1Depuis les années 1970 en Europe, l’évolution du traitement social du handicap et des lois, les thérapeutiques éducatives ou pédagogiques affinées, ont permis de donner une image différente des personnes avec un handicap, en montrant notamment que celles-ci peuvent progresser. La meilleure prise en charge médicale, les progrès des aides techniques, ont également augmenté l’espérance de vie des personnes avec un handicap, qui de fait sont davantage présentes au sein de la société. En France et en Italie, la politique pour une société inclusive a été repensée : elle a donné lieu à une série de lois visant à favoriser l’éducation des enfants atteints d’un handicap en milieu ordinaire puis l’insertion professionnelle et sociale des adultes. Il ne s’agit pas ici de dresser un état des lieux actuel, mais de donner quelques indications du contexte dans lequel les albums et les courts romans analysés ont été édités et diffusés, c’est-à-dire principalement sur la décennie 1995-2005.

La désinstitutionnalisation italienne

2L’Italie a vécu à partir des années 1960 un mouvement d’ouverture des institutions asilaires. L’engagement du psychiatre Franco Basaglia, avec la mise en place de communautés thérapeutiques pour les personnes avec des troubles psychiques dans le Nord de l’Italie, a aboutit en 1978 à une loi portant son nom, la loi « Basaglia1 », qui ouvre les hôpitaux psychiatriques accueillant notamment des enfants avec un handicap important. Durant les années 1970, un faisceau de réflexions a convergé : l’engagement social d’une génération de thérapeutes et la mise en cause de la psychiatrie traditionnelle, la création d’associations de parents pour revendiquer la scolarisation inclusive des enfants avec un handicap, le mouvement de 1968 jusqu’aux années 1970 – le « mai rampant » italien (Milza, 1988) –, l’intérêt pour de nouveaux modèles pédagogiques, le constat d’échec de l’éducation spécialisée… Le contexte social a permis d’aboutir à la suppression progressive des classes spécialisées et à la scolarisation des élèves avec un handicap dans le milieu scolaire ordinaire.

En 1977, [l’Italie] a adopté une loi d’orientation pédagogique qui a supprimé les classes dites « différenciées » (en fait, les classes spéciales) et a décidé, par conséquent, d’accueillir des enfants handicapés non seulement en écoles ordinaires, mais aussi en classes ordinaires .
Plaisance, 2009, p. 116

3Dans la continuité du mouvement anti-psychiatrie, des coopératives sociales (reconnues par la loi 381 de 19912) ont été créées pour accueillir des « personnes désavantagées sur le marché du travail », notamment les travailleurs handicapés. La loi-cadre 104 de 19923 concerne tous les aspects de la vie des personnes avec un handicap et pose les principes d’une société inclusive familiale, scolaire, professionnelle et sociale. Ainsi, l’évolution se fixe pour objectif « de modifier les dynamiques sociales afin que chacun puisse être en mesure de tenir son rôle au sein de la même société » (De Anna, 2000, p. 138).

4L’Italie a donc fait le choix de la désinstitutionnalisation et la loi 517 de 19774 abolit les établissements spécialisés et les classes différenciées. Elle définit les principes de la scolarisation inclusive : tout enfant, quel que soit son handicap (y compris un enfant polyhandicapé), est scolarisé dans l’école choisie par ses parents. L’enfant est accueilli de façon individuelle dans une classe, avec le soutien d’enseignants spécialisés qui sont une ressource pour la classe et l’école – enseignants formés aux différentes problématiques du handicap et de la pédagogie.

L’atout essentiel du système italien a été d’introduire la figure professionnelle de l’enseignant, d’abord dénommé « spécialiste pour les activités intégratives », puis « professeur de soutien », chargé d’apporter son appui à la présence d’enfants handicapés dans les classes ordinaires. L’effectif de ces professeurs […] doit correspondre officiellement à la mise à disposition d’un professeur de soutien pour quatre enfants handicapés intégrés (deux par classe au maximum), et parfois moins si la déficience de l’enfant est sévère. Toutefois, le principe fondamental sur lequel se fonde l’intégration est la prise en charge du problème par l’ensemble de l’école et par les enseignants ordinaires. C’est l’un des défis les plus importants, pour lequel sont mises en place des activités de sensibilisation et de formation pour tous les enseignants .
Plaisance, 2009, p. 118

5L’enseignant de soutien organise les projets spécifiques à chaque élève avec un handicap, ainsi que des activités scolaires pour l’ensemble des élèves de la classe ou de l’école (classes ouvertes, apprentissages coopératifs, soutien entre pairs, activités d’aide réciproque…). La continuité entre les différents cycles scolaires est affirmée, de la maternelle jusqu’à la fin du secondaire, même si l’élève avec un handicap ne suit pas les mêmes apprentissages que ses camarades (Berlinguer, 2000 ; De Anna, 2000).

Le « système mixte » français

6« La France est caractérisée par l’éclatement en dispositifs multiples », ou « système « mixte »» (Plaisance, 2009, p. 119), c’est-à-dire que, selon leur situation, les enfants sont pris en charge ou accompagnés uniquement dans des établissements spécialisés, uniquement dans le milieu ordinaire, ou dans un panachage des deux types de structures, spécialisées et ordinaires : un élève sera en institut médico-éducatif et pourra bénéficier d’une journée par semaine à l’école du quartier ; ou bien un élève poursuivra sa scolarité en classe ordinaire mais sera accompagné par un service de soins à domicile et à l’école… Une volonté politique d’éducation en milieu ordinaire a été affirmée depuis la loi de 19755, avec des résultats mitigés. Si des expériences de scolarisation inclusive d’enfants avec handicap ont été menées avec succès, professionnels et parents s’accordent pour dire que cette volonté ne s’est pas traduite dans les faits par une nette évolution des pratiques et qu’une majorité d’enfants sont scolarisés en milieu spécialisé ou en classes différenciées.

L’effort juridique soutenu depuis 1975 n’aura ni produit les grands effets escomptés ni insufflé l’élan suffisant pour permettre à l’école d’ouvrir ses portes à tous les enfants handicapés .
Establet et Zaffran, 1997, p. 24

7La volonté politique a été réaffirmée par la loi « handicap » de février 20056, pour favoriser l’éducation en milieu ordinaire. Pour les adultes, la loi réaffirme le principe de discrimination positive d’incitation à l’embauche dans le milieu ordinaire (obligation d’emploi pour les employeurs et aides individuelles aux personnes). Pour les travailleurs handicapés qui ne peuvent en bénéficier, une activité professionnelle peut s’exercer au sein d’un secteur adapté (les ateliers protégés devenus par la loi de 2005 entreprises adaptées du côté du travail en milieu ordinaire, les centres d’aide par le travail devenus Établissements et services d’aide par le travail – Ésat – du côté du médico-social) avec l’accompagnement de services spécialisés. Ainsi, la loi couvre tous les secteurs de la vie des personnes avec un handicap, et défend pour celles-ci l’accès aux soins, aux droits, à la scolarisation, à l’emploi, à la vie sociale… Parallèlement, la loi de 20047 contre les discriminations renforce les droits des personnes avec un handicap et l’égalité de traitement pour tous.

8La nature des résistances à une scolarisation inclusive est multiple et complexe et il faut souvent la volonté affichée et déterminée de l’entourage pour que l’enfant soit accueilli dans une école de quartier. Dans la plupart des cas, l’enfant doit faire preuve d’une capacité d’adaptation au milieu scolaire, alors que l’école s’adapte rarement à lui (Herrou et Korff-Sausse, 1999 ; Lantier et al., 1994). La scolarisation en milieu ordinaire diminue progressivement avec l’avancée en âge des enfants. Les accueils individuels en maternelle sont la règle, alors qu’en primaire ils coexistent avec des accueils collectifs au sein de classes différenciées à l’intérieur d’un groupe scolaire, destinées à accueillir des enfants ayant un type de handicap clairement identifié (Clis8, devenues Ulis école9) ; par la suite, le nombre de ces élèves diminue nettement dans l’enseignement secondaire (en accueil individuel ou collectif en UPI10, devenues Ulis collège et Ulis lycée11). Des professionnels d’accompagnement (AVS12, devenus AESH13), sans rôle pédagogique vis-à-vis de l’enfant, sont chargés de l’aide à la scolarisation, à la socialisation et à la sécurité de l’élève avec un handicap.

9L’inscription de l’élève avec un handicap à l’école la plus proche de son domicile devient la règle, cependant, diverses modalités d’exception sont évoquées : si les besoins de l’élève nécessitent qu’il reçoive sa formation au sein de dispositifs adaptés, si l’établissement de proximité n’est pas accessible…

10Les difficultés les plus criantes portent sur la scolarisation à temps partiel (parfois quelques heures par semaine) d’une partie des enfants avec un handicap, sur le manque d’AESH et sur l’insuffisance de formation de ces professionnels.

11Aujourd’hui, s’il demeure des difficultés sur lesquelles se penchent les recherches en sciences de l’éducation – « l’inclusion ne va pas de soi, […] elle est un nouveau défi, qui demande la clarification de nos moyens d’action en vue de transformer les écoles et de changer les regards sur les différences. En d’autres termes, elle est une construction, un processus et non une donnée a priori » (Plaisance et Schneider, 2009, p. 26), – le processus de scolarisation inclusive apparaît plus accueillant, établi et devient peu à peu la règle.

Les attitudes des pairs et des enseignants

12En Italie, pour tous les élèves, la confrontation avec un pair avec un handicap est devenue, de fait, plus fréquente depuis les années 1970. C’est pourquoi les chercheurs se sont intéressés à la question de la scolarisation inclusive des élèves, notamment par leurs camarades de classe et les enseignants, et ont développé des programmes visant à favoriser l’acceptation des enfants ayant des incapacités (Vianello et al., 1999 ; Balboni, Vianello et Dionne, 2002).

13Le concept d’attitudes14 a permis d’éclairer une partie de ces travaux. Si les définitions du concept d’attitude sont fort nombreuses, des chercheurs s’accordent sur un modèle en trois composantes (De Montmollin, 1984) : une composante affective (sentiments favorables ou défavorables), une composante cognitive (jugements, croyances, savoirs) et une composante conative (conduite, comportement). Les attitudes sont étudiées principalement à l’aide de questionnaires (échelles d’attitudes)15.

14Dans le champ du handicap, le courant de recherches sur les attitudes, principalement aux États-Unis, s’est attaché à analyser les attitudes de parents, de frères et sœurs, de professionnels, de groupes de pairs ou de personnes non concernées, à l’égard des personnes avec un handicap. Une grande partie des études mesure les attitudes dans une situation sociale instituée (famille, école…), en fonction de la nature (personnelle, hiérarchique) et de la durée du contact (occasionnelle, fréquente) que les personnes ordinaires entretiennent avec les personnes avec un handicap (Giami et al., 1993 ; Ville, 1997). Après avoir mis en lumière les attitudes négatives des personnes ordinaires envers ces dernières, les études se sont employées à chercher les moyens de les modifier. Il arrive que ce changement soit plus ou moins aisé en fonction des caractéristiques de l’attitude : son degré de consistance (sa persistance face à un stimulus semblable ou différent), sa cohérence (corrélation avec d’autres attitudes), son étendue (sa spécificité ou sa généralisation). Par ailleurs, il ne faut pas omettre de considérer la résistance au changement qui renforce les attitudes existantes (Grawitz, 1964).

15Ces recherches sur les attitudes reposent sur l’hypothèse que plus une personne ordinaire connaît les personnes avec un handicap, moins elle les stigmatise. Il s’agit alors de réfléchir aux moyens de mieux faire connaître les personnes avec un handicap, grâce à trois vecteurs :

• L’information (des recherches posent l’hypothèse que des connaissances erronées seraient responsables des attitudes négatives : diffuser une information qui donne de « vraies » connaissances permettrait dès lors de modifier les cognitions et pourrait entraîner à terme un changement).
• La mise en situation : les personnes ordinaires développeraient plus d’empathie après avoir expérimenté dans leur corps la situation de handicap (Sheehan et al., 1995).
• Et le contact : des travaux se sont attachés à analyser le contact des individus avec des personnes avec un handicap, en présumant que la familiarité avec ces dernières suffirait à éliminer les préjugés.

16Les expériences de meilleure information ou de mise en situation ont donné des résultats contradictoires et non significatifs (Sheehan et al., 1995), mais les études sur le contact ont montré des modifications positives d’attitudes si certaines conditions sont réunies (statut équivalent, rencontre amicale…), bien que le simple contact ne suffise pas à transformer les attitudes indésirables (Sheehan et al., 1995).

17Renzo Vianello, Manuela Lotto, Carolina Mega, Barbara Tedesco et Cristiana Mognato (1999) estiment que les résultats des études nord-américaines effectuées dans un contexte d’éducation spéciale ou de classes spécialisées au sein d’un établissement scolaire ne peuvent être appliqués à la réalité italienne, où la plupart des enfants avec un handicap sont inclus individuellement dans une classe16. Une série de recherches a donc été menée en Italie pour mesurer les attitudes des élèves avec leurs pairs avec un handicap.

18Globalement, les enquêtes italiennes montrent que les enfants avec un handicap sont moins choisis que les autres pour les interactions de la vie scolaire, des loisirs et des manifestations d’amitié et de confiance (Vianello et al. 1999 ; Vianello et Moalli 2001 ; Balboni, Vianello et Dionne 200217). Les résultats des recherches italiennes – à l’instar des recherches nord-américianes – font donc apparaître que le contact seul, aussi « intégratif » soit-il, n’est pas suffisant pour que les élèves interagissent avec leurs camarades avec un handicap de la même façon qu’avec des enfants ordinaires (Vianello et al. 1999 ; Vianello et Moalli 2001 ; Balboni, Vianello et Dionne 2002). Linda Hestenes et Deborah Caroll (2000), aux États-Unis et à la même période, aboutissent à des résultats similaires : les enfants ordinaires choisissent de passer du temps avec d’autres enfants ordinaires pour 58 % environ, contre 14 % si leur pair est porteur d’un handicap. Line Nadeau et Réjean Tessier (2003)18 montrent par ailleurs que les enfants avec un handicap sont plus rejetés par leurs camarades ordinaires et se trouvent davantage en position de victimes.

19Dans le contexte français, Marie-Françoise Berthe-Denoeux et Véronique Léoni (2000)19 ont comparé un groupe d’enfants ordinaires en contact quotidien avec un enfant avec un handicap moteur dans la classe et un groupe d’enfant qui n’a jamais côtoyé d’enfant avec un handicap. Les deux groupes n’imaginent aucun retentissement du handicap sur les résultats scolaires. Pour les interactions et les relations d’amitié entre pairs, la moitié des élèves du groupe en situation de scolarisation inclusive s’imaginent devenir l’ami d’un enfant avec un handicap moteur, alors que 40 % des élèves du groupe sans contact ne l’envisagent pas. Ainsi, les représentations d’interactions positives ne sont que très légèrement améliorées par le contact quotidien entre enfants.

20Cependant, dans le contexte italien, les chercheurs remarquent que plus les enfants avec un handicap ont passé du temps avec leurs camarades, plus ils sont choisis lors de jeux collectifs, pour un travail en commun… Autrement dit, les élèves qui ont passé trois ou quatre ans dans une même classe avec leur camarade avec un handicap sont plus proches que les élèves qui ont passé un an avec lui. Renzo Vianello et Elena Moalli (2001) concluent alors à un effet positif du contact, à condition que le temps long soit privilégié, car l’effet bénéfique de la scolarisation inclusive mesuré par les interactions sociales peut apparaître seulement après plusieurs années de vie scolaire commune20. D’autres recherches nord-américaines estiment également que le contact avec des personnes handicapées améliore l’acceptation et induit des attitudes plus favorables (Favazza et Odom, 1996).

21Au-delà de la familiarité, le type de handicap constitue un critère important. Ainsi, le handicap intellectuel semble être une entrave aux affinités électives des élèves (Huckstadt et al., 2014), comme l’avaient précédemment mis en évidence les enquêtes italiennes : parmi les élèves avec un handicap, les plus choisis par leurs pairs sont atteints d’un handicap moteur, alors que les moins choisis sont porteurs d’un handicap intellectuel (Vianello et al. 1999 ; Vianello et Moalli 2001 ; Balboni, Vianello et Dionne 2002).

22En France, des recherches récentes confirment et mettent en évidence la variable du type de handicap sur les attitudes et les perceptions des enfants.

Les résultats selon les différents handicaps (trisomie 21, Rubinstein-Taybi, autisme Kanner, amblyopie) témoignent du fait que les enfants ont un discours spécifique en fonction des différents handicaps de leur pair. Par exemple, le discours des enfants concernant leur pair porteur de trisomie 21 est centré principalement sur les aspects sociaux […] puis sur l’apprentissage, alors que les enfants qui s’expriment à propos de leur pair atteint d’un syndrome de Rubinstein-Taybi (déficience légère) évoquent d’abord […] la catégorie apprentissage, puis […] la socialisation. Les aspects moteurs ou performance physique n’apparaissent que pour l’enfant déficient visuel […], alors qu’ils ne sont évoqués que dans 0 à 5 % des cas pour les autres types de handicaps21.
Chanoni, Mellier, Rovira et Brun, 2016, p. 129

23Toutefois, d’autres recherches affinent ces critères et montrent que ce n’est pas tant le type de handicap qui affecte les attitudes des enfants entre eux que le type de comportement. Les comportements agressifs, une communication limitée ou absente, semblent constituer des barrières moins franchissables (Harper et McCluskey, 2002) pour les interactions entre enfants.

[L]e handicap de l’enfant n’est pas un facteur de répulsion ou d’attraction pour les enfants dits normaux. Ceux-ci ont, comme avec les autres enfants, des attitudes de recherche, d’acceptation ou de tolérance. Quelle que soit la condition de l’enfant handicapé ou le statut qui lui est attribué par l’adulte, celui-ci est recherché ou toléré en fonction de ses capacités de communication .
Thouroude, 2000, p. 81

24Sans omettre les caractéristiques individuelles de la personnalité de chacun : les élèves avec un handicap dont les comportements favorisent l’interaction étant « décrits comme ayant un contact plutôt facile, une attitude conciliante, faisant preuve de coopération et de bonne volonté dans leur participation » (Berzin et Lebert-Candat, 2008, p. 94).

25Mais, au-delà de cette différenciation par type de handicap, la recherche d’Émilie Chanoni, Daniel Mellier, Katia Rovira et Philippe Brun (2016) auprès d’enfants de cinq à six ans a permis de révéler, lorsqu’ils ont été invités à commenter leurs photographies, combien ils sont conscients de la situation de handicap de leurs camarades : « Des flaques ou des trous du revêtement du sol sont photographiés parce que “Y faut pas jouer dans les flaques avec le fauteuil (roulant)” » (p. 132).

26Du côté des enseignants, la moitié des professeurs des écoles maternelles et élémentaires accueillant un élève avec un handicap indiquent que sa présence dans la classe n’a pas modifié ce qu’ils imaginaient de l’élève. Les autres enseignants éprouvent au premier abord des craintes liées aux capacités d’apprentissage, de compréhension, d’expression, notamment pour les enfants avec une trisomie. Les enseignants observent que leur sentiment initial d’anxiété s’estompe, puis disparaît, au contact de l’enfant et qu’ils arrivent à mesurer les difficultés de l’élève avec un handicap et les efforts fournis pour les dépasser (Lantier et al. 1994).

27D’après les recherches de Renzo Vianello et Elena Moalli (2001), Giulia Balboni, Renzo Vianello et Carmen Dionne (2002) en Italie, les enseignants qui accueillent des enfants avec un handicap dans leur classe disent rencontrer moins de problèmes que celles et ceux qui ne les côtoient pas. Il existe donc une surévaluation des difficultés chez les enseignants qui n’accueillent pas d’enfant avec un handicap dans leur classe, c’est pourquoi les chercheurs concluent au bénéfice de la familiarité avec le handicap pour les enseignants.

28Andrea Fiorucci (2014) rappelle que le type de handicap influence les attitudes des enseignants. En règle générale, ils jugent la scolarisation inclusive des élèves avec des handicaps moteurs plus aisée que celle des élèves porteurs d’autres types de handicaps ; et parmi les élèves atteints d’un handicap intellectuel, la scolarisation inclusive apparaît moins problématique pour les enfants avec une trisomie 21 (Lantier et al., 1994), probablement parce que l’élève avec une trisomie 21 est davantage connu, familier, que les élèves présentant d’autres handicaps intellectuels.

Les institutrices des jeunes trisomiques constatent que « ces enfants apprennent », qu’on peut avoir des échanges avec eux et « très bien se comprendre », qu’ils sont tous différents les uns des autres et que certains « en veulent… essaient de travailler contre leur handicap » .
Lantier et al., 1994, p. 197

29Les enseignants apparaissent particulièrement sensibles aux aspects comportementaux : plus l’élève avec un handicap est « sage », plus il sera accepté (Lantier et al., 1994). Ainsi, si la familiarité avec le handicap joue un rôle dans les attitudes, c’est le comportement de l’élève qui apparaît tout aussi déterminant. D’autres études confirment le caractère anxiogène de certains types de handicap (handicap intellectuel, troubles du comportement et handicaps associés) qui leur paraissent les plus sévères. Toutefois, la perception de la difficulté majeure concerne les troubles de la communication et du langage (Fiorucci, 2014).

30Par ailleurs, le contexte pédagogique peut avoir une influence sur les attitudes des élèves entre eux, dans le sens où il peut transformer une situation d’isolement des élèves avec un handicap en situation d’interactions entre pairs, en créant un climat valorisant les points communs et les références communes entre tous les élèves. « Les enfants [avec un handicap] qui participent au groupe sont ceux qui possèdent un minimum de points communs avec les autres pour trouver une place parmi eux » (Thouroude, 2000, p. 98)22. Christine Berzin et Corinne Lebert-Candat (2008)23 soulignent par ailleurs l’importance du contexte pédagogique sur les relations entre élèves ordinaires et élèves avec des troubles des fonctions cognitives. Deux variables ont été observées : l’effet de contexte, en l’occurrence lorsque le tutorat est encouragé entre les élèves (deux fois plus de comportements favorisant l’interaction ont été observés dans un contexte « avec tutorat ») et l’effet de l’activité individuelle ou groupale (les élèves avec un handicap produisent davantage de comportements favorisant l’interaction lors de travaux en groupe).

31Les propres attitudes des enseignants, ainsi que les pédagogies adoptées en classe, peuvent donc avoir un impact non négligeable sur les attitudes des élèves entre eux, « le rôle du maître dans la constitution des groupes ou dans la désignation des tuteurs [étant] sans doute déterminant dans la réussite de la mise en œuvre d’un dispositif dans lequel les enfants d’âge scolaire peuvent néanmoins constituer des partenaires actifs dans la scolarisation et l’adaptation de leurs pairs en situation de handicap » (Berzin et Lebert-Candat, 2008, p. 95).