Introduction
p. 13-15
Texte intégral
1Mot de feu, mot qui rassemble et qui exalte. Mot qui divise, et l’on pense que cette division est bonne. Mot qui, en même temps, possède le prestige froid du réel.
2 Politique s’entend comme le nom du véritable idéal que peut se donner une vie humaine : ce qui est attendu de nous, c’est que nous contribuions à faire advenir un monde social meilleur.
3Le mot renvoie aussi à une lutte, évoque un conflit. Mais le conflit politique est alors conçu comme privilégié : il est le conflit prometteur du changement dont le monde a besoin. L’annonce de ce conflit est donc positive.
4Enfin le mot est capable de désigner une attitude optimale en vue de l’action : endosser l’attitude politique, c’est faire face à la situation de notre monde telle qu’en elle-même, en nous libérant des illusions et travestissements induits par les représentations qui nous égarent usuellement.
5Comment ne pas trembler d’effroi au moment d’entreprendre une réflexion sur ce mot ? Les quelques lignes qui précèdent l’ont peut-être déjà trahi, cet essai se veut une mise en perspective critique de la place du politique dans notre monde, dans notre pensée, dans notre sensibilité. L’adjectif critique est entendu ici dans son sens kantien, c’est-à-dire que l’intention n’est pas de disqualifier ou dévaluer le politique, mais plutôt de déterminer son mode et son champ de validité. Et par delà une telle intention encore trop théorique, de préfigurer un usage du politique en prise sur l’enjeu fondamental que l’on peut ressaisir en lui : d’anticiper une pratique, un comportement à la hauteur du politique, correctement ajustés à ce qui est valeur en lui.
6Pourtant ce qui précède veut dire, clairement, juger le politique. Or, il semble acquis, pour beaucoup, que le politique est justement le niveau ou l’espace depuis lesquels décider ou juger de toute chose : cela n’interdit-t-il pas d’évaluer le politique ? Voilà qui ruinerait d’emblée le propos de cet essai.
7Si l’on se donne le droit d’user de la langue philosophique, on pourra dire en effet que la royauté in-questionnée du politique fait considérer qu’il constitue en quelque sorte le seul vrai transcendantal. En d’autres termes, le politique serait ce dans l’élément de quoi toute chose nous est donnée, l’instrument de mesure pour tout ce qui se présente dans l’expérience, le ressort de décision vis-à-vis de toute configuration.
8Par conséquent, vouloir le soumettre à l’examen des conditions de légitimité, c’est déjà le trahir. C’est perdre, aux yeux des esprits enrôlés par lui, le bénéfice infini de son magistère.
9 La figure, que je viens de commencer d’esquisser, d’une royauté du politique, est-elle fondée, est-elle attestée, correspond-elle à des éléments de réalité que je saurais citer ? Je vais essayer dans ce qui suit d’en nommer quelques uns.
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Sur les traces de la violence
Un essai anthropologique après les attentats de Paris
Robert Desjarlais Céline Curiol (trad.)
2020