1L’évolution humaine constitue pour la philosophie contemporaine un vaste champ d’étude, dont les richesses restent encore à explorer. La paléoanthropologie nous invite en effet à considérer la diversité de l’humain dans le temps long de son évolution et aux différents niveaux taxinomiques auxquels il est possible de l’appréhender : la lignée humaine, le genre Homo, l’espèce Homo sapiens. Tandis que l’anthropologie sociale a mis en évidence la diversité synchronique des formes de vie humaines, au sein de notre espèce, la paléoanthropologie découvre une diversité diachronique insoupçonnée, irréductible à un progrès linéaire dirigé vers l’émergence de notre espèce. Les découvertes fossiles majeures qui ont marqué ce champ disciplinaire au cours des dernières décennies mettent en effet en évidence une pluralité de genres, mais aussi d’espèces du genre Homo. Ces découvertes fossiles, tout comme les procédures interprétatives mises en œuvre pour percer leur signification, font surgir de nombreuses questions. Quels critères de définitions de l’humain, explicites ou implicites, sont alors mis en jeu ? Où passe la frontière entre description et interprétation ? Quel rôle jouent les narrations dans les modèles et les représentations de l’évolution humaine ?

2Outre ces questionnements épistémologiques, le type de relation que la philosophie peut établir avec les contenus de savoir des sciences de l’évolution suscite également des interrogations. Une véritable anthropologie philosophique peut-elle s’appuyer sur les données de la science sans procéder à l’examen critique de leur genèse ? À l’inverse, supposer que les faits scientifiques ne sont que des interprétations, construites en fonction d’intérêts historiquement et socialement déterminés, n’est-ce pas verser dans un relativisme des plus hasardeux, s’agissant de l’évolution biologique ? La naturalisation de l’humain ici mise en jeu semble être riche de promesses autant que lourde de périls : si elle ouvre considérablement le champ de l’anthropologie philosophique, en étendant le débat sur les caractéristiques propres à l’humain, ce tournant peut également conduire à rechercher dans notre passé évolutionnaire un fondement naturel à ce que nous sommes actuellement, aussi bien qu’à faire abstraction de ce que nous sommes, pour prétendre révéler dans ce lointain passé le véritable visage de l’humanité.