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Une histoire de l’éducation physique dans les instituts médico-éducatifs 1838-1909

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Pascal Brier

Partie 2. Le processus d’apparition de la gymnastique médico-pédagogique asilaire pour les enfants « idiots »

Le traitement moral comme une analogie pédagogique

Texte intégral

  • 1 Ackerknecht Erwin Heinz, op. cit., 1986, p. 10.

1Le mouvement de réforme médicale et hospitalière engagé à partir de la fin du xviiie siècle est à la fois une révolution politique et technologique. Une nouvelle médecine prend forme à partir de techniques et de concepts inconnus des anciens : examen physique mettant en jeu la main et l’oreille, anatomie pathologique, statistiques et notion de lésion1. Les débuts de cette révolution médicale sont également fortement influencés par une certaine philosophie et notamment « une philosophie de l’observation » et de l’expérience. Le processus de spécialisation médicale qui se met en place durant tout le xixe siècle va permettre aux médecins d’explorer divers domaines scientifiques, de rechercher les maladies par les lésions des organes et de développer des thérapeutiques diverses.

  • 2 Esquirol Étienne, Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénati (...)
  • 3 Goldstein Jan, op. cit., 1997, p. 132.
  • 4 Postel Jacques et Quétel Claude, op. cit., 2002, p. 155 et 156.

2Les premiers médecins en charge des aliénés, fortement influencés par la philosophie, vont développer une théorie par les « passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation mentale2 ». Ce genre de philosophie s’appuie notamment sur la psychologie sensualiste et la science des idées du courant des Idéologues3. L’émergence d’un mouvement de médecins (aliénistes en 1838) avec à sa tête Philippe Pinel, réunit la médecine et la philosophie (le médico-philosophique) pour tenter d’unir le corps et l’âme (la maladie de l’âme). Les médecins opèrent une description clinique et instituent une pratique thérapeutique de la maladie mentale. En l’absence de toute lésion anatomique, ils inventent un traitement thérapeutique (le traitement moral) sous la base d’une forme d’intervention pédagogique qui consiste en une « écoute empathique » pour tenter d’entrer dans la « raison du fou » (dans son délire) et ainsi traiter de manière psychique une cause psychologique4. Le traitement moral apparaît très vite comme un procédé pédagogique, une sorte d’orthopédie mentale et comme une forme d’éducation médicinale, avec la création de structures spécifiques de soins (l’asile), la mise en place d’une organisation de la prise en charge (emploi du temps, soins, activités d’occupation, règles de vie, etc.) et le développement d’interventions spécifiques. Le procédé s’appuie en premier lieu sur l’attitude du médecin face au malade : parler avec une voix douce et rassurante pour rassurer tout en compatissant à la souffrance du malade. Pour que l’aliéné réintègre la normalité, les médecins mettent en place des activités pour le distraire, pour qu’il se détourne des méditations qu’il rumine et qui engendrent des comportements inadaptés (délires).

  • 5 Les médecins peuvent avoir différentes fonctions (médecin hospitalier, médecin en cabinet…) et mene (...)
  • 6 « […] Ils sont incurables ; on ne conçoit pas la possibilité de les guérir. […] Les idiots ne deman (...)
  • 7 Ariès Philippe, op. cit., Paris, Éditions du Seuil, 1973.

3Tout en menant des travaux dans d’autres directions de la médecine5, et contre l’avis d’une partie des médecins aliénistes6, un groupe de réformateurs va s’intéresser plus particulièrement au cas des enfants aliénés incurables. À l’époque ceux qui sont atteints d’aliénation mentale prennent le nom d’idiots et d’imbéciles. Cette nouvelle orientation s’inscrit dans le travail de catégorisation des malades, toujours de plus en plus pointu. Enfin, il correspond à l’intérêt de plus en plus important que la société porte sur les enfants7.

4En l’absence de délires (de folie) de la part de ces enfants idiots, le groupe de réformateurs (médecins, infirmiers, pédagogues, etc.) opère une transformation du traitement moral en un traitement médico-pédagogique. L’action menée auprès de ces enfants idiots aboutit à la création d’une division du champ de la maladie mentale en un sous-champ (dont il reste à savoir si cette spécialité va perdurer et être reconnue comme légitime par les institutions du champ dominant). Dans ce mouvement de spécialisation du traitement des enfants idiots se développe une pratique médico-pédagogique de la gymnastique. Cette forme corporelle apparaît par certains médico-pédagogues (Séguin, etc.) comme la clef de voûte d’un enseignement spécial.

5À la fin du xixe siècle, une forme de légitimité de cette spécialité médicale est apparente. L’idiot acquiert un statut d’enfant malade et des médecins aliénistes se regroupent autour d’un nouveau concept (la relation du médical et du pédagogique comme moyen de traitement). Un service spécial avec une direction médicale est créé. Des techniciens de l’accompagnement éducatif, de l’enseignement (scolaire, gymnastique, etc.), des agents paramédicaux sont nommés. Un aménagement spécifique de la structure de prise en charge est développé, un projet est conçu, un programme est mis en place, des documents, ouvrages et comptes rendus sont publiés, etc.

6Pour analyser cette nouvelle hypothèse, nous analysons ce qui va constituer à la fin du xixe siècle le domaine de l’enfance anormale. Il s’agit de comprendre quels sont les éléments de rupture qui ont amené à considérer que l’enfant idiot est susceptible d’évoluer et de progresser dans ses comportements et dans ses apprentissages, alors que, par ailleurs, il a été toujours considéré comme un incurable et confondu avec les autres aliénés. Qu’est-ce qui différencie l’enfant idiot des autres catégories d’aliénés ? Comment apparaît ce nouveau traitement pour ces jeunes ? Qui sont les promoteurs de cette nouvelle prise en charge ? Comment s’opère la transformation du traitement moral des aliénés en un traitement médico-pédagogique ? Quelle est la place de la gymnastique dans cette prise en charge ? Quel est l’intérêt de cette pratique ? Quelles sont les considérations théoriques qui amènent certains promoteurs à donner aux pratiques physiques une place centrale dans le dispositif d’enseignement spécial ? A-t-elle un caractère spécifique qui la différencie des autres pratiques de gymnastique en vigueur à l’époque ?

Notes

1 Ackerknecht Erwin Heinz, op. cit., 1986, p. 10.

2 Esquirol Étienne, Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation mentale, thèse de médecine, n° 574, Paris, Didot Jeune, An XIV (1805), p. 25.

3 Goldstein Jan, op. cit., 1997, p. 132.

4 Postel Jacques et Quétel Claude, op. cit., 2002, p. 155 et 156.

5 Les médecins peuvent avoir différentes fonctions (médecin hospitalier, médecin en cabinet…) et mener différentes actions à caractère médical (publication d’articles, recherches dans un domaine médical spécifique…) mais également dans d’autres domaines (politique, social…). Par exemple, Désiré Magloire Bourneville (1840-1909) est médecin praticien dans le 5e arrondissement de Paris, médecin-chef aliéniste du service spécial de Bicêtre, co-rédacteur en chef de la revue le Mouvement médical, fondateur du Progrès médical, de l’Année médicale, des Archives de neurologie, publie des articles médicaux, défend la laïcité des infirmières, mène des recherches et découvre en 1880 la sclérose tubéreuse (syndrome de Bourneville) par une étude de cas de manière anatomo-pathologique… Enfin, il est conseiller municipal, député, franc-maçon, etc.

6 « […] Ils sont incurables ; on ne conçoit pas la possibilité de les guérir. […] Les idiots ne demandent que des soins domestiques très attentifs et très assidus. […] On ne guérit point l’idiotie : les idiots parfaits ne vivent guère au-delà de vingt-cinq ans », Esquirol Étienne, op. cit., 1818, p. 507-524.

7 Ariès Philippe, op. cit., Paris, Éditions du Seuil, 1973.

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