1Dans les agendas urbains de la mondialisation, que dire de grandes villes aux croissances démographiques et territoriales fortes mais qui, sur fond d’économies restées rentières, se trouvent en retrait des critères de performance à l’investissement et d’attractivité pour les capitaux extérieurs ?

2La question est posée en particulier depuis deux terrains d’étude. Bamako, d’une part, atteignait 1,8 million d’habitants lors du dernier recensement malien de 2009. Elle dépasse déjà les deux millions si l’on ajoute à la population du District, la région capitale, celle des communes « rurales » de la région bordière, sur lesquelles mord l’étalement urbain. Accra, d’autre part, s’insère dans une région urbaine à 90 % de sa population, the Greater Accra Region, à laquelle le recensement ghanéen de 2010 vient d’attribuer 4 millions d’habitants.

3Ce texte discute alors la double capacité de ces métropoles à mettre en avant une performance économique pro-growth d’une part, et une performance sociale pro-poor, d’autre part, la seconde n’étant pas moins l’objet de commentaires internationaux. Mais il ajoute à ces deux attendus le troisième terme d’une « compétitivité politique » interne. La capacité des pouvoirs urbains à s’activer sur des enjeux d’action publique, à défaut de les maîtriser, se substitue à certains égards aux deux précédentes. Elle contribue en retour à fragmenter les missions programmatiques des autorités « métropolitaines », ce qui complexifie davantage leurs performances gestionnaires et sociales.

4La comparaison de deux capitales fait jouer d’abord l’intensité des rythmes d’urbanisation : la croissance démographique annuelle d’Accra est de 3,1 % ; celle de Bamako monte à 4,8 %, un des taux les plus élevés au monde pour ce niveau d’agglomération. Mais au-delà des héritages coloniaux français et britannique, qui ont aussi différemment déconstruit ou renforcé le paradigme communautaire dans la fabrique de la ville, la comparaison renvoie aujourd’hui à de communs modèles de rattrapage urbain. Les formes d’appropriation de ces modèles se montreront pourtant plus variées qu’il n’y paraît dans les catégories de « marge du monde métropolisé » ou de « planète des bidonvilles ».

De l’efficacité économique : le « recouvrement des coûts » d’investissement et de gestion en lieu et place de solides bases productives et fiscales

5Dans le sillage de l’ajustement structurel, déclenché en 1983 dans les deux pays, le premier modèle qui s’impose aux villes en développement est celui de la récupération des coûts de financement et de service de leurs infrastructures, impliquant la responsabilisation financière (accountability) de leurs cadres institutionnels. S’il se diffuse incontestablement depuis les années 1980, il est relayé dès la décennie suivante par le couplage « ability and willingness to pay » à l’intention des populations citadines. Celles-ci se voient désormais ciblées, « à chacun selon ses moyens », dans les termes de la solvabilité (non pauvres) et de la participation (pauvres). Le renforcement de capacités institutionnelles et participatives, qui sous-tend la programmation urbaine, découle de la diffusion de ces termes de référence.

6Même si leur assimilation est inégale dans les sociétés africaines, un faisceau d’injonctions et de normes de « bonnes pratiques », de financement des équipements et de recouvrement des coûts de service, touche alors ces villes au moment où elles prennent une dimension régionale. Mais alors que les politiques publiques devraient se trouver réhabilitées dans les missions de gestion et d’anticipation du développement urbain, les cadres politiques de l’Afrique de l’Ouest expriment de fortes difficultés à les assumer, et par conséquent à concilier les références en termes d’accumulation et de redistribution, pro-growth et pro-poor, dont ils sont devenus des vecteurs. Les principales difficultés portent sur la volonté politique, la détermination à prioriser les interventions urbanistiques, la maîtrise d’outils de programmation des besoins et d’évaluation des résultats, la transparence d’exécution.

7La mondialisation économique et ses crises financières se ressentent assurément dans les villes ouest-africaines et dans les consommations de populations en plein renouvellement démographique. Après la « décennie perdue pour le développement », la « dimension sociale de l’ajustement » marque les années 1990. En phase avec les objectifs du millénaire pour le développement (OMD), elle passe le relais aux stratégies de remise des pauvres dans le marché, en particulier du logement et des services essentiels, à conditions « sécurisées » et à prix « abordables ». Mais le renforcement des bases productives et des recettes fiscales des capitales n’est pas au rendez-vous de leur étalement urbain. L’économie de services se renforce, mais en reposant sur le secteur informel pour une très forte proportion des actifs, qui ne sont pas en mesure de soutenir une taxation d’entreprise, de contribuer à ce titre à la mise en place d’infrastructures comparables à celles dont d’autres métropoles se dotent sur ressources propres dans la même période.

8Le financement de grands équipements de communication et d’assainissement est donc limité aux principales artères et à quelques nœuds stratégiques, dans un désert persistant d’interventions sur la voirie secondaire. Il ne suffit pas à rendre attractifs ces territoires urbains aux investisseurs économiques. Élargis plus vite que leurs dispositifs gestionnaires, ils souffrent notamment de délestages énergétiques chroniques et d’une insuffisante productivité du travail. Le rattrapage des réseaux reste financé sur des crédits extérieurs, même si la mobilisation de fonds locaux, en faible proportion des montages financiers, constitue un passage obligé des dossiers de prêt. Bailleurs multilatéraux et coopérations bilatérales s’enchaînent plus ou moins bien d’un « projet urbain » à l’autre, selon les montages de la Banque mondiale, du fait de crédits politiques – multipartisme et alternance électorale, réformes de décentralisation, mesures d’assainissement des marchés publics – qu’ont donnés Mali et Ghana dans les deux dernières décennies, non sans heurts1. Dans ce cas, la reconduction de ces mannes financières pourrait se trouver compromise si le levier que représentent les infrastructures urbaines ne fonctionne pas suffisamment pour renforcer l’investissement économique et l’autonomie financière des villes, et pour impulser en interne une restructuration de l’étalement urbain.

Le développement urbain reformaté

9À distance des côtes atlantiques, la capitale malienne est moins avancée sur ce plan que la principale région portuaire du Ghana2. Mais les deux se rejoignent dans le recyclage de deux credo néolibéraux de la croissance urbaine auprès des entrepreneurs et usagers locaux.

10– La gestion des villes est passée en 30 ans d’une logique de subvention et de pénurie de moyens au principe de récupération des coûts censé ajuster l’offre et la demande. La norme de bonne gestion soumet désormais États et collectivités territoriales. Elle s’attache au remboursement de la dette d’investissement ainsi qu’au fonctionnement marchand des services urbains. Il ne s’agit pas d’en discuter ici le caractère effectif, mais de rendre compte du fait qu’elle s’impose désormais jusqu’aux mailles les plus fines de la ville. Elle commande des stratégies de communication et des procédures d’évaluation. Elle conditionne la reconduction de budgets et le fléchage de crédits. Elle fonde l’idée d’une surveillance « par le haut » et « par le bas » dans les formats requis de gouvernance, État de droit et débat démocratique. Elle voit par conséquent ses transgressions déplacées sur des modes d’action – corruption, jeux d’influence et de pressions – plus subtils.

11– Au plan urbanistique, les villes apparaissent désormais soumises à des interventions sur « projets » au détriment des outils classiques de planification urbaine, coquilles souvent vides il est vrai. Sur le fond, les infrastructures de rattrapage et les « opérations pilotes » cachent mal le délaissement de la majeure partie de l’espace urbain et la mise en concurrence, de facto, de quartiers et/ou de populations éligibles aux crédits d’intervention3. La fabrique territoriale des métropoles glisse ainsi d’une logique de « trames »4, qui a organisé l’expansion des agglomérations jusque dans les années 1990, à une logique de « corridors » de circulation. Les investissements routiers de la dernière décennie – grands échangeurs, ceintures périphériques, nouvelles traversées fluviales – en donnent une meilleure expression que ceux qui devraient être consacrés à l’assainissement des quartiers. L’impératif de fluidification des communications se concrétise vite, et à gros enjeux marchands. La diffusion spatiale et sociale de la téléphonie mobile et d’internet montre déjà ses effets sur la productivité des services urbains. Quant au transport urbain, l’avancement des projets en site propre connaît de sensibles différences ; celui de bus rapide est en cours de réalisation à Accra, tandis que celui du tramway de Bamako est affiché avant d’être financièrement monté.

Limites de la décision locale

12Un premier bilan de ces échos donnés à la compétitivité économique souligne la prégnance du « fait du prince » dans les moyens accordés à l’urbanisme opérationnel. Les plus gros financements et les priorités d’action engagent la décision présidentielle. Ses relais dans les ministères techniques, en particulier les services des Affaires foncières, sont bien plus efficaces que ceux des collectivités locales. Malgré des réformes de décentralisation menées pour les deux pays dans les années 1990, et saluées dans la sous-région, les budgets courants des districts et des communes ne suivent pas la « décharge » de responsabilités publiques que leur impose le pouvoir central. À Bamako, le ratio de recettes et de dépenses réalisées ne dépasse pas l’équivalent de 5,30 euros par habitant en 20095. La gouvernance locale reste fondée sur des recettes de patentes et licences, de domaine au Mali, et sur des charges de salaires. Elle bute sur les coûts d’investissement d’infrastructures régionales, et sur de sensibles différences d’initiatives d’une composante urbaine à l’autre, d’un mandat à l’autre. Difficile dans ces conditions de soutenir une maîtrise d’ouvrage aux niveaux métropolitain et municipaux. Pas plus au sud qu’au nord du Sahara, les États ne passent la main pour engager significativement la ressource foncière, la relation aux entreprises mondiales d’eau et d’assainissement, et les grands aménagements générateurs de ressources.

13Autant les « projets urbains » qui se relaient sur crédits multilatéraux ont diffusé l’impératif de récupération des coûts dans les capitales, autant le financement de la ville par la ville reste un vœu pieu à l’examen des recettes fiscales prélevées sur ménages et activités. Le Ghana est régulièrement évalué comme ayant conduit de manière satisfaisante les opérations prévues sur crédits de la Banque mondiale. Le Mali reçoit quant à lui des avis d’insatisfaction qui suspendent les prêts pour plusieurs années et le poussent à la recherche tous azimuts d’autres bailleurs. Ainsi, un quatrième projet urbain est-il en préparation en 2011 huit ans après l’achèvement du précédent. Le manque de continuité d’action est patent tandis qu’un certain désordre d’orientations naît de l’empilement de formules de « durabilité » et de « soutenabilité » répétées depuis les tribunes urbanistiques internationales.

14La multiplication des partenariats, le chevauchement de diagnostics et d’expertises, laissent enfin des trous plus que jamais importants dans le continuum territorial des capitales considérées. Les bailleurs se succèdent sans renforcer la coordination de l’action publique. L’impression que certains morceaux de ville sont satisfaits dans l’affichage maîtrise d’ouvrage/ maîtres d’œuvre crée vite de la frustration chez d’autres. Les dotations financières suscitent des réactions mal informées, ou découragent des possibilités de concertation sur le terrain. Des coopérations bilatérales spécialisées abondent certes les montages financiers de la Banque mondiale. Mais le partage des tâches et l’argumentation des fléchages se compliquent avec la montée en puissance de coopérations Sud-Sud, de bailleurs sous- ou suprarégionaux, la nécessité de formater le partenariat public-privé à l’égard d’entrepreneurs nationaux, et les plaidoyers particuliers que portent des coopérations décentralisées à l’appui d’acteurs non gouvernementaux. Tout cela contribue au fractionnement des lignes et cibles de crédits que l’on verra en particulier sous l’apparente mobilisation mondiale des « villes sans bidonville ».

15Sur l’argument de la compétitivité économique, l’ajout régulier de nouveaux critères de performance à une liste déjà éprouvée laisse donc un bilan mitigé à l’impératif de maîtrise des coûts. Ceux de la durabilité environnementale – bilans carbone, plans solaires, gouvernance littorale, ville « compacte » ou « résiliente » – contribuent à soumettre ces capitales africaines, comme d’autres régions du monde, aux implications financières du changement climatique et des transitions énergétiques. Il n’en reste pas moins que la mise en vitrine marchande des villes s’est bien imposée en même temps que les transitions politiques des années 1990. Non pas que cette partie de l’Afrique produise désormais ses propres normes de gestion et d’attractivité pour les investissements privés. Sur ce terrain comme sur celui de « filets sociaux de sécurité », ni Accra ni Bamako n’échappent au recyclage de modèles internationaux.

De la cause inclusive : intégration des pauvres aux marchés urbains, régulations sociales, plaidoyers pour des droits « humains »

16Pour les capitales ouest-africaines, en effet, la dernière décennie est aussi riche en termes de références de la lutte contre la pauvreté, en légitimations de l’accès des pauvres aux ressources urbaines, en plaidoyers pour des villes socialement tenables. Les références s’attachent ainsi à l’idée d’un droit à la ville6, qui est discuté tantôt dans un singulier universel, plus ou moins moralisé dans les catégories d’équité et de dignité, tantôt sous des engagements pluriels : droit au logement, à la mobilité, aux biens communs… La réduction des discriminations à l’œuvre en matière de desserte des services essentiels, de sécurité foncière, d’accès au travail, de reconnaissance des migrants, trouve ici une tribune mondialisée, par-delà des mobilisations hétéroclites. En un temps record s’imposent quelques mots-valises, ou termes faussement descriptifs, au premier rang desquels « slums » et « sans-abri » recouvrent des réalités locales et des trajectoires sociétales bien différentes. La rhétorique du « combat » fonde un corpus de slogans susceptibles de conduire des contextes éloignés à des échanges d’expériences. Ici aussi les formules se galvaudent, au risque d’instrumentalisations politiques et d’embarras institutionnels : des critères d’éligibilité se montrent autant excluant qu’inclusifs ; des focus sur un arbre de mobilisation masquent la forêt des problèmes.

17Plus que dans les termes de la justice, les acteurs d’en haut et d’en bas des métropoles ouest-africaines traduisent en « réduction de la pauvreté » ces tribunes vouées à la question des inégalités. Point ne serait alors besoin de discuter de leur origine, ni de capitaliser sur un passé de « contrat social », sur des expériences de redistribution publique ou des défauts de péréquation : il suffit que les termes du moment rapportent lignes de crédits ou assistance technique. Les élites urbaines suivent d’ailleurs ce nouveau vent d’affichage souvent mieux que leurs administrés et électeurs, du fait de la faiblesse des corps intermédiaires, de médiations imposées à l’expression des milieux populaires. Y contribuent également la mise en réseaux des collectivités locales7, les logiques d’évaluation sur indicateurs harmonisés auxquelles ces élites sont de plus en plus sensibles dans leur quête de respectabilité sur la scène des « acteurs urbains ».

18Les programmes UN-Habitat sont ainsi emblématiques de la montée en force de modèles de soutenabilité de la ville. Sur la plateforme multibailleurs de Cities Alliance, ils sont rejoints depuis les années 2000 par la Banque mondiale et par les bailleurs avertis des contre-performances d’une croissance sans cadrage « environnemental » ni « humain ». La tendance n’empêche d’ailleurs pas la Banque mondiale et sa nouvelle géographie économique de parier sur les effets d’agglomération dans le développement. Au contraire, la masse des besoins à satisfaire en services de base renforce les perspectives d’insertion marchande des pauvres, et par économies d’échelle ceux des villes plus sûrement que ceux dispersés dans les campagnes des Suds.

19Le droit de cité des habitants précaires et des populations vulnérables s’exprime ainsi au cas par cas dans les villes africaines. Car mieux que les références aujourd’hui convenues à Henri Lefebvre, des nécessités pragmatiques y fondent la mise en avant d’outils d’advocacy planning. D’actifs échanges Sud-Sud d’expériences conduisent à transposer des formules de participation ou d’accompagnement social. Depuis le Maroc où il est mené sur objectifs de réduction de la pauvreté, le programme « Villes sans bidonville » montre ainsi des effets ricochets depuis 2008 dans les capitales subsahariennes. C’est aussi le cas du crédit conféré récemment au Building Capacity of the Urban Poor for Inclusive Development : ce dernier-né des projets thématisés « urbains » de la Banque mondiale concerne services et logements à la fois, et vient d’être approuvé pour le Ghana en novembre 2011 ; il est porté par le réseau d’associations Shack/Slum Dwellers International et par l’ONG ghanéenne People’s Dialogue on Human Settlements, au terme d’une mobilisation de plusieurs années. Le paradigme communautaire qui le sous-tend trouve surtout plus d’échos à Accra que dans bien des contextes politiques d’Afrique francophone.

20Face à ces impulsions exogènes l’Afrique subsaharienne semble n’offrir que des répliques miniaturisées au regard de régions mieux visibles dans les « bonnes pratiques » inclusives, ou sur le terrain des « luttes urbaines ». La comparaison des deux exemples ouest-africains se montre pourtant de nouveau féconde, en particulier pour la mise en œuvre pratique de formules de consolidation du logement des pauvres : l’entrepreneuriat pro-poor n’est pas porté à l’identique au Mali et au Ghana.

Logements sociaux dans la donne clientéliste malienne

21Le cas de Bamako reste porté par le geste urbanistique présidentiel. La Stratégie nationale du logement (SNL) formulée au milieu des années 1990 manifeste sur le fond assez peu de débats politiques. Elle s’inscrit dans une tradition de récupération des mots d’ordre ambiants : construction à vouer au secteur privé, mise en place de structures financières spécialisées sur le crédit au logement. Après l’enlisement d’un programme de régularisation des quartiers spontanés, « Sauvons notre Quartier », dans les années 19908, elle se concrétise doublement :

• Comme au Sénégal voisin, par le premier financement du programme « Cities Without Slums » (2008-2010). Ses partenaires sont Cities Alliance, la Banque mondiale, l’AFD, deux ministères maliens, auxquels s’ajoutent pour des montants symboliques mais dans l’ère du temps, l’Association des Maires du Mali et des ONGs nationales.

• Plus substantiellement par la programmation, sur budget national principalement, d’unités de logement « à prix abordables » subventionnés entre 45 et 55 % de leur coût9. Leur attribution comme « logements sociaux » court depuis les années 2000 sur un critère de revenus mensuels compris entre 57 et 100-200000 francs CFA.

22Sept mille maisonnettes sont ainsi construites sur parcelles individualisées en plusieurs phases à travers le pays, la majorité dans le district de Bamako. Leurs bénéficiaires sont garantis pour 25 ans de location-vente, mais relèvent d’une petite « classe moyenne » plus que d’origines bidonvilloises. Il n’empêche que les opérations immobilières offrent plusieurs nouveautés : les logements livrés clef en main sont construits diligemment, ce qui manquait aux quelques centaines d’unités construites jusque-là depuis l’indépendance malienne. Les programmes réalisés en partenariat public-privé montrent des résultats minces, mais comptent depuis 2011 sur des investisseurs saoudiens et la coopération financière islamique pour porter la contribution du PPP à 20000 logements.

23Avec un bilan fractionné sur divers partenariats privés et étrangers, on se trouve surtout très en retrait des résultats salués au Maroc en nombre de localités et d’unités satisfaisant l’entrepreneuriat du bâtiment dans l’Initiative nationale pour le développement humain10. Onze pour cent des demandes maliennes enregistrées entre 2003 et 2008 ont été satisfaites. Mais la formule confirme une logique bien durable au Mali : les réalisations sont portées devant l’opinion publique directement par le président Amadou Toumani Touré, tandis que les édiles municipaux restent cantonnés dans un rôle répressif à l’égard d’une fabrique urbaine encore largement informelle.

24C’est donc moins la gestion clientéliste de ces opérations immobilières, prenant la relève de celle des lotissements fonciers, que d’autres faits qui semblent renouveler la donne bamakoise : l’impact physique des programmes de part et d’autre du District et dans le prolongement oriental de l’agglomération ; leur irruption dans un marché foncier sensible ; les réquisitions de terrains menées jusqu’au prix d’interpellations de l’État ; l’écho positif des « attributions du Président », nonobstant leurs insuffisances flagrantes pour soulager la demande de terrains à bâtir.

Accra entre exemplarité internationale et contradictions locales

25Dans la capitale ghanéenne, les programmes publics menés au titre de la réduction de la pauvreté portent moins sur la production de nouveaux logements11 que sur le volet « slum upgrading ». Celui-ci se rode sur deux générations de projets de la Banque mondiale, et sur deux formules de mobilisation qui ont placé la municipalité d’Accra successivement en position d’intermédiaire pour le financement voué aux deprived communities, à partir des années 199012 ; puis d’accusée de leur éviction forcée, dans les années 200013.

26Lancée dans les années 1990, la réhabilitation de quartiers déshérités constitue en effet l’un des volets de deux Urban Environmental Sanitation Projects (UESP). L’élargissement du programme n’est que relatif : les opérations financées ne concernent d’abord que trois quartiers « pilotes » dans le seul district d’Accra ; le projet en cours depuis 2006 prend ensuite le relais avec 13 opérations, portées à 14, sur les cinq plus grandes villes du Ghana. La capitale n’en comptera finalement que cinq… sur les 32 « quartiers à bas revenus » listés par les autorités des districts d’Accra et de Tema. Quant à la Slum Upgrading Facility, elle est délivrée au pays depuis 2004 par UN-Habitat. L’agglomération d’Accra y est concernée par deux quartiers de la ville-centre et par la banlieue orientale d’Ashaiman. Dans les termes du « tackling our problems as a community », la constitution de groupes d’épargne est un préalable incontournable des démarches de sélection à la réhabilitation.

27La formule néglige ainsi le fait locatif qui est très diffus dans l’habitat de cour urbain, contribuant massivement au profil immobilier médiocre de la capitale : plus de 40 % des logements recensés en 2000 – 61 % en 2010 – n’y sont constitués que d’une pièce ! La réhabilitation s’attache en effet à une pauvreté territoriale qu’il s’agit d’atténuer par une dotation en drains à ciel ouvert, en éclairage public et toilettes communautaires. L’effet de slogan n’est pas moins flou que celui des « villes sans bidonvilles » car les quartiers d’Accra, à de rares exceptions près, ne peuvent être considérés comme irréguliers sur le plan foncier. Malgré l’ambiguïté de mesure des habitats précaires, l’agglomération se retrouve ainsi dans le sillage de lignes de crédits qui sont plus généralement justifiées, de l’Afrique de l’Est à l’Asie, par la reconnaissance du droit de cité des squatters.

28De tels « labels de pauvreté » confèrent donc aux quartiers populaires d’Afrique une homogénéité de forme et d’origine de la vulnérabilité qu’elles n’ont pas14. ÀAccra, ils occultent surtout le contrôle social de la terre et son rôle dans l’affirmation sur le long terme de légitimités communautaires que l’on voit aujourd’hui reconverties en argument de participation à la réhabilitation. Car à la différence de Bamako, dont l’expansion a été marquée par de véritables quartiers irréguliers, les prérogatives foncières des chefferies sont reconnues par autochtones, migrants et autorités municipales dans la fabrique néocoutumière d’Accra. Mieux, les chefs ghanéens sont reconnus comme acteurs « purement traditionnels » dans la Constitution de 1992, Ce n’est finalement que la mise en exergue d’une situation d’exception à l’ouest de la ville, sans médiation de ce type, qui conduira les autres « communautés déshéritées » à se positionner dans la dernière décennie comme formal settlements impliquant chefferies locales, leaderships politiques et nouvelles associations de résidents.

29La confusion sur les légitimités à prétendre à réhabilitation, plutôt qu’à éviction, se dévoile en effet dans les années 2000 quand le Ghana se retrouve porté par une exemplarité nouvelle dans le « combat des pauvres pour rester en ville ». Avec le cas particulier du quartier Old Fadama, Accra est propulsé aux premières lignes des plaidoyers internationaux pour l’inclusion sociale. Et l’on a vite fait sur la « toile », dans le sillage de Shack/Slum Dwellers International, par raccourcis sur la portée d’une situation locale et par inférences territoriales, à glisser d’une échelle à l’autre : le quartier, la grande ville, la citoyenneté d’un pays, la planète des bidonvilles.

30– Après que la municipalité d’Accra a prononcé un premier avis d’expulsion en 2003, la population d’Old Fadama s’autodénombre à quelque 30000 habitants. Elle est citée comme « one of the world’s notable slums […] referring to forced evictions as a bad strategy in tackling squatters and slum communities » lors du deuxième Forum urbain mondial de Barcelone (2004), avant d’être réévaluée à près de 80000 personnes dans diverses sources activistes.

31– La montée en puissance de militants associatifs (People’s Dialogue on Human Settlements, The Ghana Homeless People’s Federation qui devient Ghana Federation of the Urban Poor) s’impose alors aux organisations à base communautaire ; le Ghana se retrouve affilié aux mouvements voués aux quartiers précaires et aux sans-abri, dans les formules internationalisées du « cry out for speed up relocation process ». Le slogan trouve des prolongements en termes de « droits humains » avec l’implication d’Amnesty Ghana et du Centre for Public Interest Law.

32– Cette visibilité internationale progresse tout au long de la décennie. En 2011, les « droits des citadins pauvres » sont défendus par le Gouvernement du Canada en collaboration avec l’ONG Journalistes pour les droits humains. Amnesty International demande également « la fin des évictions forcées au Ghana » à propos de constructions illicites situées sur le domaine ferroviaire d’Accra.

33– En novembre 2011, UN-Habitat retient enfin le Ghana pour un Pilot Slum Upgrading Facility Project, auxquels sont associés différents « partenaires » institutionnels et associatifs, locaux, nationaux et internationaux.

34La mobilisation locale s’est ainsi construite à l’appui d’autres expériences d’activisme social. Avec la National Slum Dwellers Federation of India, l’échange d’expérience porte par exemple sur les méthodes d’auto-énumération des habitants ; la formation de leurs porte-parole aux techniques de mobilisation stimule des visites croisées dans d’autres pays d’Afrique et des présentations conjointes dans les Forums mondiaux. Un rapprochement s’impose avec le leadership construit à Joe Slovo, à Cape Town.

35Force est de constater que l’Afrique francophone est bien moins présente dans ces fenêtres urbaines ouvertes sur les mouvements citoyens ou sur les entrepreneuriats pro-poor du monde ; ni très active dans l’échange de fiches d’action locale et de kits en ligne pour les droits des pauvres. Mais si ses trajectoires politiques se montrent pour l’heure en retrait de telles formules de mobilisation urbaine, de branchements possibles sur des réseaux de soutien ou des amplificateurs internationaux, de type No-vox, le Sénégal et le Mali pourraient vite y pointer via d’autres droits revendiqués par leurs diasporas.

De l’illégitimité à la participation : « A Decade of Struggles and Lessons in Old Fadama ».

36Depuis quelques années, les « déguerpis du Mali » cherchent ainsi à s’unir dans des marches contre la spéculation et la spoliation foncières. Mais dans ces agendas urbains mêlant « lutte (des États) contre la pauvreté » et « combats des pauvres » (contre les autorités de leurs villes), l’agglomération de Bamako n’a pas radicalement changé de profil d’habitat ni de profil de mobilisation après le programme spécial Sauvons notre Quartier. Une fois entreprise la régularisation d’une vingtaine de « quartiers spontanés », les morcellements irréguliers se reportent au-delà du District sur la région voisine. Leur insécurité juridique reste invisible aux yeux du monde et ne suscite guère d’advocacy planning. Quelques mouvements de résistance à l’éviction ont certes interpellé le Gouvernorat de Bamako et l’État malien depuis le milieu des années 1990. Mais leurs leaderships, éphémères ou peu coordonnés, dépassent peu les limites de la capitale. La normalisation foncière s’est ensuite déroulée sans l’aménagement annoncé ni retombées sur les ressources municipales. Les zones de recasement prévues pour les « déguerpis » ont été fréquemment détournées au profit d’autres clientèles électorales. Autorités urbaines et résidents de la ville tramée convergent finalement pour restigmatiser « les spontanés » dans le défaut de structuration du grand Bamako. Avec l’inflation générale des prix des terrains dans un rayon de plus en plus large, la spéculation des pauvres paraîtrait plus intolérable que celle des nantis, dont les appétits ont été libérés par la Troisième République malienne.

37Quant au Ghana, son gouvernement semble aujourd’hui revenu à la justice et à la négociation en préconisant une éviction assortie de compensations dans la Slum Upgrading Facility, et ce devant un gouvernement local plus obstiné sur le chapitre de la réquisition et de la maîtrise foncière. Le fait que le pays soit aujourd’hui décoré de bonnes pratiques inclusives ne saurait occulter ces contradictions d’autorités qui dépassent le cadre d’Old Fadama, et le fait que ce vaste quartier reste peu représentatif des processus de légitimation foncière et de médiation politique construits « par le bas » dans l’histoire urbaine ghanéenne.

38Difficile en effet d’extrapoler le cas d’Old Fadama qui reste perçu comme un intrus du point de vue tant des autochtones d’Accra, détenteurs d’une légitimité coutumière, que de l’autorité locale tentant de planifier l’usage du sol. Après s’être (ré)installés en bordure d’une lagune insalubre15, les squatters ont grignoté les espaces déboisés dans les années 2000, et s’engagent dans un difficile rapport de force avec l’Assemblée métropolitaine d’Accra (AMA). Alors que la ville s’est habituée à d’autres jeux de pression communautaire dans le dispositif municipal né des années 1990, l’apparition d’une résistance frontale à la menace d’éviction n’est pas fortuite ici. Elle s’inscrit dans un moment de changement de majorité présidentielle, quand les années 2000 confirment la bipolarisation de la scène politique ghanéenne. Elle découle également de la manière dont les communautés pauvres sont entrées en concurrence entre elles dans la décennie précédente : l’attribution de crédits de slum upgrading et ses jeux de sélection sur inventaire municipal et critères de « bonne volonté à payer », condamnent les populations non ou mal représentées aux yeux des chefs locaux et des assemblées municipales. Enfin, la réaffection d’usage du sol de ce secteur urbain constitue un argument fort de AMA, après d’autres expériences foncières difficiles aux abords du domaine aéroportuaire, pour se construire une volonté politique, forger sa propre visibilité urbanistique, développer les outils d’une programmation pro-growth. Le projet Korle Lagoon Environmental Restoration lui fournit alors un double argumentaire : écologique puisqu’il s’agit de dépolluer et de reboiser la lagune ; économique pour générer des ressources sur les besoins récréatifs des classes aisées et des touristes.

39En interne surtout, les tensions ne sont pas moins fortes que la mobilisation s’opérant autour d’ONG nationales et internationales. Entre les locataires, a priori exclus des perspectives de relogement, les propriétaires qui en joueraient le jeu très à distance d’Accra-ville, et ceux qui, refusant de bouger voire nouveaux venus dans la place, prétendent à une réhabilitation in situ aux portes du centre-ville, le consensus communautaire n’est pas si évident que cela. Ses faiblesses sont apparues au grand jour pendant la campagne électorale de 2008-2009, quand « clashs et violences » se sont multipliés à la veille d’un nouveau changement de majorité présidentielle. La « participation » se politise dans cet illegal settlement autant que dans d’autres communautés classées à bas revenus16.

40C’est donc dans ce contexte politique heurté que les pouvoirs central et municipal se sont porté la contradiction. Le défaut de conciliation porte sur un conflit d’intérêts quant à l’usage du sol, et plus généralement sur des arguments qui interpellent le Ghana et sa capitale dans la sous-région : « lutte contre la pauvreté », nécessaire pour marquer une responsabilité financière ; « respect des droits humains », sensible pour l’image d’un État de droit, « attractivité économique », impérative pour la stratégie de portail d’investissements privés.

41Au final, la gestion du secteur de Korle Lagoon semble offrir aujourd’hui des perspectives d’apaisement social. Mais les « facilités » concédées à ce concentré de pauvreté urbaine ne vont pas sans effets pervers. Elles masquent les formes plus ordinaires et réellement diffuses de vulnérabilité sociale, qui s’inscrivent dans des communautés déjà représentées aux plans coutumier et municipal. Pas de mobilisation internationale pour la cause de locataires entassés dans un habitat de cour bien formel, dont les propriétaires ont rogné jusqu’à l’espace des latrines. Guère de médiatisation pour les dormeurs de conteneurs, de kiosques et de marchés de nuit, qui ne mériteraient pas moins les titres de déshérités et de homeless qu’une vague de squatters promis à recasement.

42La surchauffe associative relevée à Old Fadama laisse surtout dans l’ombre des cas d’informalité foncière plus enclavés, loin de grands axes et de centralités marchandes, pour lesquels le droit des pauvres à la ville est encore moins assuré. Ses retombées financières maintiennent également sur la touche des quartiers marqués par l’anomie, le défaut de courtiers en mobilisation, une incivilité irréductible aux changements politiques, ou encore des populations catégorisées comme « trop grossières » pour souscrire aux attendus mondiaux et municipaux de la participation.

43L’idée générique d’un monde sans bidonville suscite donc des stratégies d’action différenciées. À Bamako, se construisent de petites maisons sur titres individués qui font office de « logements sociaux » mais qui ne sont pas abordables, en réalité, pour les habitants des quartiers irréguliers. Au nom d’une mobilisation pro-squatters, se trouve mise en exergue une situation d’exception à Accra, qui bouscule les jeux d’influence anciennement attachés aux communautés urbaines. Mais sur le fond, ce sont bien les mêmes arguments qui jalonnent le travail de légitimation de leurs habitants : une population nombreuse et laborieuse, des actifs déterminés à s’en sortir par leur « business », des femmes démonstratives dans le microcrédit, une pédagogie quasi-religieuse de la mobilisation contre insalubrité et criminalité. Menacé à plusieurs reprises d’éviction avant de bénéficier de la présence d’entrepreneurs locaux de développement, le quartier musulman de Nima, proche des deux Fadama, illustrait déjà dans les années 1990 le renversement possible des opinions portées sur les slums, de la menace à l’efficacité.

44Les modèles de prise en charge de la pauvreté urbaine s’agitent donc eux aussi dans la sous-région : offres abordables du marché ou vertus de la participation communautaire. Leurs rhétoriques se banalisent, au prix de télescopages parfois brutaux et d’inégales médiations politiques. Mais leur traduction en urbanisme opérationnel reste de portée limitée, débouche sur plus d’une difficulté de maîtrise foncière et d’ouvrage. C’est pourtant à travers ce type d’expériences, plus que sur les enjeux d’attractivité économique, que se joue la capacité des élites urbaines à capitaliser les missions et les épreuves relevant de l’action publique.

Who cares ? Toilettes clandestines et maisons construites sur dépôt d’ordures en zone inondable d’Ashaiman. Photos Monique Bertrand, 2003.

Une compétition politique activée sur les prérogatives « du local » : nouvelles contradictions dans les économies d’échelle de la gestion urbaine

45Ni compétitivité économique, ni politique sociale : alors quoi ? La compétition politique tient-elle mieux les villes dans la durée ? Offre-t-elle de meilleures perspectives de coordination territoriale et de maîtrise de l’étalement urbain ?

46Avec les décentralisations qui ont accompagné l’ouverture politique des deux pays, au cours des années 1990, une dernière ligne de comparaison de leurs capitales provient en effet du renouvellement des élites municipales. Celles-ci font un apprentissage rapide des termes de références des agendas urbains, et de temporalités courtes de gestion liées aux calendriers électoraux. Elles sont aujourd’hui moins exclusivement masculines. Elles s’inscrivent mieux dans les initiatives nationales et les réseaux internationaux voués à la consolidation de gouvernements locaux. Elles sont aussi dans l’assimilation d’impératifs d’innovation et d’évaluation fondés sur des critères à la fois financiers, sociaux et environnementaux. Mais loin de rompre avec des habitus politiques au long cours, tantôt clientélistes tantôt sensibles aux médiations communautaires, leurs compétitions locales et de nouvelles ambitions électorales les activent au contraire.

47Les gouvernances d’Accra et Bamako s’acheminent surtout, dans la dernière décennie, vers un redimensionnement effectif ou attendu : remanier les collectivités décentralisées fait nécessité en ville moins de deux décennies après la décentralisation elle-même.

La décentralisation comme modèle urbain ? Crispations territoriales des communes de Bamako

48Au Mali, l’organisation du district de Bamako en six communes montre déjà ses contre-performances. Il en va d’abord des relations de ces communes urbaines entre elles : quand il s’agit de disposer des dernières réserves foncières de la ville, y compris en morcelant la moindre place publique ; ou de mener à bien les « recasements » censés compenser en parcelles les déguerpis d’opérations de lotissement et de régularisation. Mais d’autres crispations s’ajoutent à ce jeu de surveillance territoriale à la fin des années 1990 : la décentralisation instaure un Maire central du District, mais le prive de leadership électoral puisqu’il est élu au suffrage indirect et ne dispose pas du pouvoir de contraindre les élus au suffrage direct des collectivités constituantes. Quant aux périphéries de l’aire urbaine de Bamako, elles sont à animer désormais par de nouvelles instances élues, dans des communes qui n’ont de « rural » que le nom.

49L’argument de la décentralisation a donc de fait sanctuarisé commune par commune la gestion de la ressource foncière. Hors du District, certaines municipalités font émerger des coalitions intercommunales dans une ébauche de plan de développement. En matière d’assainissement, elles revendiquent de récupérer des recettes à prélever sur la circulation et le dépôt sur leur territoire des déchets produits par Bamako. Elles réclament de réels moyens pour répondre aux besoins scolaires et sanitaires, dépenses improductives de leur ressort, qui surgissent des logements programmés « d’en haut » pour la capitale. La frontière administrative entre les régions de Bamako et de Koulikoro se durcit donc sur le terrain politique, alors qu’elle est déjà dépassée dans les pratiques d’habitat et de mobilité d’un nombre croissant de citadins. Au sein de l’Association des Municipalités du Mali, l’affirmation de leaders locaux impose des interlocuteurs pour les coopérations décentralisées du pays, pour les Forum UN-Habitat et les sommets Africités des collectivités africaines.

50Si elles se développent sous des formes municipales différentes des communautés ghanéennes, les logiques de plaidoyer territorial ressortent donc fragmentées dans la capitale malienne, et ce au moment où s’expriment des nécessités de coordination de sa gestion et de planification stratégique. Certes l’autorité du District tente dans les dernières années d’imposer sa maîtrise d’ouvrage : entre les initiatives présidentielles, la référence administrative régionale – un gouverneur nommé et souvent militaire –, et des municipalités dont les responsabilités courent des rives du fleuve Niger jusqu’aux limites du District. Mais il s’agit surtout d’opérations de communication qui restent tributaires de coopérations internationales et de jeux d’équilibre politique avec le pouvoir central.

51Sur le fond, le District ne suffit pourtant plus à organiser l’étalement de Bamako. Mais le contrôle foncier ambitionné par sa Mairie ne rompt pas avec l’usage électoraliste de poches de terrains distribués à des particuliers. Il ne suffit pas non plus à programmer la refonte territoriale du « grand Bamako », qui reste de prérogative nationale. En la matière, la volonté présidentielle a bien été annoncée lors du dernier mandat, laissant entendre l’absorption de communes rurales et la transformation des communes urbaines en arrondissements à subordonner. Mais la réforme régionale a tardé à se concrétiser devant d’autres urgences politiques, au Nord du Mali. Dans la capitale en particulier, les risques d’enlisement des projets de réforme ne sont pas négligeables, et la résistance d’élus municipaux peut faire reculer l’horizon d’une gouvernance d’envergure métropolitaine.

52Pour l’heure, le binôme Gouvernorat/Mairie du District et le découpage en six communes urbaines apparaissent peu à même de renforcer la crédibilité économique de Bamako. Ses autorités auront donc à improviser « durablement » le rattrapage des infrastructures urbaines et des services essentiels, avant d’envisager d’attirer des investisseurs privés.

Remaniement scissipare des collectivités locales dans la région du Grand Accra

53La coordination administrative des districts urbains et périurbains semble moins être le défi de la capitale ghanéenne, qui s’inscrit déjà dans un territoire régional plus vaste. Les domaines coutumiers Ga ont acquis le statut de district à la fin des années 1980, et sont désormais massivement urbanisés. Deux autres districts plus éloignés, et encore ruraux, (Dangbe West et East) débouchent sur la région Volta et le Togo à l’est de ce cadre régional. En son sein, l’aire du Grand Accra accuse donc une organisation urbaine tripolaire (fig. a) :

• au sud, la ville-centre de l’agglomération est représentée par l’assemblée du District métropolitain d’Accra (AMA) ;

• à l’est, le District municipal de Tema s’appuie sur le rôle économique du port et sur une vaste banlieue urbanisée depuis les années 1960 ;

• au nord et à l’ouest, les réserves foncières du District Ga marquent une transition rapide vers les régions Central et Eastern.

54La dévolution des responsabilités et des moyens décentralisés est déjà touffue dans cet ensemble, entre assemblées métropolitaine, municipale et de simple district, Mais l’alternance politique des années 2000 suscite un nouveau double remaniement du dispositif municipal : la consolidation des pouvoirs locaux est prise dans une dynamique scissipare, sans qu’apparaisse dans le même temps d’instance régionale élue de représentation et de décision.

55Les deux séries de création de nouveaux districts prennent place en effet sous les mandats du président Kufuor qui est porté à la tête du pays par le New Patriotic Party. Elles sont même de son initiative avant qu’il ne cède de nouveau les rênes du pouvoir au National Democratic Congress en 2009 : l’aire urbaine du Grand Accra passe de trois assemblées locales à quatre en 2004 (fig. b), puis à huit en 2008 (fig. c), tandis que les périphéries régionales ne sont pas remaniées.

56Ce redimensionnement en deux temps s’insère dans la nouvelle carte des collectivités territoriales ghanéennes : elle passe de 110 districts à la fin des années 1980 à 138 en 2004, puis à 169 quatre ans plus tard. Dans la région capitale, les changements affectent particulièrement les périphéries urbaines et sont d’abord justifiés par les dynamiques de peuplement que celles-ci enregistrent depuis les années 1980. Mais la coïncidence entre les deux vagues de création de nouveaux districts et les échéances électorales nationales n’est pas fortuite. D’autres jeux d’influences président à la constitution des assemblées locales, comme dans l’ancien District Ga qui devient « municipal » et se trouve subdivisé à deux reprises. Les remaniements territoriaux et statutaires présentent ainsi de fortes dimensions politiques. Ils suscitent des critiques non moins politiques de la part des élus de l’opposition qui reprochent à leurs adversaires de mettre à leur profit les cartes de la décentralisation, après les avoir contestées quand ils étaient minoritaires.

Limites des collectivités locales dans la région du Grand Accra : Figure a : 1992-2004. Figure b : 2004-2007. Figure c : depuis 2008.

57Ces remaniements conduisent pourtant à des enclavements difficiles à gérer (Ashaiman) ; à des problèmes de délimitation pour les quatre districts derniers nés ; à des inégalités démographiques évidentes17 ; à un débat houleux sur le nom des circonscriptions (Ga South) et sur la désignation de leur chef-lieu (Ga East) ; la ville centre de l’agglomération se retrouve même amputée de la circonscription Ledzkuku-Krowor, qui fait sécession en exprimant l’insatisfaction de communautés autochtones et de pouvoirs coutumiers Ga à se voir débordés sur une scène municipale cosmopolite, dans laquelle dominent désormais des migrants. Mais sur le fond, ces mesures et les problèmes qu’elles soulèvent montrent bien que les membres des assemblées urbaines, élus et nommés, constituent des acteurs croissants sous la Quatrième République ghanéenne.

58Les restructurations municipales font surtout apparaître de nouveaux postes de dépenses, au moment où la gestion de la métropole réclamerait elle aussi davantage de moyens et d’économie d’échelle : des bureaux sont à trouver ou à construire ; l’installation des nouvelles assemblées et l’indemnisation des déplacements de leurs membres demandent un budget, sans que les districts, nouveaux et anciens ne soient prêts pour mieux imposer leurs administrés et financer leurs « projets » propres.

59Au terme des deux interventions présidentielles, le Grand Accra rend surtout plus que jamais évidente la conflictualité qui pèse sur les ressources territoriales des communautés urbaines : trois nouveaux districts ne sont toujours pas dotés en 2011 de limites précises avec leurs voisins. Les litiges d’empiétement et les contestations de droits entre domaines coutumiers, fréquents parmi les autochtones Ga, se prolongent déjà dans la gestion fiscale des nouvelles collectivités locales, en particulier aux frontières de districts « riches » et « pauvres ». De fortes incertitudes foncières ont déjà conduit plusieurs chefferies à refuser que des terrains ressortissant de leur autorité communautaire, pourtant pressentis par les autorités et leurs partenaires financiers pour le traitement des ordures ménagères, soient réquisitionnés aux tarifs proposés. Les domaines sont alors cédés au plus vite à des promoteurs immobiliers plus généreux, selon des baux emphytéotiques qui les détournent de fins d’utilité publique. D’une présidence à l’autre, le montage d’une politique d’assainissement accuse ainsi de lourds retards pour la capitale ghanéenne.

60Le renforcement des capacités institutionnelles et budgétaires des collectivités décentralisées n’a donc pas que des effets vertueux pour une gestion coordonnée de besoins en croissance rapide dans les deux dernières décennies : besoins en activités génératrices de revenus et en équipements structurants. Avec des niveaux de responsabilité différents en Afrique de l’Ouest, les pouvoirs urbains locaux donnent des signes assez communs de manque de volonté politique pour la concertation et la coordination à l’échelle métropolitaine ; tandis que les autorités administratives et les initiatives présidentielles renoncent de facto aux impératifs de continuité et de péréquation des politiques publiques, au profit de « projets » et d’opportunités du moment.

61Les compétitions politiques s’activent alors à un niveau infra-urbain, communautaire et/ou municipal, en laissant un réel manque d’articulation au niveau d’ensemble de l’étalement urbain. Non seulement cela laisse les arbitrages du pouvoir central s’imposer à un niveau supérieur de bénéfice politique ; mais les coûts institutionnels de ce « politique par le bas » se multiplient aux rythmes d’affichage de la décentralisation. Alors que la participation électorale n’est pas toujours au rendez-vous de ces joutes municipales, en particulier au Mali, les politiques urbaines donnent surtout l’impression de ne pas aller droit au but de la satisfaction des besoins de proximité.

62Quant aux maîtrises foncière et d’ouvrage, qui devraient mieux étayer les nécessités d’inclusion ou de mixité sociale que ne le font des mobilisations sporadiques, elles manquent encore à l’appel dans bien des capitales de la sous-région.