de journée. Vous ne pouvez pas bagarrer avec 50-100 personnes, voire plus. Vous leur faites payer. Vous êtes obligé de faire comme ça chaque jour pour pouvoir verser votre quota journalier. Là, personne ne nuit à l’autre. Chacun gagne sa vie16.

18Par ailleurs, d’autres automobilistes, que l’on désigne comme des « usagers brefs des parkings publics17 », rejoignent l’opinion ainsi exprimée :

Les gens vendent déjà sur les parkings publics. Mais nous, on s’adapte à notre pays. Il n’y a rien qui surprend un Camerounais. Nous savons que tout ceci est dû à la précarité ambiante dans laquelle nous vivons aujourd’hui […]. Ces gens sont à la quête de leur pain quotidien. Quand je veux stationner, c’est avec toute la simplicité du monde que je leur demande de me céder un peu la place, sans chercher à faire les problèmes18.

19Quant aux agents de la voirie municipale, ils naviguent entre trois positions : l’exécution proprement dite de leur mission de déguerpissement des commerçants de rue en tant que salariés de la CUY, la consolidation d’une rente de situation en couvrant les commerçants de rue, et la compassion envers certains commerçants de rue. Ces deux dernières attitudes donnent la possibilité aux commerçants de rue d’être épargnés des déguerpissements ou de récupérer leurs marchandises potentiellement saisies par tous les moyens. Certains agents contribuent alors à un mouvement de sabotage des ambitions de régulation des rues par la CUY19. Finalement, les réactions des différents acteurs autour des parkings publics convergent vers une forme de résistance collective aux normes de la CUY et de revendication du droit à la ville. Toutefois, malgré les coordinations observées entre ces acteurs, les conflits sont assez fréquents.

Cohabitation dans les parkings publics : un défi pour les commerçants de rue

20Les commerçants de rue font face à trois défis quotidiens pour se maintenir dans les espaces de stationnement : le marchandage de la place à occuper, le recours à des mécanismes de défense et d’intimidation vis-à-vis des intérêts opposés et la résistance aux opérations de déguerpissement.

Marchander les parkings comme tout autre espace

21Si l’ambition du magistrat municipal est de faire de Yaoundé une ville moderne, les commerçants de rue estiment que cela ne passe pas nécessairement par le rétrécissement des espaces de circulation pour l’aménagement de parkings publics. Selon eux, la quête de modernité d’une ville est étroitement liée à l’attribution d’emplois décents aux citadins et à la lutte contre l’exclusion urbaine dont ils se considèrent victimes au quotidien. Sans emploi et face à leur détermination de réussir par tous les moyens, ils estiment avoir le droit de travailler en ville pour espérer changer de condition sociale. C’est pourquoi ils trouvent qu’au-delà des trottoirs, les parkings publics sont une ressource complémentaire, même si cette conception contredit – en plus des normes de la CUY – une norme juridique nationale : « la vente des marchandises sur les trottoirs et autres espaces publics en dehors des places de marché est formellement interdite sous peine d’amende comprise entre 5000 et 10000 FCFA20 ». Malgré cette interdiction, les commerçants se maintiennent dans la rue avec le soutien relatif de certains parc-maîtres, automobilistes et agents de la voirie municipale, contre des négociations quotidiennes qui obéissent à la méthode « du bâton et de la carotte ».

22Les commerçants bénéficient de soutiens multiples. Alors, leur stratégie d’occupation des parkings publics consiste à occuper au maximum l’espace disponible, jusqu’à ce que l’automobiliste ayant besoin de stationner s’impose. Comme tout espace marchand, les parkings publics permettent aux commerçants de s’insérer économiquement et socialement. Pour la CUY, le fait de squatter les parkings publics est un acte déviant qui salit davantage les rues et par extension l’image de la ville. Selon un des responsables de la CUY, « c’est à cause des commerçants de rue que la majorité des parc-maîtres sont incapables d’atteindre leur quota de vente. Ils empêchent la CUY de bénéficier d’une partie de ses recettes communales21 ». Pourtant, il y a des commerçants qui paient quotidiennement ou hebdomadairement leurs places auprès des parc-maîtres, afin d’éviter que ces derniers ne fassent appel aux agents de la voirie municipale. En pratique, les commerçants et parc-maîtres passent des accords. À titre d’illustration, certains parc-maîtres autorisent l’utilisation des parkings publics en échange d’articles vendus par les commerçants.

Commerçants et conflits autour des parkings

23Différents conflits naissent autour des parkings publics à Yaoundé. Ils opposent d’abord les commerçants entre eux, les commerçants aux automobilistes, les parc-maîtres et agents de la voirie municipale.

24Les commerçants s’affrontent entre eux en raison de la valeur attribuée aux espaces disponibles. Certaines places de stationnement sont plus lucratives que d’autres. Tous les commerçants ont tendance à déployer leur activité au-delà des limites négociées. Les tensions naissent aussi lorsque de nouveaux commerçants veulent s’insérer dans la rue.

25Face aux automobilistes, les conflits se traduisent par des échauffourées. Elles se produisent par exemple lorsque les automobilistes veulent accéder aux parkings où se sont installés des commerçants contre une somme versée au préalable aux parc-maîtres. Un autre cas de figure est celui où les commerçants occupant les parkings publics refusent de payer aux automobilistes les droits d’accès à l’avant ou à l’arrière de leurs véhicules22. Les tensions sont fonction du niveau de préjudice causé à chaque partie. Par exemple, il peut arriver que l’automobiliste écrase la/les marchandise(s) d’un ou de plusieurs commerçants parce qu’il veut à tout prix stationner. Des tels cas ont été observés sur l’avenue Kennedy et l’avenue Mgr Vogt, en février 2015 et mai 2017.

26Les principaux conflits avec les parc-maîtres s’expriment sous la forme d’invectives. Ils se produisent lorsque les commerçants ayant utilisé les parkings publics refusent de respecter les clauses fixées tacitement avec le parc-maître, ou lorsque le parc-maître devient plus exigeant à un moment donné sur le respect des clauses initiales. Les parc-maîtres sont par ailleurs parfois soupçonnés par les commerçants d’appeler les agents de voirie municipale pour les déguerpir, contre des possibilités pour les parc-maîtres de partager les primes de sanctions.

27Les tensions avec les agents de la voirie municipale sont bien évidemment liées aux pratiques de déguerpissement des commerçants dans les rues et de confiscation des marchandises. Ces affrontements aboutissent régulièrement à l’emprisonnement des commerçants considérés comme « violents ».

Conclusion

28Les parkings publics tels que définis par la CUY avaient pour objectif de faire coïncider l’image de Yaoundé à celle des villes dites modernes à travers la régulation des espaces publics et du stationnement. Les parkings publics sont très vite devenus des lieux de travail pour certains citadins en quête de maintien et d’ancrage en ville : les commerçants de rue. Cette appropriation et ce détournement d’usage par les commerçants de rue traduisent le besoin et le désir d’améliorer leur condition de vie urbaine. Vu sous cet angle, les commerçants de rue ne s’inscrivent pas dans une logique de contestation frontale de l’ordre urbain, mais dans celle de revendication d’un droit à habiter la ville et s’y maintenir économiquement, socialement et spatialement. C’est pourquoi les déguerpissements et les sanctions ne mettent pas fin à leurs activités considérées comme déviantes par la CUY. Ils renforcent plutôt les résistances des citadins et les raisons de leur lutte contre des normes institutionnelles considérées comme imposées. Ainsi, la question du droit à la ville dont parlait Lefebvre23 reste un sujet à part entière à Yaoundé.