Les événements préalables à la disparition du mouvement médico-pédagogique asilaire
p. 309-334
Texte intégral
Le système général des sciences et des arts est une espèce de labyrinthe, de chemin tortueux, où l’esprit s’engage sans trop connaître la route qu’il doit tenir.
Jean le Rond d’Alembert, Discours préliminaire à l’Encyclopédie, 1751.
1À la fin du xixe siècle, l’éducation des enfants anormaux est en proie à une série d’événements concomitants qui forment une conjoncture pivot. Cette dernière va donner lieu à la disparition progressive du mouvement médico-pédagogique asilaire.
2Le premier événement marquant apparaît avec la IIIe République. Les lois de Jules Ferry sur l’instruction publique sont votées. Celle de mars 1882 inaugure le premier texte qui impose à l’école l’inscription de tous les enfants. Elle énonce dans son article 4 « l’instruction primaire obligatoire pour les enfants des deux sexes de six ans révolus à treize ans révolus ». Dans ce même article, il est précisé « qu’un règlement déterminera les moyens d’assurer l’instruction primaire aux enfants sourds-muets et aux aveugles1 ». Mais, comme le souligne Monique Vial, si la question de la scolarité pour les enfants anormaux est posée, elle est sans rapport avec la réalisation de l’obligation scolaire. La loi ne mentionne que les enfants déficients sensoriels2. C’est la ligue de l’enseignement, à son congrès de Rennes, en 1898, qui demande la mise en place d’une commission spéciale en vue de rechercher les moyens d’étendre l’instruction obligatoire aux enfants anormaux3. Elle précise que cette commission doit être composée, en majorité, de personnes s’occupant de cet enseignement spécial4.
3Un deuxième événement concerne la nouvelle orientation de Bourneville. L’instruction scolaire pour les enfants idiots a été initiée bien avant cette loi par les médecins aliénistes de la première moitié du xixe siècle. Puis, c’est Bourneville, à partir des années 1880, qui tente d’institutionnaliser en France l’instruction scolaire dans les asiles-écoles. Sa réforme marque le pas, malgré d’excellents résultats. Le médecin tente alors d’investir son action dans le champ scolaire, en prônant la mise en place de classes spéciales pour tous les élèves anormaux.
4Un troisième événement concerne l’investissement d’une nouvelle science dans le champ de l’enfance anormale. Un groupe de réformateurs, avec à leur tête Alfred Binet, mène un combat pour la reconnaissance officielle de la psychologie et notamment de la psychométrie. Pour asseoir leur discipline, ils pénètrent les différentes sphères de l’éducation et de l’instruction des enfants et en particulier ceux qualifiés d’anormaux.
5Ainsi, à la fin du xixe siècle, les élèves anormaux sont pris dans une nébuleuse réformatrice. Les actions qui sont conduites amènent des luttes et opèrent des transformations. La création en 1909 d’une commission interministérielle dite « Commission Bourgeois » sur la mise en œuvre des lois scolaires pour ces enfants, va cristalliser toutes ces luttes. La définition d’une nouvelle catégorie d’anormaux, « les arriérés », va servir de point de référence pour séparer et distinguer les formes de prise en charge de tous les enfants et adolescents anormaux.
L’investissement de Bourneville dans le champ scolaire
6Bourneville obtient la reconstruction (début des travaux en 1882) de son service selon ses propres plans et ce, malgré des conflits avec l’administration de l’Assistance publique. La construction est définitivement achevée en 1892. La section spéciale de Bicêtre est victime de sa réussite et son seuil d’accueil est dépassé : prévu pour 400 enfants, en 1891, elle en comprend déjà 434. Cet encombrement va s’intensifier jusqu’en 1895, avec environ 120 enfants de plus qu’il ne peut en contenir5.
7Bourneville mène une activité intense pour tenter d’institutionnaliser son modèle, mais le développement des asiles-écoles reste marginal. Plusieurs raisons témoignent des difficultés rencontrées par l’aliéniste. D’abord, il doit faire face à une administration de l’Assistance publique qui a manifesté à travers le projet de la section spéciale de Bicêtre son désaccord sur le développement d’une prise des enfants idiots considérés comme incurables. Une administration qui craint d’être amputée de son pouvoir de décision et de contrôle sur une population qu’elle a reléguée, au bénéfice de l’autorité médicale. Elle s’oppose également aux investissements que cela nécessite pour des résultats jugés faibles (le nombre d’adolescents qui intègre la vie normale est limité). La dépense est jugée non rentable6. D’autres conflits sous-jacents sont évoqués et notamment son action de lutte contre les congrégations et la laïcisation des hôpitaux qui ne fait pas l’unanimité dans le champ médical (un groupe de médecins s’oppose au remplacement des sœurs par des infirmiers laïcs)7. Face à cette obstruction, l’aliéniste cherche à diversifier son action. Il met en œuvre plusieurs créations privées. Par exemple, il obtient du conseil général de la Seine, en 1893, la création d’un asile-école à la fondation Vallée qui, en 1894, comprend 130 lits8. En 1892, il achète une propriété à Vitry-sur-Seine et y établit en 1893, un des premiers instituts médico-pédagogiques privés9. Toutes ces structures sont soumises au même traitement médico-pédagogique. En 1897, il fait adopter, en cas d’encombrement des asiles, un rapport sur l’organisation de secours à domicile pour les enfants idiots et arriérés, sur le principe d’une indemnité (1 fr à 1,50 fr par jour). Celle-ci serait allouée par le conseil général du département de la Seine aux parents d’enfants arriérés qui reprennent la garde de leur enfant10. Très actif sur différents sujets, Bourneville s’efforce de développer une médecine d’hygiène sociale. C’est lui qui demande, en 1892, l’organisation d’une inspection médicale dans les écoles11. Pourtant, la majorité des médecins ne sont pas prêts à le suivre vers cette voie de la clinique populaire12. Ayant compris l’importance de la presse et de la publicité, Bourneville cherche à se faire entendre et diffuse ses idées dans Le progrès médical, un journal qu’il avait lui-même créé en 1873. Il publie également de nombreux comptes rendus annuels de son service de Bicêtre (de 1880 à 1907), dans les revues médicales (Archives de neurologie, de l’Assistance, etc.) Face aux refus de généraliser la création d’asiles-écoles13, il va se tourner vers le champ scolaire et il va mener une campagne en faveur de la création de classes spéciales14 : les premières sont créées en Allemagne en 1867, à Dresde15.
8Ce médecin engagé dans un mouvement de réforme est néanmoins attaché à défendre la légitimité de sa spécialité médicale. En 1894, il rappelle et confirme que les enfants idiots et imbéciles sont des malades atteints d’aliénation mentale et que ce sont donc des aliénés16. Dans le même temps, d’autres médecins, comme Fougeray et Couëtoux, considèrent que l’idiotie ne doit plus être classée dans le cadre de cette maladie17. Pour eux, c’est une infirmité cérébrale particulière qui réclame une législation à part. Toujours dans son rapport publié en 1895, Bourneville fait remarquer qu’à côté des enfants idiots au dernier degré, il en est un grand nombre d’autres, imbéciles ou arriérés qu’on ne peut pas garder dans les écoles de la ville. Il précise qu’ils sont incapables de suivre les exercices des autres enfants et que leurs tics et leur insuffisance mentale les condamnent à la risée de leurs camarades qui, souvent même, les brutalisent. Par ailleurs, ils troublent la classe par leur instabilité. Puis viennent des enfants plus ou moins débiles au point de vue intellectuel, quelquefois même bien doués sous ce rapport, mais atteints de perversion des instincts : ils sont voleurs, menteurs, onanistes, pédérastes, incendiaires, destructeurs, homicides, empoisonneurs, etc. Pour valider ses explications, Bourneville présente des exemples d’actes commis par ces enfants. Enfin, s’y ajoutent les enfants affectés de maladies convulsives : hystéries et épilepsie18. Tout en cherchant à développer la prise en charge des enfants idiots, le médecin entretient dans ses discours des formes de confusions, semble-t-il intentionnelles. Dans le milieu médical, il désigne les arriérés comme une acception générique pour qualifier les différentes formes d’idiotie : « Les arriérés insuffisamment améliorés, toujours idiots, imbéciles ou pervers19. » Dans le milieu scolaire il annule toute dimension psychopathologique. Il s’agit « d’arriération intellectuelle simple20 ». Dans ses écrits, dès 1890, il mentionne la présence d’arriérés dans les écoles : « Nous avons eu l’occasion de signaler l’existence en nombre assez considérable dans les écoles primaires d’enfants arriérés, ou dont l’intelligence confine à l’imbécillité, et il en existe aussi dans les établissements d’enseignement secondaire21. »
9Avec cette idée de création de classes spéciales Bourneville s’intéresse de manière particulière aux enfants les moins malades : les arriérés, les enfants atteints d’instabilité mentale et de perversion des instincts. Cette catégorie est présente dans les tableaux de sorties de Bicêtre, notamment en 1881, où elle apparaît associée ou non à l’arriération ou à la perversion des instincts22. En 1886, il mentionne des enfants qualifiés d’indisciplinés23. Dans le même temps, les instituteurs sont confrontés à des élèves indisciplinés24. Cette similitude apparente (ou volontaire) facilite l’action de l’aliéniste dans sa tentative de pénétration du champ scolaire. Dès 1889, il publie dans le journal Le Progrès médical, dans Les Archives de neurologie et dans ses rapports sur les aliénés, les tentatives de classes spéciales faites à l’étranger25 et porte le sujet, une première fois en 1891, devant la délégation cantonale du Ve arrondissement dont il est depuis 1883 le député. Il fait alors une demande à M. Foubert, inspecteur primaire, pour qu’une enquête statistique soit établie, dans les écoles des Ve et VIe arrondissements, sur la présence d’élèves arriérés. En 1892, il alerte (sans résultat, car il y a un changement de ministère cette année-là) son ami Léon Bourgeois, alors ministre de l’Instruction publique (1890-1892), sur la création de ces classes spéciales. Il soumet de nouveau la question, en 1893, à la délégation cantonale du Ve arrondissement de Paris et reformule sa demande auprès de l’inspecteur primaire des Ve et VIe arrondissements, pour qu’une enquête soit menée auprès des maîtres sur « leurs enfants arriérés et indisciplinés26 ». Grâce à l’assentiment de Foubert, l’enquête est lancée en 1894 auprès des instituteurs et institutrices. Les résultats font apparaître 83 arriérés et 49 indisciplinés sur 6782 enfants des deux sexes27. Ce résultat, néanmoins faible (un peu plus de 1 %), permet à Bourneville de faire valoir par une statistique l’intérêt de classes spéciales. Lorsque les instituteurs doivent répondre à cette enquête la définition de « l’arriéré » reste peu explicite, ce qui peut expliquer le faible résultat. En 1896, deux ans après l’enquête, l’arriéré est défini par Bourneville essentiellement du point de vue du comportement : « Imbécillité légère ou arriération intellectuelle : les facultés intellectuelles, considérés dans leur ensemble, existent, mais sont retardées notablement au-dessous des facultés des enfants du même âge. L’attention laisse beaucoup à désirer, toutefois il est possible de la fixer, au moins pendant quelques temps : ce temps augmente si l’on varie les occupations intellectuelles. La réflexion, la prévoyance n’existent qu’à un faible degré. La conception est lente, la mémoire paresseuse : ils n’apprennent que par périodes. Les arriérés ont des penchants particuliers, des aptitudes spéciales. Leur intelligence se manifeste principalement pour tout ce qui est relatif à ces penchants ou à ces aptitudes. On doit en profiter et s’en servir pour agrandir leur champ intellectuel. Parmi ces aptitudes, relevons les réparties piquantes, les saillies plaisantes, les manières joviales qui caractérisaient, par exemple, les sentiments moraux, de la gaieté, de l’affection familiale. Ils possèdent à un certain degré la notion du devoir, l’esprit d’ordre. Leur regard a peu d’éclat, mais ne fuit ni ne se perd dans le vague. Le mouvement, la marche, la préhension, la sensibilité générale, la sensibilité spéciale sont en général intacts. Au point de vue physique, les arriérés offrent des stigmates de dégénérescence moins nombreux et moins prononcés que les imbéciles et surtout que les idiots28. »
10Toujours actif dans ses tentatives de réforme, il agit sur les deux sphères (médicale et scolaire) à la fois. Devant les difficultés financières et le faible intérêt porté par l’administration, Bourneville propose (sans succès) au congrès national d’assistance de Lyon, de 1894, que, durant une période de transition, soient créés des asiles inter-départementaux29. Ceux-ci seraient dirigés par des médecins-directeurs, avec un effectif de 400 à 500 enfants (de 2 à 18 ans) et financés par des fonds du pari mutuel30. À ce même congrès, il propose également, pour les enfants les moins malades, « ceux qui n’offrent qu’une diminution des facultés intellectuelles sans perversion des instincts », la création des « classes spéciales » dans les écoles municipales ordinaires. Dans ces classes « seraient employées les méthodes et les procédés d’éducation des asiles-écoles31 ». Le nombre d’élèves dans ces classes ne devrait pas dépasser 25 et elles seraient confiées à des institutrices.
11Le vote de la loi de 1882, sur l’obligation scolaire, est apparu pour Bourneville comme un élément supplémentaire pour argumenter la demande d’asiles-écoles et de classes spéciales. Le médecin ne fonde pas sa pratique sur les difficultés réelles ou supposées rencontrées par les maîtres dans les écoles ordinaires. Il souhaite voir aboutir sa réforme, y compris par la mise en place de classes spéciales. Ces dernières permettraient de « maintenir dans leur familles, tout en les soumettant au traitement médico-pédagogique », les enfants pour lesquels on réclame l’hospitalisation32. Pour le médecin, elles doivent être destinées en premier lieu aux enfants de Bicêtre. Elles sont envisagées comme des structures dépendantes de l’asile, avec une extension de la compétence du médecin aliéniste33.
12Depuis sa nomination à Bicêtre (1879), Bourneville s’intéresse aux questions éducatives. Comme nous l’avons déjà indiqué, il est président d’un « Cercle des parents éducateurs », membre de la délégation cantonale du Ve arrondissement et de la commission d’enseignement du conseil municipal de Paris. Ainsi, proche du milieu scolaire, le médecin a eu connaissance de cas d’enfants arriérés-indisciplinés à l’école qui l’ont amené à intégrer cet argument dans ces actions. Sa position politique (conseiller, député, membre de commissions, etc.) et son statut de médecin-chef aliéniste et directeur du quartier spécial permettent à Bourneville d’engager son mouvement de réforme sur la base d’un processus évolutif qui s’appuie à la fois sur le champ médical et sur le champ scolaire. Il oriente ses démarches aussi bien vers l’instruction publique que vers l’Assistance publique. Son intervention dans l’école ne répond pas à un appel de celle-ci, mais bien à un investissement de sa part. Confronté au refus de l’Assistance de développer les asiles-écoles et devant le surnombre des enfants accueillis au service spécial de Bicêtre, Bourneville cherche à orienter les enfants idiots les moins atteints de l’asile. Il tente de faire valoir la mise en place des classes spéciales, avec le traitement médico-pédagogique, sur le principe d’une organisation para-hospitalière ou parascolaire (une structure scolaire contrôlée par un médecin)34. Pour l’aliéniste, les classes spéciales s’imposent par la représentation statistique des enfants anormaux évalués à 60000 pour toute la France, sans les enfants sourds-muets (4000) et aveugles (1035)35. Afin d’émouvoir les pouvoir publics, il amplifie, semble-t-il, ces résultats : « Les statistiques officielles des différentes catégories d’enfants anormaux sont si anciennes ou présentent de si grandes lacunes qu’on a qu’une idée très vague du nombre de ces infortunés, et, partant, de leurs besoins, beaucoup plus considérables qu’on ne se le figure36. » Ses demandes répétées semblent porter leurs fruits. En 1895, sur son rapport, la délégation cantonale du Ve arrondissement adopte les conclusions ainsi formulées : « La délégation cantonale du Ve arrondissement émet le vœu qu’il soit créé dans quelques-uns des arrondissements de Paris des classes spéciales pour les enfants arriérés n’offrant ni perversion des instincts, ni accidents convulsifs37. » Ce vœu est transmis au préfet de la Seine, afin d’être soumis à la discussion des autres délégations et à l’examen de la direction de l’enseignement. Par ailleurs, toujours sur proposition de Bourneville, le 18 juin 1896, la commission de surveillance des asiles de la Seine vote la résolution suivante : « La commission de surveillance des asiles d’aliénés du département de la Seine émet le vœu qu’il soit créé près des écoles de la ville des classes spéciales pour enfants arriérés38. » La même année, il renouvelle ses propositions au directeur de l’enseignement primaire du département39 et aux membres du conseil général de la Seine : « Les enfants atteints d’idiotie au premier et au second degré, les enfants affectés d‘imbécillité morale doivent être placés dans des services hospitaliers sous l’autorité constante du médecin ; les enfants frappés d’imbécillité proprement dite peuvent être placés suivant leur état, soit dans ces services hospitaliers, soit dans des services scolaires spéciaux inspectés par des médecins ; les enfants atteints soit d’imbécillité ou arriération intellectuelle, soit d’instabilité mentale (sans perversion des instincts) devraient être placés dans des services spéciaux auxquels seraient attachés des médecins inspecteurs. Ces services scolaires spéciaux recevraient aussi les idiots et les imbéciles qui auraient été assez améliorés dans les services hospitaliers40. » Toujours en 1896, et pour la première fois, le ministre de l’Instruction publique, Émile Combes (1835-1921), s’intéresse officiellement à « l’éducation des enfants anormaux ». Bourneville renouvelle inlassablement ses propositions à chaque visite de l’administration accompagnées de notes sur les créations de classes spéciales à l’étranger (Russie, Allemagne, Hollande, etc.).
13À la fin du xixe siècle, l’aliéniste-réformateur n’est plus seul à réclamer la scolarisation de ces enfants. En 1898 Gustave Baguer (1858-1919)41, directeur de l’institut des sourds-muets et sourdes-muettes d’Asnières, demande sans succès, au directeur de l’enseignement primaire de créer un internat de perfectionnement pour les arriérés et les instables. Pour cet homme, il s’agit de répondre aux difficultés d’une certaine catégorie, les arriérés : « Dans les écoles primaires, se trouvaient des élèves dont l’intelligence réduite rendait difficile l’instruction et qui encombraient les classes42. » En 1899, le directeur de l’enseignement primaire italien, M. Torraca, s’enquiert auprès du ministre de l’Intérieur, Charles Dupuy (1851-1923), des règlements pour les classes d’enfants arriérés annexées aux écoles en France. « Nos lois et nos règlements sur l’enseignement primaire » n’ayant pas « prévu de classes de cette nature », Dupuy demande à l’Assistance publique des « renseignements détaillés à l’égard de l’instruction dans les quartiers spéciaux de Bicêtre et de la Salpêtrière ». Bourneville est sollicité pour répondre à cette demande43.
14La question des enfants arriérés reste complexe car elle touche à l’enseignement primaire. En cette fin de siècle, le mouvement impulsé par le réformateur commence à prendre une direction conflictuelle. D’après Jacqueline Roca, à son vingtième congrès en 1900, la ligue de l’enseignement formule plusieurs demandes qui apparaissent comme les prémices des conflits entre les instances officielles de « la santé » et de « l’instruction publique » : ouverture de classes spéciales, mise en place d’établissements régionaux autonomes ou annexés aux asiles, revendication de l’inspection en classe et prise en charge des enfants par les enseignants avec une collaboration médicale, création d’un diplôme spécial pour cet enseignement44.
15En cette fin du xixe siècle, Bourneville tente de mettre en place une organisation structurelle pour la prise en charge de tous les enfants anormaux. En voulant par tous les moyens instituer cette nouvelle organisation, y compris dans un champ différent du sien, il a ouvert d’une certaine façon la boîte de Pandore. Les actions qui vont être menées par la suite vont aller à l’encontre de ses projets. L’enfance anormale devient un enjeu de pouvoir. En pénétrant l’institution scolaire, le médecin met en place les conditions de luttes entre individus de domaines différents et ouvre la voie pour des « outsiders » à la conquête de nouvelles positions. Les promoteurs de la nouvelle psychologie, et notamment Alfred Binet, vont prendre une position centrale dans ce nouveau domaine de l’enfance anormale.
Le développement d’une psychologie de l’enfant scolarisé
16À la fin du xixe, siècle une psychologie scientifique et expérimentale cherche à se distinguer de la médecine et de la philosophie pour devenir indépendante. Dans leur désir de la constituer comme science autonome, des agents de ce domaine vont mener des recherches expérimentales dans un programme de psychologie individuelle sur de nombreux sujets (écrivains, calculateurs prodiges, joueurs d’échecs, enfants et adultes, peintres, etc.) ayant pour étude les fonctions de la mémoire, de l’imagination, de l’attention, de la suggestibilité, des sentiments moraux, etc.45 À partir de 1900, l’un des promoteurs de cette nouvelle psychologie, Alfred Binet, va s’engager dans des recherches sur les processus supérieurs de l’intelligence46. Puis, à l’initiative de ce dernier, la question des arriérés va devenir le sujet central et le point d’appui du développement d’une échelle métrique de la mesure de l’intelligence et par là-même, un moyen de légitimation de la psychologie. Lorsque Binet s’intéresse aux enfants anormaux, au début du xxe siècle, Bourneville a déjà une longue expérience sur le sujet.
17Les transformations qui s’opèrent au xixe siècle sont largement influencées par le mouvement intellectuel, culturel scientifique et philosophique des Lumières47. La philosophie48 apparaît alors comme un savoir totalisant, une réflexion visant une interprétation globale du monde et de l’existence humaine, ou encore comme un questionnement49. Elle s’appuie sur de nombreuses sciences et elle se définit plutôt comme une discipline spéculative et critique sur de nombreux sujets comme l’éthique, la logique, la métaphysique, la politique, etc.50 Tous les médecins inspirés des Lumières aiment à se penser comme des médecins-philosophes51. Cette philosophie de l’esprit (du mental) se développe à partir des conceptions de René Descartes (1596-1650) qui fait la distinction entre la matière et l’esprit. Pour lui, l’âme et le corps sont deux substances hétérogènes, mais agissant néanmoins l’une sur l’autre. D’autres philosophes vont s’intéresser à ce sujet : John Locke, Étienne Bonnot de Condillac, etc. Au xixe siècle, l’éducation et la pédagogie des enfants52 est fortement influencée par cette science. C’est également sur ce courant de pensée que s’appuie Pinel pour élaborer sa nouvelle spécialisation médicale. Les futurs psychiatres chargés du traitement des maladies mentales (de l’esprit) vont demeurer, tout au long du xixe siècle, les plus philosophes du lot. Le lien entre pathologie mentale et philosophie devient la partie intégrante de la nouvelle spécialité médicale. Durant cette première partie de siècle, les médecins s’appuient sur la philosophie de l’esprit à partir de deux grands courants : le courant « physiologique » (Cabanis, Gall, Broussais, etc.) qui analyse la vie mentale comme une manifestation de la matière physique ; le courant « psychologique » (Cousin, Jouffroy, Royer-Collard, etc.) qui traite l’esprit comme une réalité distincte du corps et qui ne peut être exploré que par une introspection intime.
18Les théories psychologiques se développent et le philosophe Christian Wolff (1679-1754) introduit et répand le terme de « psychologia » pour désigner la science de l’âme. Il divise la psychologie en une branche empirique, « science qui au moyen de l’expérience établit les principes avec lesquels s’explique ce qui survient dans l’âme humaine » et l’autre en une partie rationnelle par l’étude des questions sur la nature des facultés et des opérations psychiques53. Le lien entre philosophie et psychologie se poursuit dans le champ universitaire. En 1873, dans le cadre de la formation en philosophie, apparaît un premier doctorat de psychologie scientifique : Théodule Ribot (1839-1916) soutient une thèse à la Sorbonne sur l’hérédité : Étude psychologique sur ses phénomènes, ses lois, ses causes et ses conséquences. Progressivement, la psychologie se développe comme une science autonome entre 1878 et 1888. Le neurologue Jean Martin Charcot, avec Paul Richer, étudie l’hystérie et utilise l’hypnose comme technique expérimentale en laboratoire pour montrer le processus psychologique de cette maladie. En 1885, la psychologie expérimentale est enseignée par Ribot. Une chaire est créée et c’est ce dernier qui la dirige de 1888 à 1901. À la suite de cette création, en 1889, Henry Beaunis (1830-1921) met en place à la Sorbonne un laboratoire de psychologie dépendant du ministère de l’Instruction publique. Une première vague de chercheurs est recrutée : Alfred Binet54 (1857-1911), Jean Philippe (1862-1931), Jules Courtier (1860-1938). Le processus de spécialisation55 de la psychologie est en marche : chaire en 1888, laboratoire en 1889, revue scientifique en 1894 et congrès international en 1889. Le psychiatre Édouard Toulouse (1885-1947), dès sa nomination comme médecin-chef de l’asile de Villejuif, en 1899, fonde également un laboratoire de psychologie expérimentale. Ce dernier va être rattaché, en 1900, à l’école pratique des hautes études56. Dans certains de ces laboratoires, les chercheurs vont s’attacher à développer des tests. Le test mental est utilisé pour la première fois en 1890 (mental test) aux États-Unis par le professeur James MacKeen Cattell (1860-1944). Il se généralise pour désigner les épreuves psychotechniques. Les travaux de cette discipline demeurent faiblement reconnus par la communauté scientifique et les spécialistes cherchent une reconnaissance hors du monde universitaire57. De la même manière que la sociologie, la psychologie cherche une légitimité par des travaux liés à des « commandes » d’État58.
19Le développement de la scolarisation des enfants amène les instituteurs et les responsables de l’école publique à s’intéresser à toutes les questions qui touchent à l’enfance. À la fin du xixe siècle et notamment entre 1878 et 1889, l’éducation morale, sociale, civique, voire politique, et la discipline scolaire, occupent en permanence la presse de l’enseignement. Après 1882, ce sont toujours les mêmes préoccupations que les lois scolaires viennent renforcer avec notamment les questions relatives à l’indiscipline, mais en termes de problèmes pédagogiques : écoliers « espiègles », « étourdis », « turbulents », « têtus », « paresseux », « menteurs », « tapageurs », etc.59 La création de la SLEPE60 (Société libre pour l’étude psychologique de l’enfant), en 1899, s’inscrit dans ce mouvement au sein de l’institution scolaire. Les premiers travaux de la société ont pour objet d’établir un bilan du sens moral des enfants, de dresser une typologie de leurs qualités et de leurs défauts afin d’accéder à une connaissance scientifique des comportements et des aptitudes enfantines61. Pour Monique Vial, avant 1904, les instituteurs ne considèrent pas les élèves indisciplinés ou ceux qui ne tirent pas profit de l’école comme des « anormaux ». Elle ajoute qu’en 1892 les élèves « peu intelligents » ne figurent pas parmi ceux que le président de l’union des instituteurs retient comme mauvais élèves62. À la fin du xixe siècle, les enfants anormaux ne sont pas un sujet de préoccupation pour l’école, plutôt centrée sur les problématiques de l’intervention pédagogique. Enfin, la notion « d’arriération » (déficience intellectuelle) n’a pas encore de signification pour le milieu scolaire.
20La psychologie de l’enfant élaborée dans le cadre de la SLEPE est marquée à l’origine par la relation que les promoteurs entretiennent avec les responsables de l’Instruction publique. L’orientation donnée aux recherches est le prix à payer par les psychologues pour mener des enquêtes sur une large échelle grâce à la collaboration des directeurs d’écoles et des instituteurs. La SLEPE élabore, entre 1900 et 1905, 9 enquêtes et met en place 8 commissions (auxquelles Binet participe) qui traitent de l’enfant par rapport aux défauts (mensonge63, indiscipline, colère), au sens moral (la plus belle action, la probité, les jeux) et la famille (les enfants grondés, les récompenses). La société cherche à contribuer à l’œuvre d’éducation en fournissant des études sur « l’état moral » des enfants scolarisés. L’optique est celle de la moralité publique et de la criminalité, problème de société qui dépasse l’école et qui s’exprime fortement, surtout après 1890, dans la presse de l’enseignement64. École buissonnière et refus de la discipline scolaire sont l’objet d’une même approche. Ils sont parfois distingués, parfois confondus, mais ce sont les mêmes mots à connotation morale ou judiciaire qui les désignent : élèves « incorrigibles », « rebelles », « insoumis », « réfractaires ». C’est dans ce contexte, mais seulement au xxe siècle, en 1904, que la SLEPE met en place une commission d’étude sur l’enfance anormale qu’Alfred Binet dirige. Jusqu’alors, la question des enfants anormaux n’apparaît pas encore significative pour les membres de la société. Ferdinand Buisson indique qu’il s’agit, avec la mise en place de cette commission, d’établir avec précision des diagnostics : « Si on arrive un jour à démontrer que les enfants d’une partie de la population sont physiquement et par cela même physiologiquement et psychologiquement inférieurs à ce qu’ils devraient être et cela par le fait de mauvaises conditions de vie où ils se trouvent, privations, mauvaise alimentation, etc. Et bien ce jour-là, il faudra que cela change et ce sera le devoir de notre démocratie. Nous aurons contribué ainsi par nos travaux à un progrès social65. » On voit progressivement apparaître les éléments de la constitution d’un champ de l’enfance anormale autour de questions qui touchent aux normes sociales et ou s’entremêlent des discours qui renvoient à la folie morale, à la délinquance, à l’instabilité, à la perversion des instincts, à l’indiscipline, etc. On voit également résurgir un parallélisme entre intelligence et moralité que Félix Voisin avait déjà développé en 184366. Nombre de criminels, enfants ou adultes, sont des anormaux, disent les médecins et gens de la justice. Toutes ces idées se diffusent et elles apparaissent dans le Manuel général de l’instruction primaire et Durkheim leur prête son autorité : « Malheureusement », les sujets « qu’on appelle d’ordinaire difficiles sont sous l’influence de tares qui en font de véritables anormaux ; ils n’appartiennent plus, en ce cas, à la pédagogie67 ».
21Au début du xxe siècle, la psychologie expérimentale prend de plus en plus d’importance dans l’étude du développement de l’enfant et notamment pour tout ce qui touche à la scolarisation. Alfred Binet devient un ardent promoteur de ce mouvement. Il s’engage dans des recherches sur les processus supérieurs de l’intelligence et notamment sur les différences individuelles68. En 1904, il est également président de la commission de la SLEPE, puis membre de celle du ministère dite « Commission Bourgeois ». C’est dans ce contexte qu’il élabore une échelle métrique de la mesure de l’intelligence qui va servir de discours scientifique à la séparation des enfants anormaux des enfants scolarisés.
L’arriéré, la nouvelle préoccupation des réformateurs
22Au moment de la formulation du projet de création d’une section spéciale à Bicêtre, en 1879, le terme générique utilisé est celui d’enfants idiots et épileptiques. C’est une production médicale développée par les médecins aliénistes durant tout le xixe siècle pour spécifier une catégorie d’enfants malades incurables. Le terme demeure d’actualité jusqu’en 1896. Les médecins sont jusque-là les dépositaires d’un savoir reconnu sur ce type de patients. L’éducation de cette catégorie d’enfants s’inscrit dans un cadre médical et pédagogique et dans un espace asilaire sous leur contrôle exclusif. À la fin du xixe siècle, 3000 enfants idiots (dont 1000 dans le département de la Seine) sont pris en charge dans les asiles publics et privés de France. Avec le développement des théories de Morel et de Magnan, la médecine mentale utilise, à la fin du xixe et au début du xxe, le terme de dégénéré pour identifier une catégorie plus importante d’enfants « moralement abandonnés69 ». Pour tous ces malheureux, on demande la création d’établissements de redressement intellectuel, maison d’orthopédie mentale, ou d’orthopédie morale avec un traitement médico-pédagogique70. Plusieurs exemples de ces structures existent déjà : les enfants « idiots » et la section spéciale de Bicêtre ; les filles « vicieuses » et la maison spéciale d’Izeure ; les garçons « indisciplinés » et l’école des mousses de Belle-Isle-En-Mer ; les enfants « délinquants » et l’école de réforme de Lepeletier Saint-Fargeau, etc.71
23Le groupe des médecins aliénistes-réformateurs cherchent là à étendre le champ de compétences sur un plus grand nombre d’individus en danger mental, en faisant jouer aussi bien le point de vue médical que le point de vue pédagogique, avec un traitement spécifique (médico-pédagogique)72. Jacqueline Gateaux-Mennecier indique que c’est par le biais d’une « pathologisation » que le corps médical s’empare des différentes formes de déviance : Royer approfondit la perversion des instincts, Thulié investit le thème du vagabondage, Roubinovitch dissèque la problématique des enfants difficiles73. Les initiatives se multiplient (parfois divergentes) et elles s’appuient les unes sur les autres et se renforcent mutuellement selon un processus dans lequel il est difficile d’établir les étapes74. Bourneville d’abord et d’autres après font notamment valoir le principe d’obligation scolaire pour tous. Toutes ces actions aboutissent au déplacement des enfants idiots dans un ensemble plus important regroupant d’autres catégories d’enfants non scolarisés dans l’école de la République.
24En 1896, une nouvelle classification apparaît à l’initiative de Bourneville et à l’attention des autorités scolaires75. Pour ce dernier, elle semble apparaître comme un texte de référence que le médecin va reproduire au moins à cinq reprises et ce plus de 10 ans après sa rédaction initiale. Elle reprend les différentes catégories utilisées, avec un effort significatif concernant leur définition. Dans les diverses versions présentées apparaissent des modifications qui vont jouer un rôle capital par rapport à l’instruction des enfants anormaux76. Une de ces catégories va être au centre des débats, il s’agit des arriérés. Le terme avait déjà été utilisé et développée en 1846 par Séguin pour désigner des enfants présentant principalement un retard de l’intelligence77. En 1896, pour Bourneville il s’agit des enfants les moins malades, ceux atteints d’imbécillité légère, d’arriération intellectuelle, d’instabilité mentale ou de débilité mentale78. L’aliéniste va plus loin, il formule également le type de structure pour chacun de ces classements, y compris les critères79 :
les enfants idiots et imbéciles moraux dans des services hospitaliers, sous l’autorité constante du médecin,
les enfants imbéciles proprement dits (et les idiots assez améliorés) dans des services hospitaliers ou services scolaires spéciaux sous inspection des médecins,
les enfants imbéciles légers, arriérés intellectuels et instables mentaux dans des services scolaires spéciaux sous contrôle de médecins inspecteurs.
25Avec cette proposition, Bourneville élabore une articulation entre le champ médical et le champ scolaire, avec néanmoins un contrôle du médecin dans tous les cas. Pour l’aliéniste, cette proposition constitue une alternative à la création d’asiles-écoles et au désencombrement du service de Bicêtre et un moyen de répondre aux problèmes posés80 (ou suggérés intentionnellement par Bourneville) par le développement de la scolarité des enfants dans les écoles de la République.81 Dans cette classification de 1896, on trouve également le qualificatif d’enfants indisciplinés (sujet d’actualité dans le discours des instituteurs à cette époque) que le médecin décrit par un terme médical, l’instabilité. Le médecin instille dans le champ scolaire le concept « d’enfants arriérés » et dans le même temps l’Éducation nationale interpelle le corps médical sur « l’indiscipline82 ». L’amalgame entre « anormaux » et « indisciplinés » s’installe.
26La définition de l’enfant arriéré, nouvelle figure à l’interface entre le médical et le scolaire, est encore assez peu précise, voire nébuleuse : « Entre l’idiotie la plus complète et le développement normal, il n’y a pas d’abîme sans fond, de fissure infranchissable, mais une pente douce, une échelle ininterrompue…, entre le plus arriéré et le moins arriéré, il n’y qu’une différence de degrés83. »
27En 1904, la société pédagogique des directeurs et directrices d’écoles publiques de la ville de Paris diffuse les résultats de ses travaux : « Considérant que la loi du 28 mars 1882 nous oblige à recevoir dans les écoles tous les enfants de 6 à 13 ans, quelle que soit leur intelligence et leur moralité ; considérant que la présence dans les écoles d’enfants atteints de tares physiologiques, restreignant leurs facultés intellectuelles ou morales, est une gêne et un danger pour les enfants anormaux qui fréquentent ces écoles ; considérant que c’est surtout parmi ces arriérés, ces anormaux, que se recrutent les malfaiteurs et les criminels, et que l’ordre social exige qu’on ne néglige rien pour en diminuer le nombre ; […] considérant, en outre, qu’un grand nombre de ces anormaux moraux ont été viciés par la mauvaise éducation qu’ils ont reçue dans une famille incapable, intempérante, indigne ou dissociée, les laissant exposés à tous les dangers de la rue et qu’il est du plus haut intérêt de les soustraire à l’influence de ce milieu démoralisateur. Par ces constats, la Société souhaite la création d’écoles spéciales84. »
28L’action de Bourneville a permis de mettre sur la place publique le problème de l’éducation et de l’instruction de tous les enfants anormaux. Désormais, leur prise en charge devient un enjeu. Des revendications se font jour pour que les institutions éducatives, dépendantes du ministère de l’Intérieur, soient rattachées à l’Instruction publique85. Médecins et spécialistes, relayés par d’autres notables républicains, tendent de plus en plus à mettre en avant, pour argumenter en faveur de classes spéciales, la situation scolaire des enfants anormaux. L’axe de l’argumentation se déplace : la référence n’est plus l’asile, mais l’école, pour qui il est impossible de garder certains enfants. En 1904, le gouvernement met en place sa propre commission (commission Bourgeois) qui va réunir tous les protagonistes pour examiner l’instruction scolaire de tous les enfants anormaux. Elle apparaît alors comme le point de conjoncture pour la redéfinition de ce capital.
La commission Bourgeois et le recensement des anormaux
29La mise en place en 1904, d’un groupe de travail qualifié de « Commission Bourgeois » du nom de son président, le radical-socialiste Léon Bourgeois, marque officiellement et pour la première fois, les débuts de la prise en charge des enfants anormaux par les instances politiques86. Elle consacre en même temps cette nouvelle appellation générique : les anormaux. Dans le champ médical, c’est encore le terme d’enfants dégénérés qui est utilisé87.
30Avec cette commission, vingt-deux ans après le vote de la loi du 28 mars 188288 sur l’obligation de l’enseignement primaire, le pouvoir politique décide d’étudier les conditions dans lesquelles cette loi pourrait être appliquée aux enfants anormaux des deux sexes (aveugles, sourds-muets, arriérés, etc.)89 Après des mesures limitées et peu suivies d’effets concernant les enfants sourds et aveugles, la création de cette commission annonce la volonté du législateur de se préoccuper de tous les autres90. Pour Bourgeois, il s’agit de rétablir l’injustice qui les exclut du bénéfice des lois scolaires : « De plus en plus pressante apparaît l’obligation pour l’État de remplir tout son devoir à l’égard de ces déshérités de la nature : aveugles, sourds-muets, dégénérés, arriérés, instables. Quelle tristesse de penser, par exemple, que les enfants à qui une infirmité originelle ou acquise rendait l’instruction plus précieuse et nécessaire étaient précisément ceux qui se voyaient exclus du bénéfice des lois scolaires91 ! » Désormais, les enfants anormaux vont être analysés en référence à l’école : « Identifier les sujets qui ne se trouvent pas dans des conditions normales pour recevoir l’enseignement commun92. » Dès sa création, le groupe de travail opère une distinction, entre les aveugles, les sourds-muets, les arriérés et les instables et les anormaux médicaux. Cette distinction va conduire à l’exclusion de ce dernier groupe du système scolaire et aboutir à la disparition progressive de son modèle d’éducation médico-pédagogique asilaire93.
31Sont regroupés sous ce terme d’enfants anormaux (d’après une note de la commission du 15 décembre 1904) :
Les aveugles : sujets privés de la vue, soit totalement, soit dans des proportions leur rendant impossibles la lecture et l’écriture des clairvoyants normaux.
Les sourds-muets : sujets privés de l’ouïe, soit totalement, soit dans des proportions ne leur permettant pas d’acquérir, par l’audition, le langage spontané des entendants-parlants normaux.
Les idiots, crétins, imbéciles, épileptiques, hystériques, choréiques, paralytiques, hémiplégiques, etc., ainsi que les imbéciles moraux, sujets atteints de perversion des instincts ; tous enfants qui, ne pouvant être soignés et éduqués collectivement que sous la responsabilité du médecin, sont désignés pour cette raison sous le nom d’anormaux médicaux.
Les arriérés : sujets qui, sans pouvoir être classés dans la catégorie des anormaux médicaux, sont en état de débilité mentale, ne possèdent qu’une intelligence ou qu’une responsabilité atténuées ne leur permettant pas d’acquérir à l’école commune et par les méthodes ordinaires d’enseignement la moyenne d’instruction primaire que reçoivent les autres élèves.
Les instables : enfants affectés d’une incohérence de caractère, d’un manque d’équilibre mental leur rendant insupportable la discipline générale et nécessitant absolument leur éloignement de l’école publique.
32La commission Bourgeois comprend, à côté de spécialistes de l’enfance anormale, des représentants du ministère de l’Intérieur dont dépendent alors les institutions d’Assistance publique et des représentants du ministère de l’Instruction publique. Elle répond aux nombreuses voix qui, à la suite de l’aliéniste Bourneville, sollicitent depuis longtemps le gouvernement en faveur de la création d’institutions destinées à des enfants anormaux. Elle intervient après plusieurs débats à la chambre des députés sur les sourds et les aveugles (mai 1904)94. Elle fait suite également aux conclusions diffusées en 1904, d’un rapport demandé par le ministre à Marcel Charlot, inspecteur général de l’instruction publique sur « la situation au point de vue scolaire des anormaux physiques, intellectuels ou moraux95 », au rapport du sénateur radical Paul Strauss (1852-1943)96 sur l’assistance des enfants anormaux et à la demande du député et ancien ministre de l’Instruction publique, Léon Bourgeois.
33Cette commission est composée de 21 membres. Dans ce groupe, neuf sont des hauts fonctionnaires des deux ministères et douze des spécialistes (enseignement, psychologie, médecine). Six membres viennent de la hiérarchie de l’Instruction publique et six de l’administration de l’Assistance publique.
34De manière plus précise, la commission est composée de deux membres politiques, de trois directeurs d’établissements spécialisés, de huit personnes appartenant plutôt aux institutions scolaires et enfin huit appartenant aux institutions d’assistance.
1- Léon Bourgeois, député, ancien président du conseil, ancien ministre de l’Instruction publique, président ; |
1- Gustave Baguer, directeur de l’institut départemental des sourds-muets d’Asnières ; |
1- Marcel Charlot, inspecteur général de l’instruction publique ; |
1- Léon Bruman, conseiller d’État, directeur de l’administration départementale et
communale au ministère de l’Intérieur ;
2- Jacques Cohen, docteur en droit, chef adjoint du cabinet du ministre de l’Intérieur
et des Cultes ;
3- Léon Pissard, inspecteur général des services administratifs au ministère de
l’Intérieur ;
4- Saint-Sauveur (de), chef du bureau des établissements de bienfaisance au ministère de l’Intérieur ;
5- André Mesureur, directeur de l’administration générale de l’Assistance publique à
Paris ;
6- Henri Monod, directeur de l’Assistance et de l’hygiène publique au ministère de
l’Intérieur ;
7- Désiré Magloire Bourneville, médecin aliéniste, membre du conseil supérieur de
l’Assistance publique ;
8- Xavier Gauraud, médecin, chargé de mission, secrétaire.
35La commission est résolument parisienne. Les associations d’enseignants n’y sont pas représentées. Ce groupe se réunit plusieurs fois pendant l’année 1904 et 1905 et probablement jusqu’en 1907, mais l’essentiel de son travail s’effectue en sous-commissions :
Sous-commission technique : rédaction d’un questionnaire destiné à procéder à une enquête sur le nombre d’anormaux en France (Baguer, Binet, Bourneville, et Robin) ;
Sous-commission pédagogique des anormaux (Jost président, Binet, secrétaire-rapporteur, Baguer, Bédorez, Bourneville, Charlot, Lacabe, Malapert, Stupuy) : préparation de ses propositions institutionnelles et pédagogiques, etc.
36La commission prend une première résolution par la publication, le 15 décembre 1904, d’une note pour la réalisation d’une grande enquête nationale sur les enfants anormaux : « Ces enfants, (qui ne peuvent être suffisamment instruits à l’école publique par les procédés pédagogiques ordinairement employés pour les élèves pourvus de tous leurs sens et doués d’une intelligence moyenne), sont désignés sous le nom générique d’enfants anormaux97. » Dans ce projet d’enquête apparaît officiellement deux catégories d’anormaux :
Les anormaux médicaux : « Idiots, crétins, imbéciles, épileptiques, hystériques, choréiques, paralytiques, hémiplégiques ainsi que les imbéciles moraux, sujets atteints de perversion des instincts et tous les enfants qui, ne pouvant être soignés et éduqués collectivement que sous la responsabilité du médecin ». | Les arriérés (les arriérés de l’intelligence : arriérés intellectuels et instables), d’après Binet, « qui sans pouvoir être classés dans la catégorie des anormaux médicaux, sont en état de débilité mentale ». |
37D’après Vial et Hugon, l’origine de cette expression d’anormaux médicaux est à chercher dans une distinction voisine qui oppose arriérés médicaux et arriérés pédagogiques et paraît être née peu avant 1900, sous la plume du médecin belge, Jean Demoor98. Bourneville, à partir de 1898, mentionne ces termes dans ses rapports99.
38Suite à ce premier travail, un questionnaire très complet est rédigé et distribué dans toutes les écoles de France100. L’enquête est réalisée en 1905. Les résultats officiels ont, semble-t-il, été publiés qu’en 1909. Ils indiquent un recensement de 31 818 anormaux dans les écoles de France, âgés de un à treize ans révolus101.
39En appui de l’enquête, le médecin aliéniste Jacques Roubinovitch précise que sur 5 015 416 enfants recensés, les résultats font état de 31 791 enfants présentant « des anomalies de toute nature ».

40Une deuxième enquête organisée par le ministère de l’Intérieur, fin 1905 ou début 1906, fait apparaître un nombre de 4 453 enfants anormaux internés dans les asiles d’aliénés de toute la France, dont 1488 de moins de treize ans102. À cette époque, ils relèvent pour la plupart du domaine médical. Toutefois, un nombre d’enfants anormaux médicaux présentent également un handicap physique (hémiplégie, difformités physiques, etc.)
Fin 1905
Dans les asiles d’aliénés : 4 453 anormaux internés dont 1488 de moins de treize ans.
41D’après Vial et Hugon, il est également recensé 2955 enfants anormaux dans les établissements hospitaliers (sur 26561 enfants hospitalisés). On trouve en particulier 484 aveugles, 578 anormaux médicaux, 1179 sourds, 409 arriérés et 205 instables… Enfin, la statistique officielle indique que 6685 enfants anormaux ne sont inscrits dans aucune école. En additionnant le résultat des deux enquêtes (31791 à l’école et 1488 en asiles), la France compte au début du xxe siècle 33 279 anormaux de moins de treize ans bénéficiant d’une prise en charge scolaire.
42Le médecin Roubinovitch reprend les résultats et arrondit le chiffre à 40 000 et ce chiffre est ensuite largement repris, voire augmenté. Toutefois, les résultats obtenus par les deux enquêtes sont très contestés. Plusieurs raisons sont invoquées : toutes les structures n’ont pas eu les questionnaires, un nombre d’établissements n’a pas répondu aux enquêtes, etc. La majeure partie de la critique porte essentiellement sur la faiblesse des critères pour déterminer les enfants anormaux103. Pour les médecins aliénistes, « aucune statistique sérieuse ne pourra être établie tant que tous les enfants des écoles publiques et privées n’auront pas été examinés par des médecins104 ». Pour Binet, cette enquête relève des mêmes critiques que les autres. Les médecins utilisent des critères tout aussi subjectifs que les enquêtes ministérielles. Binet et Simon indiquent que « les aliénistes n’ont pas mieux réussi à définir les enfants anormaux105 ». Pour eux, ce sont les méthodes réalisées par la psychologie qui sont valides. En appui de cette enquête, l’éducation des anormaux entre dans une phase nouvelle. Pour Binet, il s’agit de faire la distinction entre l’enfant normal et l’arriéré106. C’est également un moyen pour ce dernier de faire valoir ses théories psychologiques et par là même marquer sa place dans les débats. L’auteur se centre alors sur les enfants arriérés, leur intelligence et leur degré d’instruction scolaire. Le recensement des enfants anormaux a fait apparaître de nombreuses approximations. Les critères utilisés pour différencier certaine catégories sont variables et les appréciations sont restées subjectives. Dès lors, chacun s’accorde à réclamer des recherches scientifiques, mais les positions divergent sur la manière de les mener. Pour la plupart des aliénistes, aucune statistique ne peut être valide dès lors que ces enfants n’ont pas été examinés par un médecin. Pour les partisans de la psychométrie, seuls des critères scientifiques peuvent permettre d’établir un recensement fiable.
43Avec la création de la commission Bourgeois en 1904, c’est la reconnaissance officielle des débuts de la prise en charge des enfants anormaux par les instances politiques. La commission officialise également le déplacement de l’argumentation sur l’instruction de ces enfants. Ce processus qui s’est engagé va contribuer à la disparition du mouvement médico-pédagogique asilaire.
Notes de bas de page
1 À partir de 1885, dans les congrès de la ligue de l’enseignement, le transfert des institutions pour sourds-muets et aveugles devient une préoccupation.
2 Vial Monique, op. cit., Paris, 1990.
3 En 1866, Jean Macé, journaliste républicain et professeur, crée la ligue de l’enseignement. Les adhérents de cette ligue, voient, dans l’instruction et l’éducation l’instrument de formation à la citoyenneté. Les premiers membres de la ligue agissent pour l’éducation populaire en créant des bibliothèques, des cours publics, des sociétés ouvrières d’instruction, des centres d’enseignement pour les jeunes filles…, tout en revendiquant la prise en charge par l’État de l’instruction publique ouverte à tous. La ligue est à l’origine des lois d’obligation scolaire.
4 Bulletin de la ligue de l’enseignement, 1898, p. 416, cité par Barthélémy Michel, op. cit., 1996, p. 92.
5 Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 1989, p. 223.
6 Ibid., p. 128.
7 Bourneville Désiré Magloire, « Le service des enfants épileptiques et idiots de Bicêtre. Réponse à M. Desprès. Nécessité d’organiser dans toute la France l’assistance des enfants idiots et épileptiques », in Le Progrès médical, n° 19, Paris, 1887.
8 Le conseil général décide en 1893 de construire un asile de 400 lits pour enfants idiots et épileptiques et une première tranche de 100 lits est adjugée en 1894. D’après Bourneville Désiré Magloire, Histoire de la fondation Vallée, Paris, Bicêtre, imprimerie typographique des enfants, 1892.
9 L’institut médico-pédagogique comprend, entre autres, un pavillon d’hydrothérapie construit avant 1898 et un gymnase en 1909. La commune acquiert la propriété en 1975 et l’établissement est déménagé en 1990.
10 Bourneville Désiré Magloire, Assistance…, op. cit., 1900, p. CXXXIII.
11 Bourneville Désiré Magloire, Gillet Paul et Butte lucien, « Remarques sur la réorganisation de l’inspection médicale des écoles », in Rapport fait à la délégation cantonale du Ve arrondissement (Avis demandé par le préfet, M. Poubelle), Assistance, juin, 1892.
12 Baumfelder Éliane, op. cit., 1983, p. 232.
13 « Il n’est guère permis d’espérer qu’on puisse songer à de nouvelles constructions pour les enfants, dans un temps prochain. C’est pour cela que nous devons appeler votre attention sur un mode plus économique et facilement réalisable, d’assistance et d’éducation de la catégorie la moins malade des enfants idiots, nous voulons parler des arriérés », in Notes à la commission de surveillance des asiles d’aliénés de la Seine, 2 mai 1896, cité par Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 2001, p. 54.
14 En Allemagne, les classes spéciales sont installées dans les écoles ordinaires et accueillent les enfants qui sont laissés de côté, tournés en dérision, ne faisant aucun progrès parce qu’on ne s’occupe pas d’eux. In Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1890, p. 23-24.
15 Nobécourt Pierre et Babonneix Léon, Les Enfants et les jeunes gens anormaux, Paris, Masson et Cie Éditeurs, 1939, 169.
16 Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1895, p. 178.
17 Hamon Du Fougeray Étienne et Couëtoux Louis, op. cit., 1896, p. 224.
18 Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1895, p. 180-184.
19 Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 2001, p. 35.
20 Ibid., p. 35.
21 Signé B., « Assistance des enfants arriérés, imbéciles, idiots et épileptiques ; nécessité de les hospitaliser », in Archives neurologiques, 1890, p. 449-451, in Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 95.
22 Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 99.
23 Wacjman Claude, « Le discours tenu sur les familles dans le service de Bourneville à Bicêtre (1879-1891) », in Psychiatrie et histoire, Actes du premier congrès de la confédération française des sociétés régionales de psychiatrie, Montpellier, 26-27 sept. 1986, Paris, 1989, p. 88.
24 Vial Monique, op. cit., 1990, p. 39.
25 « À partir de 1870, les institutions pour les faibles d’esprit se sont considérablement multipliées à l’étranger. […]. Nous devons signaler aussi l’existence, dans un certain nombre de villes, de classes destinées aux arriérés. Ces enfants qui, dans les écoles ordinaires, étaient laissés de côté, tournés en dérision, ne faisaient aucun progrès […], se trouvent très bien de ces classes à part et tirent un grand profit de l’enseignement spécial qui leur est donné […]. In Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1890, p. 23-26.
26 Vial Monique, op. cit., 1990, p. 57.
27 Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 1989, p. 226.
28 Bourneville Désiré Magloire, « Lettre du 5 novembre 1896, adressé à M. le directeur de l’enseignement primaire du département de la Seine », in Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1897, p. 404.
29 La proposition de la création d’asiles inter-départementaux est à l’initiative du médecin chef aliéniste de l’asile de Saint-Pierre de Marseille Philippe Rey, qui soumet son idée au conseil général du Vaucluse en 1891. D’après Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1895, p. 45-46.
30 Bourneville Désiré Magloire, Assistance…, op. cit., 1895, p. 151-152.
31 Ibid., p. 154.
32 Vial Monique, op. cit., 1990, p. 54.
33 Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 2001, p. 55.
34 Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 1989, p. 228.
35 Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1895, p. 150.
36 Ibid., p. 155.
37 Bourneville Désiré Magloire, Assistance…, op. cit., 1900, p. CXLIV.
38 Ibid., p. CXLV.
39 Le directeur de l’enseignement primaire de la Seine, M. Carriot, sollicite en septembre 1896 Bourneville pour qu’il lui fournisse une classification en vue d’organiser une enquête sur les arriérés et les indisciplinés des écoles.
40 « Lettre du 5 novembre 1896, adressé à M. le directeur de l’enseignement primaire du département de la Seine », Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1897, reproduite in Vial Monique et Hugon Marie-Anne, La commission Bourgeois (1904-1905), Paris, CTNERHI, 1998, p. 71.
41 Gustave Baguer (1858-1919) est instituteur à Paris, dans l’enseignement public, après avoir exercé dans une école libre. Jeune instituteur, il s’inscrit à la société pour l’enseignement simultané des sourds-muets et des entendants-parlants, très active auprès des maîtres, reçoit des enfants sourds dans sa classe, leur donne des leçons supplémentaires après ses heures de travail et souvent subvient à leurs besoins alimentaires. Républicain, il s’engage dès 1882 en faveur du rattachement des établissements de sourds et d’aveugles au ministère de l’Instruction publique. De 1894 à 1918, il est le directeur de l’institut départemental des sourds-muets et sourdes-muettes de la Seine (Asnières). En 1902, il devient secrétaire général de la société pour l’enseignement simultané des sourds-muets et des entendants-parlants, qui devient en 1904 société pour l’instruction et la protection des enfants sourds-muets ou arriérés. Il est membre de la commission Bourgeois et adhérent de la SLEPE. En 1911, il est le président du comité de protection des anormaux, créé le 9 décembre par le patronage de l’enfance et de l’adolescence. De 1918 à 1919, il est le directeur de l’office des pupilles de la nation de la Seine.
42 Vial Monique, Plaisance Jacques et Stiker Henri-Jacques, Enfants sourds, enfants aveugles au début du xxe siècle. Autour de Gustave Baguer, Paris, CTNERHI-Cnefei, 2000, p. 40.
43 Bourneville Désiré Magloire, Création de classes spéciales pour les enfants arriérés, Bicêtre le 16 mai 1899, copie de la lettre publiée in Barthélémy Michel, op. cit., 1996, p. 102-105.
44 Roca Jacqueline, op. cit., 1990, p. 69.
45 Nicolas Serge, op. cit., 2002, p. 157.
46 Nicolas Serge et Andrieu Bernard, La Mesure de l’intelligence. Conférence à la Sorbonne à l’occasion du centenaire de l’échelle Binet-Simon (1904-2004), Paris, L’harmattan, 2005, p. 25.
47 Mouvement intellectuel, culturel et philosophique qui a dominé, en Europe et particulièrement en France, le xviiie siècle auquel il a donné, par extension, son nom de siècle des Lumières. Ce mouvement a marqué le domaine des idées et de la littérature par leurs remise en question fondée sur la « raison éclairée » de l’être humain et sur l’idée de liberté.
48 La philosophie, du grec philia, « amitié » et sophia, « sagesse ». Elle désigne une activité millénaire dont la définition est pourtant assez ardue : la philosophie peut se présenter comme un savoir totalisant, une réflexion visant une interprétation globale du monde et de l’existence humaine ou encore comme un questionnement. La philosophie se précise par un adjectif ou un complément déterminatif : philosophie de la nature, de l’esprit, positive, morale…
49 Goyard-Fabre Simone, La Philosophie des Lumières en France, Paris, C. Klincksieck, 1972.
50 Blay Michel, (dir.), « La philosophie », in Grand dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse, 2003, p. 799-812.
51 Goldstein Jan, op. cit., 1997, p. 307.
52 Locke John, Quelques pensées sur l’éducation, 1693 ; Crousaz (de) Jean-Pierre, Traité de l’éducation des enfants, 1722 ; Rousseau Jean-Jacques, Émile ou l’éducation des enfants, 1722.
53 Nicolas Serge, op. cit., 2002, p. 17.
54 Alfred Binet (1857-1911) obtient une licence de droit et commence des études de médecine. À partir des années 1880, il opère un double apprentissage et acquiert des compétences en psychophysiologie et en clinique psychiatrique. Sous la direction de l’embryologiste Édouard Gérard Balbiani dont il épouse la fille en 1884, Binet entreprend à la Sorbonne des études de sciences naturelles (licence en 1890 et thèse de doctorat en 1894) et s’initie à l’expérimentation. Avec Charcot, il étudie l’hypnose, la suggestion et il s’engage dans des travaux de « psychologie morbide ». La naissance de ses deux filles, Madeleine (1885) et Alice (1888), lui fournit un autre et tout nouveau centre d’intérêt et d’expériences à partir de 1890 : la psychologie de l’enfant et plus particulièrement l’analyse des différences individuelles en rapport avec le patrimoine génétique et l’éducation. En 1890, il entre dans le laboratoire de psychologie de Beaunis et il fonde en 1894, avec celui-ci, la revue « L’année psychologique ». La même année, il devient directeur du laboratoire de psychophysiologie à la place de Beaunis. En 1899, il noue son premier contact au sujet des enfants anormaux avec Théodore Simon, interne de psychiatrie à la colonie de Perray-Vaucluse. Au congrès international de psychologie de Rome, en 1905, il présente son épreuve de diagnostic, première version de l’échelle métrique de l’intelligence. Il fait reconnaître officiellement comme « laboratoire de pédagogie expérimentale » le centre de recherches situé dans une école du quartier populaire de Belleville à Paris en collaboration étroite avec Vaney (directeur de l’école).
55 Pinell Patrice, op. cit., Lille, Éditions du Seuil, 2005, p. 7.
56 Guyot Denise et Simonnet Robert, Un siècle de psychométrie et de psychologie, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 21.
57 Pinell Patrice et Zafiropoulos Markos, op. cit., 1983, p. 29.
58 Pollak Michaël, op. cit., 1976, p. 105-121.
59 Vial Monique, op. cit., 1990, p. 39.
60 La société libre pour l’étude psychologique de l’enfant est créée en 1899 par Ferdinand Buisson. Il en devient le président de 1899 à 1902. La même année, Alfred Binet adhère à la société et prend la présidence de 1902 à 1911. Une revue est éditée dont le premier bulletin paraît le 15 octobre 1900, Bulletin de la société libre pour l’étude psychologique de l’enfant (1899-1911) qui se transforme en Psychologie de l’enfant et pédagogie expérimentale. Société Alfred Binet (1917-1962) et actuellement Éduquer. Revue de la société Binet-Simon. Composition du bureau de la SLEPE, source bulletin n° 14, janvier 1904, d’après Pinell Patrice et Zafiropoulos Markos, op. cit., 1983, p. 30-31. Présidents d’honneur : L. Bedorez, directeur de l’enseignement primaire, Mme P. Kergomard, inspectrice générale des écoles maternelles, Th. Ribot, professeur de psychologie au collège de France. Présidents : Ferdinand Buisson de 1899 à 1902, ancien directeur de l’enseignement primaire et professeur des sciences de l’éducation à la Sorbonne ; Alfred Binet de 1902 à 1911, directeur du laboratoire de psychologie physiologique à la Sorbonne. Vice présidents : G. Marillier de 1899 à 1901, professeur de psychologie à la faculté de théologie protestante, puis maître de conférences à l’école pratique des hautes études ; Boitel à partir de 1902, directeur de l’école Turgot, élu membre du conseil supérieur de l’instruction publique ; Mme Fuster, professeur au collège Sévigné ; M. Baudrillard, inspecteur primaire de la Seine. Secrétaire général : M. Malapert, professeur de philosophie au lycée Louis-le-Grand ; docteur Galtier-Boissière, conservateur des collections scientifiques au musée pédagogique. 350 sur 500 adhérents sont des sociétaires fonctionnaires de l’instruction publique dont dans l’enseignement secondaire 7 professeurs et 6 proviseurs et principaux ; dans l’enseignement primaire, l’union des instituteurs de la Seine, l’amicale des instituteurs du Cher, 145 adhésions individuelles d’instituteurs et dans les écoles normales et primaires supérieures, 52 directeurs et professeurs d’école normale, 11 promotions d’élèves-maîtres et maîtresses, 50 directeurs et professeurs d’écoles primaires supérieures.
61 Normand Romuald, « La mesure de l’école : de la tradition statistique à la modernité économétrique », in Éducation et sociétés, n° 16, 2005, p. 213.
62 Vial Monique, op. cit., 1990, p. 52.
63 La première enquête porte sur le mensonge sous la responsabilité de Ferdinand Buisson et débouche sur une classification qui distingue cinq groupes de menteurs. Buisson considère que ce sont les causes sociales qui prédominent dans la « genèse » des menteurs. D’après Pinell Patrice et Zafiropoulos Markos, op. cit., 1983, p. 32-33.
64 Vial Monique, op. cit., 1990, p. 44.
65 Bulletin de la SLEPE de 1905.
66 Voisin Félix, op. cit., 1843, p. 11.
67 Durkheim s’exprime sur ce sujet après le suicide d’un jeune enfant relégué dans la colonie de Mettray, in Manuel général de l’instruction primaire (première partie), 1908- 1909, p. 311, cité par Vial Monique, op. cit., 1990, p. 45.
68 Nicolas Serge et Andrieu Bernard, La esure de l’intelligence, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 25.
69 Thulié Henri, op. cit., 1900, p. 6.
70 « C’est l’ensemble du traitement s’appliquant aux dégénérés de toutes les classes qui a été désigné par un néologisme hybride sous le nom d’orthopédie mentale, ou orthopédie morale, et que Félix Voisin, avec plus de correction, avait appelé orthophrénie. Mais le mot orthophrénie, peut s’appliquer à toutes les déviations intellectuelles, quel que soit l’âge du malade ; or il ne s’agit ici que de jeunes sujets ; ce traitement médico-pédagogique doit donc s’appeler : orthophrénopédie. » Ibid., p. 18.
71 Ibid., p. 7-9.
72 Le mouvement réformateur du développement du traitement médico-pédagogique à l’égard des enfants en danger mental s’appuie sur les travaux du passé développé par Itard, Esquirol, Belhomme, Voisin, Séguin, Delasiauve…, et dans le présent sur ceux de Bourneville, Magnan, Legrain, Sollier etc. D’après Thulié Henri, op. cit., 1900, p. 11.
73 Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 2001, p. 39.
74 Vial Monique, op. cit., 1990, p. 59.
75 Classification établie par M. le docteur Bourneville dans sa lettre du 5 novembre 1896, adressée à M. le directeur de l’enseignement primaire du département de la Seine, in Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 71.
76 Le terme générique d’enfants anormaux apparaît de manière assez officielle au congrès de la ligue de l’enseignement de 1898 pour désigner des enfants aveugles, sourds-muets, idiots et arriérés. Voir Bulletin de la ligue de l’enseignement, 1898, p. 416. Cette appellation d’enfants anormaux devient officielle avec la création de la commission Bourgeois (sur les conditions d’application de la loi du 28 mars 1882 aux enfants anormaux) par l’arrêté du 4 octobre 1904.
77 Séguin Édouard, op. cit., 1997, p. 152.
78 Classification in « Lettre du 5 novembre 1896, adressé à M. le directeur de l’enseignement primaire du département de la Seine », in Bourneville Désiré Magloire, op. cit., 1897, reproduite in Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 71.
79 Vial Monique et Hugon Marie-Anne, La Commission Bourgeois (1904-1905), Paris, CTNERHI, 1998, p. 71.
80 Les résultats de l’enquête effectuée à la demande de Bourneville, en 1894 dans les écoles du Ve et VIe arrondissements font apparaître 83 arriérés et 49 indisciplinés sur 6 782 enfants des deux sexes. Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 1989, p. 226.
81 « Nous avons eu l’occasion de signaler l’existence en nombre assez considérable dans les écoles primaires d’enfants arriérés, ou dont l’intelligence confine à l’imbécillité, et il en existe aussi dans les établissements d’enseignement secondaire », Signé B., « Assistance des enfants arriérés, imbéciles, idiots et épileptiques ; nécessité de les hospitaliser », in Archives neurologiques, 1890, p. 449-451, in Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 95.
82 Ibid., p. 61.
83 Morin Jean, Foi et vie, (Revue), novembre 1904, cité par Gateaux-Mennecier Jacqueline, op. cit., 2001, p. 62.
84 De la création d’écoles spéciales pour les enfants anormaux et les indisciplinés, supplément au Bulletin de la société pédagogique des directeurs et directrices d’écoles publiques de la ville de Paris, mai 1904. Cité par Muel-Dreyfus Francine, Le Métier d’éducateur, Paris, Les Éditions de Minuit, 1983, p. 215.
85 Il faudra attendre les circulaires 78-188 et 33 AS du 8 juin 1978 pour voir nommer puis titulariser dans le corps des personnels enseignants relevant du ministère de l’Éducation nationale, les éducateurs scolaires.
86 Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 6.
87 « Le mot dégénérescence s’étend actuellement à un état caractérisé par des malformations physiques, par de la débilité, ou de la déséquilibration mentale avec perversion habituelle des instincts, instabilité de l’esprit qui est porté au doute, aux hésitations, aux craintes morbides, aux impulsions, enfin par une tendance à certaines formes de délire transitoire ou durable. » D’après Ballet Gilbert, « Rapport de l’hystérie et de la folie », in Ve congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et des pays de langue française, Paris, Masson, 1895, p. 25.
88 Loi n° 11696 du 28 mars 1882, article 4 : « L’instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de six ans révolus à treize ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d’instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles, par le père de famille lui-même ou par toute autre personne qu’il aura choisie. Un règlement déterminera les moyens d’assurer l’instruction primaire aux enfants sourds-muets et aux aveugles. »
89 Roca Jacqueline, op. cit., 1990, p. 71.
90 Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 9.
91 Bourgeois Léon, « Lettre-préface à M. Alfred Binet », in Binet Alfred et Simon Théodore, op. cit., 1978, p. VI.
92 Charlot Marcel, « Pour les enfants arriérés ou anormaux », in L’Éducation des enfants anormaux, note à l’arrêté du 4 octobre 1904, relatif à la création de la commission dite « Commission Bourgeois », 1906, p. 474-486. Cité par Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 30-34.
93 Note pour un projet de statistique des enfants anormaux, Musée national de l’éducation, dossier 3.7.03/37367 (1904). Cité par Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 45.
94 Le député Tournade dépose un projet de résolution tendant à la création d’écoles régionales de sourds-muets et d’aveugles en âge de scolarité. À la suite de ce projet, « l’urgence fut déclarée et la commission demanda au ministre de l’Instruction publique de fournir les éléments d’appréciation nécessaires, et ce fut l’objet d’une étude et d’un rapport de Marcel Charlot », d’après Chautard Paul, « Deuxième rapport fait au nom de la commission de l’enseignement et des beaux-arts chargée d’examiner le projet de loi ayant pour objet la création de classes et d’écoles de perfectionnement pour les enfants anormaux (création et fonctionnement des établissements) ».
95 Le rapport de Marcel Charlot a été précédé d’une mission « relative à la situation des enfants arriérés ou anormaux à l’étranger », confiée au médecin Gauraud. Ce rapport est publié in Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 30-33.
96 Paul Strauss (1852-1943, journaliste parlementaire, conseiller municipal de Paris et conseiller général de la Seine. Il est élu au Sénat en 1897 et y restera pendant près de 40 ans. Il concentre son activité dans le domaine de l’hygiène de la prévoyance et de l’assistance, rapportant en particulier la loi sur le repos des accouchées désignée sous le nom de loi « Paul Strauss ». En janvier 1922, il devient ministre de l’Hygiène de l’Assistance et de la Prévoyance sociales. Il met en place la première commission du cancer.
97 Note pour un projet de statistique des enfants anormaux, 15 décembre 1904, in Musée national de l’éducation, Dossier 3.7.03/37367 (1904), d’après Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 45.
98 Ibid., p. 54.
99 Bourneville Désiré Magloire, Création de classes spéciales pour enfants arriérés, Paris, Alcan et Progrès médical, 1898, p. 19.
100 Vaney Victor, « Combien existe-t-il en France d’enfants arriérés de l’intelligence ? », in SLEPE, n° 30, 1906, p. 95.
101 Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, Statistique de l’enseignement primaire pour l’année 1906-1907, T. XVIII, 1909, p. XXV-XXVI.
102 Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 174.
103 Ibid., p. 181.
104 Chazal Eugène, Les Anormaux psychiques, contribution à l’étude de l’enfance anormale, Lyon, Maloine, 1907, p. 65.
105 Binet Alfred et Simon Théodore, Les Enfants anormaux, Paris, Armand Colin, 1907, réédit. Toulouse, Privat, 1978, p. 61.
106 Note sur la distinction entre l’enfant normal et l’arriéré par Binet Alfred, directeur du laboratoire de psychologie à la Sorbonne. Cité par Vial Monique et Hugon Marie-Anne, op. cit., 1998, p. 111.
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