La gymnastique comme moyen thérapeutique des spécialisations médicales

1De tous temps les hommes et notamment les médecins, ont avancé des idées sur la vie, le corps, le mouvement. Ils ont réalisé des essais de pratique physique qui, au fil des siècles, ont ouvert l’esprit sur le bien fondé de la gymnastique et de l’éducation physique1. Avec la fin du xviii^e siècle est apparu un renouveau de la gymnastique dans l’armée, dans l’enseignement et la médecine. C’est également à la fin de ce siècle que s’installe progressivement une nouvelle approche de la médecine. Enfin, un mouvement de réformes hospitalières et un processus de spécialisation de la médecine vont jouer un rôle capital dans le développement de gymnastiques médicales spécialisées.

2Au cours du xviii^e siècle, nous assistons à une restructuration du champ médical et notamment à une réorganisation de l’institution hospitalière qui devient un lieu de soin, d’observation des maladies et de formation clinique des étudiants. Ce bouleversement institutionnel ouvre la voie à une refonte du savoir médical : l’ancienne théorie des humeurs est abandonnée au profit d’une nouvelle approche localisant la maladie dans le corps au niveau des lésions tissulaires2. À partir de 1795 (date d’ouverture des nouvelles écoles de médecine) jusqu’aux premières années de la III^e République, différentes formes de spécialisation de la médecine clinique émergent dans le secteur hospitalier. Au lendemain de la guerre de 1870, la spécialisation médicale apparaît comme une conséquence inéluctable du progrès des connaissances et des techniques et qui se traduit notamment par la création de chaires de clinique spécialisées. Le développement de la spécialisation médicale de la clinique s’inscrit dans un champ médical qui comprend également la médecine sociale et la médecine biologique. La médecine sociale prend forme autour du développement des institutions de l’hygiène publique et se donne pour mission de conseiller les pouvoirs publics sur les mesures à prendre pour protéger la santé des populations et de les mettre en œuvre : maladies collectives (infectieuses et contagieuses), facteurs environnementaux, problèmes de société (expertise médico-légale, traitement des fous, etc.) La médecine biologique qui tente de répondre aux causes et aux mécanismes pathologiques, se développe dans des laboratoires et dans quelques institutions en marge des hôpitaux et des facultés de médecine. La réorganisation du système hospitalier fait apparaître des regroupements de population dans des lieux spécifiques (hôpital, hospice, asile) et fait naître des préoccupations sociales différentes (adultes malades, enfants malades, enfants trouvés, vieux, valides, invalides, etc.) Le regroupement d’une catégorie particulière de malades au sein d’un établissement spécial et l’émergence d’un regard clinique créent les conditions favorables au développement d’une spécialisation médicale. Un savoir technique se développe, des thérapeutiques et des traitements s’élaborent dans chaque branche. C’est dans ce contexte de réorganisation et de spécialisation médicale que des formes particulières de la gymnastique apparaissent comme un des moyens de traitement, dans la prise en charge des différentes maladies au xix^e siècle. De manière plus précise, nous remarquons que les enfants déficients intellectuels, dits à l’époque idiots, imbéciles ou crétins, considérés comme des malades mentaux, font l’objet de regroupements dans des hôpitaux spécifiques (les asiles). Une division médicale se met en place (la médecine mentale), un traitement original se développe (le traitement moral). Puis, des savoirs et des techniques s’élaborent et la gymnastique est utilisée comme moyen thérapeutique et éducatif. Pour analyser cette hypothèse, nous étudions, d’une part, les différents processus de développement et de spécialisation de la médecine en France3 et, d’autre part, la pénétration, le développement et la spécialisation thérapeutique de la gymnastique. Décrire comment s’opèrent ces spécialisations de la médecine, quelles sont les personnes qui les mettent en œuvre, avec quelles intentions, c’est préciser en quoi consiste le travail menant à la création d’une spécialisation. Quels sont les groupes qui en sont les agents et dans quel contexte entreprennent-ils leur action ? Une analyse de la spécialisation de la médecine mentale ne peut se faire sans prendre en compte l’évolution globale du champ médical. Enfin, de la même manière, il s’agit de repérer comment la gymnastique, l’éducation physique, pénètre ce système. En quoi une spécialisation médicale fait-elle naître une spécialisation de la gymnastique médicale ? Quelles sont ses formes d’expression et leurs significations ? Quels sont les agents qui la conçoivent ? Qui sont ces intervenants qui la mettent en œuvre auprès des enfants malades ?